R. c. Bissonnette |
2019 QCCS 354 |
COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-01-207339-171 |
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DATE : |
Le 8 février 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
FRANÇOIS HUOT, j.c.s. |
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LA REINE,
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Poursuivante |
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c. |
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ALEXANDRE BISSONNETTE,
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Accusé |
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LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC, |
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Mise en cause |
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SENTENCE |
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Rendez le bien pour le bien et la justice pour le mal. Confucius |
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[1] Il y a maintenant 24 mois, dimanche, le 29 janvier 2017, une date qui demeurera à jamais inscrite en lettres de sang dans l’histoire de cette ville, de cette province, de ce pays, Alexandre Bissonnette, 27 ans, se livrait à une attaque préméditée, gratuite, sournoise et meurtrière aux dépens de 46 de nos concitoyens de confession musulmane, dont quatre personnes mineures.
[2] Armé d’une carabine semi-automatique et d’un pistolet, l’assaillant se présenta, vers 19 h 54, à la Grande mosquée du Centre culturel islamique de Québec, sise sur le chemin Sainte-Foy, pour y perpétrer son crime abject. Laissant libre cours à un fanatisme haineux et à l’illogisme d’un homme dont la vision bornée n’embrasse aucunement le vaste horizon humanitaire, Bissonnette sema la mort et la destruction dans ce lieu de prière. Il assassina six de ses semblables et en meurtrit sérieusement cinq autres dans leur chair, non sans tenter d’occire de nombreux autres fidèles présents sur les lieux de cette innommable tragédie.
[3] Les membres de la communauté musulmane de Québec vivaient pourtant en paix avec leurs concitoyens. Intégrés dans diverses sphères d’activités sociales et professionnelles, ils partageaient avec ces derniers leur quotidien, apportant ainsi une contribution significative à notre collectivité.
[4] Les tragiques événements pour lesquels Alexandre Bissonnette a reconnu sa responsabilité criminelle ont non seulement affligé l’ensemble des résidents de la Ville de Québec, de notre province et du pays tout entier, mais entraîné également une déchirure de notre tissu social. Du jour au lendemain, la peur et la méfiance s’emparèrent d’une bonne partie de notre population. Québec, cette ville d’accueil et d’ouverture sur le monde, se recouvrit d’un linceul et sombra temporairement dans un sentiment de honte, de crainte et de suspicion.
[5] Heureusement, comme cela arrive souvent, le mal n’a pas eu le dernier mot. La menace d’une propagation de haine et de racisme a été conjurée. De tous les coins du Québec et du Canada, des citoyens se sont levés pour proclamer à voix haute leur attachement à la liberté de conscience et de religion et leur refus de céder à la discrimination raciale et confessionnelle. Dans un insigne élan d’humanisme et d’entraide, les autorités civiles et religieuses de même que nombre d’organismes et de particuliers se mobilisèrent pour apporter réconfort et soutien aux familles éprouvées, dénoncer la barbarie et réitérer leur foi dans les valeurs gouvernant notre société libre et démocratique.
[6] Il y a maintenant 24 mois que ces événements funestes du dimanche, 29 janvier 2017, ont marqué l’histoire de notre ville. Malgré l’écoulement du temps, ils demeurent et demeureront à jamais gravés dans notre mémoire collective. Il est à la fois juste et nécessaire qu’il en soit ainsi.
[7] Le temps écoulé nous permet maintenant d’aborder cette affaire avec un certain recul. Nous pouvons désormais examiner les faits avec calme, objectivité et sérénité. Comme le faisait remarquer Montesquieu : « La justice élève sa voix, mais elle a peine à se faire entendre dans le tumulte des passions. »[1]. En ces jours où l’abrogation des délais judiciaires semble avoir été élevée au rang de vertu cardinale, il n’est pas superflu de rappeler que l’idée même de « justice » s’accommode mal des clameurs et de l’air du temps.
[8] L’heure est maintenant venue pour Alexandre Bissonnette de répondre de ses actes devant ses pairs. Il incombe au Tribunal d’exercer la justice avec rigueur, fermeté et équité en imposant à l’accusé une peine juste et appropriée compte tenu des circonstances de cette triste affaire.
I- LES FAITS
[9] En janvier 2017, Alexandre Bissonnette est en arrêt de travail pour troubles anxieux, et ce, jusqu’au 27 du même mois[2]. Son programme d’études universitaires en sciences politiques est également suspendu pour la session hivernale[3].
[10] Au cours de cette même période, il consulte assidûment divers sites Internet portant, notamment sur les armes à feu et auteurs d’actes terroristes. À titre d’exemples, il accède, le 27 janvier, au compte Twitter de #Muslimban et effectue certaines recherches sur Wikipédia et Google à l’aide des mots clés « Rizwan Farook and Tashfeen Malik » et « 2015 San Bernardino attack ».
[11] Le lendemain, il fait diverses lectures sur Jaylen Fryberg, l’auteur de la tuerie de Marysville, Elliot Rodger, responsable de la tuerie de masse du 23 mai 2014 à Isla Vista en Californie, Dylann Roof, l’assassin de neuf Afro-Américains lors de la fusillade de l’église de Charleston, l’attaque de San Bernardino et la page Facebook du mouvement FÉMUL (Féministes en mouvement de l’Université Laval).
[12] Dans la matinée du 29 janvier 2017, Bissonnette déjeune en consultant d’autres sites traitant d’attentats djihadistes[4], de tueurs de masse et du suicide[5].
[13] Sur l’heure du midi, il boit, seul, du saké qu’il décrit comme « une boisson de samouraï »[6]. En après-midi, il multiplie sa consommation de cette boisson alcoolisée en regardant, toujours sur son ordinateur, d’autres articles portant sur les tueurs Dylann Roof, Kip Kinkell, Barry Lookaitis et Justin Bourque. Il apprend par la télévision que le Gouvernement canadien s’apprête à accueillir les immigrés refusés au sud de la frontière. C’est alors, confiera-t-il lors de son interrogatoire, qu’il décide de passer à l’acte[7].
[14] À 16 h 14, il réfère à la page Facebook du Centre culturel islamique de Québec (CCIQ). À 17 h 28, il consulte le compte Twitter du Premier ministre canadien Justin Trudeau, et plus particulièrement une publication intitulée « To those fleeing persecution, terror and war, Canadians will welcome you regardless of your faith, diversity is our strength. » Quelques minutes plus tard, soit à 17 h 56, il visite à nouveau le site Web du Centre culturel islamique de Québec[8].
[15] Bissonnette se rend ensuite au domicile de ses parents pour y partager avec eux le souper[9]. Il sait alors qu’il doit normalement reprendre son travail le lendemain matin, 30 janvier 2017[10].
[16] Après le repas, il se rend dans sa chambre pour y consulter d’autres sites sur le suicide et les tueries de masse. Vers 19 h, il ferme son ordinateur, s’empare de deux de ses armes à feu et de munitions, puis quitte[11] le domicile familial en mentionnant à sa mère qu’il part faire des courses et s’arrêtera vraisemblablement à son club de tir[12]. Il s’estime alors en état de conduire le véhicule Mitsubishi de son père[13].
[17] Bissonnette se dirige directement à la Grande mosquée. Sur place, il demeure dans son véhicule pendant quelques minutes, envahi par l’anxiété. Il se dit : « J’peux pas faire ça. » Il se rend ensuite dans un dépanneur et fait l’achat d’une Vodka Ice qu’il consomme rapidement. Il décide ensuite de retourner au Centre culturel islamique et stationne son véhicule derrière l’édifice, sur le rue Monseigneur-Grandin[14]. Il a alors l’impression d’être vu, en possession de ses armes, par une personne non identifiée. Il croit alors avoir atteint un point de non-retour[15].
[18] Comme une quarantaine de leurs coreligionnaires, Khaled Belkacemi, Aboubaker Thabti, Azzeddine Soufiane, Said Akjour, Aymen Derbali, Saïd El Amari et Mohamed Khabar se rendent, individuellement, à la Grande mosquée vers 19h30, pour y assister à la prière du soir.
[19] Pour résider à Québec, monsieur Belkacemi avait quitté son Algérie natale avec les membres de sa famille en 1994.
[20] Au cours de la journée du 29 janvier, il vaque à ses occupations habituelles. En après-midi, il accompagne son fils cadet au soccer puis s’entraîne lui-même par la suite. À 19 h 10, un ami lui téléphone pour l’inviter à aller prier avec lui à la mosquée. Acceptant l’offre, Khaled Belkacemi quitte son domicile avant même d’avoir soupé.
[21] Aboubaker Thabti et son épouse avaient également immigré au Québec dans l’espoir d’offrir à leurs enfants une meilleure qualité de vie.
[22] Originaire du Maroc, Azzeddine Soufiane interrompt, quant à lui, une conversation avec sa fille aînée sur les études de cette dernière pour se rendre à la prière, non sans avoir d’abord donné un dernier câlin à sa fille cadette.
[23] Détenteur d’un baccalauréat en sociologie et ayant préalablement enseigné dans une école primaire marocaine, Saïd Akjour vivait à Québec depuis janvier 2007. Confronté à l’obligation de reprendre ses études pour occuper un emploi similaire dans notre province, il œuvrait plutôt comme préposé aux bénéficiaires.
[24] Le 29 janvier au soir, il décide, au terme d’une journée de travail, d’aller prier au Centre culturel islamique avant de regagner son domicile.
[25] Aymen Derbali s’était établi à Québec en janvier 2001 pour y poursuivre des études à l’Université Laval. Il détenait d’ailleurs un diplôme de MBA en gestion de l’écologie de l’information. Suite à un séjour de deux ans en Bolivie, il avait fondé, en 2010, l’Association canadienne de secours aux affligés.
[26] Le 29 janvier, il hésite quelque peu avant de se rendre à la mosquée, occupé qu’il était à configurer un écran de télévision pour son fils. Choisissant finalement de participer à la prière collective, il indique à son épouse qu’il rentrera rapidement après la prière pour terminer son travail de configuration.
[27] Saïd El Amari arriva à Québec au cours de l’année 2000. Ayant déjà à son actif un baccalauréat en économie, il entreprit des études de maîtrise à l’Université Laval, mais dut rapidement suspendre son programme pour nourrir sa famille. Il travaille donc comme chauffeur de taxi depuis 2001.
[28] Également d’origine marocaine, Mohamed Khabar immigra au Québec en septembre 2009. Après avoir vécu quelques années en Beauce, il élit domicile à Québec en 2015.
[29] Le 29 janvier, il termine son travail et se rend directement à la mosquée pour la prière.
[30] La prière du soir, présidée par monsieur Nizar Ghali, se termine à 19 h 45. Certains fidèles quittent alors les lieux. D’autres prient en solitaire ou échangent avec des amis.
[31] Les six caméras de surveillance installées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Centre culturel ont permis l’enregistrement vidéo[16] du drame et facilitent aujourd’hui la description des faits et gestes de l’accusé. Les divers témoignages entendus lors des représentations sur la peine apportent également un éclairage supplémentaire sur ces événements :
19 h 54:04 : Alexandre Bissonnette se présente devant la mosquée, portant sur son dos un étui de guitare.
Pendant ce temps, Ibrahima Barry et son frère Mamadou Tanou, respectivement âgés de 39 et 42 ans, revêtent leur manteau d’hiver dans le vestibule du Centre culturel tandis que dans la grande salle, d’autres personnes discutent ou prient en solitaire. Parmi celles-ci, trois petits garçons parlent ensemble, assis sur le plancher, non loin d’une première arche séparant la salle de prière d’un corridor menant à l’entrée principale.
19 h 54:10 : Les frères Barry sortent de la mosquée et effectuent quelques pas vers l’accusé, en direction ouest.
19 h 54:20 : Alexandre Bissonnette extirpe de son étui de guitare une carabine semi-automatique de calibre .223[17] et pointe cette dernière en direction d’Ibrahima et Mamadou Tanou Barry. Il tente de faire feu en leur direction, mais le coup ne part pas, l’assaillant ayant vraisemblablement oublié de retirer le cran de sécurité de l’arme[18]. Il esquisse alors un sourire, tentant de faire croire aux deux hommes qu’il ne s’agit que d’une plaisanterie[19]. Effrayés, les deux frères se replient en direction de l’entrée principale pour finalement s’adosser à la porte de cette dernière, tandis que l’accusé pointe toujours sa carabine vers eux. Deux autres personnes, présentes dans le vestibule, sont témoins de la scène.
19 h 54:26 : Alors que les deux frères Barry glissent au sol, au pied de la porte, l’agresseur laisse tomber sa carabine pour saisir, dans son manteau, un pistolet de calibre 9mm. Les deux frères se relèvent précipitamment devant les témoins impuissants. Avec son arme de poing, Bissonnette fait feu en direction d’Ibrahima et Mamadou, ce qui attire l’attention d’un autre individu, présent dans la salle de prière, qui observe l’agression par une porte vitrée.
19 h 54:31 : Atteint par balles au bras gauche, au dos et à l’abdomen, Ibrahima Barry s’écroule tandis que son frère tente d’échapper au tueur en s’enfuyant en direction est. Rapidement touché à l’épaule droite et à la cuisse gauche, Mamadou Barry s’effondre à son tour sur la chaussée couverte de neige tandis qu’Alexandre Bissonnette s’approche d’Ibrahima qui gît sur le sol, devant l’entrée de la mosquée.
19 h 54:35 : Le témoin qui observait la scène depuis la salle de prière se replie en direction du mihrab, niche creusée dans le mur est du bâtiment et d’une superficie approximative de 5’ x 10’[20], en entraînant avec lui les trois jeunes garçons qui discutaient près de l’arche.
19 h 54:36 : Alexandre Bissonnette exécute Ibrahima Barry d’une balle à la tête tirée à bout portant. Le projectile pénètre près de l’oreille gauche, traverse le cerveau puis ressort au-dessus de l’oreille droite, causant ainsi des blessures mortelles à la victime[21].
La panique s’installe à l’intérieur de la mosquée et les gens commencent à courir en tous sens.
L’agresseur se dirige ensuite, d’un pas décidé, vers Mamadou Tanou Barry qui repose face contre terre dans la voie privée située du côté nord du Centre culturel.
19 h 54:39 : Bissonnette se penche vers Mamadou Tanou Barry, pointe son arme à une trentaine de centimètres de la victime et lui loge une dernière balle dans la tête, laquelle entraîne de multiples fractures du crâne, une hémorragie méningée et une lacération cérébrale[22].
Calmement, le tueur retourne vers l’entrée de la mosquée, jette un dernier coup d’œil du côté du corps inanimé d’Ibrahima Barry et pénètre dans le vestibule.
19 h 54:47 : Pointant immédiatement son pistolet en direction du corridor situé devant lui, Alexandre Bissonnette fait feu à 10 reprises tandis que les fidèles présents dans la salle de prière cherchent désespérément à trouver refuge. Profitant du chaos, l’accusé revient dans le vestibule et recharge son arme.
Pendant ce temps, plusieurs hommes s’engouffrent dans le mihrab, mais d’autres, tels messieurs El Amari et Akjour, ne peuvent s’y abriter avant qu’il ne se remplisse. Saïd El Amari s’allonge au sol en se protégeant la tête. D’autres, comme Hakim Chambaz, parviennent à se blottir derrière l’une des colonnes de la salle de prière.
Certains fidèles parviennent à s’enfuir en empruntant la sortie de secours située du côté est de l’immeuble.
Une petite fille portant une tuque rose court en tous sens, ne sachant où se cacher. Elle s’immobilise finalement en plein milieu de la salle jusqu’à ce que monsieur Chambaz la saisisse pour l’emmener à l’abri derrière une colonne.
Malgré la confusion, l’une des personnes présentes, Ibrahim Bekkari Sbaï, a la présence d’esprit de communiquer avec le service d’urgence 911.
19 h 55:01 : Après avoir calmement cherché un nouveau chargeur dans diverses poches de son manteau, Alexandre Bissonnette recharge son pistolet et pénètre dans la salle de prière. Il franchit la première arche et tire en direction des personnes ayant trouvé refuge dans le mihrab.
Il tente également, heureusement sans succès, d’abattre Ahmed Ech-Chahedy et les trois enfants l’accompagnant qui se sauvent vers la sortie de secours en longeant le mur nord de la grande salle.
Abdelkrim Hassane, 41 ans, s’écroule sous une pluie de projectiles à proximité du bureau de l’imam. Une balle lui fracture deux vertèbres cervicales et sectionne sa moelle épinière, entraînant ainsi son décès[23].
Azzeddine Soufiane se dirige en marchant vers l’accusé. Il s’adresse à lui en disant : « Arrête! Arrête! » et pointe du doigt le mur est du bâtiment.
19 h 55:14 : Khaled Belkacemi, 60 ans, tombe à son tour sous les balles non loin de monsieur Chambaz et de la première arche. Un projectile lui crève l’œil gauche, fracture le crâne, lacère le cerveau puis sort de la tête au-dessus de l’oreille droite.
Monsieur Soufiane s’approche encore davantage du tireur et incite d’autres fidèles, dont Merouane Rachidi et Mohamed Khabar, à le suivre pour neutraliser l’agresseur[24].
19 h 55:18 : Alors qu’il priait en solitaire près de la seconde arche, Aymen Derbali a entendu les premiers coups de feu. Il se retrouve subitement face au meurtrier. Tentant de se diriger vers celui-ci, il est atteint d’une première balle à la jambe et tombe au sol. Alors qu’il essaie de ramper, Bissonnette fait feu en sa direction à six autres reprises, touchant chaque fois sa cible. Monsieur Derbali perd connaissance.
Aboubaker Thabti est également abattu à bout portant, du côté sud de la salle[25]. Une balle lui traverse le dos pour terminer sa course près de la colonne vertébrale, tandis que trois autres projectiles l’atteignent à la tête, causant de multiples fractures du crâne, une hémorragie et une lacération cérébrale[26]. L’homme de 44 ans succombe rapidement à ses blessures.
Azzeddine Soufiane se précipite alors sur l’accusé qui l’abat de deux projectiles au corps devant la première arche de la salle de prière[27]. L’homme de 57 ans s’affaisse et reçoit, dans les secondes suivantes, deux autres tirs à bout portant.
Bissonnette vise ensuite Nizar Ghali et l’atteint au dos[28]. Saïd Akjour reçoit pour sa part un projectile dans l’épaule gauche.
Alors qu’il court vers le mihrab, Mohamed Khabar est quant à lui touché d’une première balle au genou droit, puis d’une seconde à l’un des orteils de son pied droit.
19 h 55:28 : Étendu au sol, Azzeddine Soufiane bouge toujours malgré des lésions mortelles aux poumons, à l’aorte et à l’œsophage. Bissonnette retourne au vestibule puis recharge son arme. Trois ou quatre secondes plus tard, il entre à nouveau dans la mosquée. Il pointe alors son pistolet vers l’héroïque Soufiane et lui loge une dernière balle dans la tête[29]. L’assaillant reprend ensuite ses tirs en direction de la salle de prière.
Selon plusieurs témoins, l’accusé agit avec détermination, de façon réfléchie, professionnelle et haineuse. L’enregistrement vidéo corrobore pleinement cette perception.
19 h 55:43 : Après avoir vidé un autre chargeur, Alexandre Bissonnette retourne dans le vestibule pour y recharger à nouveau son arme.
Selon les propos qu’il tiendra lors de son interrogatoire, les événements se déroulent à la vitesse de « l’éclair, comme s’il avait perdu le contrôle de lui-même »[30].
19 h 55:47 : L’assaillant se dirige vers la deuxième arche et l’on devine, à la réaction des gens présents, qu’il concentre ses tirs vers le côté sud de la salle. Saïd El Amari est touché à l’abdomen. En proie à la douleur, il répète sa profession de foi.
Présent sur les lieux, monsieur Hakim Ayad décrit ainsi la scène qui se déroule sous ses yeux :
« J’entendais le son des balles partout dans la salle de prière, j’avais une forte réaction physique de dernière minute que je n’ai même pas contrôlée de me mettre à plat ventre derrière une colonne, entendre les cris des frères touchés par ces balles en mourant, voir les balles traverser leur corps. L’un meurt, l’autre souffre de blessures extrêmes, voir leur sang couler sur le tapis, je pensais que je serais la prochaine victime, j’étais entre la vie et la mort, à ce moment-là, je me demandais comment puis-je savoir, est-ce que je suis mort ou vivant. J’avais l’impression de vivre un cauchemar. Je refusais de reconnaître ce qui est arrivé. »[31]
19 h 56:00 : L’accusé quitte finalement la salle, traverse le vestibule, emprunte la sortie et s’éloigne de la mosquée en courant en direction ouest. Il abandonne sur place, dans la neige[32], la carabine semi-automatique et l’étui de guitare qui contenait cette dernière.
Dans les secondes qui suivent, monsieur Mohamed Belkadir, qui déblayait dans les minutes précédentes les marches d’un escalier extérieur situé du côté est du bâtiment[33], pose son manteau sur le corps de Mamadou Tanou Barry et constate que celui-ci râle encore.
19 h 56:30 : Les fidèles sont toujours terrés dans le mihrab ou derrière les colonnes de la salle de prière, personne n’osant bouger.
19 h 56:47 : Un homme tenant à la main un téléphone cellulaire sort finalement du mihrab et se dirige vers le mur nord de la salle de prière. D’autres fidèles se portent ensuite au secours des mourants et autres blessés.
[32] Lorsqu’ils récupèreront la carabine semi-automatique, les policiers constateront que le chargeur de cette dernière contenait 28 balles, qu’un autre projectile se trouvait dans l’arme et que la cartouche chambrée était percutée[34]. À l’intérieur de la mosquée, ils récupèreront à divers endroits 48 douilles de calibre 9mm, de même que deux chargeurs de pistolet vides au centre de la salle de prière[35]. Cela démontre que l’agresseur s’est aventuré jusqu’au milieu de la place pour mieux cibler ses victimes.
[33] Plusieurs traces d’impact de projectiles ont par ailleurs été répertoriées à l’intérieur même du mihrab[36].
[34] Le schéma des trajectoires de tirs figurant au rapport d’expertise en balistique témoigne d’une importante concentration de tirs vers le mihrab et le bureau de l’imam, lesquels correspondent aux deux seuls refuges disponibles lors des événements[37].
[35] Alexandre Bissonnette quitte les lieux à bord de son véhicule. Empruntant l’autoroute 40, il se dirige vers le Parc des Grands Jardins, dans le comté de Charlevoix, avec l’intention de s’y suicider[38].
[36] Il commence rapidement, cependant, à éprouver des doutes quant à la légitimité de son action. Il songe à sa famille, aux enfants, aux personnes décédées et appréhende le Jugement Dernier. Il décide donc de communiquer avec les policiers[39].
[37] À 20 h 09, le tueur téléphone au service d’urgence 911. Pendant une cinquantaine de minutes, il aura une conversation avec le répartiteur Simon Labrecque dont voici les principaux éléments :
20 h 09 : D’entrée de jeu, Bissonnette s’identifie comme « le tireur de la mosquée ». Il ajoute qu’il se trouve sur l’Autoroute 40 et circule en direction de l’Île d’Orléans. Il songe à « se tirer une balle dans la tête ».
20 h 13 : Il précise conduire un véhicule de couleur grise et de marque Mitsubishi. Il mentionne s’être immobilisé dans un accotement à proximité du pont de l’Île d’Orléans. À la demande du préposé, il affirme être en possession d’un pistolet qu’il a rangé sur la banquette arrière du véhicule.
20 h 17 : Bissonnette mentionne ne pas se sentir bien et avoir consommé de l’alcool. Il ne peut, selon ses dires, en préciser la quantité.
20 h 18 : Le répartiteur confirme au suspect que les policiers sont en route pour le rejoindre. Alexandre Bissonnette demande à nouveau s’il a blessé des gens, ce à quoi le préposé répond l’ignorer.
20 h 20 : L’accusé réitère vouloir « se tirer une balle ». Il pleure. Le répartiteur Labrecque l’enjoint de ne pas passer à l’acte. L’accusé déclare qu’il n’aurait pas dû boire et qu’il n’est pas dans son intention de s’en prendre aux policiers. Le répartiteur lui demande d’attendre patiemment l’arrivée de ces derniers.
20 h 26 : Alexandre Bissonnette demande à nouveau s’il a blessé des gens et reçoit de monsieur Labrecque une réponse identique. Le meurtrier explique que son objectif initial consistait à se rendre dans un boisé pour s’y suicider par arme à feu. Cherchant manifestement à calmer son interlocuteur et à le faire patienter, le répartiteur entreprend une conversation anodine avec le suspect.
20 h 37 : Un VUS du Service de police de la Ville de Québec se stationne devant le véhicule Mitsubishi.
20 h 42 : Alexandre Bissonnette mentionne être en congé de maladie.
20 h 47 : Le répartiteur annonce à l’accusé que les policiers sont pratiquement prêts pour l’intervention. Monsieur Bissonnette lui répond qu’il est « écœuré » d’attendre.
20 h 49 : L’accusé demande à nouveau s’il a blessé des individus. Le répartiteur répond qu’il l’ignore, mais que des ambulanciers sont sur place « pour aider les gens ». Cette réponse semble calmer Bissonnette.
La conversation se poursuit entre les deux hommes, Simon Labrecque s’efforçant d’occuper l’esprit du suspect.
20 h 56 : Le VUS et un autre véhicule du Service de police de la Ville de Québec prennent la voiture suspecte « en boîte ».
[38] Quatre minutes plus tard, les policiers procèdent à l’arrestation d’Alexandre Bissonnette et lui font lecture de ses droits constitutionnels. Ce faisant, ils remarquent qu’une odeur d’alcool se dégage du sujet, qui se montre toutefois calme et coopératif.[40]
[39] À bord du véhicule Mitsubishi, les agents remarquent la présence d’un couteau de chasse sur le siège du conducteur[41], d’un chargeur contenant 29 balles de calibre .223 sur le plancher à l’arrière du siège du passager[42], de même que d’un pistolet Glock 9mm sur la banquette arrière, derrière le conducteur[43]. Des vérifications subséquentes démontreront que cette arme est en parfaite condition de tir et contient encore une balle dans la chambre et une autre dans le chargeur[44].
[40] Le lendemain matin, 30 janvier, le prévenu est interrogé par le sergent détective Steve Girard de la Sûreté du Québec de 10 h 15 à 13 h 24.
[41] Bissonnette mentionne alors se rappeler la présence d’une lumière jaune à l’intérieur de la mosquée. Plusieurs personnes se trouvaient, selon ses dires, au fond de la salle et disparurent de son champ de vision lorsqu’il commença à décharger son arme[45]. Son objectif, dit-il, visait à sauver ses concitoyens d’éventuelles attaques terroristes. En s’en prenant à ceux qu’il identifie comme les « terroristes » de la mosquée, il avait eu l’opportunité de sauver quelques centaines de personnes innocentes avant de s’enlever la vie.
[42] Cette idée de préserver ses semblables s’était développée suite aux attentats commis au Parlement d’Ottawa en 2014 et à Nice en juillet 2016[46], de même qu’après les divers événements survenus en Europe, aux États-Unis et au Canada au cours de l’été précédent[47]. Convaincu que des terroristes s’en prendraient éventuellement à ses parents et autres membres de sa famille, il lui fallait, affirme-t-il, « faire quelque chose »[48].
[43] Alexandre Bissonnette déclare : « Ça fait des mois que ça m’torture là, à l’faire là, tsé. À chaque jour là [ … ] chu chu, j’tais t’inquiet, j’tais anxieux à le travers le plafond, tsé pis, mais j’sais pu quoi faire tsé, j’sais pu quoi faire, tsé, c’tait rendu tsé que, tsé, j’voulais quasiment, j’voulais me, j’veux m’suicider à cause de t’ça tsé. »[49]
[44] Le délinquant connaissait par ailleurs l’emplacement de la mosquée grâce à des recherches faites sur le réseau Internet. Il en va de même pour l’heure de la prière[50].
[45] Il certifie finalement au détective Girard qu’il ne croyait pas que ses gestes entraîneraient pour lui de conséquence légale. D’abord, son action lui paraissait justifiée. En outre, il excluait toute possibilité d’emprisonnement, ayant prévu mettre fin à ses jours suite à l’attaque[51].
[46] Le 30 janvier 2017, Alexandre Bissonnette comparaît devant l’honorable Jean-Louis Lemay de la Cour du Québec pour répondre aux 12 chefs d’accusation suivants :
[1] Le ou vers le 29 janvier 2017, à Québec, district de Québec, a causé la mort de Ibrahima Barry, commettant ainsi un meurtre au premier degré, l’acte criminel prévu à l’article 235 du Code criminel.
[2] Le ou vers le 29 janvier 2017, à Québec, district de Québec, a causé la mort de Mamadou Tanou Barry, commettant ainsi un meurtre au premier degré, l’acte criminel prévu à l’article 235 du Code criminel.
[3] Le ou vers le 29 janvier 2017, à Québec, district de Québec, a causé la mort de Khaled Belkacemi, commettant ainsi un meurtre au premier degré, l’acte criminel prévu à l’article 235 du Code criminel.
[4] Le ou vers le 29 janvier 2017, à Québec, district de Québec, a causé la mort de Abdelkrim Hassane, commettant ainsi un meurtre au premier degré, l’acte criminel prévu à l’article 235 du Code criminel.
[5] Le ou vers le 29 janvier 2017, à Québec, district de Québec, a causé la mort de Azzeddine Soufiane, commettant ainsi un meurtre au premier degré, l’acte criminel prévu à l’article 235 du Code criminel.
[6] Le ou vers le 29 janvier 2017, à Québec, district de Québec, a causé la mort de Aboubaker Thabti, commettant ainsi un meurtre au premier degré, l’acte criminel prévu à l’article 235 du Code criminel.
[7] Le ou vers le 29 janvier 2017, à Québec, district de Québec, a tenté de causer la mort de Said Akjour, en utilisant une arme à feu à autorisation restreinte, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 239(1)a) du Code criminel.
[8] Le ou vers le 29 janvier 2017, à Québec, district de Québec, a tenté de causer la mort de Aymen Derbali, en utilisant une arme à feu à autorisation restreinte, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 239(1)a) du Code criminel.
[9] Le ou vers le 29 janvier 2017, à Québec, district de Québec, a tenté de causer la mort de Said El Amari, en utilisant une arme à feu à autorisation restreinte, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 239(1)a) du Code criminel.
[10] Le ou vers le 29 janvier 2017, à Québec, district de Québec, a tenté de causer la mort de Nizar Ghali, en utilisant une arme à feu à autorisation restreinte, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 239(1)a) du Code criminel.
[11] Le ou vers le 29 janvier 2017, à Québec, district de Québec, a tenté de causer la mort de Mohamed Khabar, en utilisant une arme à feu à autorisation restreinte, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 239(1)a) du Code criminel.
[12] Le ou vers le 29 janvier 2017, à Québec, district de Québec, a tenté de causer la mort de A.G. (2006-12-02), Abdelhak Achouri, Abdelhamid Smair, Abdeslam Jamali, Adel Achouba, Ahmed Cheddadi, Ahmed Ech-Chahedy, Amine Boudjerida, Farhat Guemri, Farouk Bentaleb, Hakim Ayad, Hakim Chambaz, I.E.-C. (2008-07-24), Ibrahim Bekkari Sbai, Kamel Ahmanache, Khalid Badr, Larbi Ahmed Yahia, Lotfi Ramdane, Malik Sedkaoui, Merouane Rachidi, Miled Jami, Mohamed El Hafid, Mohamed Fethi Bensaid, Mohamed Rizki, Moukhliss Hanane, Mourad Aouadi, Mustapha Bouzdad, Noreddine Naji, O.G. (2005-03-06), Ouahid Karzazi, Rabia Lahbis, Rachid Aouame, Walid Hammami, Z.G. (2009-01-22) et Zouheir Najai, en utilisant une arme à feu à autorisation restreinte, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 239(1)a) du Code criminel.
[47] Le 28 septembre suivant, la Couronne dépose un acte d’accusation direct contre l’accusé.
[48] Le 27 octobre suivant, le juge coordonnateur de la Chambre criminelle de la Cour supérieure fixe le début du procès devant jury au 26 mars 2018.
[49] À cette dernière date, l’accusé enregistre d’abord, à 9 h 31, un plaidoyer de non-culpabilité sur chacun des 12 chefs d’accusation. Quelques heures plus tard, soit à 14 h 32, Alexandre Bissonnette signifie au Tribunal son intention de modifier ses plaidoyers afin de reconnaître son entière culpabilité aux accusations portées contre lui.
[50] Ce retournement de situation survient alors qu’aucun jury n’a encore été constitué, ledit exercice n’étant prévu que pour le 5 avril suivant.
[51] Confronté à cette nouvelle situation, le Tribunal procède non seulement à l’enquête prévue au paragraphe 606(1.1) C.cr., mais ordonne au surplus qu’une évaluation de l’aptitude du délinquant à subir son procès soit réalisée dans les 24 heures. Le dossier est donc reporté au surlendemain.
[52] Le 28 mars, le psychiatre Sylvain Faucher confirme que l’accusé est parfaitement apte à subir son procès. Manifestement, Bissonnette comprend les enjeux et conséquences reliés à ses plaidoyers de culpabilité, lesquels étaient par ailleurs envisagés depuis plusieurs mois.
[53] Cette expertise n’étant aucunement contestée, le soussigné entérine les plaidoyers de culpabilité enregistrés par l’accusé deux jours plus tôt et le déclare coupable de six meurtres au premier degré et six tentatives de meurtre.
[54] La Défense annonce alors son intention de contester la validité constitutionnelle de l’article 745.51 C.cr. permettant au juge d’« ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement ». Le Tribunal accorde à monsieur Bissonnette jusqu’au 3 avril 2018 pour signifier son intention à la Procureure générale et jusqu’au 30 avril suivant pour produire son argumentation écrite sur l’inconstitutionnalité alléguée.
[55] Le Ministère public présente sa preuve sur la peine du 11 au 19 avril. La Défense fait de même du 23 au 25 du même mois. Le 26 avril, la Couronne produit un témoignage additionnel en contre-preuve et la cause est reportée au 7 mai suivant pour la tenue d’une conférence de gestion. À cette date, le soussigné accorde à la Mise en cause un délai de 24 jours pour produire une argumentation écrite sur la constitutionnalité de l’article 745.51 C.cr. Il est également convenu que les représentations finales sur la peine et la validité constitutionnelle de cette dernière disposition auront lieu simultanément dans la semaine du 18 juin 2018.
[56] Le 18 juin, les parties complètent d’abord leur preuve par le dépôt de divers documents portant sur la constitutionnalité de la disposition entreprise puis entament leurs plaidoiries sur le quantum de la peine et la validité constitutionnelle de l’article 745.51, exercice qui se terminera le 21 juin.
[57] Le Tribunal annonce ensuite à l’accusé qu’il prononcera sa peine le 29 octobre suivant.
[58] Le 19 octobre 2018, le soussigné convoque à nouveau les parties pour obtenir des observations supplémentaires sur deux points n’ayant été abordés par ni l’une ni l’autre d’entre elles, à savoir la compatibilité de l’article 745.51 C.cr. avec l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et la possibilité, pour le Tribunal, de recourir à certaines techniques d’interprétation.
[59] Un délai de près d’un mois est accordé aux parties pour préparer leur argumentation respective et le dossier est fixé au 21 novembre 2018, date à laquelle le Tribunal entend les représentations additionnelles de chacune des parties sur les deux points précités.
[60] L’affaire est ensuite reportée au 8 février 2019 pour adjudication finale.
II- LA PREUVE SUR LA PEINE
[61] Onze journées d’audition ont été nécessaires pour permettre aux parties de présenter au soussigné une preuve sur la peine à la fois dense et volumineuse. Il convient, à ce stade, d’en résumer les principales composantes.
[62] La preuve de la Couronne consiste principalement en deux enregistrements vidéo, soit ceux de la commission des crimes et de l’interrogatoire de monsieur Bissonnette, l’enregistrement audio de l’appel 911 logé par l’accusé[52], le dépôt d’albums photo[53], plans[54], rapports d’expertise[55] et déclarations écrites émanant de divers témoins[56], de même que 19 témoignages et 28 lettres de victimes ou membres de leur famille[57].
[63] Outre la déposition d’une ancienne enseignante de l’accusé, la Défense a pour sa part produit trois curriculum vitae[58], trois rapports d’expertise[59], un rapport d’extractions informatiques[60] et un document trouvé dans l’ordinateur de l’accusé[61]. Également, elle a fait entendre trois experts, dont deux en psychiatrie légale.
[64] En contre-preuve, la Poursuite a finalement offert à la Cour le témoignage du Dr Gilles Chamberland, également expert en psychiatrie légale.
A) Preuve du Ministère public
[65] Le contenu des enregistrements réalisés au Centre culturel islamique de Québec le soir du 29 janvier a amplement été résumé. Nul besoin d’insister davantage sur le caractère crapuleux des gestes posés par l’accusé.
[66] Lors de son interrogatoire policier, Alexandre Bissonnette pleure fréquemment et déclare à répétition vouloir mourir[62]. Il demande au détective si des enfants ont été blessés. D’un geste de la tête, le prévenu confirme à son interlocuteur « avoir fait attention » à ces derniers lors de la tuerie[63].
[67] Bissonnette impute, du moins en partie, la commission de ses actes au fait qu’il avait consommé de l’alcool « la veille »[64].
[68] De plus, il explique avoir toujours été sujet à de l’anxiété et des symptômes dépressifs[65]. À l’école secondaire, certains étudiants le tournaient constamment en ridicule dont, notamment un jeune musulman à l’époque du secondaire IV[66].
[69] Exempté d’une session académique à l’âge de 16 ans, il avait commencé à prendre une certaine médication malgré d’évidentes réticences parentales. Il avait, de façon contemporaine, songé au suicide, mais n’était pas passé à l’acte, ce qu’il regrette aujourd’hui[67].
[70] En pleurs, il explique qu’il se sentait particulièrement mal dans les mois précédant son crime[68]. Son médecin de famille lui avait alors prescrit du Luvox, un antidépresseur ne lui ayant guère apporté de soulagement[69]. Cette molécule fut donc remplacée par un autre antidépresseur, le Paxil, quelques semaines plus tard[70].
[71] Alexandre Bissonnette déclare : « Je pensais que les pilules régleraient le problème, mais ça n’a pas réglé le problème, ça l’a rendu pire. »[71]
[72] Son travail chez Héma-Québec étant devenu trop exigeant pour lui, le délinquant fut placé en arrêt du 5 au 27 janvier 2017[72]. De surcroît, la présence d’étudiants de confession musulmane à l’université le stressait particulièrement. Il assure : « On ne sait jamais ce qui va se passer. »[73]
[73] Commentant la journée du 29 janvier, Bissonnette réfère à l’annonce faite par le Gouvernement canadien à l’effet que le pays accueillerait davantage de réfugiés. L’accusé dit : « J’ai comme perdu la carte… Je voyais ça… pis ça, y vont tuer mes parents, pis ma famille, pis tout ça… j’tais sur de t’ça. »[74]
[74] Lorsqu’on lui demande pourquoi il a abandonné sa carabine au sol, il répond qu’il ne voulait pas faire de « gros dommages » avec cette arme[75]. Il ajoute ne pas se rappeler qu’une personne ait tenté de l’arrêter dans la mosquée et s’inquiète du sort de cette dernière[76].
[75] L’enregistrement de l’appel 911 permet, quant à lui, d’apprécier le désarroi qui s’est emparé du tueur suite à la commission de son crime. Alexandre Bissonnette répète, presqu’ad nauseam, qu’il souhaite mettre fin à ses jours[77]. Il sanglote, respire fortement et demande au répartiteur ce qu’il doit faire.
[76] Les rapports d’analyse sur l’extraction informatique de l’ordinateur personnel de monsieur Bissonnette[78] révèlent pour leur part les faits suivants.
[77] Au cours de la période comprise entre les 1er et 29 janvier 2017, 44 recherches portant sur diverses tueries dans des institutions scolaires ont été réalisées par l’intermédiaire de Google et YouTube. De plus, 82 demandes traitant de la Grande mosquée de Québec ou de l’Université Laval ont été faites durant cette même période, dont 49 après le 20 janvier. Dans la semaine précédant le drame, Bissonnette a également effectué 23 recherches portant spécifiquement sur l’utilisation d’armes à feu[79].
[78] Du 27 décembre 2016 au 29 janvier 2017, le délinquant a enquêté sur différentes tueries de masse, leurs auteurs et le Ku Klux Klan. Parmi ces études, soulignons :
- 33 références à Dylann Roof, auteur de la fusillade perpétrée le 17 juin 2015 à l’église de Charleston, en Caroline du Sud;
- 6 références à Elliot Rodger, auteur de la tuerie du 23 mai 2014 à Santa Barbara, en Californie;
- 4 références à James Gamble, conspirateur d’une tuerie qui devait avoir lieu dans un centre commercial d’Halifax;
- 3 références à Marc Lépine, auteur de la tuerie de l’école Polytechnique de Montréal;
- 3 références à Kip Kinkel, auteur de la fusillade au Thurston High School de Springfield, dans l’Orégon;
- 2 références à Rizwam Farook et Tashfeen Malik, auteurs de la fusillade de San Bernardino du 2 décembre 2015;
- 1 référence à Martin Bryant, auteur du massacre de Port Arthur ayant causé 35 décès;
- 1 référence à Jayleen Fryberg, auteur de la tuerie de Marysville, dans l’état de Washington, en octobre 2014.[80]
[79] Toujours au cours de la même période, Bissonnette a consulté divers vidéos au sujet de l’islam sur le site YouTube, dont un dénonçant le groupe terroriste « État islamique »[81]. Il a visité à 11 reprises le compte Facebook de l’Association des musulmans de l’Université Laval[82] et effectué plusieurs recherches portant sur diverses armes à feu[83]. Une cinquantaine de vidéos provenant du compte « Activ Self Protection » ont également été consultées[84].
[80] Fait significatif, un nombre important de sites traitant de cibles alternatives a également été consulté par Alexandre Bissonnette au cours du mois de janvier 2017. Ces recherches portaient à la fois sur le féminisme[85] et les mouvements féministes[86], de même que sur des tueries dans des institutions scolaires[87], centres commerciaux[88] et aéroports[89].
[81] Les déclarations et témoignages des victimes et de leurs proches témoignent de l’ampleur des répercussions des crimes commis.
[82] Madame Safia Hamoudi décrit ainsi Khaled Belkacemi, son mari : « Il était un homme chaleureux, affable, bienveillant avec le sourire toujours collé sur le visage. Il avait le souci du bien-être de toutes les personnes qui gravitaient autour de lui. Il était un homme pacifique. »[90] Hakim Chambaz confirme également ce caractère « souriant et bienveillant » de la victime.
[83] Pour madame Hamoudi, la vie a perdu tout son sens. Elle n’éprouve plus aucune joie et vit constamment dans la peur qu’un autre acte de terreur ne se répète à la mosquée. Quatre mois et plusieurs séances de psychothérapie lui furent nécessaires avant de pouvoir à nouveau fréquenter ce lieu de culte. Malgré tout, le stress et le désarroi l’habitent toujours. La vie de famille n’est évidemment plus la même et le fils cadet du défunt, âgé de 14 ans, vit très difficilement la disparition de son père avec qui il partageait un lien privilégié et une passion pour les sports d’équipe.
[84] Madame Hamoudi a non seulement perdu un époux, mais aussi un collègue et un collaborateur puisque tous deux enseignaient au même département d’ingénierie de l’Université Laval. Khaled Belkacemi contribuait généreusement à la formation de maîtres et de docteurs en sciences et ses recherches pointaient vers de meilleurs moyens d’améliorer la santé humaine et celle de l’environnement.
[85] Concluant son témoignage, Safia Hamoudi déclare : « J’espère que justice sera rendue et que la sentence reflétera l’ampleur des crimes odieux commis. »
[86] Âgée de 29 ans, Megda Belkacemi affirme éprouver « une crainte profonde à l’idée qu’[Alexandre Bissonnette] pourrait un jour s’en prendre à nouveau à quelqu’un d’autre », incluant elle-même et ses futurs enfants.
[87] Suite au décès de son père, Megda s’est absentée de son travail pendant deux mois en raison du choc éprouvé. L’insomnie et l’angoisse l’ont envahie tandis que la joie de vivre et l’insouciance ont cédé le pas à la peur de perdre sa mère et ses frères.
[88] Madame Belkacemi ne s’attendait évidemment pas à traverser un tel deuil à la fois soudain et prématuré, fruit d’une violence gratuite et inexplicable[91].
[89] Son frère Amir précise par ailleurs au Tribunal que la famille s’est déplacée en Algérie pour y enterrer son père, ce qui s’est révélé une expérience particulièrement difficile pour toutes les personnes concernées. Ces événements ont entraîné pour lui de fortes répercussions sur sa vie personnelle et professionnelle. Il vit désormais dans la peur. Il conclut son témoignage par les propos suivants qui portent à réflexion : « Plus de 230 000 personnes sont mortes aux mains d’extrémistes en Algérie. Les gens qui viennent ici ne viennent pas pour apporter la terreur. Ils veulent fournir une occasion à leurs enfants de vivre en paix. »
[90] Louiza Mohamed Saïd était mariée à Abdelkrim Hassane depuis 18 ans. Ensemble, ils ont eu trois petites filles âgées maintenant de 11 ans, 9 ans et demi et 3 ans. Monsieur Hassane était à la fois un père aimant et un homme pieux, apprécié de son entourage.
[91] On comprendra aisément que le pardon n’est pas la préoccupation première du témoin. Avec émotion, elle rappelle l’aplomb dont il lui a fallu faire preuve pour annoncer à ses filles le décès de leur père tout en leur demandant d’être courageuses. Les activités familiales, tels les balades, pique-niques et voyages ne sont plus qu’un lointain souvenir. Madame Saïd appréhende avec effroi le jour où on lui annoncera que « celui qui a noirci [leurs] joies, accablé [leurs] âmes d’une immense tristesse et condamné [leurs] vies à une douleur pérenne, puisse voir sa peine allégée ou puisse être libéré et, de ce fait, blanchi de ces atrocités. »[92]
[92] Madame Saïd ajoute que ses deux filles plus âgées sont terrifiées à l’idée que leur mère, également de confession musulmane, puisse éventuellement subir un sort identique à celui de leur regretté père.
[93] Madame Najat Naanaa était l’épouse d’Azzeddine Soufiane. Jour après jour, elle doit composer avec un profond sentiment de dégout et de colère pour le sort qu’a réservé l’accusé à cet homme qui détenait une maîtrise en géologie[93] et qui, comme en témoignera également monsieur Saïd Akjour, était un individu bon et généreux, qui aidait sa communauté.
[94] Dans une lettre qu’elle adresse au Tribunal, madame Naanaa réfère au 29 janvier 2017 en ces termes : « Ce jour-là, moi aussi je suis morte. Seuls l’amour et le sens du devoir vis-à-vis de mes enfants me permettent de tenir pour accomplir désormais seule ce que nous construisions à deux. Éduquer nos enfants, gérer les tâches du quotidien sont autant de responsabilités que je dois apprendre à assumer seule, en plus de la peine immense qui m’accompagne à chaque instant de mon existence. »[94]
[95] Avant son décès, Azzeddine Soufiane gérait une épicerie représentant l’unique source de revenus pour la famille. Ne pouvant s’occuper sereinement du commerce en raison de la charge émotive y étant rattachée, madame Naanaa dut se résigner à s’en départir. La peur et un sentiment d’insécurité s’ajoutent maintenant à la ruine et au désordre.
[96] À l’hiver 2018, le témoin et ses enfants se sont rendus au Maroc pour se recueillir sur la tombe de celui qui, seul, a tenté de neutraliser le tueur. Elle décrit ainsi cette expérience : « Il n’y a pas de mots assez forts pour décrire la peine qui nous a foudroyés ce jour-là. Je revois encore ma petite fille Hajar en pleurs, creusant la terre de ses petites mains pour voir son papa… À notre retour, c’est le vide et le néant qui nous accueillit à bras ouverts. »
[97] Zineb, la fille du couple Soufiane âgée maintenant de 14 ans, a également témoigné devant cette Cour. Un témoignage à fendre l’âme que le soussigné n’est pas près d’oublier. Elle décrit son père comme un homme généreux, gentil et souriant, toujours prêt à aider les autres, indépendamment de leur confession religieuse. Elle dit : « Il voulait juste donner au suivant. »[95]
[98] À travers les pleurs, elle ajoute que son père lui manque vraiment, qu’il était tout pour elle. Depuis sa mort, sa vie défile dans un « brouillard ». Parlant de sa mère, elle confirme que cette dernière fut dans l’obligation de vendre l’épicerie puisqu’il lui était désormais impossible d’y travailler. Pourtant, ce commerce représentait tout pour la famille Soufiane.
[99] Courageuse malgré une douleur insoutenable, Zineb proclame ne pas avoir baissé les bras et poursuivre son cheminement scolaire, et ce, dit-elle, parce que « c’est ce que notre père aurait voulu. »
[100] Hakim Chambaz décrit Aboubaker Thabti comme un homme sympathique, toujours souriant et soucieux d’aider son prochain. Pour Saïd Akjour, monsieur Thabti était un grand « leader ».
[101] Khadija Thabti, veuve d’Aboubaker, ne parvient toujours pas à surmonter son deuil. Se reconnaissant très dépendante de l’homme de sa vie, elle déplore avoir perdu son ami, son soutien et son confident, celui qui l’aidait dans son travail, ses études ou dans les tâches quotidiennes.
[102] Madame Thabti suit présentement une thérapie et affronte son existence quotidienne à l’aide d’antidépresseurs. Son fils Mohamed est complètement bouleversé par la perte de son père. Il se sent démuni, impuissant et n’arrive plus à se concentrer en classe. Ses résultats scolaires ont considérablement périclité. Sa sœur Meriem, 5 ans, réclame encore son père tous les jours. Le soir, elle attend encore fréquemment celui-ci sur le pas de la porte. Elle tente de combattre son chagrin en s’adressant au portrait de son père, qu’elle prend dans ses bras tout en lui parlant.
[103] Concernant Alexandre Bissonnette, madame Thabti certifie : « Il a tué six hommes, mais il a ébranlé l’équilibre de toute une communauté. Et surtout, il a ouvert la porte de la haine dans notre ville. »[96]
[104] Saïd Akjour fut opéré dans la nuit du 29 au 30 janvier 2017 pour l’extraction d’une balle reçue à l’épaule gauche. Malgré l’écoulement du temps, les douleurs sont encore récurrentes. De fait, il n’a repris le travail que depuis le 1er octobre 2017, dans le cadre d’un retour progressif. Son sommeil est toujours perturbé et il se sent encore constamment en danger dans son environnement.
[105] Le crime a entraîné pour lui et les membres de sa famille d’importantes conséquences sociales et financières. La victime a dû vendre sa maison à bas prix et son fils, maintenant âgé de 8 ans, craint de retourner à la Grande mosquée, conscient du drame s’y étant déroulé.
[106] Monsieur Akjour estime que l’attentat commis par Alexandre Bissonnette a bouleversé la plénitude et la sécurité des membres de la communauté musulmane. Une peur subsiste. Il tient néanmoins à témoigner de sa reconnaissance pour les nombreux messages de sympathie reçus depuis ces tristes événements et la solidarité manifestée par les Églises catholiques et anglicanes de la province.
[107] Lorsqu’Aymen Derbali reprit conscience à l’hôpital, on lui apprit qu’une balle lui avait transpercé la moelle épinière et qu’il ne pourrait plus marcher. Un profond sentiment d’angoisse et des pleurs incessants l’envahirent.
[108] Monsieur Derbali demeura hospitalisé pendant deux mois à l’unité des soins intensifs, dans un état de coma artificiel. Au cours de cette même période, il a subi quatre arrêts cardio-respiratoires. Plus de 10 opérations furent nécessaires pour enlever 6 des 7 projectiles qui l’avaient meurtri. Trois d’entre eux ayant atteint l’abdomen, les médecins furent contraints de procéder à une ablation partielle de ses intestins. La balle ayant heurté sa moelle épinière n’a pu, quant à elle, être retirée.
[109] Une fois tiré de son coma, Aymen Derbali s’est soumis à cinq thérapies respiratoires quotidiennes pendant près de six mois. Ses cauchemars et hallucinations étaient à ce point sévères qu’un psychiatre dut lui prescrire une médication spécifique.
[110] Dans les jours suivant l’attentat, le pronostic médical était très sombre. Les médecins avisèrent même l’épouse du malheureux qu’il conviendrait peut-être de débrancher l’appareil médical d’assistance respiratoire, compte tenu de la sévérité des séquelles permanentes envisageables.
[111] Aujourd’hui tétraplégique, monsieur Derbali souhaite continuer à travailler dans le domaine humanitaire, et ce, en dépit d’intenses douleurs aux bras et aux mains. Compte tenu de son état, il lui sera cependant désormais impossible de visiter les membres de sa famille en Tunisie.
[112] Son fils aîné demeure profondément perturbé par les événements. Son plus cher désir serait de pouvoir à nouveau jouer au soccer avec son père, vœu que l’on sait désormais irréalisable.
[113] Saïd El Amari a une conjointe et est père de quatre enfants, maintenant âgés de 17, 14, 11 et 8 ans.
[114] Atteint par balles à l’abdomen, monsieur El Amari a subi d’importantes blessures au pancréas, au foie, à l’aorte et aux intestins. Ayant perdu huit litres de sang, il dut recevoir plusieurs transfusions et être intubé. Les médecins furent également dans l’obligation de lui retirer une partie des intestins.
[115] Ayant été dans le coma pendant près d’un mois, la victime fut hospitalisée pendant plus de deux mois. On lui administra des antibiotiques qui entraînèrent une réaction allergique forçant le transfert du patient à l’unité des grands brûlés. D’autres antibiotiques lui occasionnèrent de nombreuses nausées.
[116] Monsieur El Amari reçut son congé de l’hôpital le 1er avril 2017 et entreprit une convalescence de plusieurs mois. Dans les semaines suivant sa sortie, il éprouva beaucoup de difficulté à retourner à la mosquée, les coups de feu de son agresseur raisonnant encore dans sa tête.
[117] À cause de ses blessures, monsieur El Amari dut interrompre son travail de chauffeur de taxi. Son épouse fut, quant à elle, contrainte de fermer sa garderie pour demeurer au chevet de son mari. Les enfants du couple ont pour leur part suspendu leurs études. Heureusement, les beaux-frères de la victime ont éventuellement trouvé un chauffeur de taxi qui accepta de remplacer Saïd pendant un certain temps.
[118] S’adressant au Tribunal, monsieur El Amari déclare : « Je suis effrayé à la perspective que l’accusé se retrouve un jour en liberté dans la même société que moi et de celle de mes enfants, dans 25 ans. Faites en sorte que ça n’arrive pas. »
[119] Blessé au dos lors de l’attaque, Nizar Ghali songe maintenant à quitter le Canada. Dans sa « déclaration de la victime » remplie le 8 avril 2018 en conformité avec le paragraphe 722(4) C.cr., il écrit : « Je vois que la proportion des Québécois qui sont islamophobes représentent la majorité. Je n’ai plus confiance à aucun Québécois de souche. Le retour au travail était pénible. J’ai perdu le contrôle dans plusieurs dossiers au bureau. J’ai très très peu d’amis québécois. »[97]
[120] Affirmant être encore en proie à des douleurs au ventre et au dos, il précise que sa capacité de conduire un véhicule n’est plus la même et qu’il éprouve des troubles de sommeil. Il craint pour sa propre sécurité et celle de sa famille[98].
[121] Barbier de profession, Mohamed Khabar a dû subir deux interventions chirurgicales, l’une au genou et l’autre à l’orteil, lesquelles lui valurent 10 jours d’hospitalisation. Malgré la physiothérapie, jamais n’a-t-il été à nouveau en mesure de jouer au soccer, faire de la gymnastique ou même reprendre son travail. Il est toujours sans emploi[99].
[122] Ayant à composer avec d’importants problèmes de sommeil causés par des douleurs persistantes, monsieur Khabar entend encore occasionnellement la détonation des coups de feu et vit avec l’image de ses frères assassinés à la mosquée[100].
[123] Pour Hakim Chambaz, la Grande mosquée représentait un lieu de quiétude et de prière. Les gestes du délinquant ont généré de « terribles moments d’angoisse et de désarroi »[101] qui le hantent encore aujourd’hui. Les « images du carnage » défilent régulièrement sous ses yeux. Pourtant, c’est un profond sentiment d’impuissance qui l’habite avant tout. Référant aux 6 veuves et 17 orphelins qu’Alexandre Bissonnette a laissés derrière lui, le témoin écrit en effet : « Ce sentiment d’impuissance, qui me dévore encore aujourd’hui. Peut-être ne pourrais-je pas leur rendre leur père, leur mari, leur frère, leur ami, mais ils me donneront la force de les soutenir et de faire ce que je peux pour être à leurs côtés »[102].
[124] Ahmed Ech-Chahedy témoigne lui aussi des conséquences du crime sur lui-même et les membres de sa famille. Ayant frôlé la mort, son fils Ibrahim est désormais très anxieux et craint de perdre son père. Ce dernier le décrit d’ailleurs comme étant « traumatisé pour la vie ». Ses résultats scolaires ont baissé de 50 % et il craint maintenant d’aller pratiquer la natation en début de soirée. L’enfant a un sommeil troublé, parsemé de cauchemars. Pour le rassurer, son père doit dormir avec lui.
[125] Tentant de s’occuper au mieux de leurs six enfants suite à la tragédie, l’épouse de monsieur Ech-Chahedy est tombée d’épuisement et s’est alitée pendant près d’un mois.
[126] Le témoin se sent coupable de n’avoir rien pu faire pour sauver ceux qu’il désigne comme ses « frères ». Il mentionne : « J’avais à choisir entre les enfants et les adultes. Je devrai vivre avec ça toute ma vie. » Se disant à la fois « secoué, anxieux et stressé »[103], Ahmed Ech-Chahedy a l’impression de ne plus être le même père, ayant moins d’énergie à offrir à ses enfants. Il craint de rater leur éducation.
[127] Tout comme Nizar Ghali, monsieur Ech-Chahedy songe à quitter le Québec, estimant que la question identitaire incitera inévitablement d’autres individus à commettre des actes semblables à ceux posés par l’accusé[104].
[128] Ahmed Cheddadi considère pour sa part avoir échappé à la mort « d’une façon miraculeuse »[105]. Il suit toujours un programme de thérapie avec un professionnel pour contrer les séquelles psychologiques qui l’affligent. Ses enfants ont aussi été affectés par ces terribles événements. Ils se réveillent fréquemment la nuit suite à des cauchemars liés au 29 janvier 2017.
[129] À l’époque des représentations sur la peine, la petite fille de monsieur Cheddadi, âgée de 10 ans, lui tenait les propos suivants : « Papa, la mosquée c’est dangereux le soir, il ne faut pas y aller, ça se peut qu’un autre Bissonnette [revienne] et te [fasse] du mal, on a encore besoin de toi, s’il-te-plaît, n’y va pas. »[106]
[130] Plusieurs autres victimes et proches de ces dernières ont honoré le Tribunal de leur déposition. Il est malheureusement impossible de résumer chacune de ces versions dans le cadre du présent exercice.
[131] Il convient néanmoins de souligner le courage dont tous ces témoins ont su faire preuve en offrant leur collaboration au système judiciaire. Leur contribution fait non seulement honneur à l’ensemble de la communauté musulmane de Québec, mais révèle, chez chacun d’eux, un respect marqué pour notre société de droit, une compréhension de leur devoir de citoyen et une indéniable grandeur d’âme.
[132] Les deux extraits suivants, tirés des nombreuses dépositions écrites soumises à l’attention du soussigné, résument bien, nous semble-t-il, le message véhiculé par l’ensemble des témoins civils du Ministère public. Monsieur Ahmed Cheddadi mentionne :
« Je vivais chaque minute les images des événements, j’ai vécu des cauchemars qui me faisaient sauter de mon lit la nuit, des attaques armées qui m’empêchaient de dormir plusieurs nuits. Je suis resté enfermé dans ma maison sans pouvoir sortir dehors; j’ai eu peur et le sentiment de menace partout, de l’anxiété en public et un stress aigu jusqu’au point que je marchais en me retournant. Je voulais éviter le monde par tous les moyens et je ne voulais pas sortir avec ma femme qui porte le foulard, car je sentais qu’on était visés.
Depuis l’événement, on vit un sentiment de nervosité et d’irritabilité. J’ai perdu le goût de la vie perdant ainsi toute motivation et le plaisir de la vie.
Ce drame a affecté ma vie et celle de ma famille pour toujours. »[107]
[133] Abdelhak Achouri, qui était également présent à la Grande mosquée lorsque les tirs de l’agresseur ont commencé à retentir, conclut pour sa part sa déclaration écrite dans les termes suivants :
« Je vis, nous vivons, en traînant un lot de souvenirs, d’images et de projection… les unes plus sombres que les autres. Je suis intimement convaincu que plusieurs sont dans mon cas. C’est un chapitre noir de mon existence et un triste épisode dans cette société. J’aimerais que ce vécu obscur serve à notre société en réveillant ceux qui créent le climat et les idées qui font des Bissonnette et que ce procès soit dissuasif pour ceux qui risqueraient de basculer du mauvais bord. »[108]
[134] Mohamed Labidi, ex-président du conseil d’administration du Centre culturel islamique de Québec, explique la nature et la vocation d’une mosquée. Référant à la traduction arabe de ce mot (« jamâa »), il souligne que la mosquée représente avant tout pour les musulmans un lieu de rencontre, de spiritualité et de quiétude. Ce « lieu de convergence »[109] favorise de surcroît l’entraide entre les fidèles et à l’égard des plus démunis.
[135] En raison de sa vocation spirituelle, la mosquée procure un sentiment d’apaisement à ceux qui la fréquentent. Or, par ces actions, Alexandre Bissonnette a profané ce lieu saint : « La quiétude a [ … ] laissé place aux cris, aux effusions de sang, à l’horreur et aux pleurs des orphelins, des veuves et de toute une communauté à travers le Canada. »[110]
[136] Depuis le 29 janvier 2017, les musulmans québécois et canadiens composent avec un sentiment d’insécurité, persuadés qu’ils sont d’être ciblés par leurs concitoyens à cause de leur religion. Ce malaise touche donc l’ensemble de la communauté musulmane canadienne, et non simplement celle de la Ville de Québec. Plusieurs de ses membres songent à quitter la province ou le pays. Quant à ceux de la communauté immédiate de Québec, beaucoup craignent de retourner à la Grande mosquée.
[137] Depuis l’attentat, plusieurs changements ont été apportés pour sécuriser les lieux. Le Centre culturel islamique est désormais fermé en tout temps et ses utilisateurs ne peuvent y accéder qu’à la condition de posséder une puce d’accès. De plus, deux gardiens de sécurité ont été engagés pendant la période du ramadan « afin d’apaiser la peur encore vive qui alourdissait toujours [l’atmosphère]. »[111]
[138] Il convient finalement de souligner que suite à l’attaque du 29 janvier, plusieurs activités régulières ont été suspendues pour une certaine période. De façon générale, le nombre de fidèles fréquentant la Grande mosquée de Québec a diminué du tiers[112].
B) Preuve de la Défense
[139] Madame Lucie Côté a été institutrice pendant 32 ans, dont 27 dans la région de Québec.
[140] Elle a enseigné le français à Alexandre Bissonnette en secondaire II à l’école Grande Marée de Cap-Rouge et en secondaire IV, à l’école secondaire Des Compagnons de Cartier.
[141] L’accusé était un élève doué, ses résultats n’étant que rarement inférieurs à 80 %. Il s’impliquait en classe, posait des questions et fournissait des réponses, malgré les sarcasmes proférés par ses collègues. Selon madame Côté, Bissonnette faisait l’objet de mépris verbal de la part des autres élèves.
[142] Tout au long de son cours secondaire, le délinquant fut victime de harceleurs. Pourtant, il n’avait pas tendance à se défendre. S’il osait lever le bras, on le projetait sur un mur.
[143] Au cours de l’année scolaire 2003-2004, alors qu’il fréquentait l’école Grande Marée, Alexandre se faisait régulièrement pousser ou donner des coups d’épaule. On lui arrachait son cartable ou on lui distribuait des claques au visage, de sorte qu’il avait développé des réflexes de nervosité et de peur.
[144] Madame Côté confirme que ces comportements agressifs étaient pratiquement quotidiens. D’ailleurs, le fait qu’Alexandre Bissonnette était victime d’intimidation depuis l’école primaire avait fait l’objet de discussions lors d’une rencontre tenue entre les membres de la direction de l’école Grande Marée et le personnel enseignant.
[145] Au cours de l’année académique 2005-2006, madame Côté enseigna à Bissonnette à l’école Des Compagnons de Cartier, une institution alors fréquentée par près de 1 200 élèves. Elle ne rencontrait donc l’accusé que pendant ses classes de français. Elle se rappelle néanmoins d’un incident survenu dans un corridor, où un étudiant avait saisi Alexandre par le collet et l’avait adossé violemment contre un casier.
[146] Au cours de cette même année, alors qu’Alexandre Bissonnette était absent, le témoin décida d’intervenir auprès des autres étudiants de la classe pour discuter du cas de l’accusé, et plus particulièrement de l’animosité manifestée à son égard. Elle parvint ainsi à convaincre certains élèves d’essayer de mieux le connaître, ce qui améliora le sort du mal-aimé pendant une dizaine de jours. Malheureusement, la situation dégénéra à nouveau par la suite.
[147] Lorsqu’elle apprit qu’Alexandre Bissonnette était à l’origine des tragiques événements du 29 janvier 2017, madame Côté pleura. Elle ne pouvait croire que son ancien élève ait commis de tels actes. Elle déclare : « Alexandre n’est pas un monstre. J’ai aimé marcher sur la même planète que lui. »
[148] Le témoin espère que le sort de son ancien élève sera déterminé dans un contexte de justice et non de vengeance. Elle demande au Tribunal de laisser de l’espoir à l’accusé pour faciliter sa réhabilitation.
[149] Marc-André Lamontagne détient une maîtrise en psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Depuis 2006, il travaille comme psychologue à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec. Il agit également comme psychologue évaluateur en pratique privée depuis 2008, et pour le Service correctionnel du Canada depuis 2010. Il occupa, à titre de pigiste, les mêmes fonctions pour la Gendarmerie Royale du Canada de 2014 à 2016. Depuis 2015, il supervise, à titre de professeur de clinique, des étudiants au doctorat en psychologie à l’Université Laval. Au quotidien, il réalise des expertises psychologiques pour délinquants dangereux ou à contrôler, de même qu’auprès de délinquants sexuels.
[150] Marc-André Lamontagne a été reconnu expert en psychologie et évaluation de la dangerosité et du risque de récidive violente.
[151] Monsieur Lamontagne a rencontré le délinquant à deux reprises en avril 2017, pour une durée totale d’environ 7 heures. Dans le cadre de son évaluation, il a utilisé deux outils actuariels de prédiction du risque de récidive violente, à savoir le « Violence Risk Appraisal Guide » (VRAG) et le « Violence Risk Appraisal Guide-Revised » (VRAG-R). Pour jauger le fonctionnement intimement lié à la récidive criminelle et violente, il a également eu recours à l’Échelle de psychopathie de Hare (PCL-R; Hare. 2003). Finalement, il a pris en compte les lignes directrices présentées dans le HCR-20, un outil employé dans l’évaluation clinique structurée.
[152] En contre-interrogatoire, l’expert précise que les instruments actuariels VRAG et VRAG-R proposent non pas l’évaluation du risque posé par l’accusé lui-même, mais plutôt une estimation par rapport à un groupe témoin. Ils identifient donc un risque actuariel et leurs résultats doivent être appréciés à la lumière des autres informations disponibles. Ces outils fournissent une photographie de l’individu, c’est-à-dire une description de celui-ci au moment où il passe les tests. Ils ne permettent qu’une prédiction actuarielle pour une période maximale de cinq ans et leur exactitude doit être considérée comme « modérée ».
[153] Lors des entrevues, Alexandre Bissonnette s’est montré très structuré. Il s’exprimait avec clarté et avait tendance à vouloir prendre le contrôle des rencontres, ce qui ne vicie pas la validité des informations, mais démontre ses tendances obsessionnelles. Son humeur était variable et il affichait de la difficulté à gérer ses émotions. Il vivait alors beaucoup d’anxiété et de sentiments dépressifs.
[154] L’accusé relate avoir envisagé le suicide pour la première fois à l’automne 2006, soit vers la fin de ses 16 ans[113]. L’intimidation dont il faisait l’objet de même que l’absence de relation affective avec une jeune fille de son âge l’amènent à croire que personne ne veut de lui. Il commence alors à lire sur la tuerie de Columbine et fantasme sur certains scénarios de vengeance visant d’autres étudiants ou des enseignants. Il consulte son médecin de famille qui lui prescrit des antidépresseurs. Sa mère étant contre l’usage de médicaments, Bissonnette mettra rapidement un terme à sa pharmacothérapie.
[155] L’année suivante est marquée par une amélioration de son moral et une diminution de son anxiété. Il décide de se fixer de nouveaux objectifs de carrière et s’affère sérieusement à ses études, obtenant de bons résultats dans la plupart des matières.
[156] Lorsqu’il fréquentait l’école secondaire, Alexandre appelait ses parents tous les midis, craignant qu’il ne leur soit arrivé malheur. Lorsqu’il eut 18 ans, monsieur et madame Bissonnette partirent en voyage en Amérique Centrale. Les deux frères demeurèrent sous la garde de leur ancienne gardienne. Tout au long de leur absence, le délinquant s’inquiéta pour ses parents à un point tel que sa gardienne dut l’emmener à la clinique médicale.
[157] Au Cégep, Alexandre Bissonnette tente de se créer un réseau social. Il sort dans les bars, commence à boire de l’alcool et parvient à se faire quelques amis. Ce mode de vie caractérise les trois années de son cours collégial, au terme duquel il obtiendra un diplôme en sciences humaines. Ses activités ne l’empêchent pas, cependant, de se sentir déprimé et nostalgique de son enfance. Il appréhende de « vieillir, entrer dans une routine, avoir une famille, tomber malade et mourir ». Pour lui, son existence n’a aucun sens[114].
[158] Progressivement, les idées suicidaires refont surface. Il entreprend d’abord, en 2012, des études universitaires en anthropologie, mais change rapidement d’orientation par crainte de ne pas trouver de travail. Sur les conseils de son frère, il rejoint celui-ci au programme de baccalauréat en sciences politiques. Rapidement, l’accusé se sent mal et stressé. Il déclarera à l’expert Lamontagne qu’il n’avait « pas de but », qu’il ne savait pas ce qu’il allait faire de sa vie[115].
[159] Au cours de l’année 2013, il entreprend de boire de l’alcool en solitaire, parfois même avant d’aller au travail.
[160] Au printemps 2014, il est bouleversé par la tuerie d’Isla Vista en Californie. Il lit sur la vie du tueur, Elliot Rodger, et s’identifie à ce dernier. Il dira au témoin Lamontagne : « J’en revenais pas qu’il ait fait quelque chose comme ça. C’est comme si j’avais une sorte de connexion avec lui… une sorte d’empathie que j’avais jamais eue avant. »[116]
[161] Il rapporte également que Rodger « n’avait pas de copine, pas de vie, qu’il en voulait à tout le monde, qu’il détestait la race humaine, qu’il était un « misanthrope » et qu’il se reconnaissait dans ce qu’il avait écrit. »[117]
[162] Alexandre Bissonnette développe même la croyance qu’il pourrait « revenir dans le temps » pour empêcher pareille tuerie s’il se suicidait. Il décide donc de passer à l’acte le 4 août 2014, date à laquelle ses parents seront absents de la résidence. Ayant choisi de se pendre, de nuit, dans le cabanon, il ne trouve ni interrupteur de lumière ni de corde. Pleurant de rage, il se persuade que son malheur procède de ceux l’ayant intimidé et que ceux-ci se moqueraient sûrement de lui en apprenant sa mort.
[163] Suite à cette tentative de suicide avortée, Bissonnette décide qu’il tuera d’autres personnes avant de mettre fin à ses jours.
[164] Il entreprend des démarches pour acquérir un permis d’arme à feu de chasse et obtient celui-ci à la fin du mois d’octobre 2014. Il se sent toujours déprimé et souhaite « faire souffrir du monde »[118]. Il effectue de longues promenades en solitaire et consomme passablement d’alcool.
[165] En février 2015, le démantèlement d’un complot de tuerie de masse visant un centre commercial d’Halifax amène Bissonnette à penser sérieusement « à faire quelque chose ». Il remet cependant son projet à plus tard afin d’acheter des armes à feu additionnelles.
[166] En avril, il fait l’acquisition d’un pistolet de calibre 9mm. Il commence toutefois à développer la peur obsessionnelle qu’on lui saisisse ses armes et traîne sur lui un couteau qui lui permettra de se suicider, le cas échéant.
[167] Le délinquant mentionne à Marc-André Lamontagne avoir tenté plusieurs fois de se suicider avec son pistolet, sans toutefois se résoudre à tirer[119]. Un « démon » lui disait : « Tu ne peux pas te gaspiller comme ça. Tous ceux qui t’ont fait du mal vont continuer à faire le party. »
[168] En février 2016, l’accusé songe à tirer sur des gens à l’Université Laval ou dans un centre commercial, se disant que les personnes qui tomberaient sous les balles avaient sans doute déjà fait de l’intimidation ou d’autres gestes répréhensibles au cours de leur existence[120].
[169] En juillet, il voit germer en lui l’idée de tuer des « terroristes » plutôt que des personnes choisies au hasard. Il confesse à l’expert Lamontagne : « Il y avait quelque chose de fort à propos de ça [c’est-à-dire les fusillades]. C’est comme si au moins dans les derniers instants de ma vie, j’allais être comme Dieu. »[121]
[170] Bissonnette quitte le domicile familial à l’été 2016 pour aller habiter en appartement avec son frère jumeau, et ce, à la demande expresse de ses parents qui souhaitent que leurs enfants acquièrent une certaine autonomie. Toutefois, l’accusé continuera, le plus souvent possible, à passer la nuit chez ses parents.
[171] Monsieur Lamontagne rapporte également que la consommation d’alcool du délinquant aurait augmentée jusqu’à l’été 2016, époque où Bissonnette pouvait s’enivrer près de six fois par semaine, à raison d’au moins huit consommations par jour. L’alcool servait alors à contrôler ses symptômes anxieux. L’expert conclut qu’il présente un trouble lié à la consommation d’alcool, sans nécessairement présenter de dépendance.
[172] Au mois d’août, l’accusé décide qu’il fera « quelque chose » avant son 27ième anniversaire.
[173] Le délinquant semble incapable d’orienter ses études dans un domaine précis et éprouve de la difficulté à se donner une identité propre. À l’automne 2016, il traverse une période de profond désespoir[122]. Celle-ci est également marquée par un conflit de travail avec une supérieure, à propos d’une baisse de productivité et de son taux d’absentéisme.
[174] Vers le 13 novembre, le délinquant reçoit un congé médical de deux semaines se terminant le 26.
[175] À cette date, sentant qu’il ne pouvait recommencer à travailler, il se dirige chez ses parents, y consomme deux verres de vin, se munit ensuite de deux pistolets et 5 chargeurs contenant 10 balles chacun et se rend en voiture dans le stationnement souterrain d’un centre commercial de la région. Chargeant l’un de ses pistolets, il jongle avec l’idée de se suicider dans sa voiture ou d’aller abattre des gens dans le centre commercial, pensant que les personnes sur lesquelles il allait tirer avaient nécessairement quelque chose à se reprocher[123]. S’estimant incapable d’accomplir l’une ou l’autre de ces deux actions, il se rend au Café Starbucks du centre commercial avec ses armes dans un sac à dos et travaille durant un certain temps sur un ordinateur, avant de reprendre son véhicule et de regagner son domicile.
[176] Bissonnette se persuade rapidement qu’une caméra de surveillance l’a filmé alors qu’il chargeait son arme à feu dans le stationnement du centre commercial et que les policiers viendront sous peu chez lui pour confisquer ses armes.
[177] Pendant les Fêtes, l’accusé circule devant le Centre culturel islamique de Québec et voit naître chez lui l’idée d’y commettre un attentat. Certain qu’il sera éventuellement arrêté par les policiers, il évalue ne pas avoir beaucoup de temps à sa disposition.
[178] En janvier 2017, son médecin lui prescrit du Paxil et le place à nouveau en arrêt de travail jusqu’au 30 du mois courant. Alexandre Bissonnette profite du temps mis à sa disposition pour s’informer de divers sujets touchant les tueries de masse et le terrorisme. Il précise à monsieur Lamontagne : « C’est comme si j’étais en contrôle [ … ] j’étais comme obsédé par le pouvoir que ça leur donnait. »[124]
[179] L’idée que des terroristes constitueraient une cible plus acceptable prend corps[125].
[180] L’accusé se convainc alors qu’au moins un « fanatique religieux » ou un « terroriste » fréquente la Grande mosquée de Québec. Il se dit qu’en tuant ne serait-ce qu’un seul terroriste, il sauverait une centaine d’innocents. En conséquence, il devenait justifiable d’occire un certain nombre d’individus pour en réchapper davantage[126].
[181] Alexandre Bissonnette nie être un « suprémaciste blanc » ou un « raciste ». Il déclare ne rien avoir contre les musulmans, mais soutient que les terroristes se réclament souvent de l’islam. Pour ce motif, il estime dangereux d’accueillir au pays des ressortissants adhérant à cette religion[127].
