Procureur général du Québec c. Avocats et notaires de l'État québécois (LANEQ) | 2022 QCCA 530 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(200-17-030038-194) | |||||
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DATE : | 14 avril 2022 | ||||
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC | |||||
APPELANT – mis en cause | |||||
c. | |||||
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LES AVOCATS ET NOTAIRES DE L’ÉTAT QUÉBÉCOIS (LANEQ) | |||||
INTIMÉE – demanderesse | |||||
et | |||||
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL | |||||
MIS EN CAUSE – défendeur | |||||
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[1] L’appelant (« PGQ ») se pourvoit contre un jugement rendu le 10 juillet 2020 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Éric Hardy)[1], lequel accueille le pourvoi en contrôle judiciaire de l’intimée (« LANEQ ») et infirme la décision du Tribunal administratif du travail (« TAT ») datée du 16 août 2019 rejetant la demande de cette dernière d’inclure dans son accréditation des juristes du ministère de la Justice exerçant leurs fonctions au ministère du Conseil exécutif et au bureau d’un sous-ministre associé[2].
[2] Pour les motifs ci-après exposés, la Cour est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir l’appel, avec les frais de justice, d’infirmer le jugement de la Cour supérieure et de rétablir la décision du TAT.
[3] L’article
IL EST ORDONNÉ, en conséquence, sur la recommandation du ministre délégué à l’Administration et à la Fonction publique et président du Conseil du trésor :
QUE l’Association des juristes de l’État [maintenant Les avocats et notaires de l’État québécois] soit accréditée pour représenter tous les avocats et tous les notaires de la fonction publique, classés dans le corps d’emploi 115 au sens de la classification en vigueur au 2 septembre 1992, salariés au sens du Code du travail, à l’exception des personnes exclues en vertu de l’article
[4] En janvier 1996, LANEQ devient donc une association accréditée pour représenter les avocats et notaires de la fonction publique classés dans le corps d’emploi 115, à l’exception des personnes exclues en vertu du paragraphe l) de l’article
[5] Le 10 avril 2018, LANEQ dépose une demande devant le TAT afin de faire inclure 42 juristes dans l’unité de négociation qu’elle représente, lesquels exercent leurs fonctions au ministère de la Justice, au Secrétariat du Conseil du trésor et au ministère du Conseil exécutif. Lors de l’audience devant le TAT, LANEQ se désiste de sa demande d’inclure les juristes œuvrant au Secrétariat du Conseil du trésor. La liste des juristes à inclure est alors réduite à 32.
[6] Le TAT rejette la demande d’inclusion.
[7] Dans une longue décision soigneusement rédigée, le TAT rejette la requête en inclusion présentée par LANEQ. Il énonce d’abord les questions en litige à trancher :
[6] Le Tribunal doit décider si les juristes, membres du personnel rattachés à ces entités de l’État, peuvent être syndiqués? Sont-ils des salariés visés par l’accréditation de LANEQ ou en sont-ils exclus selon le libellé de l’accréditation ou en vertu du Code?[6]
[8] Le TAT note ensuite la particularité suivante en ce qui concerne le statut des juristes de la fonction publique :
[28] Notons d’abord que la majorité des avocats et notaires de la fonction publique, outre ceux du Directeur des poursuites criminelles et pénales, travaillent dans les directions des affaires juridiques (DAJ) des différents ministères et organismes. Cependant, ils relèvent tous directement du MJQ et non pas du ministère où ils exercent leurs fonctions, puisqu’ils agissent au nom de la ministre de la Justice à titre de jurisconsultes du gouvernement. Ces juristes font généralement partie de l’unité de négociation de LANEQ.
[29] La situation est-elle différente pour les juristes nommés par le ministère de la Justice, mais qui sont affectés à différents postes au Conseil exécutif ou au ministère du Conseil exécutif? Pour y répondre, il faut examiner la structure gouvernementale.[7]
[9] Le TAT se penche ainsi sur la structure gouvernementale. Il note que le Conseil exécutif est de fait le Conseil des ministres, présidé par le premier ministre. Le Conseil exécutif décide des orientations, de l’action et de l’administration du gouvernement[8]. Pour l’exercice de ses fonctions, il est assisté par un secrétaire général[9]. Selon un décret portant sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil exécutif, son secrétaire général est assisté de la façon suivante :
33. Dans l’exercice de ses fonctions, le secrétaire général et greffier du Conseil exécutif est secondé par les secrétariats suivants, chacun sous la responsabilité d’un secrétaire général associé nommé à cette fin :
a) Le Secrétariat du Conseil exécutif;
b) Le Secrétariat à la législation;
c) Les secrétariats des comités ministériels multisectoriels réguliers;
d) Le Secrétariat aux priorités et projets stratégiques;
e) Le Secrétariat aux emplois supérieurs.[10]
[10] Les secrétaires généraux associés sont, quant à eux, nommés à titre de fonctionnaires du ministère du Conseil exécutif[11]. De l’avis du TAT, il est donc « impossible de dissocier les secrétariats du MCE »[12].
[11] Après la présentation de la structure gouvernementale, le TAT passe en revue la preuve présentée et résume les fonctions ainsi que le cadre de travail des juristes visés par la requête en inclusion de LANEQ[13].
[12] Le TAT souligne qu’il faut interpréter restrictivement les exceptions au statut de salarié afin de favoriser la syndicalisation. Il est d’accord avec l’argument du PGQ voulant que l’exclusion prévue dans le rapport du Comité conjoint concernant les juristes affectés au Conseil exécutif doit également viser ceux affectés au ministère du Conseil exécutif[14]. Afin d’arriver à cette conclusion, il s’appuie sur les dispositions prévues aux sous-paragraphes 1 l) 3° et 3.1° du Code, lesquelles excluent nommément les fonctionnaires du Conseil exécutif et du ministère du Conseil exécutif.
[13] Avant 1990, le Code n’excluait de la définition de « salarié » que les fonctionnaires du Conseil exécutif. Le législateur a modifié cette loi afin d’ajouter à la liste des fonctionnaires exclus ceux à l’emploi du ministère du Conseil exécutif[15]. Le TAT écrit ce qui suit sur la portée de cette modification :
[183] Cette modification est antérieure à l’accréditation de 1996 de LANEQ. Les parties ne pouvaient donc l’ignorer. S’agissant d’une loi d’ordre public, elle doit s’appliquer malgré une entente qui lui serait contraire.
[184] Par conséquent, rien ne peut être plus clair. Le Tribunal se doit de tenir compte de la volonté manifeste exprimée par le législateur. Ainsi, même en admettant la distinction entre CE et MCE, il faut constater l’ajout d’une « exclusion nommée » visant tous les fonctionnaires du ministère du Conseil exécutif, sans aucune restriction.
[185] De plus, bien que l’exclusion de l’article 1 l) 3o du Code spécifiait antérieurement qu’était exclu le fonctionnaire du Conseil du trésor en raison du caractère confidentiel de son emploi, le législateur, en 1994, a modifié le Code pour en faire une exclusion nommée comme il l’avait fait en 1990 pour les fonctionnaires du MCE.
[186] Prétendre que l’accréditation de LANEQ se limite à exclure uniquement les juristes du MJQ affectés au CE, alors que les juristes affectés au MCE pourraient être syndiqués, c’est faire fi de la volonté du législateur qui a exclu tous les fonctionnaires du MCE, en plus de conserver l’exclusion pour ceux liés au CE.
[187] De ce fait, il faut conclure que la distinction issue de la jurisprudence entre un fonctionnaire du CE ou un fonctionnaire du MCE n’a plus sa raison d’être, puisque le législateur a clairement précisé les exclusions en élargissant leur portée.
[188] Pour le Tribunal, la portée intentionnelle découlant du paragraphe 4 vise les juristes du MJQ travaillant au bureau d’un sous-ministre associé qu’il soit lié au CE ou au MCE considérant que les amendements au Code étaient en vigueur lors de la rédaction du rapport du Comité conjoint. C’est la seule interprétation compatible avec le Code.
[189] Ainsi, il faut considérer que l’expression « Conseil exécutif » du paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint réfère sans distinction au CE ou au MCE.[16]
[14] Le TAT écarte également l’argument de LANEQ voulant qu’il faille s’en tenir à l’acte de nomination délivré en vertu de la Loi sur la fonction publique pour identifier le véritable employeur d’un juriste, lequel serait le ministère de la Justice. Il mentionne ceci :
[192] Il n’appartient pas au Tribunal de décider si la nomination du fonctionnaire est conforme ou non à la Loi sur la fonction publique. Aux fins de déterminer le statut de salarié, ce sont les fonctions réellement exercées auprès de l’entité qui exerce les prérogatives de l’employeur qui permettent au Tribunal de décider si les juristes sont des fonctionnaires du CE ou du MCE sans égard au traitement administratif de leur situation au sein du gouvernement.
