9187-3992 Québec inc. c. Malboeuf | 2022 QCTAL 27285 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
| ||||||
No dossier : | 636742 31 20220606 G | No demande : | 3576751 | |||
|
| |||||
Date : | 30 septembre 2022 | |||||
Devant la juge administrative : | Marilyne Trudeau | |||||
| ||||||
9187-3992 Québec Inc. |
| |||||
Locatrice - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
André Malboeuf |
| |||||
Locataire - Partie défenderesse | ||||||
| ||||||
D É C I S I O N
| ||||||
[1] Par un recours introduit le 6 juin 2022, la locatrice demande le recouvrement du loyer dû au moment de l’audience, la résiliation du bail, l’expulsion du locataire, l’exécution provisoire malgré l’appel et les frais judiciaires.
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er mars 2015 au 29 février 2016, au loyer mensuel de 545 $, reconduit jusqu’au 28 février 2023.
CONTEXTE
[3] La locatrice a expédié au locataire un avis de reconduction du bail pour la période du 1er mars 2021 au 28 février 2022, augmentant le loyer mensuel de 588 $ à 599 $ (11 $ par mois). Elle expédie également un avis pour la période du 1er mars 2022 au 28 février 2023, augmentant le loyer de 599 $ à 609 $ (10 $ par mois).
[4] La réception de ces avis est admise par le locataire.
[5] Selon l’avocat de la locatrice, aucune réponse du locataire à ces avis n’a été reçue. Le loyer a par conséquent été augmenté.
[6] La locatrice réclame donc la somme de 254 $, soit l’augmentation de loyer impayée par le locataire depuis le 1er mars 2021. Le locataire payant toujours la somme approximative de 578 $ par mois.
[7] Le locataire estime que l’augmentation de loyer demandée par la locatrice n’est pas justifiée. Il admet ne pas avoir répondu aux avis reçus.
[8] Le seul montant de loyer admis par le locataire est celui de 578 $ pour la période du 1er mars 2019 au 29 février 2020, tel qu’inscrit dans la décision rendue par ce Tribunal le 11 novembre 2019[1].
[9] L’avocat du locataire soulève l’invalidité des avis remis par la locatrice, ceux-ci ne faisant mention que de deux (2) options, soit j’accepte ou je refuse et je quitte.
[10] De plus, il invoque que la somme de 223 $ réclamée par la locatrice dans sa demande déposée le 6 juin 2022, représentant, par imputation des paiements reçus sur les dettes les plus anciennes, un solde du loyer de juin 2022, le locataire n’était pas en retard de plus de trois (3) semaines au moment du dépôt de celle-ci. La résiliation du bail n’est donc pas justifiée.
QUESTIONS EN LITIGE
1) Le loyer a-t-il été valablement été augmenté?
2) Des sommes sont-elles dues en loyer impayé?
3) Le locataire est-il en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer justifiant la résiliation du bail?
ANALYSE ET DÉCISION
Le fardeau de preuve
[11] D'abord, il convient de mentionner qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits au soutien de ses prétentions[2]. Ainsi, lorsque la preuve n'est pas suffisamment convaincante, ou lorsque celle-ci est contradictoire et que le décideur est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, la partie sur laquelle reposait le fardeau de convaincre succombera[3].
La reconduction du bail
[12] Les règles relatives à la reconduction et à la modification du bail, ainsi que celles relatives à la fixation du loyer sont contenues aux articles
[13] Plus particulièrement les articles 1942, 1945 et 1947 indiquent :
« 1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.
Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d'au moins un mois, mais d'au plus deux mois.
Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s'il s'agit du bail d'une chambre. »
« 1945. Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l'avis de modification du bail, d'aviser le locateur de son refus ou de l'aviser qu'il quitte le logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.
Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l'article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail. »
« 1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s'adresser au tribunal dans le mois de la réception de l'avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s'il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures. »
[14] L'article
« 1898. Tout avis relatif au bail, à l'exception de celui qui est donné par le locateur afin d'avoir accès au logement, doit être donné par écrit à l'adresse indiquée dans le bail, ou à la nouvelle adresse d'une partie lorsque l'autre en a été avisée après la conclusion du bail; il doit être rédigé dans la même langue que le bail et respecter les règles prescrites par règlement.
L'avis qui ne respecte pas ces exigences est inopposable au destinataire, à moins que la personne qui a donné l'avis ne démontre au tribunal que le destinataire n'en subit aucun préjudice. »
[15] En l'instance, le Tribunal note qu’aucune preuve n’a été présentée quant à un avis d’augmentation du loyer du 1er mars 2019 au 28 février 2020.
[16] Quant aux avis pour la période du 1er mars 2020 au 28 févier 2021 et du 1er mars 2021 au 28 février 2022, la locatrice s’est déchargée de son fardeau de démontrer la transmission et la réception des avis d'augmentation de loyer, ceux-ci étant admises par le locataire.
[17] Le fardeau de preuve quant à la transmission d'un avis de contestation de l'augmentation de loyer dans le délai imparti incombe donc au locataire.
[18] Dans la présente affaire, il est admis que le locataire n’a pas répondu aux avis de la locatrice.
La validité des avis
[19] L’avocat du locataire soulève l’invalidité des avis reçus comme ceux-ci n’offrent que deux options de réponse soit (1) j’accepte ou (2) je refuse et je quitte. Ils ne comportent pas la troisième option qui s'offre à lui, soit celle de refuser les modifications proposées et de renouveler son bail.