[182] Il occupait un emploi de responsable du recrutement et de l’organisation de collectes chez Héma-Québec depuis 2014. Au moment de son arrestation, il résidait principalement chez ses parents, bien que toujours colocataire d’un appartement avec son frère.
[183] Le psychologue Lamontagne n’a pas noté d’indice d’une symptomatologie psychotique chez le délinquant. Certes, celui-ci a rapporté quelques idées étranges, comme celles d’avoir été influencé par un « démon » ou de pouvoir, en se suicidant, remonter le temps pour empêcher la survenance d’un drame. Toutefois, ces idées ne semblent être que des justifications, une façon de rejeter « la partie mauvaise de soi vers l’extérieur »[128].
[184] Le père de l’accusé est « son meilleur ami ». Alexandre le décrit comme un homme aimant, honnête, très attentif et protecteur. Sa mère se montre en revanche plus stricte et rigide.
[185] Bissonnette n’a jamais été victime de violence physique ou sexuelle dans son environnement familial. Par contre, il a été soumis à de l’intimidation tout au long de son parcours scolaire, plus particulièrement à partir de la cinquième année du primaire. Cette intimidation s’est progressivement transformée en violence physique au secondaire.
[186] L’évaluation neuropsychologique réalisée par le Dr Brassard-Lapointe, et dont l’expert Lamontagne a pris connaissance, démontre l’omniprésence de problèmes de santé mentale chez l’accusé.
[187] Dès l’âge de 8 ans, Alexandre Bissonnette fait l’objet d’une évaluation en pédopsychiatrie à l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur de Jésus de Québec, où l’on conclut en l’existence de symptômes de TDAH en milieu scolaire.
[188] À 16 ans, il consulte un psychologue suite à une tentative de suicide commise dans un contexte d’intimidation. On lui prescrit alors la prise d’un antidépresseur (« Luvox ») et d’une benzodiazépine ([Rivotril]) pendant quelques semaines.
[189] En 2009, il rencontre un psychologue du Cégep Garneau à la demande de l’établissement.
[190] L’évaluation neuropsychologique rapporte également plusieurs autres consultations dans les années suivantes, pour divers motifs :
- « fatigue et asthénie » (juillet 2010);
- « attaques de panique probables » (décembre 2010);
- « symptômes dépressifs et anxieux (« trouble de l’adaptation avec humeur mixte ») (août 2011);
- « trouble d’anxiété généralisé (TAG) avec idées suicidaires secondaires et possibles symptômes de dépression » (avril 2012);
- « épisode de panique, troubles anxieux et épisode dépressif » (octobre 2013);
- « perte de poids de 15 livres en un mois, insomnie et essoufflement » (mai 2014);
- « stress, attaques de panique et perte d’énergie » (décembre 2016);
- « trouble anxieux et de fatigue » (janvier 2017).
[191] Alexandre Bissonnette a également fait l’objet de diverses interventions et évaluations depuis son incarcération.
[192] De février à avril 2017, son humeur fluctue, il nourrit des idées suicidaires et se déclare en proie à des hallucinations.
[193] Dans son évaluation du 28 juillet 2017, le Dr Brassard-Lapointe note cependant « très peu d’éléments pouvant concorder avec la présence actuelle d’une décompensation psychotique ou affective franche, ou d’un trouble mental majeur »[129]. Elle décrit le sujet comme ayant une personnalité fragilisée et caractérisée par des éléments narcissiques, accompagnés de traits dépendants et évitants. Bissonnette manifeste de l’immaturité, de l’impulsivité, des problèmes de contrôle émotionnel ainsi qu’un vide identitaire. De plus, il présente « une attitude parfois hautaine, arrogante et méprisante, une surestimation de ses capacités, un souci de l’image qu’il projette, de faibles capacités d’empathie, une croyance que tout lui est dû ou qu’il n’est pas traité à sa juste valeur, ainsi qu’une tendance à la manipulation, au clivage et à la minimisation des gestes antisociaux commis. »[130]
[194] Le Dr Brassard-Lapointe constate également la présence d’une symptomatologie anxieuse mixte, de préoccupations d’allure hypocondriaque et d’une problématique de consommation d’alcool datant possiblement de quelques années. Elle ajoute : « L’hypothèse suggérant que monsieur puisse exagérer ou produire intentionnellement certains éléments, dont possiblement des symptômes psychotiques, s’avère la plus plausible. »[131]
[195] Toujours en juillet 2018, le psychiatre traitant monsieur Bissonnette, le Dr Sébastien Proulx, consigne ce qui suit : « Ultimement, une part de pseudo-hallucination ou encore la production volontaire et l’utilisation de symptômes font partie des contributions ou de l’éventail des hypothèses explicatives envisagées par l’équipe, en fonction des informations dont nous disposons. Formellement, nous n’avons pas retenu ou posé de diagnostic de registre psychotique. »[132]
[196] Deux mois plus tard, soit plus précisément le 20 septembre 2017, Alexandre Bissonnette rencontrera madame Guylaine Cayouette, intervenante en santé mentale depuis une trentaine d’années. En pleurant, le détenu lui avouera qu’il n’entendait aucune voix et qu’il était « tanné de jouer un rôle »[133]. Bissonnette ajoutera :
« Ce n’est pas vrai que je ne me souviens pas, je me souviens de tout. Je suis parti de chez moi avec mon étui de guitare. J’aurais pu aller tuer n’importe qui, je ne visais pas les musulmans. Je voulais la gloire. Je suis parti avec ma voiture et j’ai pris de l’alcool, soit de la vodka. Je me suis dirigé vers la mosquée. Je suis sorti de ma voiture et j’ai marché vers la porte… j’ai tiré une, deux fois. Je suis entré dans la mosquée. Je suis venu pour tirer et mon fusil a fait un bruit. J’ai haussé les épaules en souriant pour faire comme si c’était une blague. Ils ont eu l’air un peu soulagés. Les gens étaient parterre. J’ai laissé tomber le fusil et j’ai pris mon pistolet. J’ai tiré dans la tête d’une personne à bout portant puis une autre et une autre. J’entendais les gens dire Alla… un vieux monsieur m’a pris par le bras… Je l’ai tiré. Je regrette de ne pas avoir tué plus de personnes. Les victimes sont au ciel et moi je vis l’enfer. Je veux plaider coupable. Je l’ai dit à mon avocat et à mes parents. Mes parents me supportent. J’ai fait des recherches sur les tueurs en série et ce sont mes idoles. »[134]
[197] L’accusé mentionnera également s’habiller comme l’un de ces tueurs de masse et écouter le même genre de musique. Il confessera avoir de l’admiration pour les tueurs en série, et ce, depuis son adolescence. Toujours en s’adressant à madame Cayouette, il ajoutera : « Je veux lire une lettre à la cour et plaider coupable. Je vis l’enfer. Je veux mourir. J’ai manqué mon coup, je devais mourir. » Le détenu précisera également qu’il planifiait se suicider dans le comté de Charlevoix et mourir en regardant les étoiles. Il aurait cependant changé d’idée en cours de route.
[198] L’expert Lamontagne explique que le 29 janvier 2017 représente un échec supplémentaire pour le délinquant. Bien qu’une part de lui-même reconnaisse le caractère inapproprié de ses gestes, une autre regrette de ne pas avoir réussi à mourir en menant à terme son projet grandiose.
[199] Son concept d’identité semble varier entre une perception franchement négative et une image magnifiée de lui-même[135]. L’expert souligne : « Ce qui revient le plus souvent est la perception que sa vie n’a pas de sens, n’a pas de but. En même temps, graduellement, il commence à se fixer un objectif très élevé. Il veut quitter le monde en faisant quelque chose de « spécial », de marquant, de grandiose, quelque chose qui fera qu’il ne sombrera pas dans l’oubli. »[136]
[200] La capacité d’empathie du sujet est clairement limitée. Il peine à reconnaître, mais surtout à éprouver, les sentiments et les besoins d’autrui. De même, son aptitude à entretenir des relations intimes significatives est lacunaire. Hormis les membres de sa famille, ses attaches demeurent superficielles. Ainsi, s’il a simulé des symptômes psychotiques dans les premiers mois de son incarcération, ce n’était pas tant pour éviter la prison que pour aider ses parents à accepter sa conduite.
[201] Alexandre Bissonnette demeure « sujet au pessimisme, à la honte, à des sentiments d’infériorité, à la nervosité, à la tension, aux crises de panique, aux inquiétudes et à la rumination des expériences douloureuses du passé, ainsi qu’aux idées et aux conduites suicidaires »[137].
[202] Quant à l’évaluation du risque posé par l’accusé, le psychologue rappelle qu’il s’agit d’un individu cherchant un pouvoir absolu pour compenser sa perception de faiblesse, d’inaptitude et d’insignifiance[138].
[203] Plusieurs éléments inquiétants doivent être pris en considération. D’abord, les conséquences psychologiques de l’intimidation vécue par le meurtrier au cours de son jeune âge ne sont pas complètement dissipées. De plus, Bissonnette entretient des attitudes ambivalentes à propos de son crime et pourrait toujours être fasciné par les tueurs de masse. Ses préoccupations suicidaires et son instabilité affective demeurent présentes, tout comme sa propension à user de stratégie pour atteindre ses fins[139].
[204] Les facteurs précités sont d’autant plus préoccupants qu’Alexandre Bissonnette aurait déjà, par le passé, consulté à quelques reprises pour tenter d’endiguer ses symptômes anxiodépressifs. Or, la suite des événements démontre qu’il n’a pas suivi adéquatement les recommandations et les traitements qui lui étaient proposés, ce qui a perpétué son instabilité psychologique[140].
[205] En revanche, les outils actuariels utilisés « suggèrent un risque de récidive violente n’étant pas supérieur à la moyenne des sujets des échantillons de normalisation de ces instruments composés de délinquants violents soumis à une évaluation psychiatrique en contexte légal. Sur une base actuarielle, entre un délinquant sur trois et un délinquant sur six présentant un nombre de facteurs de risque statiques comparable à ceux que présente l’expertisé a été accusé d’un nouveau délit violent (de n’importe quelle gravité), environ 10 ans après leur retour dans la collectivité. »[141]
[206] En somme, l’expert Lamontagne considère qu’Alexandre Bissonnette présente un risque « modéré » de commettre de nouveaux délits violents s’il retourne rapidement dans la collectivité. Une récidive éventuelle pourrait être grave[142].
[207] Le psychologue rappelle que le Service correctionnel du Canada offre divers programmes et services susceptibles de diminuer sensiblement le danger incarné par monsieur Bissonnette. Comme cibles d’intervention, ce dernier devra travailler plus particulièrement sur « le dévoilement de soi », les caractéristiques associées à sa personnalité, le contrôle de ses symptômes anxieux et dépressifs de même que sur les conséquences psychologiques des expériences traumatiques d’intimidation dont il a été victime dans sa jeunesse.
[208] Compte tenu que le détenu bénéficiera d’une période de temps appréciable pour se réhabiliter, qu’il est intelligent, qu’il ne présente pas une personnalité antisociale ou psychopathique et qu’il n’est généralement pas impulsif, Marc-André Lamontagne conclut qu’« il n’est pas illusoire de croire qu’il soit éventuellement possible de maîtriser le risque de l’expertisé afin qu’il puisse retourner dans la collectivité »[143].
[209] Le Dr Sylvain Faucher exerce la profession de psychiatre depuis 1996 et détient un certificat de surspécialité en psychiatrie légale du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada depuis 2013. Il supervise des résidents en psychiatrie dans leurs pratiques de l’examen oral du Collège et œuvre principalement auprès d’une clientèle présentant des troubles de comportement sexuel nécessitant une expertise ordonnée par la Cour, suite à des accusations suggérant une dangerosité liée aux maladies psychiatriques[144].
[210] Le Dr Faucher a témoigné devant le soussigné à titre d’expert en psychiatrie légale.
[211] Il a d’abord rencontré l’accusé les 7 et 11 avril 2017 et confirmé son aptitude à comparaître. Il l’a par la suite évalué les 14 septembre et 7 décembre de la même année et statua alors qu’il était criminellement responsable de ses actes. À la demande du Tribunal, le Dr Faucher a revu monsieur Bissonnette le 26 mars 2018 pour évaluer son aptitude à comprendre les enjeux d’un plaidoyer de culpabilité. L’expert a également croisé l’accusé à deux autres reprises dans un cadre purement clinique. En tout, le Dr Faucher a donc évalué Bissonnette pendant près de sept heures et demie depuis le début de son incarcération.
[212] À l’hiver 2017, le délinquant manifestait beaucoup d’anxiété et nourrissait des idées suicidaires significatives. Il soutenait également « être perturbé par des hallucinations auditives qui lui adressaient des commentaires, mais aussi des incitations à commettre certains gestes. »[145]
[213] L’automne suivant, il était plus calme grâce, notamment à la médication qui lui était administrée. Le 26 mars 2018, l’accusé semblait à son mieux. Il gérait davantage les événements, était bien « connecté sur le présent » et se montrait plus nuancé.
[214] Le Dr Faucher n’est pas surpris qu’Alexandre Bissonnette ait simulé des symptômes au début de sa période d’emprisonnement. Il explique que les faits étaient, pour l’accusé, difficiles à reconnaître et que des considérations juridiques et un attachement marqué à ses parents ont certainement contribué à cette tentative de manipulation. L’expert affirme : « Initialement, j’ai donné la chance au coureur sur les voix qu’il déclarait entendre. Il se magasinait un article 16 [non-responsabilité criminelle pour troubles mentaux], une façon de présenter une explication à ses parents. » En d’autres termes, il cherchait à sauver la donne.
[215] Bien qu’il soit d’opinion qu’Alexandre Bissonnette n’ait pas cherché à simuler de symptômes lors de l’appel 911 et de son interrogatoire vidéo, le psychiatre convient avec la Couronne qu’il est difficile de concevoir que le meurtrier ignorait qu’il avait causé des blessures à autrui. De plus, le fait qu’Alexandre Bissonnette ait effectué sur Internet certaines recherches sur les psychoses toxiques démontre un sens de la stratégie compatible avec sa personnalité et son intelligence.
[216] Lors de leurs rencontres du 7 décembre 2017 et du 26 mars 2018, le délinquant n’a pas cherché à cacher sa responsabilité criminelle. Pour l’expert, cela prouve qu’il a fait un certain cheminement, bien que celui-ci demeure inconstant.
[217] Alexandre Bissonnette possède « une personnalité fragile ». Cette dernière se caractérise par une crainte marquée de la critique, une difficulté à identifier et gérer ses côtés négatifs et positifs, de même qu’une propension à la rage lorsque confronté à ses propres limites.
[218] Bien qu’étant « un peu hors norme », le sujet ne saurait être assimilé à une personnalité antisociale ou à un psychopathe. Il ne promeut pas non plus quelque idéologie que ce soit, ce qui représente un élément positif pour le pronostic.
[219] Le diagnostic retenu consiste en « un trouble anxieux non spécifique comportant des éléments obsessifs-compulsifs et d’anxiété généralisée, un mode de fonctionnement général s’apparentant principalement à la personnalité narcissique [du sous-type hyper vigilant], mais aussi dépendante, et la présence [certaine] d’un trouble lié à l’usage de l’alcool »[146].
[220] Pour le Dr Faucher, il serait simpliste de prétendre que le passage à l’acte ne s’explique que par l’intimidation antérieurement vécue. De fait, la commission du crime ne résulte pas d’une cause unique. Même s’il affirme ne pas être raciste ou islamophobe, de telles épithètes projetant une image beaucoup trop négative de lui-même, Alexandre Bissonnette entretient définitivement des préjugés, même si l’on ne peut le qualifier pour autant de « suprémaciste ».
[221] Quant à l’évaluation de la dangerosité de l’individu, le Dr Faucher partage essentiellement les conclusions du psychologue Lamontagne[147], tout en précisant qu’il demeure hasardeux de prédire un tel risque pour des mésadaptés sociaux tels qu’Alexandre Bissonnette. Qualifiant l’accusé de narcissique « hyper-vigilant », ou « fragile », l’expert affirme : « Il est difficile de dire si l’on peut faire quelque chose avec Bissonnette. Le narcissique flamboyant est difficile à aider. Le narcissique hyper-vigilant nous permet souvent d’obtenir de meilleurs résultats. Il est difficile de prédire jusqu’à quel point on pourra contrôler ses troubles anxieux. »
[222] Le psychiatre estime souhaitable que le délinquant puisse éventuellement bénéficier de soins lui permettant « de mieux juguler ses symptômes anxiodépressifs, de mieux définir son identité, d’atténuer les séquelles que lui ont laissées plusieurs années d’ostracisme et d’intimidation [ … ] et d’apporter les correctifs nécessaires aux difficultés émanant des caractéristiques de son mode de fonctionnement général. »[148]
[223] Toujours selon l’expert, le passage à l’acte d’Alexandre Bissonnette s’explique par une quête de pouvoir visant à contrer un sentiment d’échec, fuir ses difficultés d’intégration sociale et professionnelle et exprimer un ressentiment accumulé depuis la fin de son cours primaire.
[224] Le crime s’inscrit également dans une dynamique homicide-suicide. À cet égard, le Dr Faucher indique :
« [ … ] l’homicide libère la charge émotive associée au motif du passage à l’acte. La tension interne s’atténuant ainsi significativement, la raison de se suicider en est souvent altérée. Chez l’intimé, il y avait aussi, semble-t-il, la peur du jugement Divin et la crainte qu’il arrive quelque chose à ses parents en raison de son action, qu’ils soient par exemple victimes de représailles. [ … ] [Bissonnette] est venu à concevoir que seulement se suicider, ce qu’il aurait tenté à plusieurs reprises, serait aux yeux d’autrui un signe de faiblesse [ … ] il lui fallait un exploit [ … ] pour laisser sa trace, pour faire partie de l’Histoire. »[149]
[225] Pour conclure, le Dr Faucher établit que l’accusé présente un risque de récidive « de faible à modéré » quant à la commission d’actes violents. Bien qu’en mesure d’apprécier qu’il ait causé des dommages à autrui (empathie cognitive), on peut douter qu’il puisse faire preuve d’empathie affective. S’il devait perpétrer un autre délit, celui-ci comporterait, fort probablement, un degré élevé de gravité.
[226] Tout comme le Dr Faucher, le Dr Marie-Frédérique Allard détient un certificat de spécialiste en psychiatrie (1999) et est surspécialisée en psychiatrie légale (depuis 2013). De 2007 à 2015, elle fut chargé de formation clinique et professeur adjoint de clinique au Département de psychiatrie de l’Université de Montréal.
[227] Le Dr Allard a également témoigné dans le présent dossier à titre d’expert en psychiatrie légale.
[228] Pour les fins de son évaluation, elle a rencontré Alexandre Bissonnette à deux reprises, soit les 20 décembre 2017 et 16 février 2018, pour une période totalisant neuf heures.
[229] Ce troisième expert nous décrit le détenu comme un jeune homme ayant fait l’objet d’intimidation dès la fin de son cours primaire. Il n’a jamais eu de relation amoureuse, ses relations intimes se limitant à ses parents et à son frère.
[230] À 14 ans, une grande anxiété vis-à-vis ses parents le tenaille. Lorsqu’il s’absente de la maison, il les appelle constamment pour se rassurer de leur état de santé[150].
[231] Vers l’âge de 16 ans, Bissonnette commence à présenter des idées suicidaires. Il planifie même le jour où il se donnera la mort, mais ses plans seront ultimement déjoués par un concours de circonstances[151]. Il s’intéresse également à la tuerie de Columbine[152]. Cette curiosité s’estompe progressivement pour refaire surface en 2014, à l’âge de 25 ans. Depuis lors, il se passionne pour les tueries de masse.
[232] Le délinquant commence à consommer de l’alcool vers 2007, alors qu’il fréquente le Cégep. Bien qu’elle soit variable, cette consommation pouvait varier de trois à quatre fois par semaine. En s’enivrant, l’accusé cherchait principalement à contrer ses symptômes d’anxiété[153].
[233] Au mois d’août 2014, Bissonnette décide d’attenter à sa vie. La nuit venue, il cherche en vain l’interrupteur de la lumière du cabanon où il souhaite se pendre et doit abandonner son projet[154].
[234] Un scénario « homicide-suicide » s’installe alors progressivement dans son esprit. L’idée de mettre fin à ses jours devient récurrente au cours des trois années qui suivent. Celle de posséder des armes vise à faciliter un passage à l’acte. Ce n’est que plus tard que s’imprégnera dans son esprit le désir d’accomplir un geste d’éclat.
[235] À l’hiver 2015, Alexandre Bissonnette s’informe davantage sur les meurtres multiples. Il étudie l’histoire personnelle de leurs auteurs, de même que les types d’armes et modus operandi utilisés. Le délinquant s’identifie alors aux tueurs, et plus particulièrement à ceux ayant vécu de l’intimidation dans leur jeunesse et s’étant suicidés par la suite.
[236] Il entreprend également de lire sur le terrorisme. Les attaques motivées par la religion ou une idéologie lui semblent « inacceptables ». Le Dr Allard mentionne : « Monsieur a ajouté qu’il n’avait pas d’idées racistes auparavant, mais il ne pouvait supporter le fait qu’une tuerie soit motivée par l’islam. Il se disait que s’il y avait un Dieu, ce n’était pas ce Dieu là et que c’était « condamnable »…, mais les tueries dans les écoles, c’était différent. »[155]
[237] Ainsi, l’idée de tuer des gens avant de s’enlever la vie se forge de plus en plus dans son esprit.
[238] Au cours de l’été, il développe l’idée obsessionnelle qu’on pourrait lui retirer ses armes.
[239] En 2016, les cycles de pensées suicidaires se succèdent et le besoin de quitter ce bas monde devient « plus urgent ». Il faut dire que Bissonnette s’était déjà fixé, dans le passé, une date limite pour s’enlever la vie, soit le 1er décembre 2014, date de son 25ième anniversaire[156].
[240] Pendant l’hiver, l’accusé demeure « triste, déprimé, stressé et retiré dans son propre monde. »[157] Il consulte divers ouvrages sur le suicide, les tueries, le terrorisme et l’immigration. Il se convainc que les immigrés sont « une gang de terroristes » et que c’est « plus facile à justifier avec eux »[158]. Ses idées demeurent néanmoins fluctuantes.
[241] À l’été 2016, ses parents lui demandent, ainsi qu’à son frère, de déménager. À contrecœur, il s’installe donc en compagnie de ce dernier en appartement, non loin de la résidence familiale. Il continue toujours de s’entraîner dans des clubs de tir. Son anxiété grandit et ses idées suicidaires persistent.
[242] À l’automne, les pensées suicidaires deviennent de plus en plus envahissantes et Bissonnette se persuade qu’il doit passer à l’acte. Il planifie d’abord un premier événement qui devra avoir lieu dans un grand centre d’achats, le 26 novembre[159].
[243] Le jour venu, le délinquant demeure très ambivalent. Il se dit finalement qu’il doit agir, sans quoi les policiers viendront saisir ses armes. Après avoir bu du vin pour se calmer, il se rend en voiture au centre commercial, muni de deux pistolets, de munitions (50 balles de calibre 9mm) et de son ordinateur portable. Il s’immobilise dans le stationnement souterrain du centre d’achats et charge ses armes à feu, en se demandant pour quelle raison il agit ainsi. Il aperçoit alors une caméra de surveillance et se convainc d’avoir été filmé pendant qu’il manipulait ses pistolets. Son anxiété augmente et il quitte les lieux[160].
[244] Quelques jours plus tard, Bissonnette se répète sans cesse qu’il a manqué son opportunité. Il songe à se suicider chez lui et conserve constamment en sa possession un couteau qui lui permettra de se tuer si on lui retire ses armes à feu[161].
[245] En décembre 2016 et janvier 2017, les préoccupations du délinquant s’orientent davantage vers le terrorisme. L’expert Allard rapporte, notamment les paroles suivantes de Bissonnette : « J’avais réussi à me convaincre qu’à la mosquée, c’est toute des fanatiques [ … ] c’est là qu’ils prêchent leur religion intolérante. »[162] Selon le Dr Allard, le terrorisme sert ainsi de justification à l’accusé et permet à ce dernier de rationaliser son geste. En entrevue, le détenu lui mentionne d’ailleurs qu’il y avait « certainement un tueur, un radical dans ça » et que, par ses gestes, il aurait fait du « bien »[163].
[246] Au début du mois de janvier 2017, l’état d’anxiété d’Alexandre Bissonnette devient à ce point culminant qu’un médecin lui attribue un arrêt de travail jusqu’au 30 du même mois, et change sa médication pour du « Paxil ».
[247] Dans les jours qui suivent, l’accusé consulte sur Internet de nombreux sites traitant du suicide et des tueries de masse. À propos de cette période, il déclarera au Dr Allard : « J’me disais que moi aussi fallait que je fasse de quoi. »[164] En d’autres termes, l’option du suicide seul n’était plus envisageable, le scénario « homicide-suicide » occupant désormais tout son esprit.
[248] Outre l’alcool, qui a « contribué à augmenter son impulsivité, à diminuer ses inhibitions et altérer son jugement »[165], le témoin expert identifie deux autres facteurs ayant précipité les événements du 29 janvier.
[249] D’abord, monsieur Bissonnette devait retourner au travail le lendemain, 30 janvier[166]. Or, il était convaincu que la police l’arrêterait alors et que la mosquée représentait sa dernière chance d’accomplir un geste d’éclat.
[250] De plus, l’accusé a cru qu’une personne inconnue l’avait aperçu avec ses armes alors qu’il était stationné à proximité de la mosquée. Il pensa alors que cet individu connaissait les raisons de sa présence sur les lieux et alerterait immédiatement les policiers. Bissonnette dira au Dr Allard : « J’avais pu de porte de sortie. Je me suis dit « Go! » »[167].
[251] Le psychiatre Allard insiste : « Il ne faut pas écarter le fait qu’en date du 29 janvier 2017, monsieur Bissonnette souffrait d’un trouble anxieux sévère auquel s’était ajouté un tableau dépressif [ … ] Ce tableau s’est compliqué d’intentions suicidaires qui malheureusement, ont évolué vers un scénario homicide-suicide. »[168]
[252] Elle ne croit donc pas que le détenu ait simulé de symptômes lors de son appel 911 et son interrogatoire vidéo. Sa panique était, fait-elle observer, facilement perceptible.
[253] L’expert considère qu’Alexandre Bissonnette souffre toujours, en date des présentes, d’un trouble anxieux non-spécifié, de troubles obsessionnels compulsifs et d’hypocondrie. Il n’est pas un menteur pathologique et ne lui a jamais fait part de symptôme psychotique lors de l’une ou l’autre de leurs deux rencontres. Le fait qu’il en ait simulé à l’hiver 2017 s’explique par un souci de préserver son image auprès de ses parents[169]. Il est par ailleurs possible, comme le prétend le délinquant, que celui-ci ait bu une bouteille complète de saké le jour des événements, et ce, sans que son père ne note chez lui d’indice de consommation et bien que son comportement au dépanneur dans les minutes précédant le drame apparaisse tout à fait normal. Il importe de garder à l’esprit qu’Alexandre Bissonnette consomme régulièrement de l’alcool et a très bien pu développer un niveau élevé de tolérance à cette substance.
[254] Tout comme ses collègues Faucher et Lamontagne, l’expert Allard conclut que l’accusé n’est pas psychopathe[170]. Il est capable d’empathie envers ses parents et son frère et a déjà cheminé depuis le 29 janvier 2017. Il est apte, dans une certaine mesure, à percevoir la souffrance des victimes et pourra progresser davantage lorsqu’il purgera sa peine. Ses plaidoyers de culpabilité démontrent déjà qu’il est capable de penser aux autres, et principalement à sa famille.
[255] Par ailleurs, le délinquant ne minimise ni le trouble mental dont il souffre ni l’impact que sa consommation d’alcool a exercé sur ces malheureux événements. Ses idées suicidaires demeurent latentes. Il reconnaît avoir besoin d’aide.
[256] Monsieur Bissonnette représente un risque de récidive « modéré » qui évoluera, dans un sens ou dans l’autre, au cours des prochaines années. Il demeure difficile de jauger sa dangerosité à long terme. Certains facteurs de risque pourront évoluer avec le temps (comme l’usage de l’alcool, la stabilisation de son état mental et la gestion de ses émotions), d’autres non. L’évaluation du risque est d’autant plus compliquée que le détenu ne pourra certainement pas bénéficier d’une libération conditionnelle avant 25 ans. Selon le Dr Allard, il n’en a pas moins le potentiel requis pour se réhabiliter. Elle mentionne : « Changer une personne est un gros contrat, mais la souffrance et le fait de réaliser celle qu’on a causée est un puissant moteur. »
[257] L’expert termine en rappelant que les Services correctionnels jouissent de plusieurs ressources et qu’il incombe à Bissonnette d’en faire bon usage pour se réhabiliter. L’espoir demeure, ajoute-t-elle, un prérequis essentiel à toute volonté de changement.
C) La contre-preuve
[258] En contre-preuve, le Ministère public a fait entendre le Dr Gilles Chamberland, dont l’expertise en psychiatrie légale a également été reconnue par le Tribunal.
[259] Psychiatre depuis juin 1995, le Dr Chamberland a obtenu son diplôme de surspécialité au mois d’octobre 2013[171].
[260] L’expert de la Poursuite a rencontré Alexandre Bissonnette le 25 avril 2017. Cette entrevue ne lui a pas apporté d’éléments nouveaux. Le Dr Chamberland n’a pu prendre connaissance de la totalité de la preuve, mais assure en maîtriser les éléments pertinents.
[261] De son propre aveu, les trois expertises produites en défense sont « impeccables », ayant été réalisées dans les règles de l’art. Il convient toutefois de rappeler qu’elles ne révèlent qu’un « point de vue ».
[262] À son avis, la principale question ne devrait pas être de connaître les risques de récidive, mais plutôt les risques de récidive en semblable matière.
[263] Le psychiatre Chamberland explique que les expertises du psychologue Lamontagne et des psychiatres Faucher et Allard correspondent à une « photographie » de l’état mental actuel d’Alexandre Bissonnette. Or, il est délicat de prédire la manière dont évoluera le sujet au cours des 25 prochaines années. Les facteurs positifs notés chez l’accusé pourraient favoriser ou compromettre sa réhabilitation. Par exemple, l’intelligence du délinquant pourrait lui permettre de détecter quoi dire aux intervenants pour projeter une image favorable, et ce, d’autant plus qu’il admet être bon comédien et stratège.
[264] Idéalement, il serait important de connaître les raisons pour lesquelles l’accusé se sent abandonné et doit composer avec des idées suicidaires récurrentes, une assuétude à l’alcool et semblable fusion avec ses parents. Malheureusement, aucune réponse n’a été fournie à cet égard.
[265] Le Dr Chamberland est particulièrement frappé par la structure « limite » de la personnalité de l’accusé. Bien que le psychologue Lamontagne réfère à des éléments narcissiques, antisociaux et limites correspondant au « Groupe B », Bissonnette se qualifie dans plus d’une catégorie de personnalité.
[266] Il souffre, notamment d’un trouble de personnalité limite et a une propension à « simuler », bien qu’on ne puisse conclure, faute d’éléments suffisants, à un trouble de personnalité antisociale. Il présente également, comme le soulignent les Dr Faucher et Allard, un « trouble de l’usage d’alcool » correspondant à l’ancien diagnostic « d’abus ».
[267] L’expert de la Poursuite croit qu’Alexandre Bissonnette voulait véritablement se suicider. Il s’était d’ailleurs fixé, à quelques reprises, des dates limites pour matérialiser son intention. Suite à certaines lectures sur des tueries de masse, il s’est métamorphosé en agresseur. Sa quête de reconnaissance et son désir d’avoir droit de vie ou de mort sur autrui traduisent un narcissisme certain. Au fil du temps, cette convoitise s’est orientée vers les armes à feu, tout autre sujet perdant de son intérêt.
[268] À l’automne 2016, le délinquant décide de mettre fin à ses jours au plus tard le 1er décembre suivant, date de son 27ième anniversaire. Dans cette perspective, il se rend au centre commercial susmentionné le 26 novembre pour abattre des gens au hasard, mais échoue dans sa tentative. Déçu de lui-même, il craint de perdre ses armes à feu. La pression monte. Il en vient à croire que son crime sera acceptable. Il se rassure par le fait qu’il doit se suicider suite à sa commission. Lorsque les événements prennent une tournure différente, il est pris au dépourvu.
[269] Tout comme le psychiatre Allard, le Dr Chamberland estime que Bissonnette ne s’est pas suicidé en raison, chez lui, d’une soudaine baisse d’adrénaline suite à l’attentat. De surcroît, sa personnalité limite l’amène à craindre l’abandon, dont la mort représente la manifestation la plus extrême. Cette forme d’ambivalence se retrouve beaucoup chez les patients affichant une personnalité limite.
[270] Pour le Dr Chamberland, la consommation d’alcool n’a pas joué un rôle significatif dans cette affaire. Il définit les moteurs du passage à l’acte comme étant la quête de reconnaissance, la vengeance (qui n’est pas le lot des narcissiques, mais plutôt des personnalités limites), un sentiment de puissance et le racisme.
[271] Pour l’expert du Ministère public, le crime d’Alexandre Bissonnette est « totalement empreint de racisme ». Il ne constitue cependant pas un acte de terrorisme. À cet égard, le témoin explique que l’accusé a perpétré cette tuerie pour ses propres fins personnelles et non pour une cause ou une idéologie.
[272] Comme l’ont déjà précisé les Dr Faucher et Allard, il est très difficile d’évaluer le potentiel de réhabilitation de l’accusé, surtout à long terme. Certains éléments jouent en sa faveur telles son intelligence, l’accessibilité à de bons programmes de réhabilitation et une certaine manifestation d’ouverture. En revanche, d’autres éléments sont susceptibles de compromettre un cheminement positif, à savoir sa rigidité, une faible remise en question et le fait qu’il ait déjà préféré des tentatives de suicide à des possibilités de thérapie. Le Dr Chamberland mentionne :
« Ça prend du temps pour développer de l’empathie et se remettre en question. La Défense a utilisé de bons outils, mais ceux-ci ont leur limite. On ne devrait pas s’inquiéter qu’il commette éventuellement des vols, des méfaits, etc., mais plutôt des homicides [ … ] On ne sait pas quel chemin l’accusé va prendre. Je crois qu’il n’y a pas moyen de le savoir. Les personnalités limites peuvent s’essouffler avec le temps. Par contre, d’autres deviennent plus aiguës. [ … ] De manière générale, les personnalités narcissiques et les personnalités limites sont toutes deux difficiles à traiter. »
[273] Quant à la prétention qu’une certaine forme d’espoir soit essentielle à toute volonté de changement, le psychiatre Chamberland fait remarquer que « l’espoir de sortir dans 25 ans ne suffira pas ». Alexandre Bissonnette doit d’abord et avant tout entreprendre une thérapie pour mieux vivre son incarcération.
III- PRÉTENTIONS DES PARTIES
A) Le Ministère public
[274] La Couronne plaide que les crimes commis par Alexandre Bissonnette sont d’une gravité sans précédent dans l’histoire judiciaire canadienne. Ils ont été à la fois longuement prémédités, planifiés et perpétrés avec détermination et sans froid, dans un lieu de culte.
[275] Motivé par une haine et des préjugés à l’égard des musulmans, Bissonnette a causé la mort de six de ses semblables et en a blessé cinq autres par balles. De surcroît, la quarantaine de survivants de cette tragédie doit désormais composer avec d’importantes séquelles psychologiques.
[276] Le Ministère public souligne que non seulement les membres de la communauté musulmane, mais également l’ensemble de la population canadienne conservent d’importantes « cicatrices » de ce triste événement.
[277] Bien qu’il ait reconnu sa culpabilité et n’ait aucun antécédent judiciaire, Alexandre Bissonnette n’est pas digne de confiance. Il a démontré, avant et après le drame, sa propension à mentir. Il s’agit d’un individu narcissique qui, de l’avis de tous les experts, ne jouit que d’une capacité d’empathie très limitée. De fait, il ne se préoccupe des répercussions de son crime que pour lui-même et les membres de sa famille.
[278] En l’espèce, les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent être priorisés. La peine infligée doit refléter adéquatement la culpabilité morale du contrevenant. Le meurtre au premier degré constitue l’infraction la plus grave en droit criminel canadien. Or, en l’espèce, Alexandre Bissonnette confesse sa responsabilité pour six crimes du genre, commis au surplus avec une arme à feu.
[279] Il n’existe, dans notre jurisprudence, aucun cas visant plus de trois meurtres et où le facteur aggravant énoncé au paragraphe 718.2(a) i) C.cr. entre en ligne de compte. L’importance du principe de l’harmonisation des peines s’en trouve inévitablement amoindrie.
[280] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal doit, de l’avis de la Poursuite, recourir au pouvoir discrétionnaire lui étant conféré par l’article 745.51 C.cr. et ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement.
[281] Ainsi, la Couronne suggère au soussigné d’imposer à l’accusé, pour chacun des six premiers chefs d’accusation, une peine d’emprisonnement à perpétuité assortie d’une éligibilité à la libération conditionnelle subordonnée à l’accomplissement d’au moins 25 ans de la peine. Ces six périodes d’inadmissibilité devraient être purgées consécutivement de manière à ce qu’Alexandre Bissonnette ne devienne admissible à une libération conditionnelle qu’après avoir purgé 150 années d’incarcération.
[282] Sur les six derniers chefs d’accusation, reliés aux crimes de tentative de meurtre, la Couronne suggère l’imposition d’une peine d’emprisonnement à perpétuité.
B) La Défense
[283] D’entrée de jeu, la Défense conteste la constitutionnalité de l’article 745.51 C.cr. et soumet que cette disposition législative porte atteinte aux droits garantis par les articles 12 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ces violations, ajoute-t-elle, ne sont aucunement justifiables en vertu de l’article 1 de la Charte.
[284] Toute période d’inadmissibilité à une libération conditionnelle égale ou supérieure à 50 ans contrevient à la norme constitutionnelle énoncée à l’article 12. Par voie de conséquence, la suggestion du Ministère public d’imposer à l’accusé une période d’inéligibilité de 150 ans déconsidère l’administration de la justice et va à l’encontre de la dignité humaine.
[285] Les valeurs fondamentales canadiennes protègent la réhabilitation des délinquants et prémunissent ces derniers contre l’imposition d’une peine d’incarcération annihilant toute possibilité de réinsertion sociale.
[286] Nier toute possibilité raisonnable de mise en liberté sous conditions va à l’encontre de la dignité humaine. Pareille approche contrevient aux principes fondamentaux sur lesquels est fondée notre démocratie. Les Canadiens ne peuvent que considérer odieuse et intolérable une peine découlant d’un tel raisonnement.
[287] L’article 745.51 C.cr. limite indûment la discrétion du Tribunal puisqu’il ne permet, dans les cas de meurtres au premier degré, que le cumul de périodes de 25 années, ce qui est exagérément disproportionné dans tous les cas. Cette disposition comporte donc une part d’arbitraire puisqu’elle prive le juge de considérer l’ensemble des principes énoncés aux articles 718 et suivants du Code criminel dans l’élaboration d’une peine juste et convenable. Un tribunal chargé d’imposer une peine pour plusieurs meurtres au premier degré et qui considère que les circonstances nécessitent une période d’inadmissibilité supérieure à 25 années se voit, par l’effet de cette disposition, dans l’obligation d’imposer une peine exagérément disproportionnée, n’ayant plus la possibilité d’imposer une peine autre qu’une peine perpétuelle qui serait incompressible en fait et en droit.
[288] En l’espèce, dans l’éventualité où le Tribunal choisirait d’imposer des peines d’inadmissibilité consécutives, Alexandre Bissonnette aurait, dans le meilleur des scénarios, 77 ans au moment de son éligibilité. Compte tenu de son espérance de vie, il est illusoire de croire qu’il pourrait retrouver sa liberté sous conditions avant la fin de sa vie naturelle, sauf pour des motifs humanitaires. Une période d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 50 ans ou plus constitue une peine incompressible en fait et en droit et contrevient à la dignité humaine.
[289] Semblable peine doit être que qualifiée de « cruelle et inusitée », au sens de l’article 12 de la Charte.
[290] L’accusé soumet également que l’article 745.51 C.cr. enfreint l’article 7 de la Charte en contrevenant plus particulièrement à ses droits à la liberté et à la sécurité, en contravention avec les principes de justice fondamentale.
[291] D’abord, l’emprisonnement est acceptable s’il poursuit des fins pénologiques. Si un délinquant remplit, en purgeant sa peine, tous les buts pénologiques propres à sa situation, mais qu’il ne peut bénéficier d’une libération conditionnelle, sa détention devient arbitraire.
[292] L’article entrepris est également arbitraire dans son application, le juge étant dans l’impossibilité d’infliger une période d’inadmissibilité supérieure à 25 ans, mais inférieure à 50, ce qui ne lui permet guère d’atteindre les objectifs de la loi.
[293] Deuxièmement, il n’est pas nécessaire de cumuler des périodes d’inadmissibilité de 25 années pour protéger le public et dissuader les délinquants. L’article 745.51 C.cr. a donc une portée excessive en ce qu’il restreint les droits à la sécurité et à la liberté beaucoup plus que ce qui s’avère nécessaire à l’atteinte des objectifs législatifs.
[294] Troisièmement, et pour les motifs déjà énoncés en lien avec l’article 12, l’article 745.51 C.cr. restreint les droits garantis d’une façon totalement disproportionnée à ses objectifs.
[295] Finalement, l’espoir a toujours été reconnu comme une dimension importante de la peine garantissant la dignité humaine. Il « transcende » les principes de détermination de la peine. Un détenu devrait toujours conserver l’espoir que sa détention prendra fin s’il accomplit l’ensemble des objectifs pénologiques de sa peine. Toute peine d’incarcération dépourvue de semblables objectifs devient insensée. Une peine d’incarcération sans espoir de mise en liberté sous conditions est une expression de la loi du talion et ne poursuit qu’un but vengeur. Elle équivaut à une peine de mort par incarcération.
[296] Pour ces motifs, l’article 745.51 C.cr. contrevient également à l’article 7 de la Charte.
[297] Les violations susmentionnées ne peuvent se justifier en regard de l’article premier de la Charte. La discrétion prévue à l’article 745.51 du Code criminel ne permet pas d’atteindre les objectifs de la loi et est donc dépourvue de lien rationnel. En outre, cette disposition ne satisfait pas aux critères de l’atteinte minimale. Il n’existe finalement aucune proportionnalité entre les effets de la mesure restreignant les droits et libertés garantis par la Charte et l’objectif poursuivi par le législateur.
[298] En somme, l’accusé soutient que l’article 745.51 C.cr. contrevient aux articles 7 et 12 de la Charte et qu’il doit être invalidé par le biais de l’article 52 de cette dernière. En conséquence, les périodes de 25 ans d’inéligibilité à toute libération conditionnelle prononcées sur les six premiers chefs d’accusation devraient être purgées de façon concurrente.
[299] Dans l’éventualité où le soussigné devait confirmer la validité constitutionnelle de l’article 745.51 C.cr., Alexandre Bissonnette plaide que le Tribunal devrait néanmoins user de son pouvoir discrétionnaire pour ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre au premier degré soient purgées de manière concurrente.
[300] La Défense admet la gravité du crime et l’importance de ses conséquences pour les victimes, leurs proches et la société en général. Elle rappelle, à juste titre, que la notion de châtiment exclut toute idée de vengeance.
[301] Compte tenu des troubles mentaux dont il souffre, la culpabilité morale d’Alexandre Bissonnette est moindre que ce que la preuve du Ministère public suggère. Pour cette même raison, l’importance des objectifs de dénonciation et de dissuasion doit être relativisée.
[302] L’accusé est un individu sans antécédent judiciaire. Le Tribunal ne devrait donc pas s’affranchir de l’objectif de réhabilitation.
[303] Les remords du justiciable sont sincères et il a, depuis la commission de ses actes, offert une excellente collaboration aux autorités policières et judiciaires.
[304] Le crime ne résulte pas de préjugés raciaux, mais représente plutôt l’expression d’une souffrance intérieure. Il ne révèle pas davantage un haut degré de préméditation.
[305] Jamais l’accusé n’a-t-il prétendu avoir perdu contact avec la réalité en raison de sa consommation d’alcool. Il importe, cependant, de tenir compte de l’effet désinhibant de cette substance dans l’évaluation de la peine.
[306] Les excuses présentées par Alexandre Bissonnette à la Cour sont authentiques. Il ne cherche aucunement à minimiser ses gestes ni à se déresponsabiliser.
[307] Les experts Lamontagne, Faucher et Allard conviennent que le sujet ne présente « aucune personnalité antisociale ou psychopathique » et que sa réhabilitation, bien que partielle, est déjà amorcée par le biais d’une certaine prise de conscience.
[308] Les experts de la Défense sont également d’opinion que le risque de récidive présenté par monsieur Bissonnette à court ou moyen terme doit être qualifié de « modéré ».
[309] Les considérations qui précèdent militent en faveur d’une période totale d’inadmissibilité à libération conditionnelle de 25 ans.
[310] Quant aux six condamnations pour tentative de meurtre, les procureurs de l’accusé reconnaissent qu’elles devraient valoir à leur auteur une peine d’emprisonnement à perpétuité.
C) La Mise en cause
[311] La Procureure générale du Québec soumet que l’accusé n’a pas démontré que l’article 745.51 C.cr. contrevient à l’article 12 de la Charte. Qui plus est, Alexandre Bissonnette n’aurait soulevé aucun argument suggérant que la disposition entreprise serait cruelle et inusitée à son égard.
[312] Le pouvoir discrétionnaire attribué au juge d’ordonner ou non des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle consécutives rend pratiquement illusoire la possibilité que la disposition attaquée contrevienne à l’article 12.
[313] Bien qu’il soit possible pour le poursuivant de demander que les périodes d’inadmissibilité soient purgées de manière consécutive, il appartient au juge, en dernier ressort, d’établir une peine proportionnée.
[314] Les principes et objectifs de détermination d’une peine juste, énoncés aux articles 718 et suivants du Code criminel, y compris le principe fondamental de la proportionnalité, ne bénéficient pas d’une protection constitutionnelle. Le législateur peut les modifier ou abroger à son gré, à condition de ne pas dicter l’imposition d’une peine exagérément disproportionnée.
[315] Un juge qui déterminerait que le cumul des périodes d’inadmissibilité dépasse le niveau de culpabilité global d’un délinquant devrait alors retenir une période d’inadmissibilité moindre, conformément aux dispositions pertinentes.
[316] La Mise en cause rappelle qu’il incombe à l’accusé de démontrer que la peine est « cruelle et inusitée », c’est-à-dire excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine et si disproportionnée que les Canadiens la considèreraient odieuse et intolérable. Ce critère est à la fois strict et exigeant.
[317] L’article 745.51 C.cr. ne contrevient pas, dans le cas d’Alexandre Bissonnette, à la protection offerte par l’article 12 de la Charte. La gravité objective des crimes commis est indéniable, eu égard à leur nombre et à leur nature. Ces actes étaient prémédités et visaient délibérément des membres de la communauté musulmane de Québec. Ils ont entraîné des conséquences « extrêmement terribles » pour les victimes, leur famille et leurs proches.
[318] Malgré ce qui précède, le Tribunal conserve toute la latitude requise pour ordonner ou non le cumul des six périodes d’inadmissibilité. L’accusé aura toujours l’opportunité de porter cette décision en appel. De plus, la possibilité pour lui de bénéficier éventuellement de la prérogative royale de clémence subsistera malgré l’imposition de périodes d’inadmissibilité consécutives.
[319] Les objectifs poursuivis par l’article 745.51 du Code criminel et le fait que le juge du procès conserve son pouvoir discrétionnaire d’ordonner ou non que les périodes d’inadmissibilité soient purgées consécutivement l’emportent sur les effets préjudiciables pouvant découler de la disposition précitée.
[320] L’hypothèse présentée à titre de situation raisonnablement prévisible ne démontre pas davantage que la disposition contestée contrevient à l’article 12. Malgré que le contrevenant hypothétique soit d’origine autochtone, ce scénario ne se distingue pas sensiblement du cas d’espèce.
[321] La Procureure générale du Québec reconnaît que l’application de l’article 745.51 C.cr. génère une atteinte à l’un des droits protégés par l’article 7 de la Charte, soit le droit à la liberté.
[322] La disposition en cause ne saurait pour autant être qualifiée d’arbitraire.
[323] Les prétentions de l’accusé reposent sur une conception erronée du principe de justice fondamentale protégeant contre les mesures étatiques arbitraires et visent manifestement à remettre en cause l’opportunité législative d’adopter la mesure entreprise.
[324] La Mise en cause plaide qu’il appartenait à l’accusé de démontrer, par prépondérance de preuve, l’absence de lien rationnel entre les objectifs poursuivis par l’article 745.51 C.cr. et ses effets. Or, une absence de lien scientifique ne constitue pas une preuve d’inexistence du lien rationnel.
[325] Le fait que le juge chargé de déterminer la peine puisse décréter que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle soient purgées consécutivement est rationnellement lié à l’objectif de la protection du public. Il importe de rappeler qu’il devra tenir compte des critères énoncés au paragraphe 745.51(1) C.cr. et des autres principes applicables en matière de détermination de la peine..
[326] Bien que l’article 745.51 puisse prêter flanc à la critique sur le plan de la politique judiciaire, il évoque un choix du législateur. Le recours à la Charte canadienne ne peut avoir pour but de remettre en cause le bien-fondé, l’opportunité ou la sagesse d’une disposition législative.
[327] De surcroît, l’article 745.51 C.cr. n’est pas une mesure de portée excessive. Le juge doit tenir compte des critères énoncés au paragraphe 745.51(1) du Code criminel et des autres principes applicables en matière de détermination de la peine.
[328] Troisièmement, il est faux de prétendre que la disposition entreprise est totalement disproportionnée, et ce, pour les motifs déjà exposés en lien avec l’article 12.
[329] Le principe de « la protection de l’espoir » ne constitue pas un principe de justice fondamentale. Il n’existe aucune preuve, en droit canadien, de l’existence d’un tel précepte juridique. Même si tel était le cas, l’accusé n’a pas démontré de consensus substantiel sur le fait que ce principe est essentiel au bon fonctionnement du système de justice.
[330] Les principes et objectifs de détermination d’une peine juste, énoncés aux articles 718 et suivants du Code criminel (incluant le principe fondamental de proportionnalité) ne bénéficient pas de la protection constitutionnelle.
[331] En dernier lieu, on ne peut identifier la portée juridique réelle d’un principe de la « protection de l’espoir », ce qui entraîne un risque considérable de décisions contradictoires.
[332] Même si le Tribunal devait conclure que l’article 745.51 C.cr. contrevient à l’un ou l’autre des articles 7 et 12 de la Charte, ou à ces deux dispositions, semblable violation serait justifiable en vertu de l’article premier de la Charte.
[333] Dans un premier temps, l’accusé reconnaît que l’objectif poursuivi par le législateur en adoptant cette disposition était à la fois réel et urgent.
[334] Pour les motifs précités, l’existence d’un lien rationnel a été établie. Il est en effet raisonnable de supposer que la restriction apportée par l’article 745.51 C.cr. puisse contribuer à la réalisation de l’objectif.
[335] La Procureure générale rappelle également que le critère de l’atteinte minimale ne requiert pas la démonstration que le Parlement a choisi le moyen le moins attentatoire pour réaliser ses objectifs. En l’espèce, l’atteinte au droit est raisonnablement minimale en ce que le moyen retenu se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables permettant l’atteinte de l’objectif. Le juge du procès conserve en effet le pouvoir discrétionnaire d’ordonner ou non le cumul des périodes d’inadmissibilité.
[336] Finalement, les effets préjudiciables causés par l’article 745.51 C.cr. sur les droits compromis sont proportionnels aux effets bénéfiques de la mesure quant aux objectifs poursuivis, à savoir dénoncer la commission des gestes les plus graves prévus au Code criminel et pour lesquels la peine doit refléter la réprobation de la société.
IV- LE DROIT APPLICABLE
1) CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
[337] Parmi les différents champs du droit criminel, le processus et les principes directeurs gouvernant l’imposition de la peine demeurent, sans l’ombre d’un doute, les plus méconnus et sujets à la critique.
[338] Pour un juge d’instance, il n’existe vraisemblablement pas de fonction plus difficile et moralement exigeante que celle de déterminer une sentence ou, en d’autres termes, le degré d’affliction qu’il infligera à un accusé.
[339] Traitant de cette tâche complexe, mais nécessaire, les auteurs Roberts et Cole écrivent :
“ [ … ] the sentencing decision is one of the most difficult facing a judge, for two principal reasons. First, the consequences are high : the sentence may result in the deprivation of a person’s liberty for a substantial period of time. And second, there are many conflicting pressures upon the sentencing judge. ”[172]
[340] La détermination de la peine constitue un processus individualisé, dans le cadre duquel le juge du procès dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour décider de la sentence appropriée[173]. L’adaptation aux circonstances particulières de l’espèce représente donc l’idée maîtresse de cette démarche[174].
[341] Le tribunal d’instance doit, dans un premier temps, cibler l’objectif prééminent de la peine. Cette dernière vise-t-elle, d’abord et avant tout, l’attribution d’un juste dû? Cherche-t-elle à dissuader d’autres individus de se livrer à la commission de crimes semblables? A-t-elle plutôt comme fin prédominante de protéger la communauté en isolant le délinquant? Doit-elle, au contraire, prioritairement favoriser sa réinsertion sociale? Convient-il de poursuivre à la fois deux ou plusieurs des buts précités?[175]
[342] Cette tâche devient d’autant plus ardue que la considération première variera en fonction de l’infraction commise et de la personnalité de l’accusé.
[343] Dans la présente affaire, la Couronne demande que les périodes d’inéligibilité à toute libération conditionnelle soient purgées de façon consécutive, de manière à ce qu’Alexandre Bissonnette ne devienne admissible à une remise en liberté sous conditions qu’à l’âge 177 ans.
[344] Le pouvoir du Tribunal de retarder l’admissibilité de l’accusé à la libération conditionnelle fait partie intégrante du processus de détermination de la peine[176]. À cet égard, l’honorable juge LeBel de la Cour suprême du Canada mentionnait :
« L’augmentation du temps d’épreuve peut constituer un élément important de la peine. Une telle sanction peut avoir pour effet d’écarter presque entièrement tout espoir du délinquant de sortir de manière anticipée des quatre murs de l’établissement pénal et de bénéficier des droits et avantages que comporte cette mesure. En ce sens, elle introduit dans le processus de détermination de la peine non seulement un élément de conformité, mais aussi une certaine mesure de sévérité. »[177]
[345] Comme le rappelle le professeur Benjamin Berger, le juge d’instance devra notamment prendre en considération les épreuves déjà traversées par le délinquant au moment de prononcer la sentence. Ces dernières découleront non seulement du quantum de la peine, mais également des caractéristiques propres à l’individu[178].
[346] En outre, le Tribunal devra constamment garder à l’esprit les valeurs incontournables de la Charte canadienne des droits et libertés. À cet égard, la Cour suprême rappelle, sous la plume de l’honorable juge LeBel :
« [ … ] le régime de détermination de la peine applicable en droit canadien doit être mis en œuvre dans le respect du cadre établi par la Charte, et non indépendamment de celui-ci. Les peines prononcées par les tribunaux sont toujours susceptibles de contrôle au regard de la Constitution. Une peine ne saurait être « juste » si elle ne respecte pas les valeurs fondamentales consacrées par la Charte. [ … ]
[ … ]
Une telle approche est compatible avec le rôle communicationnel du prononcé des peines. Une peine proportionnée exprime, dans une certaine mesure, les valeurs et les préoccupations légitimes que partagent les Canadiens. Comme l’a dit le juge en chef Lamer dans M.(C.A.) :
Notre droit criminel est également un système de valeurs. La peine qui exprime la réprobation de la société est uniquement le moyen par lequel ces valeurs sont communiquées. En résumé, en plus d'attacher des conséquences négatives aux comportements indésirables, les peines infligées par les tribunaux devraient également être infligées d’une manière propre à enseigner de manière positive la gamme fondamentale des valeurs communes que partagent l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes et qui sont exprimées par le Code criminel. »[179]
[Nos soulignements]
A) Théories générales sur la peine
[347] Compte tenu de la difficulté des questions en litige, il convient d’abord d’examiner les fondements de la peine, lesquels comprennent ses assises philosophiques et ses bases juridiques[180].
[348] Historiquement, deux écoles de pensée se disputent la préséance relativement à la finalité de la peine, soit l’approche « rétributiviste »[181] (ou punitive) et l’approche utilitariste. Comme nous le verrons, ces deux courants philosophiques ne sont pas nécessairement incompatibles[182].
[349] La pensée rétributiviste tire ses origines de la philosophie kantienne, pour laquelle rien en ce bas monde ne peut être considéré comme absolument bon, hormis un bon vouloir, c’est-à-dire une intention absolument pure. Cette dernière réfère à une volonté de faire le bien, non par inclinaison naturelle, mais par devoir. Ainsi, la bonne volonté est le fait d’agir par devoir :
“ We have then to develop the notion of a will which deserves to be highly esteemed for itself, and is good without a view to anything further, a notion which exists already in the sound natural understanding, requiring rather to be cleared up than to be taught, and which in estimating the value of our actions always takes the first place and constitutes the condition of all the rest. In order to do this, we will take the notion of duty, which includes that of a good will, although implying certain subjective restrictions and hindrances.[183] [ … ]
[ … ]
[ … ] an action done from duty derives its moral worth, not from the purpose which is to be attained by it, but from the maxim by which it is determined, and therefore does not depend on the realization of the object of the action, but merely on the principle of volition by which the action has taken place, without regard to any object of desire. ”[184]
[350] Le devoir affirme une loi universelle comportant un caractère mandatoire. Il désigne l’obligation morale autonome, la nécessité d’accomplir une action par respect pour cette loi universelle :
“ If then there is a supreme practical principle or, in respect of the human will, a categorical imperative, it must be one which, being drawn from the conception of that which is necessarily an end for everyone because it is an end in itself, constitutes an objective principle of will, and can therefore serve as a universal practical law. The foundation of this principle is : rational nature exists as an end in itself. Man necessarily conceives his own existence as being so; so far then this is a subjective principle of human actions. But every other rational being regards its existence similarly, just on the same rational principle that holds for me : so that it is at the same time an objective principle from which as a supreme practical law all laws of the will must be capable of being deduced. Accordingly the practical imperative will be as follows : So act as to treat humanity, whether in thine own person or in that of any other, in every case as an end withal, never as means only. ”[185]
[351] La personne humaine jouit d’une valeur absolue, non relative. Elle incarne une fin en soi. Ainsi, il importe d’agir de telle sorte que l’on traite toujours cette personne comme une fin et jamais simplement comme un moyen.
[352] Selon la philosophie kantienne, « la peine s’enracine dans le blâme qui accompagne la commission d’un acte criminel et non dans les fonctions qu’elle semble accomplir »[186]. Le délinquant ne reçoit pas une sentence pour décourager la récidive ou protéger la société, mais parce qu’ayant commis un crime, il mérite une peine.
[353] La sanction procède donc d’une nécessité morale[187]. C’est la théorie du « juste dû » qui, contrairement à la croyance populaire, n’implique aucun ressentiment, mais plutôt une idée de proportionnalité. L’accusé doit recevoir une peine dont la sévérité sera proportionnelle à la gravité de l’infraction commise:
“ On the retributivist approach, just deserts equates to determining a sentence which is proportional to culpability so that offenders receive what they deserve for what they have done. There is no concern with the future effects of the sentence but rather with a just response to wrongdoing. On retributivist theory, justice demands that the perpetrator of the offence suffers punishment, regardless of the effects the individual’s suffering may have on himself or others. Justice is served only if the offender is made to suffer. Using the metaphor of balancing scales, justice is satisfied when the scales are evenly balanced, between the offender’s actions and the level of punishment. ” [188] [Notre soulignement]
[354] La théorie du « juste dû » exclut, par définition, toute idée de vengeance, qui « n’a aucun rôle à jouer dans un système civilisé de détermination de la peine »[189]. Elle présuppose également que seuls les individus ayant un état d’esprit blâmable, c’est-à-dire ayant commis une infraction « de façon responsable », soient assujettis à une peine[190].
[355] Pour leur part, les tenants de l’utilitarisme soutiennent qu’une peine ne trouvera sa justification que dans la mesure où elle peut servir à protéger les membres de la société d’un préjudice (crime) futur[191]. L’État pourra donc « corriger » le contrevenant au moyen de mécanismes de neutralisation, de dissuasion ou de réhabilitation lorsqu’une telle initiative génère des conséquences favorables, soit une diminution du crime[192].
[356] Cette école de pensée émane des enseignements des philosophes anglais Jeremy Bentham et John Stuart Mill. Dans An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, Bentham décrit ainsi la fin première de la loi :
“ The general object which all laws have, or ought to have, in common, is to augment the total happiness of the community; and therefore, in the first place, to exclude, as far as may be, every thing that tends to subtract from that happiness : in other words, to exclude mischief. ”[193]
[357] La neutralisation de l’accusé, c’est-à-dire son incarcération, trouve sa justification dans la prévention du crime. La dissuasion, quant à elle, comporte un volet individuel et général. Cependant, la punition ne doit pas être plus sévère que ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé :
“ [ … ] “ [t]hat a punishment may produce the effect required, it is sufficient that the evil it occasions should exceed the good expected from the crime; including in the calculation the certainty of the punishment, and the privation of the expected advantage. All severity beyond this is superfluous, and therefore tyrannical. ” An overly punitive penalty is not only unnecessary, it can also be crime-inducing because « [i]f punishments be very severe, men are naturally led to the perpetration of other crimes, to avoid the punishment due to the first. ” [194]
[358] Comme on peut le constater, deux distinctions fondamentales opposent les courants rétributiviste et utilitariste. Tandis que le premier priorise la responsabilité du délinquant à l’égard de la victime et de la société, le second s’attarde plutôt aux effets de la peine sur l’accusé et la population en général. Au surplus, l’approche punitive requiert que le malfaiteur paie pour son crime. En revanche, l’utilitarisme autorise l’infliction d’une peine en vue de prévenir la commission d’autres infractions[195].
[359] Un régime fondé sur le « juste dû » se révèle forcément contraignant puisqu’il requiert que la gravité du crime seule décide de la peine. Certes, cette ligne de conduite permet de situer facilement et avec cohérence les sanctions sur une échelle de gravité, mais elle restreint forcément les possibilités d’atteindre d’autres objectifs. De plus, les arguments relatifs à la proportionnalité sont souvent fondés sur une évaluation juridique objective du « dû », plutôt que sur le degré subjectif de culpabilité morale de l’accusé dans les circonstances propres à l’espèce. Les régimes sentenciels accordant une importance immodérée à la proportionnalité font nécessairement abstraction des conditions matérielles de vie, des désavantages sociaux et des préjugés qui caractérisent le contrevenant. De surcroît, ils donnent souvent lieu à l’infliction de peines inutilement sévères à seule fin d’équivaloir aux souffrances causées par le crime[196].
[360] La méthode utilitariste n’est pas non plus sans faille. D’un strict point de vue éthique, une théorie de la peine fondée sur le conséquentialisme accorde trop peu d’importance à la dignité humaine ou à l’autonomie, puisqu’elle permet d’utiliser l’individu à des fins collectives.
[361] Également, la preuve des effets bénéfiques découlant de l’imposition d’une peine n’est pas manifeste, ce qui pose problème quant à la justification de celle-ci d’un point de vue strictement utilitariste. À titre d’exemple, le débat entourant l’effet réformateur des peines d’emprisonnement demeure toujours d’actualité, certaines études suggérant l’absence de lien significatif entre la durée de l’incarcération et la prévention d’une récidive[197].
[362] Compte tenu des contraintes propres à chacune de ces deux écoles de pensée, on ne s’étonnera guère que plusieurs auteurs, dont le professeur H.L.A. Hart[198], aient proposé une théorie mixte de la détermination de la peine. Pour Hart, la prévention du crime demeure la considération primordiale justifiant l’imposition d’une sentence. La responsabilité criminelle d’un individu et le type de peine devant lui être attribué relèvent cependant du « juste dû ». Comme le souligne le professeur Andrew Ashworth :
“ There is a strong argument that in order to justify punishment there must be insistence on individual desert as well as overall social benefit. ”[199]
B) La situation au Royaume-Uni
a) Principes généraux
[363] Il y a quelques années à peine, l’auteur David Ormerod décrivait ainsi la situation prévalant au Royaume-Uni quant à l’influence respective des courants rétributiviste et utilitariste sur les principes de détermination de la peine :
“ [ … ] Numerous theories of punishment have been advanced including those of deterrence, retribution, rehabilitation, restitution, incapacitation and denunciation. Parliament has regarded various of these theories as being more influential at one time or another, and its failure to adopt a single principled approach to sentencing for any sustained period has become a matter of concern in recent years. ”[200]
[364] Du milieu du 20e siècle à la fin des années 1980, la ligne de conduite britannique quant à la fixation de la peine était axée sur l’idéal de réhabilitation. Dans l’arrêt Sargeant[201], Lord Justice Frederick Lawton de la Cour d’appel dégageait les principes suivants :
“ What ought the proper penalty to be? We have thought it necessary not only to analyse the facts, but to apply to those facts the classical principles of sentencing. Those classical principles are summed up in four words : retribution, deterrence, prevention and rehabilitation. Any judge who comes to sentence ought always to have those four classical principles in mind and to apply them to the facts of the case to see which of them has the greatest importance in the case with which he is dealing.
I will start with retribution. The Old Testament concept of an eye for an eye and tooth for tooth no longer plays any part in our criminal law. There is, however, another aspect of retribution which is frequently overlooked : it is that society, through the courts, must show its abhorrence of particular types of crime, and the only way in which the courts can show this is by the sentences they pass.[ … ]
[ … ]
I turn now to the element of deterrence, because it seems to us the trial judge probably passed this sentence as a deterrent one. There are two aspects of deterrence : deterrence of the offender and deterrence of likely offenders. [ … ] Deterrent sentences may very well be of considerable value where crime is premeditated. [ … ]
We come now to the element of prevention. Unfortunately it is one of the facts of life that there are some offenders for whom neither deterrence nor rehabilitation works. They will go on committing crimes as long as they are able to do so. In those cases the only protection which the public has is that such persons should be locked up for a long period. [ … ]
Finally, there is the principle of rehabilitation. Some 20 to 25 years ago there was a view abroad, held by many people in executive authority, that short sentences were of little value, because there was not enough time to give in prison the benefit of training. That view is no longer held as firmly as it was. [ … ] ”[202]
[365] Une hausse de la criminalité et du taux de récidive au cours des années 1970 remirent toutefois en question cette prédominance de la pensée utilitariste[203]. L’adoption du Criminal Justice Act (1991) marqua un tournant vers la pensée rétributiviste. Le Parlement imposa alors aux tribunaux l’obligation de présumer que la logique du « juste dû » devait avoir préséance sur les autres objectifs pénologiques[204] et de concentrer prioritairement leur analyse sur la gravité de l’infraction :
“ Whatever the philosophical and empirical objections to some rationales for punishment, there remains some support for each rationale, at least as applied to certain categories of case. This sometimes leads to the suggestion that some form of ‘hybrid’ approach should be devised, finding room for more than one rationale. [ … ] This approach is evident in the Swedish sentencing statute, which adopts desert as the primary rationale but makes provision for other rationales in defined spheres (such as general deterrence in the sentencing of drunk drivers). The English Criminal Justice Act 1991 was intended to embody a similar approach, with desert as the primary rationale of sentencing, subject to incapacitation in a limited class of cases. [ … ] ”[205]
[366] Ainsi, l’emprisonnement ne devait être prononcé que lorsque la gravité du crime l’exigeait ou, dans les cas d’infractions sexuelles ou de violence, pour assurer la protection du public. La Loi de 1991 n’écarta donc pas complètement les principes utilitaristes.
[367] L’article 142 du Criminal Justice Act (2003) accorde à l’objectif utilitariste de la dissuasion une plus grande importance en stipulant que les tribunaux doivent prendre en considération les buts suivants : punir les délinquants, diminuer le taux de criminalité (notamment par le biais de la dissuasion), réhabiliter les contrevenants, protéger le public et assurer la réparation, par les délinquants, des torts causés aux victimes d’actes criminels[206].
[368] Malgré un retour à l’avant-scène des principes utilitaristes, force est de constater que les fondements rétributivistes du système anglais demeurent :
“ Modern retributivism, therefore, seemed to provide a solution to a range of legal, moral, political and economic issues. The response was in the form of the CJA 1991. To an extent, that Act has been modified and superseded by recent legislation, notably the CJA 2003. However, the just deserts legacy of that Act is still vitally important in English sentencing, and current law and practice cannot be properly understood without an understanding of the sentencing framework it introduced. [ … ] ”[207]
b) La peine pour meurtre
[369] Avant 1957, tout individu trouvé coupable de meurtre au Royaume-Uni était inexorablement condamné à la peine de mort. Suite à l’adoption du Homicide Act (1957), les assassinats jugés les plus crapuleux, qu’on désignait comme « capital murders », demeurèrent assujettis à la même sanction. Les autres meurtres devinrent obligatoirement punissables d’emprisonnement à perpétuité.
[370] Le Murder « Abolition of Death Penalty » Act de 1965 mis définitivement fin à la peine de mort, de sorte que tous les meurtres devinrent alors punissables d’une peine de réclusion à vie[208]. En rendant sentence, le juge devait formuler au Home Secretary une suggestion relativement à la période d’inadmissibilité à une libération sous conditions. Le ministre ne pouvant évidemment pas être qualifié d’arbitre indépendant et impartial sur cette question, ce pouvoir de recommandation fut éventuellement jugé contraire aux articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme[209].
[371] En adoptant le Criminal Justice Act (2003), le Parlement britannique attribua au juge d’instance le pouvoir de déterminer lui-même la période d’inéligibilité à la libération conditionnelle de tout individu condamné à l’emprisonnement à perpétuité pour meurtre.
[372] Les tribunaux du Royaume-Uni peuvent désormais assujettir l’éligibilité à une remise en liberté sous conditions d’une personne condamnée pour meurtre à une période de 15 ans, de 30 ans, ou encore exclure toute possibilité de libération conditionnelle. Les termes de 15 et 30 ans devant être considérés comme des « starting points », le juge peut également, pour ces deux premières catégories, prendre en considération les facteurs aggravants et atténuants de l’affaire de manière à moduler la période d’inéligibilité selon les circonstances[210].
C) La situation aux États-Unis
[373] Aux États-Unis, tant l’État fédéral que les États fédérés détiennent une compétence en matière de droit pénal[211]. Ce système multi-juridictionnel est en conséquence disparate et particulièrement complexe[212]. Néanmoins, il demeure possible de tracer un portrait général de l’approche américaine qui se distingue par le caractère particulièrement répressif de son droit pénal.
[374] Les États-Unis se différencient par leur recours fréquent, voire trop fréquent selon plusieurs observateurs, à des peines d’emprisonnement à perpétuité avec ou sans possibilité de libération conditionnelle. Plusieurs détenus y purgent également des sentences à durée déterminée dépassant leur espérance de vie :
“ As of 2012, there were 159,520 people serving a life sentence in the US. This constitutes a remarkable one out of every nine (11 per cent) imprisoned persons in the country. [ … ] [t]he increase in the number of life sentence prisoners has also been dramatic, rising from an estimated 34,000 in 1984.
The rate at which offenders are sentenced to life imprisonment varies considerably across the country. As at 2012, in seven states - Alabama, California, Massachusetts, Nevada, New York, Utah and Washington - more than 15 per cent of the prison population is sentenced to life. At the lower end of the scale, five states - Arizona, Connecticut, Indiana, Maine and Montana - have less than 4 per cent of their prison population serving life (Nellis 2013 : 6). In addition, Alaska is the only state without a life sentence provision, though de facto life sentences are used.
The US sentencing system is also marked by a strong tendency to impose not only life sentences, but increasingly sentences of life without the possibility of parole (LWOP). An estimated 49,000 persons were serving such sentences as of 2012, representing nearly a third of all life sentences (Nellis 2013 : 6). With the exception of just a handful of persons who gain executive clemency after serving decades in prison, all of these individuals can expect to die in prison. [ … ]
We note as well that there is an undetermined, but likely substantial, number of people serving ‘virtual life’ sentences in the US (see Henry 2012). These are individuals sentenced to prison terms of at least 50 years which, when imposed on a 30-year-old offender, could also equate to life imprisonment. ”[213]
[Nos soulignements]
[375] On retrouve, au sud de la frontière, l’un des taux d’incarcération les plus élevés au monde avec 698 prisonniers pour 100 000 habitants, pour un total de plus de 2 200 000 détenus[214]. Ce taux est cinq fois plus élevé que celui de la plupart des pays industrialisés[215]. Les tribunaux d’Amérique latine, par exemple, insistent beaucoup plus sur la réhabilitation des délinquants, un concept ayant été fortement discrédité aux États-Unis[216]. La plupart des autres pays industrialisés ont, quant à eux, non seulement aboli la peine de mort, mais affichent aussi un recours beaucoup plus modéré à l’incarcération[217].
[376] La sévérité des sanctions pénales américaines est exacerbée par l’usage fréquent de l’emprisonnement à perpétuité et l’application de la peine de mort dans plusieurs États :
“ While the extensive use of life imprisonment, along with the death penalty, is in many ways an outgrowth of the American commitment to punishment, it also in turn influences the scale of punishment and the development of mass incarceration. The primary means by which this takes place is through the structure of the sentencing system.
Sentencing systems, whether determinate, indeterminate, or a mix of the two, are generally proportional in structure. That is, the key factors determining the degree of punishment to be imposed in a given case are the severity of the offence and the prior record of the offender. So murder is punished more harshly than robbery, which in turn is punished more harshly than burglary, and so on.
In looking at other industrialised nations, virtually all have repealed capital punishment and only impose life imprisonment sparingly. [ … ]
[ … ]
Thus, the upward pressure on sentencing severity that is exerted by the death penalty and life imprisonment at the top of the sentencing scale in the US is quite substantial, to the point where a mid-level drug seller in the US is punished far more harshly than a mass murderer in Norway. These effects can be seen throughout the sentencing structure, affecting penalties for car theft, larceny, assault and other lesser offences, as well as for more serious crimes. ”[218]
[377] Il en résulte une banalisation des peines d’emprisonnement de très longue durée.
[378] Le professeur Melissa Hamilton s’est intéressée aux motifs invoqués par les juges, procureurs et médias pour défendre de telles sentences. Son étude, qui se concentre sur les peines d’emprisonnement de plus de 200 ans, révèle que les objectifs de dissuasion générale et de neutralisation sont souvent allégués pour justifier l’infliction de peines d’emprisonnement extrêmement longues. L’objectif de rétribution est quant à lui moins souvent cité. On ne se surprendra guère que la réhabilitation soit passée sous silence[219].
[379] Le faible interventionnisme de la Cour suprême des États-Unis en matière pénale laisse une grande discrétion aux États quant au choix des peines. En particulier, l’interprétation très restrictive faite par la Cour suprême du 8ième amendement de la Constitution des États-Unis, qui protège contre les « peines cruelles ou inhabituelles », a certes contribué à l’essor de peines d’emprisonnement excessivement longues[220].
[380] D’abord, on a longtemps considéré que le 8ième amendement ne pouvait servir à contrôler la légalité des peines d’emprisonnement, peu importe leur durée[221].
[381] En 1983, la Cour suprême reconnut, dans Solem v. Helm[222], qu’une peine d’emprisonnement peut constituer une peine cruelle et inhabituelle si elle est d’une durée disproportionnée par rapport à la gravité du crime. La Cour adopta alors un test comportant trois critères pour jauger la proportionnalité d’une peine au crime sanctionné :
“ In sum, a court’s proportionality analysis under the Eighth Amendment should be guided by objective criteria, including (i) the gravity of the offence and the harshness of the penalty; (ii) the sentences imposed on other criminals in the same jurisdiction; and (iii) the sentences imposed for commission of the same crime in other jurisdictions. ”[223]
[382] La portée de ce test sera considérablement restreinte en 1991 par l’arrêt Harmelin v. Michigan[224], où la Cour suprême établit qu’il n’était plus nécessaire de procéder à l’analyse de la constitutionnalité d’une peine d’emprisonnement à moins que cette dernière ne soit largement disproportionnée (grossly disproportionate), eu égard à la gravité du crime commis. Ainsi, en présence d’un crime grave ou sérieux, toute période d’emprisonnement devenait justifiable et aucun contrôle de la constitutionnalité de cette mesure ne pouvait être exercé par les tribunaux supérieurs. Dans cette même décision, la Cour confirma qu’une peine minimale d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pour la possession de 650 grammes de cocaïne n’était pas « cruelle ou inhabituelle »[225].
[383] Dans cette même foulée, la Cour suprême statua, en 2003, que la loi californienne des « trois prises » (« three strikes law »), forçant l’imposition d’une peine d’emprisonnement minimale de 25 ans lors d’une troisième condamnation (même pour un délit mineur) ne violait pas le 8ième amendement.