[…]
[194] Comme l’a souligné le directeur général de la gouvernance et de l’administration du MCE, le statut des juristes est assimilable à un prêt de service entre le MJQ et le MCE, malgré ses particularités. Le MJQ n’exerce aucune autorité à l’égard des juristes affectés au CE ou au MCE. C’est le ministère du Conseil exécutif qui exerce toutes les prérogatives d’un employeur. Pour le Tribunal, c’est ce qui importe.[17]
[Soulignement ajouté]
[15] En outre, le TAT est d’avis que les juristes affectés aux secrétariats sont « nommément visés » par l’exclusion prévue au paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint. Bien que ces secrétariats soient administrativement liés au ministère du Conseil exécutif, ils sont institués pour soutenir le Conseil exécutif[18].
[16] Le TAT examine ensuite la preuve concernant les tâches exercées par les juristes visés par le recours de LANEQ afin de statuer sur leur statut de salarié[19].
[17] En ce qui concerne la juriste qui œuvre au Secrétariat du Conseil exécutif, Me Kawinska, sa tâche principale consiste à faire l’analyse finale des projets de décret avant la recommandation au Conseil exécutif. Elle collabore étroitement avec le secrétaire général associé du Secrétariat du Conseil exécutif. Elle a accès à l’ensemble de la documentation du gouvernement dans le DOSSDEC, lequel contient des documents hautement confidentiels pouvant la placer en situation de conflit d’intérêts. Elle a ainsi connaissance de toutes les décisions du gouvernement concernant les négociations dans le secteur public, ce qui comprend celles ayant mené à la loi de 2017 et mis fin à la grève de LANEQ[20].
[18] De l’avis du TAT, elle doit être exclue de l’accréditation de LANEQ pour trois motifs : (1) selon le paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint, puisqu’elle est affectée au Conseil exécutif; (2) selon le sous-paragraphe 1 l) 3.1° du Code à titre de fonctionnaire du ministère du Conseil exécutif; et (3) selon le sous-paragraphe 1 l) 3° du Code en raison du caractère confidentiel de son emploi[21].
[19] En ce qui a trait aux dix juristes exerçant leurs fonctions au Secrétariat du comité de législation[22], ils ont un rôle privilégié au cœur du pouvoir décisionnel de l’État puisqu’ils analysent tous les projets de loi. Ils ont également accès à l’ensemble de la documentation du gouvernement dans le DOSSDEC, ce qui comprend des informations susceptibles de les placer eux aussi en conflit d’intérêts. Le TAT conclut qu’ils doivent être exclus de l’accréditation de LANEQ pour les trois motifs énumérés précédemment[23].
[20] Le TAT se penche ensuite sur la situation des quatre juristes affectés au Secrétariat aux emplois supérieurs[24]. Il note qu’ils sont appelés à participer à des décisions « qui peuvent impliquer la nomination de collègues dans un tribunal administratif ou lors des mouvements de personnel des sous-ministres ou autres dirigeants d’organismes »[25]. Pour le TAT, il y a là un risque évident de conflit d’intérêts. Ces juristes doivent par conséquent être exclus de l’accréditation de LANEQ pour les mêmes trois motifs[26].
[21] Quant aux quatre juristes affectés au Secrétariat à l’accès à l’information et à la réforme des institutions démocratiques[27], le TAT conclut que leur rôle en est un d’analyse. Ce dernier est toutefois « indissociable du volet hautement politique lié à la mission de ce secrétariat, donc de la fonction exécutive »[28]. Ces juristes doivent ainsi être exclus de l’accréditation de LANEQ pour les trois motifs énumérés précédemment[29].
[22] Le TAT examine la situation des juristes qui exercent leurs fonctions au bureau du sous-ministre associé au ministère de la Justice, Me Yan Paquette[30].
[23] Selon le TAT, les trois juristes de la Direction générale des affaires juridiques, législatives et de l’accès à la justice[31] doivent être exclus en raison du caractère confidentiel de leur emploi (sous-paragraphe 1 l) 3° du Code) et à titre de représentants de l’employeur (sous-paragraphe 1 l) 1° du Code). En effet, ils ont accès à des informations confidentielles destinées au cabinet du ministre et ils ont été formellement désignés par le sous-ministre associé pour agir en son nom[32].
[24] Quant aux trois juristes de la Direction des services aux ministères – jurisconsulte[33], ils doivent également être exclus pour ces deux motifs. Ils représentent le sous-ministre associé auprès des directions d’affaires juridiques, ce qui leur confère une autorité d’agir à titre de représentants de l’employeur. Par ailleurs, ils ont un accès privilégié aux informations liées à la fonction exécutive de l’État parce qu’ils collaborent à la rencontre préparatoire du Comité de législation[34].
[25] Quant à l’une des juristes qui travaille à la Direction du droit administratif, Me Lydia Boily-Dupuis, elle doit être exclue en vertu du sous-paragraphe 1 l) 3° du Code en raison du caractère confidentiel de son emploi, lequel est en lien avec la fonction exécutive et les relations du travail. Elle travaille dans le dossier de la rémunération des juges et participe ainsi à l’élaboration de la stratégie globale du gouvernement concernant la politique de rémunération du personnel de l’État. Elle a donc accès à des informations confidentielles qui la placent en situation de conflit d’intérêts[35].
[26] Enfin, le TAT conclut que l’autre juriste de cette Direction, Me Nancy Grondin, responsable des contrats de services juridiques confiés à des juristes de la pratique privée, doit être exclue en vertu du sous-paragraphe 1 l) 3° du Code en raison du caractère confidentiel de son emploi en lien avec la fonction exécutive et les relations du travail « puisque les détails d’un contrat de service ou d’un compte d’honoraires d’un avocat mandaté dans un dossier de LANEQ peuvent contenir des informations sur les orientations stratégiques d’un dossier l’impliquant »[36].
[27] Le juge de la Cour supérieure est d’avis que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique, selon l’arrêt Vavilov[37], et conclut que la décision du TAT est déraisonnable, sauf à l’égard d’une juriste, Me Nancy Grondin de la Direction du droit administratif du ministère de la Justice, en raison du caractère confidentiel de son emploi. Il accueille donc le pourvoi en contrôle judiciaire pour les 26 autres juristes.
[28] Il examine d’abord la question de l’inclusion dans l’unité de négociation des juristes œuvrant dans les secrétariats du ministère du Conseil exécutif. Il est d’avis qu’il est déraisonnable de conclure qu’ils sont affectés au Conseil exécutif en vertu de l’exclusion prévue au paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint. D’une part, on comprend de la citation qu’il fait du paragraphe 236 de la décision du TAT qu’en l’absence d’une virgule dans ce paragraphe, il faut considérer si les fonctionnaires sont affectés à un bureau d’un sous-ministre associé au sein du Conseil exécutif. Or, bien qu’un secrétaire général associé ait les mêmes conditions de travail qu’un sous-ministre associé, ces deux postes sont distincts et l’un n’est pas synonyme de l’autre[38]. D’autre part, il est déraisonnable de conclure que la mention « Conseil exécutif » dans ce paragraphe désigne également le ministère du Conseil exécutif. Il s’agit au contraire de deux entités distinctes, tel qu’en fait foi la lecture de diverses lois, dont le Code[39].
[29] En outre, le juge estime qu’il est déraisonnable de conclure que ces juristes sont visés par l’exclusion prévue au sous-paragraphe 1 l) 3.1° du Code, soit qu’ils sont des fonctionnaires du ministère du Conseil exécutif. Selon lui, le TAT a fait fi d’une contrainte juridique. Il s’agit d’une règle d’ordre public que l’appartenance d’un fonctionnaire à un ministère est déterminée en fonction de son acte de nomination[40]. En l’espèce, les actes de nomination des fonctionnaires émanent du ministère de la Justice[41].
[30] Par ailleurs, il est également déraisonnable de considérer que les juristes affectés aux secrétariats du Conseil exécutif doivent être exclus conformément au sous-paragraphe 1 l) 3° du Code en raison du caractère confidentiel de leur emploi. Le fait que ces fonctionnaires rendent leurs services aux plus hautes instances gouvernementales et qu’ils aient accès à des renseignements confidentiels ne sont pas des motifs pour les exclure de l’unité de négociation. La notion de confidentialité se rattache plutôt à un état de connaissances reliées aux relations patronales-syndicales ou pouvant mettre le salarié en situation de conflit d’intérêts avec son syndicat[42].
