Décision

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Interrent Holdings Manager c. Khan

2024 QCTAL 29275

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No dossier:

756690 31 20240110 F

No demande:

4167075

RN :

 

4178085

 

Date :

13 septembre 2024

Devant la greffière spéciale :

Me Chantal Houde

 

Interrent Holdings Manager LP

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Anissa Khan

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         La locatrice a produit une demande de fixation de loyer conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec.

[2]         Les parties sont liées par un bail du 1er avril 2023 au 31 mai 2024, à un loyer mensuel de 889,00 $.

[3]         Considérant la connexité entre les demandes relatives à l’immeuble du [...] à Westmount, celles-ci ont été réunies afin de favoriser la tenue d’un processus efficace et ainsi être entendues et jugées sur la même preuve, conformément à l'article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement [1].

[4]         Le Tribunal rendra cependant une décision distincte pour chaque logement concerné.

[5]         La locatrice a fourni le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer, ainsi que certaines pièces justificatives et factures au soutien de ces renseignements.

[6]         Le Tribunal a autorisé la locatrice à produire après audience, les preuves de paiement des factures de la toiture de 245 241,68 $ et 336 301,87 $, ainsi que les contrats des locaux commerciaux de McDonald’s et Starbucks, au plus tard le 5 juillet 2024. Ces documents ont été déposés au greffe dans les délais et à la satisfaction du Tribunal.

[7]         À la lecture des baux commerciaux, les taxes sont à la charge des locataires. En conséquence, un montant de 8 502,69 $ par mois, correspondant aux taxes non résidentielles a été ajouté à la Section 4 du formulaire de fixation, totalisant des loyers de 35 861,69 $.

Comment les factures sont-elles mises en preuve?

[8]         Les locataires présents lors de l’audience contestent plusieurs factures soumises par la locatrice, entre autres, celle concernant la réfection du toit qu’ils jugent au double, voire au triple du prix du marché, selon eux.

[9]         Les factures doivent permettre de garantir une certaine fiabilité et indépendance. Elles sont habituellement émises dans le cadre d’une entreprise, permettant ainsi d’avoir les coordonnées et le détail des travaux effectués.

[10]     À cet égard, l’article 2870 du Code civil du Québec prévoit qu’une facture provenant d’une entreprise offre des garanties suffisamment sérieuses de fiabilité et peut être déposée en preuve même en l’absence de la personne qui l’a facturée.

[11]     En d’autres termes, les factures émises dans le cadre d’une entreprise font foi de leur contenu, nul n’est besoin d’en faire la preuve. Ces documents jouissent d’une présomption légale de véracité, tel qu’énoncé aux articles 2830 alinéa 2 et 2831 C.c.Q.

[12]     Comme le mentionne le juge administratif Grégor Des Rosiers dans une cause récente [2], le législateur reconnaît d’emblée l’admissibilité pièces justificatives et des factures.

[13]     Les contrats et factures peuvent être prouvées par la production de l'original ou d'une copie qui légalement en tient lieu, selon l'article 2860 du Code civil du Québec.

[14]     Sont au même effet les articles 75, 76 et 77 de la Loi sur le Tribunal administratif du Québec[3] qui permettent certains assouplissements à la règle de la meilleure preuve. La locatrice peut ainsi compléter sa preuve documentaire par son témoignage sous serment. Elle apporte ainsi toutes les explications pertinentes à l'appui de ses factures.

[15]     La bonne foi doit également gouverner la conduite des parties, conformément aux dispositions du Code civil du Québec prévues aux articles 6, 7 et 1375.

[16]     Comme l’indique les juges administratives en révision d’une décision dans la cause de Luca c. Gestion 9095 S.E.C. [4], le locataire dans sa contestation doit soumettre une contre preuve, et non seulement affirmer que les coûts sont trop élevés :

« [17] (…) Dans sa procédure de contestation par exemple, le locataire qualifie le locateur en ces termes ‘’Le propriétaire est libre d’assumer l’incompétence et les travaux mal exécutés’’, Le prix des matériaux utilisé est vachement exagéré pendant que leur qualité est la pire possible sur le marché’’ (paragr.7 d. et f.).

[18]   Le tribunal considère que ces affirmations reposent sur une perception personnelle du locataire qui n’a pas sa place ni d’impact sur la procédure en cause car elle fait l’objet d’aucune preuve probante.

[19]   Le tribunal siégeant en révision, exerce une juridiction exclusive basée sur les faits, la preuve et la Loi et la « démonstration » d’opinions personnelles comme celle du locataire ne peut être retenue, puisqu’il ne s’agit pas du forum approprié pour faire ce type de débat social. »

[17]     Finalement, le Tribunal souscrit aux propos de la greffière spéciale dans l’arrêt de Boivin c. Boucher [5], laquelle réaffirme que ce n’est pas parce qu’un locataire émet des doutes sur une facture ou un paiement, que le locateur doit alors prouver hors de tout doute que ceux-ci ont été payés. Son fardeau demeure celui de la prépondérance de la preuve.

[18]     La facture de la toiture indique toutes les coordonnées de l’entrepreneur, ainsi que son numéro de licence RBQ. La locatrice a également déposé la preuve des paiements par chèques.

[19]     En conclusion, le Tribunal est satisfait de la véracité des factures produites considérant que ces documents font foi de leur contenu, selon la présomption légale prévue au Code civil du Québec.