[384] Il s’agit là d’un autre exemple de l’insigne déférence dont témoigne la Cour suprême dans le domaine de la détermination de la peine, qu’elle considère d’ailleurs du ressort quasi exclusif du pouvoir législatif. L’honorable juge O’Connor mentionne :
“ [ … ] Though three strikes laws may be relatively new, our tradition of deferring to state legislatures in making and implementing such important policy decisions is longstanding. [ … ]
Our traditional deference to legislative policy choices finds a corollary in the principle that the Constitution « does not mandate adoption of any one penological theory. » [ … ] A sentence can have a variety of justifications, such as incapacitation, deterrence, retribution, or rehabilitation. [ … ] Some or all of these justifications may play a role in a State’s sentencing scheme. Selecting the sentencing rationales is generally a policy choice to be made by state legislatures, not federal courts.
[ … ]
We hold that Ewing’s sentence of 25 years to life in prison, imposed for the offense of felony grand theft under the three strikes law, is not grossly disproportionate and therefore does not violate the Eighth Amendment’s prohibition on cruel and unusual punishments. ”[226]
[385] En 2010, la Cour suprême affirma qu’une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pour un crime autre qu’un meurtre est une peine cruelle et inhabituelle lorsque le défendeur est mineur[227]. Deux ans plus tard, elle notifia qu’une peine minimale d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle est inconstitutionnelle dans les cas de meurtre commis par une personne mineure[228].
[386] Évidemment, ces deux décisions n’ont qu’une portée limitée puisqu’elles ne visent que les mineurs, et ce, en raison de leur culpabilité atténuée et de leur forte capacité de réhabilitation, confirmée par plusieurs recherches en sciences sociales[229].
[387] La formule canadienne se distingue de la méthode d’analyse américaine en ce que l’intérêt du gouvernement n’est considéré qu’au moment d’effectuer le test de justification de l’article premier de la Charte. En conséquence, les objectifs poursuivis par le gouvernement n’ont pas pour effet de restreindre la portée même du droit à la protection contre les peines cruelles et inusitées :
“ While both systems employ complex tests in order to determine proportionality, the Supreme Court of Canada seemingly has had a much easier time of accepting the existence of a proportionality standard within s. 12 than has the U.S. Supreme Court of accepting a proportionality standard within the Eighth Amendment. The result is a Canadian approach that is much more flexible in the application of its employed test than is the American approach; and a Canadian test that is much more focused upon analyzing the actual punishment imposed. Also, because of the existence of the s. 1 over-ride found in the Charter, s. 12 protections are not diluted via balancing state interests with the right, unlike United States’ approach. ”[230]
[388] De plus, contrairement à la situation prévalant au sud de la frontière, notre jurisprudence relative aux peines cruelles et inusitées ne s’empêtre pas dans les enjeux touchant la peine de mort :
“ Societal trends continue to differ between the countries, a fact that can perhaps help explain the differing national approaches to mandatory criminal sentencing. Unlike the United States, Canada has abolished the death penalty. As such, the Supreme Court of Canada need no longer deal with the question of the death penalty when confronted with the issue of excessive punishment. The U.S. Supreme Court, on the other hand, still routinely deals with the death penalty in that context, a fact that [ … ] may color the U.S. Supreme Court’s viewpoint on the Eighth Amendment prohibition [ … ] ”[231]
[Nos soulignements]
[389] On ne s’étonnera guère, dans les circonstances, qu’une période incompressible d’inéligibilité à une libération conditionnelle ne soit pas considérée comme « cruelle ou inhabituelle » par la Cour suprême des États-Unis :
“ [ … ] Despite the evolution of limits on the death penalty in the jurisprudence, the availability of ultimate punishment affects the constitutional status of non-capital sentencing. If the death sentence - the state’s most extreme penalty for the commission of crime - is not unconstitutional, it is difficult to imagine how any lesser punishment, including one that imposes life imprisonment without parole, can offend the Eighth Amendment. ”[232]
D) L’approche canadienne
[390] Au Canada, la prédominance de l’utilitarisme s’est quelque peu étiolée au cours des trois dernières décennies.
[391] Au siècle dernier, la pensée rétributive était généralement perçue comme anachronique, rétrograde et indûment moralisatrice, puisqu’axée sur la proportionnalité entre le châtiment et la gravité de l’infraction. La philosophie utilitariste, au contraire, bénéficiait d’un préjugé favorable. On la considérait comme avant-gardiste et saluait son intérêt premier pour la protection de la société par l’imposition de mesures de réhabilitation, d’exemplarité ou de neutralisation. L’approche punitive jouait donc, à cette époque, un rôle subsidiaire dans le mécanisme de détermination de la peine[233].
[392] Les années 1990 donnèrent lieu à une résurgence de l’approche rétributiviste. Les auteurs Saunders et Bromwich expliquent ainsi ce revirement de situation :
“ In large part, this swing has come about because of growing doubts about and dissatisfaction with the efficacy of the utilitarian approach, as well as perceived loosening of moral bonds in society that has resulted in an allegedly undisciplined and unacceptable lax response to destructive anti-social behaviour. ”[234]
[393] En 1995, le Parlement fédéral codifia les différentes règles de common law propres à notre régime sentenciel. Il amalgama divers éléments des théories rétributiviste et utilitariste, créant ainsi un régime mixte par l’adoption des articles 718 à 718.2 du Code criminel[235].
[394] Il importe d’abord de prendre en considération l’objectif et les principes stipulés par le législateur à l’article 718 C.cr. :
« Objectif - Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :
a) dénoncer le comportement illégal;
b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;
c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;
d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;
f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité. »
[395] Tandis que la dénonciation du comportement illégal traduit une considération morale ou rétributive, la dissuasion, la neutralisation, la réhabilitation et la réparation des torts revêtent définitivement une connotation utilitariste[236]. Ainsi, comme le confirme d’ailleurs la Cour suprême du Canada dans l’arrêt M.(C.A.), les objectifs moraux et utilitaristes s’entremêlent désormais dans la procédure de fixation de la peine[237].
[396] Dans l’arrêt R. c. Nasogaluak[238], l’honorable juge LeBel soutient, dans un jugement unanime de la Cour suprême, qu’aucune de ces fins n’a priorité sur les autres. Leur importance relative dépendra entièrement des faits de l’espèce :
« Aucun objectif de détermination de la peine ne prime les autres. Il appartient au juge qui prononce la sanction de déterminer s’il faut accorder plus de poids à un ou plusieurs objectifs, compte tenu des faits de l’espèce. La peine sera par la suite ajustée - à la hausse ou à la baisse - dans la fourchette des peines appropriées pour des infractions similaires, selon l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes, s’il en est. »[239]
[397] Ainsi, la détermination d’une peine juste et appropriée demeure, dans chaque cas, un processus individualisé[240].
[398] Certes, le but fondamental d’une sentence consiste à favoriser le respect de la loi et le maintien d’une société juste, paisible et sure. Pour atteindre cette fin essentielle, la peine doit signifier « que la norme d’agir morale et légale ne peut être transgressée sans appeler une réaction sentencielle dénonciatrice et incitatrice au respect de la loi »[241]. Ce postulat ne signifie pas que la peine doive nécessairement être sévère, ou qu’elle puisse être cruelle ou sans considération pour les conséquences qu’elle entraîne sur le délinquant ou la société, ni qu’il soit incongru pour un juge de tenir compte à la fois d’objectifs rétributivistes ou utilitaristes. Le droit criminel vise, et devrait continuer de briguer, deux objectifs fondamentaux, soit la protection du public et l’administration d’un traitement juste et équitable au délinquant :
“ In the case of the criminal law, most citizens would agree that criminals ought to be punished because they have done wrong, and therefore deserve punishment. But most would also like to see society protected either by the punishment of offenders in order to deter or simply incapacitate, or, perhaps preferably, by the rehabilitation of offenders.
[ … ] no social institution as important or complex as the criminal law can afford the luxury of picking just one purpose - intellectually simple and satisfying though that selection might be. As Henry M. Hart wrote in 1958 :
A penal code that reflected only a single basic principle would be a very bad one. Social purposes can never be single or simple, or held unqualifiedly to the exclusion of all other social purposes; and an effort to make them so can result only in the sacrifice of other values which are also important. [ … ] ”[242]
[399] Le législateur a donc conféré aux juges un pouvoir discrétionnaire considérable leur permettant de prononcer des peines justes et appropriées favorisant la réalisation de divers objectifs sentenciels[243]. Encore récemment, l’honorable juge Côté rappelait, dans l’arrêt Boutilier, que le législateur peut guider les tribunaux de manière à ce que ceux-ci mettent l’accent sur certains principes de détermination la peine dans certaines circonstances, sans restreindre leur capacité de prendre en considération la situation dans son ensemble[244].
[400] Dans cette même décision, la Cour suprême précisait que les principes énoncés aux articles 718 à 718.2 sont pertinents pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire nouvellement codifié aux paragraphes 753(4) et (4.1) du Code criminel gouvernant les demandes de déclaration de délinquant dangereux.
[401] Par analogie, le Tribunal considère que ces mêmes principes généraux doivent être appliqués aux demandes faites par le Ministère public conformément à l’article 745.51 C.cr. De l’avis du soussigné, un juge d’instance doit en tout temps imposer une peine adaptée à la situation du délinquant et compatible avec les principes de détermination de la peine[245].
[402] On ne peut traiter du but fondamental de la fonction punitive sans référer au concept de « châtiment », un principe reconnu et primordial en matière de fixation de la peine. La notion de châtiment repose sur le « juste dû ». En tant qu’objectif de la détermination de la peine, il signifie que « les sanctions pénales, en plus d’appuyer des considérations utilitaristes liées à la dissuasion et à la réadaptation, doivent également être infligées afin de sanctionner la culpabilité morale du contrevenant »[246].
[403] L’idée de « châtiment » ne doit pas être assimilée à celle de « vengeance » qui, comme le rappelait l’honorable juge en chef Lamer, n’a pas sa place dans un système juridique civilisé :
« La vengeance, si je comprends bien, est un acte préjudiciable et non mesuré qu’un individu inflige à une autre personne, fréquemment sous le coup de l’émotion et de la colère, à titre de représailles pour un préjudice qu’il a lui-même subi aux mains de cette personne. En contexte criminel, par contraste, le châtiment se traduit par la détermination objective, raisonnée et mesurée d’une peine appropriée, reflétant adéquatement la culpabilité morale du délinquant, compte tenu des risques pris intentionnellement par le contrevenant, du préjudice qu’il a causé en conséquence et du caractère normatif de sa conduite. De plus, contrairement à la vengeance, le châtiment intègre un principe de modération; en effet, le châtiment exige l’application d’une peine juste et appropriée, rien de plus. »[247]
[404] En somme, le tribunal chargé de l’administration de la peine devra, conformément à l’article 718 C.cr., tenir compte, dans son analyse, de considérations normatives et utilitaristes pour infliger une sanction pénale juste et équitable[248].
[405] Tout comme le châtiment, la dénonciation du comportement illégal endosse un aspect rétributif[249]. Toutefois, contrairement au premier, elle se rapporte au crime lui-même et non à son auteur[250]. La dénonciation, qu’on désigne pareillement sous le vocable de « réprobation », exprime l’aversion qu’éprouve la société à l’égard de l’infraction[251].
[406] La réprobation comporte une valeur symbolique. Elle signale une conduite ayant « porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société »[252].
[407] La dénonciation prendra encore plus d’importance en présence d’un degré élevé de planification et de préméditation et lorsque l’infraction et ses conséquences font l’objet d’une forte publicité[253]. Cette règle sera particulièrement vraie dans les cas où la victime est une personne vulnérable en raison de son âge, d’un handicap ou d’autres facteurs de même nature.
[408] L’infliction de sanctions justes et l’objectif de réprobation démontrent que notre droit criminel correspond à un véritable système de valeurs et non simplement en une admixtion de considérations utilitaristes.
[409] Cela dit, ni le châtiment ni la dénonciation ne justifient à eux seuls l’application de sanctions pénales en droit canadien. Des visées utilitaristes opèrent conjointement pour conférer à ces dernières une justification cohérente[254].
[410] Tel qu’en témoigne le paragraphe 718 b) C.cr., la dissuasion constitue un objectif sentenciel légitime. Pour Bentham, il s’agit en fait de la principale finalité de la sanction pénale[255]. Les auteurs Parent et Desrosiers écrivent que cette « fonction punitive [a pour] but [ … ] d’éviter la récidive et de décourager les individus qui seraient tenté d’imiter le délinquant. »[256] Cet objectif cherche à prévenir le crime et comporte donc une connotation utilitariste[257].
[411] Il convient de distinguer deux formes de dissuasion : l’exemplarité (la dissuasion générale) et la dissuasion spécifique (individuelle). Dans l’arrêt B.W.P., la Cour suprême distingue ainsi ces deux concepts, sous la plume de l’honorable juge Charron :
« En tant que principe de détermination de la peine, la dissuasion consiste à imposer une sanction dans le but de décourager le délinquant, et quiconque, de se livrer à des activités criminelles. Lorsque la dissuasion vise le délinquant traduit devant le tribunal, on parle de « dissuasion spécifique »; lorsqu’elle vise d’autres personnes, on parle de « dissuasion générale ». Les présents pourvois portent sur la dissuasion générale, qui est censée opérer ainsi : des criminels potentiels éviteront de se livrer à des activités criminelles en raison de l’exemple donné par la punition infligée au délinquant. Quand la dissuasion générale est prise en compte dans la détermination de la peine, le délinquant est puni plus sévèrement, non seulement parce qu’il le mérite, mais également parce que le tribunal décide de transmettre un message à quiconque pourrait être tenté de se livrer à des activités criminelles similaires. »[258]
[412] L’exemplarité sera particulièrement de mise lorsque l’infraction criminelle traduit un élément de planification et de préméditation[259]. Il en ira de même lorsque les conséquences du crime sont sévères[260].
[413] Une peine se voulant exemplaire devrait être conçue de manière à dissuader quiconque d’adopter le comportement criminel du contrevenant, sans plus. Les tribunaux doivent se mettre en garde contre le danger d’imposer à un accusé une sentence disproportionnée à des fins exemplaires. Le piège est particulièrement présent dans les dossiers comportant une importante charge émotive et où la pression médiatique réflète une préoccupation particulière des membres de la collectivité en lien avec un type particulier de crimes[261].
[414] Le droit criminel n’est pas une science exacte. Cela est particulièrement vrai à l’égard des règles gouvernant la détermination de la peine. Le professeur Ashworth résume ainsi les dangers guettant le juge d’instance lors du prononcé d’une peine exemplaire :
“ [ … ] Should, for example, an extra two years of one person’s liberty be sacrificed in the hope of deterring several others? The objection to this is often expressed in the Kantian maxim, ‘a person should always be treated as an end in himself [or herself], and never only as a means’. Respect for the moral worth and autonomy of the individual means that citizens should not be regarded merely as numbers, to be aggregated in some calculation of overall social benefit. [ … ] There are [ … ] plenty of other examples of compulsion ‘for the greater good’, such as quarantine, compulsory purchase of property and so on. These measures do not, however, have the censuring dimension which sentences have. Exemplary sentences, by heaping an undeserved portion of punishment on one offender in the hope of deterring others, are objectionable in that they penalize an individual in order to achieve a social goal - and do so without any real criterion of how much extra needs to be imposed. A deterrent theory which incorporates no restrictions to prevent this shows scant respect for individuals’ choices and invests great power in the state and the judiciary. ”[262]
[415] L’objectif de neutralisation repose sur la prémisse que les contrevenants condamnés à l’emprisonnement ne peuvent récidiver pendant leur période d’incarcération[263]. Par essence, ce principe exerce un effet limité à la période de détention[264]. L’article 718.2 (e) C.cr., qui prévoit l’obligation pour le juge de prendre en considération toutes les sanctions substitutives à l’emprisonnement et raisonnables dans les circonstances, limite le recours à la détention aux cas d’exception.
[416] Le principe de la réinsertion sociale est prévu au paragraphe 718 d) du Code criminel. Bien qu’aujourd’hui moins populaire, la réhabilitation demeure un objectif valide de détermination de la peine[265].
[417] Dans l’arrêt Lacasse, l’honorable juge en chef Wagner, alors juge puiné, formulait les observations suivantes à l’égard de cet autre objectif d’inspiration utilitariste :
« Parmi les principaux objectifs du droit criminel canadien, on trouve l’objectif de réinsertion sociale du délinquant. Cet objectif fait partie des valeurs morales fondamentales qui distinguent la société canadienne de nombreuses autres nations du monde et il guide les tribunaux dans la recherche d’une peine juste et appropriée. »[266]
[Notre soulignement]
[418] L’analyse du juge porte ici sur les besoins de l’accusé et non sur la gravité de l’infraction commise[267]. Le but consiste ici à « assurer la transformation positive du comportement criminel »[268]. L’objectif de réinsertion sociale présuppose que le contrevenant peut être traité et « guéri » de sa propension à la criminalité[269]. Il va sans dire que la mise en œuvre de ce principe requiert, dans un premier temps, la preuve d’un potentiel de réhabilitation chez le délinquant.
[419] L’objectif de réhabilitation n’aura qu’une incidence très limitée dans les cas de terrorisme et lorsque, plus généralement, les accusés posent de sérieux risques pour la société. On doit cependant comprendre des propos de l’honorable juge La Forest dans l’arrêt Lyons[270] qu’il soit contre-indiqué d’écarter complètement quelque objectif pénologique que ce soit, incluant la réinsertion sociale, dans un cas donné. Amoindrir l’importance d’un ou plusieurs principes énoncés à l’article 718 C.cr. n’équivaut pas à les éradiquer :
« Dans un système rationnel de détermination des peines, l'importance respective de la prévention, de la dissuasion, du châtiment et de la réinsertion sociale variera selon la nature du crime et la situation du délinquant. Personne n'a prétendu que l'une quelconque de ces considérations pratiques ne devrait pas entrer en ligne de compte dans les décisions législatives ou judiciaires concernant les peines à imposer. » [271]
[420] Toute peine doit par ailleurs être prononcée en conformité avec le principe fondamental de la proportionnalité énoncé à l’article 718.1 C.cr. Celui-ci requiert que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié compte tenu de la gravité de l’infraction et du degré de responsabilité morale de l’accusé[272]. Ce précepte constitue, pour les partisans de l’approche rétributive, le fondement même de notre système de sanctions pénales[273] et fait office, depuis longtemps[274], de principe directeur en matière de détermination de la peine[275].
[421] Dans notre régime mixte, la proportionnalité se veut toujours l’expression d’une justice rétributive fondée sur le « juste dû »[276], mais sert également d’élément modérateur à certaines aspirations utilitaristes comme la dissuasion générale et la neutralisation.
[422] Une sentence trop sévère ou trop clémente est de nature à susciter un doute quant à la crédibilité du système judiciaire[277]. Une peine juste et équitable doit nécessairement être proportionnelle à la gravité du crime et à l’état d’esprit blâmable de son auteur. Dans l’arrêt Ipeelee, le juge LeBel explique :
« La proportionnalité représente la condition sine qua non d’une sanction juste. Premièrement, la reconnaissance de ce principe garantit que la peine reflète la gravité de l’infraction et crée ainsi un lien étroit avec l’objectif de dénonciation. La proportionnalité favorise ainsi la justice envers les victimes et assure la confiance du public dans le système de justice. [ … ] Deuxièmement, le principe de proportionnalité garantit que la peine n’excède pas ce qui est approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant. En ce sens, il joue un rôle restrictif et assure la justice de la peine envers le délinquant. En droit pénal canadien, une sanction juste prend en compte les deux optiques de la proportionnalité et n’en privilégie aucune par rapport à l’autre. »[278]
[423] Conformément aux termes de l’article 718.2(a) C.cr., la peine doit également être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation de l’accusé.
[424] Le Tribunal doit également prendre en compte le principe de l’harmonisation des peines (718.2(b) C.cr.) voulant que des peines semblables soient infligées à des accusés pour des infractions similaires commises dans des circonstances analogues. La similarité demeure toutefois une question de degré. Il apparaît en effet utopique d’imaginer que des délinquants partageant une expérience de vie identique auraient commis le même crime dans des circonstances équivalentes. Le principe de la « parité » exige simplement que toute divergence entre les sanctions imposées à différents délinquants soit justifiée »[279].
[425] La détermination de la peine n’est donc ni « une science exacte » ni « une procédure inflexiblement prédéterminée »[280].
[426] Règle générale, des infractions criminelles présentant « un lien étroit », découlant du même incident ou faisant partie d’une même transaction criminelle entraîneront pour l’accusé l’imposition de peines concurrentes[281].
[427] Le paragraphe 718.3(4) C.cr. stipule cependant que le juge qui impose une peine d’emprisonnement peut ordonner qu’elle soit purgée consécutivement à une autre, notamment pour des infractions ne découlant pas des mêmes faits[282]. Ce faisant, il doit néanmoins examiner l’impact total des peines et s’assurer que la période d’incarcération cumulative soit juste et appropriée[283]. En d’autres termes, la peine totale ne doit pas outrepasser la culpabilité globale du contrevenant[284]. En ce sens, on peut affirmer que le principe de la totalité constitue, en fait, une application particulière du principe de la proportionnalité[285].
[428] Le juge d’instance jouit donc d’un certain pouvoir discrétionnaire à cet égard[286].
[429] Dans la neuvième édition de son ouvrage intitulé « Sentencing », Clayton Ruby cite avec approbation certains extraits de l’arrêt Mario Postiglione v. R. rendu par la High Court of Australia en 1997. Les honorables juges Dawson et Gaudron y réfèrent notamment à l’arrêt M.(C.A.), ainsi qu’aux enseignements des auteurs Thomas et Ruby. Ils définissent ensuite l’approche à suivre pour décider s’il y a lieu d’imposer des peines consécutives :
“ The sentencing judge must first reach a conclusion as to what seems to be the appropriate sentence having regard to the maximum fixed by Parliament for the worst case and the norm that is appropriate to the objective criminality of the case. The judge must then adjust that sentence, where appropriate, for the factors personal or special to the offender, discounted by any relevant considerations (for example co-operation with authorities or absence of remissions). But it still remains for the judge to look back at the product of these calculations and discounts. It is then that the sentencing judge must consider whether the resulting sentence needs further adjustment. It may do so because it is out of step with the parity principle requiring that normally like cases should be treated alike. Or it may offend the totality principle because, looking at the prisoner’s criminality as a whole, the outcome is, in its totality, not « just and appropriate ». The last-mentioned conclusion will the more readily be reached where the judge comes to the conclusion that the outcome would be « crushing » and, as such, would not hold out a proper measure of hope for, and encouragement to, rehabilitation and reform. Obviously, the adjustments for the parity and totality principles, whether performed by a sentencing judge or an appellate court, involve subtle considerations which defy precision either of description or implementation. It has been recognized by this Court [Footnote 119 : Mill v The Queen (1988) 166 CLR 59 at 67.] that the adjustments for totality will sometimes result in a lower sentence which might even fail to reflect adequately the seriousness of the crime in respect of which it is imposed. Whilst this is unfortunate, it is to be preferred to imposing a sentence which is excessive in its totality or unfair when tested by parity in the punishment of comparable offenders. The risks of unacceptable disparity will be lessened if it is remembered that the touchstone adopted by the law is the avoidance of a justifiable sense that an injustice has occurred. ”[287]
[Notre soulignement]
[430] L’auteur Ruby résume ainsi, pour sa part, la démarche permettant d’évaluer si d’éventuelles peines consécutives se conforment au principe de la totalité :
“ The purpose in multiple offence cases is to ensure that a series of sentences, each properly imposed in relation to the offence to which it relates, is in aggregate « just and appropriate ». The more modern and appropriate language, now reflected in section 718.2(c) of the Criminal Code, is that « where consecutive sentences are imposed, the combined sentence should not be unduly long or harsh ». Since that rule is closely connected to section 718.1, the common law requirement for proportionality and for restraint in punishment, it follows that every sentence must meet that structure in order to be « proportionate ». Two situations in which the totality principle may be offended occur when the cumulative sentence substantially exceeds the normal level of a sentence for the most serious of individual offences involved, or the imposition of a « crushing » sentence, not in keeping with the offender’s record and future prospects. « A global sentence is not excessive simply because it is greater than the normal range for the most serious offence ». More analysis than that is required. As confirmed by the wording of section 718.2(c) of the Criminal Code, the obligation on the sentencing judge is to ensure that every sentence, after all the relevant principles have been applied appropriately, is not « unduly long or harsh ». This flows from the closely related principle in section 718.1 of the Criminal Code that « [a] sentence must be proportionate to the gravity of the offence and the degree of responsibility of the offender ». The « last look » must assess proportionality. [ … ] ”[288]
[431] Bien que les peines doivent généralement être concurrentes lorsque les infractions résultent d’un même événement ou constituent des actes criminels continus, la Cour d’appel du Québec nous enseigne qu’un crime faisant partie d’une transaction impliquant plusieurs autres infractions criminelles, mais comportant par ailleurs un élément aggravant, pourra justifier l’imposition d’une peine consécutive. L’honorable Michel Proulx, j.c.a. mentionnait en effet :
« Aux termes de l’article 717(4)c)ii) C.cr., un juge peut rendre des sentences d’emprisonnement consécutives lorsqu’une personne (1) est déclarée coupable de plus d’une infraction devant le même tribunal, et (2) que des périodes d’emprisonnement sont imposées pour les infractions respectives : c’était le cas en l’espèce.
La jurisprudence a apporté deux tempéraments à cette règle, soit que (1) les peines devraient être concurrentes si les délits résultent d’un événement unique ou s’il s’agit d’actes criminels continus [ … ], sauf les cas où la loi prescrit que la sentence doit être consécutive ou encore, si le tribunal estime que l’une des infractions formant partie de l’événement unique comporte un élément aggravant qui justifie une peine consécutive [ … ] et (2) que l’effet cumulatif de la série des sanctions imposées ne doit pas résulter en une sentence disproportionnée par rapport à la culpabilité générale du délinquant [ … ] » [289]
[Notre soulignement]
[432] Le tribunal doit, dans un premier temps, établir la peine appropriée pour chacune des infractions en cause en soupesant respectivement leur gravité objective et subjective. Lorsque des peines d’emprisonnement s’imposent, il lui faut ensuite déterminer si ces dernières seront purgées de façon concurrente ou consécutive. Pour trancher cette question, le juge recourt simplement au « bon sens »[290]. Dans une troisième et dernière étape, le tribunal jette un dernier regard à la peine totale et s’assure que celle-ci est « juste et appropriée », compte tenu de la culpabilité globale du délinquant. L’objectif consiste ici à éviter d’imposer à l’accusé « une peine écrasante », incompatible avec ses antécédents et ses perspectives de réadaptation.[291]
[433] Il importe de préciser, en terminant, que le principe de la totalité s’applique également à l’article 745.51 C.cr. Le cumul des périodes d’inadmissibilité infligées doit être proportionnel à la gravité du crime et à l’état d’esprit blâmable du délinquant[292].
[434] En somme, le Tribunal doit pondérer les objectifs visés à l’article 718 C.cr., le principe fondamental de proportionnalité de la peine (718.1 C.cr.), de même que ceux de modulation de la peine en fonction des circonstances aggravantes et atténuantes, d’harmonisation de la peine, de totalité de cette dernière et d’identification de sanctions moins contraignantes et substitutives (718.2(d)(e) C.cr.).[293]
E) La libération conditionnelle
[435] Le législateur fédéral a établi, en 1958, un régime de libération conditionnelle par le biais d’une loi intitulée Loi sur la libération conditionnelle des détenus (Loi relative à la libération conditionnelle de personnes purgeant des sentences d’emprisonnement)[294]. Ce faisant, il décernait aux autorités administratives le pouvoir d’examiner et de modifier les conditions aux termes desquels les peines d’emprisonnement sont purgées. La libération conditionnelle n’équivaut pas à une réduction de la sentence prononcée par le tribunal. Elle correspond plutôt à une modification des modalités d’incarcération du détenu[295].
[436] Abordant plus particulièrement le cas des condamnés pour meurtre au premier degré, le juge Éric Downs, j.c.s., précisait récemment :
« [ … ] il faut souligner que les délinquants qui purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité ne jouissent jamais d’une liberté totale. Ils demeurent sous conditions et surveillance toute leur vie et peuvent être réincarcérés s’ils ne respectent pas leurs conditions. Dans tous les cas, la sentence est à vie.
Lorqu’ils deviennent éligibles à la libération conditionnelle, la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) examine les demandes de mise en liberté des délinquants. Toute décision rendue par cet organisme est fondée sur un critère prépondérant : la protection de la société. »[296]
[437] En somme, le régime administratif gérant l’octroi des libérations conditionnelles fonctionne de manière tout à fait indépendante du système judiciaire. Il appartient à la Commission, et uniquement à cette dernière, de décider d’accorder ou non une libération sous conditions à un condamné et, le cas échéant, d’en fixer les modalités[297]. Le juge du procès ne jouit d’aucun droit de regard sur la question et n’a pas à prendre en considération la manière dont la peine sera administrée par l’État. À ce sujet, les auteurs Parent et Desrosiers écrivent :
« Fidèle à son héritage britannique, le droit pénal canadien établit « une distinction claire entre le rôle des tribunaux, qui fixent la peine adaptée à l’infraction, et celui des organismes chargés d’administrer les pénitenciers et de superviser l’exécution des peines ». Aujourd’hui encore, le juge chargé de la détermination de la peine ne doit pas, sauf exception, « s’intéresser à la façon dont cette peine sera en pratique subséquemment gérée par l’État et ses représentants ». La libération conditionnelle du détenu n’est donc pas du ressort du tribunal, mais de celui des commissions des libérations conditionnelles. »[298]
[438] Dans les cas de meurtres, le tribunal d’instance détermine une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle. La sentence n’en demeure pas moins une d’emprisonnement à perpétuité. Rien ne garantit au condamné qu’il bénéficiera d’une remise en liberté sous conditions à l’expiration de sa période d’inadmissibilité. Il lui incombera, le moment venu, de prouver à la Commission des libérations conditionnelles qu’il ne représente plus un danger pour la société et que sa détention n’est, comme suite logique, plus nécessaire[299].
[439] Une comparaison des durées moyennes d’incarcération des délinquants condamnés pour meurtre au premier degré réalisée en 1999 démontre que cette période est plus longue au Canada que pour l’ensemble des pays visés par l’étude, y compris les États-Unis, exception faite, dans ce dernier cas, des peines d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Ainsi, la durée moyenne de détention des criminels canadiens condamnés pour meurtre au premier degré est de 28,4 ans[300]. Au Royaume-Uni, cette période n’est que de 16 ans.
[440] Un document soumis par la Défense et émanant des Services correctionnels du Canada suggère que la durée d’emprisonnement d’un individu est faiblement liée à la récidive, bien qu’elle puisse avoir davantage d’incidence sur la gravité d’une récidive éventuelle. Ses auteurs mentionnent :
« Le lien entre la durée de la peine et la récidive fait l’objet d’un grand débat dans la littérature. Selon un point de vue de dissuasion précise, certains résultats de recherche confirment le point de vue selon lequel des peines plus longues dissuaderont la récidive future. En revanche, d’autres recherches n’ont trouvé aucun lien ou ont constaté des effets criminogènes, indiquant que des peines plus longues entraînent une récidive plus importante.
Les examens de la gravité de la récidive ont révélé que, quand la durée de la période d’incarcération augmentait, il en allait de même de la gravité des nouvelles infractions, après la date d’expiration du mandat. Par contre, il n’y avait pas de relation significative entre la durée de la période purgée et la gravité de la récidive qui s’était produite avant l’expiration du mandat.
[ … ]
Dans la présente étude, il ne se dégage pas de constatations uniformes démontrant un lien entre la durée de la peine et la récidive, et si un tel lien existe, il est faible. [ … ]
Ces résultats donnent également à penser que l’incidence de la durée de la peine purgée sur la gravité des nouvelles infractions dépend de la surveillance à laquelle le délinquant peut être assujetti [ … ] les comportements des délinquants à la suite de l’expiration du mandat semblent refléter leur probabilité d’adopter sans entrave un comportement criminel. On pourrait ainsi croire que la surveillance dans la collectivité atténue les effets criminogènes de la durée de la peine d’emprisonnement purgée et dissuade des formes plus graves de récidive. »[301]
F) La peine pour meurtre
[441] Le meurtre représente le crime le plus grave édicté au Code criminel. Un individu ne peut être déclaré coupable de cette infraction que si la Couronne prouve, hors de tout doute raisonnable, qu’il avait subjectivement prévu la mort de sa victime. Il s’agit donc du délit comportant la culpabilité morale la plus sérieuse[302].
[442] Le meurtre entraîne toujours pour son auteur une condamnation à la peine la plus sévère en droit canadien : l’emprisonnement à perpétuité[303].
[443] La libération conditionnelle du contrevenant est subordonnée, pour les meurtres au premier degré, à l’accomplissement d’au moins 25 ans de détention[304]. L’accusé trouvé coupable de meurtre au deuxième degré ne pourra, quant à lui, devenir admissible à une remise en liberté sous conditions qu’après avoir purgé 10 ans de sa peine, délai que le juge peut porter à au plus 25 ans, selon les critères énoncés à l’article 745.4 du Code criminel[305].
[444] Cette différence s’explique par la culpabilité morale exceptionnelle du meurtre au premier degré, lequel est généralement perpétré, hormis les cas prévus aux paragraphes 231(4) à (6.2) C.cr., avec préméditation et de propos délibéré[306].
[445] La Cour suprême a confirmé, en septembre 1990, la constitutionnalité de la peine obligatoire pour le crime de meurtre au premier degré. Pour l’honorable juge en chef Lamer, il est tout à fait naturel que l’infraction la plus grave soit traitée par le Parlement avec « un degré approprié de certitude et de sévérité ». En outre, la possibilité pour le détenu de bénéficier malgré tout d’une libération conditionnelle avant l’expiration du délai de 25 ans prévu par la loi démontre le souci du législateur d’adapter chaque cas à la situation particulière du contrevenant :
« Je répète que, même dans le cas du meurtre au premier degré, le Parlement s’est montré conscient de la situation particulière de chaque délinquant en édictant diverses dispositions prévoyant le recours à la prérogative royale de clémence, la possibilité de sorties sous surveillance pour des raisons humanitaires ou en vue de la réadaptation, et la libération conditionnelle anticipée [ … ] »[307]
[446] Depuis lors, les personnes condamnées pour plus d’un meurtre et celles ayant commis les crimes de haute trahison ou de meurtre ne peuvent plus, depuis janvier 1997 et le 2 décembre 2011 respectivement, présenter de demande de révision judiciaire[308].
[447] Selon l’article 745.4 C.cr., le juge présidant le procès d’un délinquant trouvé coupable de meurtre au deuxième degré peut porter le délai préalable à la libération conditionnelle de ce dernier au nombre d’années, compris entre 10 et 25, qu’il estime indiqué compte tenu des quatre critères suivants : le caractère de l’accusé, la nature de l’infraction, les circonstances entourant sa perprétation ainsi que toute recommandation du jury[309].
[448] Dans l’arrêt Shropshire, l’honorable juge Iacobucci confirme que la période d’inéligibilité à la libération conditionnelle fait partie intégrante de la peine :
« La seule différence au niveau du châtiment entre le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré réside dans la durée de l’inadmissibilité à la libération conditionnelle. Cela indique clairement que l’inadmissibilité à la libération conditionnelle fait partie du « châtiment » et est donc un élément important de la politique en matière de détermination de la peine. »[310]
[449] Le juge Iacobucci précise par ailleurs qu’il est erroné de croire qu’un délai préalable à la libération conditionnelle de plus de 10 ans ne sera justifié qu’en présence de circonstances exceptionnelles :
« À mon avis, c’est une norme trop sévère qui complique indûment l’exercice, par les juges du procès, de leur pouvoir discrétionnaire de proroger le délai préalable à la libération conditionnelle. Le libellé de l’art. 744 n’exige pas des « circonstances exceptionnelles ». En conséquence, l’exiger par décision judiciaire est contraire à l’intention du législateur.
À mon avis, une norme plus appropriée, qui refléterait davantage l’intention du législateur, peut être formulée ainsi : en règle générale, le délai préalable à la libération conditionnelle est de 10 ans, mais le juge du procès peut y déroger en décidant que, suivant les critères énumérés à l’art. 744, un délai plus long devrait s’écouler avant que l’on examine l’opportunité de mettre le contrevenant en liberté. »[311]
[Nos soulignements]
[450] La période d’inéligibilité faisant partie de la sentence, le juge d’instance doit donc obligatoirement prendre en considération les principes énoncés aux articles 718 à 718.2 du Code avant d’en déterminer la teneur. L’honorable juge Beveridge, de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, mentionne d’ailleurs ce qui suit à propos des concepts de dissuasion et d’harmonisation des peines :
“ Although the criteria specified by s. 745.4 references but three factors (the character of the offender, the nature of the offence, and the circumstances surrounding its commission), it is plain that these factors are not to be narrowly construed. For example, in R. v. Shropshire, Iacobucci J., after enumerating the three statutorily prescribed factors, announced that denunciation can be considered under the criterion “ nature of the offence ” and concerns over the possible future dangerousness of the offender under “ character of the offender ” (para. 19). Indeed since parole ineligibility is part of the “ punishment ” and thereby an element of sentencing policy, deterrence is also relevant in justifying an order under s. 745.4 (paras. 21-23).
[ … ]
In my opinion, a trial judge is required to consider the principle that a sentence order being imposed be similar to sentences imposed on similar offenders for similar offences committed in similar circumstances. Here the trial judge did not do so. In my opinion, had he done so, he would not have imposed a period of parole ineligibility of 20 years. ”[312]
[451] Dans cette même décision, la Cour d’appel ajoute que la volonté de conjurer toute récidive éventuelle ne saurait justifier l’imposition d’une période d’inadmissibilité plus longue. Les tribunaux doivent présumer que la Commission des libérations conditionnelles remplira adéquatement son mandat en s’assurant que le délinquant ne bénéficie d’une libération sous conditions que lorsqu’il ne représentera plus un danger pour la société[313].
[452] Un document de la Commission nationale des libérations conditionnelles, mis en preuve par l’accusé, démontre à cet égard qu’entre 1975 et 1999, 4 131 détenus purgeant une peine d’incarcération pour meurtre et 7 752 autres pour homicide involontaire ont bénéficié d’une mise en liberté conditionnelle ou d’office. De ces 11 883 individus, 99,7 % n’ont commis ni meurtre ni homicide involontaire suite à leur remise en liberté sous conditions. De 1994 à 2002, seulement 7 % des libérations conditionnelles accordées à des condamnés pour meurtre ont été révoquées à la suite de la commission d’une infraction, dont 3 % pour un élément de violence[314].
G) L’article 745.51
a) Historique
[453] Avant le 1er septembre 1961, tout individu reconnu coupable de meurtre était condamné à mort et la peine était exécutée, à moins que le gouverneur général ne commue cette sentence en emprisonnement à perpétuité. Dans les faits, la prérogative royale de clémence était fréquemment utilisée à cette époque.
[454] Avec l’entrée en vigueur de la Loi modifiant le Code criminel[315], le Parlement créa, en 1961, deux catégories de meurtre : le meurtre « qualifié », généralement perpétré de façon préméditée et de propos délibéré et punissable, chez les adultes, de la peine de mort, et le meurtre « non-qualifié », punissable d’emprisonnement à perpétuité.
[455] Suite à l’abolition de la peine de mort, en juillet 1976[316], le législateur fédéral remplaça les crimes de meurtres qualifié et non-qualifié par ceux de meurtres au premier et deuxième degré, prévoyant pour chacun l’imposition d’une sentence mandatoire d’emprisonnement à perpétuité. Comme nous l’avons vu, il assortit également ces deux infractions d’une durée minimale d’inadmissibilité à la libération conditionnelle, sans préciser toutefois si ces périodes pouvaient ou non être purgées de façon consécutive dans les cas impliquant plus d’un homicide. Sur ce dernier aspect, le droit antérieur continua donc de s’appliquer. Les sentences de réclusion à vie ne pouvant être purgées consécutivement pour des raisons évidentes, les périodes d’inéligibilité furent donc appliquées, dans les cas de meurtres multiples, de manière concurrente[317].
[456] Suite à son adoption par le Parlement fédéral le 1er février 2011, la Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale en conséquence (dont le titre abrégé est Loi protégeant les Canadiens en mettant fin aux peines à rabais en cas de meurtres multiples)[318] reçut la sanction royale le 23 mars suivant et entra en vigueur le 2 décembre de la même année[319].
[457] Cette loi modifia par adjonction l’article 745.5 en y ajoutant l’article 745.51, qui se lit ainsi :
745.51 (1) Délai préalable à la libération conditionnelle - meurtres multiples - Au moment de prononcer la peine conformément à l’article 745, le juge qui préside le procès du délinquant qui est déclaré coupable de meurtre et qui a été déclaré coupable d’un ou plusieurs autres meurtres - ou en cas d’empêchement, tout juge du même tribunal - peut, compte tenu du caractère du délinquant, de la nature de l’infraction et des circonstances entourant sa perpétration ainsi que de toute recommandation formulée en vertu de l’article 745.21, ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement.
(2) Motifs - Le juge est tenu de motiver, oralement ou par écrit, sa décision de rendre ou de ne pas rendre l’ordonnance prévue au paragraphe (1).
(3) Application - Les paragraphes (1) et (2) s’appliquent aux meurtres commis au plus tôt le lendemain de l’entrée en vigueur du présent paragraphe pour lesquels le contrevenant est condamné à une peine d’emprisonnement en vertu de la présente loi, de la Loi sur la défense nationale ou de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
[458] C’est en vertu de cette même disposition que le Ministère public demande aujourd’hui au soussigné de condamner Alexandre Bissonnette à six périodes consécutives de 25 ans d’inéligibilité à la libération conditionnelle.
b) Objectifs
[459] Le 15 novembre 2010, le secrétaire parlementaire du ministre fédéral de la justice, monsieur Daniel Petit, expliquait en ces termes à la Chambre des communes les objectifs poursuivis par le gouvernement en promulguant le nouvel article 745.51 :
« Beaucoup de Canadiens et de Canadiennes ont, comme moi, le sentiment que la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans actuellement prévue par les lois canadiennes à l’égard du meurtre est une atteinte symbolique à la vie des victimes multiples. Compte tenu de l’état de[sic] droit présentement, il pourrait être reproché au Canada d’accorder aux auteurs de multiples meurtres un escompte de volume. Les mesures proposées dans le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui remédieront à cela[320].
Grâce à elles, les juges pourront s’assurer, dans les cas appropriés, que les criminels qui enlèvent la vie de plus d’une personne, qu’il s’agisse de meurtres au premier ou au deuxième degré, purgent des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle plus longues.
[… ]
Ainsi que je l’ai déjà mentionné, le projet de loi C-48 atteindra cet objectif en autorisant le juge à ajouter une période distincte d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans à la peine infligée à l’auteur de multiples meurtres, à raison d’une période additionnelle pour chaque meurtre qui s’ajoute au premier. Ces périodes additionnelles d’inadmissibilité à la libération conditionnelle s’ajouteraient à la période d’inadmissibilité infligée à l’égard du premier meurtre qui, comme on l’a déjà mentionné, peut varier de 10 ans à 25 ans.
Par conséquent, les personnes coupables de plus d’un meurtre pourraient fort bien purger la totalité de leur peine d’emprisonnement à perpétuité dans un pénitencier sans jamais avoir le droit de faire une demande de libération conditionnelle. Si les juges sont autorisés à imposer des périodes additionnelles d’inadmissibilité, la population n’aura plus l’impression que les lois canadiennes permettent aux auteurs de meurtres multiples d’obtenir une peine à rabais. Cela contribuerait donc à rétablir la confiance du public envers le système de justice pénale.
En proposant ces modifications au Code criminel, je pense aux souffrances endurées par les familles et les proches des victimes de meurtre. Le ministre de la Justice a déclaré à l’extérieur de la Chambre, le 5 octobre dernier, lorsqu’il a déposé le projet de loi C-48, que nous ne pouvions ramener à la vie ceux et celles qui ont été si froidement assassinés ni consoler les gens qui ont perdu des êtres chers à cause de ces meurtres, mais que nous pouvions garantir que ceux qui commettent le plus grave des crimes en enlevant la vie d’autrui paient un prix plus juste[321].
[ … ]
Les mesures contenues dans le projet de loi C-48 ne seront donc pas d’application obligatoire. Le gouvernement reconnaît que les circonstances de chaque meurtre sont différentes et qu’une approche unique pourrait bien entraîner des injustices dans des cas particuliers. Cela découle du fait que les situations factuelles des meurtres multiples sont extrêmement variées. Il peut s’agir de meurtres crapuleux en série, de meurtres à forfait, de meurtres non planifiés commis dans un accès de colère, de meurtres d’enfants par des parents, de meurtres de collègues sur les lieux du travail, voire de meurtres commis par des personnes qui se trouvent dans un état délirant causé par l’effet de l’alcool ou des drogues, ou encore par la maladie mentale.
Des meurtres multiples, tout particulièrement des meurtres commis par des parents ou des meurtres sur des lieux de travail, sont accompagnés de stress mental et psychologique extrême et souvent suivis d’une tentative désespérée de suicide par l’auteur de tels meurtres, une fois qu’il est revenu à la raison. Bref, le gouvernement reconnaît clairement que l’état mental des auteurs de meurtre, même de ceux qui commettent plus d’un meurtre, peut varier grandement et comporter différents degrés de culpabilité morale et être assorti de divers degrés de remords.
En permettant aux juges de décider s’il y a lieu d’imposer des périodes additionnelles d’inadmissibilité à la libération conditionnelle, les modifications proposées tiennent compte du principe fondamental de détermination de la peine portant qu’une peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Mais n’oublions pas que les juges qui ont présidé un procès et qui, par conséquent, ont entendu tous les témoignages et ont pu évaluer le caractère de l’accusé, sont les mieux placés pour prendre une telle décision[322].
[ … ]
Bref, le gouvernement continuera de défendre les victimes d’actes criminels. Il continuera de veiller à protéger les Canadiens contre les criminels violents et de placer les intérêts des Canadiens respectueux des lois avant les droits des criminels[323]. »
[Nos soulignements]
[460] Le 1er février suivant, monsieur Petit précise davantage l’intention du législateur en identifiant, de manière plus détaillée, les trois principales fins du projet de loi. Les mesures proposées visent ainsi à (1) « mieux refléter la tragédie que sont les meurtres multiples en permettant aux juges de reconnaître [la valeur de] chaque vie perdue », (2) « renforcer les fonctions de dénonciation et de rétribution [en permettant de prolonger] la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle » et (3) « renforcer la protection de la société en permettant aux juges de garder en détention les auteurs de meurtres multiples - les plus incorrigibles - pendant de plus longues périodes afin que leur peine corresponde plus adéquatement à leur crime »[324]. Le but ultime du projet de loi consiste, quant à lui, à « rétablir un équilibre entre les droits des victimes et les droits des délinquants »[325], contrepoids qui, de l’avis du secrétaire parlementaire, « était manquant depuis longtemps »[326].
[461] Lors des délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, l’honorable Robert Nicholson, ministre de la Justice et procureur général du Canada, définit ainsi la raison d’être de l’article 745.51 :
« [ … ]
S’il est adopté, le projet de loi permettra aux juges d’imposer une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle consécutive qui évitera aux membres de la famille et aux proches des victimes de meurtre d’avoir à revivre le traumatisme de la perte tous les deux ans une fois écoulée la période d’inadmissibilité pour le premier meurtre.
Dans la même veine et dans le contexte de l’engagement du gouvernement à s’attaquer aux crimes violents et à rendre plus vrai le processus de détermination de la peine, les changements proposés dans le cadre du projet de loi C-48 non seulement refléteraient mieux la perte de vies multiples, mais ils mettraient fin également au processus d’examen de la dernière chance et épargneraient à la famille la douleur d’avoir à assister à une série d’audiences de détermination de l’admissibilité à la libération conditionnelle où elle est forcée de revivre sa perte.
Je ne vais pas entrer dans les détails, puisque je sais que le sénateur Lang a fait ici un excellent compte rendu dans le discours qu’il a prononcé à l’occasion de la deuxième lecture. Cela dit, permettez-moi de vous expliquer ce qui justifie le projet de loi. Le sénateur Lang a fait remarquer à juste titre que le projet de loi est fondé sur le principe fort simple selon lequel la culpabilité morale d’une personne qui enlève la vie de plus d’une personne est plus élevée et qu’elle mérite donc une peine plus lourde.
Honorables sénateurs, le projet de loi reflète clairement et sans équivoque ce degré élevé de « culpabilité morale » dont a parlé le sénateur Lang, puisqu’il est indéniable que le meurtre est le crime le plus réprouvé sur le plan moral en droit canadien. La façon dont un meurtre est commis est l’une des façons dont le droit pénal reflète la notion de réprobation morale.
[ … ]
[ … ] le problème qui se pose et que le projet de loi C-48 vise à régler, c’est que, dans le cadre de la loi en vigueur, la période maximale pendant laquelle une personne déclarée coupable de meurtre au premier ou au deuxième degré peut être empêchée de demander sa libération conditionnelle est de 25 ans, peu importe le nombre de victimes que la personne a faites.
Beaucoup de Canadiens sont perplexes à l’égard de cette situation. Ils ne comprennent pas pourquoi la loi ne peut pas tenir compte, de façon concrète, du fait que plus d’une victime innocente a péri. Ils critiquent avec raison la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle maximale de 25 ans en vigueur à l’heure actuelle, qui est une dévaluation symbolique de la vie des victimes et qui semble offrir un « rabais sur le volume » aux auteurs de meurtres multiples.
Le projet de loi est une réponse à ces critiques. Il est fondé sur le principe selon lequel le meurtre de plus d’une personne fait de son auteur l’objet d’un degré plus élevé de réprobation morale et doit autoriser l’imposition de périodes supplémentaires d’inadmissibilité à la libération conditionnelle.
En somme, le projet de loi prévoit une autre échelle de réprobation morale dans le contexte des meurtres multiples. Il le fait en permettant au juge qui préside au procès de l’auteur de meurtres multiples - et qui est donc la personne la mieux placée pour déterminer le degré de réprobation morale en cause - de décider si une sanction plus sévère doit lui être imposée à partir de critères identiques à ceux qui se trouvent déjà dans le Code criminel. »[327]
[Nos soulignements]
[462] On peut conclure de ce qui précède que le législateur fédéral visait quatre objectifs en adoptant l’article 745.51 C.cr. :
1) favoriser la proportionnalité entre la gravité des crimes et le degré de responsabilité morale plus élevé des auteurs de meurtres multiples[328];
2) s’assurer que ces derniers paient un « juste dû » pour leurs crimes;
3) renforcer l’objectif de dénonciation; et
4) assurer la protection de la société[329].
c) Critères applicables
[463] Les critères dont doit tenir compte le juge d’instance en vertu de l’article 745.51 C.cr. sont pratiquement identiques à ceux énumérés à l’article 745.4 du Code et utilisés pour la détermination de la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle d’une personne reconnue coupable de meurtre au deuxième degré[330].
[464] Les peines consécutives ne sont donc pas mandatoires. Le Tribunal peut même moduler la période totale d’inadmissibilité en déclarant certaines périodes d’inégilibilité prononcées sur certains chefs concurrentes entre elles, mais consécutives à d’autres[331].
[465] Dans l’affaire Koopmans, la Cour suprême de la Colombie-Britannique souligne, sous la plume de l’honorable juge Maisonville, qu’un tribunal ne devrait exercer sa discrétion d’imposer des peines consécutives que dans certains cas particuliers :
“ Considering the comments of Mr. Petit above and the direction in the Code that I must consider parity, I find that a court should exercise its discretion to impose consecutive periods of parole ineligibility greater than 25 years only in certain distinct cases of multiple murders. I must also consider R. v. Shropshire, [1995] 4. S.C.R. 227 of the nature of the offence and the offenders. ”[332]
[466] Traitant du pouvoir judiciaire d’augmentation du temps d’épreuve prévu à l’article 743.6 C.cr., la Cour suprême mentionnait d’ailleurs déjà ce qui suit en février 2003 :
« [ … ] La décision d’augmenter le temps d’épreuve demeure une mesure exceptionnelle, mais elle peut et doit être prise si, une fois que tous les facteurs ont été adéquatement soupesés, elle paraît être requise pour permettre l’infliction d’une sanction parfaitement appropriée dans les circonstances de l’espèce. »[333]
[467] Tout comme pour toute requête logée en vertu de l’article 743.6 C.cr., il incombe au Ministère public de convaincre le juge que les objectifs de la détermination de la peine et les critères énoncés à l’article 745.51 justifient l’imposition de périodes d’inadmissibilité consécutives[334].
[468] Une analyse de la jurisprudence démontre par ailleurs que, de manière générale, l’absence de liens factuel et temporel entre deux ou plusieurs meurtres favorisera l’imposition de peines consécutives[335]. À l’inverse, la preuve de tels liens sera propice au prononcé de sentences concurrentes.
2) L’OPPORTUNITÉ DE L’ANALYSE CONSTITUTIONNELLE
[469] L’article 52 de la Charte canadienne des droits et libertés autorise le contrôle judiciaire de la constitutionnalité de l’ensemble des lois canadiennes. Il incombe donc aux tribunaux d’interpréter et d’appliquer les lois fédérales et provinciales pour s’assurer de leur conformité avec la loi constitutionnelle[336].
[470] Dans leur ouvrage intitulé « Droit constitutionnel », les auteurs Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet expliquent :
« La constitutionnalisation du droit implique donc un transfert du pouvoir de l’État vers le judiciaire. La question de la légitimité du contrôle par les juges des choix démocratiques se pose par conséquent avec une acuité toute particulière lorsqu’il se fait par application de normes plus imprécises et de valeurs plus subjectives, comme celles que véhiculent souvent les chartes des droits modernes. »[337]
[471] Afin de maintenir l’équilibre entre la démocratie parlementaire et l’intervention judiciaire, les tribunaux doivent faire preuve de retenue et n’aborder une contestation constitutionnelle que dans les seuls cas où une telle démarche s’avère essentielle à la résolution du litige[338].
[472] Le Tribunal devra donc d’abord examiner s’il existe, en l’espèce, un fondement factuel justifiant une analyse de la conformité de l’article 745.51 C.cr. avec les articles 7 et 12 de la Charte canadienne[339].
[473] Ainsi, dans l’éventualité où le soussigné serait d’avis que le caractère de l’accusé, la nature des infractions, les circonstances entourant leur perprétation et l’application des principes énoncés aux articles 718 à 718.2 du Code criminel commandent l’imposition de périodes concurrentes d’inéligibilité sur chacun des six premiers chefs d’accusation, il devra s’abstenir, conformément au principe de la retenue judiciaire en matière constitutionnelle, de se prononcer sur la validité constitutionnelle de l’article 745.51 C.cr.
A) La gravité des infractions
[474] Le Tribunal doit infliger à l’accusé une peine qui soit à la fois proportionnelle à la gravité des infractions commises et à son degré de responsabilité.
[475] Comme le soulignent les auteurs Parent et Desrosiers :
« [ … ] la sévérité des peines doit être proportionnelle à la nature des crimes commis (gravité objective) et aux circonstances entourant leur réalisation (gravité subjective). »[340]
[476] La peine maximale permet d’abord de hiérarchiser le crime à sanctionner dans l’échelle de gravité. Plus le crime est sérieux, plus la peine pouvant être infligée par le juge devient importante.
[477] La gravité subjective renvoie pour sa part aux circonstances entourant la commission de l’infraction. La circonstance représente un élément extérieur à l’action qui caractérise sa qualité morale en augmentant ou diminuant sa gravité[341].
[478] Après avoir, dans un premier temps, jaugé la gravité des infractions en cause, il importera d’analyser le degré de responsabilité de l’accusé, seconde variable impliquée dans « l’équation posée par le principe de la proportionnalité »[342].
a) La gravité objective
[479] Le meurtre au premier degré correspond, avec la haute trahison, au pire crime prévu au Code criminel canadien et entraîne obligatoirement pour son auteur une condamnation à l’emprisonnement à perpétuité, pour laquelle le bénéfice de la libération conditionnelle est subordonné à l’accomplissement d’au moins 25 ans de détention. Cette infraction se situe donc au sommet de l’échelle de gravité des peines.
[480] Le crime de tentative de meurtre est passible, quant à lui, de l’emprisonnement à perpétuité. Il appartient donc à cette catégorie d’infractions pour lesquelles la gravité objective est, hormis le meurtre, la plus importante.
b) La gravité subjective
[481] La détermination de la gravité subjective des délits nécessite obligatoirement la prise en considération des circonstances atténuantes et aggravantes propres à leur perprétation et à la situation de l’accusé.
1) Les circonstances aggravantes
[482] Il incombait au Ministère public de démontrer, selon les principes juridiques ordinaires qui régissent les procédures en matière criminelle, tout fait aggravant ou toute condamnation antérieure de l’accusé[343].
[483] En l’espèce, le Tribunal estime que la Couronne a prouvé, hors de tout doute raisonnable, l’existence des 9 facteurs aggravants suivants :
i) La planification et la préméditation
[484] La Couronne plaide que le crime fut longuement prémédité et planifié. La Défense soutient, au contraire, qu’il n’existe aucune démonstration d’un haut degré de préméditation ou de sophistication. La préméditation ne serait, tout au plus, qu’usuelle.
[485] Bien qu’il soit exact d’affirmer que les modalités du crime ne se sont précisées que dans les toutes dernières heures précédant sa commission, le Tribunal retient qu’Alexandre Bissonnette cultivait depuis plusieurs années l’idée d’accomplir un geste d’éclat. Comme il le mentionne d’ailleurs à l’intervenante Cayouette en septembre 2017, il idéalisait les tueurs en série depuis son adolescence. À son copain Jean-François Doherty, il confessa un intérêt semblable pour les tueurs de masse et se déclara fasciné par la personnalité d’Elliot Rodger.
[486] Dès l’année 2015, il fomenta le projet d’éliminer un groupe indéfini de personnes. En décembre 2016, il cibla l’endroit de son crime. Dans les semaines précédant le drame, il effectua quelque 80 recherches Internet sur le Centre culturel islamique de Québec. Des photographies de la Grande mosquée furent d’ailleurs répertoriées par les policiers dans son ordinateur. L’accusé se renseigna également à plusieurs reprises sur diverses armes à feu, tueries de masse et cibles potentielles, sans oublier ses lectures sur différents auteurs d’actes terroristes.
[487] Toujours à la même époque, il réalisa plusieurs recherches sur l’islam et consulta même les heures de prière à la Grande mosquée. Le jour du drame, il fit une douzaine d’investigations Internet sur le Centre culturel islamique et dans l’heure précédant l’attentat, visionna certaines vidéos portant sur l’utilisation du pistolet Glock. Avant de quitter son domicile, il dissimula sa carabine de calibre .223 dans un étui de guitare et camoufla son pistolet 9mm et sept chargeurs de munitions dans son manteau.
[488] On ne saurait, en l’espèce, parler d’un crime commis par impulsivité. Quoique n’étant pas particulièrement alambiqué, le projet d’Alexandre Bissonnette était bien planifié et hautement prémédité. L’accusé connaissait parfaitement l’ampleur et les conséquences des actes qu’il s’apprêtait à poser, ayant prévu, comme il l’avouera à l’enquêteur Girard, de s’enlever la vie par la suite et d’échapper ainsi à toute peine de détention.
[489] La planification témoigne d’un état d’esprit blâmable supérieur auquel le Tribunal doit répondre par l’imposition d’une sentence plus sévère[344].
[490] Certes, les six meurtres au premier degré ont nécessairement été perpétrés avec préméditation et de propos délibéré. Néanmoins, la préméditation particulièrement éminente et la planification soignée du crime devront être fortement considérées par le Tribunal[345].
ii) Le nombre de victimes
[491] Alexandre Bissonnette a causé, en un peu moins de deux minutes, la mort de six personnes et en a blessées grièvement cinq autres.
[492] Trente-cinq autres fidèles, dont quatre enfants, étaient également présents sur les lieux de l’attentat et furent victimes de tentatives de meurtre. Leurs noms figurent au 12e chef d’accusation.
iii) Le lieu de l’infraction
[493] La Couronne insiste, à juste titre, sur le fait que l’attentat a été commis dans un lieu de culte. Comme il en irait pour toute église, synagogue, temple ou autre lieu de prière, le caractère sacré de la Grande mosquée confère aux crimes une coloration particulièrement outrageante.
[494] Lors de son témoignage, Mohamed Labidi explique bien la nature et la vocation d’une mosquée, qu’il décrit comme un « lieu de convergence » où l’on prie Dieu et pratique l’entraide envers les plus démunis. La mosquée était et demeure un lieu de rencontre, de spiritualité et de quiétude. En violant cet espace et en y faisant couler le sang, Bissonnette a foulé aux pieds l’une des valeurs les plus fondamentales de la société canadienne : la liberté de conscience et de religion.
[495] Depuis l’attaque, le nombre de fidèles musulmans fréquentant ce lieu de culte a diminué du tiers, ce qui témoigne bien de la crainte s’étant emparée d’un nombre important d’entre eux depuis ces tristes événements.
iv) La vulnérabilité des victimes
[496] Le Tribunal considère qu’Alexandre Bissonnette a délibérément choisi de s’attaquer à des personnes placées en situation de vulnérabilité. Il est particulièrement scabreux que l’accusé ait entrepris d’achever, tel un tueur à gages, Ibrahima et Mamadou Barry alors que ces derniers gisaient déjà au sol. Non satisfait de les avoir grièvement blessés, il s’approcha d’eux tour à tour pour leur loger une dernière balle dans la tête, et ce, à bout portant[346].
[497] Par ailleurs, l’endroit choisi pour commettre une infraction criminelle peut, à lui seul, divulguer à l’accusé la vulnérabilité de ses victimes. Dans l’arrêt Thompson, l’honorable juge Brooke mentionne :
“ [ … ] This offence involves the invasion of a private home, a place of security, for the purpose of an attack on the person of this woman. In these days of large population, high density living, the people are vulnerable and the law must protect them. In the scale of offences, this offence must be kept in its proper place and the sentence imposed must not be such as will depreciate the respondent's crime. The fitness of the sentence must reflect the need for protection and the complete repudiation by the public of such conduct. ”[347]
[Notre soulignement]
[498] Ainsi, lorsqu’une victime n’est pas en mesure de se défendre convenablement, la gravité subjective du crime croîtra en conséquence[348].
[499] Alexandre Bissonnette a tué et tenté d’éliminer des victimes innocentes, sans arme, réunies dans un but éminemment pacifique. Pris au piège, plusieurs de ces hommes ont trouvé refuge dans le mihrab. Coincés et sans défense, ils ont fait l’objet d’une importante concentration de tirs en leur direction. D’autres fidèles n’ayant pu s’enfuir par la sortie de secours ou se cacher derrière l’une des colonnes de la grande salle ne purent que s’étendre au sol, constituant ainsi une cible facile pour leur agresseur.
v) Le jeune âge de quatre victimes
[500] La Défense reconnaît que quatre enfants mineurs se trouvaient à la mosquée au moment de l’attentat. Trois d’entre eux ont pris la fuite en empruntant la sortie de secours en compagnie d’Ahmed Ech-Chahedy et en courant pieds nus dans la neige. Alors qu’elle se tenait immobile au milieu de la salle, la petite fille de Nizar Ghali fut quant à elle secourue, par monsieur Hakim Chambaz.
[501] Me Gosselin plaide, en référant au rapport d’expertise en balistique[349] et à la photographie numéro 8 de l’album « photos balistique »[350], que les projectiles tirés vers le mur nord de la grande salle ont touché le plancher et ricoché dans les fenêtres par la suite, ce qui contredirait le témoignage de monsieur Ech-Chahedy à l’effet qu’Alexandre Bissonnette aurait tenté de le tuer, de même que les trois enfants l’accompagnant.
[502] Peu importe l’interprétation que l’on puisse donner à la preuve balistique, un fait brutal demeure. Alexandre Bissonnette a tiré à trois reprises en direction du mur nord, et ce, alors que trois bambins tentaient de fuir en compagnie de monsieur Ech-Chahedy.
[503] Ceci dit, le soussigné croit entièrement le témoignage d’Ahmed Ech-Chahedy. En revanche, il estime que l’accusé a menti au policier Girard en lui déclarant « avoir fait attention aux enfants » lors des événements[351]. Qu’il ait directement visé les enfants ou fait feu en leur direction en visant le sol, Bissonnette a, et ce, hors de tout doute raisonnable, mis leur vie en danger et fait montre d’un état d’esprit blâmable extrêmement élevé.
vi) Le degré de violence
[504] Si la violence et, par voie de conséquence, le degré de violence utilisé sont généralement reconnus comme des circonstances aggravantes importantes, le caractère gratuit de cette animosité emporte un niveau de réprobation encore plus élevé[352].
[505] L’aspect particulièrement agressif des gestes posés par Bissonnette amplifie la gravité subjective de ses crimes[353]. Évidemment, il importe ici de distinguer la violence accompagnant les infractions de celle inhérente à leur commission[354].
[506] La preuve démontre que Bissonnette a agi avec calcul, détermination et un sang froid indéniable. Ainsi, lorsque sa carabine semi-automatique s’enraie, il garde son calme et sourit aux frères Barry. S’emparant de son pistolet, il tire d’abord à trois reprises en direction d’Ibrahima, puis deux fois vers son frère Mamadou, neutralisant ainsi ces deux premières victimes. Avec une insensibilité déconcertante, il exécute d’abord Ibrahima d’une balle à la tête. Il se dirige ensuite, sans précipitation aucune, vers Mamadou Barry pour faire de même, quoiqu’avec une efficacité moindre. Mohamed Belkadir précisera en effet à la Cour avoir entendu Mamadou râler dans les minutes suivant l’attentat, alors qu’il recouvrait le corps du malheureux de son propre manteau.
[507] Affichant une parfaite maîtrise de soi, Bissonnette pénètre ensuite dans la mosquée. Sans presser ses gestes, il tire à répétition en direction des fidèles, malgré la présence d’enfants mineurs. Constatant qu’une majorité d’hommes cherchent refuge dans le mihrab ou à proximité du bureau de l’imam, le tueur oriente ses coups de feu dans cette direction. L’insigne violence exercée par l’accusé trouvera son ultime expression dans l’acharnement manifestée à l’égard d’Azzeddine Soufiane et d’Aymen Derbali. Le premier rendra l’âme après avoir reçu cinq projectiles, dont trois tirés alors qu’il était sans défense, étendu au sol et agonisant. Le second survivra miraculeusement aux sept projectiles reçus de l’arme de l’accusé. Bissonnette s’acharnera également sur Aboubaker Thabti en l’éliminant de quatre balles, et sur Mohamed Khabar, en l’atteignant de deux projectiles.
[508] Tout au long de l’agression, Bissonnette prit soin de se replier vers le vestibule pour recharger son pistolet, se mettant ainsi à l’abri d’une contre-attaque éventuelle. Comptant manifestement les coups de feu tirés en vidant son dernier chargeur, il s’assura de conserver une dernière balle pour se donner la mort, ce qui témoigne à la fois d’une totale présence d’esprit et d’une volonté de suivre un plan préétabli.
[509] En tout, 48 douilles de calibre 9mm seront retrouvées par les policiers sur les lieux du crime.
[510] Alexandre Bissonnette a déclaré à l’enquêteur Girard ne pas se souvenir qu’un homme ait tenté de le maîtriser. Cette affirmation ne peut être que mensongère, compte tenu de la description faite par les témoins des événements entourant la mort d’Azzeddine Soufiane et de l’impétuosité affichée par l’accusé à son égard sur l’enregistrement vidéo déposé en preuve.
[511] Bissonnette prétend également avoir délibérément abandonné l’idée d’utiliser sa carabine de calibre .223 pour éviter, dit-il, « de faire du gros dommage ». Voilà certes un autre exemple de tentative de manipulation. D’abord, il est choquant de constater que le délinquant feint d’ignorer l’ampleur du désastre qu’il a lui-même provoqué. De plus, la preuve balistique démontre, hors de tout doute raisonnable, que la balle retrouvée dans l’arme semi-automatique a été percutée. L’accusé a donc manifestement tenté de s’en servir, sans succès.
[512] La violence débridée dont a fait preuve Alexandre Bissonnette le 29 janvier 2017 transcende l’emploi de la force nécessaire à la commission des infractions de meurtre et de tentative de meurtre. En conséquence, elle sera considérée comme une importante circonstance aggravante dans la présente affaire.
vii) Les motivations du crime
[513] L’article 718.2 comprend une liste non exhaustive de principes secondaires de détermination de la peine. Il prévoit notamment l’examen des circonstances aggravantes ou atténuantes de l’affaire en litige, les principes de parité et de totalité et la nécessité d’envisager « toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances »[355].
[514] La disposition législative précitée spécifie notamment la prise en compte des deux circonstances aggravantes suivantes :
718.2 Principes de détermination de la peine -
Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants :
a) la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant; sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant;
i) que l’infraction est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que la race, l’origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, la déficience mentale ou physique, ou l’orientation sexuelle,
[ … ]
v) que l’infraction perpétrée par le délinquant est une infraction de terrorisme;
[Nos soulignements]
[515] Depuis toujours, la common law manifeste une répugnance particulière pour les crimes fondés sur les caractéristiques propres de la personne humaine. La motivation du contrevenant est ici capitale; les préjugés ou la haine doivent avoir gouverné la conduite délictuelle. Il n’est pas suffisant, pour la poursuite, de démontrer que l’accusé nourrissait des préjugés ou de la haine à l’égard d’une victime pour des motifs fondés sur des éléments tels que la race, l’origine ethnique, la couleur ou la religion.
[516] En l’espèce, il incombait au Ministère public de prouver, hors de tout doute raisonnable, que les 46 victimes avaient été particulièrement ciblées en raison d’une ou plusieurs de leurs caractéristiques propres énoncées à l’article 718.2[356]. Cette dernière disposition reflète l’attachement des Canadiens pour le caractère pluraliste et multiculturel de leur société.
[517] Dans l’arrêt R. v. Woodward, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique rappelle à cet égard :
“ [ … ] Not only do we abhor violence, we particularly abhor it being gratuitously directed at someone solely because of his or her personal characteristics, such as race, religion, sexual orientation, etc. Such conduct is antithetical to our collective beliefs. ”[357]
[518] Les crimes haineux ou fondés sur des préjugés sont particulièrement pernicieux pour les victimes qui en font directement les frais. Ils le sont aussi pour la communauté à laquelle appartiennent ces dernières et, de manière plus générale, pour l’ensemble de la société. Le soussigné fait siens les propos de l’honorable juge Dzenick, de la Cour provinciale de l’Alberta :
“ I also wish to comment briefly on the nature of hate crime and how it impacts not only the individual complainant. I found an excerpt from the Crown Policy manual from the Province of Ontario. And it neatly summarizes the reasons why there’s a strong public interest in denunciation of hate crime.
So firstly, there is the impact on the individual. Hate crimes have a tremendous impact on the individuals who are victimized. In addition to the psychological and emotional harm caused by hate crime and its repercussions on identity and feelings of self-worth of the victim, the degree of violence involved in hate-motivated offences is normally much more extreme than in non-hate crimes.
Secondly, impact on the target group. Hate crime has a general terrorizing effect on the target group to which the victim belongs, because its occurrence makes them all feel vulnerable to victimization.
Thirdly, impact on other vulnerable groups. Hate crimes have a negative impact on other vulnerable groups that share minority status or identify with the targeted group, especially if the hate motivation is based on an ideology or a doctrine that covers a number of groups that live within the community.
And fourthly, impact on the community as a whole. This perhaps is the greatest evil of hate crime. Hate crime can end up dividing people in society. In a multicultural society like Canada, where all groups are to live together in harmony and equality, hate crime is an anathema.
Any occurrence of hate crime is a negation of the fundamental values of Canada. ”[358]
[519] En l’espèce, le Tribunal conclut que les crimes commis par Alexandre Bissonnette étaient véritablement motivés par des préjugés fondés sur la race, l’origine ethnique et la religion des victimes au présent dossier. Ils étaient au surplus motivés par une haine viscérale à l’égard des immigrants de confession musulmane.
[520] Ce constat repose sur divers éléments. Premièrement, le contrevenant avait affirmé à son ami Jean-François Doherty que le Canada devrait bannir les immigrants provenant de pays dangereux, de crainte que des terroristes ne se glissent parmi eux.
[521] Également, la violence extrême déployée à la Grande mosquée et, de façon plus particulière, à l’égard des frères Barry, d’Azzeddine Soufiane et d’Aymen Derbali, trahit chez son auteur une aversion pathologique et inextinguible pour les musulmans.
[522] Troisièmement, tel que déjà mentionné, le lieu du crime confère aux infractions perpétrées un caractère profanateur et témoigne d’une haine insondable pour l’islam.
[523] Quatrièmement, Bissonnette a confié à madame Guylaine Cayouette regretter de ne pas avoir exterminé davantage de personnes lors de l’attentat. Ces propos, tenus quelque huit mois après les événements, démontrent que l’intolérance et le racisme sont profondément ancrés dans l’esprit et le cœur de cet individu.
[524] De plus, le Dr Sylvain Faucher, expert pour la Défense, convient que le détenu entretient « définitivement » des préjugés racistes, quoiqu’on ne puisse le qualifier de « suprémaciste ». Son confrère, le psychiatre Gilles Chamberland, confirme pour sa part que les crimes abominables dont doit aujourd’hui répondre l’accusé Bissonnette étaient « totalement empreints de racisme ».
viii) Séquelles physiques et psychologiques des victimes de tentative de meurtre
[525] L’importance des atteintes à l’intégrité physique ou psychologique des victimes des tentatives de meurtre représente un facteur particulièrement aggravant dans la présente affaire. La sanction devra refléter la détresse physique et mentale affligeant encore nombre d’entre elles.
[526] Aymen Derbali est désormais tétraplégique. Sa vie s’est transformée en combat perpétuel contre la souffrance physique et la douleur morale.
[527] Said El Amari a été dans le coma pendant près d’un mois et hospitalisé une soixantaine de jours. Il a subi d’importantes blessures au pancréas, au foie, à l’aorte et aux intestins, sans compter une réaction allergique fulgurante l’ayant directement conduit à l’unité des grands brûlés.
[528] Said Akjour, atteint d’une balle à l’épaule gauche, éprouve encore aujourd’hui des douleurs récurrentes.
[529] Le barbier Mohamed Khabar a dû renoncer à son métier et aux sports, sa jambe blessée ne pouvant plus le supporter adéquatement.
[530] Nizar Ghali compose, jour après jour, avec des douleurs au ventre et au dos qui affectent grandement son sommeil.
[531] Le Tribunal a entendu beaucoup d’hommes qui ont été présents sur les lieux de la tragédie. Plusieurs de ces témoignages ont déjà fait l’objet d’un résumé. Il appert que tous ceux présents au Centre culturel islamique de Québec lors de l’attentat ont été psychologiquement affectés à divers degrés. Ce constat n’est d’ailleurs aucunement remis en cause par la Défense.
[532] Le soussigné estime que la quasi-totalité des victimes vit encore quotidiennement avec des sentiments de peine, de peur, de désarroi et d’hypervigilance. Plusieurs craignent de pratiquer librement leur religion à la mosquée ou de faire éventuellement l’objet de discrimination, voire d’animosité, de la part de leurs concitoyens québécois. Cette suspicion pousse même certaines d’entre eux à envisager un déménagement, à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières canadiennes.
ix) Séquelles subies par les proches et la société
[533] Encore récemment, la Cour suprême rappelait que les séquelles subies par les proches des victimes peuvent constituer un facteur aggravant[359].
[534] Face à la douleur et aux pertes subies par les familles des victimes, le Tribunal ressent un profond sentiment d’impuissance. Aucune sentence ne ramènera parmi nous Ibrahima et Mamadou Barry, Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Azzeddine Soufiane et Aboubaker Thabti. Aucune peine d’emprisonnement, quelle qu’en soit la durée réelle, ne versera un baume sur les cœurs affligés de leurs êtres chers, condamnés qu’ils sont par Alexandre Bissonnette à vivre dans le deuil et le chagrin jusqu’à leur dernier souffle.
[535] Il serait à la fois vain et présomptueux d’espérer traduire en quelques lignes l’affliction morale qui torture, jour après jour, les proches des disparus. Le soussigné a résumé plus haut certains des témoignages émanant des membres des familles endeuillées. Tous, sans exception, ont profondément ému le Tribunal et attesté des sentiments de tristesse et de désespoir qui hantent encore et toujours les six veuves et sept orphelins qu’Alexandre Bissonnette a laissés derrière lui, de même que les épouses et enfants de ceux qui ont failli perdre la vie le soir de cette indicible tragédie. Tous, sans exception, ont cependant mis en lumière la remarquable capacité de résilience de l’être humain, ainsi que leur foi profonde en Dieu et en l’avenir.
[536] Ces souffrances, ces sentiments de peur, de néant, d’angoisse et parfois même de révolte ont bien été compris du soussigné. Ils seront, eux aussi, pris en considération dans l’imposition de la peine.