[20] La juge administrative Lucie Béliveau analysait un cas semblable dans la décision Quevillon Charbonneau c. Fortin[4]. Il y a lieu d'en reprendre le contenu :
« [28] La locataire allègue que le formulaire du locateur ne lui laisse pas le choix que d'accepter l'augmentation ou la refuser et quitter et qu'en ce sens, il est non valide.
[29] Par application de l'article
[30] Par contre, à la lecture de l'article
[31] Toutefois en l'espèce, le locateur a délibérément choisi d'y indiquer des choix, mais en limitant ceux-ci à une acceptation ou à un refus avec l'obligation de quitter le cas échéant. Le Tribunal estime que si le locateur a sciemment choisi d'inscrire des choix sur son avis, il devait inscrire toutes les possibilités incluant celle pour la locataire de refuser l'augmentation, mais en renouvelant son bail.
[32] La locataire se devait de prendre position sur cet avis incomplet alors que l'information y inscrite portait à confusion et la forçait à accepter ou refuser l'augmentation sans renouveler le bail.
[33] En outre, l'avis transmis à la locataire ne mentionne aucun délai pour y répondre, contrairement à ce qu'est exigé par la loi.
[34] Ainsi, le délai de réflexion consenti au locataire pour répondre à l'avis d'augmentation constitue une protection aux abus possibles dans le processus de renouvellement du bail.
[35] Comme l'a souligné à ce propos notre collègue Me Pierre Thérien, dans l'affaire Viens c. Immeuble Jubinville :
« L'article
Il est bien sûr possible à un locataire de renoncer à cette protection. En tel cas, le tribunal doit examiner les circonstances de chaque cas pour déterminer s'il y a eu renonciation ou pas, notamment l'intérêt des parties au moment de l'entente, la nature des échanges et bien sûr leur bonne foi. »
[36] D'autres décisions vont dans le sens contraire, notamment l'affaire Rocheleau c. Les Immeubles BLW, impliquant la même gestionnaire :
« Après avoir entendu les parties et analysé l'ensemble de la preuve, le tribunal ne peut souscrire à l'argument présenté par le procureur de la locataire à l'effet que le consentement de sa cliente à l'entente était vicié. En effet, la prépondérance de la preuve soumise permet au tribunal de conclure que la locataire connaissait la teneur du document qu'elle signait librement le 21 mars 2003.
Le fait que la locataire s'est ravisée et regrette d'avoir consenti à l'entente ne peut constituer un vice de consentement. »
[37] De prime abord, le délai prévu par le législateur a pour but, outre de favoriser la conciliation entre les parties, d'éviter que le locataire soit pris par surprise et obligé de prendre une décision rapidement. La locataire a répondu rapidement à cet avis en ne sachant pas qu'elle avait un mois et qu'elle avait un autre choix.
[38] Le Tribunal doit en conclure que les dispositions de la loi n'ont pas été respectées par les locateurs d'une part, parce que le délai de réponse n'y était pas inscrit et d'autre part, parce que le formulaire utilisé par les locateurs pour le nouvellement du bail a été préjudiciable aux droits de la locataire. Non pas que la loi obligeait les locateurs à y énumérer tous les choix de réponse, mais s'ils décidaient de le faire, ils devaient être clairs et proposer tous les choix possibles pour ne pas induire la locataire en erreur.
[39] Ainsi l'avis de modification du bail tel que transmis à la locataire est invalide. »
[Référence omise]
[21] Le Tribunal partage l'analyse effectuée par la juge administrative Lucie Béliveau et, comme elle, il considère que si la locatrice donne des choix au locataire dans son avis, elle doit lui donner tous les choix. Le Tribunal conclut que les avis d'augmentation de loyer de la locatrice sont invalides et inopposables au locataire.
[22] De plus, la locatrice n’a pas démontré d’augmentation du loyer depuis la décision rendue par ce Tribunal le 11 novembre 2019, selon laquelle les parties étaient liées par un bail du 1er mars 2019 au 29 février 2020 au loyer mensuel de 578 $.
[23] En conséquence, la preuve présentée permet de conclure que le loyer payable par le locataire n’a pas été augmenté et est toujours de 578 $.
Les sommes dues en loyer impayé
[24] En conséquence de ce qui précède, la preuve présentée démontre donc que tous les loyers dus ont été payés par le locataire.
[25] Le locataire n’étant pas en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer, la résiliation du bail n’est pas justifiée par l'application de l'article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[26] REJETTE la demande de la locatrice.
|
| ||
|
Marilyne Trudeau | ||
| |||
Présence(s) : | Me James Miller, avocat de la locatrice le locataire Me Daniel Atudorei, avocat du locataire | ||
Date de l’audience : | 30 août 2022 | ||
| |||
| |||
[1] 9187-3992 Québec inc. c. Malboeuf (R.D.L., 2019-11-11), 2019 QCRDL 35962,
[2] Code civil du Québec, RLRQ c. CCQ-1991, art. 2803 & 2804.
[3] Léo DUCHARME, Précis de la preuve , 6e Édition, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur ltée, 2005. p. 62.
[4] Quevillon Charbonneau c. Fortin,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.