[31] Le juge se penche ensuite sur la situation des juristes qui œuvrent au bureau du sous-ministre associé Yan Paquette. Il conclut que la décision du TAT d’exclure les fonctionnaires travaillant à la Direction générale des affaires juridiques, législatives et de l’accès à la justice et à la Direction des services aux ministères – jurisconsulte est déraisonnable. Les motifs d’exclusion retenus par le TAT, soit le caractère confidentiel de l’emploi et le statut de représentant de l’employeur, ne sont pas applicables. Ces juristes ne sont pas impliqués dans les dossiers de relations du travail[43].
[32] Enfin, l’exclusion de la juriste qui travaille à la Direction du droit administratif dans le dossier de la rémunération des juges est également déraisonnable. La preuve ne permet pas de conclure que les informations confidentielles qui sont portées à son attention dans le cadre de ses fonctions seraient susceptibles de la placer en situation de conflit d’intérêts avec son syndicat. En effet, les juges ne sont pas des fonctionnaires et leurs conditions de travail diffèrent de celles des salariés visés par l’unité de négociation de LANEQ. L’exception de confidentialité est donc inapplicable, sauf en ce qui concerne Me Nancy Grondin[44].
[33] Le juge conclut sa décision en examinant la réparation appropriée. Il mentionne ne remettre en cause aucune conclusion factuelle du TAT et est d’avis qu’une seule interprétation raisonnable est possible à la lumière des facteurs pertinents. Par conséquent, il serait inutile de renvoyer le dossier devant ce dernier. Il déclare plutôt que les 26 juristes visés par le pourvoi font partie de l’unité de négociation de LANEQ[45].
[34] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable[46]. La Cour d’appel doit, en matière de pourvoi en contrôle judiciaire, s’assurer que la Cour supérieure a non seulement choisi la bonne norme de contrôle, mais qu’elle l’a appliquée correctement[47]. Son rôle ne se limite pas à déterminer si le juge a commis une erreur manifeste et déterminante[48], elle doit plutôt se mettre à la place du tribunal de première instance et se « concentre[r] effectivement sur la décision administrative »[49].
[35] Comme la Cour le souligne dans l’arrêt F.S. c. Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, les principes d’analyse, tirés de l’arrêt Vavilov, sont les suivants :
[34] On peut retenir des enseignements de cet arrêt qu’une cour de révision doit « s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de décider si la décision dans son ensemble est raisonnable » [Soulignement ajouté] [paragr. 39]. Pour ce faire, elle doit s’intéresser aux motifs de la décision [paragr. 84], qui doit être suffisamment motivée [paragr. 74], notamment en tenant compte de l’historique et du contexte de l’instance [paragr. 94]. Ainsi, une cour de révision examine « à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu » [paragr. 83]. Les caractéristiques d’une décision raisonnable sont « la justification, la transparence, l’intelligibilité, et si [elle] est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » [paragr. 99].
[35] Le fardeau de démontrer le caractère déraisonnable d’une décision appartient à celui qui la conteste. Une décision administrative ne pourra être infirmée que si elle « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » [paragr. 100]. De l’avis de la Cour suprême, il existe deux catégories de lacunes graves. La première consiste en un « manque de logique interne du raisonnement » – un raisonnement irrationnel –, alors que la seconde est une « décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » [paragr. 101].[50]
[36] Par ailleurs, la Cour suprême souligne, dans Vavilov, qu’une cour de justice, lorsqu’elle exerce un rôle de révision, ne se livre pas à une analyse de novo et ne peut substituer la décision qu’elle aurait rendue à celle prononcée par le décideur administratif :
[83] Il s’ensuit que le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles-mêmes la question en litige. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. Dans l’arrêt Delios c. Canada (Procureur général),
[Soulignement ajouté]
[37] En l’espèce, l’inclusion ou non de salariés dans une unité de négociation repose sur une preuve factuelle ainsi que sur l’interprétation des documents d’accréditation, de dispositions législatives et du rapport du Comité conjoint daté de novembre 1995. Le TAT est un tribunal spécialisé en cette matière. Certes, depuis l’arrêt Vavilov, la spécialisation d’un tribunal n’est plus considérée pour déterminer la norme de révision applicable, en raison de la présomption d’application de la norme raisonnable, mais on ne peut occulter le fait que les décisions en matière d’accréditation sont au cœur de sa compétence.
[38] Afin de déterminer si les juristes dont LANEQ demande l’inclusion dans son unité de négociation en font partie, le TAT devait interpréter le rapport du Comité conjoint de novembre 1995 et les sous-paragraphes 1 l) 1°, 3° et 3.1° du Code. L’interprétation de ces textes est au cœur du litige.
[39] Le rapport du Comité conjoint visé à l’article
Les membres du Comité se sont entendus sur la liste des salariés devant être visés par l’unité de négociation au 3 septembre 1992. Pour ce faire, ils ont convenu d’exclure 80 avocats ainsi que 3 notaires de l’unité de négociation en raison de la nature de leurs fonctions. À cet égard, nous joignons au présent rapport une liste des salariés avocats (Annexe I) et une autre des salariés notaires (Annexe II) convenues par le comité avec l’indication des personnes qui ont fait l’objet d’une exclusion ainsi que des motifs ayant mené à cette exclusion. Les principales exclusions peuvent être regroupées comme suit :
1o les juristes d’un cabinet de ministre ou d’un bureau de sous-ministre;
2o les juristes de l’Office des ressources humaines, à l’exception de ceux mutés à cet organisme à l’occasion d’une mise en disponibilité;
3o les juristes du Directeur général des élections;
4o les juristes relevant du ministère de la Justice qui sont affectés au Conseil exécutif,[53] au bureau d’un sous-ministre associé et au Secrétariat du Conseil du trésor (Relations du travail);
5o un maximum de 15 juristes appartenant à la Direction du contentieux de Montréal, à la Direction du contentieux de Québec, à la Direction du droit constitutionnel ou à la Direction du droit administratif du ministère de la Justice, selon l’entente intervenue entre le Gouvernement et l’Association des juristes de l’État, laquelle est annexée au présent rapport (Annexe III);
6o un maximum d’un juriste pour chacun des bureaux de président d’organisme et pour chacun des secrétariats d’organisme (ce maximum est porté à trois dans le cas du secrétariat de la Commission de la santé et de la sécurité du travail);
7o les juristes désignés et agissant comme directeurs intérimaires ou qui exercent des fonctions de gérance;[54]
[Soulignement ajouté]
[40] Quant à la définition de salarié, que l’on retrouve au Code, elle est rédigée ainsi :
1. […]
l) «salarié» : une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération, cependant ce mot ne comprend pas:
1° une personne qui, au jugement du Tribunal, est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés;
[…]
3° un fonctionnaire du gouvernement dont l’emploi est d’un caractère confidentiel au jugement du Tribunal ou aux termes d’une entente liant le gouvernement et les associations accréditées conformément au chapitre IV de la Loi sur la fonction publique (chapitre F-3.1.1) qui sont parties à une convention collective qui autrement s’appliquerait à ce fonctionnaire; tel est l’emploi […] d’un fonctionnaire du Conseil exécutif […];
3.1° un fonctionnaire du ministère du Conseil exécutif sauf dans les cas que peut déterminer, par décret, le gouvernement;
[…] | 1. […]
(l) “employee” : a person who works for an employer and for remuneration, but the word does not include:
(1) a person who, in the opinion of the Tribunal, is employed as manager, superintendent, foreman or representative of the employer in his relations with his employees;
[…]
(3) a public servant of the Government whose position is of a confidential nature in the opinion of the Tribunal or under the terms of an agreement binding the Government and the associations certified in accordance with Chapter IV of the Public Service Act (chapter F-3.1.1) which are parties to a collective agreement that otherwise would apply to such public servant; such is the position of […] a member of the staff of the executive council […];
(3.1) a public servant of the Ministère du Conseil exécutif, except in the cases that the Government may determine by order;
[…] [Soulignements ajoutés] |
[41] Aux fins du présent pourvoi, le tableau suivant identifie les juristes qui sont toujours visés par le litige[55]. Dix-neuf relèvent du ministère du Conseil exécutif, alors que sept œuvrent dans trois directions rattachées au bureau du sous-ministre associé au ministère de la Justice :
Ministère du Conseil exécutif
Secrétariat à la législation | Secrétariat à l’accès à l’information et à la réforme des institutions démocratiques | Secrétariat du Conseil exécutif | Secrétariat aux emplois supérieurs |
Me Ariel G. Boileau Me Isabelle Brochu Me Benoit Carbonneau Me Jean-François Couture Me Kathryn-Anne Dawson Me Andrée Drouin Me Isabelle Giguère Me Isabelle Lafond Me Natacha Lavoie Me Vicky Ouellet | Me Annie Blais-Delagrave Me Christian Duquette Me Jean-Philippe Miville-Deschênes Me Pierre Vallée | Me Magdalena Kawinska | Me Louise Allen Me Pascale Brière Me Guylaine Lebel Me France Trudel |
Ministère de la Justice
Bureau du sous-ministre associé Yan Paquette | ||
Direction générale des affaires juridiques, législatives et de l’accès à la justice | Direction des services aux ministères – jurisconsulte | Direction du droit administratif |
Me Aurélie Bujold Me Pascal Painchaud Me François Gilbert | Me Élise Labrecque Me Jean-Philippe Lebrun Me Michel Paquette | Me Lydia Boily-Dupuis
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[42] Le PGQ soulève deux moyens d’appel :
1) La Cour supérieure a-t-elle erré dans l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable relativement aux sujets suivants :
a) La confidentialité spécifique aux fonctionnaires du gouvernement?
b) Le ministère ou l’organisme exerçant les prérogatives de l’employeur?
c) La notion de représentant de l’employeur?