[537] La communauté musulmane, la Ville de Québec et le pays tout entier conservent de profondes cicatrices de ces événements. Comme le souligne à juste titre le procureur du Ministère public, cette haine a généré des dommages dont on ne peut encore évaluer pleinement la nature et la portée. Un fait demeure. La forte médiatisation de cette tragédie, quoique nécessaire, a marqué de nombreux esprits et généré crainte et suspicion chez nombre de nos concitoyens. Par leur violence et leur caractère haineux, les crimes commis par Alexandre Bissonnette ont foulé aux pieds plusieurs valeurs fondamentales de notre société libre et démocratique, tels les droits à la liberté de conscience et de religion, à la liberté de croyance, à l’égalité ainsi qu’à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne.
x) Le manque d’empathie pour les victimes (non)
[538] Le Ministère public plaide qu’Alexandre Bissonnette ne se préoccupe des répercussions de ses crimes que pour lui-même et les membres de sa famille et qu’il n’éprouverait, en conséquence, aucune empathie ou autre forme de considération pour les victimes et leurs proches.
[539] Il est vrai que le psychologue Lamontagne qualifie la capacité de compassion de l’accusé de « très limitée ». Le Tribunal ne peut cependant faire abstraction des propos tenus par Bissonnette le 28 mars 2018, suite à sa déclaration de culpabilité sur chacun des 12 chefs d’accusation :
« [ … ] j’aimerais vous dire à vous, Monsieur le juge, et à tous qu’à chaque minute de mon existence, je regrette amèrement ce que j’ai fait, les vies que j’ai détruites, la peine et la douleur immense que j’ai causées à tant de personnes, sans oublier les membres de ma propre famille. »
[540] Deux mois plus tard, alors qu’il était invité, par le soussigné, à présenter ses observations conformément à l’article 726 C.cr., Bissonnette ajouta :
« [ … ] je regrette que ma vie a[sic] été la cause de tant de souffrance et de peine pour tant de personnes. »
[541] Qualifiant l’accusé de manipulateur et de menteur, la Poursuite rappelle qu’il a menti à diverses reprises dans le passé, dont notamment à ses propres parents, au répartiteur du service d’urgence 911, de même qu’aux psychiatres Sylvain Faucher et Sébastien Proulx en rapportant de fausses hallucinations auditives. En somme, le Tribunal ne devrait accorder aucune crédibilité aux propos tenus par le délinquant.
[542] Avec égard, le soussigné a observé attentivement Alexandre Bissonnette lors des deux déclarations précitées, ne prenant délibérément aucune note pour s’en remettre éventuellement à l’enregistrement des débats. S’adressant directement au Tribunal, sans détourner les yeux, Bissonnette s’est exprimé avec une émotion qui ne pouvait être feinte. Certes, son empathie ne peut être qualifiée de parfaite et se manifeste prioritairement à l’égard des membres de sa famille. L’accusé n’en demeure pas moins conscient, jusqu’à un certain degré, des vies détruites et de la douleur qu’il a causée aux proches des victimes.
[543] Le Tribunal rappelle qu’il incombe au Ministère public de prouver, hors de tout doute raisonnable, l’existence de toute circonstance aggravante qui devrait être prise en compte à l’étape du prononcé de la peine. La Poursuite n’a pas rempli son fardeau de preuve sur cet élément du dossier, de sorte qu’il ne sera pas considéré à titre de facteur aggravant.
xi) L’infraction de terrorisme (non)
[544] Bien que la Couronne n’ait pas, à juste titre, prétendu que les crimes équivalaient à un acte terroriste, le soussigné estime à propos, compte tenu des circonstances très particulières de la présente affaire, d’expliquer brièvement pour quelles raisons les gestes d’Alexandre Bissonnette ne peuvent être assimilés à de tels actes.
[545] D’abord, il n’existe, à la connaissance du Tribunal, aucune décision judiciaire où le terrorisme aurait été considéré comme facteur aggravant dans un contexte où aucune accusation en ce sens n’aurait été préalablement portée en vertu de la partie II.1 du Code criminel.
[546] L’article 83.01 du Code criminel définit l’activité terroriste comme un acte commis à la fois au nom d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique, en vue d’intimider tout ou partie de la population quant à sa sécurité ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir.
[547] Les gestes délictuels doivent donc, pour être qualifiés de « terroristes », avoir été perpétrés dans le but de promouvoir un objectif ou une cause de nature politique, religieuse ou idéologique[360].
[548] En l’espèce, l’expert Lamontagne rapporte que l’accusé entretenait des fantasmes grandioses et souhaitait accomplir un coup d’éclat pour ne pas tomber dans l’oubli. Le psychologue mentionne : « Il ne voulait pas se gaspiller en se contentant de se suicider ». Ainsi, Bissonnette rêvait, du moins pour les derniers instants de sa vie, d’être comme « Dieu » et d’exercer un pouvoir de vie ou de mort sur les autres. Pour monsieur Lamontagne, la cause première du passage à l’acte est le désespoir et non la promotion d’une idéologie particulière.
[549] Le Dr Gilles Chamberland partage ce point de vue et conclut qu’Alexandre Bissonnette a tué 6 personnes et tenté d’en abattre 40 autres pour des fins strictement personnelles et non idéologiques.
[550] L’ensemble de la preuve corrobore l’opinion exprimée par ces deux experts. Un nombre important de sites Internet consultés par l’accusé au cours du mois de janvier 2017 traitent de féminisme, de mouvements féministes, de tueries dans des écoles, centres commerciaux et aéroports. De surcroît, il convient de rappeler que l’accusé se présenta à un centre commercial bien connu le 26 novembre précédent dans l’intention d’occire un maximum de personnes, indépendamment de leur race, origine ethnique, langue, couleur, religion, sexe, âge, déficience mentale ou physique ou orientation sexuelle.
[551] Pour ces motifs, le Tribunal estime que les actes posés par l’accusé le 29 janvier 2017 ne peuvent être qualifiés de « terroristes ».
2) Les circonstances atténuantes
[552] L’établissement de circonstances atténuantes favorise un allègement de la peine.
[553] Il appartient à la Défense d’établir, par prépondérance de preuve, l’existence de tout facteur susceptible de mitiger la gravité des infractions commises[361].
i) Absence d’antécédent judiciaire
[554] Alexandre Bissonnette n’a aucun antécédent judiciaire. Ce facteur tend à démontrer que l’accusé s’est généralement gouverné, du moins jusqu’au 29 janvier 2017, en respectant la loi et des valeurs prosociales.
ii) Collaboration avec les autorités
[555] En second lieu, il convient de souligner la collaboration dont a fait montre l’accusé avec les autorités policières, et ce, dès les instants suivant la perprétation des infractions. Bissonnette a lui-même communiqué avec le service d’urgence 911 à 20 h 09 et s’est immédiatement identifié comme « le tireur de la mosquée ». Il s’est plié aux demandes du préposé téléphonique et a patienté, pendant près d’une cinquantaine de minutes, avant qu’on ne procède finalement à son arrestation.
[556] Le lendemain matin, le contrevenant fournissait une déclaration incriminante à l’enquêteur de la Sûreté du Québec et remettait lui-même, quelques jours plus tard, son mot de passe d’ordinateur pour en faciliter l’extraction des données.
[557] N’ayant subi aucune enquête préliminaire en raison du dépôt d’un acte d’accusation direct, Bissonnette a plaidé coupable aux accusations portées contre lui sans qu’aucun témoin ne soit entendu, évitant ainsi la tenue d’un long et coûteux procès et épargnant aux familles des défunts, multiples victimes de tentative de meurtre et leurs proches d’avoir à revivre ce drame dans le cadre d’une procédure contradictoire et de composer avec l’incertitude d’un verdict éventuel.
[558] À défaut d’indiquer une amorce de réhabilitation, cette collaboration témoigne à tout le moins chez son auteur d’une conscientisation de ses responsabilités et d’une reconnaissance du tort causé aux victimes et à la société, objectif pénologique visé par le paragraphe 718(f) du Code criminel.
iii) Les plaidoyers de culpabilité
[559] Bissonnette a plaidé coupable aux 12 chefs d’accusation portés contre lui. Comme l’expliquent les auteurs Parent et Desrosiers, « le bénéfice accordé à la personne qui admet sa culpabilité repose sur la présence de remords [ … ] ou sur la contribution à une saine administration de la justice [ … ] ».
[560] Généralement perçu comme un premier indice de réhabilitation, le plaidoyer de culpabilité est « un facteur à géométrie variable »[362]. Sa valeur est indéniable lorsque la preuve à charge est problématique. En renonçant à sa présomption d’innocence, à son droit au silence et aux moyens de défense qu’il aurait pu faire valoir, l’accusé manifeste, dans de tels cas, une indéniable acceptation de sa responsabilité criminelle. En revanche, la valeur d’un tel aveu judiciaire diminuera sensiblement quand la preuve de la poursuite est écrasante.
[561] Dans son ouvrage intitulé « Sentencing », l’auteur Clayton Ruby mentionne :
“ A guilty plea is a mitigating factor. Failure to give sufficient weight to a guilty plea is an error in principle. The rationale for this is that the guilty plea frequently « is a genuine demonstration of remorse and a positive step towards rehabilitation. Even where remorse is not genuine, the guilty plea is still a mitigating factor because it saves valuable judicial resources. A guilty plea also eliminates the uncertainties inherent in the trial process.
[ … ]
The traditional rationale for this mitigation is the notion of remorse, but remorse can easily be fictional. This rationale encourages courts to evaluate the circumstances to see whether and to what extent remorse truly actuates the plea, and thus deserves mitigating effect. [ … ] ”[363]
[562] La Couronne plaide qu’on ne devrait accorder qu’une valeur relative aux 12 plaidoyers de culpabilité, ces derniers ayant été enregistrés tardivement[364] et en réaction à une preuve accablante[365].
[563] Certes, une reconnaissance de culpabilité à la première opportunité comporte une plus grande valeur atténuante. En l’espèce, pour des raisons n’ayant pas fait l’objet d’explications détaillées, les avocats de l’accusé n’ont reçu le rapport écrit de leur dernier témoin expert que 24 ou 48 heures avant le début du procès. L’accusé n’a pu en prendre connaissance et en discuter avec ses procureurs qu’au cours de la matinée du 26 mars 2018. Quelques heures, plus tard, soit en début d’après-midi, il enregistrait ses plaidoyers de culpabilité devant la Cour.
[564] Considérant l’importance des accusations auxquelles il faisait face, on ne saurait blâmer Bissonnette d’avoir attendu de connaître les conclusions du Dr Marie-Frédérique Allard avant de prendre une décision. Après tout, tout plaidoyer de culpabilité doit être enregistré volontairement et en toute connaissance de cause[366].
[565] De même, bien que l’accusé n’ait jamais nié l’élément matériel des infractions commises, il serait exagéré d’affirmer que la preuve du Ministère public était accablante quant à leur mens rea, ou élément mental. N’eut été des opinions d’expert fournies par les docteurs Sylvain Faucher et Marie-Frédérique Allard, l’état mental d’Alexandre Bissonnette aurait pu faire l’objet d’un débat prévisible. Plusieurs éléments de preuve pouvaient soulever des interrogations à cet égard, dont notamment les propos tenus par le délinquant au répartiteur du service d’urgence et à l’enquêteur Sylvain Girard.
[566] La non-responsabilité criminelle pour troubles mentaux représente un domaine du droit complexe, même pour les spécialistes, et particulièrement obscure pour des jurés qui, tâche combien ingrate, doivent se familiariser en quelques semaines avec le jargon des psychiatres et avocats pour décider du sort d’un accusé.
[567] Plutôt que de tenter de convaincre un jury, par prépondérance de preuve, qu’il était atteint de troubles mentaux le rendant incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes ou de savoir que ceux-ci étaient mauvais, Bissonnette a préféré reconnaître sa culpabilité aux infractions reprochées. Ses plaidoyers de culpabilité seront donc également considérés comme une circonstance atténuante dans le présent dossier.
iv) Les remords exprimés
[568] Dès l’enregistrement de ses plaidoyers, Alexandre Bissonnette a exprimé ses remords devant le Tribunal. Il déclara notamment :
« J’aimerais pouvoir vous demander pardon pour tout le mal que je vous ai fait, mais je sais que mon geste est impardonnable. Si, au moins, en plaidant coupable, je peux faire un peu de bien dans tout ça, bien alors, ça sera déjà ça de fait. »
[569] Pour les motifs exprimés précédemment, le Tribunal croit en la sincérité de cette contrition et en fera bénéficier l’accusé dans la détermination de sa peine.
v) La vulnérabilité de l’accusé
[570] Bien que la vulnérabilité de l’accusé ne puisse, à elle seule, occulter son état d’esprit blâmable, elle entraînera généralement l’imposition d’une sanction moins sévère, particulièrement pour les délinquants sans antécédent judiciaire[367].
[571] Bissonnette a fait l’objet d’intimidation pendant une bonne partie de son parcours scolaire. Fréquemment molesté et ridiculisé par ses pairs, on le tenait à l’écart du groupe, limitant ainsi sa vie sociale à son frère jumeau.
[572] Sans prétendre, comme l’affirme son avocat, que « cette intimidation a forgé l’homme qu’il est devenu », on ne saurait nier qu’elle n’en a pas moins influencé son développement de façon significative, le rendant ainsi fragile à la critique et aux émotions.
[573] Son enfance et son adolescence furent marquées par le rejet, l’isolement, la crainte et l’insécurité. Les choses ne s’améliorèrent guère par la suite. Alors qu’il fréquentait le Cégep, Alexandre Bissonnette se sentait déprimé et nostalgique de sa petite enfance. En outre, il craignait de vieillir et d’aborder les responsabilités et obligations incombant à tout adulte accompli.
[574] L’accusé conserve toujours, malgré ses 30 ans, une grande dépendance affective à l’égard de ses parents. S’inquiétant de ce que ces derniers pourraient penser de lui suite à la commission de ces crimes, il simula pendant quelques mois des symptômes psychotiques, non pas tant pour se prévaloir d’une défense de non-responsabilité criminelle pour troubles mentaux que pour faire accepter à ses père et mère les gestes qu’il avait posés.
[575] Depuis l’âge de 16 ans, il songe à répétition au suicide. Il fit même quelques tentatives, somme toute assez primaires, en ce sens. Après la commission de l’attentat, il envisageait se rendre dans un boisé du comté de Charlevoix pour mettre fin à ses jours. Immobilisé en bordure de l’autoroute 40, il exprima à plusieurs reprises au répartiteur des services d’urgence son intention de passer à l’acte. Depuis le début de son incarcération, ses idées suicidaires sont toujours récurrentes.
[576] Commentant la personnalité de l’accusé, le psychiatre Faucher le décrit comme « une personnalité fragile » craignant la critique et gérant difficilement ses émotions.
[577] Le simple statut de « souffre-douleur » à l’école primaire et secondaire ne peut être considéré comme une circonstance atténuante[368]. En revanche, la vulnérabilité intrinsèque de l’accusé doit être reconnue comme facteur mitigeant.
vi) L’état mental de l’accusé
[578] La santé mentale du contrevenant joue un rôle important dans le processus de fixation de la peine. Toute omission d’analyser cet élément entraînera inévitablement l’intervention d’un tribunal d’appel[369]. Dans l’arrêt Antonelli[370], l’honorable Marie-France Bich j.c.a. précise en effet :
« La jurisprudence reconnaît en effet qu’il doit, au stade de l’imposition de la peine, être tenu compte des problèmes de santé mentale du délinquant, du moins lorsque ses problèmes, même s’ils ne résultent pas en une déresponsabilisation pénale, ont affecté la commission du crime ou joué un rôle dans cette commission ou que, tenant compte de cette santé mentale, la peine serait d’une sévérité excessive. »[371]
[579] L’accusé souffrant de troubles mentaux ayant contribué à la commission des infractions criminelles pour lesquelles il a plaidé coupable ou rendant la sanction projetée d’une sévérité excessive verra l’importance des critères de dénonciation et dissuasion grandement diminuée :
« Ainsi, les notions de dissuasion et de réprobation joueront un rôle fort atténué sinon nul dans le cas du contrevenant atteint de troubles mentaux, que ceux-ci aient ou non ouvert la porte à une défense de cette nature. De la même manière, l’objectif de réhabilitation ne sera pas plus atteint par l’imposition d’une peine selon les critères habituels. En ce sens, il est essentiel que le juge d’instance prenne en considération la santé mentale du contrevenant au moment de la détermination de la peine. »[372]
[580] Traitant des troubles de l’humeur, les auteurs Parent et Desrosiers écrivent :
« S’agissant d’une maladie qui affecte l’humeur du délinquant - et non pas son rapport avec la réalité - la dépression n’est généralement pas suffisante pour entraîner un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux (NRCTM). Et pourtant, cette maladie affecte bel et bien le comportement de l’individu. Elle plonge ce dernier dans la tristesse et l’abattement, la morosité et le chagrin. Dans ce naufrage de l’âme et du corps, de l’esprit et de la matière, l’individu s’engouffre dans les profondeurs de la misère intérieure; il sombre dans l’obscurité d’une détresse si froide et si profonde qu’elle pousse certaines personnes à commettre l’impensable [ … ] [373]
[ … ]
Compte tenu de son impact tangible sur le jugement de l’individu, des traitements disponibles, des chances élevées de réhabilitation et du faible taux de récidive, la dépression, comme plusieurs autres maladies d’ailleurs [ … ] constitue un facteur atténuant au point de vue de la détermination de la peine [ … ] »[374]
[581] La preuve entendue sur sentence démontre, par prépondérance, qu’Alexandre Bissonnette est fréquemment sujet à des crises d’anxiété et symptômes dépressifs depuis la fin de son cours primaire. Dès l’âge de 16 ans, il songe au suicide et commence à prendre des antidépresseurs sur prescription médicale. Après une ou deux années de répit, ses idées suicidaires refont surface.
[582] Il débute un programme universitaire en anthropologie qu’il abandonne rapidement pour s’inscrire en sciences politiques, sur les conseils de son frère.
[583] Au printemps 2014, Bissonnette développe une fixation sur Elliot Rodger, le tueur de masse californien. Dévorant toute information disponible à son sujet, il s’identifie rapidement à cet individu. Suite à une tentative de suicide avortée, il décide, en août 2014, qu’il éliminera d’abord d’autres personnes avant de s’enlever la vie.
[584] Dès la fin du mois d’octobre, Bissonnette commence progressivement à acquérir diverses armes à feu.
[585] En février 2016, il songe à commettre une tuerie à l’Université Laval ou dans un centre commercial. En juillet suivant, il décide qu’il s’en prendra plutôt à des terroristes.
[586] Le 26 novembre 2016, l’accusé se rend au centre d’achats auquel nous avons déjà fait référence en vue d’y assassiner un maximum de personnes, mais s’abstient finalement de passer à l’action. Dans les semaines qui suivent, il se persuade que la Grande mosquée de Québec est fréquentée par des fanatiques religieux.
[587] En janvier 2017, il est placé en arrêt de travail pour troubles anxieux. Comme il se sent particulièrement mal depuis l’automne 2016, son médecin lui substitue du Paxil en remplacement d’un autre antidépresseur.
[588] En proie à des troubles d’anxiété et de dépression, Bissonnette se rend à la Grande mosquée de Québec le 29 janvier 2017, à 19 h 54, et y abat 11 personnes. Six d’entre elles rendront l’âme. S’immobilisant par la suite en bordure de l’autoroute 40 à proximité du pont de l’Île d’Orléans, l’accusé s’entretient avec le répartiteur des services d’urgence et tient des propos suicidaires. Le lendemain, il pleure devant l’enquêteur qui l’interroge et répète vouloir mourir. Il ajoute qu’il voulait, par son action, sauver ses concitoyens d’éventuelles attaques terroristes. Il se dit convaincu que des terroristes s’en prendront éventuellement à sa famille et qu’il lui fallait agir. Il considère donc son action justifiée.
[589] Le 28 juillet 2017, le Dr Brassard-Lapointe note chez Bissonnette une symptomatologie anxieuse mixte, des préoccupations hypocondriaques et une problématique de consommation d’alcool datant de plusieurs années.
[590] Le 20 septembre suivant, le délinquant déclare à l’intervenante Cayouette qu’il aurait pu tuer n’importe qui, qu’il ne visait pas spécifiquement des musulmans et qu’il recherchait simplement la « gloire ».
[591] L’expert Marc-André Lamontagne, psychologue, fait état d’une omniprésence de problèmes de santé mentale chez l’accusé. Depuis l’âge de 16 ans, celui-ci doit faire face à des symptômes dépressifs et anxieux, des attaques de panique, un trouble d’anxiété généralisé, du stress, etc. L’expert précise qu’en dépit d’une évidente surestimation de soi et la présence d’éléments de duperie, dont la simulation de symptômes psychotiques représente la démonstration la plus flagrante, Bissonnette n’éprouve aucun problème de psychopathie ou de personnalité antisociale. Il cultive une image à la fois négative et grandiose de sa personne. Il est sujet « au pessimisme, à la honte, à des sentiments d’infériorité, à la nervosité, à la tension et aux idées suicidaires ».
[592] Le psychiatre Sylvain Faucher rapporte que les gestes délictuels s’expliquent par « une quête de pouvoir visant à combler un sentiment d’échec ». Son collègue et expert pour le Ministère public, le Dr Gilles Chamberland, partage cette opinion. Selon le Dr Faucher, Alexandre Bissonnette souffre d’« un trouble anxieux non spécifique comportant des éléments obsessifs-compulsifs et d’anxiété généralisée, un mode de fonctionnement général s’apparentant principalement à la personnalité narcissique, mais aussi dépendante, et la présence certaine d’un trouble lié à l’usage de l’alcool ».
[593] Le Dr. Marie-Frédérique Allard corrobore ce diagnostic et ajoute que l’accusé s’était convaincu que les hommes fréquentant le Centre culturel islamique de Québec étaient des terroristes. Cette distorsion cognitive lui a servi de justification et permis de rationaliser ses gestes.
[594] Le Dr. Allard ajoute que malgré les symptômes psychotiques qu’il a simulés au cours des premiers mois de son incarcération, l’accusé n’est pas un menteur pathologique. Il souffre toujours, à ce jour, d’un trouble anxieux non spécifié, de troubles obsessionnels-compulsifs et d’hypocondrie.
[595] Essentiellement, le Dr. Chamberland partage l’analyse de ses confrères, mais se dit « frappé par la structure limite de la personnalité de l’accusé ». Entend-il vraiment par là que ce dernier souffrirait d’un trouble de personnalité « limite »? Réfère-t-il plutôt à des traits de personnalité? La Cour l’ignore et l’expert ne fournit pas davantage d’explications sur le sujet. Il convient cependant de noter que le Dr. Chamberland n’a pas pris connaissance de l’ensemble du dossier et qu’il n’a rencontré Alexandre Bissonnette qu’à une seule reprise, la veille de son témoignage. De son propre aveu, cette entrevue ne lui a apporté aucun « élément nouveau ». Il convient, cependant, que les expertises fournies par les témoins Lamontagne, Faucher et Allard ont été réalisées dans les règles de l’art.
[596] Prenant en considération l’ensemble de la preuve, le Tribunal juge que la Défense a démontré, par balance des probabilités, qu’Alexandre Bissonnette souffrait de troubles mentaux le 29 janvier 2017 et que ceux-ci ont joué un rôle dans la commission de ses crimes. Bien qu’insuffisants pour le déclarer criminellement non-responsable des gestes posés, ils représentent une circonstance atténuante significative qui influera sur la sanction.
vii) Le support familial
[597] Quoiqu’aucune preuve spécifique n’ait été produite quant à la qualité du support familial dont pourrait jouir l’accusé, le Tribunal répute pour établi qu’Alexandre Bissonnette bénéficie d’un excellent appui de ses parents. Le 20 septembre 2007, le délinquant mentionnait d’ailleurs à madame Guylaine Cayouette avoir annoncé à son avocat et à ses père et mère qu’il entendait plaider coupable aux accusations et que ces derniers le supportaient dans cette décision.
[598] Par ailleurs, le soussigné n’a pas été sans noter la présence discrète, mais constante, du père de l’accusé dans la salle d’audience tout au long des procédures, et ce, dans un contexte particulièrement difficile. La mère d’Alexandre Bissonnette s’est également présentée à plusieurs reprises pour soutenir son fils. Le Tribunal ne peut que s’incliner devant une telle démonstration d’amour, de dévouement, de loyauté et de courage. Nul doute que le soutien et l’encouragement qu’ils continueront de fournir à leur fils constitueront, pour celui-ci, un puissant incitatif à entreprendre les démarches nécessaires à sa réhabilitation.
viii) Les perspectives de réhabilitation
[599] Les quatre experts reconnaissent qu’il est particulièrement difficile d’évaluer le potentiel de réhabilitation d’un individu à long terme. Nul ne peut prédire avec certitude comment évoluera l’accusé au cours des 25 prochaines années.
[600] Prenant en considération que le détenu bénéficiera d’une période de temps appréciable pour suivre divers programmes, qu’il est intelligent, qu’il n’est pas psychopathe, qu’il ne présente aucune personnalité antisociale et qu’il n’est généralement pas impulsif, le psychologue Lamontagne estime possible de maîtriser le risque que représente aujourd’hui l’accusé pour la société afin qu’il puisse un jour réintégrer cette dernière.
[601] Le Dr Faucher note chez Bissonnette un certain cheminement depuis le début de son incarcération. Lors des rencontres qu’il a eues avec lui en décembre 2017 et mars 2018, l’accusé ne cherchait plus à camoufler sa responsabilité criminelle. Le fait qu’il ne véhicule aucune idéologie particulière constitue un élément positif pour le pronostic. Néanmoins, il demeure délicat de prédire dans quelle mesure on parviendra à contrôler ses troubles anxieux.
[602] Le Dr Marie-Frédérique Allard est plus optimiste. Alexandre Bissonnette est capable d’empathie envers ses proches et désormais apte, dans une certaine mesure, à percevoir la souffrance qu’il a causée aux victimes. Il pourra progresser davantage au pénitencier, grâce aux divers programmes y étant offerts. Il ne minimise aucunement l’importance du trouble mental dont il souffre ni son problème de consommation d’alcool. Il reconnaît avoir besoin d’aide et possède le potentiel nécessaire pour se réhabiliter.
[603] Le Tribunal tient à souligner la qualité et la rigueur des expertises lui ayant été transmises. Malgré la difficulté de prédire l’évolution de l’accusé à long terme, il estime que ce dernier présente certaines perspectives de réhabilitation et une disposition à recevoir l’aide de professionnels.
ix) Le risque de récidive
[604] La Cour doit évaluer le risque de récidive posé par Alexandre Bissonnette suite à la commission d’un acte isolé, mais d’une violence démesurée. Cette tâche est d’autant plus ingrate que l’accusé ne deviendra éligible, au plus tôt, à une libération conditionnelle que dans 25 ans.
[605] Tandis que le Dr Faucher évalue de « faible à modéré » le risque que l’accusé ne commette à nouveau un acte violent, les experts Lamontagne et Allard le qualifient plutôt de « modéré ». Bien qu’un acte unique suggère généralement un faible risque de récidive[375], le soussigné ne peut oublier les répercussions désastreuses générées par le crime. Qu’il soit permis d’utiliser l’analogie sportive suivante : d’« atome » qu’il était dans la discipline de la criminalité, Alexandre Bissonnette s’est directement qualifié pour les ligues majeures.
[606] Étant donné son potentiel de réhabilitation, mais les nombreuses incertitudes subsistant quant à ses réelles perspectives de cheminement au cours des 25 prochaines années, le Tribunal croit que le contrevenant présente, à tout le moins, un risque « modéré » de récidive.
x) La consommation d’alcool (non)
[607] Alexandre Bissonnette a consommé passablement d’alcool dans les heures précédant l’attentat. Il a notamment bu du saké sur l’heure du midi et en après-midi, de même que le contenu d’une cannette de 473ml de Vodka Smirnoff Ice Melon (6 % d’alcool) dans les minutes précédant l’attaque. Cette cannette fut d’ailleurs retrouvée, vide, dans le véhicule de l’accusé, suite à l’interception de ce dernier.
[608] Le délinquant impute en partie les événements que nous connaissons au fait qu’il avait consommé de la boisson. Or, il ne peut s’agir d’une circonstance atténuante en l’espèce.
[609] D’une part, Raymond Bissonnette, père de l’accusé, mentionne dans une déclaration écrite qu’Alexandre n’avait pas pris de boisson dans la journée du 29 janvier[376]. Cela démontre, à tout le moins, que son fils n’affichait pas de symptôme de capacités affaiblies à l’heure du souper.
[610] D’autre part, l’enregistrement vidéo du dépanneur Couche-Tard établit qu’Alexandre Bissonnette semblait en pleine possession de ses moyens au moment où il fit l’achat de la « Smirnoff Ice Melon » à 19 h 36.
[611] De surcroît, les policiers ayant procédé à l’arrestation du suspect ont certes noté qu’il dégageait une odeur d’alcool, mais n’ont fait état d’aucun indice de capacités affaiblies. Il faut d’ailleurs garder à l’esprit, comme le souligne le psychiatre Allard, qu’Alexandre Bissonnette consommait en solitaire depuis 2013 et qu’il avait fort probablement, depuis lors, développé une certaine tolérance à l’alcool.
[612] Par ailleurs, jamais Bissonnette n’a-t-il prétendu avoir perdu contact avec la réalité à cause de la boisson, ni même avoir été hautement intoxiqué. Il évoque simplement un simple effet de désinhibition.
[613] En somme, l’accusé n’a pas démontré, par prépondérance de preuve, que sa consommation d’alcool pourrait être considérée comme circonstance atténuante dans la présente affaire.
[614] Ce facteur sera donc considéré comme « neutre » pour les fins de la détermination de la peine.
xi) L’âge (non)
[615] Certes, le jeune âge d’un contrevenant constitue un facteur d’atténuation de la peine. Pour le juge Renaud, doit être considéré comme « jeune » tout délinquant âgé normalement d’au plus 22 ans.[377]
[616] Dans l’arrêt Gladue, le juge Gendreau, j.c.a. rappelle que « les tribunaux [ n’imposent ] que très exceptionnellement le pénitencier à de très jeunes hommes sans dossier criminel antérieur »[378].
[617] Dans R. v. Arbuthnot, la Cour d’appel du Manitoba statue ainsi sur cette question :
“ I feel obliged to make one last comment. In her reasons, the sentencing judge correctly stated that denunciation and deterrence are the paramount sentencing principles in cases such as the case at hand, but allowed that rehabilitation remains a consideration for young first offenders. There is nothing wrong with that statement. This court has often stated that the fact an offender is a youthful first offender is a mitigating factor and the prospects of rehabilitation are usually better with youthful offenders. The problem is that the accused in this case was 32 years of age. In the context of the criminal justice system, a youthful offender is generally someone 25 years or under. A 32-year-old is neither. ”[379]
[618] Le soussigné partage entièrement ce point de vue. Bien qu’élevée au rang de culte sur nos écrans de télévision, l’« éternelle jeunesse » ne prévaut pas devant les tribunaux. Alexandre Bissonnette est aujourd’hui âgé de 30 ans. Lors de la commission des crimes pour lesquels il s’est reconnu coupable, il était âgé de 27 ans. Le soussigné ne croit donc pas justifié de considérer l’accusé comme un jeune délinquant.
xii) Le bon caractère et la stigmatisation de l’accusé (non)
[619] Invoqués en plaidoirie, ces deux éléments n’ont fait l’objet d’aucune démonstration convaincante devant le Tribunal et ne peuvent, en conséquence, être considérés comme des circonstances atténuantes.
B) Application des critères de l’article 745.51
[620] Le Tribunal doit maintenant analyser les critères énoncés à l’article 745.51 C.cr. et les principes sentenciels prévus aux articles 718 à 718.2 C.cr. pour déterminer s’il y a lieu d’ordonner qu’une ou plusieurs des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle devant être imposées à l’accusé soient purgées consécutivement.
a) Le caractère du délinquant
[621] Alexandre Bissonnette n’a aucun antécédent judiciaire. Il a bien collaboré avec les autorités policières suite à son arrestation et manifesté des remords sincères devant la Cour. Il s’agit d’un individu vulnérable, aux prises avec un trouble anxieux comportant des éléments obsessifs-compulsifs, un trouble d’anxiété généralisée, une personnalité narcissique et dépendante. Il doit également gérer un trouble lié à l’usage de l’alcool. Il importe, cependant, de garder à l’esprit qu’il a délibérément choisi de camoufler ses pensées suicidaires et homicidaires à ses médecins. De plus, ses crimes étaient clairement motivés par des préjugés fondés sur la race, l’origine ethnique et la religion de ses victimes, de même que par une haine irrépressible à l’égard des immigrants musulmans. L’accusé présente certaines perspectives de réhabilitation qui, sans être dominantes, n’en demeurent pas moins réelles, ainsi qu’un risque de récidive modéré.
b) La nature de l’infraction
[622] Le meurtre au premier degré et la tentative de meurtre occupent le sommet de l’échelle de gravité des infractions prévues au Code criminel. En l’espèce, Alexandre Bissonnette s’est présenté au Centre culturel islamique de Québec le 29 janvier 2017, à 19 h 54. Après avoir abattu les frères Ibrahima et Mamadou Tanou Barry à l’extérieur de l’édifice, il pénétra dans la mosquée et fit feu à 48 reprises sur la quarantaine de fidèles présents, causant ainsi la mort de quatre hommes supplémentaires et en blessant gravement cinq autres.
c) Les circonstances entourant la perprétation de l’infraction
[623] Nous sommes confrontés à un crime hautement prémédité et bien planifié dont la perpétration par arme à feu entraîna la mort de six victimes et de sérieuses blessures pour cinq autres personnes. Le crime revêt une connotation irréligieuse, ayant été accompli dans un lieu de culte. La violence déployée par l’accusé doit être qualifiée d’« extrême » et les séquelles physiques et psychologiques affligeant la quarantaine de survivants, de « dévastatrices ». Il importe également de mettre en exergue les importantes séquelles psychologiques souffertes par les membres des familles des victimes et leurs proches, ainsi que par l’ensemble de la communauté musulmane de Québec.
d) Les principes sentenciels
i) La dénonciation
[624] Généralement, le principe de la dénonciation jouira d’une influence accrue dans les cas de crimes comportant un haut degré de planification et de préméditation et lorsque les conséquences de ceux-ci font l’objet d’une grande publicité[380]. De même, les scénarios de mauvais traitements envers de très jeunes personnes commandent une réprobation à la mesure de la gravité du comportement criminel[381]. Les infractions perpétrées à l’aide d’armes à feu font également l’objet d’une réprobation particulière de la part des tribunaux[382].
[625] En l’espèce, l’objectif de dénonciation s’avère prioritaire. Les actes posés par Bissonnette portent directement atteinte à certaines de nos valeurs sociétales les plus fondamentales. Ils représentent, au surplus, un assaut brutal des caractéristiques propres de la personne humaine. Les victimes n’ont pas été agressées pour leurs actions ou omissions. Elles ont été agressées pour ce qu’elles étaient : des musulmans pratiquants, de races et d’origines ethniques différentes de celles de leur meurtrier[383].
[626] Le pouvoir judiciaire doit protéger notre collectivité contre les poisons de l’extrémisme, du fanatisme et de l’intolérance, lesquels pénètrent insidieusement le sol fertile de notre démocratie pour en annihiler les racines les plus profondes.
[627] L’aversion que nous inspirent les crimes commis par l’accusé réclame une réprobation sans équivoque[384], qui se voudra le reflet de notre sentiment collectif de révolte.
[628] Bien qu’une perspective d’espoir et de réhabilitation soient constamment de mise dans l’imposition d’une sentence, les tribunaux demeureront toujours confrontés à des crimes scandaleux par leur brutalité et leur absence de commisération. Dans de tels cas, une dénonciation mesurée, mais vigoureuse, deviendra la principale considération du juge d’instance. Nous sommes aujourd’hui en présence d’une telle situation.
ii) L’exemplarité
[629] Pour les mêmes motifs, les infractions fondées sur la discrimination requièrent le prononcé d’une peine mettant particulièrement l’accent sur la dissuasion[385].
[630] Dans la présente affaire, il convient également de privilégier le principe de la dissuasion générale, en se rappelant toutefois que la condamnation à l’emprisonnement à perpétuité favorise déjà en partie la réalisation de cet objectif[386]. L’exemplarité de la peine témoignera de la volonté du Tribunal d’éradiquer de notre communauté la violence, le racisme ou quelque autre comportement criminel de nature à attiser les braises de l’intolérance.
[631] Ce critère de la dissuasion générale sera toutefois quelque peu tempéré par les troubles mentaux d’Alexandre Bissonnette. À cet égard, Clayton Ruby rappelle :
“ It is now widely accepted that general deterrence should be given very little, if any, weight in a case where an offender is suffering from a mental disorder because such an offender is not an appropriate medium for making an example of others. ”[387]
[632] En l’espèce, l’accusé éprouve des troubles anxieux et obsessifs-compulsifs. Son fonctionnement intellectuel général est tout à fait normal et il ne souffre d'aucun trouble de la personnalité, ni de difficultés à contrôler ses impulsions. On le décrit d’ailleurs comme peu impulsif. Sans vouloir minimiser les problèmes mentaux d’Alexandre Bissonnette, le Tribunal croit nécessaire de référer, dans une certaine mesure, au critère de l’exemplarité, eu égard aux circonstances entourant la perprétation des infractions.
iii) La dissuasion spécifique
[633] La dissuasion spécifique, en revanche, jouera un rôle nettement moindre dans la détermination de la peine. D’abord, l’accusé n’est pas un individu criminalisé. De plus, ses problèmes mentaux l’imperméabilisent, du moins en partie, des effets bénéfiques de cet objectif sentenciel. Également, la période de 25 ans d’inéligibilité qui lui sera minimalement imposée au terme du présent jugement facilite déjà la réalisation de cette fin.
[634] Le soussigné partage, par ailleurs, le point de vue exprimé par les juges Rooke[388] et Macklin[389] de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta selon lequel toute sanction garantissant à un condamné une mort en détention n’entraînera sur lui aucun effet dissuasif, faute d’un intérêt quelconque à se réhabiliter.
iv) La neutralisation
[635] L’importance d’une peine visant prioritairement à protéger le public concorde avec l’objectif fondamental du droit criminel[390]. L’application du principe de la neutralisation s’avère essentielle en l’espèce. Les crimes perpétrés révèlent chez leur auteur une telle hargne et une telle agressivité qu’il importe d’isoler ce dernier pendant une période de temps appréciable. Logiquement, l’infliction d’une période d’inadmissibilité consécutive favoriserait l’atteinte de cet objectif[391]. À l’expiration de ce terme, la question de la remise en liberté éventuelle d’Alexandre Bissonnette sous conditions deviendra du ressort exclusif de la Commission des libérations conditionnelles du Canada[392].
v) La réinsertion sociale
[636] Les principales considérations qui gouverneront le soussigné dans le processus de détermination de la peine refléteront donc la dualité philosophique canadienne. La dénonciation, rétributive par essence, de même que la dissuasion générale et la neutralisation, à vocation utilitariste, viseront toutes trois l’infliction d’un châtiment juste, proportionnel à la gravité des crimes et à l’état d’esprit blâmable de l’accusé. Elles transmettront au surplus une sérieuse mise en garde à ceux qui, frappés de mimétisme, pourraient, par préjugés ou haine, songer à perpétrer des crimes semblables à ceux d’Alexandre Bissonnette.
[637] Ceci dit, le Tribunal entend accorder une certaine place, quoique secondaire, à l’objectif de réinsertion sociale dans ses réflexions. Il ne serait guère opportun, compte tenu de la personnalité particulière du délinquant, d’abandonner tout espoir de réhabilitation[393]. Même lorsque les perspectives de réinsertion paraissent limitées, une sentence ne devrait pas avoir pour effet d’annihiler toute possibilité de réintégration sociale. Une peine éliminant toute perspective d’espoir est non seulement contraire aux principes utilitaristes, mais devient contre-productive en anéantissant toute possibilité de réinsertion sociale[394].
vi) La retenue quant à la période de détention
[638] On comprendra donc l’importance, pour le Tribunal, d’afficher une certaine retenue quant à la fixation de la période d’inadmissibilité à laquelle sera assujetti le condamné. Une période dépassant son espérance de vie risque fort, par son caractère absurde, de perdre ses attributs de dénonciation et dissuasion et de jeter le discrédit sur l’administration de la justice. Le soussigné ne peut donc que conclure au caractère déraisonnable de la suggestion formulée par le Ministère public.
[639] Si Alexandre Bissonnette devait être condamné à l’emprisonnement à perpétuité subordonné à l’accomplissement de 150 ans de la peine avant d’être admissible à une libération conditionnelle, et ce, après avoir causé la mort de six personnes en moins de deux minutes alors qu’il était sujet à certains problèmes mentaux, quelle sanction envisagera-t-on hypothétiquement pour un individu ayant poignardé 10 personnes dans un centre commercial? 250 ans d’inéligibilité? 350 ans? Qu’imposera-t-on au tueur à gages qui, strictement pour des fins de lucre, aura éliminé 25 personnes différentes sur une période de 10 ans? 625 ans d’inadmissibilité? 800 ans?
[640] À sa décharge, la Couronne formule sa suggestion à la lumière de la jurisprudence existante. Comme nous le verrons dans les prochains paragraphes, certaines décisions antérieures font état de périodes de 75 ans d’inéligibilité pour la commission de trois meurtres. Avec égard, semblable raisonnement mathématique ne peut que nous conduire aux confins de la démesure, voire à une litanie de précédents jurisprudentiels tous aussi aberrants les uns que les autres par leur répudiation des règles de logique les plus élémentaires.
[641] Le Canada possède son propre système de valeurs et sa propre tradition juridique. Il est du devoir des tribunaux de les préserver. Sans nier les vertus du droit comparé, particulièrement en matière d’interprétation constitutionnelle, il demeure dangereux, du moins en matière sentencielle, d’importer d’une autre juridiction un schème complètement différent. Pareille initiative risque non seulement de compromettre notre identité propre, mais de mener à des résultats incompatibles avec les principes directeurs édictés aux articles 718 à 718.2 du Code criminel.
vii) La réparation des torts
[642] Compte tenu de l’impossibilité matérielle pour l’accusé de réparer les torts causés aux victimes, aux membres de leur famille, à la communauté musulmane et à la société en général, l’objectif pénologique identifié au paragraphe 718(e) C.cr. ne sera d’aucune application en l’espèce.
viii) La parité
[643] L’honorable juge François Doyon j.c.a. rappelle en ces termes les limites inhérentes au principe de l’harmonisation des peines :
« Je suis conscient des limites d’un exercice de comparaison entre la situation de l’appelant et les circonstances de la perpétration de l’infraction avec celles d’autres jugements qui ont infligé des peines pour le même type d’infractions. Comme l’écrit le juge LeBel dans R. c. L.M., précité :
[36] Des peines prononcées à l’égard des mêmes catégories d’infraction ne seront pas toujours parfaitement semblables, en raison de la nature même d’un processus de détermination de la peine axé sur l’individu. En effet, le principe de la parité n’interdit pas la disparité si les circonstances le justifient, en raison de l’existence de la règle de la proportionnalité [ … ]
Toutefois, comme le rappelle aussi le juge LeBel, le principe d’harmonisation des peines demeure « l’un des principes normatifs prévus au Code criminel en matière de détermination de la peine (voir art. 718.2b) C.cr. » ». [395]
[644] Encore récemment, la Cour d’appel du Québec soulignait « que le principe d’harmonisation des peines est modulé par d’autres principes, dont la proportionnalité ainsi que l’individualisation. »[396] Le processus de détermination de la peine demeure donc hautement particularisé[397].
[645] Il n’existe donc « ni automatisme ni règle préétablie »[398] exigeant une identité de peines entre des délinquants similaires. Pour chaque cas, les circonstances atténuantes et aggravantes moduleront la sentence et pourront même justifier l’imposition de la peine maximale dans certaines circonstances.
[646] Pour en arriver à la détermination d’une sentence qui soit à la fois juste et appropriée, le Tribunal a pris en considération l’ensemble des décisions judiciaires traitant de l’application de l’article 745.51 C.cr. Douze de ces vingt-quatre décisions ont fait l’objet d’un résumé de la part de notre collègue l’honorable Éric Downs j.c.s.[399] dans R. c. Ramsurrun. Sans le reprendre intégralement, le soussigné s’en inspirera en y ajoutant toutefois ses propres commentaires. Il résumera ensuite les décisions judiciaires postérieures.
[647] R. v. Baumgartner (11 septembre 2013)[400] : Ce jugement de l’honorable J.D. Rooke constitue la première décision canadienne traitant de l’article 745.51 C.cr.[401]. Dans cette affaire, l’accusé, âgé de 21 ans, avait exécuté d’une balle de pistolet derrière la tête deux de ses collègues gardiens de sécurité, abattu par la suite un troisième agent et blessé grièvement un quatrième après avoir tiré sur lui à trois reprises. L’accusé déroba ensuite le contenu d’un véhicule blindé (d’une valeur de 400 000 $), et prit la fuite vers la frontière américaine, où l’on procéda à son arrestation.
[648] Commentant l’horreur des gestes posés, note collègue de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta mentionne :
“ [ … ] these are absolutely some of the most horrendous crimes that anyone can imagine for many reasons that I will develop in these Reasons for Decision. It is difficult to put this into words to show the revulsion of society and this Court and the public, but it can be described in a number of ways, but even those do not seem to give adequacy to the description. Such descriptions might include, for example, among other things : assassinations and executions callously carried out by a cold-blooded killer with absolutely no compassion for life, causing senseless deaths of three persons and massive injury of a fourth, who he also intended to kill, all with the apparent simple motive of robbery, which might well have been conducted without such violence. [ … ]
These deaths and the injury were unspeakable selfish acts of violence and violation of the sanctity of life and bodily preservation of the victims and also an assault on the broader community and its citizens for reasons I will develop. ”[402]
[649] Baumgartner plaida coupable à une accusation de meurtre au premier degré, deux accusations de meurtre au deuxième degré ainsi qu’à une tentative de meurtre. Suite à une recommandation commune des parties, le tribunal imposa à l’accusé une période totale d’inéligibilité de 40 ans, soit 15 ans pour l’un des deux meurtres au deuxième degré devant être purgés de manière consécutive à une période de 25 années pour le meurtre au premier degré. De manière concurrente, on sanctionna le deuxième meurtre au deuxième degré d’une période d’inadmissibilité de 15 ans. Baumgartner fut également condamné à 10 années d’incarcération à être purgées de façon concurrente, pour le crime de tentative de meurtre.
[650] R. c. Bourque (31 octobre 2014)[403] : le 8 août 2014, Justin Bourque plaida coupable à trois chefs d’accusation de meurtre au premier degré, ainsi qu’à deux autres de tentative de meurtre. En début de soirée, le 4 juin 2014, l’accusé quitta sa résidence vêtu d’un habit de camouflage et muni de deux armes à feu, de munitions et d’un couteau. Alertés par plusieurs appels d’urgence, les policiers de la GRC tentèrent de localiser l’individu. En moins d’une heure, cinq d’entre eux furent abattus par Bourque, trois victimes décédant de leurs blessures.
[651] L’accusé n’était âgé que de 24 ans et n’avait aucun antécédent judiciaire. La preuve révéla qu’il avait développé, dans les années précédentes, une obsession pour les armes à feu et les jeux vidéo violents. Condamné à l’emprisonnement à perpétuité pour la perpétration de meurtres au premier degré et de deux tentatives de meurtre, Bourque se vit infliger une période totale d’inadmissibilité à toute libération conditionnelle de 75 ans (trois périodes de 25 ans consécutives), et ce, conformément à la suggestion du ministère public[404]. Évoquant les principes de proportionnalité et de totalité de la peine, la défense avait pour sa part proposé une période totale d’inéligibilité de 50 ans.
[652] Il est important de noter que le juge d’instance ne référa en aucun temps au principe de la totalité de la peine dans les motifs de sa décision[405].
[653] R. v. Husbands (16 avril 2015)[406] : le juge Ewaschuk décerna à l’accusé une période totale d’inéligibilité de 30 ans pour la commission de deux meurtres au deuxième degré, cinq chefs de voies de fait graves, un de négligence criminelle et un dernier d’avoir déchargé une arme à feu. Les périodes de 15 ans d’inéligibilité prononcées sur les deux chefs de meurtre devaient être purgées consécutivement entre elles, mais de manière concurrente aux peines attribuées sur les autres chefs.
[654] Alors qu’il résidait en maison de transition et faisait l’objet d’une ordonnance lui interdisant de posséder une arme à feu, l’accusé avait déchargé son arme de poing à l’intérieur du Centre Eaton, à Toronto. Après avoir exécuté à la manière « gangster », c’est-à-dire à bout portant, deux personnes qui tentaient de fuir les lieux, il vida son arme en direction d’une foule prise de panique, blessant ainsi sérieusement cinq autres personnes, dont un adolescent de 13 ans qui survécut miraculeusement après avoir reçu un projectile à la tête.
[655] Christopher Husbands avait plusieurs antécédents judiciaires dont un pour agression sexuelle et d’autres pour diverses infractions reliées aux stupéfiants.
[656] Bien qu’il le considéra comme très manipulateur et de mauvaise réputation, le tribunal jugea que l’accusé présentait un réel potentiel de réhabilitation, notamment en raison du support de plusieurs proches. Il estima, néanmoins, qu’il convenait de privilégier l’objectif de réprobation.
[657] R. c. Vuozzo (20 avril 2015)[407] : Le juge Campbell, de la Cour suprême de l’Ile du Prince-Édouard, impose à l’accusé une période totale d'inéligibilité de 35 ans, soit 25 ans pour la commission du meurtre au premier degré d'un père de famille et 10 années consécutives pour le meurtre au deuxième degré de son fils.
[658] L'accusé, âgé de 46 ans, se présenta au domicile du père, qui fut antérieurement reconnu responsable de la mort de la jeune sœur de l’accusé lors d’un accident automobile impliquant une conduite de véhicule avec les capacités affaiblies par l’alcool. Vuozzo voulait venger le décès de sa soeur. Muni d’un pistolet de calibre .22, il abattit d’abord le fils qui discutait avec son père avant de supprimer ce dernier. L’accusé était aux prises avec des problèmes de santé mentale, de dépression et d'anxiété. Il n'avait aucun antécédent judiciaire, avait collaboré avec la police et plaidé coupable aux accusations portées contre lui.
[659] Commentant la décision de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick dans l’affaire Bourque, le juge Campbell nota également que le juge Smith avait omis de considérer l’effet cumulatif de la sentence dans cette affaire[408].
[660] R. v. W.G.C. (27 avril 2015)[409] : le juge Eidsvick prescrit une période de 35 ans d'inéligibilité à l'accusé, soit 10 ans pour le meurtre au deuxième degré d'une mère de famille et 25 années consécutives pour le meurtre au premier degré de son enfant de 5 ans.
[661] L'accusé, originaire des Philippines, immigra au Canada en 2008 à l'âge de 22 ans. À son arrivée, il habita chez son cousin et la famille de celui-ci. À compter du printemps 2009, il abusa sexuellement de la fille de son cousin, âgée de 11 ans, et ce, de façon régulière. En 2013, alors qu'il n'habitait plus chez son cousin depuis quelque temps, il réussit à obtenir la clé du domicile de ce dernier. En mai de la même année, alors que l’épouse de son cousin et leur enfant de 5 ans étaient à la maison, W.G.C. entra sans invitation dans la résidence et eut une altercation avec la mère. Il la tua en la poignardant à plusieurs reprises dans le dos. L'enfant de 5 ans monta dans la chambre des maîtres pour se réfugier. L'accusé le suivit avec l'intention d'éliminer un témoin. Il attaqua l'enfant, le blessa et le poignarda finalement dans le dos à 4 reprises, alors qu'il le tenait au sol. Il maquilla la scène pour laisser croire qu'il s'était battu avec des "agresseurs" et quitta avec le véhicule de la victime. Ultimement arrêté, il plaida coupable aux meurtres et à l'agression sexuelle.
[662] L'accusé n'avait aucun antécédent; aucune preuve relative à sa santé mentale ne fut soumise. Il exprima, par l’intermédiaire de son avocat, des remords que le tribunal considéra sincères. Une suggestion commune de 35 ans d’inadmissibilité fut soumise par les parties et entérinée par la juge.
[663] R. v. Bains (30 septembre 2015)[410] : dans un contexte de consommation de drogue et d’alcool, Sarbjit Bains étrangla, le 22 février 2013, son fournisseur de stupéfiants après que ce dernier se soit allongé, nu, dans le lit où dormait la conjointe de l’accusé. Le 9 août suivant, l’accusé étrangla également une dame Lyons, qui travaillait comme escorte, à la résidence de cette dernière. Deux semaines plus tard, il fit de même à l’égard d’une seconde escorte qui demeurait dans le même immeuble que madame Lyons.
[664] Lors du prononcé de la sentence, l’accusé était âgé de 33 ans. Les parties présentèrent un énoncé commun des faits et suggérèrent l’octroi d’une période totale de 18 ans d’inéligibilité à la libération conditionnelle.
[665] Prenant en considération le caractère du délinquant, sa dépendance aux drogues dures, ses plaidoyers de culpabilité et ses remords sincères, le juge Maisonville condamna Bains, pour chacun des deux meurtres au deuxième degré, à des périodes de 18 ans d’inéligibilité devant être purgées de façon concurrente. L’accusé reçut par ailleurs une peine concurrente de 10 années d’incarcération pour homicide involontaire.
[666] R. v. Koopmans (6 octobre 2015)[411] : dans cette autre décision du juge Maisonville, l’accusé fut déclaré coupable de deux meurtres au deuxième degré et de tentative de meurtre. Le ministère public suggéra que les périodes d’inadmissibilité soient fixées à 15 ans pour chacun des deux meurtres et qu’elles soient purgées de façon consécutive. La défense proposa plutôt l’imposition de périodes concurrentes de 17 ans d’inéligibilité.
[667] Dans la soirée du 30 mars 2013, John Ike Koopmans se rendit à pied à la résidence de Keith Wharton, 43 ans. Il frappa à la porte et Rosemary Fox, l’amie de cœur de monsieur Wharton, le fit entrer. Un ami du couple, Bradley Martin était également présent au domicile des victimes. L’accusé et madame Fox se dirigèrent vers la chambre des maîtres, où dormait monsieur Wharton. Une conversation s’en suivit. Une dispute éclata dans la chambre et monsieur Martin s’y rendit pour tenter de calmer les protagonistes. Il nota alors la présence de ce qui lui semblait être une tache d’huile sur le visage de John Koopmans. Il se retourna pour saisir un linge, mais fut immédiatement atteint d’un coup de feu provenant d’une arme que pointait alors l’accusé dans sa direction. Martin s’enfuit de la résidence sans demander son reste. L’accusé abattit ensuite Keith Wharton de trois projectiles à la tête, et fit de même à l’égard de Rosemary Fox, qui fut atteinte d’une balle à la tête et d’une autre à la poitrine.
[668] Le juge détermina que la perspective de réhabilitation de l’accusé était incertaine puisqu’il ne reconnaissait toujours pas sa responsabilité. Âgé de 51 ans, Koopmans consommait quotidiennement 26 onces d’alcool, et ce, depuis près de 15 ans.
[669] Soulignant qu’une période de 30 ans d’inéligibilité serait indûment longue compte tenu de l’ensemble des circonstances, le juge Maisonville décréta une inadmissibilité à la libération conditionnelle de 22 ans sur chacun des deux chefs de meurtre au deuxième degré, périodes devant être purgées concurremment.
[670] R. v. Ostamas (27 juin 2016)[412] : John Paull Ostamas enregistra des plaidoyers de culpabilité, le 3 mai 2016, sur trois chefs d’accusation de meurtre au second degré. Suite à une suggestion commune des parties, le juge Toews de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba le condamna, pour chacun des chefs, à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, ces périodes d’inéligibilité devant être purgées de façon consécutive pour un total de 75 ans.
[671] Dans le cadre de trois événements distincts, l'accusé avait abordé les victimes, des sans-abris, avant de les frapper à mort et de les abandonner sur les lieux du crime[413]. Ces meurtres furent décrits par le tribunal comme « three cold-blooded killings accomplished by savage brutality »[414].
[672] L’accusé, qui souffrait de problèmes mentaux insuffisants pour lui permettre de se prévaloir d’une défense de non-responsabilité criminelle, avait à son actif de nombreux antécédents judiciaires en matière de violence. La défense produisit des déclarations écrites de la sœur et du frère de l’accusé faisant état des nombreuses difficultés éprouvées par ce dernier lors de son enfance, passée dans une communauté autochtone éloignée du nord de l’Ontario.
[673] Dans sa décision de 47 paragraphes, le juge d’instance ne s’interrogea aucunement sur la compatibilité de la suggestion commune avec le principe de la totalité[415].
[674] R. v. Rushton (15 novembre 2016)[416] : après avoir plaidé coupable à deux accusations de meurtre au deuxième degré pour avoir causé la mort de sa conjointe de fait et de la fille de cette dernière, Gerald Rushton fut condamné, sur chacun des deux chefs, à une période de 18 ans d’inadmissibilité, les deux sentences devant être purgées de façon concurrente. La poursuite avait suggéré l’attribution de périodes concurrentes de 18 à 20 ans d’inéligibilité. L'accusé proposait, pour sa part, des périodes d'inadmissibilité de 11 ans pour la première victime et de 13 ans pour la seconde, concurrentes entre elles.
[675] Dans cette affaire, les meurtres avaient été perpétrés à quelques heures d’intervalle, la première victime ayant été battue avec un marteau et la seconde, avec un bâton de baseball. L’accusé était âgé de 50 ans et avait trois antécédents judiciaires pour vol. Le juge Wood, de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, pris acte du caractère brutal des deux homicides, mais souligna également les remords manifestés par Rushton.
[676] R. v. Sharpe (20 janvier 2017)[417] : le juge Keyser infligea à l’accusé deux périodes de 22 ans d'inéligibilité à la libération conditionnelle, à purger concurremment. Sharpe avait été condamné pour les meurtres au deuxième degré de sa conjointe et d'un autre homme. La poursuite demandait le prononcé d'une inéligibilité de 20 ans pour l’une des victimes et de 15 ans pour l'autre, tout en concédant qu'en vertu du principe de totalité, la période cumulative d'inadmissibilité pouvait être fixée à 30 ans.
[677] En examinant les critères applicables, le juge retint, quant au caractère de l'accusé, qu’il était âgé de 44 ans, n'avait pas d'antécédent judiciaire et qu'il représentait, avant le drame, un actif pour la société. Le juge rappela qu'il ne fallait pas perdre de vue que la sentence imposée en était une d'emprisonnement à vie, sans garantie de remise en liberté.
[678] R. v. Garland (23 mars 2017)[418] : préalablement à la commission de son crime, Douglas Robert Garland fit l’achat d’une scie à viande, de deux crochets en acier inoxydable, de courroies et de huit couteaux de cuisine. Il planifia ainsi méticuleusement le meurtre de son ancien employeur et de l’épouse de ce dernier.
[679] Le 30 juin 2014, Garland se présente au domicile des victimes, les séquestre, ainsi que leur petit-fils âgé d’à peine 5 ans et les conduit de force à sa propre ferme à bord de son camion. Une fois à son domicile, l’accusé torturera ses victimes, les assassinera et procédera ensuite à leur démembrement.
[680] Un jury déclara Douglas Garland coupable de trois meurtres au premier degré. La couronne plaida l’infliction d’une peine totale de 75 ans d’inéligibilité, arguant que chaque victime avait été tuée pour une raison différente. Soutenant au contraire que les trois meurtres étaient partie intégrante d’une même transaction criminelle, la défense suggéra l’imposition de périodes d’inadmissibilité concurrentes ou, subsidiairement, l’attribution de périodes concurrentes pour les deux victimes adultes, suivie d’une peine consécutive pour la mort du bambin, le tout équivalant à une inéligibilité totale de 50 ans.
[681] Âgé de 54 ans au moment de son crime, l’accusé ne pouvait, au mieux, espérer une remise en liberté sous conditions que 25 ans plus tard, soit à l’âge de 79 ans. Le juge Gates n’identifia aucune circonstance atténuante. Il déclara :
“ I am satisfied that in this case, the degree of moral blameworthiness in this case is very high. First degree murder is one, if not the, most serious offence known in our law. It is difficult to conceive of a more cunning, cruel and horrific circumstances of assault, abduction, torture and murder. ”[419]
[682] Le juge souligna que le fait pour l’accusé de recevoir une période d’inadmissibilité de 50 ou 75 ans n’entraînait pour lui aucune différence, les deux échéances dépassant largement son espérance de vie. Priorisant la dénonciation, le juge mentionna que la sentence concernait non seulement l’accusé, mais tous les membres de la communauté. Elle devait refléter l’indignation collective et réaffirmer les valeurs étant au cœur des principes sentenciels de maintien de la confiance du public dans le cadre d’une société juste et paisible. Il imposa donc finalement à l’accusé une période cumulative d’inéligibilité à toute libération conditionnelle de 75 ans.
[683] Ici encore, le tribunal ne fit aucune référence au principe de la totalité dans ses motifs[420].
[684] R. v. Saretzky (9 août 2017)[421] : Derek Saretsky fut trouvé coupable de trois meurtres au premier degré pour des crimes commis à des endroits et moments différents. Le juge Tilleman lui décerna trois périodes d'inadmissibilité de 25 ans devant être purgées de façon consécutive.
[685] L'accusé poignarda d’abord à mort une dame à son domicile. Cinq jours plus tard, un homme fut également poignardé puis retrouvé mort à sa résidence alors que sa fillette de deux ans avait été enlevée par l’auteur du meurtre, Derek Saretsky. Celui-ci tua ensuite la fillette en l’étranglant et se livra sur elle à des actes de cannibalisme, avant de brûler les restes de sa dépouille dans un feu de camp.
[686] Au prononcé de la sentence, le tribunal prit en considération les principes généraux de détermination de la peine en insistant plus particulièrement sur la proportionnalité, la dénonciation et la dissuasion. L'accusé, âgé de 22 ans au moment des crimes, soutenait que le fait de recevoir une période d'inéligibilité de 75 ans équivaudrait à un acte de vengeance. Rappelant que l’infliction d'une période de détention ne procède pas d’une vengeance, mais constitue plutôt une démonstration mesurée reflétant la culpabilité morale de l’accusé, le tort causé par celui-ci et la réprobation sociale envers son comportement, le juge Tilleman exprima que l’article 745.51 C.cr. consacrait désormais le principe de la proportionnalité dans les cas de meurtre : l’imposition de périodes consécutives d’inadmissibilité traduit la reconnaissance de chaque vie enlevée par l'accusé.
[687] Dans ces motifs, le tribunal reconnut que le principe de la proportionnalité devait être grandement considéré dans les cas où la période d’inéligibilité est susceptible de dépasser l’espérance de vie. Il considéra également le principe de la totalité en se demandant si la période cumulative de 75 ans d’inadmissibilité ne constituait pas une peine excessive. Il conclut ainsi sa réflexion :
“This sentence of jail, recommended by a jury of Mr. Saretzky's peers, and ultimately imposed by me after reviewing the law and the submissions of Counsel, is in recognition of the paramount principle of proportionality and the intent of the legislature in enacting s745.21, which now recognizes the appropriateness in multiple homicide cases that life sentences be served consecutively, in respect of each individual life which was taken by an offender.”[422]
[688] R. c. Ramsurrun (20 décembre 2017)[423] : le 23 mai 2012, Shakti Ramsurrun surina à mort deux femmes et un homme dans une résidence familiale de Gatineau. L’accusé avait d’abord rejoint la première victime à l’étage de la résidence et assailli cette dernière à l’aide d’une arme tranchante et piquante. L’agression se poursuivit dans différentes pièces de la maison et résulta en l’infliction de 37 plaies, dont 4 mortelles, sur cette première dame. Ramsurrun attaqua ensuite l’homme, alors que celui-ci lui faisait dos. En le transperçant à 13 reprises, il élimina ainsi un témoin potentiel. Le tueur agressa finalement la deuxième femme présente sur les lieux et exigea, alors qu’elle était blessée et en sang, qu’elle rédige une note suggérant qu’il n’avait rien à voir avec les crimes commis. Elle décéda ensuite, après avoir été atteinte à 33 reprises par l’arme blanche de l’accusé.
[689] Le jury déclara Ramsurrun coupable de deux meurtres au premier degré et d’un meurtre au deuxième degré. La poursuite réclama une période totale d’inéligibilité de 40 ans et la défense, de 25 ans.
[690] À l’époque des événements, Ramsurrun était âgé de 28 ans. Il exprima à la Cour ses remords pour les gestes posés. Le juge Downs considéra cependant qu’il ne réalisait pas entièrement l’ampleur du désastre résultant de sa jalousie excessive, ni celle de son problème de violence. Il déclara : « Le Tribunal déplore que l’accusé persiste à nier l’évidence en disant qu’il n’avait pas l’intention de commettre ces crimes. Par contre, le Tribunal considère que le temps fera son œuvre. De sorte que l’accusé, par son intelligence, par l’abandon de ses comportements manipulateurs et par l’encadrement et le soutien psychologique dont il devrait bénéficier au pénitencier, devrait un jour reconnaître pleinement sa responsabilité. »[424]
[691] Prenant en considération les principes généraux de proportionnalité et de totalité des peines, de même que l’ensemble des circonstances, le tribunal considéra qu’il ne devait pas annihiler tout espoir de remise en liberté pour l’accusé. Individualisant la peine en tenant compte de la situation de délinquant, le juge Downs condamna Shakti Ramsurrun à des peines concurrentes d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans sur les deux premiers chefs d’accusation, ainsi qu’à une période concurrente de 15 ans d’inadmissibilité sur le troisième chef.
[692] Depuis l’affaire Ramsurrun, 11 autres décisions ont traité de la disposition législative en litige.
[693] R. v. Borutski (22 décembre 2017)[425] : le 22 septembre 2015, Basil Borutski assassina de sang-froid trois femmes, deux d’entre elles ayant déjà fait l’objet d’abus physique de sa part dans le passé. Il se présenta d’abord au chalet de Carol Culleton, s’introduisit dans la résidence par effraction et étrangla sa victime avec un câble coaxial. Il se rendit ensuite au domicile d’Anasthasia Kuzyk. Muni d’un fusil, il pénètra dans la résidence et l’abattit dans sa cuisine. Non satisfait, il se dirigea ensuite, toujours en véhicule automobile, à la ferme de Nathalie Warmerdam, où il pourchassa sa victime dans la résidence et mit fin à ses jours en utilisant la même arme à feu.
[694] Le jury trouva l’accusé coupable des meurtres au premier degré de mesdames Kuzyk et Warmerdam, et de meurtre au second degré à l’égard de madame Culleton.
[695] Borutski avait un historique de violence envers les femmes. Il se disait victime de ces dernières en général, de la société, de la police et du système judiciaire. Bien que soupçonnant la présence de certains problèmes mentaux chez l’accusé, le juge Maranger conclut qu’il possédait un caractère violent, vindicatif et abuseur.
[696] Le tribunal fit droit à la demande du ministère public et condamna l’accusé, pour le meurtre au deuxième degré, à une période de 20 ans d’inéligibilité devant être purgée consécutivement aux deux périodes obligatoires de 25 ans d’inadmissibilité commandées par les condamnations pour meurtre au premier degré. La période totale d’inéligibilité de Basil Borutski à la libération conditionnelle fut donc fixée à 70 ans.
[697] Ici encore, le juge d’instance ne fit aucune mention du principe de la totalité des peines dans sa décision.
[698] R. v. Klaus (14 février 2018)[426] : Jason Gordon Klaus et Joshua Gregory Frank ont été tous deux déclarés coupables des meurtres au premier degré de Gordon, Sandra et Monica Klaus. Les accusés s’étaient entendus pour que Frank élimine les trois membres de la famille Klaus en échange d’une somme d’argent que lui verserait l’accusé. Frank assassina ainsi les trois victimes par arme à feu et incendia leur résidence pour camoufler son crime. Klaus participa aux meurtres en fournissant à son complice l’arme à feu et diverses informations sur les allées et venues des victimes. Il conduisit également son complice sur la scène du crime et facilita son départ par la suite.
[699] La couronne demanda que les trois périodes de 25 ans d’inéligibilité soient purgées de façon consécutive, pour un total de 75 ans. Klaus et Frank étant âgés respectivement de 38 et 28 ans, une inadmissibilité d’une durée de 50 ou 75 ans leur garantissait pratiquement une mort en prison. La défense plaida donc que les périodes d’inéligibilité devraient être purgées de manière concurrente.
[700] Le juge Macklin de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta se rendit aux arguments de la défense, il déclara :
“ A sentence that extinguishes any hope of release for an offender is a crushing sentence. It risks violating the principle of totality as being unduly long and especially harsh. A sentence for first degree murder may inevitably have that effect for an older offender. As well, in extremely egregious cases, offenders may deserve to have all hope extinguished. In cases involving unique, exceptional and extremely egregious facts, such as the rape and murder of 11 children or the killing of 6 and potentially close to 50 vulnerable women, the maximum parole ineligibility period might be imposed without necessarily offending the totality principle. I need not consider that at this time. This is not one of those cases. ”[427]
[Nos soulignements]
[701] Un peu plus loin, il ajouta :
“ Section 745.51 is not a mandatory provision, even in the case of multiple first degree murders. This Court has the discretion to impose consecutive periods of parole ineligibility where warranted having regard to all of the relevant factors. Having considered all of the relevant factors under s 745.51 and the principles and objectives of sentencing, I conclude that a period of parole ineligibility of 50 or 75 years is neither justifiable nor appropriate for either offender in this case. ”[428]
[702] R. v. Millard (26 février 2018)[429] : Dellen Millard et Mark Smich ont été trouvés coupables, le 16 décembre 2017, du meurtre au premier degré de Laura Babcock. Or, ils avaient tous deux déjà été condamnés, 18 mois plus tôt, à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans pour le meurtre au premier degré d’un certain Tim Bosma.
[703] Bien que madame Babcock causât certains problèmes à la relation de couple qu’entretenait Millard avec une autre femme, il semble que le motif du meurtre ait prioritairement été lié à une conspiration à laquelle prenaient part l’accusé et monsieur Smich en lien avec divers crimes et assassinats. Les deux mobiles coïncidèrent lorsque les accusés firent l’acquisition, à l’été 2012, d’un incinérateur destiné à brûler des corps.
[704] Millard se procura, à la même époque, une arme de poing de calibre .32 et emmena Babcock à son domicile dans la soirée du 3 juillet, alors que Mark Smich les y attendait déjà. La victime fut tuée à cet endroit dans les heures qui suivirent. Dans la nuit du 23 au 24 juillet, les accusés brûlèrent les restes de la victime dans leur incinérateur. Smich posa fièrement pour Millard devant l’incinérateur, tandis que celui-ci photographiait également les restes incandescents de la dépouille. Pour l’occasion, Smich composa une chanson rap intitulée « Ashy Stone », qu’il interpréta devant diverses personnes par la suite.
[705] Millard était âgé de 26 ans lors du meurtre de Laura Babcock, et de 27 ans lors de celui de monsieur Bosma. Smich, quant à lui, était de deux ans son cadet. Dellen Millard jouissait de bonnes relations avec ses parents et possédait, malgré son jeune âge, des actifs valant quelques millions de dollars. La preuve de caractère révèla chez cet individu une personnalité capable de respect, d’intelligence, d’humour et de générosité. Il s’agissait d’un homme intelligent, mais d’un caractère profondément immoral.
[706] Smich, pour sa part, abandonna l’école après sa dixième année et développa une problématique de consommation de drogue. Il éprouvait une attirance particulière pour le mode de vie des « gangsters ».
[707] Le juge Code détermina que les meurtres de monsieur Bosma et madame Babcock étaient suffisamment distincts pour justifier l'imposition d’une période consécutive de 25 ans d’inéligibilité dans la présente affaire. Analysant le principe de la totalité, il fit remarquer que la seule autre alternative possible à l’imposition d’une peine cumulative de 50 ans d’inadmissibilité consistait en l’attribution d’une période d’inéligibilité concurrente à celle prononcée pour le meurtre de monsieur Bosma. Compte tenu de la préméditation entourant l’assassinat de madame Babcock, il considéra nécessaire d’imposer une période de 25 ans d’inadmissibilité consécutive à celle dont les accusés faisaient déjà l’objet.
[708] R. c. Hudon-Barbeau (28 février 2018)[430] : les événements ayant entraîné la mise en accusation de Benjamin Hudon-Barbeau se sont déroulés du 29 septembre au 18 octobre 2012.
[709] Le 29 septembre, un dénommé Wolfson tente, à la demande de l’accusé, d’abattre un individu identifié comme « A » en faisant feu sur lui à quatre ou cinq reprises. Bien que grièvement blessé, « A » survit à l’attentat.
[710] Le 10 octobre suivant, Hudon-Barbeau ordonne à Wolfson de se rendre au domicile de son locateur, Vincent Pietrantonio, pour l’assassiner. Wolfson obtempère, blesse Pietrantonio par balles et tue un autre homme présent sur les lieux.
[711] L’accusé, désirant reprendre de force le commerce de trafic de stupéfiants qu’il avait légué, suite à son incarcération en 2006, à un certain Pierre-Paul Fortier, envoie à nouveau Wolfson accomplir sa sale besogne en lui dictant d’abattre l’associé récalcitrant. Fortier sera ainsi atteint, le 18 octobre, de cinq projectiles d’arme à feu, trois d’entre eux engendrant des blessures mortelles.
[712] Benjamin Hudon-Barbeau fut trouvé coupable par un jury de deux meurtres, l’un au premier degré et l’autre au second degré, ainsi que de deux tentatives de meurtre.
[713] Le désir de vengeance et l’appât du gain furent à l’origine des infractions commises par l’accusé, qui a agi comme « grand chef d’orchestre de tous ces crimes »[431]. L’accusé présenta au tribunal un discours froid et calculateur en affirmant éprouver du chagrin pour la famille de Pierre-Paul Fortier. Il ajouta toutefois n’avoir rien à se reprocher quant à la mort de ce dernier. Sa perspective de réhabilitation fut jugée « quasi inexistante » et son risque de récidive « très important »[432]. Âgé de 41 ans, Hudon-Barbeau avait peu d’antécédents judiciaires.
[714] Le ministère public suggéra que chaque meurtre vaille à son auteur, de façon consécutive, une période de 25 ans d’inéligibilité, pour un total de 50 années d’inadmissibilité à la libération conditionnelle. La défense plaida, quant à elle, qu’une période de 10 ans d’inéligibilité pour le meurtre au deuxième degré devrait être imposée de façon concurrente à la période mandatoire de 25 ans prévue pour le meurtre au premier degré.
[715] Considérant le principe de la totalité, le juge France Charbonneau refusa de nier toute expectative de réhabilitation à l’accusé et le condamna à l’emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 35 ans.
[716] R. v. Granados-Arana (29 mars 2018)[433] : le juge Campbell imposa ici à l’accusé une période d’inadmissibilité de 25 ans pour un meurtre au premier degré, de même qu’une période consécutive de 16 ans pour un meurtre au deuxième degré, pour un total de 41 ans d’inéligibilité. Granados-Arana ne sera donc admissible à une libération conditionnelle qu’à l’âge de 63 ans.
[717] Le 1er janvier 2012, l’accusé s’était présenté à un réveillon du Jour de l’An en possession d’une arme à feu chargée. Au cours de la nuit, il fut témoin d’une dispute entre un certain Jamalh Franklin et un autre individu. Il quitta les lieux avec Franklin, puis se disputa avec ce dernier. Au cours de cette confrontation, il s’empara de son arme et tira vers le sol. Franklin prit la fuite et fut rapidement abattu par des projectiles qui l’atteignirent mortellement au dos.
[718] Le 24 août suivant, Granados-Arana commit un meurtre au premier degré aux dépens de Georges Fawell. À cette époque, Granados-Arana trafiquait divers stupéfiants, dont du crack. Il demanda à son amie de cœur d’attirer la victime à son appartement où, en compagnie d’autres individus, il l’agressa sévèrement et le ligota à une chaise. Accompagné d’un autre homme non identifié, l’accusé conduisit ensuite la victime dans un stationnement de banlieue et le poignarda avec une paire de ciseaux.
[719] L’accusé était âgé de 22 ans lorsqu’il assassina Franklin, et de 23 ans lors du décès de Fawell. Il avait plusieurs condamnations antérieures pour agression armée, agression dans l’intention de résister à son arrestation, trafic de stupéfiants et possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic. Il provenait d’un milieu défavorisé, marqué par la violence de son père, avec lequel il avait perdu tout contact depuis l’âge de 7 ans. Lui-même père d’un enfant de 3 ans, il avait connu des problèmes de consommation d’alcool et de drogue à l’adolescence et complété plusieurs sessions de formation depuis le début de son incarcération.
[720] Les deux crimes ayant été perpétré dans des circonstances différentes, le juge Campbell estima que l’attribution de peines concurrentes d’inéligibilité aurait eu pour effet de dévaluer la vie d’une des deux victimes[434].
[721] R. v. Kionke (8 mai 2018)[435] : un simple trouble de voisinage amena Jeffrey Kionke à suriner deux voisins dans leur propre résidence et à être déclaré coupable de deux meurtres au deuxième degré.
[722] Âgé à l’époque de 44 ans, l’accusé avait à son crédit 17 condamnations antérieures, dont deux pour violence qui lui avaient valu de courtes périodes de détention. Sévèrement agressé, tant sexuellement que physiquement, lorsqu’il était enfant, Kionke souffrait d’alcoolisme. Des tentatives de suicide et un accident de la route avaient également laissé sur lui d’importantes séquelles.