Qu’en est-il du droit de gérance du locateur?

[20]     Les locataires demandent à la locatrice si elle a pris la peine de soumissionner avec d’autres entrepreneurs en toiture, vu le prix qu’ils trouvent exagéré.

[21]     La locatrice allègue avoir demandé à 6 contracteurs différents de présenter leurs soumissions.

[22]     De façon générale, la locatrice est libre de choisir les travaux à effectuer et la manière dont ils sont exécutés sur son immeuble en vertu de son droit de propriété et de gérance. La juge administrative Francine Jodoin résume bien le droit applicable en l’instance dans l’affaire 9120-6003 Québec Inc. c. Paradis [6]:

« L’encadrement législatif applicable à l’exécution de travaux dans le logement se divise en plusieurs catégories. De façon générale, le locateur est libre de faire les travaux qu’il souhaite sur son immeuble en vertu de son droit de propriété et de gérance. La locataire ne peut, sauf exception dont la preuve n’a pas été faite, s’immiscer dans les choix pratiqués par le locateur quant à l’opportunité, la nature ou la manière d’exécuter les travaux. (…).

Dans une décision en révision[7], les juges indiquent que la jurisprudence a déjà reconnu qu’une dépense qui résulte d’une malfaçon doit quand même être considérée, à moins qu’elle ne soit abusive ou futile :

« [16] Incidemment, la jurisprudence a déjà reconnu qu'une dépense qui résulte de malfaçon doit quand même être considérée pour les fins de l'application du Règlement sur les critères de fixation de loyer (4). Dans un contexte de fixation du loyer, il n'appartient pas au Tribunal de statuer sur la qualité ou la nécessité des réparations exécutées par un locateur sur son immeuble à moins qu'elles ne soient insolites, abusives ou somptuaires. » (Les références sont omises.)

[23]     Pour ces raisons, le Tribunal conserve la facture pour la réfection du toit aux fins du calcul de fixation du loyer.

FIXATION

[24]     La locatrice a fourni le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer, ainsi que les pièces justificatives et les factures au soutien de ces renseignements.

[25]     La locatrice a le fardeau de prouver, selon la règle de la prépondérance de la preuve et de la balance des probabilités, les dépenses et les montants inscrits dans le formulaire de renseignements nécessaires pour permettre au Tribunal de calculer l'augmentation du loyer selon les critères prévus au Règlement sur les critères de fixation de loyer.

[26]     Rappelons que dans le cadre d’une demande de fixation du loyer présentée en vertu de l'article 1947 du Code civil du Québec, le Tribunal ne peut pas tenir compte des inconvénients soulevés, lesquels n'ont pas pour effet de contrer la fixation du loyer au terme du bail à renouveler, tel qu’expliqué lors de l’audience.

[27]     Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[8] est de 33,06 $ par mois, s’établissant comme suit :

 

Taxes municipales et scolaires

5,22 $

Assurances

 1,49 $

Gaz

 (2,91 $)

Électricité

 0,10 $

Mazout

 0,00 $

Frais d’entretien

2,37 $

Frais de services

0,00 $

Frais de gestion

 2,49 $

Réparations majeures, améliorations majeures,

mise en place d’un nouveau service

 

 0,00 $

Ajustement du revenu net

 24,30 $

 

TOTAL

 

 33,06 $

 

Réserve d’une dépense

[28]     La locatrice soumet une facture de 30 965,03 $ concernant des honoraires d’architecte et d’ingénieur pour des travaux préparatoires de la façade.

[29]     Le Tribunal est d’avis que le principe général applicable doit tenir compte de la date où les travaux sont complétés et non de la date de paiement [9]. Ce qui permet aux locataires d’en bénéficier.

[30]     En conséquence, le Tribunal réserve le montant de ces honoraires.

[31]     CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;

[32]     CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de 33,06 $ est justifié;

[33]     CONSIDÉRANT l’absence de preuve justifiant la condamnation de la locataire au paiement des frais de la demande;


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[34]     FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 922,00 $ par mois du 1er juin 2024 au 31 mai 2025.

[35]     RÉSERVE la dépense concernant les honoraires d’architecte et d’ingénieur de 30 965,03 $ pour le prochain renouvellement de bail ou lorsque les travaux seront complétés.

[36]     Les autres conditions du bail demeurent inchangées.

[37]     La locatrice assume les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Chantal Houde, greffière spéciale

 

Présence(s) :

la mandataire de la locatrice

Me Audrey Girouard, avocate de la locatrice

la locataire

Date de l’audience :

18 juin 2024

 

 

 


 


[1] RLRQ, c. T-15.01.

[2] 9178-4843 Québec inc. c. Griffin, 2021 QCTAL 25130.

[3] RLRQ, c. T-15.01.

[4] Luca c. Gestion 9095 (sec), 2010 CanLII 109871 (QC TAL), Christine Bissonnette et Francine Jodoin, juges administratifs.

[5] Boivin c. Boucher, 2012 CanLII 137533 (QC TAL).

[6] 9120-6003 Québec Inc. c. Paradis, 2014 CanLII 130981 (QC RDL).

[7] El-Jamal Samer c. Marunych, 2016 CanLII 129307 (QC TAL).

[8] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

[9] Résidence 3615 Ridgewood c. Giacobbe, R.L. 31-080222-051P-080416, 30 janvier 2009, g.s. Jodoin, SOQUIJ AZ-50574501, J.L.E. 2009JL-20.

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