2) La Cour supérieure devait-elle trancher le fond du dossier en analysant de nouveau la preuve ou retourner le dossier au TAT afin qu’il détermine la solution?
[43] Plutôt que d’étudier un à un les moyens soulevés par le PGQ, la Cour est d’avis qu’il y a lieu de procéder en examinant d’abord si la Cour supérieure a eu raison de conclure que la décision du TAT, à l’égard des 19 juristes affectés au ministère du Conseil exécutif, est déraisonnable. Dans un deuxième temps, la Cour fera de même en ce qui concerne les juristes travaillant au bureau du sous-ministre associé Yan Paquette. Les moyens d’appel soulevés par le PGQ seront examinés dans ce cadre.
[44] Le TAT exclut ces juristes de l’unité de négociation pour les trois motifs suivants :
1) En vertu du paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint, puisqu’ils sont affectés au Conseil exécutif;
2) En vertu du sous-paragraphe 1 l) 3.1° du Code, à titre de fonctionnaire du ministère du Conseil exécutif;
3) En vertu du sous-paragraphe 1 l) 3° du Code en raison du caractère confidentiel de l’emploi en lien avec la fonction exécutive.
[45] La Cour supérieure conclut quant à elle que la décision du TAT est déraisonnable pour quatre raisons :
1) Les secrétaires généraux associés desquels relèvent les 19 juristes ne sont pas des sous-ministres associés. En conséquence, l’exclusion prévue au paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint ne trouve pas application[56];
2) Le TAT a erré en concluant qu’il n’y a plus de distinction entre le Conseil exécutif et le ministère du Conseil exécutif aux fins de l’application des exclusions prévues aux sous-paragraphes 1 l) 3° et 3.1° du Code[57];
3) Le TAT a erré en concluant que les 19 juristes seraient simultanément des juristes du ministère de la Justice affectés au Conseil exécutif ainsi que des fonctionnaires du ministère du Conseil exécutif[58];
4) Le TAT a erré en concluant au caractère confidentiel de leur emploi en lien avec la fonction exécutive (sous-paragraphe 1 l) 3° du Code)[59].
[46] Il y a lieu de reprendre les quatre motifs pour lesquels la Cour supérieure a conclu que la décision du TAT était déraisonnable afin de vérifier si elle a bien appliqué la norme de la décision raisonnable.
* * *
[47] Avant d’amorcer l’analyse, il convient de souligner que le TAT a entendu la preuve pendant neuf jours. Les supérieurs hiérarchiques des juristes ont témoigné au sujet des fonctions accomplies par ces derniers et du cadre dans lequel elles sont exercées. En outre, de nombreux documents ont été déposés par les témoins. LANEQ a fait entendre un seul témoin, soit son directeur général, Me Luc Bruneau.
1) Les secrétaires généraux associés desquels relèvent les 19 juristes ne sont pas des sous-ministres associés. En conséquence, l’exclusion prévue au paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint ne trouve pas application[60].
[48] Le juge de la Cour supérieure conclut qu’il est déraisonnable pour le TAT d’avoir déterminé que les 19 juristes affectés au ministère du Conseil exécutif étaient visés par l’exclusion du paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint. Selon la Cour supérieure, et contrairement à ce que le TAT affirme, bien qu’un secrétaire général associé ait les mêmes conditions de travail qu’un sous-ministre associé, ce sont des postes distincts. En conséquence, on ne peut conclure qu’un juriste affecté à un secrétariat du ministère du Conseil exécutif est affecté au bureau d’un sous-ministre associé du Conseil exécutif au sens du paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint.
[49] Le juge a raison de mentionner que les secrétaires généraux associés ne sont pas des sous-ministres associés, même s’ils ont des conditions de travail similaires à ces derniers[61]. Toutefois, on comprend de la décision du TAT qu’il conclut que l’expression « secrétaire général associé » est synonyme de « sous-ministre associé ». Il ne commet aucune erreur révisable à cet égard.
2) Le TAT a erré en concluant qu’il n’y a plus de distinction entre le Conseil exécutif et le ministère du Conseil exécutif aux fins de l’application des exclusions prévues aux sous-paragraphes 1 l) 3° et 3.1° du Code[62].
[50] Le juge de la Cour supérieure considère que l’interprétation faite par le TAT du sous-paragraphe 1 l) 3.1° du Code est déraisonnable lorsqu’il conclut que la distinction entre un fonctionnaire du Conseil exécutif et un fonctionnaire du ministère du Conseil exécutif n’a plus sa raison d’être depuis la modification apportée au Code en 1990. Le juge s’exprime ainsi :
[121] D’abord, le TAT constate que les exclusions faisant l’objet des paragraphes 1, 4 et 5 du rapport du Comité conjoint « sont en accord avec celles prévues au Code [du travail] ». Cette conclusion est incontestable dans la mesure où les premières exclusions ne contredisent pas les secondes. Plutôt, elles s’y ajoutent.
[122] Ensuite, le TAT interprète le paragraphe l) de l’article
3.1° un fonctionnaire du ministère du Conseil exécutif sauf dans les cas que peut déterminer, par décret, le gouvernement;
[123] Le TAT y voit la volonté manifeste du législateur de soustraire à une unité de négociation de fonctionnaires du gouvernement du Québec « le personnel intimement lié à la fonction exécutive, donc politique, afin d’éviter les situations potentielles de conflit d’intérêts ».
[124] Le TAT conclut que depuis l’ajout de ce sous-paragraphe 3.1, il n’y a plus lieu de suivre la jurisprudence antérieure à cet amendement qui distinguait le CE et le MCE :
De ce fait, il faut conclure que la distinction issue de la jurisprudence entre un fonctionnaire du CE ou un fonctionnaire du MCE n’a plus sa raison d’être, puisque le législateur a clairement précisé les exclusions en élargissant leur portée.
[125] Selon le TAT, cette conclusion en emporte une autre selon laquelle les mots « Conseil exécutif » au paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint désignent à la fois le CE et le MCE.
[126] De l’avis du TAT, ces 19 juristes seraient donc affectés au CE bien qu’aucun acte d’affectation ou de prêt de service n’en fasse état[63].
[Renvoi omis]
[51] Pour le juge, le Conseil exécutif et le ministère du Conseil exécutif sont deux entités distinctes, malgré l’ajout du sous-paragraphe 1 l) 3.1° dans le Code[64]. Le terme « Conseil exécutif », utilisé au paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint, n’inclut pas le ministère du Conseil exécutif.
[52] Une des questions importantes à trancher pour solutionner ce litige est de déterminer comment interpréter les termes « fonctionnaire du Conseil exécutif » et « fonctionnaire du ministère du Conseil exécutif », que l’on retrouve aux sous-paragraphes 1 l) 3° et 3.1° du Code. Au paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint, il est également écrit : « les juristes relevant du ministère de la Justice qui sont affectés au Conseil exécutif […] ».
[53] Il appert clairement de la Loi sur l’exécutif[65] que le Conseil exécutif est en fait le Conseil des ministres, présidé par le premier ministre. Le TAT retient en outre le témoignage du secrétaire général associé du Conseil exécutif, Me Marc-Antoine Adam, selon lequel ce dernier n’emploie aucun fonctionnaire[66]. Il est à noter que Me Adam mentionne aussi qu’il est très fréquent, dans le langage courant, que les gens utilisent (et il s’inclut lui-même) le terme « Conseil exécutif » pour désigner le ministère du Conseil exécutif[67].