[723] Au moment de recevoir sa sentence, l’accusé était incarcéré depuis 4 ans et avait complété une quarantaine de programmes de réhabilitation à l’intérieur des murs. Le juge Keyser le condamna, sur chacun des deux chefs d’accusation, à des périodes d’inéligibilité d’une durée de 20 ans, à être purgées de manière concurrente.
[724] R. v. Zekarias (14 août 2018)[436] : l’accusé et la victime, madame Ghirmay, se connaissaient depuis 2010, époque où ils s’étaient rencontrés dans un festival. Ils devinrent rapidement amis et l’accusé hébergea même la dame pendant un certain temps. Ils demeurèrent par la suite en contact étroit.
[725] Le 15 mai 2013, madame Ghirmay se présenta au domicile de l’accusé. Ce dernier la tua le soir même, craignant qu’elle ne divulgue à la police certaines informations en lien avec son implication dans le meurtre d’une autre femme. Zekarias procéda ensuite au démembrement de la victime, nettoya son appartement, plaça les restes de madame Ghirmay dans une valise et en disposa aux quatre coins de la ville. Pour l’ensemble de son œuvre, Zekarias fut finalement trouvé coupable de meurtre au second degré et d’outrage à un cadavre.
[726] La couronne suggéra une période d’inadmissibilité pouvant varier de 20 à 25 ans pour le meurtre au second degré, à subir consécutivement à la sentence déjà infligée pour le premier meurtre. La défense proposa une durée d’inadmissibilité de 13 à 15 ans, concurrente à celle prononcée pour le meurtre au premier degré.
[727] Âgé de 41 ans au moment des événements, Zekarias était sans antécédent judiciaire avant sa condamnation pour le premier homicide. Il avait fui la persécution gouvernementale de son pays d’origine, l’Érythrée, pour trouver refuge au Soudan, puis au Canada où il immigra en décembre 2009. Il souffrit par la suite d’un symptôme post-traumatique, d’anxiété et de dépression.
[728] Trouvé coupable de meurtre au premier degré aux dépens d’une autre femme le 9 juin 2015, il purgeait déjà une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.
[729] Pour le juge Brown, l’ensemble des circonstances et le principe de proportionnalité commandaient l’imposition d’une période d’inadmissibilité consécutive à la première peine. Il imposa donc à l’accusé, pour le meurtre de madame Ghirmay, une période additionnelle de 20 ans d’inéligibilité, rendant ainsi l’accusé admissible à une remise en liberté sous conditions à l’âge de 86 ans.
[730] R. v. Marki (29 août 2018)[437] : appelés sur les lieux d’un incendie, les pompiers découvrirent, dans une résidence de Thunder Bay, les corps inanimés de Wilfred Potts et Anne Chuchmuch. Ces derniers portaient encore les traces de multiples blessures provenant des coups de couteau que leur avait administrés l’accusé.
[731] Benjamin Marki avait connu une enfance trouble, son père étant membre d’un groupe de motards criminalisés et sa mère étant intimement liée à ce gang. Ses parents se séparèrent alors qu’il n’était âgé que de 6 ans. Il fut élevé par sa mère, qui luttait contre un important problème de consommation. Il fit d’ailleurs l’objet d’abus de la part de cette dernière et de plusieurs de ses amis de cœur. Ses premières condamnations criminelles dataient de l’époque où il n’était âgé que de 15 ans. À l’âge de 17 ans, il était déjà aux prises avec d’importants problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie. Il fut par la suite condamné à plusieurs reprises à des peines de détention pour diverses infractions criminelles contre la propriété. C’est d’ailleurs lors d’un séjour en prison qu’il fit la connaissance de la victime Potts. La majorité de sa vie adulte fut consacrée à la pratique d’activités criminelles et antisociales pour lesquelles il n’éprouvait aucun remords. L’accusé estimait d’ailleurs avoir passé 7 de ses 42 années vécues en prison.
[732] Âgé de 40 ans au moment de la commission des crimes, Marki, qui est d’origine autochtone, n’a pas établi en quoi cet héritage aurait pu constituer un élément significatif dans son éducation ou contribuer d’une quelconque façon à sa délinquance.
[733] Le juge Platana condamna donc l’accusé, sur chacun des deux chefs d’accusation de meurtre au second degré, à des périodes d’inéligibilité de 20 ans d’inéligibilité, devant être purgées de façon concurrente.
[734] R. v. Brass (14 décembre 2018)[438] : le 23 octobre 2018, monsieur Brass fut trouvé coupable d’un meurtre au deuxième degré commis le 8 février 2017. La victime s’était présentée dans un point de vente de stupéfiants et avait reconnu, sur place, l’accusé avec qui il avait déjà eu maille à partir. Elle s’approcha de Brass et une dispute éclata entre les deux hommes. L’accusé s’empara d’une arme de poing et logea deux balles dans la poitrine de la victime, qui décéda après avoir quitté les lieux.
[735] Le ministère public suggéra que Brass soit condamné à une période de 25 années d’inéligibilité consécutive à une autre identique qui lui avait été imposée le 20 septembre 2018 suite à une condamnation pour meurtre au premier degré, de sorte que la période cumulative d’inadmissibilité à toute libération conditionnelle totaliserait 50 ans. La défense, en revanche, plaida que toute période d’inadmissibilité devrait être purgée concurremment à celle déjà octroyée en septembre 2018.
[736] Monsieur Brass s’identifia lui-même comme un « Treaty Indian ». Il grandit en Saskatchewan et fut élevé par sa grand-mère, sa mère étant polytoxicomane. Âgé de 36 ans, ses antécédents judiciaires comprenaient 43 condamnations antérieures, dont une vingtaine prononcées à l’âge adulte. Il commit également trois vols qualifiés entre ses deux meurtres, perpétrés respectivement les 8 février et 29 avril 2017. Depuis son incarcération, il refusait de participer à quelque programme de réhabilitation que ce soit et faisait preuve d’un mauvais comportement. Il ne manifestait aucun remords pour la mort de sa victime.
[737] Le juge Toews nota que si la période d’inadmissibilité totale demeurait équivalente à 25 ans, l’accusé deviendrait éligible à une remise en liberté sous conditions à l’âge de 60 ans. Par contre, s’il devait imposer une période consécutive de 25 ans d’inéligibilité, Brass ne deviendrait alors admissible à une libération conditionnelle qu’à 85 ans. Il conclut :
“ I have considered whether a 50-year period of parole ineligibility, until the offender is approximately 85 years of age, would be unduly long or harsh. In my opinion, the prohibition on even applying for parole until then virtually eliminates any hope. Such a sentence in this case would be unduly long or harsh.
I have also considered the possibility of imposing a total period of concurrent parole ineligibility of up to 25 years. With the exception of whatever weight the parole board may choose to assign to that factor in the future, the result in that scenario would not materially affect Mr. Brass's current ability to apply for parole, regardless of how many years of ineligibility is imposed with respect to this conviction. I find it would not be just and appropriate to impose a concurrent period of parole ineligibility for this murder in that it fails to fully acknowledge the loss of life in this case and the callousness of the offender's actions.
[ … ]
I am satisfied a sentence of life imprisonment without eligibility for parole until Mr. Brass has served at least 15 years of that sentence is a just and appropriate penalty for this conviction in these circumstances. Furthermore, I am satisfied that based on the criteria set out in the Code, including the general principles of sentencing, this period of 15 years of parole ineligibility should be served consecutively to the 25-year period of parole ineligibility ordered in respect of the Regina murder, for a global parole ineligibility period of 40 years. ”[439]
[Notre soulignement]
[738] R. v. Delorme (11 décembre 2018)[440] : le 18 décembre 2015, Delorme et deux complices, l’un étant son neveu âgé d’à peine 13 ans, se présentent dans un dépanneur pour y commettre un vol à main armée. Tandis que l’accusé pointe le commis avec son arme de poing, ses complices le brutalisent et lui dérobent des billets de loterie, des cigarettes et le contenu du tiroir-caisse. Le préposé n’oppose aucune résistance. En quittant les lieux, l’accusé abat le malheureux sans raison aucune.
[739] Les malfrats se présentent ensuite dans un deuxième dépanneur pour y répéter leur manège. L’accusé pointe à nouveau le préposé de faction avec son arme, tandis que ses complices dérobent le contenu de la caisse. Alors que les assaillants quittent les lieux, Delorme remet son arme à feu à son complice adulte, qui tire en direction de l’employé qui tente alors de se cacher derrière le comptoir. Atteint par balles, le commis décèdera de ses blessures.
[740] L’accusé fut trouvé coupable, en juin 2018, de deux meurtres au premier degré et deux vols qualifiés. Le prononcé de la peine fut reporté au mois de décembre suivant pour permettre la confection d’un rapport « Gladue », Delorme ayant un héritage métis.
[741] Âgé de 24 ans au moment des crimes, Laylin Cole Alex Delorme avait déjà à l’époque un casier judiciaire bien garni, comprenant notamment des condamnations pour agression armée, voies de fait simple, vol et possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic. Lui-même toxicomane et consommateur de « crystal meth », la drogue semble pourtant n’avoir joué aucun rôle dans cette malheureuse affaire. Delorme exprima par ailleurs des remords devant le tribunal.
[742] Le juge Graesser identifia plusieurs points communs entre l’affaire dont il était saisi et les faits rapportés dans R. v. Klaus. Il cita avec approbation le principe énoncé une soixantaine d’années plus tôt dans le rapport Fauteux et voulant que tout prisonnier puisse conserver l’espoir que son emprisonnement prenne éventuellement fin.
[743] Jugeant les périodes mandatoires d’inéligibilité à la libération conditionnelle difficilement réconciliables avec les principes énoncés dans les arrêts Gladue[441] et Ipeelee[442], le tribunal condamna l’accusé à des périodes concurrentes de 25 ans d’inadmissibilité pour chacun des deux meurtres. Il ajouta :
“ I have greater faith in the National Parole Board than did Parliament in 2011. It appears then that they did not trust the Parole Board to keep dangerous people in jail. They will have the great benefit of hindsight as to how Mr. Delorme has actually acted over 25 years of incarceration. They are, in my view, in a far better position to view rehabilitation and public safety than am I, relying on a crystal ball into the future. ”[443]
[744] R. v. Millard (18 décembre 2018)[444] : alors qu’il avait déjà été condamné à deux reprises pour meurtre au premier degré en juin 2016 et février 2018 et qu’il purgeait une peine d’emprisonnement à perpétuité assortie d’une période cumulative de 50 ans d’inéligibilité, Dellen Millard fut trouvé coupable, le 24 septembre 2018, du meurtre au premier degré de son père Wayne. L’infraction avait, comme les deux autres homicides, été perpétrée au cours de l’année 2012.
[745] Âgé de 27 ans lors de la commission de ce troisième crime, Millard avait tiré un coup de feu dans l’œil de son père, alors que son dernier sommeillait. Avant de ce faire, il avait pris soin de préparer un alibi. La preuve démontrait un haut degré de préméditation et de planification.
[746] Le juge Forestell prit en considération le principe de la totalité des peines, mais évalua que les espoirs de réhabilitation de l’accusé était à ce point minime que l’objectif de réinsertion sociale ne devait jouer qu’un rôle mineur dans cette affaire.
[747] Privilégiant les principes de dénonciation et de rétribution, il condamna Dellen Millard a une peine de 25 ans d’inadmissibilité devant être purgée de façon consécutive à celles déjà imposées, totalisant ainsi une période de 65 ans d’inéligibilité.
[748] Trois constats s’imposent.
[749] Dans un premier temps, les décisions rendues dans les affaires Bourque, Ostamas, Garland et Borutski ne font aucunement référence au principe fondamental de la totalité. Les trois premiers individus se sont vus infliger des périodes cumulatives de 75 ans d’inadmissibilité tandis que Basil Borutski fut condamné à une période de 70 ans d’inéligibilité. Les prescriptions de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt M.(C.A.) ne portent pourtant pas à interprétation : le juge qui impose une sentence et ordonne au délinquant de purger des peines consécutives pour des infractions multiples doit s’assurer que la sanction cumulative prononcée ne dépasse pas la culpabilité globale du contrevenant. Cette analyse n’ayant manifestement pas été effectuée dans les quatre affaires précitées, le soussigné ne leur accordera aucune valeur jurisprudentielle.
[750] Deuxièmement, les peines attribuées dans les affaires Baumgartner, W.G.C. et Bains résultent de suggestions communes, ce qui diminue d’autant leur intérêt à titre de précédents quant au quantum. Les raisonnements juridiques sous-tendant ces décisions n’en demeurent pas moins pertinents.
[751] En dernier lieu, aucune des 24 décisions précitées ne traite d’une transaction criminelle impliquant plus de trois victimes de meurtre ou, de manière encore plus significative, d’homicides motivés par des préjugés ou de la haine fondés sur la race, l’origine national ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, la déficience mentale ou physique ou l’orientation sexuelle.
[752] Il résulte de ce qui précède que le principe d’harmonisation des peines ne se verra attribuer qu’une importance relative dans la présente affaire.
ix) La proportionnalité
[753] Le principe de proportionnalité constitue, pour reprendre les termes utilisés par l’honorable juge LeBel dans l’arrêt Nasogaluak, « un élément central de la détermination de la peine »[445]. Bien avant sa cristallisation par le biais de l’entrée en vigueur de l’article 718.1 C.cr., la proportionnalité jouait un rôle cardinal dans la détermination de la peine. Le juge LeBel mentionne :
« Ce principe possède une dimension constitutionnelle, puisque l’art. 12 de la Charte interdit l’infliction d’une peine qui est exagérément disproportionnée au point de ne pas être compatible avec le principe de la dignité humaine propre à la société canadienne. »[446]
[754] Le principe de la proportionnalité requiert du juge qu’il examine à la fois la situation particulière de l’accusé et les circonstances propres de l’infraction[447]. La sanction ne doit pas excéder « ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction »[448].
[755] Le soussigné reconnaît que l’article 745.51 C.cr. permet d’honorer plus efficacement le principe fondamental de la proportionnalité en permettant l’imposition de peines d’inéligibilité consécutives.
[756] Préalablement à l’adoption de cette disposition, il était en effet inique qu’un tribunal ne puisse, dans les cas et dans la mesure appropriés, infliger à un contrevenant une période d’incarcération mandatoire additionnelle à celle déjà prévue à l’article 745 C.cr. dans un scénario de meurtres multiples. Malgré leur culpabilité morale différente, le simple meurtrier, le meurtrier de masse et le meurtrier en série étaient ainsi placés sur un pied d’égalité.
[757] On doit donc conclure que l’article 745.51 C.cr. sert, dans les cas appropriés, les fins de la proportionnalité et du « juste dû ».
x) La totalité
[758] La possibilité pour le pouvoir judiciaire d’infliger à un contrevenant une ou plusieurs peines consécutives à toute autre sentence d’emprisonnement ne doit pas être interprétée comme une autorisation de s’abandonner à la démesure par le biais de sanctions médiatiquement spectaculaires, mais somme toute peu significatives quant à leur impact réel.
[759] Le tribunal qui administre des sentences consécutives doit s’assurer que la peine cumulative reflète la culpabilité morale globale de l’acccusé et demeure juste et appropriée, à défaut de quoi il lui faudra l’ajuster à la baisse[449]. Les juges doivent, en tout temps, recourir à leur sens commun pour protéger les justiciables contre les sanctions démesurées[450].
[760] L’âge de l’accusé constitue évidemment un facteur important à prendre en considération. Lorsque la période de détention envisagée dépasse l’espérance de vie du délinquant, les objectifs utilitaristes et normatifs de la détermination de la peine perdent progressivement leur pertinence[451].
[761] Les propos suivants de l’honorable R.A. Blair, j.a. de la Cour d’appel de l’Ontario, sont particulièrement pertinents aux considérations qui précèdent :
“ Here, the sentencing judge did not address her mind to the principle of totality. Having regard to the foregoing considerations, I am persuaded that the combined sentence of 23 years imprisonment imposed on the appellant is unduly long and harsh. I would reduce each of the concurrent sentences of 14 years in relation to the 9 current convictions to 11 years for a global sentence of 20 years.
[ … ]
The appellant was 54 years old at the time of his most recent convictions and the 14-year concurrent sentences accompanying them. He is a hardened and chronic recidivist - particularly when it comes to bank robberies - but he did express remorse by pleading guilty and in his comments at the sentencing hearing appears to have been reaching out for assistance in coping with his drug addiction. The sentencing judge excluded rehabilitation from her deliberations because she felt that, although the appellant had had some counselling over the years during his incarcerations, “[i]t worked for a while, [but] it has not worked since. ”
[ … ]
If the sentences under appeal are upheld, the appellant would be 77 years old after serving a total sentence of 23 years. While not “greatly exceed[ing] [his] expected remaining life span,” perhaps, the combined sentence comes close to the point of crushing all hope. Some might say that a person in the appellant’s position deserves such an outcome. But I do not believe it to be what the principle of totality calls for here.
In all of the circumstances, I am persuaded that a global sentence of 23 years’ imprisonment is unduly long and harsh. At the same time, the principle of totality is tempered and must co-exist with other considerations relating to the integrity of Canada’s sentencing regime where the crimes for which the offender is currently being sentenced were committed while the offender was on parole or other form of statutory release in relation to a prior existing sentence. This is particularly so where - as here - the offender is a serial criminal committing serious crimes. The appellant’s history and extensive criminal record, together with the need for deterrence, denunciation, promotion of a sense of responsibility in the offender and acknowledgement of harm done to victims and to the community, as well as the protection of the public in his case, require a stiff consecutive sentence.
In varying the sentence, as I propose to do, I emphasize that in my opinion the concurrent sentences of 14 years’ imprisonment on the 9 robbery charges were quite appropriate, viewed alone. A totality of 23 years’ imprisonment is unduly long and harsh, however - for all of the reasons outlined above - and I would accordingly reduce the global sentence to one of 20 years in order to achieve a result that I believe to be “just and appropriate ” in all of the circumstances. ”[452]
[762] Dans l’arrêt Desjardins, la Cour d’appel du Québec, sous la plume de l’honorable juge Mainville j.c.a., décrit la difficulté d’application du principe de la totalité et les risques de distorsion de la peine pour chacune des infractions concernées. Pour éviter cet effet pervers, elle résume ainsi la méthode à suivre pour en arriver à une sanction globale juste et appropriée :
« Dans le but d’éviter cette distorsion et ces effets non voulus, la peine juste et appropriée pour chaque chef d’accusation devrait être déterminée selon les objectifs et principes applicables à la détermination des peines et le caractère concurrent ou consécutif de chacune de ces peines par rapport aux autres peines infligées devrait être prononcé, le tout sans égard à la peine totale qui peut en résulter.
Ce n’est qu’une fois que ce travail est effectué que le principe de la totalité des peines devrait être considéré. Si, en application de ce principe, le tribunal estime que la peine totale devrait être réduite, il est alors préférable, dans la mesure du possible, de rendre les peines en cause concurrentes afin d’atteindre ce but. Si la méthode des peines concurrentes ne peut donner une peine totale juste et appropriée, le tribunal peut alors réduire une ou plusieurs des peines sur certains chefs afin d’atteindre la peine totale appropriée.
La détermination de la peine doit demeurer un exercice transparent et, à cette fin, le tribunal doit indiquer lesquelles des peines autrement consécutives sont devenues concurrentes à cause du principe de la totalité des peines ou, le cas échéant, lesquelles des peines identifiées ont été réduites à cette fin.
Si un certain flottement jurisprudentiel existait quant à la méthode appropriée pour déterminer la peine totale lors d’infractions multiples menant à des peines consécutives, il semble maintenant acquis que la méthode décrite ci-dessus (la méthode de la « peine totale ») est celle qui doit être privilégiée. »[453]
[Notre soulignement]
[763] Comme nous le verrons, cette approche comporte malheureusement d’importantes limites pour l’imposition de peines consécutives dans les cas impliquant deux ou plusieurs meurtres au premier degré.
C) La conclusion
[764] Prenant en considération le caractère du délinquant, la nature des infractions, les circonstances entourant leur perpétration, les principes directeurs et secondaires gouvernant la détermination de la peine de même que l’ensemble de la preuve, le soussigné considère nécessaire d’ordonner, pour Alexandre Bissonnette, qu’une certaine période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle soit purgée de manière consécutive à celle déjà prévue au paragraphe 745(a) du Code criminel.
[765] Le Tribunal ne peut entériner la suggestion de la Défense qui propose l’octroi d’une période totale de 25 années d’inadmissibilité. Cette recommandation occulte complètement le nombre de personnes décédées, l’inqualifiable violence exercée, les motivations profondes de l’accusé et les répercussions dramatiques des gestes posés sur les membres des familles endeuillées, la communauté musulmane de Québec et la société en général.
[766] Les besoins de dénonciation, d’exemplarité et de neutralisation sont si pressants en l’espèce que l’imposition de six périodes concurrentes d’inéligibilité déconsidérerait l’administration de la justice.
[767] Tout comme celle du Ministère public, la position maintenue par l’accusé est déraisonnable. Elle s’explique peut-être, cependant, par deux facteurs.
[768] D’une part, le juge d’instance ne peut, dans les cas de meurtres au premier degré, augmenter la période d’inadmissibilité que par multiples de 25 ans. La discrétion du Tribunal devient, dans de telles circonstances, extrêmement limitée. Obligé d’éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction de peines consécutives, le juge n’a d’autre choix, lorsqu’il estime qu’une période d’inéligibilité totale supérieure à 25 ans, mais inférieure à 50 ans serait indiquée, d’imposer à l’accusé une période de 25 ans d’inadmissibilité.
[769] D’autre part, le juge ne peut ordonner qu’une deuxième période de 25 ans d’inadmissibilité soit partiellement concurrente à une première sans aller à l’encontre des termes clairs du paragraphe 745(a) prévoyant que « le bénéfice de la libération conditionnelle est subordonné, en cas de condamnation à l’emprisonnement à perpétuité [ … ] pour meurtre au premier degré, à l’accomplissement d’au moins 25 ans de la peine »[454].
[770] Alexandre Bissonnette doit donc, de l’avis du Tribunal, être condamné à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pour une période excédant 25 ans.
[771] Nous sommes donc en présence d’un fondement factuel justifiant le soussigné d’examiner la constitutionnalité de l’article 745.51 Ccr. en regard des articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.
V- LA CONSTITUTIONNALITÉ
1) LE DROIT APPLICABLE
A) La Charte canadienne
a) Considérations générales
[772] En promulguant la Loi de 1982 sur le Canada, le Parlement britannique abandonnait son pouvoir de légiférer sur le Canada et adoptait pour celui-ci la Loi constitutionnelle de 1982, comprenant notamment, à sa Partie I, la Charte canadienne des droits et libertés. Cette dernière fut adoptée par le Parlement canadien le 8 mars 1982 et entra en vigueur le 17 avril suivant.
[773] Nantie d’un statut constitutionnel, la Charte canadienne comporte un caractère supralégislatif; elle rend inopérante, par le biais de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, toute règle de droit incompatible avec l’une ou l’autre de ses dispositions.
[774] L’entrée en vigueur de la Charte canadienne modifiant substantiellement le droit criminel canadien. Elle délimita la doctrine constitutionnelle orthodoxe de la souveraineté parlementaire en attribuant aux tribunaux le pouvoir d’invalider toute règle de droit enfreignant l’un ou l’autre des droits ou libertés garantis par la Charte[455]. Selon les auteurs Brun, Tremblay et Brouillet :
« La Charte canadienne est donc au-dessus de la loi et du législateur, ce qui a pour effet de confier aux tribunaux, chargés de son application, un rôle excentrique qui peut être qualifié de politique étant donné le caractère vague et imprécis des droits que proclame la Charte. Cette orientation constitutionnelle fondamentale, qui remonte à 1982, a donc eu pour effet global de faire passer le Canada d’un régime de suprématie législative à l’anglaise à un régime de suprématie judiciaire à l’américaine [ … ] »[456]
[775] Il est important de souligner que le législateur conserve toutefois la faculté d’édicter certaines règles de droit allant à l’encontre de l’une ou l’autre des dispositions de la Charte « dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique »[457].
[776] L’article 26 de la Charte stipule ce qui suit :
26. Maintien des autres droits et libertés - Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne constitue pas une négation des autres droits et libertés qui existent au Canada.
[777] Ainsi, la Déclaration canadienne des droits, adoptée en 1960 et applicable à tout domaine de compétence fédérale, conserve toute sa force et son effet[458]. Cette loi de nature quasi constitutionnelle ne s’applique qu’à l’État et génère des effets cumulatifs assurant une meilleure protection des droits et des libertés[459].
b) Principes d’interprétation
[778] La Charte canadienne, tout comme la Déclaration canadienne des droits d’ailleurs, doit faire l’objet d’une interprétation large et libérale. La jurisprudence reconnaît que les citoyens canadiens doivent bénéficier, dans la mesure du possible, des protections offertes par ces dernières[460]. À titre d’exemple, on peut citer les commentaires de l’honorable juge en chef Dickson dans l’arrêt Hunter c. Southam :
« La nécessité d’aborder dans une perspective d’ensemble les documents constitutionnels est un thème bien connu en droit constitutionnel canadien. Ce point de vue se retrouve dans la formulation classique du vicomte Sankey dans l’arrêt Edwards v. Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124, à la page 136, laquelle a été citée et appliquée dans d’innombrables décisions canadiennes.
[TRADUCTION] L’Acte de l’Amérique du Nord britannique a planté au Canada un arbre susceptible de croître et de se développer à l’intérieur de ses limites naturelles. L’Acte avait pour objet de donner une Constitution au Canada … Leurs Seigneuries croient non pas que cette chambre a le devoir - ce n’est certainement pas là leur volonté - de restreindre la portée des dispositions de l’Acte par une interprétation étroite et littérale, mais plutôt qu’il lui incombe de lui donner une interprétation large et libérale.
Récemment, dans l’arrêt Minister of Home Affairs v. Fisher, [1980] A.C. 319, portant sur la Constitution des Bermudes, lord Wilberforce a réaffirmé à la page 328 qu’une constitution est un document [TRADUCTION] « d’une espèce particulière qui requiert des règles d’interprétation qui lui sont propres, qui conviennent à sa nature », et que comme telle, une constitution qui contient une Déclaration des droits exige :
[TRADUCTION] …une interprétation libérale afin d’éviter ce qu’on a appelé « l’austérité du juridisme tabulaire » et de permettre aux particuliers de bénéficier pleinement des droits et libertés fondamentaux mentionnés.
Cette analyse générale qui consiste à examiner le but visé et à interpréter les dispositions particulières d’un document constitutionnel en fonction de ses objectifs plus larges est également compatible avec les règles classiques d’interprétation de la Constitution américaine énoncées par le juge en chef Marshall dans l’arrêt M’Culloch v. Maryland, 17 U.S. (4 Wheat.) 316 (1819). C’est également le point de vue que j’entends adopter en l’espèce. »[461]
[779] Ce principe d’interprétation large et libérale fait écho au devoir des tribunaux d’accorder priorité aux droits individuels[462].
[780] Les interprétations techniques et légalistes sont à proscrire. Il convient d’interpréter les mots utilisés dans la Charte canadienne selon leur sens populaire[463]. En outre, l’analyse d’un droit « doit s’établir en fonction des intérêts à protéger, de la nature et des objectifs plus larges de la Charte, des termes choisis, de l’origine historique des concepts et, enfin, du sens et de l’objet des autres droits »[464]. En d’autres termes, la Charte canadienne doit être interprétée comme un tout.
[781] Contrairement à la Déclaration canadienne, la Charte ne se limite pas à reconnaître l’existence de certains droits. Elle promeut leur adaptation et doit en conséquence faire l’objet d’une interprétation dynamique et évolutive :
« Le principe de l’interprétation dynamique et évolutive exige que la définition des droits favorise plutôt l’évolution de la Charte. Le contenu et la portée des droits changeront avec l’évolution de la société. Donc, en l’interprétant, le pouvoir judiciaire doit maintenir l’équilibre entre la souplesse et la certitude. Une interprétation étroite et formaliste, qui n’est pas animée par un sens des inconnues de l’avenir, pourrait retarder le développement du droit et par conséquent celui de la société qu’il sert. [ … ] »[465]
[Notre soulignement]
[782] De même, la « suprématie de Dieu » et la « primauté du droit », principes identifiés dans le Préambule de la Charte comme ayant servi de « fondements » au Canada, devraient également permettre de définir et interpréter les droits énoncés dans cette dernière[466].
B) L’article 12
a) Considérations générales
[783] L’article 12 de la Charte canadienne se lit ainsi :
12. Cruauté - Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruelles et inusités.
[784] Dans l’arrêt R. c. Smith[467], l’honorable Antonio Lamer explique l’importance qu’occupe la dignité humaine au regard de cette disposition supralégislative :
« La limite en cause en l’espèce est celle apportée par l’art. 12 de la Charte. À mon avis, la protection accordée par l’art. 12 régit la qualité de la peine et vise l’effet que la peine peut avoir sur la personne à qui elle est infligée. [ … ] Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l’art. 12 de la Charte consiste, pour reprendre les termes utilisés par le juge en chef Laskin à la p. 688 de l’arrêt Miller et Cockriell, précité, à se demander « si la peine infligée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine ». En d’autres termes, bien que l’État puisse infliger une peine, l’effet de cette peine ne doit pas être exagérément disproportionné à ce qui aurait été approprié. »[468]
[Nos soulignements]
[785] Ainsi, une peine ne doit jamais être exagérément disproportionnée « à ce qui aurait été approprié en vue de punir, de réadapter ou de dissuader le contrevenant particulier ou de protéger le public contre ce dernier »[469]. Une sentence excessive ou dégradante au point de devenir incompatible avec la dignité humaine sera considérée comme cruelle et inusitée[470].
[786] Le principe de la proportionnalité comporte donc, par le biais de l’article 12, une dimension constitutionnelle[471].
[787] L’expression « traitements ou peines cruels et inusités » renvoie à une norme constitutionnelle stricte et exigeante[472]. Une peine peut paraître excessive sans pour autant justifier l’application de la protection constitutionnelle offerte par l’article 12. Il en va ainsi de toute sanction dérogeant au principe de proportionnalité qui ne peut, pour autant, être considérée comme incompatible avec la dignité humaine. Pour être inconstitutionnelle, une peine doit être « cruelle et inusitée », c’est-à-dire « exagérément disproportionnée au point de devenir odieuse ou intolérable socialement ».[473]
[788] Dans R. c. Nur, les juges majoritaires de la Cour suprême soulignent, sous la plume de l’honorable juge en chef McLachlin :
« La Cour place la barre haute lorsqu’il s’agit de tenir une peine pour « cruel[le] et inusité[e] » au sens de l’art. 12 de la Charte. La peine doit en effet être totalement disproportionnée à celle qui convient eu égard à la nature de l’infraction et à la situation du délinquant (R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, p. 1073). Le juge Lamer (plus tard Juge en chef) explique à la p. 1072 que le critère de la disproportion [totale] « vise les peines qui sont plus que simplement excessives ». Il ajoute : « Il faut éviter de considérer que toute peine disproportionnée ou excessive est contraire à la Constitution [ … ] » Une peine prescrite peut être totalement disproportionnée dans le cas du délinquant en cause ou peut avoir sur une autre personne un effet totalement disproportionné, la peine étant dès lors inconstitutionnelle. »[474]
[Nos soulignements]
[789] S’exprimant à nouveau pour la majorité, le juge en chef statue, dans l’arrêt Lloyd :
« La Cour place la barre haute lorsqu’il s’agit de savoir si une peine constitue une peine cruelle et inusitée. Pour qu’elle soit « exagérément disproportionnée », la peine ne peut être simplement excessive. Elle doit être « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine », de même qu’« odieuse ou intolérable » socialement. […] Plus la variété des comportements et des circonstances qui font encourir la peine minimale obligatoire est grande, plus cette peine est susceptible d’être infligée à des délinquants pour lesquels elle est exagérément disproportionnée. »[475]
[Nos soulignements]
[790] L’expression « exagérément disproportionnée » est indifféremment utilisée dans d’autres arrêts de la Cour[476] et doit se voir attribuer la même signification que « totalement disproportionnée ». D’autres autorités réfèrent indistinctement à un « outrage aux normes de décence »[477].
[791] Bref, le Parlement ne saurait être astreint à un critère à ce point strict qu’il « exigerait des peines parfaitement adaptées aux nuances morales qui caractérisent chaque crime et chaque délinquant »[478].
[792] Toujours dans Lloyd, le juge en chef McLachlin insiste sur la déférence dont doit faire preuve le pouvoir judiciaire face aux moyens déployés par le législateur pour atteindre ses buts :
« Le Parlement possède le pouvoir de faire des choix de politique générale en ce qui a trait à l’infliction de peines aux auteurs d’actes criminels et d’arrêter les peines qu’il juge appropriées pour tenir compte des objectifs que sont la dissuasion, la dénonciation, la réadaptation et la protection de la société. Dans leur analyse au regard de l’art. 12, les tribunaux doivent faire preuve de déférence vis-à-vis du législateur. »[479]
[793] Le Parlement jouit d’une large discrétion pour interdire les comportements qu’il juge criminels et pour décider de la sanction appropriée. Comme le soulignait le juge Borins dans l’affaire Guiller :
« [TRADUCTION] Il n’appartient pas au tribunal de se prononcer sur la sagesse du législateur fédéral en ce qui concerne la gravité de diverses infractions et les différentes peines qui peuvent être infligées aux personnes reconnues coupables de les avoir commises. Le législateur jouit d’une large discrétion pour interdire certains comportements considérés comme criminels et pour déterminer quelle doit être la sanction appropriée. Si le jugement définitif quant à savoir si une peine excède les limites constitutionnelles fixées par la Charte constitue à bon droit une fonction judiciaire, le tribunal devrait néanmoins hésiter à intervenir dans les vues mûrement réfléchies du législateur et ne le faire que dans les cas les plus manifestes où la peine prescrite est excessive, comparativement à la peine prévue pour d’autres infractions, au point de constituer une atteinte aux normes de la décence. »[480]
[794] Les choix de politique générale gouvernant l’infliction de sentence aux auteurs d’actes criminels relèvent du Parlement et non des tribunaux[481]. Hormis les rares cas où ces derniers considèreront qu’une sanction est tellement disproportionnée qu’elle en devient « cruelle et inusitée », ils devront s’abstenir de toute intervention à caractère constitutionnel[482]. Les moyens employés et buts visés par le législateur ne doivent pas être facilement invalidés par le pouvoir judiciaire. Dans l’arrêt Boudreault de la Cour d’appel du Québec, l’honorable juge Mainville mentionne :
« Compte tenu de sa nature, on comprendra que ce ne sera que dans de rares cas qu’une amende pourra être qualifiée de cruelle et inusitée. Comme le signalait le juge Cory dans Steele c. Établissement Mountain :
Il arrivera très rarement qu’une cour de justice conclura qu’une peine est si exagérément disproportionnée qu’elle viole les dispositions de l’art. 12 de la Charte. Le critère qui sert à déterminer si une peine est beaucoup trop longue est à bon droit strict et exigeant. Un critère moindre tendrait à banaliser la Charte.
Cette mise en garde s’applique avec plus de force dans le cas d’une amende. »[483]
[Nos soulignements]
[795] Il importe d’abord de déterminer si le fait d’ordonner que des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour des condamnations pour meurtre soient purgées consécutivement équivaut au prononcé d’une « peine ».
[796] Tout individu reconnu coupable de meurtre au premier degré doit nécessairement être condamné à l’emprisonnement à perpétuité, le bénéfice de sa libération conditionnelle étant alors subordonné à l’accomplissement d’au moins 25 ans d’incarcération. L’ajout, dans les cas de meurtres multiples, de périodes d’inéligibilité consécutives doit-il être considéré comme une partie de la « peine »?
[797] Très récemment, l’honorable juge Martin de la Cour suprême confirmait, dans R. c. Boudreault, que « la peine devrait recevoir la même acception aux articles 11 et 12 de la Charte »[484]. Or, dans l’arrêt K.R.J.[485], l’honorable juge Karakatsanis identifiait les critères permettant d’évaluer si une mesure correspond ou non « à une peine », au sens du paragraphe 11(i) de la Charte :
1) la mesure est une conséquence d’une déclaration de culpabilité qui fait partie des sanctions dont est passible un accusé pour une infraction donnée; et
2) soit elle est conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine, ou
3) soit elle a une grande incidence sur le droit du contrevenant à la liberté et à la sécurité.[486]
[798] Le soussigné n’hésite aucunement à conclure, comme le lui suggèrent les parties, que l’imposition de périodes d’inadmissibilité consécutives en lien avec deux ou plusieurs condamnations pour meurtre représente, d’une part, une conséquence de ses déclarations de culpabilité faisant partie des sanctions dont est passible l’accusé et emporte, d’autre part, une grande incidence sur les droits de ce dernier à la liberté et à la sécurité.
[799] D’ailleurs, l’honorable juge en chef Lamer mentionnait déjà, en 1996, que l’inadmissibilité à la libération conditionnelle fait partie du châtiment et constitue un élément important de la politique en matière de détermination de la peine[487]. Depuis lors, plusieurs des décisions auxquelles nous avons déjà référé et portant sur l’application de l’article 745.51 C.cr. confirment que la période d’inéligibilité est une composante importante de la sanction infligée aux meurtriers[488].
b) Le test applicable
[800] Il appartient évidemment à l’accusé de persuader le Tribunal, par prépondérance de preuve, de la violation de son droit à la protection contre toute peine cruelle et inusitée[489].
[801] L’arrêt Nur[490] énonce le test applicable à une disposition législative comportant une peine minimale obligatoire. Par sa nature, cette dernière est essentiellement axée sur la dénonciation, le « juste dû » et la dissuasion générale; l’importance de la proportionnalité s’en trouve sensiblement diminuée. Cette conjoncture peut parfois mener à l’imposition de sanctions injustes, la culpabilité morale du délinquant et ses caractéristiques personnelles « n’étant plus au centre du processus »[491].
[802] Le juge en chef McLachlin décrit ainsi l’analyse en deux étapes devant être complétée par le tribunal appelé à statuer sur la constitutionnalité d’une peine minimale mandatoire sous l’angle de l’article 12 :
« [ … ] Premièrement, le tribunal doit déterminer ce qui constituerait une peine proportionnée à l’infraction eu égard aux objectifs et aux principes de détermination de la peine établis par le Code criminel. Deuxièmement, il lui faut décider si la disposition contraint à l’infliction d’une peine totalement disproportionnée à la peine juste et proportionnée. Dans l’affirmative, la disposition en cause est incompatible avec l’art. 12 et de ce fait inopérante, sauf justification par application de l’article premier de la Charte. »[492]
[Nos soulignements]
[803] La première étape de l’analyse commande une évaluation particularisée de la situation de l’accusé en vue de décider quelle serait la peine juste et appropriée, abstraction faite de la disposition contestée[493].
[804] La deuxième étape implique l’examen de la constitutionnalité de l’article de loi. Le tribunal devra d’abord considérer la situation du délinquant ayant initié le recours sur l’article 12 et analyser si la disposition entreprise a pour effet de lui infliger une peine « exagérément disproportionnée »[494]. Si la réponse est négative, il devra établir si « les applications raisonnablement prévisibles de la disposition infligeront à d’autres personnes des peines totalement disproportionnées »[495].
[805] La présence ou l’absence d’un ou plusieurs principes de détermination de la peine, incluant la dissuasion générale, n’est pas en soi déterminante à cette étape de l’analyse. « Le seul fait qu’une peine vise un objectif de dissuasion générale ne saurait l’empêcher d’avoir un caractère cruel et inusité. Toutefois, ce facteur demeure pertinent lorsque le tribunal examine la fourchette des peines acceptables au regard de l’article 12 »[496].
[806] Les principaux facteurs régissant l’application du critère de la disproportion exagérée ont été repris par la Cour suprême dans l’arrêt Wiles[497] :
1) la gravité de l’infraction commise;
2) les caractéristiques personnelles du contrevenant;
3) les circonstances particulières de l’affaire;
4) l’effet réel du traitement ou de la peine sur l’individu;
[807] Le Tribunal peut également prendre en considération les éléments secondaires suivants, aucun n’étant déterminant en soi[498] :
5) la peine est-elle nécessaire pour atteindre un objectif pénal régulier?
6) la peine repose-t-elle sur des principes reconnus en matière de détermination de la peine?
7) existe-t-il des solutions de rechange valables à la peine effectivement infligée?
8) la comparaison avec des peines infligées pour d’autres crimes dans le même ressort révèle-t-elle une grande disproportion?
[808] Commentant le critère de la « disproportion exagérée », l’honorable juge Gonthier mentionnait :
« [ … ] Ce critère n’est pas simple. Il nécessite que plusieurs facteurs soient minutieusement examinés et soupesés, l’un par rapport à l’autre, quoique chacun des facteurs subsidiaires énumérés par le juge Lamer dans l’arrêt Smith n’ait pas à être pris en considération dans chaque cas. Ce sont des lignes directrices qui, sans être décisives en elles-mêmes, aident à vérifier si la peine est exagérément disproportionnée. »[499]
[809] Il importe à nouveau d’insister sur le fait que le critère des peines « totalement disproportionnées » vise des sanctions dont la propriété est plus que simplement excessive[500].
[810] Tel que mentionné précédemment, l’arrêt Nur cerne le test applicable aux dispositions législatives prévoyant une sentence minimale obligatoire. Or, l’article 745.51 C.cr. ne peut être regroupé dans cette catégorie. Il édicte plutôt la période non obligatoire maximale d’inadmissibilité à une libération conditionnelle à laquelle peut être assujetti un accusé ayant été déclaré coupable de meurtre et qui a été reconnu coupable « d’un ou plusieurs autres meurtres ».
[811] Les parties n’ont soumis aucune argumentation ou autorité suggérant que les critères de l’arrêt Nur ne pourraient être appliqués au cas d’espèce. Au contraire, elles ont présenté leur argumentation respective en fonction des normes dictées par la Cour suprême dans cette décision. De plus, les deux seules décisions judiciaires répertoriées traitant de la validité constitutionnelle de la disposition entreprise s’en remettent expressément à l’arrêt Nur.
[812] Dans R. v. Husbands[501], le juge Ewaschuk résume brièvement cet arrê rendu par la Cour suprême 48 heures à peine avant la publication de son propre jugement.
[813] Dans R. v. Granados-Arana[502], l’honorable K.L. Campbell, confronté à une situation analogue à celle du soussigné, juge également qu’il y a lieu d’appliquer l’examen en deux étapes applicable aux peines minimales obligatoires :
"Of course, s. 745.51 of the Criminal Code does not require sentencing courts to impose any mandatory minimum sentence. Further, as I have indicated, it does not require the imposition of consecutive periods of parole ineligibility in cases of multiple murders. Rather, the provision only provides the discretionary jurisdiction to permit sentencing judges to order consecutive periods of parole ineligibility, in appropriate cases, where an offender has been convicted of multiple murders. Accordingly, the constitutional attack by the accused in the present case is not on the validity of any mandatory minimum sentence, but rather is on validity of the discretionary maximum sentence that might be imposed on an offender under s. 745.51 of the Code.
Nevertheless, the parties have advanced their arguments in this case on the basis that the governing analysis as to the constitutional validity of s. 745.51 of the Criminal Code should include the two-step analysis applicable in consideration of mandatory minimum sentences. While I will consider the validity of s. 745.51 of the Code in accordance with that two-step analysis, as suggested by the parties, I will also consider the validity of the impugned provision more globally, against the generally applicable constitutional standard of "gross disproportionality" under s. 12 of the Charter. The issue in this regard is simply whether s. 745.51 of the Code, considered in the context of the governing sentencing principles, permits the imposition of a sentence that constitutes "cruel and unusual punishment" under s. 12 of the Charter."[503]
[814] Le soussigné se propose d’adopter une approche identique dans la présente affaire.
c) La portée du pouvoir discrétionnaire de l’article 745.51
[815] Aucune autorité jurisprudentielle ne laisse entendre qu’il soit possible pour un juge d’ordonner qu’une partie de la période d’inadmissibilité devant être prononcée pour un meurtre au premier degré soit purgée concurremment à celle d’un autre homicide de la même catégorie, de manière à ce que seul un reliquat de la seconde période soit purgé consécutivement à la première. Le soussigné partage d’ailleurs l’opinion suivante exprimée par le juge Code dans l’affaire Millard :
"There is no authority to date as to whether s. 745.51 permits an order that part of the 25 year parole ineligibility period for first degree murder should be served consecutively and part should be served concurrently. I agree [ … ] that the plain meaning of the statutory provision and the statutory scheme does not permit this result. Section 745.51 states that the trial judge must decide whether "the periods without eligibility for parole for each murder conviction are to be served consecutively". Those "periods without eligibility for parole" are set out in s. 745. The period for first degree murder in s. 745(a) is mandatory and admits of no discretion. If a court concludes that consecutive sentences should be imposed, but then makes only part of the mandatory 25 year period of ineligibility consecutive, the court would be altering the mandatory s. 745(a) sentence. Furthermore, there is nothing in the language of s. 745.51 that refers to "part of the periods without eligibility for parole"."[504]
[816] Dans R. v. Klaus, le juge Macklin adopte cette même interprétation :
"Unlike ss 743.6 and 745.4, this provision does not grant the court discretion to increase a period of parole eligibility by any number of years to a maximum. Rather, it restricts the court's discretion to "stacking" two or more periods.
Under s 745.4, in cases involving second degree murder such as Shropshire, the court may increase parole ineligibility under s 745.4 by any number of years between 10 and 25, to reflect the nature of the crime.
However, any stacking of second degree murder parole periods under s 745.51 would necessarily be in increments of at least 10 years.
In cases involving more than one first degree murder, the court's discretion is restricted to consideration of whether it is appropriate to stack the 25 years parole ineligibility periods."[505]
[Notre soulignement]
[817] Cette interprétation semble conforme au but visé par le législateur.
[818] Le 30 novembre 2010, Me John Giokas, avocat à la Section de la politique en matière de droit pénal au ministère de la Justice, témoignait devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, dans le cadre de l’examen du projet de loi C-48. Il eut alors l’échange suivant avec monsieur Brian Murphy, député de l’opposition officielle :
« M. Brian Murphy (Moncton - Riverview - Dieppe, Lib.) : [ … ]
J’ai une question. Nous allons devoir revenir à des hypothèses. Je crois que nous essayons tous de nous faire une idée du pouvoir discrétionnaire qui pourrait être exercé. Double meurtre, mêmes circonstances : c’est de toute évidence des meurtres au premier degré. Si le juge décide que, pour le premier meurtre, le coupable ne devrait pas être admissible à une libération conditionnelle avant 25 ans, comment va-t-il faire une distinction avec le second meurtre, qui est le même? Le coupable sera automatiquement inadmissible à la libération conditionnelle pendant plus de 50 ans, dans ce cas-là. Je ne vois pas comment un juge pourrait recourir au pouvoir discrétionnaire dans un cas, mais pas dans l’autre.
[ … ]
Deuxièmement, ne serait-il pas mieux de donner aux juges un pouvoir discrétionnaire un peu plus large en ce qui concerne le nombre d’années? Autrement dit, un juge peut, après avoir envisagé ces deux cas, vouloir imposer 25 ans. Il peut hésiter et se demander s’il veut imposer 50 ans. Il pourrait également très facilement imposer 35 ans, mais il doit faire un choix, 10 ans pour un meurtre au deuxième degré, et 25 ans pour un meurtre au premier degré.
On voit à la télévision comment fonctionnent les tribunaux américains : ils choisissent un chiffre au hasard et déclarent : « Vous ne serez pas admissible à une libération conditionnelle avant 36 ans. » Au Canada, on a le choix entre 10 ans, 25 ans, ou, dans le cas d’un double meurtre, 50 ans. Mais on ne peut pas choisir un chiffre entre 25 et 50 lorsqu’il y a eu deux meurtres au premier degré, si j’ai bien compris. Je me demande s’il ne faudrait pas utiliser une échelle graduée. Si vous voulez accorder un pouvoir discrétionnaire, vous devez l’accorder. Vous ne pouvez pas dire que les choix sont limités à 25 ans, 50 ans, 75 ans, ou quoi que ce soit d’autre.
Dans le cas d’un triple meurtre, je crois que nous allons un petit peu loin. L’écart entre 25 ans et 75 ans est assez large. Mais, au moment de choisir une peine de 25 ou de 50 ans, il se peut que le juge se dise : « Cet homme a 40 ans et il devrait payer. » Il n’y a pas à se poser la question : aux yeux de la justice, chaque meurtre a le même poids relativement à l’exemplarité de la peine. Mais au moment de choisir entre une période de 25 ans et une autre de 50 ans, mon Dieu, le juge pourrait penser que la personne concernée a des chances de se réadapter.
J’aimerais que vous me disiez si, à votre avis, nous ne devrions pas prévoir des termes mitoyens, et j’aimerais aussi que vous commentiez le projet de loi S-6.
Me John Giokas : Laissez-moi d’abord répondre à votre seconde question. Le Code criminel prévoit déjà, dans l’article 745, une période obligatoire de 25 ans dans le cas d’un meurtre au premier degré, une période supplémentaire obligatoire de 25 ans pour un second meurtre au premier degré, et ainsi de suite.
Le problème, à l’heure actuelle, c’est que ces peines de 25 ans sont purgées de façon concurrente. Ce que nous avons fait, c’est que nous avons donné aux juges le pouvoir discrétionnaire d’imposer, dans le cas d’un meurtre au premier degré, des peines obligatoires de 25 ans à purger consécutivement. C’est déjà inscrit dans le Code. Il est également indiqué, à l’article 745, que dans le cas d’un meurtre au deuxième degré, lorsque l’auteur a déjà été reconnu coupable d’un autre meurtre, au premier ou au deuxième degré, la peine sera automatiquement de 25 ans.
Le Code criminel a donc déjà prévu la peine de 25 ans. Tout ce que le projet de loi C-48 ajoute, c’est qu’il permet à un juge d’imposer que les peines soient consécutives, en se fondant sur les mêmes critères que ceux qu’il utilise pour rendre des décisions de même nature, c’est-à-dire, par exemple, pour porter à 25 ans la peine minimale de 10 ans dans le cas d’un seul meurtre au deuxième degré.
M. Brian Murphy : Vous ne voyez pas que, entre une peine de 25 ans et une peine de 50 ans dans le cas d’un double meurtre, le juge aimerait peut-être avoir une certaine marge de manœuvre? Vous ne le voyez pas? Vous dites que c’est déjà ainsi - il faut choisir entre 25 ans et 50 ans. C’est ce que vous dites. Voilà tout le pouvoir discrétionnaire dont un juge dispose, selon ce projet de loi. Je ne dis pas que cela n’est pas une bonne chose. Je dis seulement que la marge de manœuvre n’est pas très grande. En fait, il y a 25 ans entre une peine de 25 ans et une peine de 50 ans.
Me John Giokas : Peut-être que je…
M. Brian Murphy : Restons-en à un double meurtre au premier degré. Selon cette loi, la peine sera soit de 25 ans, soit de 50 ans.
Me John Giokas : C’est cela, selon le pouvoir discrétionnaire du juge.
M. Brian Murphy : Vous ne pensez pas que le pouvoir discrétionnaire devrait être plus étendu. D’accord, vous n’allez pas céder sur ce point. »[506]
[Nos soulignements]
[819] Le 9 décembre suivant, monsieur Serge Ménard, également député de l’opposition, formule les commentaires suivants :
« M. Serge Ménard : Je comprends très bien le problème qui a été soulevé par les libéraux et je le vois de la même façon. Je crois que nous devrions tous le voir de la même façon.
Je l’ai examiné pendant au moins une bonne demi-heure. Ce n’est pas facile de s’assurer que le projet de loi atteint bien le but qu’il poursuit. Or le but qu’il poursuit est clair. S’il y a deux meurtres et que le juge a le choix entre imposer une peine de 25 ans et en imposer une de 50 ans, il y un risque que les juges qui aimeraient pouvoir donner une peine de 35 ans ou même de 40 ans choisissent celle de 25 ans plutôt que celle de 50 ans. Et c’est ce que fait la loi actuellement : elle donne le choix entre une peine de 25 ans et une de 50 ans.
C’est vrai aussi qu’on remarque que la majorité des meurtres multiples sont des crimes passionnels. Ce sont des situations familiales pour lesquelles il y a certainement des explications psychologiques profondes qui ne correspondent pas au degré de maladie mentale nécessaire pour excuser la personne de sa responsabilité.
[ … ]
Il y a beaucoup de degrés, généralement, dans la gravité des crimes passionnels. Je suis absolument convaincu que dans ces cas, les juges ne donneraient probablement qu’une peine de 25 ans. [ … ]
[ … ]
Quand les libéraux avaient expliqué cela, je ne l’avais pas compris, mais maintenant je comprends parfaitement, comme eux, que plutôt que de donner aux juges le choix entre imposer une peine de 25 ans et en imposer une de 50 ans, donnons-leur la possibilité d’imposer une peine supérieure à 25 ans, c’est-à-dire d’ajouter 5 ans, 10 ans, 15 ans ou encore 25 ans à la peine initiale de 25 ans. »[507]
[Nos soulignements]
[820] Bob Dechert, député du parti ministériel, déclina cette proposition en ces termes :
« M. Bob Dechert : Très bien.
Dans ce cas, monsieur le président, je dirais que je n’appuie pas l’amendement pour trois raisons.
La première raison est que, comme l’a souligné M. Giokas, le projet de loi demande aux juges d’envisager ces périodes supplémentaires d’inadmissibilité à la libération conditionnelle lorsqu’ils se trouvent devant un tueur en série sans remords ou un tueur à gages. Ce sont les crimes les plus graves qui sont commis dans notre pays. Nous cherchons à modifier la politique publique et la loi pour tenir compte du fait que ce sont les crimes les plus affreux qu’une personne puisse commettre contre une ou plusieurs victimes dans notre pays.
Nous voulons faire comprendre que la vie de chaque victime a la même valeur et pour que le public ait confiance dans le système de justice pénale, nous devons permettre aux juges d’ordonner des périodes multiples d’inadmissibilité à la libération conditionnelle dans le cas de tueurs en série sans remords comme Clifford Olson, Robert Pickton, Russell Williams et, malheureusement, quelques autres. Ce genre de cas ne se produit pas très souvent, mais quand il se produit, le public veut que nous punissions ces gens sévèrement et que nous donnions aux juges la possibilité d’imposer ce genre de peines.
En tant que député, j’ai fait de nombreuses enquêtes auprès de mes électeurs à ce sujet. Mes commettants me disent toujours que ce genre de peines est nécessaire pour ce type de meurtres particulièrement haineux. Pour cette raison, j’estime qu’il serait irresponsable de notre part d’appuyer cet amendement.
Troisièmement, nous avons dit dès le début que nous sommes ici pour tenir compte des préoccupations des victimes et de leurs familles. Nous avons entendu les victimes. Nous avons entendu deux des familles des victimes de Clifford Olson. La question leur a été posée et elles ont dit très clairement qu’elles n’étaient pas d’accord avec ce genre d’amendement. Nous avons posé la même question à l’ombudsman des victimes, Sue O’Sullivan, qui représente toutes les victimes du pays et qui a demandé à un grand nombre de victimes ce qu’elles pensaient de ce projet de loi. C’est un policier de carrière et elle a dit qu’elle non plus n’appuyait pas ce genre d’amendement.
Pour toutes ces raisons, j’encouragerais les membres du comité à rejeter l’amendement. »[508]
[Nos soulignements]
[821] Brent Rathgeber, son collègue du même parti, ajouta :
« M. Brent Rathgeber : Cela dit, je suis d’accord avec mon collègue, M. Dechert, quant au fait que les membres du comité devraient voter contre cet amendement pour les raisons que M. Dechert a expliquées.
Tout l’argument selon lequel les juges hésiteront à ordonner une peine supplémentaire de 25 ans est non seulement exagéré, mais nous n’avons entendu aucun témoignage à cet effet. Nous avons entendu quelques hypothèses de la part d’un éminent avocat de la défense, mais nous n’avons certainement pas entendu des juges, par exemple ceux qui ont comparu devant le comité, reconnaître qu’ils pourraient hésiter à le faire.
Ce projet de loi vise les criminels les plus haineux. Nous savons tous de qui il s’agit : Olson, Pickton et Williams.
Les cas qui ont été cités étaient des crimes passionnels ou des affaires de drogue qui ont mal tourné et qui ont pu faire plus d’une victime. Les situations de ce genre sont couvertes par les pouvoirs discrétionnaires inclus dans le projet de loi non modifié grâce auxquels un juge qui ne veut pas ordonner des périodes consécutives d’inadmissibilité à la libération conditionnelle n’est pas tenu de le faire, mais peut le faire pour les criminels les plus haineux.
En terminant, je rappellerais simplement à tous les membres du comité le témoignage très convaincant de Mme Rosenfeldt, qui est venue ici mardi, je crois. Quand ma collègue, Mme Jennings, lui a demandé si elle appuierait un amendement qui permettrait de fixer de zéro à 25 ans la durée des périodes consécutives d’inadmissibilité à la libération conditionnelle en cas de meurtres multiples, elle a répondu sans équivoque qu’elle n’appuierait pas cet amendement. Elle appuie le projet de loi tel qu’il est libellé, et moi aussi. [ … ] »[509]
[822] Le 1er février 2011, le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice référait à peine, devant la Chambre des communes, aux nouveaux pouvoirs conférés par l’article 745.51 C.cr., et ce, sans évoquer les scénarios n’impliquant que des meurtres au premier degré :
« M. Daniel Petit :
Les modifications proposées au Code criminel permettraient aux juges d’imposer, lorsqu’une peine d’emprisonnement à perpétuité est infligée à un délinquant déclaré coupable de plus d’un meurtre au premier degré ou au deuxième degré, ou d’une combinaison de meurtres au premier et au deuxième degré, des périodes distinctes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans pour le deuxième meurtre et tout autre meurtre subséquent. Ces périodes supplémentaires de 25 ans seraient consécutives à la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle imposée pour le premier meurtre.
Dans le cadre de l’exercice de ce pouvoir, les juges chargés de la détermination de la peine utiliseraient les critères qui existent déjà dans le Code criminel. Ceux-ci permettraient de veiller à ce que les mesures proposées soient appliquées aux délinquants les plus dangereux, soit ceux qui ont commis des crimes si graves qu’il est peu probable qu’ils soient un jour remis en liberté.
[ … ]
Madame la Présidente, je remercie mon collègue de sa question qui, effectivement, est pertinente.
Je ferai remarquer que lorsque l’on parle de plusieurs meurtres au deuxième degré, et non pas au premier degré, le juge aura toujours l’obligation d’appliquer l’article 745.4 du Code criminel, article qui existe déjà. Tel que mentionné dans mon discours, le juge pourra tenir compte des circonstances, de la façon dont les meurtres au second degré ont été commis, de l’identité des victimes et de la réprobation sociale et morale qui peut en découler. À ce moment, le juge pourra décider, comme il peut le faire aujourd’hui, si la période d’inadmissibilité sera de 15 ans ou de 25 ans au lieu de 10 ans. Il aura le pouvoir de le faire. On donne au juge un nouveau pouvoir discrétionnaire; on ne lui enlève pas de pouvoirs discrétionnaires, au contraire, on lui en donne davantage. Dans le cas de meurtres multiples au second degré, le juge pourra déterminer si la période d’inadmissibilité passera de 10 ans à 25 ans. De plus, les peines ne seraient plus concurrentes, mais plutôt l’une à la suite de l’autre. »[510]
[823] Le mois suivant, l’honorable Rob Nicholson, ministre de la Justice, levait tout doute sur l’intention du législateur de ne permettre, dans les cas de meurtres multiples au premier degré, que l’imposition de périodes fixes de 25 ans d’inadmissibilité de manière consécutive :
« Le projet de loi C-48 vise à modifier le Code criminel pour permettre aux juges d’imposer aux personnes déclarées coupables de meurtres multiples des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans distinctes et simultanées pour la deuxième victime et les suivantes. Surtout, ces périodes supplémentaires de 25 ans seraient consécutives à la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle imposée pour le premier meurtre. »[511]
[824] Par la conjugaison de l’alinéa 745 a) et de l’article 745.51 du Code criminel, le Tribunal n’est investi que d’un pouvoir discrétionnaire limité lui permettant d’imposer des périodes d’inadmissibilité concurrentes ou consécutives, et ce, par bonds de 25 ans. Il pourra donc condamner Alexandre Bissonnette à une période de 25, 50, 75, 100, 125 ou 150 ans d’inéligibilité à toute libération conditionnelle.
d) Première étape du test : la peine proportionnelle
[825] Il est entendu qu’Alexandre Bissonnette sera condamné à l’emprisonnement à perpétuité sur chacun des six premiers chefs d’accusation.
[826] En conformité avec le test élaboré dans l’arrêt Nur, le soussigné doit maintenant identifier, dans un premier temps, ce qui constituerait une période d’inadmissibilité proportionnée aux infractions commises, eu égard aux objectifs et aux principes de détermination de la peine. Pour ce faire, il convient à nouveau de s’en remettre aux critères de l’article 745.51 C.cr. et aux principes directeurs stipulés aux articles 718 à 718.2 C.cr.
[827] Christopher Husbands fut déclaré inéligible à toute remise en liberté sous conditions pour une période de 30 ans, après avoir été déclaré coupable de deux meurtres au deuxième degré et de cinq accusations de voies de fait graves. Tout comme Bissonnette, il avait participé à une tuerie de masse et exécuté ses deux principales victimes à bout portant. L’individu présentait un réel potentiel de réhabilitation, mais avait, contrairement à Bissonnette, plusieurs antécédents judiciaires à son casier, dont un pour agression sexuelle.
[828] Le cas de Shakti Ramsurrun est également intéressant. Auteur de deux meurtres au premier degré et d’un meurtre au second degré, il reçut une période cumulative de 25 ans d’inéligibilité. Âgé de 28 ans au moment des crimes, il ne réalisait pas pleinement l’étendue des dommages causés et avait tenté de camoufler la scène de crime.
[829] Monsieur Zekarias s’est vu infliger un total de 41 ans d’inadmissibilité pour un meurtre au deuxième degré commis postérieurement à un meurtre au premier degré. Sans antécédent judiciaire avant la commission de son premier meurtre, il était âgé de 45 ans au moment du deuxième homicide et avait souffert d’un symptôme post-traumatique, d’anxiété et de dépression. Il sera éligible à une remise en liberté sous conditions à l’âge vénérable de 86 ans.
[830] Au terme de son procès, Benjamin Hudon-Barbeau fut déclaré coupable d’un meurtre au premier degré, d’un autre au second degré et de deux chefs de tentative de meurtre. Son profil personnel était nettement moins avantageux que celui d’Alexandre Bissonnette. Ses crimes avaient été commis sur une période de 20 jours et une évaluation psychiatrique révélait chez lui la présence d’un trouble de personnalité antisociale, un faible pronostic de réhabilitation et un très important risque de récidive violente. Hudon-Barbeau était décrit comme un individu agressif, contrôlant et manipulateur. Refusant tout de même d’éliminer toute possibilité de réinsertion sociale, le juge lui imposa une période de 35 ans d’inadmissibilité.
[831] Mauro « Cruz » Granados-Arana fut condamné à 41 ans d’inéligibilité pour deux meurtres, dont un au premier degré, commis lors d’événements distincts. Âgé de 22 ans et ayant déjà à l’époque une dizaine de condamnations antérieures, Granados-Arana était considéré comme un trafiquant de drogues violent. Son profil personnel n’avait évidemment rien à voir avec celui d’Alexandre Bissonnette.
[832] La personnalité de l’accusé se distingue tout autant de celle de Derek Saretsky qui, après avoir été déclaré coupable de trois meurtres au premier degré perpétrés lors d’événements différents, se vit imposer une période d’inéligibilité de 75 ans. Sans antécédent judiciaire, Saretsky n’avait pourtant exprimé aucun remords pour les trois homicides, pas plus que pour ses actes de cannibalisme à l’égard d’une fillette.
[833] Bien que les circonstances des crimes se distinguent, Alfred Vuozzo présente davantage de points communs avec l’accusé. Âgé de 46 ans, Vuozzo avait voulu venger la mort de sa sœur et avait perpétré deux meurtres, dont un au premier degré. Sans antécédent judiciaire, il avait collaboré à l’enquête policière et enregistré des plaidoyers de culpabilité. Il présentait des problèmes de santé mentale, dont de l’anxiété et une dépression. Le juge Campbell lui imposa une période totale d’inéligibilité de 35 ans pour ses gestes.
[834] Évidemment, aucune des affaires précitées n’implique la mort de six personnes ou la commission de meurtres motivés par des préjugés ou de la haine et commis, de surcroît, dans un lieu de culte. Elles n’en demeurent pas moins pertinentes au chapitre du traitement qu’ont réservé les tribunaux aux diverses personnalités de leur auteur.
[835] En l’espèce, la nature des infractions commises est extrêmement grave, tout comme les circonstances entourant leur perpétration. Le soussigné a déjà fait état des nombreux facteurs aggravants entourant la commission des meurtres et ne croit pas utile de les répéter à ce stade.
[836] Il ne peut et ne doit pas, cependant, faire abstraction des problèmes de santé mentale de l’accusé, de ses remords sincères, de l’absence chez celui-ci de toute condamnation antérieure et de ses perspectives de réhabilitation. La justice extrême est extrême injustice. Bien que les infractions aient été commises pour des motifs discriminatoires, elles supposent un certain degré de proportionnalité entre leur gravité et le degré de responsabilité du délinquant.
[837] Certes, les principes de dénonciation, de rétribution, de dissuasion générale et de neutralisation doivent, en l’espèce, jouer un rôle de première nécessité. Cela ne signifie pas que les autres principes de détermination de la peine doivent être complètement occultés.
[838] Il serait à la fois disproportionné, cruel et contraire aux valeurs de justice et de compassion de la société canadienne de priver un individu ayant éprouvé des problèmes de santé mentale depuis son adolescence de tout espoir de recouvrer un jour sa liberté, ne serait-ce que pour quelques années, et ce, quelque abominables qu’aient pu être ses crimes. Le Canada n’est pas une terre où l’on enferme, dans un cachot, les éléments les plus indésirables de la collectivité pour en oublier ensuite jusqu’à leur existence même, après avoir jeté les clés de leur liberté dans le fleuve d’une vaste indifférence collective.
[839] En l’espèce, le Tribunal estime essentiel de préserver les caractères normatifs et utilitaristes de la peine. Cette dernière ne doit pas excéder ce qui est juste et approprié compte tenu de l’insigne gravité des infractions commises et du degré de responsabilité morale de l’accusé. La sanction doit également servir d’exemple pour la collectivité, et ajouter une pierre au rempart qu’il nous faut quotidiennement ériger pour protéger notre communauté des assauts répétés du racisme et de l’intolérance. La peine doit aussi assurer la neutralisation du délinquant et favoriser sa réhabilitation à long terme. Elle doit au surplus traduire les circonstances aggravantes et atténuantes liées à la perpétration des crimes.
[840] Le Tribunal tiendra également compte, dans une certaine mesure, du principe de la parité et s’assurera que la peine cumulative n’outrepasse pas la culpabilité globale du contrevenant, conformément au principe de la totalité.
[841] Pour les considérations qui précèdent, la Cour n’ordonnera pas, comme l’y autorise l’article 745.51 C.cr., que la période cumulative d’inadmissibilité à la libération conditionnelle d’Alexandre Bissonnette soit fixée à 50 ou 75 ans.
[842] La détermination de la peine est d’abord et avant tout un processus individualisé qui met en balance les divers objectifs de la détermination de la peine, tout en tenant compte des circonstances particulières du délinquant ainsi que de la nature et du nombre des actes criminels perpétrés.
[843] Pour ces motifs, le Tribunal considère que l’imposition d’une période totale d’inadmissibilité variant de 35 à 42 ans constituerait une peine juste et appropriée dans la présente affaire.
e) Deuxième étape du test : l’effet de l’article 745.51 C.cr.
[844] Le Tribunal rappelle que la contestation constitutionnelle ne porte pas, en l’espèce, sur une peine minimale mandatoire, mais bien sur une sentence maximale non obligatoire pouvant être infligée à l’accusé par la mise en œuvre de l’article 745.51.
[845] Dans l’arrêt Lacasse, l’honorable juge en chef Wagner traite de l’importance d’attribuer aux contrevenants des peines qui soient à la fois justes et appropriées aux circonstances. Il mentionne :
« La crédibilité du système de justice pénale et criminelle auprès des justiciables est tributaire de la justesse des peines infligées aux délinquants. Qu’elle soit trop sévère ou trop clémente, une peine injuste peut, dans un cas comme dans l’autre, susciter dans l’esprit du justiciable un doute quant à la crédibilité du système compte tenu de ses objectifs. »[512]
[Notre soulignement]
[846] La crédibilité du système judiciaire repose d’abord et avant tout sur la confiance du public. Celui-ci peut légitimement s’indigner du prononcé d’une sanction trop indulgente ou draconienne. D’où l’importance pour le législateur d’accorder aux tribunaux suffisamment de pouvoir discrétionnaire pour infliger aux délinquants des sentences qui prendront en considération l’ensemble des circonstances propres à l’accusé et à la commission de l’infraction criminelle.
[847] Dans l’affaire Ramsurrun, notre collègue le juge Downs, j.c.s. affirme :
« En adoptant l’article 745.51 C.cr., le législateur confère aux tribunaux une large discrétion pour adapter la peine aux circonstances, lorsque le contrevenant a été condamné pour plusieurs meurtres[513].
[ … ]
Ainsi, le nouvel article 745.51 C.cr. donne le choix aux juges, dans le cas de meurtres multiples commis par un même contrevenant, de déclarer que les périodes d’inéligibilité à la libération conditionnelle pour ces meurtres puissent être purgées de façon consécutive ou concurrente.
En accordant une plus grande discrétion aux tribunaux, l’article 745.51 C.cr. permet au tribunal de déterminer une peine proportionnelle, conformément à l’article 718.1 C.cr. tout en tenant compte du principe de totalité énoncé à l’article 718.2(c) C.cr. »[514]
[Notre soulignement]
[848] De même, dans l’affaire Hudon-Barbeau, le juge France Charbonneau déclare :
« Le législateur a laissé aux tribunaux une large discrétion pour adapter la peine aux circonstances en cas de condamnation de meurtres multiples. »[515]
[849] Avec égard, le Tribunal ne partage pas ce point de vue.
[850] En toute justice pour son collègue Downs, le soussigné doit rappeler que Shakti Ramsurrun devait répondre à deux accusations de meurtre au premier degré ainsi qu’à une accusation supplémentaire de meurtre au deuxième degré. En imposant des peines d’inéligibilité concurrentes pour les deux meurtres prémédités, le juge Downs pouvait infliger une période cumulative d’inadmissibilité de 25 ans, ou variant de 35 à 50 ans. S’il avait ordonné que les trois termes soient purgés de manière consécutive, sa marge de manœuvre aurait équivalu à toute période s’échelonnant de 60 à 75 ans de détention ferme.
[851] De même, Benjamin Hudon-Barbeau a été reconnu coupable d’un meurtre au premier degré et d’un autre au second degré. En ordonnant des périodes concurrentes d’inadmissibilité, le juge Charbonneau l’aurait rendu éligible à une libération conditionnelle après 25 années d’incarcération. Notre collègue ayant opté pour des termes consécutifs, Hudon-Barbeau pouvait ainsi se voir infliger une période d’inéligibilité variant de 35 à 50 ans.
[852] Les juges Downs et Charbonneau n’étaient donc pas confrontés à une situation où l’accusé ne devait être puni que pour des meurtres au premier degré. Ils bénéficiaient, de ce fait, d’une discrétion nettement supérieure.
[853] Le législateur fédéral a, à dessein, limité considérablement le pouvoir discrétionnaire du juge d’instance pour forcer celui-ci à n’imposer, dans les cas de meurtres multiples au premier degré, que des périodes d’inadmissibilité concurrentes ou consécutives de 25 ans chacune. Considérant que l’espérance de vie moyenne de la population canadienne est de 79 ans pour les hommes et de 83 ans pour les femmes[516], de même que les délais administratifs inhérents à l’obtention d’une remise en liberté sous conditions une fois l’éligibilité acquise, tout accusé âgé d’au moins 27 ans au moment de la perpétration de ses meurtres au premier degré ne peut recevoir une peine d’inadmissibilité cumulative de 50 ans sans risquer fort probablement de mourir en prison. De même, toute période d’inéligibilité de 75 ans ou plus devient sans objet, dans la mesure où elle condamne pratiquement tout accusé à décéder en détention.
[854] Il y a plusieurs décennies, l’honorable juge Jessup de la Cour d’appel de l’Ontario écrivait :
« Parliament cannot have contemplated both a physical impossibility and a logical absurdity which tends to bring the law into disrepute. »[517]
[855] Il semble que les temps ont bien changé.
i) La situation de l’accusé
[856] Le Tribunal doit d’abord décider si l’article 745.51 C.cr. a pour effet d’entraîner une peine exagérément disproportionnée pour Alexandre Bissonnette.
[857] La validité constitutionnelle des objectifs législatifs de l’article 745.51 C.cr. n’est pas remise en cause[518]. La contestation porte plutôt sur l’effet qu’une peine consécutive d’inadmissibilité peut entraîner pour la personne à qui elle est infligée.
[858] Bissonnette ne plaide pas, par ailleurs, que toute période d’inadmissibilité à une libération conditionnelle supérieure à 25 ans irait à l’encontre des prescriptions édictées à l’article 12. Il soumet, par contre, qu’une période d’inéligibilité de 50 ans ou plus contrevient à cette norme constitutionnelle.
[859] Pour répondre à la question en litige, il convient de reprendre les facteurs d’analyse dégagés dans l’arrêt Wiles[519].
- La gravité de l’infraction commise
[860] La gravité des crimes commis par l’accusé est incontestable et justifie pleinement l’imposition d’une peine d’emprisonnement à perpétuité. Conformément à l’alinéa 745 a), Bissonnette ne pourra devenir admissible à une libération conditionnelle qu’après un minimum de 25 ans d’incarcération. Comme l’a déjà décidé la Cour suprême, semblable sentence n’est guère excessive et ne constitue certainement pas une atteinte à nos normes de décence. Le Parlement était parfaitement en droit, en vue d’atteindre les objectifs d’un régime rationnel de détermination de la peine, de traiter le meurtre au premier degré avec un niveau approprié de certitude et de sévérité[520].
[861] La plupart des décisions dont le soussigné a précédemment fait le résumé évoquent au surplus le caractère particulièrement odieux des meurtres multiples et leur gravité objective inhérente. Comme le Tribunal, elles reconnaissent la nécessité d’imposer, à l’occasion, des peines d’inadmissibilité consécutive pour traduire adéquatement, conformément au principe de la proportionnalité, la gravité des crimes commis de même que les circonstances aggravantes propres à leur commission et à la situation du délinquant.
- Les circonstances particulières de l’affaire
[862] Il convient à nouveau de rappeler que l’attentat perpétré au Centre culturel islamique de Québec fut bien planifié et longuement prémédité. Ces éléments démontrent un état d’esprit blâmable supérieur commandant l’imposition d’une peine sévère. Six personnes ont trouvé la mort lors de cette tragédie et cinq autres furent grièvement blessées. Trente-cinq personnes, dont quatre mineurs, ont également été victimes de tentative de meurtre alors qu’elles se trouvaient en position de vulnérabilité, dans un lieu de culte. La violence affichée par Bissonnette lors de cette agression et le sang-froid particulier dont il a fait preuve constituent des circonstances aggravantes supplémentaires.
[863] À la différence des 24 décisions antérieures portant sur l’application de l’article 745.51, la présente affaire implique la commission d’homicides motivés par la haine et les préjugés à l’égard de citoyens de confession musulmane. En outre, les crimes de l’accusé ont entraîné d’importantes séquelles physiques et psychologiques pour les victimes de tentative de meurtre, dont plus particulièrement monsieur Aymen Derbali, de même que pour leurs proches, la communauté musulmane de Québec et la société en général.
- Les caractérisitiques personnelles du contrevenant
[864] Étonnamment, la Mise en cause ne traite aucunement de cet aspect dans son argumentation écrite, déclarant simplement s’en remettre « aux représentations de la Poursuivante »[521]. Pourtant, il s’agit d’un élément important dans la présente affaire.
[865] Alexandre Bissonnette est un individu sans antécédent judiciaire, ayant collaboré avec les autorités policières dès les premières minutes qui suivirent la commission de son crime. Après avoir enregistré des plaidoyers de culpabilité aux 12 chefs d’accusation pesant sur lui, il a exprimé des remords sincères devant le Tribunal.
[866] L’accusé est un individu vulnérable. D’apparence frêle, il n’a jamais su s’intégrer au monde qui l’entoure. Souffre-douleur en milieu scolaire, d’une incompétence sociale caractérisée, dépourvu de relation affective à l’exception de celle prodiguée par ses parents, son existence avait été marquée par le rejet, l’isolement, l’insécurité et le ressentiment.
[867] Le Tribunal a devant lui un individu profondément carencé, convaincu de sa propre médiocrité et qui, pour échapper à son insignifiance, a longtemps chéri l’idée d’accomplir un « coup d’éclat » pour sortir de son anonymat. Aux prises avec des distorsions cognitives provenant d’une santé mentale précaire, Bissonnette s’est lui-même persuadé que les musulmans de la région de Québec représentaient une menace pour sa propre sécurité, celle de sa famille et de la population en général.
[868] Bissonnette était fréquemment sujet à des crises d’anxiété et à des symptômes dépressifs. Il songeait régulièrement au suicide et s’éprit de sympathie pour des personnages douteux, tels Elliot Rodger et Dylann Roof, individus somme toute sans envergure, mais s’étant livré à des monstruosités pour échapper, eux aussi, à un profond sentiment de désespoir.
[869] Le psychologue Marc-André Lamontagne souligne que le contrevenant compose, depuis l’âge de 16 ans, avec divers symptômes dépressifs et anxieux, des attaques de panique, un trouble d’anxiété généralisé et un stress omniprésent. Il n’éprouve cependant aucun problème de psychopathie ou de personnalité antisociale.
[870] Le Dr Sylvain Faucher souligne que les gestes délictuels commis par l’accusé s’expliquent par « une quête de pouvoir visant à combler un sentiment d’échec ». L’accusé souffre d’un trouble anxieux non spécifique comportant des éléments obsessifs-compulsifs et d’anxiété généralisée, un mode de fonctionnement général s’apparentant principalement à une personnalité narcissique, mais dépendante, et la présence certaine d’un trouble lié à l’usage de l’alcool.
[871] Ce diagnostic est confirmé par sa collègue, le Dr Marie-Frédérique Allard.
[872] Le Tribunal retient que les troubles mentaux dont souffrait Alexandre Bissonnette le 29 janvier 2017 ont joué un rôle crucial dans son passage à l’acte. L’accusé se montre disposé à recevoir l’aide nécessaire à sa réhabilitation et ne véhicule aucune idéologie particulière. Il ne minimise aucunement l’importance du trouble mental dont il souffre et possède le potentiel nécessaire pour se réhabiliter. Dans l’état actuel des choses, Alexandre Bissonnette présente un risque « modéré » de récidive.
- Les effets réels de l’article 745.51 C.cr.
[873] Toute enquête éclairée menée en vertu de l’article 12 doit notamment porter sur la façon dont se feront sentir les effets du châtiment sur l’accusé.
[874] La Mise en cause plaide que l’effet réel de l’article 745.51 « réside dans le pouvoir discrétionnaire attribué au juge du procès »[522].
[875] Le soussigné ne partage pas cette opinion. Cet effet réel se retrouve dans le nombre minimal d’années qu’Alexandre Bissonnette devra nécessairement purger, soit 50 ans, avant d’être admissible à une libération conditionnelle. L’accusé était âgé de 27 ans au moment des crimes. Contrairement à un sexagénaire, la consécution des peines ne constitue pas pour lui une question théorique, mais relève de considérations pratiques.
[876] La Procureure générale plaide que le pouvoir discrétionnaire accordé au tribunal d’ordonner ou non l’infliction de périodes d’inadmissibilité consécutives réduit à néant les prétentions de l’accusé quant à l’invalidité constitutionnelle de la disposition entreprise. Elle cite, à titre d’argument, l’extrait suivant de l’arrêt Lloyd :
« Le législateur pourrait par ailleurs recourir à un mécanisme qui permettrait au tribunal d'écarter la peine minimale obligatoire dans les cas exceptionnels où elle constituerait une peine cruelle et inusitée. L'octroi d'un pouvoir discrétionnaire résiduel susceptible d'être exercé dans les cas exceptionnels est un moyen répandu à l'étranger pour prévenir l'injustice et l'inconstitutionnalité (Ministère de la Justice du Canada, Division de la recherche et de la statistique, Peines d'emprisonnement obligatoires dans quelques pays de common law : Quelques modèles représentatifs (2005) (en ligne), p. 1, 4-5 et 35). Il permet au législateur de prévoir de lourdes peines pour les crimes jugés odieux tout en évitant l'infliction de peines qui sont disproportionnées au point d'être inconstitutionnelles dans certains cas exceptionnels. [ … ] »[523]
[Nos soulignements]
[877] Or, la suite des commentaires du juge en chef McLachlin (figurant au même paragraphe) se lit ainsi :
« Le pouvoir discrétionnaire résiduel ne peut habituellement être exercé qu'à titre exceptionnel, et le tribunal peut devoir préciser les raisons pour lesquelles il n'inflige pas la peine minimale obligatoire que prescrit la loi. Il appartient au législateur d'arrêter les paramètres du pouvoir discrétionnaire résiduel du tribunal. »[524]
[Notre soulignement]
[878] La présente décision représente le 25e jugement portant sur l’application de l’article 745.51 C.cr. De ce nombre, huit n’impliquent que la commission de meurtres au premier degré. On ne peut certainement pas parler de « cas exceptionnels ». D’ailleurs, les débats parlementaires indiquent que la promulgation de la disposition entreprise visait d’abord et avant tout à châtier de manière appropriée les tueurs en série comme Clifford Olson et Robert Pickton.
[879] La Mise en cause ajoute :
« Le juge chargé de la détermination de la peine a toute la latitude requise afin d’ordonner ou non le cumul de ces périodes. »[525]
[Notre soulignement]
[880] Bien qu’à prime abord séduisant, cet argument ne résiste pas à l’analyse. Pour les motifs précédemment exprimés, une simple période de 25 ans d’inadmissibilité à toute libération conditionnelle serait tout à fait déraisonnable et totalement disproportionnée dans les circonstances. À l’inverse, il en irait de même pour toute période d’inéligibilité égale ou supérieure à 50 années d’incarcération. En fait, le soussigné ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire lui permettant d’imposer à Bissonnette un terme de détention ferme variant de 35 à 42 ans.
[881] Le Tribunal convient que le législateur peut, en matière de détermination de la peine, retirer, baliser ou limiter le pouvoir discrétionnaire des juges à sa guise, dans les limites prescrites par l’article 12. Il peut restreindre le pouvoir du tribunal d’infliger une peine juste, mais ne saurait exiger l’imposition d’une peine exagérément disproportionnée[526].
[882] En l’espèce, la discrétion du Tribunal est circonscrite par l’effet conjugué de l’article 235 C.cr. et de l’alinéa 745 a) du Code, soit, premièrement, quant à la durée de la peine d’emprisonnement à perpétuité en soi, qui constitue une peine minimale obligatoire et, deuxièmement, quant à la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle.
[883] Le pouvoir discrétionnaire se définit comme la « faculté accordée à une personne appelée à prendre une décision dans les limites de sa compétence, de choisir parmi les décisions possibles celle qui lui paraît la plus appropriée suivant les circonstances »[527].
[884] Dans l’arrêt R. c. L.M.[528], la Cour suprême confirme l’étendue du pouvoir discrétionnaire dont jouit le juge du procès quant à la détermination d’une sentence :
« Loin d’être une science exacte ou une procédure inflexiblement prédéterminée la détermination de la peine relève d’abord de la compétence et de l’expertise du juge du procès. Ce dernier dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire en raison de la nature individualisée du processus [ … ] »[529]
[Notre soulignement]
[885] L’article 745.51 C.cr. limite indûment la discrétion du Tribunal en ce qu’il oblige celui-ci à ne prononcer que des périodes de 25 ans d’inéligibilité concurrentes ou consécutives dans les cas de meurtres au premier degré.
[886] La Mise en cause ajoute que rien n’indique, dans les faits, qu’un délinquant obtiendra une libération conditionnelle dès l’obtention de son éligibilité. Ce constat est indéniable, mais ne porte guère sur la véritable question en litige. On ne saurait prétendre qu’une absence de certitude quant à l’obtention éventuelle d’une remise en liberté sous conditions dépouille une période excessive d’inadmissibilité de son caractère cruel et inusité.
[887] Invoquant l’article 675(2.3) C.cr., la Procureure générale soumet également qu’un accusé peut interjeter appel d’une ordonnance rendue conformément au paragraphe 745.51(1) C.cr. Deux commentaires s’imposent.
[888] Comme le Tribunal l’a déjà exprimé, tout individu condamné pour meurtres multiples parmi lesquels on retrouve un ou plusieurs meurtres au deuxième degré sera davantage susceptible, pour une simple question mathématique, de recevoir une peine qui, à défaut d’être proportionnelle, ne sera pas « exagérément disproportionnée ». D’autre part, force est de reconnaître qu’une cour d’appel ne bénéficiera pas d’un pouvoir discrétionnaire supérieur à celui du juge d’instance pour les cas n’impliquant que la commission de meurtres au premier degré. Tout comme le premier juge, elle demeurera liée par l’effet combiné de l’alinéa 745 a) et de l’article 745.51 du Code criminel.
[889] La Mise en cause soutient également que « la possibilité pour le délinquant de se voir accorder la prérogative royale de clémence subsiste même dans les cas où il a été ordonné que les périodes d’inadmissibilité soient purgées consécutivement »[530]. Elle reprend ici l’un des arguments invoqués par l’honorable juge Campbell dans l’affaire Granados-Arana, argument sur lequel nous reviendrons plus loin en commentant ladite décision. Qu’il suffise pour l’instant de mentionner que les statistiques de la Commission de libération conditionnelle du Canada relativisent substantiellement cette assertion. La prérogative royale ne procure pas une procédure ou un critère valable pour pallier à l’absence de révision à l’admissibilité après 25 ans.
[890] Pour conclure quant à l’effet réel de la peine sur l’accusé, le soussigné rappelle que les tribunaux ont confirmé, à plusieurs reprises, qu’une peine d’emprisonnement à perpétuité ne pouvait pas être purgée de façon consécutive à une autre, pour des raisons biologiquement évidentes[531]. Si le fait d’imposer une sanction consécutive à une peine d’emprisonnement à perpétuité génère une impossibilité physique ou une absurdité susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, on doit admettre que de soumettre un meurtrier à une période d’inadmissibilité supérieure à son espérance de vie présente, au plan logique, des difficultés similaires et risque fort de susciter, dans l’esprit des justiciables, un doute quant à la crédibilité du système judiciaire.
- La poursuite d’un objectif pénal régulier
[891] Les auteurs de meurtres multiples présentent une culpabilité morale supérieure à celle des autres meurtriers. L’article 745.51 C.cr. permet aux tribunaux de dénoncer, dans les cas appropriés, l’état d’esprit blâmable particulièrement élevé de certains en ordonnant l’imposition de périodes d’inadmissibilité consécutives. Une telle peine sert également les fins d’exemplarité, notamment dans les cas où, comme en l’espèce, le crime est motivé par la haine ou les préjugés.
[892] Dans la mesure où la peine cumulative d’inéligibilité demeure proportionnelle à la gravité de l’infraction et à la situation de l’accusé, l’article 745.51 promeut aussi le facteur de rétribution.
[893] Dans la présente affaire, une part importante de dénonciation sera apportée par le prononcé de la peine d’emprisonnement à perpétuité. Le Tribunal convient, cependant, que la peine consécutive maximisera l’atteinte de cet objectif, tout comme celui de la dissuasion générale. En revanche, Alexandre Bissonnette ne recevra pas son « juste dû ». Ce volet rétributif sera mis en échec par l’infliction d’une période d’inadmissibilité de 50 ans, laquelle se révèle nettement excessive eu égard aux circonstances propres du délinquant. L’objectif de réhabilitation sera également annihilé pour la même raison. Pourtant, dans l’arrêt Boudreault, les juges majoritaires de la Cour suprême mentionnent :
« L’incapacité des contrevenants de s’acquitter entièrement de leur dette envers la société, d’obtenir la réinsertion sociale et de demander pardon va à l’encontre des fondements mêmes de notre système de justice pénale. Dans une société libre et démocratique, la détermination de la peine repose sur l’idée que les contrevenants recevront une peine proportionnée, qui tient compte de leurs circonstances particulières et de la gravité du crime commis. Les sanctions pénales sont censées avoir une fin. R. c. Demers, 2004 CSC 46, [2004] 2 R.C.S. 489, par. 53 et 55. »[532]
- Les fondements de la peine
[894] L’imposition d’une période cumulative de 50 ans d’inadmissibilité ne reposerait ici que sur la dénonciation et la dissuasion générale. Pour les motifs ci-haut mentionnés, la rétribution, la réinsertion sociale et la proportionnalité seraient contrecarrées par l’infliction d’une telle sanction. Quant à la neutralisation, la première période de 25 ans d’inéligibilité et la supervision de la Commission des libérations conditionnelles suffisent largement à l’atteinte de cet autre objectif sentenciel. Il en va de même de la prise de conscience du délinquant de ses responsabilités, fin déjà atteinte, du moins en partie, de l’avis des témoins experts entendus.
- Les solutions de rechange
[895] La Mise en cause soutient que « le juge du procès qui estimerait que le cumul des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle dépasserait le niveau de culpabilité global du délinquant devrait alors déterminer une période d’inadmissibilité moindre, conformément aux dispositions pertinentes »[533].
[896] Comme le Tribunal considère qu’une période d’inéligibilité variant de 35 à 42 ans serait juste et appropriée en l’espèce, il lui faudrait donc, conformément au raisonnement de la Procureure générale, ordonner qu’Alexandre Bissonnette ne purge qu’un total de 25 ans de détention ferme avant de pouvoir formuler une demande de remise en liberté sous conditions. Pour les raisons déjà exprimées, une telle sentence serait déraisonnable en droit eu égard aux faits de la présente affaire.
[897] Toute peine d’emprisonnement doit être justifiée par un ou plusieurs objectifs de détermination de la peine. Telles que déjà évoquées, les fins pénologiques d’une peine d’emprisonnement perdent leur pertinence lorsque le sujet atteint l’âge de son espérance de vie moyenne, soit 79 ans pour les hommes, sauf peut-être pour les détenus ayant été condamnés à un âge avancé et pour qui, de ce fait, l’ensemble des buts sentenciels n’a pu encore être pleinement réalisé.
[898] En toute logique, il faut conclure qu’une proportion substantielle de délinquants, soit ceux âgés de 25 ans et plus, ne devrait généralement pas, hormis des circonstances tout à fait exceptionnelles, faire l’objet d’ordonnances d’inadmissibilité de 50 ans. Par voie de conséquence, le scénario alternatif proposé par la Mise en cause se transformerait en règle d’application générale, ce qui déjouerait l’intention du législateur.
[899] Il serait inacceptable qu’une large proportion d’accusés condamnés pour divers meurtres au premier degré soit punie moins sévèrement que d’autres tueurs, accusés pour leur part de meurtres au second degré ou d’une combinaison de meurtres au premier degré et au deuxième degré. Conformément aux alinéas 745 a) et c) du Code criminel, ces derniers demeureraient en effet passibles d’une peine d’inadmissibilité variant de 35 à 50 ans, et ce, malgré une culpabilité morale moindre.
[900] Il n’existe donc, pour Alexandre Bissonnette, aucune solution de rechange à une période de 50 ans d’inadmissibilité.
- Comparaison avec les peines infligées dans le même ressort
[901] À ce jour, les tribunaux canadiens ne se sont penchés qu’à 24 reprises sur l’application de l’article 745.51 C.cr., et ce, pour des contextes factuels très variés.
[902] Pour la première fois, un juge d’instance doit maintenant se prononcer sur cette disposition dans un dossier impliquant plus de trois décès et où les meurtres perpétrés procèdent de motivations fondées sur la haine et les préjugés, dans un contexte de précarité mentale.
[903] Dans les circonstances, une comparaison avec les peines infligées pour d’autres crimes dans le même ressort n’est tout simplement pas réalisable.
- Parallèle avec l’article 753 C.cr.
[904] Dans l’arrêt Lyons, la Cour suprême examinait les dispositions du Code criminel relatives à l’imposition d’une peine aux délinquants dangereux et à la prolongation de leur incarcération pour le motif qu’elle violait l’article 12 de la Charte. L’honorable juge La Forest émit l’opinion que « l’imposition d’une peine d’une durée indéterminée, sans autres garanties, pourrait certainement donner lieu, à l’occasion, à une violation de l’art. 12 de la Charte »[534]. Or, l’exigence d’évaluations régulières de la prolongation de l’emprisonnement d’un délinquant dangereux par la Commission permet une adaptation de la peine « à la situation de l’individu et aux circonstances de l’infraction en cause »[535].
[905] Comparant ce régime à celui découlant d’une condamnation pour meurtre au premier degré, le juge Macklin note, à juste titre :
"Simply put, there is no evidence in this case upon which this Court can conclude that Mr. Klaus and Mr. Frank will pose a danger to the community in 25 years so as to necessitate continued separation from society. It is difficult, if not impossible, to individualize the sentence and specifically the appropriate period of parole ineligibility, with no evidence as to how these particular offenders will respond to the sanctions that are imposed and the opportunities afforded for their rehabilitation.
By contrast, prior to finding an offender to be a "dangerous offender" under s 753 of the Criminal Code, there must be evidence establishing that the offender is very dangerous and incapable of control in the community. On a court making such a finding, the offender receives a sentence of indeterminate detention but may still apply under s 761 for parole after 7 years and then every 2 years thereafter. In determining whether an offender should be granted parole, and if so on what conditions, the Parole Board reviews the condition, history and circumstances of the offender."[536]
[906] La détention pour une période indéterminée ne doit être appliquée qu’aux délinquants présentant un danger futur pour la société[537].
[907] Leur isolement constitue ainsi un moyen rationnel de protéger le public[538]. Analysant la constitutionnalité du régime des délinquants dangereux, l’honorable Suzanne Côté écrit, pour les juges majoritaires de la Cour suprême :
« Pour déterminer si un délinquant possède un risque élevé de récidive et si sa conduite est irréductible, il faut nécessairement procéder à une analyse prospective de la question de savoir si celui-ci continuera de constituer, pour reprendre les termes du juge Dickson (plus tard juge en chef), « un danger réel et actuel pour la vie et l’intégrité physique des gens » (Hatchwell c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 39, p. 43) pour la Cour dans l’arrêt Lyons, cette analyse prospective est essentielle à la constitutionnalité du régime. Une évaluation entièrement rétrospective ne pourrait garantir que les peines de détention pour une période indéterminée soient rationnellement liées à l’objectif de sécurité du public à l’avenir. Elles ne permettraient pas non plus d’éviter l’inclusion de délinquants qui ont été violents par le passé, mais qui ne constituent pas un danger à l’avenir. »[539]
[Nos soulignements]
[908] Un peu plus loin, le juge Côté ajoute :
« En résumé, pour obtenir une conclusion de dangerosité, la Couronne a toujours été tenue de démontrer, hors de tout doute raisonnable, un risque élevé de récidive préjudiciable et l’irréductibilité du comportement violent. Une évaluation prospective de la dangerosité fait en sorte que seuls les délinquants qui présentent un risque futur considérable sont déclarés dangereux et risquent de se voir infliger une peine de détention pour une période indéterminée. Cela implique nécessairement la prise en considération des perspectives de traitements futurs. Si les modifications de 2008 avaient éliminé les aspects prospectifs des conditions de la dangerosité, la constitutionnalité de la disposition aurait pu nécessiter une analyse plus approfondie. Or, ce n’est pas le cas. [ … ] »[540]
[Nos soulignements]
[909] Les examens réguliers conduits par la Commission auprès des délinquants dangereux représentent un facteur important dans la reconnaissance de la validité constitutionnelle de l’article 753 C.cr. Aucun criminel, si dangereux soit-il, ne doit tomber dans l’oubli.
[910] Le parallèle avec l’article 745.51 C.cr. devient évident. Comment tolérer que l’auteur de meurtres multiples soit assujetti à une ordonnance d’inadmissibilité à ce point longue qu’elle lui garantisse, à toutes fins pratiques, une mort en milieu carcéral, et ce, sans qu’il n’ait la moindre opportunité de faire valoir sa réhabilitation devant un organisme indépendant? Comment justifier l’imposition d’une période de 50 ans d’inadmissibilité à un jeune homme de 27 ans qui, malgré tous les efforts de réinsertion sociale qu’il pourrait déployer au cours des prochaines décennies, n’aurait comme perspective qu’une possible remise en liberté sous conditions vers l’âge de 78 ans?
[911] Une condamnation à perpétuité pour meurtres multiples ne devrait pas, pour les mêmes raisons, valoir à son auteur une impossibilité ou quasi-impossibilité de regagner, du moins pour un certain temps, une part importante de sa dignité humaine en recouvrant sa liberté, s’il le mérite vraiment. Nul ne devrait être placé au-dessus de la rédemption.
[912] Tout comme dans l’arrêt Lloyd, l’article 745.51 C.cr. autorise l’attribution de peines constitutionnelles « dans une grande variété d’affaires ». La décision précitée de Hudon-Barbeau en est un exemple. Néanmoins, la disposition entreprise permet l’infliction ponctuelle de peines exagérément disproportionnées, comme dans l’affaire Bourque[541].
- Jurisprudence canadienne sur la constitutionnalité de l’article 745.51 C.cr
[913] Jusqu’à présent, deux décisions de la Cour supérieure de l’Ontario ont confirmé la validité constitutionnelle de l’article 745.51 C.cr. au regard des articles 7 et 12 de la Charte.
[914] Dans R. v. Husbands[542], l’accusé fut trouvé coupable de deux meurtres au second degré. Par l’effet de la disposition contestée, il devenait ainsi passible de périodes d’inadmissibilité variant de 10 à 50 ans. L’honorable juge Ewaschuk insista, comme le fait la Mise en cause en l’espèce, sur l’aspect discrétionnaire de l’ordonnance prévue à l’article 745.51 C.cr., lequel exclut selon lui toute violation de l’article 12[543]. Il rappelle le devoir du tribunal de respecter les principes édictés aux articles 718 et suivants du Code, dont plus particulièrement ceux de proportionnalité et de totalité[544].
[915] Commentant brièvement l’affaire Vinter[545] de la Cour européenne des droits de l’homme, il rejeta la proposition que toute peine devait, pour être conforme à l’article 12, prévoir une éligibilité à la libération conditionnelle après un maximum de 25 années d’emprisonnement.
[916] Dans Granados-Arana[546], l’honorable juge Campbell rendit une décision sensiblement au même effet que celle de son collègue Ewaschuk.
[917] Mauro « Cruz » Granados-Arana fut d’abord déclaré coupable de meurtre au deuxième degré pour avoir causé la mort d’un premier individu en janvier 2012. Il fut alors condamné à l’emprisonnement à perpétuité et déclaré inadmissible à toute libération conditionnelle pour une période de 16 ans. Avant d’être arrêté pour ce premier meurtre, Granados-Arana tua un autre individu en août 2012 et fut déclaré coupable de meurtre au premier degré lors d’un procès présidé par le juge Campbell. Celui-ci devait donc décider si la période mandatoire de 25 ans d’inéligibilité devait être purgée consécutivement ou non à celle de 16 ans, octroyée quelques mois plus tôt.
[918] Le contexte factuel de cette décision est particulièrement important. Étant âgé de 22 ans lors de la commission de ses crimes, l’accusé était passible, tout au plus, d’une période de 41 ans d’inadmissibilité. Dans le pire scénario, il devenait ainsi éligible à une liberté sous conditions à l’âge de 63 ans.
[919] C’est dans ce contexte que le juge traite du pouvoir discrétionnaire accordé par l’article 745.51 C.cr. :
"As I have already noted, however, importantly, s. 745.51 of the Criminal Code is not a mandatory sentencing provision. Sentencing judges in cases involving multiple murders by the offender are not required to order that parole ineligibility periods imposed in connection with each murder be served consecutively. That decision, namely, whether to make the parole ineligibility periods concurrent or consecutive, is legislatively left within the discretion of the sentencing court, to be determined upon a wise application of all of the relevant sentencing principles in the unique factual context of each individual case. In some cases, where appropriate, the parole ineligibility periods may be made consecutive. In others, where inappropriate, the parole ineligibility periods may be made concurrent.
In these circumstances, it is simply not possible to conclude that s. 745.51 of the Criminal Code imposes "cruel and unusual punishment" on the accused by requiring the imposition of a grossly disproportionate sentence, given his own personal circumstances and the circumstances of his two murder offences. If the making of an order under s. 745.51 of Code, resulting in a total 41-year period of parole ineligibility, would be "grossly disproportionate" to the circumstances of the accused and his offences, it will not be imposed. Indeed, an order of consecutive periods of parole ineligibility will not be imposed if such an order would result in even a "disproportionate" sentence. The discretionary power, conveyed to sentencing courts in s. 745.51 of the Code, to decline to impose consecutive periods of parole ineligibility in appropriate cases itself prevents the imposition of what might theoretically be grossly disproportionate sentences. Of course, if any sentencing judge imposes even a disproportionate sentence (let alone a grossly disproportionate sentence) on an accused convicted of multiple murders, the fitness of that sentence can be reviewed and varied by the Court of Appeal."[547]
[Nos soulignements]
[920] Le juge Campbell conclut donc, dans un premier temps, que la disposition contestée n’a pas pour effet d’infliger une peine exagérément disproportionnée à monsieur Granados-Arana.
[921] Abordant les applications raisonnablement prévisibles de la disposition, le juge statue que l’infliction d’une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle à un contrevenant adulte coupable de plusieurs meurtres ne peut être qualifiée de peine exagérément disproportionnée. Semblable individu « should reasonably expect that one of the potential sentencing options, in any civilized, free and democratic society, would be to spend the rest of his or her natural life in prison »[548].
[922] Le juge Campbell ajoute :
"Such sentences of life-long imprisonment without parole are available, and imposed with some regularity, on adults guilty of even a single murder in the United States, without constitutional question under the Eighth Amendment prohibition against "cruel and unusual punishment." Similar "whole life" or "natural life" sentences are also permitted in the United Kingdom, Australia and New Zealand, and such sentences have been generally held to comply with the European Convention Article 3 prohibition against "torture or inhuman or degrading treatment or punishment." [ … ] Accordingly, to the extent that the application of s. 745.51 of the Criminal Code can be viewed as statutorily permitting what might be, in some cases and in practical terms, the imposition of a life sentence without parole on adults guilty of multiple murders, it is not contrary to s. 12 of the Charter."[549]
[923] Le juge Campbell se livre ensuite à une étude étoffée du droit de plusieurs juridictions étrangères. À juste titre, il rappelle dans un premier temps qu’aucune de ces dispositions législatives ou autorités jurisprudentielles ne lie le pouvoir judiciaire canadien.
[924] Il souligne d’abord que l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle représente toujours, même en l’absence d’homicide, une option sentencielle couramment utilisée aux États-Unis pour les délinquants adultes. La Cour suprême des États-Unis a d’ailleurs reconnu la validité constitutionnelle de telle peine au regard du 8e Amendement[550].
[925] Il importe ici de préciser que le 8e Amendement de la Constitution des États-Unis confère une protection contre le « type de peine » infligé, sans pour autant garantir la proportionnalité de la sentence :
"That the Americans who adopted the Eighth Amendment intented its Cruel and Unusual Punishments Clause as a check on the ability of the Legislature to authorize particular modes of punishment --i.e., cruel methods of punishment that are not regularly or customarily employed -- rather than as a guarantee against disproportionate sentences is demonstrated by the available evidence of contemporary understanding, including the context of adoption, the debates of the state ratifying conventions and the First Congress, and early commentary and judicial decisions. It is particularly telling that those who framed and approved the Federal Constitution chose not to include within it the explicit guarantee against disproportionate sentences that some State Constitutions contained."[551]
[926] Une distinction importante doit donc être établie entre le 8e Amendement de la Constitution américaine et l’article 12 de la Charte puisque la version canadienne de la protection contre les peines cruelles et inusitées comporte indiscutablement une garantie contre les peines grossièrement disproportionnées, à la différence de la version américaine.
[927] Quoi qu’il en soit, l’honorable juge Cory (dissident, mais non sur ce point) relativise l’importance qu’il convient de donner à la jurisprudence américaine en matière de peine cruelle et inusitée :
« L’expérience américaine ne nous aide pas. Les arrêts portant sur la constitutionnalité de la peine de mort sont fondés sur des motifs forts restreints qui s’appliquent uniquement au libellé de la Constitution américaine et qui découlent de décisions antérieures rendues par la Cour suprême des États-Unis. Les tribunaux canadiens devraient aborder la question des peines cruelles et inusitées d’une façon différente, en se fondant sur les traditions et valeurs canadiennes.
[ … ]
Ce qui est une peine acceptable pour une société dépend de la nature de cette dernière, de son degré de stabilité et de son niveau de maturité. La peine du fouet à neuf lanières et le supplice de la cale étaient des punitions acceptées dans la marine britannique, au XIXe siècle. Or, ces deux peines pouvaient entraîner la mort et il est arrivé que ce fût le cas. Toutefois, à la fin du XIXe siècle, ces peines étaient impensables. Une société plus sensible les avait rendues répugnantes. »[552]
[928] Il convient de rappeler que l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle et autres fortes peines sont quelque peu banalisés aux États-Unis en raison de l’existence même de la peine de mort. Ce pays se démarque par le recours fréquent, pour ne pas dire immodéré, à des peines d’emprisonnement à perpétuité et plusieurs individus y purgent des peines à durée indéterminée dépassant largement leur espérance de vie.
[929] Le juge soumet également que si la possibilité d’un emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle ne choque pas la conscience collective canadienne au point d’empêcher l’extradition du Canada d’un individu, il devient difficile de soutenir que pareille peine est grossièrement disproportionnée au point d’être contraire à l’article 12.
[930] À cet argument, le soussigné répond qu’il faut distinguer la possibilité qu’une juridiction étrangère condamne un individu à une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle de la condamnation d’un individu par une juridiction canadienne à une telle peine. Les arrêts cités par le juge Campbell aux paragraphes 69 à 76 de sa décision ne considèrent aucunement l’application de l’article 12. Certains précisent même qu’il serait inadéquat de traiter de la question de l’extradition à la lumière de cet article[553]. Plus récemment, dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[554], la Cour suprême établit bien cette distinction que semble escamoter notre collègue :
« Nous avons examiné cette question de manière assez approfondie dans l'arrêt Burns, précité. Dans cette affaire, les États-Unis sollicitaient l'extradition de deux citoyens canadiens contre qui pesaient des accusations de meurtres au premier degré avec [page35] circonstances aggravantes dans l'État de Washington. Les intimés Burns et Rafay contestaient leur extradition au motif que le ministre de la Justice n'avait pas demandé d'assurances que la peine de mort ne serait pas infligée. Notre Cour a rejeté l'argument des intimés selon lequel leur extradition dans de telles circonstances porterait atteinte à la protection que leur garantit l'art. 12 contre les traitements ou peines cruels et inusités, estimant que le lien entre l'arrêté d'extradition et la simple possibilité que la peine de mort soit infligée était trop ténu pour entraîner l'application de l'art. 12. Nous avons toutefois retenu la prétention des intimés, fondée sur l'art. 7, affirmant que "[l]'article 7 ne s'attache pas seulement à l'acte d'extradition, mais aussi à ses conséquences potentielles" (par. 60 (souligné dans l'original)) »[555]
[931] Si la conscience collective canadienne n’est pas choquée par l’extradition d’un individu dont l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle est envisageable dans le pays de destination, ce n’est pas parce qu’elle juge que cette peine n’est pas grossièrement disproportionnée, mais plutôt parce qu’une telle sentence ne demeure, au moment de l’extradition, qu’une simple possibilité et ne sera éventuellement que le fait du pays étranger concerné.
[932] Le juge Campbell poursuit ainsi son analyse :
"The United States is not the only country, with a constitutional democracy similar to ours in Canada, which permits the imposition of life-long sentences of imprisonment without parole. Such "whole life" sentences are also permitted in the United Kingdom. Moreover, the imposition of such sentences has been approved not only by the English courts, but also by the European Court of Human Rights, as not being inconsistent with Article 3 of the Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms, which provides that "no one shall be subjected to torture or to inhuman or degrading treatment or punishment."[556]
[933] La Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a rendu, le 12 février 2008, l’arrêt Kafkaris c. Chypre[557] par lequel était condamné l’État de Chypre pour une violation de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cependant, cet arrêt est particulièrement connu pour les précisions qu’il apporte quant à la conformité des privations perpétuelles de liberté au regard de l’article 3 de la Convention, qui stipule que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
[934] Par 10 voix contre 7, la Cour conclut qu’une peine d’emprisonnement perpétuelle n’est pas en soi prohibée par l’article 3, mais qu’une peine perpétuelle incompressible peut soulever une question au regard de cette disposition[558].
[935] Le droit national satisfait à l’article 3 s’il existe une possibilité de revoir la peine perpétuelle dans le but de la commuer, de la suspendre ou d’y mettre fin, ou de libérer le détenu. Elle doit donc être compressible de jure et de facto[559]. En somme, la Cour recherchera si la peine de réclusion à perpétuité à laquelle l’accusé est condamné a, dans les circonstances, enlevé au requérant toute perspective de libération[560].
[936] Le droit chypriote ne prévoit pas la possibilité d’une remise de peine pour bonne conduite. Toutefois, le Président peut suspendre, remettre ou commuer toute peine infligée par un tribunal, offrant ainsi la possibilité d’une libération immédiate[561]. Tout aménagement de la peine relève exclusivement du pouvoir discrétionnaire du Président. Pourtant, les peines perpétuelles sont finalement jugées compressibles, de jure et de facto[562]. Les questions se rapportant aux politiques de libération conditionnelle et modalités de leur mise en œuvre relèvent des prérogatives exclusives des états membres[563].
[937] Pour les juges dissidents, la perspective de libération pour les détenus chypriotes est en fait extrêmement limitée. La possibilité d’une libération, même limitée, doit exister de facto; cette possibilité doit être réelle, ce qui n’est pas le cas en l’espèce[564]. Même si les actes de grâce ou de clémence relèvent de la prérogative du pouvoir exécutif, il n’existe pas de garantie adéquate contre l’arbitraire s’ils englobent tous les types de réexamen de la peine et les modalités de la libération[565]. La procédure actuellement en vigueur à Chypre ne donne pas au requérant une perspective réelle et concrète d’être libéré et enfreint donc l’article 3 de la convention[566].
[938] Postérieurement à l’arrêt Kafkaris, la Grande chambre rendit sa décision dans Vinter et autres c. Royaume-Uni[567], le 9 juillet 2013. Dans cette juridiction, le meurtre est puni d’emprisonnement à perpétuité et le juge doit fixer une période minimale d’emprisonnement. De façon exceptionnelle, il peut prononcer une peine de perpétuité réelle lorsque l’infraction est d’une gravité d’exception. Dans un tel cas, le détenu ne pourra être libéré qu’en vertu du pouvoir discrétionnaire conféré au Ministre, qui n’exercera celui-ci que pour des motifs d’humanité si l’intéressé est atteint d’une maladie grave en phase terminale ou frappé d’une invalidité grave[568].
[939] La Cour européenne rappelle d’abord que l’article 77 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale permet l’imposition d’une peine d’emprisonnement à perpétuité pour un crime extrêmement grave, compte tenu de la situation personnelle du condamné. Dans un tel cas, la Cour pénale internationale doit cependant réexaminer la peine à l’expiration des 25 premières années de détention[569].
[940] La Cour fait également observer que neuf pays européens ne prévoient aucune peine de réclusion à perpétuité. La majorité des autres pays ont par ailleurs établi un mécanisme spécial permettant de réexaminer la peine de réclusion à perpétuité après une certaine période de temps, variant de 7 à 30 ans[570].
[941] La Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne déclara pour sa part que le respect de la dignité humaine et l’état de droit faisaient que l’exécution d’une peine de réclusion à perpétuité ne pouvait être « humaine » que si l’on offre au détenu une chance complète et réaliste de recouvrer un jour sa liberté[571].
[942] Selon la Cour, les États doivent rester libres d’infliger des peines perpétuelles aux adultes ayant commis des infractions particulièrement graves. Cette politique n’est pas en soi prohibée par l’article 3[572]. Pour demeurer conforme à cette dernière disposition, la peine perpétuelle doit cependant offrir une chance d’élargissement et une possibilité de réexamen de jure et de facto[573]. Nul ne peut être retenu si aucun motif pénologique légitime ne le justifie[574]. De plus, il est incompatible avec la dignité humaine qu’un État prive une personne de sa liberté sans lui donner la moindre chance de la recouvrer un jour[575]. Le droit européen et le droit international établissent le principe que tous les détenus puissent avoir la possibilité de s’amender et jouissent d’une perspective de remise en liberté s’ils y parviennent[576].
[943] La Cour européenne conclut donc que l’article 3 de la Convention exige que les peines perpétuelles soient compressibles[577]. La Cour n’a pas à dicter la forme (administrative ou judiciaire) que devrait prendre un tel réexamen. Elle n’a pas davantage à spécifier le moment où ce réexamen devrait intervenir, mais constate une nette tendance garantissant un premier réexamen dans un délai de 25 ans[578]. Lorsque le droit national ne prévoit pas la possibilité d’un tel réexamen, la peine d’emprisonnement à perpétuité contrevient à l’article 3[579].
[944] En somme, un détenu a le droit de savoir, dès le prononcé de sa peine, ce qu’il doit faire pour obtenir un jour sa libération conditionnelle. Il doit connaître le moment où le réexamen de sa peine aura lieu ou pourra être sollicité[580].
[945] Le 4 septembre 2014, la Cour européenne rend son jugement dans l’affaire Trabelsi c. Belgique[581]. Elle confirme à nouveau les principes énoncés l’année précédente dans Vinter et conclut en l’absence, en Belgique, de procédure s’apparentant à un mécanisme de réexamen obligeant les autorités nationales à rechercher, sur la base de critères objectifs et préétablis dont le détenu aurait eu connaissance avec certitude au moment de l’imposition de la peine, si, au cours de sa détention, l’intéressé a tellement évolué et progressé qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne justifie davantage son maintien en détention[582].
[946] La peine perpétuelle ne peut donc, dans ces circonstances, être qualifiée de compressible et viole l’article 3 de la Convention.
[947] En France, la réclusion à perpétuité peut être réévaluée après 30 ans d’incarcération et un recours en grâce auprès du Président de la République demeure disponible[583]. Dans l’affaire Bodein c. France, la Grande Chambre répète que la seule perspective d’une libération pour motif humanitaire ou celle d’une grâce présidentielle ne sont pas des mécanismes efficients de réexamen de la peine[584].
[948] Quant à la réévaluation de la situation du requérant après 30 ans, il a pour but de déterminer sa dangerosité et de prendre en considération son évolution depuis le début de son incarcération. Ce mécanisme ne laisse pas d’incertitude sur l’existence d’une perspective d’élargissement dès le prononcé de la condamnation[585].
[949] La Cour conclut que cette possibilité de réexamen est suffisante et conforme à l’article 3 de la Convention[586].
[950] Dans R. v. McLoughlin; R. v. Newell[587], Lord Thomas rejeta en 2014 les conclusions de la Cour européenne dans Vinter et jugea que le droit anglais prévoyait spécifiquement une possibilité exceptionnelle de remise en liberté d’individus condamnés à des peines d’emprisonnement à perpétuité, ajoutant que le Secrétaire d’État se devait d’exercer son pouvoir en conformité avec l’article 3 de la Convention européenne. Le juge Campbell résume ainsi les conclusions de Lord Thomas :
"In conclusion, Lord Thomas stated, at paras. 35-37, that the law provided an offender subject to a whole life sentencing order, with "hope" or the "possibility" of release, in exceptional circumstances, which renders the "just punishment originally imposed no longer justifiable." Lord Thomas also noted that it was "entirely consistent with the rule of law" that such requests were to be considered on an "individual basis," even though it was difficult to specify in advance what such exceptional circumstances might justify eventual release. Lord Thomas stated that judges should, accordingly, continue to apply the provisions of the Criminal Justice Act 2003 and, in exceptional cases, which are likely to be rare, impose whole life sentencing orders on appropriate offenders."[588]
[951] Dans l’affaire Murray c. Pays-Bas[589], la Cour européenne réaffirme les principes énoncés 3 ans auparavant dans l’arrêt Vinter. Une possibilité d’élargissement et de réexamen doivent exister dès le prononcé de la peine[590] et la détention doit toujours être justifiée par un motif d’ordre pénologique. Le réexamen doit permettre aux autorités de rechercher si, en cours d’exécution de la peine, le détenu a évolué et progressé au point où aucun motif pénologique ne justifie davantage sa détention[591]. Cette appréciation doit reposer sur des critères objectifs et définis à l’avance :
« [ … ] l’appréciation doit reposer sur des critères objectifs et définis à l’avance [ … ] Le droit du détenu à un réexamen implique une appréciation concrète des informations pertinentes et le réexamen doit être entouré de garanties procédurales adéquates [ … ] dans la mesure nécessaire pour que le détenu sache ce qu’il doit faire pour que sa libération puisse être envisagée et à quelles conditions, une motivation des décisions peut être requise, et il faut donc que le détenu ait accès à un contrôle juridictionnel pour faire remédier à tout défaut à cet égard. [ … ] Enfin, pour apprécier si une peine perpétuelle est compressible de facto, il peut être utile de prendre en compte les données statistiques sur le mécanisme de recours antérieurs au réexamen en question, notamment le nombre de personnes ayant obtenu une grâce. [ … ] »[592]
[952] Dans une opinion concordante, l’honorable juge Pinto De Albuquerque mentionne :
« Quel que soit l’atrocité du crime qu’il a commis, aucun détenu ne mérite d’être traité comme un « déchet humain » voué à l’oubli, pour reprendre les termes de Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour. »[593]
[953] Quatre ans après sa décision dans Vinter, la Grande Chambre de la Cour européenne réexamine, dans son arrêt Hutchinson[594], le régime britannique de condamnation à perpétuité. Elle renverse alors sa position antérieure et déclare que le régime ne contrevient pas à la Convention européenne des droits de l’homme. Elle exprime l’avis que l’arrêt R. v. McLoughlin; R. v. Newell de la Cour d’appel anglaise avait suffisamment clarifié la loi concernant la libération accordée par le Ministre dans des circonstances exceptionnelles.
[954] Les parties se sont exclusivement concentrées sur la question de savoir si, à la lumière de l’arrêt R. v. McLoughlin, la situation de monsieur Hutchinson relativement à sa peine d’emprisonnement à perpétuité répondait à présent aux exigences de l’article 3 de la Convention, telles qu’exposées dans l’arrêt Vinter. La Cour détermina que l’arrêt R. v. McLoughlin avait explicitement répondu à la critique de l’arrêt Vinter en affirmant que le Ministre a « l’obligation légale [ … ] d’exercer son pouvoir de libération d’une manière compatible avec l’article 3 de la Convention »[595] et en clarifiant « le contenu du droit interne pertinent, et « en gommant » l’incohérence constatée dans l’arrêt Vinter »[596].
[955] Réitérant les principes juridiques généraux quant à l’imposition d’une peine d’emprisonnement à perpétuité, la Cour rappelle ce qui suit :
« [ … ] La Convention n’interdit pas d’infliger une peine d’emprisonnement à vie à une personne convaincue d’une infraction particulièrement grave, telle le meurtre. Cependant, pour être compatible avec l’article 3, pareille peine doit être compressible de jure et de facto, c’est-à-dire qu’elle doit offrir une perspective d’élargissement et une possibilité de réexamen. Pareil réexamen doit notamment se fonder sur une évaluation du point de savoir si des motifs légitimes d’ordre pénologique justifient le maintien en détention du détenu. Les objectifs de châtiment, de dissuasion, de protection du public et de réinsertion figurent au nombre de ces motifs. L’équilibre entre eux n’est pas forcément immuable, et peut évoluer au cours de l’exécution de la peine, de sorte que ce qui était la justification première de la détention au début de la peine ne le sera peut-être plus une fois accomplie une bonne partie de celle-ci. La Cour a souligné l’importance de l’objectif de réinsertion, relevant que c’est sur cet objectif que les politiques pénales européennes mettent désormais l’accent, ainsi qu’il ressort de la pratique des États contractants des normes pertinentes adoptées par le Conseil de l’Europe et des instruments internationaux applicables.[597]
[ … ]
Les critères et conditions énoncés dans le droit interne concernant le réexamen doivent avoir un degré suffisant de clarté et de certitude, et doivent aussi refléter la jurisprudence pertinente de la Cour. [ … ] À cet égard, la Cour a constaté qu’il se dégage des éléments de droit comparé et de droit international une nette tendance en faveur de l’instauration d’un premier réexamen dans un délai de 25 ans au plus après le prononcé de la peine perpétuelle, puis de réexamens périodiques par la suite. Elle a cependant également indiqué qu’il s’agit là d’une question relevant de la marge d’appréciation à accorder aux États en matière de justice criminelle et de détermination des peines.[598]
Quant à la nature du réexamen, la Cour a souligné qu’elle n’a pas pour tâche de dicter la forme (administrative ou judiciaire) qu’il doit prendre, eu égard à la marge d’appréciation qu’il convient d’accorder aux États contractants en la matière. Il appartient donc à chaque État de décider si le réexamen des peines doit être conduit par le pouvoir exécutif ou par le pouvoir judiciaire.[599] »
[956] La Cour conclut que l’imposition d’ordonnances de condamnation à perpétuité au Royaume-Uni ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention, ces peines étant potentiellement compressibles ou réductibles :
« La Cour estime que la décision McLoughlin a permis de remédier au manque de clarté du droit interne constaté dans l’arrêt Vinter, qui découlait de l’incohérence dans le système national entre le droit applicable et la politique officielle publiée. De plus la Cour d’appel a donné des précisions quant à la portée, aux critères et aux modalités du réexamen par le Ministre, ainsi qu’à l’obligation pour celui-ci de libérer un détenu condamné à une peine de perpétuité réelle dont le maintien en détention ne peut plus se justifier par des motifs légitimes d’ordre pénologique. De ce fait, le système interne, fondé sur des textes législatifs (la Loi de 1997 et la Loi sur les droits de l’homme), la jurisprudence (des juridictions internes et de la Cour) et la politique officielle publiée (le manuel sur les peines de durée indéterminée), ne présente plus le contraste que la Cour avait relevé dans l’arrêt Vinter et autres. La pratique interne pourra définir de manière plus précise les circonstances dans lesquelles un détenu condamné à une peine de perpétuité réelle peut demander sa libération, sur la base de motifs légitimes d’ordre pénologique justifiant la détention. [ … ] [600]
[ … ]
La Cour conclut que la peine de perpétuité réelle peut à présent être considérée comme compressible, en conformité avec l’article 3 de la Convention.[601] »
[957] Le soussigné rappelle qu’il importe de faire preuve de prudence en analysant les décisions d’un tribunal étranger, le Canada n’étant évidemment pas lié par l’expérience et la jurisprudence en découlant[602]. Ceci étant, les outils internationaux peuvent être utiles pour interpréter une disposition législative ou supralégislative. Ils ne peuvent cependant élargir la portée du droit concerné lorsque cette dernière est clairement exprimée[603].
[958] Le Tribunal constate, avec le professeur Spencer, les différentes approches adoptées par les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres pays européens. Il se dégage de la jurisprudence internationale qu’une perspective de libération conditionnelle fondée strictement sur une incapacité mentale ou physique avoisinant la mort est incompatible avec la dignité humaine[604]. La Cour européenne des droits de l’homme considère que l’espoir représente une composante importante de la personne humaine. Depuis le Rapport Fauteux, il en va de même en droit pénal canadien. Tout comme le professeur Spencer, le soussigné convient que :
"[ … ] Allowing hope of release provides incentive for an offender to take meaningful steps towards rehabilitation; even if these do not lead to eventual release they provide a measure of safety and security to fellow inmates and prison staff. Beyond pragmatic concerns, there are moral considerations about removing all hope of release."[605]
[959] En présentant les situations prévalant aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande, le juge Campbell cherche un quelconque appui international à la constitutionnalité de la disposition entreprise. Au paragraphe 136 de sa décision, il souligne l’existence d’un débat important sur la scène internationale quant à la sagesse pénologique générale de l’imposition d’une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Il affirme que si plusieurs pays la rejettent, plusieurs autres en reconnaissent la validité. En fait, voici les chiffres exacts en date de l’année 2012 :
a) sur 193 pays recensés, seulement 37 (19,2 %) admettent l’imposition de la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle.
b) sur les 193 pays recensés, seulement 34 (17,6 %) admettent l’imposition de peines consécutives sans seuil maximal. Six autres pays (0,03 %) prévoient des peines consécutives pouvant totaliser jusqu’à 50 ans d’emprisonnement[606].
[960] Considérant que les pays où la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle correspondent, la plupart du temps, à ceux où des peines consécutives peuvent être imposées jusqu’à produire un effet semblable (ce qui est, justement, le cas des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande), le soussigné conclut que la position voulant que la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle soit invalide l’emporte largement au plan international.
[961] Le juge Campbell soutient également que la prérogative royale de clémence procure au détenu un élément d’espoir suffisant pour garantir la validité constitutionnelle de l’article 745.51 C.cr. :
"Defense counsel argues that, in Canada, the royal prerogative of mercy simply does not provide an offender convicted of multiple murders and sentenced to consecutive terms of parole ineligibility with the necessary measure of hope of review and eventual release. According to defence counsel, it is granted too infrequently, is shrouded in secrecy, and is subject to the political whims of the exercise of executive power. I disagree. Even if the provisions of the Charter required that offenders, serving long terms of imprisonment, must be able to maintain such hope of review and eventual release, in recognition of the constitutionally-recognized importance of individual human dignity, I am satisfied that the royal prerogative of mercy provides that element of hope."[607]
[962] Dans Robillard c. Canada (Procureur général)[608], la Cour fédérale définit ainsi la prérogative royale de clémence :
« [ … ] la clémence royale est cette faculté extraordinaire de Sa Majesté d’accorder - durant le temps que la sentence a encore plein effet - une remise de peine à toute personne ayant été condamné par un tribunal - peu importe l’ignominie ou la gravité du crime commis. C’est un relent de l’ancien pouvoir absolu des monarques britanniques de gracier leur sujet. »[609]
[Notre soulignement]
[963] On doit prendre en considération que la prérogative royale consiste en un pouvoir discrétionnaire absolu permettant, dans des circonstances exceptionnelles, d’appliquer des mesures exceptionnelles à des personnes qui le méritent. Il revient au gouverneur général ou au gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre de la Sécurité publique ou d’au moins un autre ministre, d’accorder la clémence[610].
[964] La Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) est chargée d’analyser les demandes de clémence, de mener enquête et de formuler des recommandations auprès du ministère de la Sécurité publique. Ce processus est encadré par six principes généraux visant à assurer une démarche juste et équitable :
1) l’injustice ou la trop grande sévérité du châtiment doit être établie;
2) l’exercice de la prérogative royale de clémence n’a rapport qu’avec le demandeur;
3) l’exercice de la prérogative royale de clémence n’a pas pour objet de contourner d’autres dispositions législatives;
4) l’indépendance du pouvoir judiciaire doit être respectée;
5) la prérogative royale de clémence ne doit être exercée que dans des cas exceptionnels;
6) l’exercice de la prérogative royale de clémence, de par sa nature, ne doit pas aggraver la peine[611].
[965] L’objectif premier de la Commission est la protection de la société.
[966] Aux principes susmentionnés se greffent les considérations suivantes dans le cas d’un pardon conditionnel demandé avant l’admissibilité aux termes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions :
« Pour pouvoir obtenir un pardon conditionnel avant l’admissibilité prévue par la LSCMLC, le détenu ne doit être admissible à aucune autre forme de mise en liberté aux termes de cette loi. En outre, la mise en liberté ne doit pas, d’aucune façon, faire courir à la collectivité le risque d’une récidive du délinquant. Enfin, il faut qu’il existe une preuve substantielle d’une grave injustice ou d’une sévérité excessive du châtiment qui seraient disproportionnées par rapport à la nature et à la gravité de l’infraction et serait plus importante que pour d’autres personnes dans une situation semblable. »[612]
[Notre soulignement]
[967] En somme, la clémence ne doit être octroyée qu’en présence de « circonstances exceptionnelles », dans des cas où le bien-fondé de la demande a été établi et où il est question d’infractions à des lois fédérales, lorsque la loi ne prévoit aucun autre moyen de réduire les effets négatifs exceptionnels des sanctions imposées pour des actes criminels[613].
[968] Le juge Campbell convient que la prérogative royale n’est exercée qu’occasionnellement. Référant à une charte de statistiques quant au nombre de demandes, d’octrois, de refus et d’abandons en lien avec la prérogative royale, charte jointe en annexe de son jugement, le juge Campbell infère que la nature exceptionnelle du recours et la sporadicité de son utilisation ne limitent pas indûment sa disponibilité :
"The exceptional nature of the remedy, and the statistical infrequency of its use, does not, however, unduly restrict the availability of the remedy, or provide an unworkably vague standard or threshold, or deprive a long-imprisoned offender of hope of eventual review and release. After all, approximately 20% of all applications for the royal prerogative of mercy over the past few decades -- one in every five applications on average -- are granted, and significantly more applications are granted than are denied. Those statistics prove that, in practical terms, the royal prerogative of mercy serves as a real-life remedy for a significant number of imprisoned offenders, and provides a realistic basis for optimistic hope among offenders serving long terms of imprisonment, such as those who commit multiple murders, of potential eventual review and release."[614]
[Nos soulignements]
[969] Le tableau déposé en annexe du jugement démontre que 317 requêtes en obtention avaient été déposées avant le 1er janvier 1994. De ce nombre, 119 furent accordées, 70 furent refusées et 125 discontinuées. Pour fins de commodité, le soussigné reproduit cette annexe dans le présent jugement.
[970] Le soussigné constate une rupture évidente entre le nombre de demandes accordées en vertu de la prérogative royale de clémence antérieurement et postérieurement aux modifications apportées à la Loi sur le casier judiciaire, au mois d’août 2000.
[971] Le Rapport de Surveillance du Rendement (RSR) 2001-2002 démontre que 20 demandes ont été présentées à la Commission en 2001. De ce nombre, aucune clémence ne fut accueillie.
[972] Préalablement aux modifications apportées à la Loi sur le casier judiciaire, un nombre élevé de détenus présentaient des demandes d’examen en vertu de la prérogative royale de clémence, sans qu’il ne s’agisse d’une telle mesure au sens strict. Ainsi, en 1999, 13 des 15 demandes approuvées correspondaient en réalité à des demandes de pardon conditionnelles qui auraient dû relever de la Loi sur le casier judiciaire :
« Par le passé, un grand nombre des demandes qui ont été reçues et approuvées étaient des demandes de pardon conditionnelles faites en vertu de la prérogative royale de clémence qui auraient normalement été traitées dans le cadre du programme de réhabilitation. Il s’agissait de cas où les demandeurs de réhabilitation devaient présenter une preuve de paiement de frais de justice, d’amendes, etc. qui n’était pas disponible en raison d’une pratique administrative adoptée par certains tribunaux (qui consiste à annuler le solde impayé, d’une amende dans certains cas définie par des lignes directrices) ou d’une erreur judiciaire. Ces personnes étant dans l’impossibilité de fournir une preuve de paiement et, donc, inadmissibles à la réhabilitation, elles ont demandé que leur cas soit examiné en vertu de la prérogative royale de clémence. En 1999, 13 des 15 demandes qui ont été approuvées étaient des demandes de pardon conditionnelles qui auraient normalement été traitées aux termes de la Loi sur le casier judiciaire. Le 1er août 2000, la Commission a modifié sa politique sur les demandes de réhabilitation présentées en vertu de la Loi sur le casier judiciaire afin qu’on considère qu’une peine comportant le paiement de sommes d’argent a été exécutée s’il existe des documents d’une tierce partie confirmant qu’une pratique administrative ou une erreur du système judiciaire a rendu le demandeur inadmissible à la réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. Cette modification a entraîné une réduction du nombre de recours en grâce.
Au cours des six dernières années, la clémence a été accordée dans environ 21% des cas, et 10 % des demandes ont été refusées. En comparaison, le taux d’octroi â[sic] été de 26% depuis 1981 et le taux de refus, de 15%. Le traitement de la majorité des demandes a été interrompu avant qu’une décision soit rendue parce que le client n’avait pas fourni suffisamment d’informations ou de preuves de la trop grande sévérité du châtiment. »[615]
[973] Avec égard, l’honorable juge Campbell n’a pas tenu compte de l’impact des modifications législatives apportées à la Loi sur le casier judiciaire, en août 2000. L’eut-il fait, il aurait constaté que depuis cette époque, seulement 3 % des demandes de prérogative royale de clémence sont effectivement accordées[616].
[974] Le juge Campbell ne pouvait conclure que la prérogative royale de clémence représentait pour les détenus un espoir réaliste de remise en liberté. Tout comme le juge Macklin, le soussigné conclut que la prérogative n’offre aux personnes condamnées à l’emprisonnement à perpétuité aucune perspective raisonnable de remise en liberté[617].
[975] Avec respect pour l’opinion exprimée par notre collègue, le soussigné croit que tout être humain doit être traité avec dignité et respect, incluant ceux qui, par la violence, commettent le crime ultime d’enlever la vie à deux ou plusieurs de leurs semblables. Il est sophistique d’affirmer que de tels individus devraient raisonnablement s’attendre, dans une société libre, civilisée et démocratique, à écouler le reste de leurs jours derrière des barreaux, et ce, en dépit de tout effort de réhabilitation[618]. Qu’un individu se complaisant dans la criminalité passe 50 ou 60 ans de son existence en captivité avant d’y rendre son dernier souffle ne viole pas, en soi, l’article 12. Mais qu’un autre détenu le fasse sans avoir eu l’opportunité de démontrer à la Commission des libérations conditionnelles toute la progression qu’il a enregistrée depuis le premier jour de son incarcération, tous ses efforts de réhabilitation et l’accomplissement des fins pénologiques qui lui avaient été assignées, correspond à une peine cruelle et inusitée.
[976] Dans l’arrêt Charkaoui, la Cour suprême précise bien que la détention d’une durée indéterminée dans des circonstances où le détenu n’a aucun espoir d’être libéré ni aucune voie de droit pour obtenir une remise en liberté peut lui occasionner un stress psychologique et constituer un traitement cruel et inusité[619].
[977] Il est facile et agréable, pour les tribunaux, de mettre en œuvre des droits constitutionnels pour les éléments les plus positifs de la société. On mesure cependant le véritable attachement de cette dernière au respect des droits fondamentaux de la personne à sa capacité d’en faire bénéficier ses composantes les plus indésirables.
[978] Pour les motifs exprimés par le juge Cory dans l’arrêt Kindler, le Tribunal ne croit pas qu’on puisse justifier l’adoption de l’article 745.51 C.cr. par le fait que l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle sort fréquemment imposé au sud de nos frontières[620]. Le Canada demeure un pays fier de ses origines et attaché à la conservation de ses valeurs morales, sociales et juridiques, lesquelles diffèrent, à plusieurs égards, de celles d’autres juridictions.
[979] Il est vrai, par ailleurs, que l’ancien régime prévoyant l’imposition automatique de périodes d’inadmissibilité concurrentes pour les auteurs de meurtres multiples était injuste et pouvait conduire à des peines exagérément disproportionnées[621]. Cela n’autorise pas pour autant l’État à enfreindre maintenant les droits constitutionnels énoncés à l’article 12 de la Charte.
- Conclusion
[980] Le Tribunal juge que le fait d’imposer à l’accusé deux périodes d’inadmissibilité consécutives de 25 ans chacune irait à l’encontre de ses droits garantis à l’article 12. De telles peines sont exagérément disproportionnées et totalement incompatibles avec la dignité humaine.
[981] Malgré l’horreur de son crime, Alexandre Bissonnette ne saurait être comparé à un tueur en série ou à un tueur à gages. Deux minutes à peine de son existence auront suffi à le faire basculer dans le camp des assassins, sans autre gratification que celle d’avoir eu le « moment de gloire » qu’il convoitait tant.
[982] Les Canadiennes et les Canadiens considèreraient comme « odieuse et intolérable » toute sentence niant à l’accusé une possibilité raisonnable de mise en liberté sous conditions dans les dernières années de sa vie. L’effet de cette dernière serait exagérément disproportionné à ce qui est approprié dans les circonstances.
[983] Malgré toute la déférence qu’il doit au législateur et la norme constitutionnelle stricte et exigeante posée par l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, le soussigné estime être en présence d’un des très rares cas justifiant l’intervention d’un tribunal.
[984] Pour l’ensemble de ces motifs, la Cour conclut que l’article 745.51 du Code criminel aurait pour effet d’infliger à Alexandre Bissonnette une peine exagérément disproportionnée et, de ce fait, « cruelle et inusitée ».
ii) Les hypothèses raisonnablement prévisibles
[985] Bien que le soussigné ait conclu en une violation des droits garantis par l’article 12 au regard de l’accusé, il estime approprié de formuler quelques commentaires sur les applications raisonnablement prévisibles de la disposition contestée.
[986] La « situation hypothétique raisonnable » peut correspondre à celle d’une vraie personne, comme dans l’arrêt Boudreault de la Cour suprême, ou n’être que le « fruit d’applications raisonnablement prévisibles de la disposition »[622].
[987] Le juge peut d’abord considérer les conjonctures qui se sont véritablement matérialisées et déterminer, par le biais d’inférences raisonnables, quels autres scénarios sont raisonnablement prévisibles[623]. Dans le cadre de cet exercice, le tribunal peut également recourir à la jurisprudence existante[624]. Les cas répertoriés peuvent être particulièrement utiles :
« [ … ] doivent-ils [les cas répertoriés] être pris en considération pour déterminer s’il est raisonnablement prévisible que l’application d’une disposition prévoyant une peine minimale obligatoire emporte l’infliction d’une peine cruelle et inusitée contrairement à l’art. 12? Dans l’arrêt Morrisey, les juges majoritaires opinent que ces cas doivent être écartés lorsque, selon le tribunal, il s’agit de cas « limites »; les juges minoritaires affirment d’emblée qu’ils peuvent être pris en compte. J’estime qu’ils le peuvent. Les cas répertoriés montrent toute l’étendue des actes susceptibles de tomber concrètement sous le coup de la disposition. Je ne vois aucun motif rationnel de les écarter parce qu’ils correspondent à des applications peu fréquentes de la disposition créant l’infraction, à condition que les faits en cause soient suffisamment exposés. Non seulement les situations en cause sont raisonnablement prévisibles, mais elles se sont présentées. Les décisions rendues à leur sujet permettent de savoir comment la disposition s’applique dans la vraie vie. Elles n’empêchent toutefois pas le tribunal d’envisager d’autres scénarios qui sont raisonnablement prévisibles (Morrisey, par. 33). »[625]
[Nos soulignements]
[988] Dans R. c. Oud, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique mentionne également que le tribunal d’instance peut faire référence à une situation hypothétique raisonnable qu’il a lui-même conçue dans le cadre d’une analyse en vertu de l’arrêt Nur[626]. De même, un scénario hypothétique raisonnable peut également émaner des autorités soumises au tribunal par le ministère public[627].
[989] On peut également référer à l’affaire Badali[628], où le juge d’instance réfère à des situations raisonnablement prévisibles invoquées par l’accusé, mais également à des exemples conçus par lui-même[629].
[990] Les scénarios invraisemblables ou n’ayant qu’un faible rapport avec l’espèce ne doivent pas être considérés dans cette dernière étape de l’enquête[630]. Cette dernière doit prendre appui sur l’expérience judiciaire et le bon sens[631]. À cet égard, Clayton Ruby fait remarquer que « there have been a number of cases applying Nur’s holding that unlikely yet foreseeable hypotheticals are fair game »[632].
[991] La variété des comportements et des circonstances faisant encourir aux auteurs de meurtres multiples au premier degré des périodes consécutives d’inadmissibilité ne laissant entrevoir une possible libération qu’aux frontières du trépas suggère fortement, en outre, l’invalidité constitutionnelle de la disposition entreprise.
[992] Sans même analyser le scénario proposé par l’accusé, le soussigné se limitera à référer aux décisions rendues dans les affaires Bourque, Ostamas, Saretzki et Garland. Ces quatre individus ont été condamnés à des périodes cumulatives d’inadmissibilité de 75 ans.
[993] Ainsi, Justin Bourque aura 99 ans lorsqu’il deviendra éligible à une libération conditionnelle, tout comme Saretzki; John Paul Ostamas sera quant à lui âgé d’au moins 104 ans, ses premiers antécédents judiciaires comme adulte remontant à l’année 2002 et ses crimes ayant été commis en avril 2015[633]. Douglas Robert Garland pourra quant à lui solliciter une remise en liberté sous conditions à l’âge de… 129 ans.
[994] À eux seuls, ces quatre exemples jurisprudentiels témoignent des difficultés incontournables que pose, au plan constitutionnel, l’article 745.51 C.cr. pour les motifs précédemment exposés en lien avec le cas particulier de monsieur Bissonnette.
[995] Cette dernière partie du test de l’arrêt Nur démontre bien, à elle seule, le caractère exagérément disproportionné des peines pouvant découler de la disposition entreprise.
iii) Conclusion
[996] En conclusion, le soussigné considère que l’article 745.51 C.cr. enfreint la protection constitutionnelle énoncée à l’article 12 de la Charte canadienne, et ce, tant au regard d’Alexandre Bissonnette que d’applications raisonnablement prévisibles de cette même disposition.
C) L’article 7
[997] L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés stipule que :
7. Vie, liberté et sécurité - Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
[998] Alexandre Bissonnette plaide que l’article 745.51 C.cr. transgresse ses droits à la liberté et à la sécurité en contravention aux principes de justice fondamentale en ce qu’il revêt un caractère arbitraire, a une portée excessive et se révèle totalement disproportionné par rapport à son objectif. En outre, cette disposition législative déroge au principe de « protection de l’espoir ».
a) Les principes de justice fondamentale
[999] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Bedford, l’honorable juge en chef McLachlin définit ainsi la notion de « principes de justice fondamentale » :
« Les principes de justice fondamentale s’entendent des valeurs fondamentales qui sous-tendent notre ordre constitutionnel. L’analyse fondée sur l’art. 7 s’attache à débusquer les dispositions législatives intrinsèquement mauvaises, celles qui privent du droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne au mépris des valeurs fondamentales que sont censés intégrer les principes de justice fondamentale et dont la jurisprudence a défini la teneur au fil des ans [ … ] »[634]
[1000] Limités à l’origine aux principes de justice naturelle définissant l’équité procédurale, les principes de justice fondamentale « ont beaucoup évolué depuis l’adoption de la Charte »[635]. Ils représentent les conditions minimales auxquelles doit satisfaire la loi et incarnent un concept dynamique, capable de progresser avec la société à laquelle ils se rattachent.
[1001] Les professeurs Brun, Tremblay et Brouillet font d’ailleurs observer que la primauté du droit, pilier de la collectivité canadienne énoncé au Préambule de la Charte, favorise une application généreuse des principes de justice fondamentale[636].
[1002] À titre d’exemple, la Cour suprême reconnaissait récemment que l’impossibilité pour l’État d’imposer aux avocats des obligations minant leur devoir de se dévouer à la cause de leurs clients constitue un principe de justice fondamentale[637].
[1003] Selon l’honorable juge Cromwell, on reconnaît un principe de justice fondamentale aux trois caractéristiques suivantes[638] :
1) il s’agit d’un principe juridique;
2) ce principe juridique fait l’objet d’un consensus substantiel sur le fait que cette règle ou ce principe est essentiel au bon fonctionnement du système de justice; et
3) ce principe juridique doit être défini avec suffisamment de précision pour constituer une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne[639].
[1004] La première condition, relative au caractère « juridique » du principe, vise à conférer une substance aux droits garantis. Le principe doit éviter de trancher de simples questions de politique générale[640].
[1005] Le consensus substantiel implique que les principes de justice fondamentale trouvent leur signification dans la jurisprudence et les traditions gérant le traitement des citoyens par l’État. Ils doivent être considérés comme essentiels à l’administration de la justice[641].
[1006] La dernière condition, soit la suffisance du degré de précision, suppose que l’application du principe ne sera ni tributaire du contexte ni source de controverse[642].
[1007] Il incombe à l’accusé d’établir, dans un premier temps, que la disposition législative entreprise porte atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne. Dans un deuxième temps, il lui faudra prouver que la privation concernée est contraire aux principes de justice fondamentale. Le fardeau de preuve en est un de balance des probabilités pour chacune de ces deux étapes[643].
b) L’existence de l’atteinte
[1008] La première question est donc celle de savoir si l’article 745.51 C.cr. limite le droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.
[1009] Considérant qu’Alexandre Bissonnette pourrait devoir purger consécutivement des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle alors qu’il fera l’objet d’une peine d’emprisonnement à perpétuité obligatoire, la Mise en cause concède l’existence d’une atteinte à l’un des droits protégés par l’article 7 de la Charte, soit le droit à la liberté.
[1010] De même, la présence d’un lien de causalité suffisant entre l’article 745.51 C.cr. et l’atteinte au droit à la liberté n’est aucunement contestée[644].
[1011] Tout comme la Défense, le soussigné considère également que l’atteinte à l’intégrité corporelle et la tension psychologique grave causée en l’espèce par la disposition précitée constitue une atteinte à la sécurité du délinquant[645].
[1012] La perspective, pour un accusé reconnu coupable de meurtres multiples, de ne pouvoir devenir admissible à une libération conditionnelle avant l’âge prévisible de son décès, et ce, indépendamment des efforts de réhabilitation qu’il aurait pu déployer au cours de sa détention, ne peut que susciter chez lui une tension psychologique extrêmement préjudiciable, de nature même à l’amener à poser des gestes irréversibles pour son intégrité physique ou sa propre vie.
[1013] Il est en preuve, en effet, que le taux de suicide dans les pénitenciers est environ sept fois plus élevé que dans la population générale. Les suicides constituent le principal facteur de décès dus à des causes non naturelles chez les détenus de juridiction fédérale[646].
[1014] La majorité des condamnés qui attentent à leurs jours sont des hommes de race blanche, âgés de 31 à 40 ans[647], qui purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité, ou inférieure à 5 ans[648].
[1015] La privation, l’isolement et la séparation des êtres chers semblent être les principales causes de suicide en milieu carcéral[649]. Les problèmes de santé mentale représentent également un important facteur de risque[650].
[1016] Bref, l’imposition d’une peine d’emprisonnement à perpétuité sans réelle possibilité de libération conditionnelle génère une tension psychologique grave. La perte d’espoir rompt tout lien entre la société et le délinquant qui, malgré les efforts qu’il pourrait mettre en œuvre, s’estimera abandonné par cette dernière. Être ainsi véritablement rejeté par la collectivité crée bien plus qu’une angoisse ordinaire : cela porte atteinte à un droit individuel d’importance fondamentale.
c) La conformité
[1017] La deuxième étape de l’examen consiste à déterminer si les restrictions identifiées sont conformes ou non aux principes de justice fondamentale[651].
[1018] La Cour suprême a, jusqu’à présent, confirmé l’existence d’un certain nombre de principes de justice fondamentale. Or, trois principes centraux se dégagent de la jurisprudence relative à l’article 7. Les lois qui portent atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne ne doivent en aucun temps :
1) être arbitraires;
2) avoir une portée excessive; ou,
3) entraîner des conséquences totalement disproportionnées à leur objet[652].
[1019] Ces trois critères commandent une comparaison entre l’atteinte au droit alléguée et l’objectif de la loi. Les considérations relatives à l’intérêt public et aux effets bénéfiques de la disposition entreprise (son efficacité) relèvent plutôt, quant à elles, de l’article 1er de la Charte[653].
i) Le caractère arbitraire
[1020] Le principe de justice fondamentale interdisant l’arbitraire porte sur l’absence de lien rationnel entre l’objet de la loi et la limite qu’elle impose à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne[654].
[1021] Dans l’arrêt Carter, la Cour suprême qualifie d’arbitraire toute loi ne permettant pas la réalisation de ses objectifs[655].
[1022] Il importe donc, en premier lieu, d’identifier l’objectif de la loi et d’évaluer, dans une seconde étape, s’il existe un lien rationnel entre l’atteinte et le but poursuivi par le législateur[656].
[1023] Comme nous l’avons vu précédemment, les principaux objectifs à l’origine de l’article 745.51 C.cr. étaient les suivants : premièrement, favoriser la proportionnalité entre la gravité des crimes et le degré de responsabilité morale plus élevé des auteurs de meurtres multiples; deuxièmement, s’assurer que ces derniers paient un « juste dû » pour leurs crimes; troisièmement, renforcer l’objectif de dénonciation et, quatrièmement, assurer la protection de la société.
[1024] La Défense souligne d’abord l’absence de lien « scientifique » entre l’imposition de périodes cumulatives d’inadmissibilité et un renforcement de la protection de la société.
[1025] Elle soumet également que l’emprisonnement n’est acceptable que lorsqu’il poursuit des fins pénologiques. Un délinquant ayant, au cours de son incarcération, atteint tous les objectifs pénologiques qui lui avaient été assignés et ne pouvant bénéficier par ailleurs d’une libération conditionnelle, ferait l’objet d’une détention arbitraire, cette dernière n’étant plus liée aux objectifs de la loi.
[1026] Finalement, l’article 745.51 serait arbitraire dans son application, le juge ne pouvant imposer, dans les cas de meurtres au premier degré, que des périodes d’inéligibilité consécutives par blocs de 25 ans.
[1027] Ce dernier argument porte davantage sur l’étendue de la portée de la disposition entreprise. Il ne sera donc pris en considération qu’à la deuxième étape de l’analyse.
[1028] Le législateur n’a certainement pas l’obligation d’édicter des mesures législatives parfaites ou dont l’efficacité puisse être démontrée avec une précision chirurgicale ou « scientifique ». Il incombe plutôt au Parlement de s’assurer que les mesures promulguées aient un lien rationnel avec les objectifs qu’il poursuit.
[1029] Comme le fait valoir à bon droit la Mise en cause, le recours à la Charte ne peut avoir pour but de « remettre en cause le bien-fondé, l’opportunité ou la sagesse des mesures adoptées par le législateur »[657].
[1030] Il est manifeste que la possibilité pour les tribunaux d’infliger une ou plusieurs périodes d’inéligibilité consécutives à l’auteur de meurtres multiples permet de dénoncer et sanctionner une culpabilité morale supérieure, favorise l’attribution d’un « juste dû » et constitue une mesure supplémentaire de protection pour la société.
[1031] En ce sens, l’article 745.51 C.cr. procède non pas d’un pur caprice législatif, mais plutôt d’une démarche rationnelle destinée à mettre un terme à une iniquité qui perdurait depuis nombre d’années. L’auteur d’un seul meurtre, si répréhensible sa conduite soit-elle, ne devrait pas être stigmatisé au même titre que le meurtrier de masse ou le meurtrier en série. Il en va du respect du principe de la proportionnalité.
ii) La portée excessive
[1032] Un deuxième principe de justice fondamentale veut qu’une disposition ne saurait porter atteinte aux droits d’une personne à la vie, à la liberté ou à la sécurité d’une manière qui soit excessive[658].
[1033] La Cour suprême du Canada définit ainsi la nature de l’analyse de la portée excessive :
« L’analyse de la portée excessive consiste à déterminer si une loi qui nie des droits d’une manière généralement favorable à la réalisation de son objet va trop loin en niant les droits de certaines personnes d’une façon qui n’a aucun rapport avec son objet [ … ] Tout comme les autres principes de justice fondamentale au sens de l’art. 7, la notion de portée excessive ne s’attache pas à des intérêts sociaux divergents ou aux avantages accessoires pour la population en général. [ … ] Il ne s’agit pas de savoir si le législateur a choisi le moyen le moins restrictif, mais de savoir si le moyen choisi porte atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne d’une manière qui n’a aucun lien avec le mal qu’avait à l’esprit le législateur. On ne met pas l’accent sur des répercussions sociales générales, mais sur l’incidence de la mesure sur les personnes dont la vie, la liberté ou la sécurité est restreinte.»[659]
[1034] Par ailleurs, la juge en chef McLachlin précise, dans l’arrêt Khawaja, qu’il y a portée excessive :
« [ … ] lorsque le législateur opte pour un moyen dont la portée est plus grande que nécessaire pour atteindre l’objectif de l’État [ … ] »[660]
[Notre soulignement]
[1035] L’année suivante, elle ajoutera ce qui suit dans l’arrêt Bedford :
« Bien qu’il y ait un chevauchement important entre le caractère arbitraire, la portée excessive et la disproportion totale, et que plus d’une de ces trois notions puissent bel et bien s’appliquer à une disposition, il demeure que les trois correspondent à des principes distincts qui découlent de ce que Hamish Stewart appelle un « manque de logique fonctionnel », à savoir que la disposition « n’est pas suffisamment liée à son objectif ou, dans un certain sens, qu’elle va trop loin pour l’atteindre » (Fundamental Justice : Section 7 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms (2012), p. 151). Peter Hogg explique :
[TRADUCTION] Les principes liés à la portée excessive, à la disproportion et au caractère arbitraire visent tous au fond à pallier à ce que Hamish Stewart appelle un « manque de logique fonctionnel », en ce sens que le tribunal reconnaît l’objectif législatif, mais examine le moyen choisi pour l’atteindre. Si ce moyen ne permet pas logiquement d’atteindre l’objectif, la disposition est dysfonctionnelle eu égard à son propre objectif. »[661]
[Notre soulignement]
[1036] Ces commentaires de l’honorable juge McLachlin n’ont jamais été réfutés dans la décision postérieure de Carter.
[1037] On peut donc conclure de ce qui précède qu’il y aura portée excessive lorsque :
1) le législateur opte pour un moyen dont la portée est plus grande que nécessaire pour atteindre l’objectif de l’État[662];
2) le législateur va trop loin et empiète sur un comportement sans lien avec son objectif[663]; ou
3) une disposition s’applique si largement qu’elle vise certains actes qui n’ont aucun lien avec son objet, de telle sorte qu’il n’existe aucun lien rationnel entre les objets de la disposition et certains de ses effets, mais pas tous[664].