[54] Dans son analyse, le TAT considère que le secrétaire général et greffier du Conseil exécutif est appuyé dans ses tâches par différents secrétariats, sous la responsabilité d’un secrétaire général associé, dont le Secrétariat du Conseil exécutif, le Secrétariat à la législation et le Secrétariat aux emplois supérieurs[68] où travaillent 15 des juristes visés par la demande d’inclusion. Ces secrétariats relèvent du ministère du Conseil exécutif puisque sa loi constitutive édicte ceci[69] :
1.5. Le personnel du ministère est constitué des fonctionnaires nécessaires à l’exercice des fonctions du premier ministre; en vertu de la présente loi, ceux-ci sont nommés conformément à la Loi sur la fonction publique (chapitre F‐3.1.1).
Le premier ministre détermine les devoirs de ses fonctionnaires, pour autant qu’il n’y est pas pourvu par la loi ou par le gouvernement. | 1.5. The staff of the department consists of the public servants required for the discharge of the Prime Minister’s duties; in virtue of this Act, they are appointed in accordance with the Public Service Act (chapter F‑3.1.1).
The Prime Minister shall determine the duties of his public servants where they are not determined by law or by the Government. |
[55] Comme le souligne le TAT, le rôle du ministère du Conseil exécutif est de soutenir l’action gouvernementale :
[43] Ainsi, il faut constater que le rôle du MCE est de soutenir l’action gouvernementale. À ce titre, il assure les tâches d’analyse, de conseil, de coordination et de soutien à la décision pour le premier ministre qui rappelons-le préside le Conseil exécutif.
[44] Comme nous le verrons, le secrétaire général associé de chaque secrétariat de soutien au Conseil exécutif est nommé à titre de fonctionnaire du ministère du Conseil exécutif. Il est donc impossible de dissocier les secrétariats du MCE.
[…]
[46] Le MCE est dirigé par le premier ministre et le secrétaire général du Conseil exécutif en est d’office le sous-ministre. Ce dernier exerce toutes les fonctions que lui assigne le gouvernement ou le premier ministre. Il peut déléguer ou subdéléguer les responsabilités qui lui incombent en application de la Loi sur le MCE[70].
[56] Ces considérations sont importantes pour interpréter tant le paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint que les sous-paragraphes 1 l) 3° et 3.1° du Code. Il faut souligner que le sous-paragraphe 3.1° a été ajouté en 1990, soit avant l’accréditation de LANEQ.
[57] Le paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint exclut de l’accréditation de LANEQ les « juristes relevant du ministère de la Justice qui sont affectés au Conseil exécutif ». Selon le TAT, cette exclusion doit également s’étendre aux juristes affectés au ministère du Conseil exécutif[71]. Le juge de la Cour supérieure estime pour sa part que cette décision est déraisonnable :
[129] L’ajout du sous-paragraphe 3.1 signifie qu’il n’y a plus d’intérêt pratique de distinguer le CE du MCE aux fins de l’application des exclusions prévues au sous-paragraphe 3. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a plus lieu de le faire à d’autres fins. L’une n’est pas la conséquence logique de l’autre. Au contraire, l’ajout d’une exclusion suggère fortement que son objet est distinct de celles qui existaient déjà. Autrement, le législateur aurait parlé pour ne rien dire. La Cour suprême rappelle d’ailleurs cet important principe d’interprétation dans Vavilov.
[…]
[131] Ce n’est pas seulement le Code du travail qui distingue le CE du MCE. Cette distinction existe ailleurs aussi dans notre corpus législatif. Il n’y a qu’à consulter leurs lois constitutives pour le constater. […]
[132] Ainsi, à moins d’une indication contraire, l’expression « Conseil exécutif » doit avoir la même signification, peu importe la loi ou le décret où elle est utilisée. De la même façon, l’expression « Conseil exécutif » ne peut être synonyme de « ministère du Conseil exécutif ».
[133] Le CE et le MCE demeurent donc deux entités distinctes malgré l’ajout du sous-paragraphe 3.1 au Code du travail. Cela ne fait aucun doute.[72]
[Soulignement ajouté]
[58] La Cour est d’avis que le juge de la Cour supérieure se méprend et que la décision du TAT à cet égard est raisonnable.
[59] Les travaux parlementaires peuvent être utiles pour comprendre le contexte de l’adoption d’une loi et ils sont complémentaires aux principes d’interprétation usuels, comme le souligne la Cour dans l’arrêt Association des chirurgiens-dentistes du Québec c. Ministre de la Santé et des Services sociaux[73]. Or, la lecture des débats parlementaires entourant l’adoption du sous-paragraphe 1 l) 3.1° du Code[74] démontre bien que l’ajout de l’exclusion des fonctionnaires du ministère du Conseil exécutif, à la définition de « salarié », ne vise pas un objectif distinct de l’exclusion nommée au sous-paragraphe 1 l) 3° pour les fonctionnaires du Conseil exécutif. Lors de l’adoption du projet de loi, le ministre du Travail de l’époque, M. Normand Cherry, énonce expressément que cette intervention législative vise à mettre fin à toute distinction entre le Conseil exécutif et le ministère du Conseil exécutif aux fins du droit à la syndicalisation des fonctionnaires :
Merci, M. le Président. On se souviendra que, le 20 juin dernier, mon prédécesseur présentait à cette Assemblée le projet de loi 81, Loi modifiant le Code du travail. Essentiellement, M. le Président, ce projet de loi a trois objets: premièrement, préciser que l'expression "Conseil exécutif", dans les exclusions syndicales prévues au Code du travail, doit s'entendre comme étant le ministère du Conseil exécutif - telle était d'ailleurs, M. le Président, l'intention du législateur lors de l'adoption du Code […]. Reprenons maintenant chacun des éléments pour bien en comprendre la portée et les implications. […] Ce projet comporte aussi une modification à la définition de "salarié" au Code du travail. Elle vise à combler le vide laissé par une décision du Tribunal du travail. Cette décision était à l'effet que l'exclusion du statut de salarié visant les fonctionnaires du Conseil exécutif ne s'appliquait pas aux fonctionnaires œuvrant au ministère du même nom.
Compte tenu de ce que je perçois être l'intention originaire du législateur, je propose de substituer l'appellation "ministère du Conseil exécutif à celle de "Conseil exécutif' à la liste des organismes dont ce Code présume déjà que s'y exercent des fonctions à caractère confidentiel.[75]
[Soulignements ajoutés]
[60] Cette proposition a toutefois fait l’objet de vives critiques lors du cheminement du projet de loi, notamment parce que le ministère du Conseil exécutif embauche plusieurs fonctionnaires œuvrant dans des secrétariats où l’on estime qu’aucun enjeu de confidentialité ne se pose[76]. La disposition a alors été modifiée pour devenir le sous-paragraphe 1 l) 3.1°, tel qu’on le connaît aujourd’hui, afin que le gouvernement puisse permettre, par décret, à certains fonctionnaires du ministère du Conseil exécutif d’être syndiqués. Lors de l’examen du rapport de la Commission permanente de l'économie et du travail qui a fait l’étude détaillée du projet de loi, le ministre du Travail explique en ces termes la finalité de cette nouvelle disposition :
L'article 1 du projet, M. le Président, tel que modifié lors de nos travaux en commission parlementaire, introduit une exclusion à la syndicalisation visant les fonctionnaires du ministère du Conseil exécutif. Le résultat de nos rencontres, entre autres avec le SPGQ, nous a incités à modifier notre proposition afin que, par décret, l'exclusion ne s'applique qu'en certaines circonstances. Historiquement, cette modification se justifie de la manière suivante. On sait, M. le Président, que, depuis 1965, le Code prévoit déjà une exclusion syndicale visant le personnel du Conseil exécutif. Nous croyons qu'à cette époque il était raisonnable de penser que les personnes au courant d'informations privilégiées se retrouveraient toutes au sein dudit Conseil. Ce n'est effectivement que beaucoup plus tard que prit forme, comme on le connaît aujourd'hui, le ministère du Conseil exécutif, là où personne n'ignore que circulent pareilles informations. Or, nous disent certains, une décision rendue en 1975 par le Tribunal du travail trancha pourtant que l'exclusion syndicale visant le Conseil exécutif ne s'appliquait pas au ministère du Conseil exécutif. Comment, dès lors, expliquer le silence du législateur?