[1038] Le soussigné rappelle qu’à cette deuxième étape de l’analyse, il doit toujours faire preuve de déférence à l’égard du législateur[665].
[1039] Dans les cas de meurtres multiples au premier degré, l’article 745.51 C.cr. ne laisse d’autre choix au juge d’instance que de cumuler ou non des périodes de 25 ans d’inadmissibilité à la libération conditionnelle. L’accusé ne peut ainsi se voir refuser toute éligibilité à une telle remise en liberté que pour des périodes de 25, 50 ou 75 ans, ou pour toute période représentant un multiple de 25 ans (comme 150 ans).
[1040] La Défense soumet qu’un tel cumul « n’est pas nécessaire [ … ] pour protéger le public et dissuader les délinquants[666] », ajoutant que « l’ancien régime répondait parfaitement aux objectifs de la loi »[667]. Selon elle, « prendre en compte chaque vie perdue dans une peine à perpétuité n’est pas un objectif de détermination de la peine à proprement parler, mais bien seulement un des outils pour déterminer la culpabilité morale d’un délinquant »[668].
[1041] La Mise en cause répond ainsi à ces arguments :
« La Procureure générale du Québec rappelle que le juge chargé de la détermination de la peine devra tenir compte des critères énoncés au paragraphe 745.51(1) du Code criminel et des autres principes applicables en matière de détermination de la peine. Ainsi, s’il ordonne que les périodes d’inadmissibilité soient purgées consécutivement, c’est qu’il s’agira alors de la peine proportionnelle à l’endroit du contrevenant concerné. Au final, cette peine contribuera également à protéger la société, notamment en dissuadant les délinquants.
Qui plus est, le Requérant revendique plutôt un droit au régime applicable antérieurement à l’adoption de l’article 745.51 du Code criminel. À cet égard, comme il a déjà été mentionné précédemment, le recours à la Charte canadienne ne peut avoir pour but de simplement remettre en cause le bien-fondé, l’opportunité ou la sagesse des mesures adoptées par le législateur.
Deuxièmement, le Requérant erre lorsqu’il allègue que le nombre de victimes faites par le contrevenant meurtrier n’est pas un objectif du processus de la détermination de la peine, mais plutôt « [ … ] un des outils pour déterminer la culpabilité morale d’un délinquant ».
En l’espèce il importe de rappeler que l’article 745.51 du Code criminel n’a pas pour objet que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle soient purgées automatiquement dès lors qu’il y a des meurtres multiples. Relativement au nombre de victimes en cause dans de tels cas, le Secrétaire parlementaire du ministre de la Justice souligne que les mesures proposées « [ … ] permettraient de mieux refléter la tragédie que sont les meurtres multiples en permettant aux juges de reconnaître chaque vie perdue. [ … ] Le projet de Loi C-48 permettrait de veiller à ce que le juge, qui est chargé de déterminer la peine d’un auteur de meurtres multiples et qui est le mieux placé pour évaluer le niveau de réprobation morale, demeure la personne autorisée à décider d’imposer une peine plus sévère ou non ».
Ainsi, cet argument du Requérant ne permet pas davantage de démontrer que l’article 745.51 du Code criminel est de portée excessive. »[669]
[1042] Avec égard, il ne s’agit pas en l’espèce de remettre en question « le bien-fondé, l’opportunité ou la sagesse des mesures adoptées par le législateur ». Le soussigné a déjà référé au caractère inéquitable de l’ancien régime, qui permettait à un meurtrier de faire autant de victimes qu’il le souhaitait sans que sa période d’inéligibilité n’en soit pour autant affectée. Soutenir que « l’ancien régime répondait parfaitement aux objectifs de la loi » relève d’une certaine forme d’aveuglement volontaire.
[1043] Par ailleurs, il est exact d’affirmer que la considération de chaque vie perdue ne constitue pas, en soi, un objectif de détermination de la peine. Il s’agit cependant d’une donnée primordiale dans l’évaluation du degré de culpabilité morale d’un accusé. L’auteur d’un seul meurtre au premier degré ne peut être, sur l’échelle de la déchéance, placé sur le même échelon que le tueur en série.
[1044] En l’espèce, la véritable question est la suivante : le législateur fédéral a-t-il, par l’adoption de l’article 745.51 C.cr., opté pour un moyen dont la portée est plus grande que nécessaire pour atteindre ses objectifs de proportionnalité, de dénonciation et de protection du public dans les cas de meurtres multiples? À cette question, le Tribunal répond que oui.
[1045] Certes, l’article 745(a) C.cr. prévoit que le bénéfice de la libération conditionnelle est subordonné, en cas de condamnation à l’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré, à l’accomplissement d’au moins 25 ans de la peine. Certes, il s’agit d’une peine mandatoire. Cependant, le nouveau régime créé par l’article 745.51 C.cr. autorise désormais l’imposition de périodes consécutives d’inadmissibilité totalisant un nombre d’années supérieur à l’espérance de vie d’un condamné. Selon l’âge du détenu, ces peines prendront la forme de 50 ou 75 ans d’inéligibilité, sans compter la possibilité pour un tribunal d’infliger des termes de 150, 250, voire 500 ans d’inadmissibilité à toute libération conditionnelle.
[1046] En quoi l’attribution d’une période de 50 ans d’inadmissibilité permettra-t-elle davantage d’atteindre les objectifs précités pour un délinquant qui était âgé de 40 ans au moment de la commission des meurtres, et ce, considérant que l’espérance de vie moyenne de la population canadienne est de 79 ans pour les hommes et de 83 ans pour les femmes[670]? Est-il vraiment nécessaire, par souci de proportionnalité ou de dénonciation, d’infliger une peine de 75 ans d’inadmissibilité à un condamné qui, indépendamment de son âge, reçoit ainsi la certitude, hormis les très rares cas d’exercice de la prérogative royale déjà abordés, de ne quitter le pénitencier qu’en direction de la morgue? Croit-on sincèrement qu’une période de 100 ou 150 ans d’inadmissibilité assurera davantage la protection du public, lequel inclut les agents du Service correctionnel, que la perspective de voir l’auteur de meurtres multiples regagner, peut-être, sa liberté sous conditions après avoir, de l’avis des commissaires à la libération conditionnelle, atteint l’ensemble des buts pénologiques qui lui avaient été fixés? Il convient ici de rappeler qu’environ 99.7 % des détenus purgeant une peine d’emprisonnement pour meurtre ne commettront aucun autre homicide suite à l’octroi de leur libération conditionnelle[671].
[1047] En réalité, une période d’emprisonnement ne servant plus aucune fin pénologique est en soi excessive. Dans l’arrêt M.(C.A.), l’honorable juge en chef Lamer précise :
« [ … ] dans la détermination d’une peine juste et appropriée d’emprisonnement d’une durée déterminée, le juge chargé de cette tâche devrait tenir compte de l’âge du contrevenant dans l’application des principes pertinents. Passé un certain point, les objectifs utilitaristes et normatifs de la détermination de la peine commencent éventuellement à perdre leur pertinence dès que la peine envisagée dépasse toute estimation raisonnable du temps qu’il reste normalement à vivre au délinquant. Par conséquent, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire spécialisé que lui confère le Code, le juge appelé à infliger la peine devrait généralement se garder d’imposer des peines d’une durée déterminée qui dépasse tellement le nombre d’années qu’il reste de façon prévisible au contrevenant à vivre que les objectifs traditionnels de la détermination de la peine, même les objectifs de dissuasion générale et de réprobation, en perdent pratiquement toute leur valeur fonctionnelle. [ … ] »[672]
[Nos soulignements]
[1048] La période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle est d’une « durée déterminée ». Ces principes s’appliquent donc à l’article 745.51 C.cr.
[1049] Force est de constater que le législateur a adopté, par le biais de la disposition entreprise, un moyen dont la portée est nettement plus grande que nécessaire pour atteindre ses objectifs de proportionnalité, de dénonciation et de protection du public. En autorisant, par le biais de périodes d’inadmissibilité cumulatives de 50 ans ou plus, l’incarcération d’octogénaires et de nonagénaires en dépit, pour certains, des efforts sincères de réhabilitation manifestés et l’atteinte de leurs objectifs pénologiques, le Parlement est allé « trop loin en niant les droits de certaines personnes d’une façon [n’ayant] aucun rapport avec l’objet » de la disposition contestée[673].
[1050] La prétention de la Mise en cause à l’effet qu’un juge, étant dans l’obligation de considérer à la fois les critères spécifiés au paragraphe 745.51(1) C.cr. et les autres principes gouvernant la détermination de la peine, ne prononcera des périodes d’inadmissibilité consécutives que s’il est proportionnel d’agir ainsi, doit être écartée. Elle implique, en effet, que tout accusé reconnu coupable de deux ou plusieurs meurtres au premier degré ne recevrait de peine proportionnelle que dans la mesure où les périodes d’inadmissibilité ne totaliseraient, compte tenu des circonstances des infractions et de la situation particulière du délinquant, que 25, 50 ou 75 ans.
[1051] Or, il est tout simplement irréaliste de croire que des peines de 25, 50 ou 75 ans d’inadmissibilité seront toujours proportionnelles. L’article 745.51 ne laisse place, dans les cas de meurtres au premier degré, à aucune alternative qui permettrait au tribunal, en usant d’un véritable pouvoir discrétionnaire, d’adapter la peine à la situation particulière du contrevenant par le biais de sentences intermédiaires.
[1052] Considérant ce qui précède, le soussigné conclut que l’article 745.51 C.cr. contrevient au principe de justice fondamentale interdisant la portée excessive.
iii) L’effet totalement disproportionné
[1053] Il y a disproportion totale lorsque les actes de l’État ou les réponses du législateur à un problème sont à ce point extrêmes qu’ils sont disproportionnés à tout intérêt légitime du gouvernement[674].
[1054] La norme qu’impose l’article 7 de la Charte correspond à celle déjà examinée pour son article 12 : la disproportion doit être « exagérée »[675].
[1055] Pour les motifs déjà exprimés dans le cadre de l’analyse portant sur l’article 12, on doit conclure que l’article 745.51 C.cr. viole également le droit à la liberté et à la sécurité de l’accusé par son effet préjudiciable totalement disproportionné à son objet.
d) La protection de l’espoir
[1056] Alexandre Bissonnette plaide que l’espoir a toujours été reconnu comme une dimension importante de la peine et qu’il transcende les principes de détermination de cette dernière[676]. Il invite le Tribunal à confirmer « le principe voulant qu’un détenu doit toujours avoir l’espoir que sa détention prendra fin s’il accompli[sic] l’ensemble des objectifs pénologiques de sa peine de détention »[677]. Il développe ainsi sa pensée :
« La société canadienne accepte l’incarcération comme châtiment, dans l’optique où il existe des objectifs pénologiques à cette incarcération. Autrement, elle devient insensée, tout comme les châtiments corporels ou la peine capitale.
Une peine d’incarcération sans espoir de mise en liberté sous conditions est une expression de la loi du Talion et recherche un but vengeur. Elle équivaudrait à une peine de mort par incarcération.
L’article 745.51 contrevient donc à l’article 7 de la Charte. »[678]
[1057] En somme, la protection de l’espoir constituerait, selon l’accusé, un principe de justice fondamentale.
[1058] La Défense appuie essentiellement son argumentaire sur l’opinion exprimée par le professeur Derek Spencer, publiée récemment dans le Criminal Law Quarterly[679]. L’auteur pose le problème de la façon suivante :
“ Should Canadian judges impose lifelong sentences, condemning offenders to a life of incarceration, confining not only their physical body in the concrete and steel of a federal penitentiary but also binding their mind with the knowledge that they are left without promise of one day rejoining society, without a chance of redemption, without hope? Or should sentences reflect the fundamental worth of the human person, recognizing that even perpetrators of the most abhorrent crimes deserve hope of one day being released from incarceration and regaining some meaningful autonomy in their lives? The judges interpreting the Multiple Murders Act have reached different conclusions to this question. ”[680]
[1059] Spencer définit la protection de l’espoir comme un principe fondamental de common law en matière de détermination de la peine, au même titre, par exemple, que le principe de la gradation des sentences[681]. Jamais ne suggère-t-il que la protection de l’espoir corresponde à un principe de justice fondamentale.
[1060] Selon l’auteur, les juges contribuent à une certaine parité jurisprudentielle et favorisent la réhabilitation des accusés en laissant à chacun l’espoir qu’il puisse un jour accéder à une libération conditionnelle[682]. L’espoir et la réhabilitation entretiennent une relation symbiotique; la réinsertion sociale n’est possible que si la peine offre au condamné une perspective de remise en liberté éventuelle, laquelle sera source de motivation pour une véritable réhabilitation. L’espoir n’est donc pas seulement un principe sentenciel fondamental, mais une composante essentielle de l’expérience humaine :
“ A natural life sentence that denies hope of release is the type of “ crushing blow ” the totality principle prohibits. Attention must be paid to the lived experience of incarceration. Offenders without hope of prospective release know they will never regain freedom and their sentence will only end when they grow old or ill and die. While parole eligible offenders may end up incarcerated until their death, by having the opportunity for parole, they have hope. Their sentence is a much different lived experience than an offender without hope. ”[683]
[1061] En somme, l’espoir représente, pour le professeur Spencer, un principe fondamental de détermination de la peine donnant à chaque individu condamné l’assurance d’être traité avec justice et humanité par le pouvoir judiciaire[684].
[1062] On ne peut nier que l’espoir tient lieu de considération primordiale dans la détermination d’une peine. Dès 1956, l’importance de ce concept était reconnue en ces termes dans le Rapport Fauteux :
“ At no time should any prisoner have reason to feel that he is a forgotten man… Prisoners should have some hope that imprisonment will end and thereby have some incentive for reformation and rehabilitation. ”[685]
[1063] Malgré ce postulat, le Tribunal estime que l’accusé n’a pas établi, par prépondérance de preuve, que la « protection de l’espoir » remplit les trois conditions essentielles identifiées par la jurisprudence pour être reconnue à titre de principe de justice fondamentale[686].
[1064] En premier lieu, la « protection de l’espoir » n’est pas un principe juridique accepté en droit canadien. Bien que l’espoir d’une libération conditionnelle puisse être un élément pris en considération, il ne constitue pas un principe juridique comparable à ceux énoncés aux articles 718 à 718.2 du Code criminel. Certes, la « protection de l’espoir » peut correspondre à ce que la société estime juste ou moral, mais elle n’est pas pour autant un principe juridique normatif.
[1065] Pour ce seul motif, la « protection de l’espoir » ne peut être qualifiée de principe de justice fondamentale.
[1066] Mais il y a plus.
[1067] Même si ce concept constituait un principe juridique accepté en droit canadien, on ne pourrait conclure en l’existence d’un consensus substantiel quant à sa nécessité pour le bon fonctionnement du système judiciaire.
[1068] La « protection de l’espoir » est considérée, au mieux, comme un principe fondamental de common law relatif à la détermination de la peine. Or, il ressort des enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Nasogaluak[687] que la fixation d’une sentence est un processus individualisé où chacun des principes et facteurs aura un poids différent selon le contexte factuel particulier de l’affaire sous étude. Bref, « aucun objectif de détermination de la peine ne prime les autres »[688].
[1069] La « protection de l’espoir » serait donc subordonnée à d’autres principes juridiques, ce qui fait obstacle à sa qualification comme principe de justice fondamentale. Dans l’arrêt Lloyd[689], la Cour suprême décida en effet que le principe de proportionnalité de la peine ne représentait pas un principe de justice fondamentale, étant lui-même assujetti à d’autres normes[690]. Dans Safarzadeh-Markhali, l’honorable juge en chef McLachlin confirma le même jour, pour une Cour unanime, que « les principes et les objectifs de la détermination d’une peine juste, énoncés aux articles 718 et suivants du Code criminel, y compris le principe fondamental de proportionnalité inscrit à l’article 718.1, ne bénéficient pas de la protection constitutionnelle »[691].
[1070] Pour ces motifs, le Tribunal estime que la « protection de l’espoir » ne peut être qualifiée de principe de justice fondamentale.
e) La protection de la dignité humaine
[1071] La dignité renvoie à l’idée kantienne que la personne humaine doit être envisagée comme une fin en soi et non comme un instrument pour atteindre un but qui lui est extrinsèque. Le professeur Christian Brunelle[692] expose :
« La seule appartenance d’une personne au genre humain suffit alors pour lui conférer une dignité, sans égard aux agissements qu’elle pose ou aux actes qu’elle subit, indépendamment de tout ce qui extérieurement et intérieurement peut l’avilir, l’humilier, ou la détruire. En ce sens, toute personne humaine est également digne. »[693]
[1072] Il fait également observer que cette conception de l’homme comporte un caractère universaliste en ce qu’elle existe non seulement dans les philosophies judéo-chrétienne ou islamique, mais, « pour tout dire, dans toutes les civilisations, quoique à des degrés variables selon les époques et la culture des peuples »[694].
[1073] On peut légitimement se demander si, contrairement à l’espoir, la protection de la dignité humaine correspond à un principe de justice fondamentale. La question est d’autant plus importante que l’article 745.51 C.cr. permet au juge de priver un détenu de toute expectative de libération conditionnelle, l’exilant ainsi en milieu carcéral, hors de toute société civilisée, et le privant par le fait même d’une part substantielle de sa dignité et de son humanité.
i) Outils internationaux
[1074] Dans l’affaire du Renvoi : Motor Vehicle Act de la Colombie-Britannique[695], l’honorable Antonio Lamer, alors juge puiné, définissait ainsi pour la majorité le concept de « principes de justice fondamentale » :
« [Les principes de justice fondamentale représentent] des principes reconnus, en vertu de la common law, des conventions internationales et de l’enchâssement même dans la Charte, comme des éléments essentiels d’un système d’administration de la justice fondé sur la foi en la dignité et la valeur de la personne humaine et en la primauté du droit. »[696]
[Notre soulignement]
[1075] Le Préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 débute ainsi :
« Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde [ … ] »
[Notre soulignement]
[1076] L’article 1er de la Déclaration prévoit, quant à lui, que :
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
[Notre soulignement]
[1077] La Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, adoptée lors de la Conférence Internationale Américaine de Bogota tenue également en 1948 édicte, comme premier « CONSIDÉRANT » :
« CONSIDÉRANT :
Que les peuples américains ont élevé à l’état de dignité la personne humaine et qu’il est reconnu dans leurs constitutions nationales que les institutions juridiques et politiques qui régissent la vie en société, ont comme but principal la protection des droits essentiels de l’homme et la création de conditions permettant son progrès spirituel et matériel et la réalisation de son bonheur, »
[Notre soulignement]
[1078] Le Préambule du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté en 1966 énonce, pour sa part, que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde » et que ces droits « découlent de la dignité inhérente à la personne humaine ». De façon plus particulière, l’article 10 du Pacte stipule que :
« 1. Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.
2. a) Les prévenus sont, sauf dans des circonstances exceptionnelles, séparés des condamnés et sont soumis à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées;
b) les jeunes prévenus sont séparés des adultes et il est décidé de leur cas aussi rapidement que possible.
3. Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. Les jeunes délinquants sont séparés des adultes et soumis à un régime approprié à leur âge et à leur statut légal. »
[Nos soulignements]
[1079] La Convention américaine relative aux droits de l’homme de 1969 prévoit également, à son article 11(1), que « toute personne a droit au respect de son honneur et à la reconnaissance de sa dignité ».
[1080] Finalement, il est pertinent de noter que la jurisprudence de la Cour européenne établit clairement que la dignité et la liberté de l’homme représentent l’essence même de la Convention européenne des droits de l’homme[697].
ii) La dignité humaine en droit canadien
[1081] La Déclaration canadienne des droits précise, au premier paragraphe de son Préambule, que « la dignité et la valeur de la personne humaine » constituent l’un des fondements sur lesquels reposent la notion.
[1082] Dès 1986, l’honorable juge en chef Dickson référait à la nécessité, pour les tribunaux, d’être guidés par des valeurs et principes essentiels à toute société libre et démocratique, dont le respect de « la dignité inhérente de l’être humain »[698]. L’importance fondamentale de la dignité humaine dans la société canadienne fut réitérée dans plusieurs arrêts dont notamment Kindler c. Canada (Ministre de la justice)[699]. De même, la Cour suprême qualifia cette notion de « valeur essentielle » dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission)[700].
[1083] Alors qu’il était ministre au sein du gouvernement de la Colombie-Britannique, Robin Blencoe fit l’objet d’une plainte pour harcèlement sexuel de la part de l’une de ses adjointes. Un mois plus tard, on l’excluait du Cabinet. Trois mois s’écoulèrent et deux autres femmes déposèrent à leur tour, devant la British Columbia Human Rights Commission, des plaintes de discrimination sous forme de harcèlement sexuel contre le ministre déchu.
[1084] Suite à l’enquête de la Commission, des audiences devant le British Columbia Human Rights Tribunal furent fixées plus de 30 mois après le dépôt des plaintes initiales.
[1085] Comme on peut l’imaginer, Blencoe fit l’objet d’une couverture médiatique importante. En proie à une grave dépression, il ne sollicita pas de nouveau mandat aux élections de 1996. Se déclarant inapte au travail, il logea, en novembre 1997, une demande de contrôle judiciaire en vue d’obtenir l’arrêt des procédures relatives aux plaintes, arguant que la Commission avait perdu compétence en raison d’un délai déraisonnable dans le traitement des plaintes, lequel aurait engendré un préjudice grave pour lui et les membres de sa famille.
[1086] Rejetée dans un premier temps par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, sa demande fut accueillie par la Cour d’appel, qui ordonna l’arrêt des procédures. Les juges majoritaires décidèrent que Robin Blencoe avait été privé, d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale, du droit à la sécurité de sa personne garanti par l’article 7 de la Charte. Le juge en chef McEachern détermina que le délai injustifié et l’atteinte constante à la vie privée et à la dignité de la personne ne pouvaient être conformes aux principes de justice fondamentale. Se déclarant favorable à une interprétation plus libérale de l’article 7, il statua :
« [TRADUCTION] [ … ] je me sens contraint à suivre ce qui me semble être la nouvelle interprétation préconisée par la Cour suprême du Canada, selon laquelle, au chapitre de la liberté et de la sécurité de la personne, l’art. 7 a pour effet de protéger à la fois la vie privée et la dignité des citoyens contre la stigmatisation découlant d’un opprobre prolongé et injustifié comme celui dont [ M.Blencoe ] a été victime. »[701]
[1087] Les cinq juges majoritaires de la Cour suprême accueillirent le pourvoi de la Human Rights Commission, annulèrent l’arrêt des procédures et ordonnèrent la tenue d’une audition accélérée des plaintes. S’exprimant pour la majorité, l’honorable juge Bastarache formula ainsi la question en litige :
« La question qui se pose est de savoir si les droits « à la liberté et à [l]a sécurité de la personne » garantis par l’art. 7 de la Charte comportent un caractère général à la dignité ou, plus précisément un droit à la protection contre la stigmatisation liée à une plainte fondée sur les droits de la personne? Selon moi, ils ne comportent pas un tel droit. »[702]
[Notre soulignement]
[1088] Citant au passage un extrait de l’arrêt Oakes[703], la majorité souligna d’abord que les droits garantis par la Charte « sont inextricablement liés à la notion de dignité humaine »[704]. Celle-ci supporte la quasi-totalité des droits et libertés énoncés dans cet instrument supralégislatif.
[1089] En fait, la dignité humaine est véritablement au cœur de la Charte. On ne peut donc contester que « le respect de la dignité humaine est un principe fondamental de notre société »[705]. Ceci dit, les juges majoritaires exprimèrent l’avis que la dignité ne représente pas un droit indépendant garanti par l’article 7. Elle s’exprime plutôt dans des droits comme celui à l’égalité, à la vie privée ou à la protection contre la contrainte de l’État :
« À mon sens, il vaut mieux considérer la notion de « dignité » que l’on trouve dans la jurisprudence de notre Cour comme une valeur sous-jacente que comme un droit autonome garanti par la Charte. Dans l’arrêt Beare, précité, à la p. 401, le juge La Forest prévient que l’art. 7 ne doit pas être interprété de façon trop large :
Comme d’autres dispositions de la Charte, l’art. 7 doit être interprété en fonction des intérêts qu’il est censé protéger. Il doit recevoir une interprétation généreuse, mais il est important de ne pas outrepasser le but réel du droit en question…
Bien qu’elle ait pu être faite de manière incidente étant donné que l’affaire était tranchée en fonction des principes de justice fondamentale, cette mise en garde concernant l’interprétation du droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne » est néanmoins pertinente. Dans cette affaire, le juge La Forest n’a pas choisi, comme l’avait fait le juge en chef Bayda de la Cour d’appel, de fonder sa conclusion à une violation de l’art. 7 sur un principe quelconque de « dignité ou de respect de soi ». Il a plutôt conclu à l’existence d’une atteinte à la liberté et à la sécurité de la personne pour les motifs exprimés par le juge Cameron de la Cour d’appel, compte tenu de l’exigence légale qu’une personne se rende aux autorités, se soumette à la détention et subisse des atteintes physiques sous peine d’emprisonnement et de poursuite. »[706]
[1090] Le juge Bastarache conclut ainsi sa réflexion sur la liberté et la sécurité de la personne :
« En résumé, le stress et l’angoisse que l’intimé a éprouvés et la stigmatisation dont il a été victime n’ont pas porté atteinte à son droit à la liberté ou à la sécurité de sa personne. Les rédacteurs de la Charte ont choisi d’utiliser les termes « vie, [ … ] liberté et [ … ] sécurité de la personne », de sorte que l’art. 7 ne garantit que ces trois droits. Même si des notions de dignité et de réputation sous-tendent maints droits garantis par la Charte, ce ne sont pas des droits distincts qui déclenchent en soi l’application de l’art. 7. La protection contre le genre d’angoisse et de stress que l’intimé a éprouvés et contre le genre de stigmatisation dont il a été victime en l’espèce ne devrait pas être élevée au rang de droit constitutionnel garanti par l’art. 7. »[707]
[1091] Minoritaires, les juges LeBel, Iacobucci, Binnie et Arbour considérèrent que le pourvoi devait être tranché en fonction de principes de droit administratif. Ils n’exprimèrent donc aucune opinion précise sur l’application de l’article 7 de la Charte et de la dignité humaine aux faits de l’espèce[708].
[1092] L’arrêt Blencoe ne fait aucunement obstacle à la reconnaissance de la « protection de la dignité humaine » à titre de principe de justice fondamentale pour les raisons suivantes.
[1093] Premièrement, la question en litige était très circonscrite et visait à déterminer si les droits à la « liberté » et à la « sécurité » de la personne énoncés à l’article 7 incluaient « un droit à la protection contre la stigmatisation liée à une plainte fondée sur les droits de la personne »[709]. C’est dans ce contexte que les juges majoritaires établirent que la dignité humaine ne correspondait pas à un droit « distinct qui déclench[e] en soi l’application de l’article 7 »[710]. Or, leurs quatre collègues de la minorité déclinèrent de se prononcer sur cette question.
[1094] Deuxièmement, la question n’est pas celle de savoir si la dignité humaine représente ou non un droit « distinct » comme le droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne, mais bien d’évaluer si la « protection de la dignité humaine » constitue un principe de justice fondamentale, au même titre que la protection contre l’arbitraire. L’arrêt Blencoe ne traite aucunement de cette question. Incidemment, le soussigné n’a trouvé aucune autorité jurisprudentielle se prononçant sur le sujet.
[1095] Troisièmement, même si l’on devait éventuellement diverger d’opinion avec le soussigné quant à l’interprétation à donner aux propos de l’honorable Bastarache, le Tribunal soumet que cette décision partagée de la Cour suprême, datée du 5 octobre 2000, ne saurait être considérée, en 2019, comme un précédent empêchant la reconnaissance de la protection de la dignité humaine à titre de principe de justice fondamentale. Tel que mentionné précédemment, la Charte canadienne doit être interprétée de manière « large et libérale ». Elle doit également être considérée comme un tout. Or, les juges majoritaires dans l’arrêt Blencoe reconnaissent volontiers que le respect de la dignité humaine « est une valeur qui sous-tend la Charte »[711].
[1096] Il est par ailleurs admis que la Charte, tout comme la Constitution dans son ensemble, doit faire l’objet d’une interprétation dynamique et évolutive. Dans son Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe[712], la Cour suprême précise :
« Le raisonnement fondé sur l’existence de « concepts figés » va à l’encontre de l’un des principes les plus fondamentaux d’interprétation de la Constitution canadienne : notre Constitution est un arbre vivant qui, grâce à une interprétation progressiste, s’adapte et répond aux réalités de la vie moderne. »[713]
[1097] S’il est vrai, comme le dit le juge Bastarache, que la dignité humaine sous-tend la Charte ou, pour reprendre les mots du juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt O’Connor[714], réside en son « cœur », comment ne pas lui reconnaître le statut de principe de justice fondamentale? Il faut rappeler ici les propos de la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Bedford selon lesquels « les principes de justice fondamentale s’entendent des valeurs fondamentales qui sous-tendent notre ordre constitutionnel »[715].
[1098] Compte tenu de « l’importance fondamentale » que lui attribue la Cour suprême et de ses mentions expresses dans la Déclaration canadienne des droits, de même que dans les conventions internationales susmentionnées, la « dignité humaine » fait véritablement office de principe juridique en droit canadien.
[1099] En outre, comme en témoignent les commentaires de l’honorable juge Cory dans l’arrêt Kindler[716], ce principe fait l’objet d’un « consensus suffisant » quant à son caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société[717]. Ce constat n’a rien de surprenant. Il serait incongru de nier à la protection de la dignité humaine le statut de principe de justice fondamentale alors que notre Cour suprême a reconnu cette condition au principe de l’impossibilité pour l’État, d’imposer aux avocats des obligations minant leur devoir de se dévouer à la cause de leurs clients[718], et, plus récemment, à celui voulant que les poursuivants n’agissent pas à des fins illégitimes, comme des motifs purement partisans[719].
[1100] Dans un avenir prévisible, les tribunaux seront confrontés à des questions particulièrement sensibles, telles l’euthanasie, l’assistance médicale à mourir, les manipulations génétiques et autres questions de bioéthique. La science progresse à une vitesse fulgurante et n’a de cesse de poser de nouveaux défis aux philosophes, législateurs et juristes. Toute analyse commandant une réflexion sur l’essence de la personne humaine et sur ses droits à la vie, à la liberté et à la sécurité nécessite inévitablement la prise en compte de sa dignité, sous peine de la déshumaniser.
[1101] La troisième condition à remplir pour qu’un précepte soit reconnu comme principe de justice fondamentale est qu’il soit suffisamment précis pour constituer une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. Tout comme dans l’affaire D.B., ce critère n’est pas difficile à satisfaire en l’espèce[720]. La dignité humaine est un principe bien connu en droit; elle caractérise l’être humain « dans ce qui fait son universalité »[721]. Ce concept est suffisamment précis pour être qualifié de « norme fonctionnelle ».
[1102] Le soussigné considère donc que « la protection de la dignité humaine » est un principe de justice fondamentale.
iii) L’absence de conformité avec le principe de protection de la dignité humaine
[1103] En déterminant que l’article 745.51 C.cr. contrevient à l’article 12 de la Charte, le soussigné a statué que cette disposition engendre des peines totalement ou exagérément disproportionnées, c’est-à-dire excessives au point de ne pas être compatibles avec la dignité humaine. Elles sont, de ce fait, odieuses ou intolérables pour la société.
[1104] Pour les mêmes motifs, le Tribunal conclut que l’article 745.51 du Code criminel enfreint les droits à la liberté et à la sécurité de l’accusé, et ce, d’une manière non conforme au principe de justice fondamentale de la « protection de la dignité humaine ».
f) Conclusion
[1105] Considérant ce qui précède, le soussigné juge que la disposition entreprise viole les droits à la liberté et à la sécurité d’Alexandre Bissonnette protégés par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, en contravention aux trois principes de justice fondamentale suivants : le principe de la portée excessive, celui de l’effet préjudiciable totalement disproportionné et le principe de la protection de la dignité humaine.
D) L’article 1
[1106] L’article 745.51 C.cr. contrevient donc à la fois aux articles 7 et 12 de la Charte. Il incombe maintenant à la Mise en cause de prouver, par prépondérance de preuve, que ces restrictions apportées aux droits constitutionnels de l’accusé sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
a) Général
[1107] L’article premier n’établit pas une présomption de constitutionnalité des limites imposées aux droits. Il exige plutôt que l’État justifie ces limites. Il appartient au gouvernement de démontrer, par la balance des probabilités, que l’atteinte est raisonnable et peut être autorisée dans une société libre et démocratique[722].
[1108] Pour établir qu’une restriction est raisonnable et justifiée, on doit satisfaire à deux critères fondamentaux. D’abord, l’objectif que sert la mesure contestée doit être suffisamment important pour justifier l’atteinte à un droit constitutionnel. En deuxième lieu, la disposition adoptée pour réaliser l’objectif du législateur doit être proportionnée.
[1109] Dans l’arrêt Brenton[723], l’honorable juge Vertes rappelle que la Cour suprême a souvent insisté sur le fait que les tribunaux doivent manifester un certain degré de déférence à l’égard des choix législatifs du Parlement. Il fait remarquer, à juste titre, que ce degré de considération variera selon les circonstances :
"[ … ] The degree of deference, however, is not always the same. The courts are less deferential to Parliament when a criminal law is being challenged than when social policy legislation is at issue. Criminal cases involve a battle between the state and the individual and usually there is no political balancing required between competing societal interests nor do they involve subtle policy options. This was explained by McLachlin J. in RJR-MacDonald Inc. v. Canada, [1995] 3 S.C.R. 199 (at 331-332)."[724]
[Notre soulignement]
[1110] Dans Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), le juge en chef McLachlin confirme que bien que la retenue puisse être appropriée à l’égard d’une décision impliquant des principes opposés en matière politique et sociale, elle ne l’est pas à l’égard d’une décision ayant pour effet de limiter des droits fondamentaux[725].
[1111] Le juge Vertes note par ailleurs l’existence d’un fort courant jurisprudentiel voulant qu’une disposition enfreignant un droit garanti à l’article 7 de la Charte a généralement peu de chance d’être justifiée en vertu de l’article 1. Après avoir cité, entre autres, les arrêts Renvoi sur la Motor Vehicle Act (Colombie-Britannique) s. 94(2)[726], Swain[727], Heywood[728] et Nouveau-Brunswick (ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G.(J.)[729], il déclare :
"I am not prepared to say categorically that a s. 7 violation could never be justified under s. 1. That would be to ignore the plain wording of s. 1. What I draw from these authorities is that the values that permeate the principles of fundamental justice - the idea of individual autonomy, the assumption that individuals are sentient actors capable of controlling their actions, and the requirement for voluntary conduct and at least some degree of moral fault for criminal liability - are the very values that must underlie any proposed limit on those principles. The test for justification is therefore a high one."[730]
[Nos soulignements]
[1112] Ces commentaires doivent être appréciés à la lumière des propos tenus 3 ans plus tard par la majorité de la Cour suprême dans l’arrêt Sauvé :
« Bien que la retenue à l'égard du législateur ne soit pas appropriée en l'espèce, la justification d'une loi ne requiert pas une preuve empirique au sens scientifique du terme. Alors que certaines propositions peuvent être démontrées de façon empirique ou avec une précision mathématique, d'autres, qui impliquent des considérations philosophiques, politiques et sociales, ne peuvent l'être. Dans ce cas, il suffit que la justification soit convaincante, c'est-à-dire qu'il suffit de convaincre la personne raisonnable prenant en compte tous les éléments de preuve et toutes les considérations pertinentes que l'État est justifié de porter une telle atteinte au droit en question : voir RJR-MacDonald, précité, par. 154, le juge McLachlin; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, p. 502-503, le juge Sopinka. Ce qui est requis, c'est une "défense rationnelle et raisonnée" : [page539] RJR-MacDonald, par. 127. La preuve peut être complétée par le bon sens et le raisonnement par déduction : R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 78, le juge en chef McLachlin. Cependant, il faut se méfier des stéréotypes qui revêtent les apparences du bon sens et se garder de substituer la retenue à la démonstration raisonnée requise par l'article premier. »[731]
[Notre soulignement]
[1113] Dans cette affaire, comme en l’espèce, des droits fondamentaux étaient en cause.
[1114] Le Tribunal s’estime justifié de faire montre de peu de retenue à l’égard du législateur. Cela ne signifie pas, cependant, que le critère de la justification soit particulièrement exigeant ou que la justification doive être extrêmement convaincante. En bout de piste, l’État doit démontrer une défense rationnelle et raisonnée pour justifier la disposition attentatoire.
b) Préoccupations urgentes et réelles
[1115] L’objectif que vise à promouvoir la mesure attentatoire doit être « suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution »[732].
[1116] La norme doit être sévère, de manière à éviter que les fins peu importantes ou contraires aux principes constituant l’essence même d’une société libre et démocratique bénéficient de la protection de l’article premier.
[1117] Il importe, à tout le moins, que l’objectif se rapporte à des « préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique » pour qu’on puisse le qualifier de « suffisamment important »[733].
[1118] En d’autres termes, l’atteinte aux droits doit se fonder sur un motif valide d’un point de vue constitutionnel. L’objectif doit clairement identifier le préjudice que le gouvernement entend réparer et demeurer le même tout au long du processus de justification. Il doit être défini avec exactitude, de manière à établir un cadre permettant d’en apprécier l’importance et d’évaluer la précision avec laquelle les moyens nécessaires à sa réalisation ont été élaborés[734].
[1119] La Mise en cause plaide que le but recherché par le législateur en adoptant l’article 745.51 C.cr. était « urgent et réel », en ce qu’il devait permettre au juge d’instance de refléter davantage dans sa sentence le nombre de victimes de meurtres commis par un délinquant.
[1120] Certes, l’objectif était réel et visait à combler une iniquité évidente. Était-il pour autant « urgent » à l’époque de l’adoption du Projet de loi? Depuis 1975, le taux d’homicides affiche une nette tendance à la baisse. En 2016, il était de 44 % inférieur à celui enregistré 40 ans plus tôt[735].
[1121] En 2006, le taux d’homicides était de 2,6 pour 100 000 habitants. Deux ans plus tard, il se chiffrait à 2,25. En 2011, année de la promulgation de la disposition entreprise, il ne totalisait plus que 1,9 pour 100 000 habitants[736].
[1122] En fait, la preuve entendue démontre que les cas de meurtres multiples sont très rares au Canada. Quatre-vingt-quinze pour cent des homicides n’impliquent qu’une seule victime et les auteurs de meurtres multiples représentent le plus faible pourcentage de meurtriers dans nos prisons fédérales. Le résumé législatif du projet de loi C-48 comprend un tableau préparé par Statistique Canada, lequel illustre ce qui précède[737]. De 1999 à 2008, la moyenne canadienne annuelle de meurtres impliquant au moins deux victimes fut de 24 et demeura relativement stable. De 2005 à 2008, le nombre de meurtres multiples impliquant au moins trois victimes varia de 4 à 6 par année.
[1123] Évidemment, certains cas plus choquants marquent l’esprit et suscitent colère et indignation chez la population canadienne.
[1124] Quoi qu’il en soit, la Défense ne conteste pas vigoureusement le caractère « réel et urgent » de l’objectif poursuivi par le législateur.
c) La proportionnalité
[1125] Cet objectif ayant été reconnu comme suffisamment important, la Mise en cause doit maintenant prouver que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer.
[1126] Pour ce faire, elle devra satisfaire au critère de proportionnalité, lequel comporte trois éléments importants : un lien rationnel, une atteinte minimale et une proportionnalité entre les effets de la mesure restreignant les droits garantis par la Charte et l’objet identifié comme « suffisamment important »[738].
[1127] Avant d’entreprendre l’analyse du deuxième critère de l’arrêt Oakes, il importe de rappeler que les exigences formulées dans celui-ci doivent être appliquées avec souplesse, en tenant compte du contexte factuel et social particulier de l’affaire concernée. On ne peut donc prétendre que le fardeau de preuve civile devrait être mis en oeuvre « rigoureusement » ou que la preuve présentée par le gouvernement devrait être « forte et persuasive ». Dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc., l’honorable juge La Forest (dissident pour d’autres motifs) décrit ainsi la véritable nature du test :
« [ … ] Notre Cour a confirmé à maintes reprises que les exigences formulées dans l'arrêt Oakes doivent être appliquées avec souplesse en tenant compte du contexte factuel et social particulier de chaque cas. Le terme "raisonnables" employé à l'article premier est nécessairement une indication qu'il y a lieu de faire preuve de souplesse. Dans un passage important, mais souvent oublié, de l'arrêt Oakes, le juge en chef Dickson fait une mise en garde contre un examen trop formaliste de la justification en vertu de l'article premier, affirmant à la p. 139, que "[m]ême si la nature du critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances, les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes". Peu après, il a répété cette mise en garde dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, aux pp. 768 et 769, où il dit relativement à l'arrêt Oakes:
La Cour a affirmé que la nature du critère de proportionnalité pourrait varier en fonction des circonstances. Tant dans son élaboration de la norme de preuve que dans sa description des critères qui comprennent l'exigence de proportionnalité, la Cour a pris soin d'éviter de fixer des normes strictes et rigides.
Plus tard, dans l'arrêt R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, à la p. 735, le juge en chef Dickson a eu l'occasion de clarifier davantage la nature de l'examen dont il est question dans l'arrêt Oakes, affirmant que l'"on s'induit dangereusement en erreur si l'on voit dans l'article premier une disposition rigide et empreinte de formalisme". »[739]
[Notre soulignement]
i) Lien rationnel
[1128] La première composante du critère de proportionnalité consiste en la démonstration d’un lien rationnel entre la mesure adoptée et l’objectif considéré comme « suffisamment important ».
[1129] À nouveau, il est utile de citer les propos de l’honorable juge La Forest quant à la véritable nature de cette première étape :
« [ … ] Comme je l'ai expliqué dans mes motifs sur la nature contextuelle de l'analyse fondée sur l'article premier, il n'est pas nécessaire en l'espèce que le gouvernement fasse la preuve d'un lien rationnel selon les règles de preuve en matière civile. Il lui suffit plutôt de démontrer qu'il avait des motifs raisonnables de croire à l'existence d'un tel lien; voir McKinney, précité, aux pp. 282 à 285; Irwin Toy, précité, à la p. 994, et Butler, précité, à la p. 502. »[740]
[Notre soulignement]
[1130] Sans surprise, la plupart des dispositions attentatoires satisfont ce critère, somme toute peu exigeant[741]. En fait, le gouvernement n’a qu’à établir, à cette étape, un lien causal fondé sur la raison ou la logique entre la violation et l’avantage recherché. Il doit démontrer « qu’il est raisonnable de supposer que la restriction peut contribuer à la réalisation de l’objectif, et non qu’elle y contribuera effectivement »[742].
[1131] Tel que déjà mentionné dans le cadre de l’analyse portant sur l’article 7, la disposition entreprise représente une démarche rationnelle destinée à mettre un terme à une injustice de longue date. La proportionnalité exige que le meurtrier de masse ou le meurtrier en série soient traités plus sévèrement que l’auteur d’un seul meurtre. Il existe donc un lien rationnel entre l’article 745.51 et l’objectif visé par le Parlement.
ii) Atteinte minimale
[1132] Le Tribunal doit, dans un deuxième temps, s’assurer que le moyen retenu soit de nature à porter « le moins possible » atteinte aux droits prévus aux articles 7 et 12 de la Charte. La Cour doit cependant éviter de remettre simplement en question les choix du législateur ou décréter qu’une meilleure alternative était disponible[743].
[1133] Dans RJR-MacDonald inc., le juge en chef McLachlin définit ainsi les critères applicables à l’atteinte minimale :
« À la deuxième étape de l'analyse de la proportionnalité, le gouvernement doit établir que les mesures en cause restreignent le droit à la liberté d'expression aussi peu que cela est raisonnablement possible aux fins de la réalisation de l'objectif législatif. La restriction doit être "minimale", c'est-à-dire que la loi doit être soigneusement adaptée de façon à ce que l'atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire. Le processus d'adaptation est rarement parfait et les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur. Si la loi se situe à l'intérieur d'une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu'elle a une portée trop générale simplement parce qu'ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l'objectif et à la violation [ … ] Par contre, si le gouvernement omet d'expliquer pourquoi il n'a pas choisi une mesure beaucoup moins attentatoire et tout aussi efficace, la loi peut être déclarée non valide. »[744]
[Nos soulignements]
[1134] Dans Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, le juge McLachlin apporte les précisions supplémentaires suivantes :
« Je m'empresse de préciser que, pour déterminer s'il existe des moyens moins radicaux d'atteindre l'objectif gouvernemental, le tribunal n'a pas à être convaincu que la solution de rechange permettrait d'atteindre l'objectif exactement dans la même mesure que la mesure contestée. En d'autres mots, le tribunal ne doit pas accepter une formulation de l'objectif gouvernemental d'une rigueur ou d'une précision irréalistes qui soustrairait en fait la mesure législative à tout examen à l'étape de l'atteinte minimale. L'obligation de choisir une mesure "tout aussi efficace" mentionnée dans le passage précité de RJR-MacDonald ne doit pas être poussée à l'extrême jusqu'à devenir irréalisable. Ce type de mesure inclut les solutions de rechange qui protègent suffisamment l'objectif du gouvernement, compte tenu de toutes les circonstances : Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350. Bien que le gouvernement ait droit à une certaine déférence à l'égard de la formulation de son objectif, cette déférence n'est ni aveugle ni absolue. Le critère de l'atteinte minimale consiste à se demander s'il existe un autre moyen moins attentatoire d'atteindre l'objectif de façon réelle et substantielle. [ … ] »[745]
[Nos soulignements]
[1135] En l’espèce, le gouvernement a non seulement omis d’expliquer pour quelle raison il n’optait pas pour une mesure moins attentatoire, mais a délibérément choisi d’ignorer les mises en garde de divers intervenants portant sur des situations potentielles de meurtres multiples au premier degré.
[1136] Le 15 novembre 2010, le député Joe Comartin envoie, devant la Chambre des communes, un premier coup de semonce au secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, monsieur Daniel Petit :
« M. Joe Comartin : [ … ]
Pour que les choses soient bien claires, lorsque le ministre de la Justice a comparu devant le comité, il a expliqué que, si ce projet de loi était adopté, lorsqu’un juge imposerait deux peines d’emprisonnement à perpétuité à un délinquant, celui-ci devrait purger au moins 50 ans de sa peine avant de pouvoir demander sa libération. C’est 25 ans plus 25 ans.
À l’heure actuelle la durée moyenne de la peine imposée pour meurtre au premier degré, multiple ou non, est de 25 ans. La durée minimale de détention pour les délinquants condamnés pour meurtre au premier degré est de 25 ans.
Voici ce que je veux demander au député. Si le juge utilise son pouvoir discrétionnaire, le gouvernement souhaite-t-il vraiment, sérieusement, sans aucune réserve, que les délinquants passent 50 années en détention? Est-ce que tout cela mène vraiment quelque part?
M. Daniel Petit : [ … ]
Lorsqu’un individu a commis deux meurtres au premier degré, actuellement, il ne reçoit qu’une peine de 25 ans pour les deux meurtres. S’il y en a trois, même avec préméditation, c’est la même chose, c’est 25 ans.
Lorsqu’on a commis un meurtre au second degré, il y a possibilité de sortir plus tôt. Le juge, voyant ce qui s’est passé, peut dire que la personne est admissible à une libération conditionnelle au bout de 10 ans ou 15 ans. Ce qu’il faut remarquer, c’est que le juge aura à décider. C’est lui le maître des faits et du droit.
Il peut y avoir un meurtre au premier degré, mais aussi un meurtre au second degré, ce qu’on appelle les dommages collatéraux. À ce moment-là, le juge pourra ordonner une peine de 25 ans pour le premier meurtre, mais pourra permettre, consécutivement, de faire une demande de libération conditionnelle 10 ans plus tard. Donc, en réalité, la peine de l’individu sera de 35 ans. Auparavant, elle était seulement de 25 ans, ni plus ni moins. »[746]
[1137] Cette réponse, d’une intelligibilité relative, ne répond pas à la préoccupation du député de l’opposition quant à la possibilité pour un délinquant de purger 50 ans dans un pénitencier fédéral avant d’obtenir son éligibilité à une libération conditionnelle.
[1138] Le 2 décembre suivant, le député de l’opposition officielle Brian Murphy échange les propos suivants avec le vice-président de l’Association des avocats criminalistes, devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne :
« M. Brian Murphy :
[ … ]
Dans le cas de meurtres multiples, le représentant du ministère de la Justice nous a beaucoup aidés en tentant de trouver une façon d’amender le projet de loi ou de voir pourquoi il ne pourrait pas y avoir un pouvoir discrétionnaire. Il me semble que l’article 745.51 qui est proposé pourrait être amendé à la fin pour donner au juge le pouvoir discrétionnaire de choisir entre 25 et 50. On ne peut pas préciser de chiffres, car c’est un multiple du nombre de meurtres commis, mais cela pourrait se situer entre 10 et 20, et entre 20 et 40. Si on ajoutait cela, on aurait vraiment un pouvoir discrétionnaire que, selon le gouvernement, les juges devraient avoir à l’heure actuelle, et je pense que nous croyons la même chose de notre côté. Cela ne serait-il pas un bon amendement? Je ne pense pas que cela irait au-delà de la portée du projet de loi. Que penseriez-vous de ce genre d’amendement?
M. Joseph Di Luca : J’applaudirais certainement ce genre d’amendement car il renaît l’espoir que les juges fassent exactement chaque jour ce pourquoi ils ont prêté serment. Ils ont les compétences pour faire cela. Ils auraient les preuves devant eux pour faire cela. Cette mesure de souplesse, franchement, ferait en sorte qu’une mesure législative qui serait sans aucun doute jamais ou rarement utilisée puisse l’être dans les cas appropriés. »[747]
[Nos soulignements]
[1139] La semaine suivante, monsieur Serge Ménard, également député de l’opposition, s’exprimait comme suit devant Me John Giokas, avocat à la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice :
« M. Serge Ménard :
[ … ]
Quand les libéraux avaient expliqué cela, je ne l’avais pas compris, mais maintenant je comprends parfaitement, comme eux, que plutôt que de donner aux juges le choix entre imposer une peine de 25 ans et en imposer une de 50 ans, donnons-leur la possibilité d’imposer une peine supérieure à 25 ans, c’est-à-dire d’ajouter 5 ans, 10 ans, 15 ans ou encore 25 ans à la peine initiale de 25 ans. »[748]
[Notre soulignement]
[1140] Le 1er février 2011, monsieur Brian Murphy s’adressait ainsi à la Chambre des communes :
« M. Brian Murphy (Moncton - Riverview - Dieppe, Lib.) :
Un amendement qui a été proposé lors de l’étude en comité aurait donné aux juges un véritable pouvoir discrétionnaire. Ce que prévoit le projet de loi, c’est que les juges pourront choisir entre 25 et 50 ans. C’est comme décréter qu’on peut rouler sur l’autoroute 401 à l’heure de pointe à 30 ou à 100 milles à l’heure, même si ni l’une ni l’autre de ces vitesses n’est sécuritaire. Dans le cas qui nous occupe, la possibilité de choisir entre 25 ou 50 ans pourrait ne servir l’intérêt ni des victimes ni de la société.
Cet amendement n’a pas rallié le soutien. Il n’a pas fait l’objet de recherches rigoureuses avant que le Parlement en soit saisi. Il a été rejeté, et ce, au péril des victimes. Voici ce qui pourrait arriver. Un juge pourrait considérer qu’il a affaire à une série de meurtres atroces et que l’admissibilité ne peut s’appliquer comme dans le cas d’un seul meurtre. Autrement dit, en cas de condamnation pour un meurtre au premier degré, l’admissibilité à la libération conditionnelle, soit le délai après lequel une personne déclarée coupable peut demander sa libération conditionnelle, est de 25 ans. Voilà comment fonctionne cette loi. En vertu de celle-ci, un juge ayant à se prononcer sur deux meurtres pourrait se dire « Je vais fixer la période d’inadmissibilité à 50 ans » ou « La personne déclarée coupable a 40 ans, une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 50 ans est déraisonnable. Il y une chance de réhabilitation. Il s’agit peut-être d’un crime passionnel ou commis sous l’influence de drogues. » Ce sont autant de circonstances atténuantes qui pourraient inciter un juge à imposer une période de 25 ans, et non de 50.
L’amendement aurait permis, et le gouvernement aurait pu proposer, rien ne l’empêchait, d’avoir une loi donnant aux juges un véritable pouvoir discrétionnaire, leur permettant d’imposer une période allant de 25 à 50 ans. Le juge aurait pu dire : « Ces gestes sont odieux. Le coupable a 40 ans. Je vais imposer une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 35 ans. » Voilà qui aurait été un véritable pouvoir discrétionnaire. C’est un pouvoir discrétionnaire qui existe; aucun membre du comité, moi y compris, n’a l’habitude de chercher à imiter le système de justice américain ou d’en parler, mais ce pouvoir judiciaire discrétionnaire existe aux États-Unis.
À titre d’avocat, j’ai pensé que cette mesure inciterait les juges à utiliser leur pouvoir discrétionnaire. Il me semblait que cela viendrait à bout de leurs réticences à évoquer cette disposition pour imposer des peines plus longues, car à mon avis, bien peu de juges utiliseraient ce 25 ans supplémentaire. Les juges sont des êtres humains. Décider du sort d’une personne pour les 50 prochaines années, c’est mettre beaucoup de poids sur les épaules d’un juge. »[749]
[1141] Ces propos d’une indéniable limpidité quant aux difficultés posés par l’article 745.51 suscitèrent cette question surprenante du secrétaire parlementaire :
« M. Daniel Petit (secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, PCC :
Madame la Présidente, j’aurais une question simple pour mon collègue.
L’opposition libérale a déposé un amendement concernant ce projet de loi. J’aimerais que mon collègue m’explique les tenants et aboutissants par rapport au projet de loi initial et qu’il le fasse dans les termes les plus simples possibles pour que le public puisse comprendre pourquoi cet amendement est demandé et quelle est la différence avec le projet initial. »[750]
[1142] Bon joueur, le député de l’opposition reprit ses explications en ces termes :
« M. Brian Murphy :
Madame la présidente, comme je croyais l’avoir expliqué dans mon exposé, l’amendement avait pour but de permettre aux juges de fixer la période d’inadmissibilité à une durée se situant entre 25 et 50 ans. La différence, ce serait qu’un juge aurait le pouvoir discrétionnaire de fixer une période entre 25 et 50 ans. Le projet de loi dans sa forme actuelle oblige le juge à choisir 25 ou 50 ans. L’amendement portait sur ce point.
Je dirais que le ministère n’a jamais examiné la question et que le gouvernement n’y a jamais réfléchi. Pourtant, après cinq ans, il s’empresse de faire le bulletin de nouvelles de 18 heures pour dire qu’il empêcherait Clifford Olson d’être libéré, alors qu’on sait fort bien qu’il ne le serait jamais de toute façon.
Le gouvernement n’a pas approfondi la question pour déterminer si le projet de loi pourrait inclure ce pouvoir discrétionnaire variable. Pourtant, les juges, en vertu de leur devoir de réserve, au Québec et dans le reste du Canada, choisiraient une période de 25 ans au lieu d’une période de 50 ans. Or, ils auraient peut-être choisi une période d’une durée intermédiaire. C’était un excellent amendement. Le gouvernement aurait dû l’intégrer à son projet de loi, et il aurait dû fouiller davantage la question. »[751]
[1143] Finalement, lors des délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles tenues le 2 mars suivant, le sénateur Baker questionna directement le ministre de la Justice, l’honorable Rob Nicholson, sur le sujet :
« Le sénateur Baker : J’imagine, monsieur le ministre, que vous êtes critiqué dans certains milieux. Vous avez mis en place un régime selon lequel, même si c’est à la discrétion du juge, celui-ci doit choisir entre 25, 50 et 75 ans; il n’y a pas d’entre-deux. Il ne peut pas imposer une période de 35 ou 40 ans. Ai-je raison de dire que vous avez reçu certaines observations à cet égard?
M. Nicholson : Je sais qu’il y a eu des observations, mais, dans le cadre de la loi actuelle, lorsqu’une personne commet un meurtre au deuxième degré pour la deuxième fois, il s’agit d’une période de 25 ans. C’est déjà prévu. Ce qui figure dans le projet de loi correspond aux dispositions qui font déjà parti du Code criminel.
Le sénateur Baker : Oui, mais ça ne s’applique qu’à un meurtre qui a été commis, duquel la personne a été déclarée coupable dans le passé, lorsqu’elle en commettra un nouveau dans l’avenir.
M. Nicholson : Au deuxième meurtre, même s’il s’agit d’un meurtre au deuxième degré, la période d’inadmissibilité s’établit à 25 ans à partir de ce moment.
Peu importe ce que nous faisons, sénateur, il y aura toujours des gens qui ne seront pas d’accord, mais je peux vous dire que j’ai reçu des commentaires très favorables. Comme vous le savez, votre collègue, Albina Guarnieri, défend cette cause particulière depuis de nombreuses années. Je sais qu’elle surveille ce que nous faisons avec grand intérêt et qu’elle appuie l’adoption du projet de loi. »[752]
[1144] Il est manifeste que le gouvernement fédéral a décidé, contre vents et marées, d’aller de l’avant avec la promulgation de la version actuelle de l’article 745.51 C.cr., et ce, malgré de nombreuses mises en garde relatives aux problèmes constitutionnels que pourrait soulever le pouvoir discrétionnaire limité accordé aux tribunaux.
[1145] Lorsqu’il adopta le Projet de loi C-48, le législateur savait pertinemment qu’un individu condamné éventuellement à des périodes d’inadmissibilité consécutives pour meurtres prémédités ne pourrait devenir éligible à une remise en liberté sous conditions qu’après l’accomplissement d’au moins 50 années de sa peine.
[1146] Les députés de l’opposition, parmi d’autres, ont accompli leur travail en prévenant l’exécutif des écueils qu’engendrerait la disposition entreprise. Ils ont même suggéré à l’équipe ministérielle une mesure nettement moins attentatoire au droit garanti par l’article 12, laquelle aurait permis aux juges d’infliger des périodes d’inadmissibilité cumulatives de 30, 35, 40 ou 45 ans. Le gouvernement a plutôt choisi de faire preuve d’aveuglement volontaire ou de poursuivre résolument son propre agenda.
[1147] Pour les motifs déjà évoqués au chapitre portant sur la violation de l’article 12, le Tribunal ne peut retenir l’argument de la Procureure générale voulant qu’un juge confronté à une situation où le fait d’imposer des périodes d’inadmissibilité consécutives entraînerait un résultat exagérément disproportionné devrait tout simplement refuser d’ordonner que ces périodes soient cumulées. On ne saurait corriger une disproportion exagérée par une autre, fut-elle à l’opposé du spectre sentenciel.
[1148] Le soussigné conclut que l’article 745.51 C.cr. ne porte pas le moins possible atteinte au droit garanti par l’article 12. Cette disposition s’applique dans une grande variété de situations où la culpabilité morale varie d’un délinquant à l’autre.
[1149] La Mise en cause n’a certainement pas établi l’inexistence de moyens moins attentatoires d’atteindre les objectifs visés[753]. Les extraits de débats précités démontrent, au contraire, qu’il existait, de façon réelle et substantielle, un autre moyen d’atteindre ces buts.
[1150] De portée trop générale, l’article 745.51 C.cr. ne se situe pas à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables. Le soussigné estime qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances, de faire preuve d’une grande déférence pour le Parlement fédéral.
[1151] Ne serait-ce que pour ce seul critère, l’article 745.51 du Code criminel doit être déclaré constitutionnellement invalide.
iii) La proportionnalité
[1152] Le juge en chef Dickson explique ainsi l’objectif de la troisième et dernière étape de l’analyse de la proportionnalité :
« [ … ] La gravité des restrictions apportées aux droits et libertés garantis par la Charte variera en fonction de la nature du droit ou de la liberté faisant l'objet d'une atteinte, de l'ampleur de l'atteinte et du degré d'incompatibilité des mesures restrictives avec les principes inhérents à une société libre et [page140] démocratique. Même si un objectif est suffisamment important et même si on a satisfait aux deux premiers éléments du critère de proportionnalité, il se peut encore qu'en raison de la gravité de ses effets préjudiciables sur des particuliers ou sur des groupes, la mesure ne soit pas justifiée par les objectifs qu'elle est destinée à servir. Plus les effets préjudiciables d'une mesure sont graves, plus l'objectif doit être important pour que la mesure soit raisonnable et que sa justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. »[754]
[Notre soulignement]
[1153] Tandis que les trois premières étapes de l’analyse proposée dans Oakes se rattachent à une appréciation de l’objet de la mesure attaquée, la quatrième et dernière étape tient pleinement compte de la gravité des effets préjudiciables sur des particuliers ou des groupes[755]. Dans Thomson Newspapers Co., le juge Bastarache mentionne :
« [ … ] Les première et deuxième étapes de l'analyse de la proportionnalité ne portent pas sur le rapport entre les mesures et le droit en question garanti par la Charte, mais plutôt sur le rapport entre les objectifs de la loi et les moyens employés. Même si l'étape de l'atteinte minimale du critère de la proportionnalité tient nécessairement compte de la mesure dans laquelle il est porté atteinte à une valeur prévue par la Charte, la norme qui doit être appliquée en bout de ligne consiste à se demander s'il est porté atteinte le moins possible au droit garanti par la Charte compte tenu de la validité de l'objectif législatif. La troisième étape de l'analyse de la proportionnalité donne l'occasion d'apprécier, à la lumière des détails d'ordre pratique et contextuel qui ont été dégagés aux première et deuxième étapes, si les avantages découlant de la limitation sont proportionnels aux effets préjudiciables, mesurés au regard des valeurs consacrées par la Charte. Comme le dit le professeur Jamie Cameron, dans "The Past, Present, and Future of Expressive Freedom Under the Charter" (1997), 35 Osgoode Hall L.J. 1, à la p. 66:
[Traduction] . . . ce volet de l'analyse fondée sur l'article premier pose une question importante. L'évaluation de la proportionnalité des effets préjudiciables et des effets bénéfiques de la violation soulève, directement et explicitement, la question de savoir si les conséquences de celle-ci sont disproportionnées aux avantages pouvant en découler. En tant que tel, ce volet est la seule partie de l'analyse actuelle qui reconnaît le préjudice ou coût des limites justifiables: c'est-à-dire le fait qu'un droit garanti par la Constitution a été violé.
Les effets préjudiciables susceptibles de découler d'une atteinte à la Charte peuvent avoir soit un caractère général, en ce sens que toute atteinte grave au droit à la liberté d'expression est susceptible d'altérer le climat de libre échange des idées qui est une valeur essentielle de notre société; soit un caractère particulier, en ce qu'ils font obstacle à un avantage déterminé qui découle de la forme d'expression en question. Même si ces deux effets possibles doivent être pris en considération et le sont pour décider si la loi repose sur un objectif urgent et réel, cette étape de l'analyse porte davantage sur la question de savoir si le gouvernement vise à remédier à un préjudice important. Le fait de comparer le préjudice qui peut être évité et le préjudice causé par l'atteinte elle-même est une mise en équilibre qui peut être réalisée avec le plus d'efficacité dans le contexte de l'analyse de la proportionnalité. »[756]
[1154] Le Tribunal n’est pas confronté ici à une mesure législative visant à remédier à un problème social pour laquelle il devrait manifester une plus grande retenue, mais plutôt à une disposition pénale menaçant directement la liberté de l’individu[757].
[1155] Les effets préjudiciables sur Alexandre Bissonnette et tout autre détenu condamnés à deux ou plusieurs meurtres au premier degré sont à ce point sérieux qu’ils deviennent exagérément disproportionnés par rapport aux avantages découlant de la limitation. Ces effets ont un caractère particulier pour chaque délinquant concerné qui devra, en cas d’infliction d’au moins une période d’inadmissibilité consécutive, écouler un minimum de 50 ans derrière les barreaux avant d’être éligible à une libération conditionnelle. Pour une grande proportion de ces contrevenants, semblable situation culminera en une mort en détention ou à une remise en liberté sous conditions à un âge jouxtant l’ultime échéance.
[1156] Bien qu’elle n’ait pas à être parfaitement équilibrée, la restriction doit tout de même être raisonnable et justifiable[758]. Tel n’est pas le cas dans la présente affaire.
[1157] Finalement, les effets préjudiciables susceptibles de résulter de l’atteinte comportent également un caractère général puisque le fait, pour les tribunaux, d’imposer des peines de 75, 100 ou 200 ans d’inadmissibilité risque de compromettre aux yeux du public la crédibilité du système judiciaire.
[1158] En somme, l’article 745.51 C.cr. n’est pas justifié par les objectifs qu’il est destiné à servir en raison de la gravité de ses effets préjudiciables sur les particuliers et le système judiciaire.
iv) Conclusion
[1159] La Mise en cause n’a pu établir, par prépondérance de preuve, que les restrictions apportées aux droits de l’accusé énoncés aux articles 7 et 12 de la Charte sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
[1160] L’article 745.51 C.cr. ne constitue pas une atteinte minimale aux droits enfreints et il n’existe aucune proportionnalité entre les effets préjudiciables de la disposition entreprise et les objectifs reconnus comme suffisamment importants.
E) Le remède
[1161] Alexandre Bissonnette soumet qu’en raison de son invalidité constitutionnelle, l’article 745.51 C.cr. doit être déclaré inopérant avec effet immédiat. En conséquence, le Tribunal n’aurait d’autre choix que de le condamner à purger ses six périodes de 25 ans d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de façon concurrente, ce qui le rendrait éligible à une remise en liberté sous conditions à l’âge de 52 ans.
[1162] L’article 52 de la Charte stipule que les règles de droit qui sont incompatibles avec l’une ou l’autre des dispositions de cette dernière sont « inopérantes » pour cause d’invalidité constitutionnelle[759]. L’invalidité représente en effet le remède général à une déclaration d’inconstitutionnalité. Les juges ont le devoir constitutionnel de déclarer sans effet les lois qui sont inconciliables avec les droits et libertés protégés par la Charte canadienne. Ces droits et libertés sont interprétés largement de sorte que les cours de justice n’hésitent pas à frapper de nullité les dispositions attentatoires. Or, l’invalidité ne touche pas nécessairement l’entièreté d’une disposition législative. À l’occasion, elle pourra n’être que partielle. Pour cette raison, les tribunaux réécrivent parfois les lois contrevenant aux droits et libertés énoncés dans la Charte.
[1163] Dans notre démocratie constitutionnelle, le Parlement adopte les lois et les cours de justice les mettent en application. Certes, il incombe au pouvoir judiciaire de mettre en œuvre les règles de droit et d’assurer leur évolution lente et progressive face aux circonstances nouvelles. Il ne leur appartient pas, cependant, de modifier sensiblement et profondément des règles reconnues pour les adapter à un cas d’espèce[760]. Le juge en chef McLaughlin explique ainsi cette conduite :
« Il y a de solides raisons qui justifient ces réticences du pouvoir judiciaire à modifier radicalement des règles de droit établies. Une cour de justice n’est peut-être pas l’organisme le mieux placé pour déterminer les lacunes du droit actuel et encore moins les problèmes que pourraient susciter des modifications qu’elle pourrait apporter. La cour de justice est saisie d’un cas particulier; les changements importants du droit doivent se fonder sur une perception plus générale de la façon dont la règle s’appliquera à la grande majorité des cas. De plus, une cour de justice peut ne pas être en mesure d’évaluer pleinement les questions économiques et de principes qui sous-tendent le choix qu’on lui demande de faire. Les modifications substantielles du droit comportent souvent la formulation de règles et de procédures subsidiaires nécessaires à leur mise en œuvre, ce qui devrait plutôt se faire par voie de consultation entre les tribunaux et les praticiens que par décision judiciaire. Enfin, et c’est peut-être là le plus important, il existe un principe établi depuis longtemps selon lequel, dans une démocratie constitutionnelle, il appartient à l’assemblée législative, qui est le corps élu du gouvernement, d’assumer la responsabilité principale pour la réforme du droit. »[761]
[1164] Dans Commentaries on the Laws of England, William Blackstone énonce que les juges ne créent pas le droit; ils ne font que le découvrir, de sorte que les tribunaux appliquent le droit qui existait en réalité ou qu’ils redécouvrent[762].
[1165] En fait, la réalité est plus complexe. De nombreux auteurs et tribunaux ont contesté cette conception classique de la démocratie constitutionnelle, faisant valoir que l’ordre judiciaire remplit une fonction législative légitime. Les juges ne font pas que dire le droit, ils l’élaborent également[763].
[1166] Dans son ouvrage intitulé Good Judgment, Making Judicial Decision, le juge Robert Sharpe souligne en effet que :
"Most modern judges reject Blackstone’s declaratory theory as a discredited fiction designed to conceal the inconvenient truth that judges do make law."[764]
[1167] Le rôle que joue le pouvoir judiciaire dans l’évolution du droit n’est plus véritablement contesté. L’honorable juge LeBel fait d’ailleurs remarquer qu’« une bonne partie de ce qui est reconnu comme du « droit » constitue en fait, sous une forme ou une autre, du droit prétorien [ … ] Il s’agit de savoir non pas si ce pouvoir de créer des règles de droit existe, mais plutôt comment et dans quels cas il convient de l’exercer. Cette question devient particulièrement délicate lorsque, dans des affaires mettant en cause des valeurs et des droits constitutionnels cruciaux, les tribunaux décident d’agir comme législateur à cause de lacunes perçues dans le droit. »[765] Robert Sharpe fait d’ailleurs remarquer :
"There are many cases where, as in Salituro, the Supreme Court has changed the common law "to bring the law into harmony with prevailing social values." As I pointed out in chapter 3, many of these cases involve significant changes to the law on account of changing societal perceptions regarding the role of women and gender equality. The courts were entitled to take those changed social perceptions into account. They were not deciding on the basis of raw public opinion. The social values upon which they relied grew out of and reflected a social understanding of fundamental legal values : the equality of all citizens and the right of every individual to be treated with dignity and respect. Changing the discrete elements of the law that did not accord with those fundamental values made the law truer to itself."[766]
[1168] Il est vrai que la Constitution n’appartient pas aux tribunaux, mais ceux-ci doivent demeurer attentifs et sensibles au fait qu’ils sont, en dernier ressort, les gardiens des règles, principes et valeurs constitutionnels lorsque toutes les autres démarches échouent[767].
[1169] La démocratie représente beaucoup plus qu’un simple concept de majorité. Elle implique un cadre juridique qui, comme la Charte, protège les droits et libertés des citoyens. Voilà pourquoi la révision judiciaire doit être vue comme une alliée fidèle de la démocratie. Le système judiciaire préserve les droits et libertés des individus contre la dictature de la majorité. Lorsqu’ils interviennent au nom de la Charte, les juges n’agissent pas contre la démocratie, mais bien en conformité avec cette dernière. À cet égard, les auteurs Saunders et Bromwich écrivent :
"What the Charter has done is make the Court’s role as lawmaker more explicit, more pronounced, and more controversial, especially when it comes to interpreting constitutional rights. The reason is that when judges interpret these rights, we determine the extent to which minority rights are entitled to interfere with the majoritarian ones and, thus, the status quo. [ … ] The response that sometimes follows when a judge affirms rights for women, racial minorities, the disabled, gays, lesbians, or any other disadvantaged group is that judges are engaged in judicial activism. The criticism seems to be that it should be the legislature and not the courts that determines the scope of rights and for the courts to do so amounts to impermissible judicial intrusion on legislative supremacy. Indeed, the judge’s decision may be challenged, even to the extent of questioning the legitimacy of the judicial role. Those courts that do so overlook a fundamental feature of democracy. As Madam Justice Rosalie Abella has compellingly pointed out, "[t]he most basic of the central concepts we need back in the conversation is that democracy is not and never was - just about the wishes of the majority. What pumps oxygen no less forcefully through vibrant democratic veins is the protection of rights, through courts, notwithstanding the wishes of the majority." Thus, in interpreting and enforcing the Charter, the courts are doing precisely what the Canadian Constitution requires ensuring that the state does not trespass on constitutional rights and freedoms."[768]
[1170] Dans l’arrêt Schachter c. Canada[769], l’honorable juge en chef Lamer précise que l’incompatibilité constitutionnelle peut s’entendre de ce qui a été omis du libellé de la loi ou de ce qui y a été inclus à tort[770].
[1171] Si l’incompatibilité constitutionnelle touche le cœur même de la loi, soit son objet, les tribunaux n’auront d’autre choix que d’invalider la disposition contestée, et ce, dans sa totalité. Dans Boudreault, le juge Martin mentionne ce qui suit, à titre d’exemple :
« Je rejette également la thèse avancée par les appelants Tinker, la procureure générale de l’Ontario et (subsidiairement) M. Eckstein, suivant laquelle la Cour devrait simplement rétablir dans la loi le pouvoir discrétionnaire d’accorder une dispense de la suramende, pouvoir qui a été supprimé en 2013. Ce n’est pas la bonne approche à adopter en l’espèce, et ce, pour deux raisons.
D’abord, en 2013, le législateur a clairement exprimé sa volonté d’éliminer le pouvoir discrétionnaire judiciaire d’accorder une dispense de la suramende [ … ] »[771]
[Notre soulignement]
[1172] En l’espèce, les objectifs visés par le Parlement fédéral en adoptant l’article 745.51 C.cr. ne posent aucune difficulté. Par commodité, rappelons qu’ils consistent à favoriser la proportionnalité, à s’assurer que les auteurs de meurtres multiples paient un « juste dû » pour leurs crimes, à renforcer l’objectif de dénonciation et à assurer la protection de la société. Aucune de ces quatre finalités n’est remise en question devant le soussigné.
[1173] Tout juge envisageant d’apporter lui-même une modification à la loi existante doit d’abord s’interroger sur l’opportunité de retourner le législateur à sa planche à dessin. Doit-il ou non intervenir et procéder lui-même à la modification législative? La question n’est pas toujours facile à répondre. Deux facteurs peuvent cependant l’aider dans sa réflexion.
[1174] Le tribunal doit d’abord s’interroger sur la nature du changement proposé ou envisagé. Celui-ci comporte-t-il un caractère polycentrique ou bipolaire? Le juge Robert J. Sharpe explique ainsi ses deux concepts :
"Considerations of this nature are often at play in what are described as "polycentric disputes." A polycentric dispute is one that "involves a large number of interlocking and interacting interests and considerations" requiring "solutions which concurrently balance benefits and costs for many different parties." Polycentric issues engage the interests of parties not before the court and raise wide-ranging policy choices. Courts lack the knowledge and resources to adequately address the complex issues that arise in polycentric disputes. Courts are better suited to resolve "bipolar" disputes, where the decision and any consequent law-making effect it might have turns exclusively on the nature of the rights and the relationship of the two parties who are before the court."[772]
[1175] L’intervention judiciaire se prête davantage aux débats bipolaires où, comme en l’espèce, les droits fondamentaux de l’individu sont transgressés par l’État.
[1176] La deuxième question porte sur l’ampleur du changement envisagé. Notre tradition de common law favorise les modifications progressives favorisant une adaptation des règles de droit existantes aux vues et pratiques nouvelles. Si le changement considéré entre dans cette catégorie, la tradition de common law militera en faveur d’une intervention législative du pouvoir judiciaire. En revanche, toute proposition visant à transformer radicalement la règle de droit existante sera perçue avec scepticisme et renvoyée à l’appréciation du législateur[773].
[1177] À ce stade, il convient de rappeler la mise en garde formulée par le juge en chef McLaughlin dans l’arrêt Ferguson[774] :
« [ … ] il est reconnu depuis longtemps que les tribunaux, en accordant d’autres réparations [que le pouvoir de déclarer inopérantes les « dispositions incompatibles » avec la Constitution] [ … ] risquent d’empiéter à tort sur le domaine législatif. Une réparation autre que l’invalidation peut sembler à première vue usurper à un moindre degré le rôle du législateur, mais constituer en réalité un empiètement injustifié. Notre Cour a ainsi souligné que lorsqu’ils examinent les solutions de rechange à l’invalidation, les tribunaux doivent vérifier attentivement si elles représentent un empiètement moins grave que l’invalidation sur les fonctions du législateur. Dans le choix de la réparation, les tribunaux seront donc guidés par le respect du rôle du législateur et des objectifs de la Charte [ … ] »[775]
[1178] En bout de piste, la question ultime que doit trancher le tribunal est la suivante : le législateur aurait-il adopté la règle de droit modifiée, élargie ou restreinte par la mesure corrective envisagée? Si la réponse est négative ou incertaine, le juge doit prononcer l’invalidité constitutionnelle et laisser au Parlement le soin de reformuler la disposition attentatoire.