On constatera, cependant, que l'article 1 du projet, tel que déposé, a connu certaines modifications. Ces modifications ont été apportées pour donner suite à une rencontre que j'ai tenue avec le SPGQ et nos diverses discussions et aux remarques que j'ai reçues lors de l'adoption du principe. En effet, conscient de l'importance de signifier clairement que cette exclusion ne vise que les personnes pouvant être au courant d'informations privilégiées pour la gouverne de l'État, elle s'inscrit dorénavant dans un nouveau sous-paragraphe distinct, article 1, paragraphe I, sous-paragraphe 3.1, et laisse ouverte la possibilité que par décret le gouvernement en réduise la portée.[77]
[Soulignements ajoutés]
[61] Il appert de cet extrait des débats parlementaires que le législateur voulait exclure les personnes pouvant être au courant d’informations privilégiées pour la gouverne de l’État. À la lumière de ces propos, la Cour estime que la conclusion suivante, tirée par le TAT, est raisonnable et reflète l’intention du législateur :
[186] Prétendre que l’accréditation de LANEQ se limite à exclure uniquement les juristes du MJQ affectés au CE, alors que les juristes affectés au MCE pourraient être syndiqués, c’est faire fi de la volonté du législateur qui a exclu tous les fonctionnaires du MCE, en plus de conserver l’exclusion pour ceux liés au CE.
[187] De ce fait, il faut conclure que la distinction issue de la jurisprudence entre un fonctionnaire du CE ou un fonctionnaire du MCE n’a plus sa raison d’être, puisque le législateur a clairement précisé les exclusions en élargissant leur portée.[78]
[62] Le caractère raisonnable de cette conclusion est également étayé par la preuve administrée et retenue par le TAT[79] lorsqu’il se penche sur le comportement des parties au moment de l’accréditation et dans les années qui ont suivi. En effet, le TAT retient que tant les juristes affectés au Conseil exécutif qu’au ministère du Conseil exécutif ont de tout temps été exclus de l’accréditation. Les exclusions ont toujours été maintenues[80].
[63] Dans ce sens, les auteurs de l’ouvrage Le droit du travail au Québec mentionnent que c’est la portée intentionnelle d’une accréditation qui constitue la règle cardinale de son interprétation :
601 – Portée intentionnelle – C’est la recherche de la portée intentionnelle de l’accréditation qui constitue la règle cardinale de son interprétation ; et [le Tribunal administratif du travail] pourra statuer sur toute question en lien avec l’accréditation, pourvu qu’elle n’altère pas la portée intentionnelle de l’accréditation. Cette règle de la « portée intentionnelle » suppose que, quelle que soit la portée du texte littéral de l’accréditation, il faille rechercher, à la lumière des circonstances dans lesquelles l’accréditation a été octroyée, quelles étaient véritablement les catégories d’emplois ou de fonctions que l’on entendait viser.[81]
[Soulignement ajouté]
[64] Ce qui importe, en l’espèce, ce n’est pas l’interprétation littérale du paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint, lequel ne mentionne que les juristes affectés au Conseil exécutif, puisque la preuve révèle qu’au moment de l’accréditation, les parties ont convenu d’exclure de l’unité de négociation des juristes affectés au ministère du Conseil exécutif[82]. Ces faits, dont le TAT a tenu compte, sont importants pour sceller le sort de la demande en inclusion :
397 – Détermination du statut – Le statut de salarié d’une personne peut être mis en question devant [le Tribunal administratif du travail], à tout moment, par une requête en vertu de l’article 39 du Code. Le plus souvent, la question est soulevée à l’occasion d’une demande d’accréditation présentée par une association syndicale, lorsqu’il s’agit de déterminer quelles sont les personnes comprises dans le groupe qu’elle veut représenter, ainsi que nous le verrons. Il sera d’ailleurs généralement opportun de faire décider de cette question au stade de l’accréditation, lorsqu’elle se pose déjà. En effet, il pourra s’avérer beaucoup plus difficile, postérieurement à l’accréditation, de faire reconnaître une personne comme salariée au sens du Code du travail si, à la connaissance de la partie requérante, cette personne était au travail sans que par ailleurs son nom paraisse sur la liste des salariés dressée au cours de la procédure d’accréditation.[83]
[Soulignement ajouté]
[65] La Cour est d’avis que la décision du TAT sur la portée de l’exclusion prévue au paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint est raisonnable et que le juge de la Cour supérieure a erré en concluant autrement. Le TAT ne commet pas d’erreur révisable en déterminant que, lorsqu’il est question d’un juriste du Conseil exécutif, cela renvoie sans distinction à un juriste du ministère du Conseil exécutif :
[189] Ainsi, il faut considérer que l’expression « conseil exécutif » du paragraphe quatre du rapport du comité conjoint réfère sans distinction au CE ou au MCE.[84]
[66] Ce raisonnement trouve appui dans la preuve, dans l’interprétation de la législation applicable, laquelle tient compte de l’intention du législateur, ainsi que dans le comportement des parties. La Cour supérieure, plutôt que de vérifier le caractère intelligible de la décision du TAT, a donné son interprétation de la loi et de la preuve retenue par ce dernier.
3) Le TAT a erré en concluant que les 19 juristes seraient simultanément des juristes du ministère de la Justice affectés au Conseil exécutif ainsi que des fonctionnaires du ministère du Conseil exécutif[85].
[67] La Cour supérieure estime que la décision du TAT est déraisonnable parce qu’il conclut que les 19 juristes relevant du ministère de la Justice sont également des fonctionnaires du ministère du Conseil exécutif. Le juge s’exprime ainsi :
[142] Après avoir conclu que ces 19 juristes relevant du MJQ sont affectés au CE, le TAT retient comme autre motif d’exclusion qu’ils seraient des fonctionnaires du MCE.
[143] Ils seraient simultanément des juristes du MJQ affectés au CE ainsi que des fonctionnaires du MCE.
[144] Le TAT considère que le lien qui unit au MJQ un juriste affecté au CE ou MCE n’est qu’administratif. Dans la réalité des choses, c’est le MCE « qui exerce toutes les prérogatives d’un employeur. Pour le [TAT], c’est ce qui importe ».
[145] Le TAT ajoute, au paragraphe 192, qu’il ne lui appartient pas de décider si la nomination de fonctionnaire est conforme ou non à la Loi sur la fonction publique. Aux fins de déterminer le statut de salarié, ce sont les fonctions réellement exercées auprès de l’entité qui exerce les prérogatives de l’employeur qui permettent au TAT de décider si les juristes sont des fonctionnaires du CE ou du MCE, et ce, sans égard au traitement administratif de leur situation au sein du gouvernement.
[146] Avec respect, le TAT fait fi d’une contrainte juridique incontournable, soit celle que l’appartenance d’un fonctionnaire à un ministère est déterminée en fonction de son acte de nomination. Or, dans le cas de ces 19 juristes, leur acte de nomination émane du MJQ et non du MCE. L’article
[147] La seule conclusion raisonnable est que ces 19 juristes ne sont pas des fonctionnaires du MCE.
[148] De plus, le peu d’importance que le TAT accorde au lien qui unit tous les juristes du corps d’emploi 115 au MJQ, sans égard au ministère au sein duquel ils sont affectés, fait abstraction de toute l’organisation des services juridiques au sein de l’appareil gouvernemental québécois.
[149] L’appartenance des juristes de l’État au ministère de la Justice n’est pas qu’une technicité. Il suffit de lire la Loi sur le ministère de la Justice pour s’en convaincre.
[150] Le ministre de la Justice est le jurisconsulte du lieutenant-gouverneur et le membre jurisconsulte du CE. Il donne son avis au ministre titulaire des divers ministères du gouvernement du Québec sur toutes les questions de droit qui concerne ses ministères. Le gouvernement nomme, conformément à la Loi sur la fonction publique, tout autre fonctionnaire et employé nécessaires à la bonne administration du ministère. Il s’agit notamment des juristes membres de LANEQ qui assistent le ministre dans son rôle de jurisconsulte.
[151] La logique de les réunir au sein d’un même ministère répond à un besoin évident de cohérence sur lequel le SMA du MJQ, Me Yan Paquette s’est exprimé lors de l’instruction.
[152] Quant à ce second motif d’exclusion, le Tribunal conclut donc que la conclusion du TAT est déraisonnable en ce qu’elle a fait fi d’une contrainte juridique incontournable.[86]
[68] Le PGQ plaide que la décision du TAT est raisonnable à cet égard. Les 19 juristes affectés au ministère du Conseil exécutif doivent être exclus en vertu de l’exception prévue au sous-paragraphe 1 l) 3.1° du Code. Le TAT n’a pas commis d’erreur en déterminant l’entité exerçant les prérogatives de l’employeur aux fins de l’application de cette exclusion. Le juge de la Cour supérieure, selon le PGQ, a erré en retenant la position formaliste de LANEQ de s’en tenir à l’acte de nomination et en écartant la preuve retenue par le TAT quant aux fonctions particulières concrètement exercées par les juristes affectés au ministère du Conseil exécutif.