[1179] Lorsqu’il est possible de corriger l’inconstitutionnalité d’un article de loi sans l’invalider complètement, le juge doit examiner les solutions de rechange à l’invalidation. L’article 52 donne notamment ouverture à la dissociation, à l’interprétation large et à l’interprétation atténuée[776]. Les juges Cory et Iacobucci décrivent ainsi ces mesures correctives :
« [ … ] Dans l’arrêt Schachter, notre Cour a signalé que, tout dépendant des circonstances, un tribunal peut choisir entre plusieurs mesures correctives lorsqu’il conclut en l’existence d’une violation de la Charte non justifiée en vertu de l’article 1er. Il peut notamment annuler la loi, retrancher les dispositions fautives, ordonner l’annulation ou la dissociation assortie d’une suspension temporaire de la déclaration d’invalidité, recourir à l’interprétation atténuée ou inclure des dispositions par interprétation large. »[777]
[Notre soulignement]
[1180] On retrouve un exemple d’interprétation atténuée (reading down) dans l’arrêt Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada[778]. Dans cette affaire, trois articles de la législation contestée conféraient des pouvoirs de fouille, de perquisition et de saisie. Un autre prévoyait certaines restrictions à ces mêmes pouvoirs dans le cas de documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat était revendiqué. L’honorable juge Cromwell décida que dans la mesure où elles s’appliquaient aux cabinets d’avocats, les quatre dispositions précitées ne pouvaient se justifier. À titre de réparation constitutionnelle, il donna une interprétation atténuée à trois des articles concernés pour exclure les conseillers juridiques et les cabinets d’avocats de leur champ d’application[779].
[1181] Lorsque, comme en l’espèce, une violation de la Charte découle d’une omission dans le texte de la disposition entreprise, l’interprétation atténuée n’est pas le remède approprié[780].
[1182] La mesure corrective dite de « l’interprétation large » devient alors la solution. Elle est ainsi définie par les auteurs Brun, Tremblay et Brouillet :
« [ … ] il est maintenant admis que le jugement d’inconstitutionnalité en vertu de l’article 52 peut prendre la forme d’une conclusion ayant pour effet d’ajouter à la loi des mots que le législateur n’y avait pas inscrits. Autrement dit le tribunal peut décider qu’il faut lire la loi comme si elle comprenait des mots qui n’y sont pas. C’est ce qu’on appelle en anglais le reading in. En français on a parfois utilisé à cet égard l’expression « interprétation large », mais à tort, car il ne s’agit pas plus ici d’un phénomène d’interprétation que dans le cas de l’invalidation, totale ou partielle.
L’inclusion, en réalité, constitue un empiètement caractérisé du judiciaire sur le législatif. Au nom de la Charte le tribunal ne se contente pas d’exercer un véto; il légifère activement. La Cour suprême, heureusement, a assorti cet exercice de conditions strictes, équivalant à celles qui s’appliquent à l’exclusion : le tribunal ne peut par son intervention changer la nature de la loi ni en augmenter les coûts sociaux de façon importante. Il doit être raisonnable de penser que l’empiètement sur le législatif se concilie avec l’intention présumée du législateur. »[781]
[Nos soulignements]
[1183] En d’autres termes, le tribunal reformule la disposition fautive pour la rendre conforme à la Constitution.
[1184] Trois conditions s’avèrent essentielles pour recourir à l’interprétation large :
« [ … ]
A. l’objectif législatif est évident où ressort des éléments de preuve déposés dans le cadre de l’examen fondé sur l’article 1er, qui a échoué, et la dissociation ou l’interprétation large favoriserait l’atteinte de cet objectif ou constituerait un empiètement moindre sur cet objectif que l’annulation de la loi;
B. le choix des moyens utilisés par le législateur pour atteindre cet objectif n’est pas assez incontestable pour que la dissociation ou l’interprétation large constitue un empiètement inacceptable sur le domaine législatif;
C. la dissociation ou l’interprétation large ne comporterait pas un empiètement si important sur les décisions financières du législateur qu’elle modifierait la nature du régime législatif en question. »[782]
[1185] Le recours à une « interprétation large » en tant que réparation constitutionnelle ne convient généralement pas lorsque plusieurs solutions permettent de rendre la disposition constitutionnelle[783].
[1186] En revanche, une disposition législative substantiellement constitutionnelle et marginalement problématique se prête bien au recours à l’interprétation large[784].
[1187] En l’espèce, l’incompatibilité constitutionnelle de l’article 745.51 C.cr. n’affecte en rien le cœur même de cette disposition. Les objectifs poursuivis par le Parlement en promulguant cette dernière n’étaient aucunement liés à l’invalidité et la mesure envisagée par le Tribunal ne portera aucunement atteinte à ces mêmes fins législatives.
[1188] Tel que déjà mentionné, le présent débat revêt une propriété bipolaire en ce qu’il implique un droit fondamental de la personne et une disposition législative adoptée par l’État. Le Tribunal n’a pas à prendre en considération diverses données politiques, sociales ou économiques nécessitant l’acquisition de connaissances nouvelles. Aucune composante financière n’est en cause. Sur une question de droits et libertés garantis par la Charte, le pouvoir judiciaire est en aussi bonne, sinon meilleure, position que le législateur pour apporter une mesure corrective appropriée à une violation constitutionnelle.
[1189] La correction anticipée est limitée. L’idée maîtresse de l’article 745.51 C.cr. n’est pas contestée. Seule son application dans les scénarios n’impliquant que des meurtres au premier degré, de même que l’absence de balise quant à la période maximale d’inadmissibilité à laquelle devrait être soumis un détenu posent problème. Nul ne remet en question l’essence même de la disposition, soit la possibilité d’imposer, dans les cas appropriés, des périodes d’inadmissibilité consécutives de manière à véritablement traduire la culpabilité morale d’un auteur de meurtres multiples.
[1190] Les quatre objectifs législatifs ressortent des éléments de preuve déposés. L’interprétation large de l’article 745.51 C.cr. favoriserait, de l’avis du soussigné, l’atteinte de ces cibles, dont celle du « juste dû », et constituerait indéniablement un empiètement moindre qu’une déclaration d’invalidité. En outre, le choix des moyens utilisés par le législateur pour réaliser ses objectifs n’est certainement pas assez « incontestable » pour que l’interprétation large résulte en un empiètement inacceptable du domaine législatif. Les affaires Bourque, Ostamas, Saretzki et Garland en témoignent avec éloquence.
[1191] Finalement, l’interprétation large n’emporterait aucune conséquence financière dans la présente affaire.
[1192] L’article 745.51 C.cr. étant déjà substantiellement constitutionnel, le soussigné estime opportun de faire usage d’une interprétation large pour conférer aux tribunaux, en toutes circonstances, un véritable pouvoir discrétionnaire permettant d’imposer, lorsque nécessaire, des périodes consécutives d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour des condamnations pour meurtre, et ce, en conformité avec les principes de proportionnalité, de totalité, de protection contre toute portée excessive ou conséquences totalement disproportionnées et de préservation de la dignité humaine.
[1193] Pour être constitutionnellement valide, la disposition entreprise doit permettre aux tribunaux de faire abstraction des prescriptions de l’article 745 C.cr. pour tout meurtre commis postérieurement à un premier. Ce n’est que dans ces conditions qu’un juge pourra véritablement tenir compte du caractère du délinquant, de la nature de l’infraction, des circonstances entourant la perpétration de cette dernière et de toute recommandation formulée en vertu de l’article 745.21 C.cr.
[1194] En plus d’examiner les facteurs spécifiquement énoncés à l’article 745.51 C.cr., le juge devra également analyser les principes directeurs prévus aux articles 718 à 718.2 du Code en vue d’en arriver à une peine proportionnée. Nul doute, à cet égard, que la qualification du meurtre (premier degré ou deuxième degré) influera significativement sur la période cumulative d’inadmissibilité.
[1195] Ainsi, les tribunaux pourront, par exemple, imposer une période d’inéligibilité de 12 années supplémentaires pour un deuxième meurtre. Dans d’autres circonstances, ils pourraient choisir d’opter pour une période d’inadmissibilité additionnelle de 17, 25 ou 34 ans. Les juges ne seront donc plus limités aux actuels blocs de 25 ans dans les cas de meurtres multiples au premier degré.
[1196] Cette nouvelle méthode entraînera nécessairement certains ajustements quant aux périodes d’inadmissibilité imposées sur chaque chef d’accusation. Il sera possible, comme en l’espèce, que certains chefs fassent l’objet d’une période d’inéligibilité supérieure à d’autres, pour respecter le principe de la totalité. Cela ne doit pas être interprété comme signifiant que certaines victimes jouissent d’un statut particulier par rapport à leurs compagnons d’infortune. Chaque vie perdue est d’égale valeur et tout autant irremplaçable.
[1197] Les divergences de durée d’inéligibilité observables entre les divers chefs d’accusation n’ont donc pour objet que de permettre au juge d’instance d’imposer, globalement, la période d’inadmissibilité qu’il considère appropriée compte tenu de la preuve entendue.
B) Considération sur le quantum
[1198] Accusé, levez-vous.
[1199] Il y a 24 mois, dimanche, le 29 janvier 2017, vous avez entraîné dans la mort six de vos semblables. Je dis bien six de vos semblables, car indépendamment de notre race, de notre couleur, de nos origines et de nos croyances religieuses, nous appartenons tous à la même grande famille et partageons tous la même humanité.
[1200] Vous avez, de plus, grièvement blessé, toujours par arme à feu, cinq autres hommes dont le seul crime était d’être différents de vous. Par votre haine et votre racisme, vous avez détruit la vie de dizaines et de dizaines de personnes, et avez irrémédiablement gâché la vôtre et celle des membres de votre famille.
[1201] Le crime que vous avez commis mérite la plus grande des dénonciations. La peine que je m’apprête à vous infliger poursuivra cette fin et se voudra également exemplaire, de manière à décourager ceux qui, partageant votre vision sectaire, ambitionneraient de suivre vos traces. L’intolérance et le racisme pourrissent notre tissu social. Il est du devoir des tribunaux de les réprimer fermement lorsqu’ils se matérialisent en actes criminels.
[1202] Je prendrai en considération le haut degré de préméditation et la planification de l’attentat que vous avez perpétré. Je considérerai le nombre de victimes et les souffrances indicibles que vous avez causées. La violation d’un lieu de culte, la vulnérabilité des victimes et l’indéfinissable violence manifestée à leur égard lors de la commission de vos crimes seront également pris en compte.
[1203] Je tiendrai également compte de toutes les circonstances atténuantes auxquelles j’ai déjà référées, dont particulièrement votre état mental. Je ne peux vous punir comme je l’aurais fait à l’égard d’un homme en pleine possession de toutes ses facultés. Je garde également à l’esprit votre absence d’antécédent judiciaire, vos perspectives de réhabilitation et les remords que vous avez exprimés, deux fois plutôt qu’une, dans cette même enceinte.
[1204] Alexandre Bissonnette, votre nom ne sera pas oublié, mais pour les mauvaises raisons. Contrairement à vos héros, Elliott Rodger, Dylan Roof et Kip Kinkel, vous allez maintenant devoir répondre de vos actes devant la justice. Votre sentence sera comparable à une longue, très longue traversée du désert. Le châtiment est important et il n’est que juste qu’il en soit ainsi.
[1205] J’espère simplement que vous profiterez de vos nombreuses années de détention pour vous reconstruire, vous réhabiliter, en toute sincérité, sans tentative de manipulation ou faux-fuyant, non seulement pour regagner, du moins pour quelques années, votre liberté avant de quitter cette terre, mais surtout, surtout, pour regagner cette part d’humanité et de dignité que vous avez laissée derrière vous, ce dimanche, 29 janvier 2017, à la Grande mosquée de Québec.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[1206] DÉCLARE que l’article 745.51 du Code criminel porte atteinte aux droits garantis par l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.
[1207] DÉCLARE que cette violation de l’article 12 n’est pas justifiée en vertu de l’article 1er de la Charte.
[1208] DÉCLARE que l’article 745.51 du Code criminel porte atteinte aux droits garantis par l’article 7 de la Charte.
[1209] DÉCLARE que cette violation de l’article 7 n’est pas justifiée en vertu de l’article 1er de la Charte.
[1210] DÉCLARE qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances, de prononcer l’invalidité constitutionnelle de l’article 745.51 du Code criminel.
[1211] DÉCLARE qu’à titre de réparation, l’article 745.51 du Code criminel devra désormais se lire ainsi :
745.51 (1) Délai préalable à la libération conditionnelle - meurtres multiples - Au moment de prononcer la peine conformément à l’article 745, le juge qui préside le procès du délinquant qui est déclaré coupable de meurtre et qui a été déclaré coupable d’un ou plusieurs autres meurtres - ou en cas d’empêchement, tout juge du même tribunal - peut, nonobstant les prescriptions de l’article 745 pour tout meurtre additionnel et compte tenu du caractère du délinquant, de la nature de l’infraction et des circonstances entourant sa perpétration ainsi que de toute recommandation formulée en vertu de l’article 745.21, ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement, en conformité avec les principes énoncés aux articles 718 à 718.2 et les principes de justice fondamentale.
(2) Motifs - Le juge est tenu de motiver, oralement ou par écrit, sa décision de rendre ou de ne pas rendre l’ordonnance prévue au paragraphe (1).
3) Application - Les paragraphes (1) et (2) s’appliquent aux meurtres commis au plus tôt le lendemain de l’entrée en vigueur du présent paragraphe pour lesquels le contrevenant est condamné à une peine d’emprisonnement en vertu de la présente loi, de la Loi sur la défense nationale ou de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
[1212] DÉCLARE que cette nouvelle formulation de l’article 745.51 prend effet immédiatement.
[1213] CONDAMNE Alexandre Bissonnette, sur le 1er chef d’accusation, à l’emprisonnement à perpétuité.
[1214] ORDONNE que sur le 1er chef d’accusation, Alexandre Bissonnette purge un minimum de 25 ans d’emprisonnement avant d’être déclaré éligible à une libération conditionnelle.
[1215] CONDAMNE Alexandre Bissonnette, sur le 2e chef d’accusation, à l’emprisonnement à perpétuité.
[1216] ORDONNE que sur le 2e chef d’accusation, Alexandre Bissonnette purge un minimum de 25 ans d’emprisonnement avant d’être déclaré éligible à une libération conditionnelle.
[1217] CONDAMNE Alexandre Bissonnette, sur le 3e chef d’accusation, à l’emprisonnement à perpétuité.
[1218] ORDONNE que sur le 3e chef d’accusation, Alexandre Bissonnette purge un minimum de 25 ans d’emprisonnement avant d’être déclaré éligible à une libération conditionnelle.
[1219] CONDAMNE Alexandre Bissonnette, sur le 4e chef d’accusation, à l’emprisonnement à perpétuité.
[1220] ORDONNE que sur le 4e chef d’accusation, Alexandre Bissonnette purge un minimum de 25 ans d’emprisonnement avant d’être déclaré éligible à une libération conditionnelle.
[1221] CONDAMNE Alexandre Bissonnette, sur le 5e chef d’accusation, à l’emprisonnement à perpétuité.
[1222] ORDONNE que sur le 5e chef d’accusation, Alexandre Bissonnette purge un minimum de 25 ans d’emprisonnement avant d’être déclaré éligible à une libération conditionnelle.
[1223] CONDAMNE Alexandre Bissonnette, sur le 6e chef d’accusation, à l’emprisonnement à perpétuité.
[1224] ORDONNE que sur le 6e chef d’accusation, Alexandre Bissonnette purge un minimum de 15 ans d’emprisonnement avant d’être déclaré éligible à une libération conditionnelle.
[1225] ORDONNE que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle prononcées sur les chefs 1, 2, 3, 4 et 5 soient purgées de façon concurrente.
[1226] ORDONNE, conformément à l’article 745.51 du Code criminel, que la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle prononcée sur le 6e chef d’accusation soit purgée consécutivement aux périodes d’inadmissibilité ordonnées sur les 1er, 2e, 3e, 4e et 5e chefs d’accusation.
[1227] DÉCLARE que le bénéfice de la libération conditionnelle d’Alexandre Bissonnette sera subordonné à l’accomplissement d’au moins 40 ans de sa peine.
[1228] CONDAMNE Alexandre Bissonnette, sur le 7e chef d’accusation, à l’emprisonnement à perpétuité.
[1229] CONDAMNE Alexandre Bissonnette, sur le 8e chef d’accusation, à l’emprisonnement à perpétuité.
[1230] CONDAMNE Alexandre Bissonnette, sur le 9e chef d’accusation, à l’emprisonnement à perpétuité.
[1231] CONDAMNE Alexandre Bissonnette, sur le 10e chef d’accusation, à l’emprisonnement à perpétuité.
[1232] CONDAMNE Alexandre Bissonnette, sur le 11e chef d’accusation, à l’emprisonnement à perpétuité.
[1233] CONDAMNE Alexandre Bissonnette, sur le 12e chef d’accusation, à l’emprisonnement à perpétuité.
[1234] INTERDIT à Alexandre Bissonnette, conformément à l’article 109 du Code criminel, d’avoir en sa possession des armes à feu, armes à feu prohibées, armes à feu à autorisation restreinte, arbalètes, armes prohibées, dispositifs prohibés, munitions, munitions prohibées et substances explosives, et ce, à perpétuité.
[1235] AUTORISE le prélèvement du nombre d’échantillons de substances corporelles d’Alexandre Bissonnette jugé nécessaire pour analyse génétique, conformément à l’article 487.051(1)a) C.cr., dans un délai de 120 jours.
[1236] ORDONNE, conformément à l’article 491 C.cr., la confiscation des armes et munitions saisies.
[1237] ORDONNE que les autres choses saisies soient disposées conformément à l’article 490 du Code criminel.
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________________________________ FRANÇOIS HUOT, j.c.s. |
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Me Thomas Jacques Me François Godin |
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Directeur des poursuites criminelles et pénales 300, boulevard Jean-Lesage, Bureau
2.55 |
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Procureurs de la Poursuivante |
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Me Charles-Olivier Gosselin (Casier 192) Me Jean-Claude Gingras |
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Bureau d’aide juridique - section criminelle |
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Procureurs de l’accusé |
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Me Jean-François Paré Me Stéphanie Quirion-Cantin Ministère
de la Justice (DGAJLAJ) Procureurs de la Mise en cause |
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Date d’audience : |
26 et 28 mars - 11, 12, 13, 16, 17, 18, 19, 23, 24, 25 et 26 avril - 7 mai - 18, 19, 20 et 21 juin - 19 octobre - 21 novembre 2018 |
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[1] Lettres persanes, LXXXIV.
[2] Pièce S-12 : photographies numéros 19 et 20; voir aussi : pièce S-21 : transcription de l’appel 911 logé par l’accusé, p. 23.
[3] Pièce SD-7 : rapport d’expertise du Dr Marie-Frédérique Allard, p. 21.
[4] Pièce SD-2 : rapport d’expertise du Dr Marc-André Lamontagne, p. 18.
[5] Pièce SD-7, préc., note 3, p. 22.
[6] Id., p. 22.
[7] Pièce S-24 : transcription de l’interrogatoire vidéo de l’accusé, p. 67.
[8] Pièce S-25 : rapport du gendarme Marc Levasseur concernant l’analyse informatique de l’ordinateur portable d’Alexandre Bissonnette, p. 14-19.
[9] Pièce SD-7, préc., note 3, p. 22.
[10] Pièce S-24, préc., note 7, p. 37.
[11] Pièce SD-7, préc., note 3, p. 28.
[12] Pièce S-24, préc., note 7, p. 46, 50 et 58.
[13] Id., p. 46.
[14] Pièce SD-7, préc., note 3, p. 22-23.
[15] Pièce SD-2, préc., note 4, p. 18.
[16] Pièce S-1.
[17] Pièce S-11 : rapport d’expertise en balistique, p. 11.
[18] Pièce SD-2, préc., note 4, p., p. 18.
[19] Id., p. 19.
[20] Pièce S-4 : photographies numéros 30 et 31.
[21] Pièce S-13 : rapport médico-légal pour Ibrahima Barry.
[22] Pièce S-14 : rapport médico-légal pour Mamadou Tanou Barry.
[23] Pièce S-18 : rapport médico-légal pour Abdelkrim Hassane.
[24] Pièce S-65 : lettre de Merouane Rachidi, p. 1.
[25] Pièce S-4 : photographie 45; voir aussi : pièce S-8 : photographies 34 et 66.
[26] Pièce S-17 : rapport médico-légal pour Aboubaker Thabti.
[27] Pièce S-65, préc., note 24, p. 1.
[28] Id., p. 2.
[29] Pièce S-15 : rapport médico-légal pour Azzeddine Soufiane.
[30] Pièce S-24, préc., note 7, p. 55.
[31] Pièce S-70 : lettre de Hakim Ayad, p. 1.
[32] Pièce S-5 : photographies numéros 1 et 2.
[33] Pièce S-4 : photographie numéro 9.
[34] Pièces S-5 : photographies numéros 3, 7, 8, 14, 16, 17 et 18.
[35] Pièce S-8 : photographies numéros 33 et 35; voir aussi : pièce S-6 : plan des lieux.
[36] Pièce S-9 : photographies numéros 14 et 19; voir aussi : pièce S-11, préc., note 17, p. 2.
[37] Pièce S-11, préc., note 17, p. 2 et 5.
[38] Pièce SD-2, préc., note 4, p. 19.
[39] Pièce SD-7, préc., note 3, p. 23.
[40] Pièce S-22 : rapport GTI 17-005.
[41] Pièce S-10 : photographie numéro 29.
[42] Id., photographies numéros 54, 55 et 56.
[43] Id., photographies numéros 44, 45 et 46; voir aussi : pièce S-11, préc., note 17, p. 11.
[44] Pièce S-10 : photographie numéro 47.
[45] Pièce S-24, préc., note 7, p. 62.
[46] Id., p. 66.
[47] Id., p. 58 et 68.
[48] Id., p. 66.
[49] Id., p. 68.
[50] Id., p. 59.
[51] Id., p. 75.
[52] Pièces S-20 et S-21.
[53] Pièces S-4, S-5, S-7 à S-10 et S-12.
[54] Pièces S-2, S-3, S-6, S-19, S-33, S-35, S-37, S-39, S-43, S-46 et S-48.
[55] Pièces S-11, S-13 à S-18 et S-26.
[56] Pièces S-22, S-25, S-28, S-29 et S-32.
[57] Pièces S-34, S-36, S-38, S-40, S-41, S-45, S-47, S-49, S-51 à S-54, S-56 à S-71.
[58] Pièces SD-1, SD-4 et SD-6.
[59] Pièces SD-2, SD-5 et SD-7.
[60] Pièce SD-8 : extractions informatiques.
[61] Pièce SD-9 : document trouvé dans l’ordinateur.
[62] Pièce S-24, préc., note 7, voir par exemple p. 7, 31 et 38.
[63] Id., p. 55.
[64] Id., p. 57.
[65] Id., p. 21.
[66] Id., p. 65.
[67] Id., p. 31-32.
[68] Id., p. 31.
[69] Id., p. 22.
[70] Id., p. 23-24.
[71] Id., p. 68.
[72] Id., p. 44.
[73] Id., p. 68.
[74] Id., p. 67.
[75] Id., p. 71.
[76] Id., p. 62.
[77] Pièce S-21 : transcription de l’appel 911 logé par l’accusé : voir par exemple p. 3, 4, 9 et 20.
[78] Pièces S-25 et S-26.
[79] Pièce S-26, p. 4, 5, 11, 15-17.
[80] Pièce S-25 : analyse de l’ordinateur portable de l’accusé, p. 12 et 13.
[81] Id., p. 4.
[82] Id., p. 3.
[83] Id., p. 8-10.
[84] Id., p. 11.
[85] Pièce S-25 : « Feminism Breitbart » (1 référence) et « News about Feminism on Twitter » (1 référence).
[86] Pièce S-25 : « Féministes en mouvement de l’Université Laval » (11 références) et « Comité des femmes ULAVAL » (4 références).
[87] Pièce S-25 : « School shooter shoots off shotguns » (3 références), « Officials : Staff pinned down Gunman in school shooting that injured student » (1 référence), « Kid shot teacher and classmates » (1 référence), « University of Iowa shooting » (1 référence), « Lindhurst High School shooting » (1 référence), « Winnenden School shooting » (1 référence), « Frontier Middle School shooting » (1 référence), « List of school shootings in the United States » (1 référence), « Mexico school shooting » (1 référence).
[88] Pièce S-25 : « Mall shooting » (2 références).
[89] Pièce S-25 : « Airport shooting » (2 références) et « Florida airport shooting » (1 référence).
[90] Pièce S-40 : lettre de Safia Hamoudi, p. 2.
[91] Pièce S-41 : lettre de Megda Belkacemi, p. 3-4.
[92] Pièce S-34 : lettre de Louiza Mohamed Saïd, p. 3.
[93] Pièce S-42 : curriculum vitae d’Azzeddine Soufiane, p. 1.
[94] Pièce S-58 : lettre de Najat Naanaa, p. 2.
[95] Pièce S-57 : lettre de Zineb Soufiane, p. 1.
[96] Pièce S-60 : lettre de Khadija Thabti, p. 2.
[97] Pièce S-64 : déclaration en vertu de l’article 724(4) C.cr., p. 2.
[98] Id., p. 3.
[99] Pièce S-38 : lettre de Mohamed Khabar, p. 2.
[100] Id., p. 2.
[101] Pièce S-36 : lettre de Hakim Chambaz, p. 1.
[102] Id., p.1.
[103] Pièce S-45 : déclaration d’Ahmed Ech-Chahedy, p. 1.
[104] Id., p. 2.
[105] Pièce S-54 : lettre d’Ahmed Cheddadi, p. 2.
[106] Id., p. 5.
[107] Id., p. 3.
[108] Pièce S-66 : lettre de Abdelhak Achouri, p. 2.
[109] Pièce S-49 : lettre de Mohamed Labidi, p. 1.
[110] Id., p. 1.
[111] Id., p. 2.
[112] Pièce S-50 : statistiques sur les inscriptions à la mosquée, p. 1.
[113] Pièce SD-2, préc., note 4, p. 13.
[114] Id., p. 14.
[115] Id.
[116] Id.
[117] Id., p. 15.
[118] Id.
[119] Id., p. 16.
[120] Id.
[121] Id., p. 17.
[122] Id., p. 6.
[123] Id., p. 33.
[124] Id., p. 18.
[125] Id., p. 33.
[126] Id., p. 18.
[127] Id., p. 14.
[128] Id., p. 4.
[129] Id., p. 9.
[130] Id.
[131] Id.
[132] Id.
[133] Pièce S-32 : déclaration et rapport d’intervenant de Guylaine Cayouette, p. 1.
[134] Id., p. 1.
[135] Pièce SD-2, préc., note 4, p. 10.
[136] Id., p. 10.
[137] Id.
[138] Id., p. 33.
[139] Id., p. 34.
[140] Id., p. 33.
[141] Id., p. 34.
[142] Id.
[143] Id., p. 35.
[144] Pièce SD-4 : curriculum vitae du Dr Sylvain Faucher, p. 2.
[145] Pièce SD-5 : rapport d’expertise du Dr Sylvain Faucher, p. 2.
[146] Id., p. 2-3.
[147] Id., p. 4.
[148] Id., p. 4-5.
[149] Id., p. 6.
[150] Pièce SD-7, préc., note 3, p. 4.
[151] Id., p. 15.
[152] Id., p. 4.
[153] Id., p. 12.
[154] Id., p. 17.
[155] Id., p. 18.
[156] Id., p. 19.
[157] Id., p. 20.
[158] Id.
[159] Id., p. 21.
[160] Id.
[161] Id.
[162] Id., p. 22.
[163] Id.
[164] Id., p. 21.
[165] Id., p. 39.
[166] Id.
[167] Id., p. 23.
[168] Id., p. 39-40.
[169] Id., p. 39.
[170] Id., p. 42.
[171] Pièce S-72 : curriculum vitae du Dr Gilles Chamberland.
[172] Julian V. ROBERTS et David P. COLE, Making Sense of Sentencing, University of Toronto Press, Toronto Buffalo London, 1999, p. 4.
[173] R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 82; R. c. Johnson, [2003] 2 R.C.S. 357, par. 22.
[174] Benjamin L. BERGER, Sentencing and the Salience of Pain and Hope, (2015) 70 S.C.L.R. (2d) 337, par. 15.
[175] David ORMEROD, Smith and Hogan’s Criminal Law, 13e éd., Oxford University Press, 2011, p. 38.
[176] R. c. Zinck, [2003] 1 R.C.S. 41, par. 23.
[177] Id., par. 24; voir aussi : B.L. BERGER, préc., note 174, par. 35.
[178] B.L. BERGER, préc., note 174, par. 21, 44 et 47.
[179] R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S 206, par. 48-49.
[180] Hugues PARENT et Julie DESROSIERS, La peine - Traité de droit criminel, Tome 3, Montréal, Les Éditions Thémis, 2012, p. 17.
[181] Bien que cette expression soit un anglicisme, elle figure au paragraphe 78 du jugement de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. M.(C.A.), [1996] A.C.S. no 28. Le soussigné utilisera donc ce terme, quoique l’adjectif « punitif » semble plus approprié.
[182] Clayton C. RUBY, Sentencing, 9e éd., Montréal, Lexis Nexis Canada, 2017, p. 1.
[183] Emmanuel KANT, Fundamental Principles of the Metaphysics of Morals, (Basé sur la traduction de T.K. Abbott) en ligne : <https://pdfs.semanticsholar.org/b2a1/f5dcbf8bf21674acdffa76bd50db05d9ea4a.pdf>, p.7.
[184] Id., p. 8-9.
[185] Id., p. 26.
[186] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 19.
[187] François DADOUR, De la détermination de la peine : principes et applications, Lexis Nexis Canada, 2007, p. 14; voir aussi : Allan MANSON, Patrick HEALY, Gary TROTTER, Julian ROBERTS et Dale IVES, Sentencing and Penal Policy in Canada : Cases, Materials and Commentary, 3e éd., Toronto, Emond, 2016, p. 3.
[188] Susan EASTON et Christine PIPER, Sentencing and Punishment : The Quest for Justice, Oxford University Press, 2008, p. 22; voir aussi : Sir Rupert CROSS, The English Sentencing System, London Butterworths, 1981, p. 127-134; A. MANSON, P. HEALY, G. TROTTER et al, préc., note 187, p. 3, 5-6; F. DADOUR, préc., note 187, p. 14 et 16; Melissa HAMILTON, Extreme Prison Sentences : Legal and Normative Consequences, 38 Cardozo L. Rev. 59 (2016), p. 64.
[189] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 80; voir aussi : A. MANSON, P. HEALY, G. TROTTER et al, préc., note 187, p. 3; F. DADOUR, préc., note 187, p. 14-15; C. C. RUBY, préc., note 182, p. 2 et 25.
[190] A. MANSON, P. HEALY, G. TROTTER et al, préc., note 187, p. 20.
[191] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 3.
[192] A. MANSON, P. HEALY, G. TROTTER et al, préc., note 187, p. 1; R. CROSS, préc., note 188, p. 135-140.
[193] Jeremy BENTHAM 1781, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, Batoche Books, Kitchener, 2000, en ligne : <https://socialsciences.mcmaster.ca/econ/ugcm/3ll3/bentham/morals.pdf>, p. 134.
[194] Cesare BECCARIA, An Essay on Crimes and Punishments, 43 (London, Printed for E. Newbery 1785), p. 99-100; Andrew ASHWORTH, Sentencing and Criminal Justice, 5e éd., Cambridge University Press, 2010, p. 97-98.
[195] R. CROSS, préc., note 188, p. 128; C. C. RUBY, préc., note 182, 2017, p. 3.
[196] A. MANSON, P. HEALY, G. TROTTER et al, préc., note 187, p. 23-25.
[197] Id., p. 5-7; voir aussi : Paul GENDREAU et Francis T. CULLEN, L’incidence de l’emprisonnement sur la récidive, ministère du Solliciteur général du Canada, 1999; Sara RUBENFELD et Mari C. SHANAHAN SOMERVILLE, Lien entre la durée de l’incarcération et la récidive, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 2017.
[198] Herbert Lionel Adolphus Hart, figure dominante de la philosophie légale et politique au Royaume-Uni, enseigna le droit à l’Université d’Oxford de 1952 à 1969. Il est généralement considéré comme l’un des plus brillants philosophes du 20e siècle (source : H.L.A. Hart, Wikipédia).
[199] A. ASHWORTH, préc., note 194, p. 83.
[200] D. ORMEROD, préc., note 175, p. 38.
[201] R. c. Sargeant, (1974), 60 Cr. App. R. 74.
[202] R. CROSS, préc., note 188, p. 143-144.
[203] S. EASTON et C. PIPER, préc., note 188, p. 24.
[204] S. EASTON et C. PIPER, préc., note 188, p. 23; D. ORMEROD, préc., note 175, p. 38-39.
[205] A. ASHWORTH, préc., note 194, p. 100; voir aussi : S. EASTON et C. PIPER, préc., note 188, p. 23; D. ORMEROD, préc., note 175, p. 38-39.
[206] D. ORMEROD, préc., note 175, p. 39.
[207] S. EASTON et C. PIPER, préc., note 188, p. 69.
[208] D. ORMEROD, préc., note 175, p. 500-501.
[209] Id., p. 501.
[210] Criminal Justice Act (2003), c. 44, Schedule 21, ss. 4-5; D. ORMEROD, préc., note 175, p. 501.
[211] Roozbeh (Rudy) B. BAKER, Proportionality in the Criminal Law : The Differing American versus Canadian Approaches to Punishment, 39 U. Miami Inter-Am. L. Rev. 483 (2008), p. 484-485.
[212] Jamie CAMERON, The Death Penalty, Mandatory Prison Sentences, and the Eight Amendment’s Rule against Cruel and Unusual Punishments, Osgoode Hall Law Journal 39 (2001), p. 430.
[213] Marc MAUER et Ashley NELLIS, The Impact of Life Imprisonment on Criminal Justice Reform in the United States. Life Imprisonment and Human Rights, Bloomsbury Collection, Oxford : Hart Publishing, 2016, p. 24-26.
[214] Roy WALMSLEY, World Prison Population List, (11ième édition).
[215] M. MAUER et A. NELLIS, préc., note 213, p. 24.
[216] Dirk VAN ZYL SMIT, Catherine APPLETON et Georgie BENFORD, Life Imprisonment and Human Rights, Bloomsbury Collection, Oxford : Hart Publishing, 2016, p. 5-6.
[217] M. MAUER et A. NELLIS, préc., note 213, p. 28.
[218] Id., p. 28-29.
[219] M. HAMILTON, préc., note 188, p. 92-103.
[220] Nancy GERTNER, Miller v. Alabama : What It Is, What It May Be, and What It Is Not, 78 Mo. L. Rev. (2013), p. 330.
[221] J. CAMERON, préc., note 212, p. 430.
[222] Solem v. Helm, 463 U.S. 277 (1983).
[223] Id.
[224] 501 U.S. 957 (1991).
[225] William W. III BERRY, Unusual Deference, 70 Fla. L. Rev. 315 (2018), p. 317-318.
[226] Ewing v. California, 538 U.S. 11 (2003), p. 24-25 et 30-31; voir aussi : N. GERTNER, préc., note 220, p. 1044-1045.
[227] Graham v. Florida, 560 U.S. 48 (2010).
[228] Miller v. Alabama, 567 U.S. 460 (2012).
[229] John F. STANTON, Avoiding and Appealing Excessive Sentences, 40 Litig. 46 (2014), p. 48.
[230] R.B. BAKER, préc., note 211, p. 493.
[231] Id., p. 501.
[232] J. CAMERON, préc., note 212, p. 434.
[233] C. C. RUBY, préc, note 182, p.3; R.P. SAUNDERS, Criminal Law in Canada : an Introduction to the Theoretical, Social and Legal Contexts, 5e éd., Thomson Reuters Canada, 2016, p. 115.
[234] R.P. SAUNDERS, préc., note 233, p. 115.
[235] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 4-5; A. MANSON, P. HEALY, G. TROTTER et al, préc., note 187, p. 8.
[236] Don STUART, Canadian Criminal Law, 7e éd., Montréal, Thomson Reuters Canada, 2014, p. 64; Kent ROACH, Criminal Law, 6e éd., Irwin Law inc., 2015, p. 483.
[237] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 79; D. STUART, préc., note 236, p. 64.
[238] R. c. Nasogaluak, préc., note 179.
[239] Id, par. 43.
[240] Id..
[241] R. c. Rioux, 2006 QCCQ 4711, par. 24; R. c. Rodrigue, [1993] J.Q. no 1666 (C.A.Q.), par. 16.
[242] R.P. SAUNDERS, préc., note 233, p. 117.
[243] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 63; R. c. Nasogaluak, préc., note 179, par. 43-44; R. c. Ipeelee, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 38.
[244] R. c. Boutilier, [2017] A.C.S. no 64, par. 56.
[245] Id., par. 61-63.
[246] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 79.
[247] Id., par. 80.
[248] Id., par. 82.
[249] K. ROACH, préc., note 236, p. 483.
[250] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 6; F. DADOUR, préc., note 187, p.6.
[251] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 81; F. DADOUR, préc., note 187, p.5; A. ASHWORTH, préc., note 194, p. 88.
[252] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 81.
[253] R. c. Mulvahill and Snelgrove, (1993) 21 B.C.A.C. 296, p. 300.
[254] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 82.
[255] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 8.
[256] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 28; C. C. RUBY, préc., note 182, p. 7-8.
[257] A. ASHWORTH, préc., note 194, p. 78-79.
[258] R. c. B.W.P., [2006] 1 R.C.S. 941, par. 2; voir aussi : H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 29-30, 33-34; K. ROACH, préc., note 236, p. 484-485; C. C. RUBY, préc., note 182, p. 9-10, 12, 14.
[259] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 11.
[260] Id., p. 14.
[261] A. ASHWORTH, préc., note 194, p. 81.
[262] Id., p. 82.
[263] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 16.
[264] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 34-35.
[265] K. ROACH, préc., note 236, p. 486.
[266] R. c. Lacasse, [2015] A.C.S. no 64, par. 4.
[267] A. ASHWORTH, préc., note 194, p. 86.
[268] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 39.
[269] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 18.
[270] R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309.
[271] Id., par. 26; R. c. Ramsurrun, [2017] J.Q. no 17816 (C.S.Q.), par. 170.
[272] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 40; R. c. Ipeelee, préc., note 243, par. 36; D. STUART, préc., note 236, p. 67-68 et 70; H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 46; C. C. RUBY, préc., note 182, p. 27; F. DADOUR, préc., note 187, p. 17; K. ROACH, préc., note 236, p. 81; A. ASHWORTH, préc., note 194, p. 88.
[273] D. STUART, préc., note 236, p. 68.
[274] Voir notamment : Regina v. Wilmott, [1966] O.J. No 1031, par. 12.
[275] R. c. Nasogaluak, préc., note 179, p. 41.
[276] Id., p. 42; D. STUART, préc., note 236, p. 68; J. V. ROBERTS et D.P. COLE, préc., note 172, p. 10; H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 47-48; K. ROACH, préc., note 236, p. 481-482.
[277] R. c. Lacasse, préc., note 266, par. 3.
[278] R. c. Ipeelee, préc., note 243, par. 37; voir aussi R. c. Pham, [2013] 1 R.C.S. 739, par. 6-8.
[279] R. c. Ipeelee, préc., note 243, par. 78-79; voir aussi: R. v. L.M., [2008] 2 R.C.S. 163, par. 64-65; R. c. Lacasse, préc., note 266, par. 54-55; H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 163-164; C. C. RUBY, préc., note 182, p. 42 et 45.
[280] R. v. L.M., préc., note 279, par. 17.
[281] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 349; R. v. Klaus, [2018] A.J. No. 179 (Alta.Q.B.), par. 12-13; R. c. Ramsurrun, préc., note 271, par. 161; R. c. Vuozzo, 2015 PESC 14, par. 16; R. c. Gravelle, [2000] R.J.Q. 2467 (C.A.Q.), par. 18; R. c. Pichette, J.E. 2003-289 (C.A.Q.), par. 20-21; Beaulieu c. R., 2007 QCCA 403, par. 13; R. v. Taylor, [2010] M.J. No. 355 (Man. C.A.), par. 12.
[282] R. c. Aoun, 2008 QCCA 440, par. 20; R. v. Taylor, préc., note 281, par. 15; R. v. Keough, [2011] A.J. No. 531 (Alta. Q.B.), par. 51; Courtois c. R., 2013 QCCA 2100, par. 12.
[283] R. c. Mantha, [2001] J.Q. No. 1712 (C.A.Q.), par. 151.
[284] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 42; Lebreux c. R., 2014 QCCA 1496, par. 13; H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 167-169.
[285] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 54; R. c. Hudon-Barbeau, [2018] J.Q. no 1665 (C.S.Q.), par. 173; H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 167-169; F. DADOUR, préc., note 187, p. 19-20.
[286] R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948; voir aussi : Beaulieu c. R., préc., note 281, par. 14; R. v. Wozny, [2010] M.J. No. 384 (Man. C.A.), par. 47; Courtois c. R., préc., note 282, par. 12; Lavigne c. R., 2014 QCCA 1373, par. 9.
[287] Postiglione (1997), 189 C.L.R. 295 (H.C.A.), p. 340-341; R. v. Vuozzo, préc., note 281, par. 44.
[288] C. C. RUBY, préc., note 182, p.58.
[289] R. c. Bélanger, [1992] J.Q. no 1889 (C.A.Q.), p. 6; voir aussi : R. v. Sharpe, [2017] M.J. No. 22 (Man.Q.B.), par. 6 - où le juge mentionne : « it is not disputed by counsel that this section can apply in situations where murders are committed concurrent to each other ».
[290] R. v. Maroti, [2010] M.J. No. 172 (Man. C.A.), par.23.
[291] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 42; voir aussi : R. v. Reader, [2008] M.J. No. 120 (Man. C.A.), par. 25-28.
[292] R. v. Baumgartner, [2013] A.J. No. 1497 (Alta.Q.B.), par. 42; voir aussi : R. v. Granados-Arana, [2017] O.J. No. 5964 (Ont.Sup.Ct.).
[293] R. c. L.M., préc., note 279, par. 17.
[294] S.C. 1958, c.38.
[295] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 57 et 62.
[296] R. c. Ramsurrun, préc., note 271, par. 104-105.
[297] R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595, par. 85.
[298] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 359-360.
[299] R. v. Koopmans, [2015] B.C.J. No. 2484 (B.C.S.C.), par. 110; R. c. Ramsurrun, préc., note 271, par. 110; R. v. Klaus, préc., note 281, par. 19-20.
[300] Robin MACKAY, Résumé législatif du Projet de Loi C-48 : Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale en conséquence (Loi protégeant les canadiens en mettant fin aux peines à rabais en cas de meurtres multiples), 24 novembre 2010, p. 8.
[301] S. RUBENFELD et M.C. SHANAHAN SOMERVILLE, préc., note 197.
[302] R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633, par. 12; R. c. Arkell, [1990] 2 R.C.S. 695, par. 10.
[303] Art. 235 C.cr.
[304] Art. 745 a) C.cr.
[305] Art. 745 c) C.cr.
[306] Art. 231(2) C.cr.; R. v. Baumgartner, préc., note 292, par. 20-21.
[307] R. c. Luxton, [1990] 2 R.C.S. 711, par. 12.
[308] Art. 745.6(1) a.1) C.cr.; Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale en conséquence, L.C. 2011, c. 2.
[309] F. DADOUR, préc., note 187, p. 167; C. C. RUBY, préc., note 182, p. 647-650.
[310] R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227, par. 23.
[311] Id., par. 26-27.
[312] R. v. Hawkins, [2011] N.S.J. no. 33, par. 16 et 53.
[313] Id., par. 40.
[314] Commission nationale des libérations conditionnelles, Aperçu statistique sur les délinquants purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre, Ottawa, novembre 2002, p. 14-15.
[315] SC 1960-1961, c. 44.
[316] Loi modifiant le droit pénal (peine capitale), SC 1973-1974, c. 38.
[317] R. v. Millard, [2018] O.J. No. 1036 (Ont.Sup.Ct.), par. 3-4 et 25; R. v. Klaus, préc., note 281, par. 14, 26-27.
[318] Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale en conséquence, préc., note 308.
[319] (2011) 145 Gaz.Can.II, 2849.
[320] Débats (Hansard) no 96 - 15 novembre 2010 (40-3) Chambre des communes du Canada, p. 1350.
[321] Id., p. 1355.
[322] Id., p. 1520.
[323] Id., p. 1525.
[324] Id., p. 1010-1015; voir aussi : R. v. Granados-Arana, préc., note 292, par. 22.
[325] Débats (Hansard) no 96, préc., note 320, p. 1020.
[326] Id.
[327] Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et consitutionnelles, Fascicule 22 - Témoignages du 2 mars 2011.
[328] R. v. Klaus, préc., note 281, par. 27.
[329] Id.; R. c. Ramsurrun, préc., note 271, par. 189.
[330] R. v. Koopmans, préc., note 299, par. 82-84; R. v. W.G.C., [2015] A.J. No. 461 (Alta.Q.B.), par. 34 et 39; R. v. Ramsurrun, préc., note 271, par. 166.
[331] R. v. Klaus, préc., note 281, par.115.
[332] R. v. Koopmans, préc., note 299, par. 96.
[333] R. c. Zinck, préc., note 176, par. 33.
[334] R. v. Klaus, préc., note 281, par. 35; R. v. Granados-Arana, préc., note 292, par. 37; R. c. Zinck, préc., note 176, par. 31.
[335] R. v. Granados-Arana, préc., note 292, par. 58 et 73.
[336] Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, par. 48.
[337] Henri BRUN, Guy TREMBLAY, Eugenie BROUILLET, Droit constitutionnel, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 181.
[338] Phillips c. Nouvelle-Écosse (Enquête Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, par. 6.
[339] H. BRUN, G. TREMBLAY, E. BROUILLET, préc., note 337, p. 189.
[340] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 48.
[341] Id., p. 49.
[342] R. c. Paquette, [2007] R.J.Q. 2074 (C.Q.), par. 42.
[343] Art. 724(3)e) C.cr.
[344] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p.79.
[345] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 241.
[346] Id., p. 258-259.
[347] R. v. Thompson, [1974] O.J. No. 821 (Ont.C.A.), par. 9; voir aussi : R. v. Kelly, [1994] A.J. No. 391 (Alta.C.A.), par. 18.
[348] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 145.
[349] Pièce S-11, p. 1.
[350] Pièce S-9.
[351] Pièce S-24, p. 55.
[352] R. c. Wells, [2000] 1 R.C.S. 207, par. 10; R. v. Brown, [2006] O.J. No. 2211 (Ont.C.A.), par. 4.
[353] R. c. R.A.R., [2000] 1 R.C.S. 163, par. 31; S.D. c. R., [2003] J.Q. No. 8532 (C.A.Q.), par. 26.
[354] F. DADOUR, préc., note 187, p. 84; H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 85.
[355] R. c. Nasogaluak, préc., note 179, par. 40.
[356] R. v. Gray, [2013] A.J. No. 705 (Alta.C.A.), par. 17.
[357] [2011] B.C.J. No. 964, par. 27; voir aussi : R. v. Ingram, [1977] O.J. No. 531 (Ont.Sup.Ct.), par. 8.
[358] R. v. Demers, [2006] A.J. No. 1204 (Alta.P.Ct.), par. 94-99.
[359] R. c. Lacasse, préc., note 266, par. 85.
[360] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 76.
[361] Article 724(3)d) C.cr.
[362] F. DADOUR, préc., note 187, p. 93.
[363] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 312-313.
[364] R. c. Lacasse, préc., note 266, par. 81.
[365] R. v. Barrett, [2013] Q.J. No. 9330, par. 18-21.
[366] Art. 606(1.1) C.cr.
[367] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 272.
[368] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 138-140.
[369] Antonacci c. R., 2015 QCCA 176, par. 11.
[370] Antonelli c. R., 2008 QCCA 1573.
[371] Id., par. 47; voir aussi : R. v. Belcourt, [2010] A.J. No. 1221 (Alta.C.A.), par. 8; C. C. RUBY, préc., note 182, p. 336.
[372] F. DADOUR, préc., note 187, p. 104.
[373] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 102.
[374] Id., p. 105.
[375] F. DADOUR, préc., note 187, p. 98.
[376] Pièce S-29, p. 5.
[377] Gilles RENAUD, Principes de la détermination de la peine, 2004, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 173.
[378] [2001] J.Q. No. 5626 (C.A.Q.), par. 10.
[379] R. v. Arbuthnot, [2009] M.J. No. 363 (Man. C.A.), par. 10.
[380] R. c. Latimer, [1997] 1 R.C.S. 217, par. 86.
[381] R. c. Bergeron, 2016 QCCA 339, par. 31; voir aussi : R. c. J.L., [1998] J.Q. 755 (C.A.Q.), par. 29.
[382] R. c. Nur, [2015] 1 R.C.S. 773, par. 1 et 6; R. c. Colangelo, 2017 QCCA 195, par. 29.
[383] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 58-59.
[384] R. c. Baumgartner, préc., note 292, par. 79-80; R. c. Hudon-Barbeau, préc., note 285, par. 167.
[385] H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 58-61; F. DADOUR, préc., note 187, p. 72.
[386] R. v. Klaus, préc., note 281, par. 80-81.
[387] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 337.
[388] R. c. Baumgartner, préc., note 292, par. 84.
[389] R. v. Klaus, préc., note 281, par. 76.
[390] R. c. Luxton, préc. note 307, par. 10 et 12.
[391] R. v. Klaus, préc., note 281, par. 83.
[392] R. c. Baumgartner, préc., note 292, par. 86.
[393] R. v. Vuozzo, préc., note 281, par. 76-77; R. v. Klaus, préc., note 281, par. 91.
[394] R. v. Klaus, préc., note 281, par. 93-94, 134; Derek SPENCER, The Hope Principle? Exploring an Unwritten Principle of Sentencing Law, (2018) 65 C.L.Q. 415, p. 433-434.
[395] Roy c. R., 2010 QCCA 16, par. 63-64.
[396] O’Keefe c. R., 2016 QCCA 1541, par. 33.
[397] R. c. Ipeelee, préc., note 243, par. 38.
[398] Thimothée c. R., 2012 QCCA 802, par. 8.
[399] R. c. Ramsurrun, préc., note 271, par. 155-156.
[400] R. v. Baumgartner, préc., note 292.
[401] Id., par. 23.
[402] Id., par. 5-6.
[403] R. c. Bourque, [2014] N.B.J. No. 295 (N.B.Q.B.).
[404] Id., par. 26.
[405] R. v. Klaus, préc., note 281, par. 62.
[406] R. v. Husbands, [2015] O.J. 2674 (Ont.Sup.Ct.J.).
[407] R. c. Vuozzo, préc., note 281.
[408] Id., par. 68.
[409] R. v. W.G.C., préc., note 330.
[410] R. v. Bains, [2015] B.C.J. No. 2515 (B.C.S.C.).
[411] R. v. Koopmans, préc. note 299.
[412] R. v. Ostamas, [2016] M.J. No. 197 (Man.QB).
[413] Id., par. 8-31.
[414] Id., par. 38.
[415] R. v. Klaus, préc., note 281, par. 62.
[416] R. v. Rushton, [2016] N.S.J. No. 463 (N.S.S.C.).
[417] R. v. Sharpe, préc., note 289.
[418] R. v. Garland, [2017] A.J. No. 853 (Alta.Q.B.).
[419] Id., par. 34.
[420] R. v. Klaus, préc., note 281, par. 62.
[421] R. v. Saretzky, [2017] A.J. No. 831 (Alta.Q.B.).
[422] Id., par. 48.
[423] R. c. Ramsurrun, préc., note 271.
[424] Id., par. 77.
[425] R. v. Borutski, [2017] O.J. No. 6876 (Ont.Sup.Ct.J.).
[426] R. v. Klaus, préc., note 281.
[427] Id., par. 111.
[428] Id., par. 115.
[429] R. v. Millard, préc., note 317.
[430] R. c. Hudon-Barbeau, préc., note 285.
[431] Id., par. 180.
[432] Id., par. 305 et 307
[433] R. v. Granados-Arana, 2018 ONSC 1756.
[434] Id., par. 58.
[435] R. v. Kionke, [2018] M.J. No. 123 (Man.Q.B.).
[436] R. v. Zekarias, [2018] O.J. No. 6827 (Ont.Sup.Ct.J.).
[437] R. v. Marki, [2018] O.J. No. 4825 (Ont.Sup.Ct.J.).
[438] R. v. Brass, [2018] M.J. No. 339 (Man.Q.B.).
[439] Id., par. 59, 60 et 62.
[440] R. v. Delorme, [2018] A.J. No. 1572 (Alta.Q.B.).
[441] R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688.
[442] R. c. Ipeelee, préc., note 243.
[443] R. v. Delorme, préc., note 440, par. 94.
[444] 2018 ONSC 7578.
[445] R. c. Nasogaluak, préc., note 179, par. 41.
[446] Id.
[447] Id.
[448] Id., par. 42.
[449] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 42; Desjardins c. R., [2015] J.Q. No. 11496 (C.A.Q.), par. 28 et 30; J.V. c. R., [2014] J.Q. no 10845 (C.A.Q.), par. 28-29.
[450] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 73.
[451] Id., par. 74; voir aussi : D. SPENCER, préc., note 394, p. 435.
[452] R. v. Johnson, [2012] O.J. No 2255, par. 26, 28, 30-32.
[453] Desjardins c. R., préc., note 449, par. 33-36.
[454] R. c. Millard, préc., note 317, par. 38-39.
[455] R.P. SAUNDERS, préc., note 233, p. 101.
[456] H.BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 337, p. 925.
[457] Article 1, Charte canadienne des droits et libertés.
[458] H.BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 337, p. 946.
[459] Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, par. 85.
[460] H.BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 337, p. 954.
[461] [1984] 2 R.C.S. 145, par. 17-18.
[462] H.BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 337, p. 955.
[463] Id., p. 957.
[464] Id.
[465] Id., p. 958.
[466] Id., p. 960.
[467] R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045.
[468] Id., par. 54.
[469] Kindler c. Canada (Ministre de la justice), [1991] 2 R.C.S. 779, par. 83; Boudreault c. R., 2016 QCCA 1907, par. 122.
[470] R. c. Morrisey, [2000] 2 R.C.S. 90, par. 26; R. c. Ramsurrun, préc., note 271, par. 183.
[471] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 41; R. c. Nasogaluak, préc., note 179, par. 41; R. c. Ipeelee, préc., note 243, par. 36; R. c. Pham, préc., note 278, par. 6-8.
[472] R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485, par. 34; voir aussi : Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385, par. 80.
[473] R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, par. 45; Boudreault c. R., préc., note 469, par. 159 et 221.
[474] R. c. Nur, préc., note 382, par. 39.
[475] R. c. Lloyd, [2016] A.C.S. no 13, par. 24; voir aussi : R. c. Goltz, préc., note 472, par. 24; R. c. Ferguson, [2008] A.C.S. no 6, par. 14.
[476] R. c. Smith, préc., note 467, par. 55, R. c. Boutilier, préc., note 244, par. 52, R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 41.
[477] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 39 et 388; H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 180, p. 340-342; Ogiamien v. Ontario (Community Safety and Correctional Services), 2017 ONCA 667, par. 8-9; R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761, par. 108; R. v. Charles, [2013] O.J. No 5115 (Ont.C.A.), par. 38; R. v. Schultz, 2008 ABQB 679, par. 26; R. v. Smickle, 2012 ONSC 602, par. 37.
[478] R. c. Lyons, préc., note 270, par. 56.
[479] R. c. Lloyd, préc., note 475, par. 45.
[480] R. c. Guiller, (1985) 48 C.R. (3d) 226 (Ont.Dist.Ct.), p. 238; R. c. Lloyd, préc., note 475, par. 45; voir aussi : R. c. Goltz, préc., note 472, par. 30.
[481] R. v. McDonald, [1998] O.J. No 2990 (Ont.C.A.), par. 68.
[482] R. v. Stewart, [2010] B.C.J. No 528 (B.C.C.A.), par. 22.
[483] R. c. Boudreault, préc., note 473, par. 45; Boudreault c. R., préc., note 469, par. 157.
[484] R. c. Boudreault, préc., note 473, par. 38.
[485] R. c. K.R.J., [2016] 1 R.C.S. 906.
[486] Id., par. 41.
[487] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 63.
[488] R. v. Baumgartner, préc., note 292, par. 35; R. v. Hawkins, préc., note 312, par. 16 et 46; R. v. Bains, préc., note 410, par. 88; R. v. Millard, préc., note 317, par. 28; R. c. Hudon-Barbeau, préc., note 285, par. 175; R. v. Klaus, préc., note 281, par. 23; voir aussi : B.L. BERGER, préc., note 174, p. 8.
[489] R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, par. 21.
[490] R. c. Nur, préc., note 382.
[491] Id., par. 44.
[492] Id., par. 46; voir aussi : R. c. Smith, préc., note 467, par. 55; R. c. Goltz, préc., note 472, par. 41-42; R. c. Brown, [1994] 3 R.C.S. 749, par. 1-3; C. C. RUBY, préc. note 182, p. 388.
[493] R. c. Boudreault, préc., note 473, par. 56.
[494] R. c. Nur, préc., note 382, par. 58; R. c. Smith, préc., note 467, par. 53.
[495] R. c. Nur, préc., note 382, par. 58 et 77; R. c. Lloyd, préc., note 475, par. 22; R. c. Boutilier, préc., note 244, par. 50.
[496] R. c. Morissey, préc., note 470, par. 45; R. c. Smith, préc., note 467, par. 55.
[497] R. c. Wiles, [2005] 3 R.C.S. 895, par. 5; voir aussi : R. c. Goltz, préc., note 472, par. 25 et 37; R. c. Charles, préc., note 477, par. 52; R. c. Morrisey, préc., note 470, par. 27-29..
[498] R. c. Goltz, préc., note 472, par. 27; R. c. Charles, préc., note 477, par. 52; R. c. Boutilier, préc., note 244, par. 52; R. c. Boudreault, préc., note 473, par. 48.
[499] R. c. Goltz, préc., note 472, par. 29.
[500] R. c. Smith, préc., note 467, par. 54; R. c. Perry, 2013 QCCA 212, par. 89.
[501] R. v. Husbands, préc., note 406.
[502] R. v. Granados-Arana, préc., note 292.
[503] Id., par. 40-41.
[504] R. v. Millard, préc., note 317, par. 38.
[505] R. v. Klaus, préc., note 281, par. 29-32.
[506] Délibérations du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, 40e législature, numéro 39, Témoignages du 30 novembre 2010, p. 1600-1605.
[507] Délibérations du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, 40e législature, numéro 42, Témoignages du 9 décembre 2010, p. 1635.
[508] Id., p. 1645.
[509] Id., p. 1655.
[510] Débats (Hansard) no 121 - 1er février 2011 (40-3) Chambre des Communes du Canada, p. 1010 et 1025.
[511] Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, Fascicule 22 - Témoignages du 2 mars 2011.
[512] R. c. Lacasse, préc., note 266, par. 3.
[513] R. c. Ramsurrun, préc., note 271, par. 148.
[514] Id., par. 150-151.
[515] R. c. Hudon-Barbeau, préc., note 285, par. 166.
[516] Statistique Canada, en ligne : <https:/ /www.statcan.gc.ca/pub/89-645-x/2010001/life-expectancy-esperance-vie-fra.htm>, p. 1.
[517] R. v. Sinclair, [1972] O.J. No. 345 (Ont.C.A.), par. 3.
[518] Voir le paragraphe [462] du présent jugement.
[519] R. c. Wiles, préc., note 497.
[520] R. c. Luxton, préc., note 307, par. 12.
[521] Argumentaire écrit de la Mise en cause, p. 36, par. 125.
[522] Id., p. 37, par. 130.
[523] R. c. Lloyd, préc., note 475, par. 36.
[524] Id.
[525] Argumentaire écrit de la Mise en cause, p. 36, par. 130.
[526] R. c. Safarzadeh-Markhali, [2016] A.C.S. no 14, par. 71; R. c. Boutilier, préc., note 244, par. 52.
[527] Hubert REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015.
[528] R. v. L.M., préc., note 279.
[529] Id., par. 17.
[530] Argumentaire écrit de la Mise en cause, p. 38, par. 33.
[531] R. v. Sinclair, préc., note 517, par. 3; R. v. Cadeddu, [1980] O.J. No. 1566 (Ont.C.A.), par. 3-4 et 8; Cooney v. R., [1981] Q.J. No. 380 (C.A.Q.), par. 9.
[532] R. c. Boudreault, préc., note 473, par. 79.
[533] Argumentaire de la Mise en cause, p. 28, par. 95.
[534] Steele c. Établissement Mountain, préc., note 472, par. 58; R. c. Lyons, préc., note 270, par. 48-49.
[535] Steele c. Établissement Mountain, préc., note 472, par. 58.
[536] R. v. Klaus, préc., note 281, par. 87-88.
[537] R. c. Boutilier, préc., note 244, par. 34.
[538] Art. 718 c) C.cr.; R. c. Boutilier, préc., note 244, par. 33.
[539] R. c. Boutilier, préc., note 244, par. 35.
[540] Id., par. 46.
[541] R. c. Lloyd, préc., note 475, par. 2.
[542] R. v. Husbands, [2015] O.J. No. 2673 (Ont.Sup.Ct.).
[543] Id., par. 3.
[544] Id. par. 7-8.
[545] Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], No 66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH, 2013.
[546] R. v. Granados-Arana, préc., note 292.
[547] Id., par. 45-46.
[548] Id., par. 51.
[549] Id.
[550] Harmelin v. Michigan, préc., note 224.
[551] Id., p. 501.
[552] Kindler c. Canada (Ministre de la justice), préc., note 469, par. 91.
[553] Id., par. 168.
[554] 2002 CSC 1.
[555] Id., par. 53.
[556] R. v. Granados-Arana, préc., note 292, par. 87.
[557] [GC], no 21906/04, CEDH, 2008.
[558] Id., par. 97.
[559] Id., par. 98.
[560] Id., par. 100.
[561] Id., par. 102.
[562] Id., par. 103.
[563] Id., par. 104.
[564] Id., par. 2 (dissidence).
[565] Id., par. 3 (dissidence).
[566] Id., par. 6 (dissidence).
[567] Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], préc., note 545.
[568] Derek SPENCER, Hope for Murderers? International Guidance on Interpreting the Protecting Canadians by Ending Sentence Discounts for Multiple Murders Act, (2017) 22 Can. Crim. L. R., p. 12.
[569] Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], préc., note 545, par. 65.
[570] Id., par. 68.
[571] Id., par. 69.
[572] Id., par. 106.
[573] Id., par. 110.
[574] Id., par. 111-112.
[575] Id., par. 113.
[576] Id., par. 114.
[577] Id., par. 119.
[578] Id., par. 120.
[579] Id., par. 121.
[580] Id., par. 122.
[581] [GC] Requête no 140/10 CEDH (2014).
[582] Id., par. 137.
[583] Bodein c. France, [GC] Requête no 40014/10 CEDH (2014), par. 20-24.
[584] Id., par. 56.
[585] Id., par. 60.
[586] Id., par. 61-62.
[587] [2014] EWCA 188.
[588] R. v. Granados-Arana, préc., note 292, par. 110.
[589] [GC] Requête no 10511/10, CEDH (2016).
[590] Id., par. 99.
[591] Id., par. 100.
[592] Id.
[593] Id., par. 21.
[594] Hutchinson c. Royaume-Uni, [GC] No 57592/08 CEDH (2017).
[595] Id., par. 39.
[596] Id., par. 40.
[597] Id., par. 42.
[598] Id., par. 44.
[599] Id., par. 45.
[600] Id., par. 70.
[601] Id., par. 72.
[602] R. c. Advance Cutting & Coring Ltd., [2001] 3 R.C.S. 209, par. 68; Lavigne c. Syndicat des employés de la Fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, par. 81-82.
[603] H.BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 337, p. 959-960.
[604] D. SPENCER, préc., note 568, p. 6-7.
[605] Id., p. 17.
[606] Ces statistiques ont été compilées à même le tableau final de l’ouvrage Cruel and Unusual-U.S. Sentencing Practices in a Global Context (2012); voir : Center for Law and Global Justice (University of San Francisco), Cruel and Unusual-U.S. Sentencing Practices in a Global Context (2012), p. 74-90.
[607] R. v. Granados-Arana, préc., note 292, par. 115.
[608] 2016 CF 495.
[609] Id., par. 25.
[610] COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA, Directives ministérielles sur la prérogative royale de clémence, 31 octobre 2014, p. 2 et 3; GOUVERNEMENT DU CANADA, Qu’est-ce que l’exercice de la clémence (prérogative royale de clémence?), p. 1.
[611] COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA, Directives ministérielles sur la prérogative royale de clémence, 31 octobre 2014, p. 3 à 5; GOUVERNEMENT DU CANADA, Comment les demandes de clémence sont-elles examinées?, 22 septembre 2016, p. 1 à 3.
[612] COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA, Directives ministérielles sur la prérogative royale de clémence, 31 octobre 2014, p. 6; voir aussi : GOUVERNEMENT DU CANADA, Prérogative royale de clémence, 22 septembre 2016, p. 2; COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA, Annexe A - Recours en vertu de la prérogative royale de clémence (PRC), p. 2.
[613] GOUVERNEMENT DU CANADA, Qu’est-ce que l’exercice de la clémence (prérogative royale de clémence?), p. 1.
[614] R. v. Granados-Arana, préc., note 292, par. 125.
[615] COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES, Division de la mesure du rendement, Rapport de surveillance du rendement 2001-2002, juillet 2002, p. 166 et 167.
[616] De 2003 à 2011, seulement 7 des 231 demandes furent accueillies (3,03 %).
[617] R. v. Klaus, préc., note 281, par. 95.
[618] R. v. Granados-Arana, préc., note 292, par. 51.
[619] Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350, par. 98 : la Cour réfère à l’affaire Soering de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt du 7 juillet 1989, série A, no 161, par. 111).
[620] R. v. Granados-Arana, préc., note 292, par. 51.
[621] Id., par. 140.
[622] R. c. Boudreault, préc., note 473, par. 55.
[623] R. c. Nur, préc., note 382, par. 62.
[624] Id., par. 61.
[625] Id., par. 72; voir aussi : R. v. J.L.M., 2017 BCCA 258, par. 61 (Demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 22 mars 2018, no 37797).
[626] 2016 BCCA 332, par. 17.
[627] R. c. Ford, 2017 ABQB 322, par. 73.
[628] R. c. Badali, 2016 ONSC 788 (Appel sur la déclaration de culpabilité et sur la peine rejetée : 2016 ONCA 686); R. v. Al-Isawi, 2017 BCCA 163, par. 71-72; R. v. Elliott, 2017 BCCA 214, par. 68.
[629] R. c. Badali, préc., note 628, par. 66-68.
[630] R. c. Nur, préc., note 382, par. 76; R. c. Goltz, préc., note 472, par. 69; R. c. Boudreault, préc., note 473, par. 46; C. C. RUBY, préc., note 182, p. 389.
[631] R. c. Nur, préc., note 382, par. 62.
[632] C. C. RUBY, préc., note 182, p. 397.
[633] R. v. Ostamas, préc., note 412, par. 1 et 43.
[634] Canada (Procureur général) c. Bedford, [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 96.
[635] Id., par. 95.
[636] H.BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 337, p. 960.
[637] Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, [2015] 1 R.C.S. 401, par. 84.
[638] Id., par. 87
[639] R. c. D.B., [2008] 2 R.C.S. 3, par. 46; voir aussi : Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 791, par. 208-209; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, par. 8; Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, par. 14.
[640] Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), préc., note 639, par. 8.
[641] Id., par. 8 et 10.
[642] Id., par. 11.
[643] Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331, par. 55; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, préc., note 637, par. 69; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, par. 47.
[644] Canada (Procureur général) c. Bedford, préc., note 634, par. 75-76.
[645] Carter c. Canada (Procureur général), préc., note 643, par. 64; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, p. 56; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), préc., note 643, par. 55-57.
[646] Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada, Examen triennal des suicides de détenus sous responsabilité fédérale (2011-2014). Rapport final, 10 sept. 2014, p. 3.
[647] Id., p. 6.
[648] Id., p. 7.
[649] Id., p. 6.
[650] Id., p. 8.
[651] Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, préc., note 637, par. 69; R. c. D.B., préc., note 639, par. 37; R. c. Smith, [2015] 2 R.C.S. 602, par. 21.
[652] Carter c. Canada (Procureur général), préc., note 643, par. 72.
[653] Canada (Procureur général) c. Bedford, préc., note 634, par. 121 et 123; Carter c. Canada (Procureur général), préc., note 643, par. 79-80.
[654] Canada (Procureur général) c. Bedford, préc., note 634, par. 111; voir aussi : D. STUART, préc., note 236, p. 70.
[655] Carter c. Canada (Procureur général), préc., note 643, par. 83; voir aussi : R. c. Smith, préc., note 467, par. 23.
[656] R. c. Smith, préc., note 467, par. 25-27.
[657] Argumentaire écrit de la Mise en cause, p. 15, par. 43; voir aussi : Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473, par. 52-53.
[658] R. c. Safarzadeh-Markhali, préc., note 526, par. 50; R. c. Boutilier, préc., note 244, par. 34.
[659] Carter c. Canada (Procureur général), préc., note 643, par. 85.
[660] R. c. Khawaja, [2012] 3 R.C.S. 555, par. 40.
[661] Canada (Procureur général) c. Bedford, préc., note 634, par. 107.
[662] R. c. Khawaja, préc., note 660, par. 40; Canada (Procureur général) c. Bedford, préc., note 634, par. 107.
[663] Canada (Procureur général) c. Bedford, préc., note 634, par. 101.
[664] Id., par. 112.
[665] R. c. Khawaja, préc., note 660, par. 37.
[666] Argumentaire écrit du Requérant, p. 33, par. 140.
[667] Id., p. 33, par. 141.
[668] Id., p. 33, par. 142.
[669] Argumentaire écrit de la Mise en cause, p. 17-18, par. 50-54.
[670] Statistique Canada, en ligne : <https://www.statcan.gc.ca/pub/89-645-x/2010001/life-expectancy-esperance-vie-fra.htm>, p. 1.
[671] COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES, Aperçu statistique sur les délinquants purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre, Ottawa, novembre 2002.
[672] R. c. M.(C.A.), préc., note 181, par. 74.
[673] Carter c. Canada (Procureur général), préc., note 643, par. 85.
[674] R. c. Khawaja, préc., note 660, par. 40; Carter c. Canada (Procureur général), préc., note 643, par. 89.
[675] R. c. Safarzadeh-Markhali, préc., note 526, par. 72.
[676] Argumentaire écrit du Requérant, p. 34, par. 145.
[677] Id., p. 34, par. 146.
[678] Id., p. 34-35, par. 147-149.
[679] D. SPENCER, préc., note 394.
[680] Id., p. 423.
[681] Id., p. 415.
[682] Id., p. 431.
[683] Id., p. 439.
[684] Id., p. 440.
[685] Derek SPENCER, préc., note 568., p. 207, 209.
[686] Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, préc., note 637, par. 87.
[687] R. c. Nasogaluak, préc., note 179.
[688] Id., par. 43.
[689] R. c. Lloyd, [2016] 1 R.C.S. 130.
[690] Id., par. 43.
[691] R. c. Safarzadeh-Markhali, préc., note 526, par. 71.
[692] Maintenant juge à la Cour du Québec.
[693] Christian BRUNELLE, La dignité dans la Charte des droits et libertés de la personne : de l’ubiquité à l’ambiguïté d’une notion fondamentale, (2006) Revue du Barreau du Québec, numéro thématique de la Revue du Barreau en marge du 30ième anniversaire de l’entrée en vigueur de la Charte des droits et libertés de la personne, p. 150.
[694] Id., p. 151.
[695] [1985] 2 R.C.S. 486.
[696] Id., par. 62.
[697] Affaire V.C. c. Slovaquie, Requête no 18968/07, Strasbourg, 8 février 2012, par. 105; voir aussi : Affaire Pretty c. Royaume-Uni, affaire no 2346/02, Strasbourg, 29 juillet 2002, par. 65.
[698] R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, par. 64.
[699] Kindler c. Canada (Ministre de la justice), préc., note 469, par. 76.
[700] Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), préc., note 643, par. 26.
[701] Id.
[702] Id., par. 74.
[703] R. c. Oakes, préc., note 698.
[704] Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), préc., note 643, par. 77; voir aussi : R. v. Lelas, [1990] O.J. No. 1587 (Ont.C.A.), par. 27; R. v. Ingram, [1977] O.J. No. 531 (Ont.C.A.), par. 8.
[705] Id., par. 77.
[706] Id., par. 78.
[707] Id., par. 97.
[708] Id., par. 187.
[709] Id., par. 74.
[710] Id., par. 97.
[711] Id., par. 80.
[712] [2004] 3 R.C.S. 698.
[713] Id., par. 22.
[714] R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, par. 63.
[715] Canada (Procureur général) c. Bedford, préc., note 634, par. 96.
[716] Kindler c. Canada (Ministre de la justice), préc., note 469, par. 76.
[717] Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), préc., note 639, par. 8.
[718] Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, préc., note 637, par. 84.
[719] R. c. Cawthorne, [2016] 1 R.C.S. 983, par. 26.
[720] R. c. D.B., préc., note 639, par. 69.
[721] C. BRUNELLE, préc., note 693, p. 150.
[722] Boudreault c. R., préc., note 469, par. 129.
[723] R. v. Brenton, [1999] N.W.T.J. No 113 (N.W.T.Sup.Ct.).
[724] Id., par. 76.
[725] Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519, par. 13.
[726] Préc., note 695.
[727] Swain c. R., [1991] 1 R.C.S. 933.
[728] R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761.
[729] [1999] 3 R.C.S. 46.
[730] R. v. Brenton, préc., note 723, par. 84; voir aussi : Canada (Procureur général) c. Bedford, préc., note 634, par. 129; R. c. Safarzadeh-Markhali, préc., note 526, par. 57; R. c. D.B., préc., note 639, par. 89.
[731] Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), préc., note 725, par. 18.
[732] R. c. Oakes, préc., note 698, par. 69.
[733] Id.
[734] Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), préc., note 725, par. 23.
[735] STATISTIQUE CANADA, L’homicide au Canada, 2016, Juristat, 22 novembre 2017, p. 3.
[736] Id., p. 10.
[737] Robin MACKAY, Résumé législatif du Projet de Loi C-48 : Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale en conséquence, 24 novembre 2010, p. 4.
[738] R. c. Oakes, préc., note 698, par. 70.
[739] RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 62-63.
[740] Id., par. 82.
[741] Canada (Procureur général) c. JTI-MacDonald Corp., [2007] 2 R.C.S. 610, par. 40.
[742] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 R.C.S 567, par. 48.
[743] R. v. Dunn, [1999] O.J. No. 5452 (Ont.Sup.Ct.), par. 46.
[744] RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), préc., note 739, par. 160
[745] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, préc., note 742, par. 55.
[746] Débats (Hansard) no 96 - 15 novembre 2010 (40-3) Chambre des communes du Canada, p. 1535.
[747] Comité permanent de la justice et des droits de la personne, no 40, 3e session, 40e législature, 2 décembre 2010.
[748] Comité permanent de la justice et des droits de la personne, no 42, 3e session, 40e législature, 9 décembre 2010.
[749] Débats (Hansard) no 121 - 1er février 2011 (40-3) Chambre des communes du Canada, p. 1035.
[750] Id., p. 1055,
[751] Id.
[752] Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, Fascicule 22 - Témoignages du 2 mars 2011, p. 10-11.
[753] R. c. Lloyd, préc., note 475, par. 49.
[754] R. c. Oakes, préc., note 698, par. 71.
[755] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, préc., note 742, par. 76.
[756] Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, par. 125.
[757] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, préc., note 742, par. 7.
[758] Id., par. 37.
[759] Canada (Procureur général) c. Hislop, [2007] 1 R.C.S. 429, par. 82.
[760] Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750, par. 13.
[761] Id., par. 14.
[762] Canada (Procureur général) c. Hislop, préc., note 759, par. 79 et 84; Robert J. SHARPE, Good Judgment, Making Judicial Decision, (2018) University of Toronto Press, p. 79.
[763] Canada (Procureur général) c. Hislop, préc., note 759, par. 85.
[764] R. SHARPE, préc., note 762, p. 79.
[765] R. c. Kang-Brown, [2008] A.C.S. no 18, par. 5-6; voir aussi : R. SHARPE, préc., note 762, p. 80.
[766] R. SHARPE, préc., note 762, p. 89-90.
[767] R. c. Kang-Brown, préc., note 765, par. 7.
[768] R.P. SAUNDERS, préc., note 233, p. 165.
[769] [1992] 2 R.C.S. 679.
[770] Id., par. 34.
[771] R. c. Boudreault, préc., note 473, par. 99-100.
[772] R. SHARPE, préc., note 762, p. 87.
[773] Id., p. 93.
[774] R. c. Ferguson, [2008] 1 R.C.S. 96.
[775] Id., par. 50.
[776] Id., par. 49.
[777] Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, par. 145.
[778] Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, préc., note 637.
[779] Id., par. 22, 62-63.
[780] Vriend c. Alberta, préc., note 777, par. 146.
[781] H.BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 337, p. 1007; voir aussi : R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, par. 114.
[782] Schachter c. Canada, préc., note 769, par. 85; voir aussi : Vriend c. Alberta, préc., note 777, par. 148 et 150; R. c. Ferguson, préc., note 774; Bleau et Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), [2002] J.Q. no 362 (C.A.Q.), par. 40.
[783] Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, préc., note 637, par. 65.
[784] R. c. Sharpe, préc., note 781, par. 111 et 114.
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