[69] LANEQ rappelle pour sa part que le Conseil exécutif est une entité bien distincte du ministère du Conseil exécutif. Dès lors, il faut interpréter l’exclusion prévue au paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint comme ne visant que les juristes du ministère de la Justice affectés au Conseil exécutif. En concluant que les juristes qui exercent leurs fonctions au ministère du Conseil exécutif sont des employés de ce dernier, le TAT a dérogé au caractère d’ordre public de l’acte de nomination de ces salariés. Il a également contourné l’application de la Loi sur le ministère de la Justice[87] qui confie au ministre du même nom le rôle de jurisconsulte du gouvernement. Or, les juristes ne peuvent relever à la fois du ministère de la Justice et du ministère du Conseil exécutif.
[70] La Cour est d’avis qu’il est inexact de prétendre que le TAT a fait fi d’une contrainte juridique incontournable. Il était bien au fait que l’acte de nomination des juristes en cause relève du ministère de la Justice[88]. Toutefois, dans le contexte particulier de la présente affaire et compte tenu de sa conclusion sur le lien entre le Conseil exécutif et le ministère du Conseil exécutif, le TAT détermine que la distinction proposée par LANEQ aurait pour effet de ne pas tenir compte de l’exclusion contenue au sous-paragraphe 1 l) 3.1° du Code, lequel vise précisément le ministère du Conseil exécutif. Ce sont par ailleurs les fonctions réellement exercées auprès de l’entité qui exerce les prérogatives de l’employeur qui importent pour déterminer le statut d’un salarié. Le TAT écrit :
[188] Pour le Tribunal, la portée intentionnelle découlant du paragraphe 4 vise les juristes du MJQ travaillant au bureau d’un sous-ministre associé qu’il soit lié au CE ou au MCE considérant que les amendements au Code étaient en vigueur lors de la rédaction du rapport du Comité conjoint. C’est la seule interprétation compatible avec le Code.
[189] Ainsi, il faut considérer que l’expression « Conseil exécutif » du paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint réfère sans distinction au CE ou au MCE.
[190] LANEQ plaide qu’il faut s’en remettre à l’acte de nomination découlant de la Loi sur la fonction publique pour identifier l’employeur. Ainsi, pour être visé par l’exclusion, le juriste devrait avoir été nommé au MCE alors que l’exclusion du rapport du Comité conjoint ne vise que les juristes nommés au MJQ, mais affectés au CE.
[191] Avec égard, pour les motifs énoncés concernant le lien entre le CE et le MCE, la distinction proposée par LANEQ aurait pour effet de ne pas tenir compte de l’exclusion nommée visant le MCE. Le Tribunal ne peut souscrire à une telle interprétation.
[192] Il n’appartient pas au Tribunal de décider si la nomination du fonctionnaire est conforme ou non à la Loi sur la fonction publique. Aux fins de déterminer le statut de salarié, ce sont les fonctions réellement exercées auprès de l’entité qui exerce les prérogatives de l’employeur qui permettent au Tribunal de décider si les juristes sont des fonctionnaires du CE ou du MCE sans égard au traitement administratif de leur situation au sein du gouvernement.
[193] Cet acte de nomination qui émane du ministère de la Justice permet aux juristes affectés au CE ou au MCE de continuer d’assumer le rôle délégué de jurisconsulte, soit de donner des avis aux ministres titulaires des divers ministères du gouvernement comme le précise l’article
3. Le ministre de la Justice est le jurisconsulte du lieutenant-gouverneur et le membre jurisconsulte du Conseil exécutif du Québec.
Le ministre:
[…]
d) donne son avis aux ministres titulaires des divers ministères du gouvernement du Québec sur toutes les questions de droit qui concernent ces ministères;
[194] Comme l’a souligné le directeur général de la gouvernance et de l’administration du MCE, le statut des juristes est assimilable à un prêt de service entre le MJQ et le MCE, malgré ses particularités. Le MJQ n’exerce aucune autorité à l’égard des juristes affectés au CE ou au MCE. C’est le ministère du Conseil exécutif qui exerce toutes les prérogatives d’un employeur. Pour le Tribunal, c’est ce qui importe.[89]
[71] À ce sujet, la preuve révèle qu’en raison du statut de jurisconsulte du gouvernement dévolu au ministre de la Justice[90], seul le ministère de ce dernier peut procéder à l’embauche de juristes[91]. Toutefois, en pratique, le ministère du Conseil exécutif dispose d’une « pleine autonomie pour engager [ses] juristes »[92]. Le ministère de la Justice n’a pas « un mot à dire » dans le cadre de cette décision[93]. Une fois que le choix du candidat est fait, le ministère de la Justice en est simplement informé pour qu’il complète les « formalités administratives » relatives à la nomination[94]. Le salaire est versé par celui-ci, lequel voit toutefois à en obtenir le remboursement par le ministère du Conseil exécutif[95]. Le ministère de la Justice n’exerce aucune supervision quant au travail de ces juristes[96]. Ils sont sous « la responsabilité des différents secrétaires généraux associés » du ministère du Conseil exécutif[97]. Au final, il n’y a aucune différence entre les conditions de travail d’un fonctionnaire du ministère du Conseil exécutif et celles d’un fonctionnaire affecté chez ce dernier[98].
[72] En somme, le processus de sélection, l’embauche, l’évaluation, la supervision, la discipline et l’affectation des tâches des juristes[99] relèvent du ministère du Conseil exécutif. À la lumière de cette preuve, la Cour est d’avis que la conclusion du TAT voulant que l’acte de nomination devait céder le pas devant le fait que c’est le ministère du Conseil exécutif qui exerce réellement les prérogatives de l’employeur est raisonnable. La Cour supérieure ne pouvait pas intervenir à cet égard.
4) Le TAT a erré en concluant au caractère confidentiel de leur emploi en lien avec la fonction exécutive (sous-paragraphe 1 l) 3° du Code).
[73] Le TAT conclut que les 19 juristes sont également exclus de l’unité de négociation en raison du fait qu’ils ont accès à des renseignements confidentiels et qu’ils participent, à un très haut niveau, à la fonction exécutive, voire à la « politique de l’État ». Le juge de la Cour supérieure considère que la décision du TAT, qui applique l’exclusion prévue au sous-paragraphe 1 l) 3° du Code pour en venir à cette conclusion, est déraisonnable[100].
[74] Compte tenu de la conclusion de la Cour sur les trois questions précédentes, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur le caractère confidentiel de l’emploi au sens du sous-paragraphe 1 l) 3 du Code.
[75] En conséquence, les juristes affectés au Conseil exécutif (qui sont également des fonctionnaires du ministère du Conseil exécutif) sont exclus de la définition de salarié en vertu du sous-paragraphe 1 l) 3.1.
[76] La Cour est d’avis que le TAT n’a pas rendu une décision déraisonnable en excluant de l’unité de négociation les 19 juristes du ministère du Conseil exécutif. Sa décision de rejeter la requête en inclusion de LANEQ à cet égard est raisonnable et la Cour supérieure n’aurait pas dû intervenir sur la question.
[77] Le TAT a exclu de l’unité de négociation les trois juristes travaillant à la Direction générale des affaires juridiques, législatives et de l’accès à la justice, soit Me Aurélie Bujold, Me Pascal Painchaud et Me François Gilbert, ainsi que les trois juristes de la Direction des services aux ministères – jurisconsulte, Me Élise Labrecque, Me Jean‑Philippe Lebrun et Me Michel Paquette, et ce, pour les motifs suivants : 1) le caractère confidentiel de leur emploi en lien avec la fonction exécutive (sous-paragraphe 1 l) 3° du du Code); et 2) leur rôle de représentant de l’employeur (sous-paragraphe 1 l) 1° du Code).
[78] Le TAT explique ainsi le rôle de ces juristes :
[124] Le sous-ministre associé à la direction générale des affaires juridiques, législatives et de l’accès à la justice (DGAJLAJ), Me Yan Paquette (SMA Paquette), explique le rôle étendu de son bureau de sous-ministre associé (BSMA).
[125] Le SMA Paquette est responsable d’environ 600 fonctionnaires, dont quelque 400 juristes répartis dans 5 directions, soit :
• Direction des services juridiques centraux;
• Direction du contentieux de la Procureure générale du Québec et de la transformation – volet PGQ;
• Direction des services aux ministères – jurisconsulte;
• Direction des orientations, des politiques et de la législation ministérielle;
• Direction des affaires contentieuses.
[126] Le SMA Paquette joue un rôle pivot entre autres à l’égard des mandats venant de la ministre ou de la sous-ministre de la Justice; en regard les avis déposés dans DOSSDEC; des orientations recherchées dans les dossiers; des autorisations de règlement à l’amiable, etc.
[127] Le BSMA Paquette se compose de trois conseillers à la justice, trois conseillers à la coordination législative, une adjointe exécutive, une adjointe administrative et un professionnel en gestion.
[128] Ils se réunissent hebdomadairement afin de faire le point sur tous les dossiers qui concernent le SMA Paquette.
[129] Il précise que l’adjointe exécutive et ses conseillers le représentent auprès des directions sous sa gouverne.
Maître Bujold
[130] Selon l’employeur, elle est présentement exclue de l’accréditation selon l’alinéa 4o du Décret 14-96, puisqu’elle est le prolongement du SMA Paquette.
[131] Me Bujold relève directement du SMA Paquette. Elle gère son agenda et coordonne toutes ses activités. Elle le soutient « dans l’implantation et la gestion des dossiers stratégiques. Elle fournit au SMA des conseils sur des dossiers stratégiques sur des sujets complexes et d’importances majeures concernant la réalisation des priorités, des orientations, des objectifs et des politiques de la DGAJLAJ et contribue à leur établissement et à leur réalisation ».
[132] Elle a accès à l’ensemble des messages destinés au SMA Paquette, dont ceux concernant la gestion du personnel.
Maîtres Painchaud et Gilbert - conseillers
[133] Pour réaliser ses mandats, le SMA Paquette s’entoure de trois conseillers juristes dont deux seulement sont visés par la requête de LANEQ (Mes Painchaud et Gilbert), puisque le troisième est un substitut du Procureur général en prêt de service.
[134] Le 20 novembre 2017, dans un communiqué détaillé destiné à l’ensemble du personnel du BSMA de Me Paquette, les fonctions de ces personnes sont brièvement décrites ainsi :
Ensemble, ils verront à soutenir le SMA et les DGA dans toutes les matières relevant de la DGAJLAJ. Ils seront également les répondants aux conseillers du BSM et verront à assurer la veille de la revue de presse quotidienne notamment lors des sessions parlementaires. Ils pourront entrer en communication avec les personnes responsables des dossiers pour obtenir d’elles les informations et avis nécessaires à la réalisation des mandats qui leur sont confiés.
[Notre soulignement]
[135] Me Painchaud conseille le SMA Paquette pour la prise de décision concernant les dossiers d’importance, comme l’aide médicale à mourir, les demandes de renvoi devant les tribunaux, etc. Il recueille l’information pertinente auprès d’autres ministères, des procureurs plaidants ou d’autres juristes tels des constitutionnalistes de la DAJ. Il le conseille principalement sur les litiges. Il remplace le SMA à certains comités.
[136] Me Gilbert est quant à lui responsable de conseiller le SMA Paquette concernant la réforme du droit de la famille, il participe au groupe de travail non partisan concernant la violence sexuelle. Il informe le SMA Paquette du suivi de ces dossiers et le conseille concernant les orientations stratégiques et politiques.
[137] Ces conseillers n’ont pas de responsabilité à l’égard des relations du travail dans le MJQ.
[138] Leurs bureaux sont situés dans la suite du SMA Paquette qui les consulte régulièrement. Ce dernier les évalue, contrôle leur travail et autorise les absences.
3.3.2.2 BSMA Paquette - Direction des services aux ministères – jurisconsulte
Maîtres Labrecque, Lebrun et M. Paquette
[139] Me François Bélanger est à la tête de cette direction. Celui-ci assure la coordination et l’évaluation des 13 directions des affaires juridiques (DAJ) qui comptent 185 juristes ainsi que 9 juristes engagés par le Conseil du trésor. Rappelons que LANEQ s’est désisté de son recours à l’égard de ces derniers.
[140] Mes Lebrun, M. Paquette et Labrecque étaient au Bureau de la coordination législative gouvernementale relevant de la Direction des services juridiques centraux. Depuis mai 2019, leurs bureaux sont dans la suite du SMA Paquette.
[141] Ces trois conseillers recueillent l’information nécessaire pour alimenter le SMA Paquette afin de préparer la réunion avec la ministre en vue du Comité de législation ou pour toutes les questions en lien avec son rôle de jurisconsulte, dont les règlements de tous les ministères ou organismes.
[142] Me M. Paquette conseille le SMA concernant le suivi des projets de règlement. Il s’assure de la cohérence des dossiers de réglementation gouvernementale, en effectuant les consultations requises et en faisant le lien avec entre autres le SMA, la BSM et le Secrétariat du CE. Il évalue, en collaboration avec le SMA et les directions des DAJ, comment résoudre les difficultés juridiques soulevées par les projets de règlements et recommande des solutions. Il informe les autorités du ministère des problèmes juridiques qui peuvent subsister dans un projet de règlement. Enfin, il assure le suivi des demandes du cabinet de la ministre, du Secrétariat du CE ou du BSM et conseille le SMA quant à l’opportunité et la faisabilité des demandes formulées.
[143] Mes Lebrun et Labrecque conseillent le SMA dans le rôle de coordination législative afin d’assurer la cohérence gouvernementale dans les avis fournis à la jurisconsulte. Ils représentent le SMA auprès des DAJ.
[144] Les bureaux de ces trois juristes sont à proximité de celui du SMA. Avec Me Bujold, ils participent à la rencontre hebdomadaire de planification du SMA. Ils participent également à la rencontre préparatoire du Comité de législation.[101]
[79] Le TAT conclut qu’il y a lieu d’exclure ces juristes de l’accréditation pour les motifs suivants :
[240] Me Bujold est le prolongement du SMA Paquette. Elle a accès à l’ensemble des informations destinées au SMA, dont celles concernant les relations du travail visant des juristes sous la responsabilité du SMA Paquette. De plus, elle détient plusieurs informations liées à la fonction exécutive, soit l’accès à tous les rapports du SMA avec la ministre concernant son rôle de jurisconsulte.
[241] Concernant Mes Painchaud et Gilbert, c’est particulièrement leur rôle de répondant au personnel du cabinet de la ministre qui les place dans un volet particulièrement confidentiel. De plus, afin de répondre au cabinet, le SMA Paquette les a formellement désignés pour « entrer en communication avec les personnes responsables des dossiers pour obtenir d’elles les informations et avis nécessaires à la réalisation des mandats qui leur sont confiés ». Par cette délégation, ces conseillers peuvent intervenir directement auprès de toutes personnes au MJQ afin d’obtenir l’information nécessaire sur tout dossier, incluant celui qui pourrait impliquer un collègue.
[242] En plus d’avoir accès aux informations confidentielles destinées au cabinet de la ministre, ils exercent un rôle de représentant de l’employeur, puisque le SMA Paquette les a formellement désignés pour agir en son nom. Pour ces motifs, ils doivent être exclus de LANEQ.
[243] Par conséquent, il y a lieu de les exclure pour les motifs suivants :
Selon l’article 1 l) 3o du Code en raison du caractère confidentiel de l’emploi en lien avec la fonction exécutive;
Selon l’article 1 l) 1o du Code à titre de représentant de l’employeur.
4.3.3.2 BSMA Paquette - Direction des services aux ministères – jurisconsulte
Maîtres Labrecque, Lebrun et M. Paquette
[244] À priori, ces juristes ont principalement un rôle-conseil spécialisé et complexe, concernant le mandat législatif lié à la fonction de jurisconsulte de la ministre. Ces trois juristes conseillent le SMA dans le rôle de coordination législative afin d’assurer la cohérence gouvernementale des avis fournis à la jurisconsulte.
[245] Le rôle de M. Paquette est plus étendu. Il assure le suivi des demandes du cabinet de la ministre, du Secrétariat du CE ou du BSM et conseille le SMA sur l’opportunité et la faisabilité des demandes formulées.
[246] En plus, ces juristes représentent le SMA auprès des DAJ ce qui leur confère une autorité d’agir à titre de représentants de l’employeur. Ils peuvent requérir des précisions nécessaires d’une direction avant de présenter leurs recommandations au SMA.
[247] Enfin, ils participent à la rencontre hebdomadaire de planification avec le SMA. Ils collaborent également à la rencontre préparatoire du Comité de législation. Ainsi, ils ont un accès privilégié aux informations liées à la fonction exécutive de l’État.
[248] Ainsi, ils doivent être exclus de l’unité de négociation :
Selon l’article 1 l) 3o du Code en raison du caractère confidentiel de l’emploi en lien avec la fonction exécutive;
Selon l’article 1 l) 1o du Code à titre de représentant de l’employeur.[102]
[80] Examinons d’abord la question du caractère confidentiel de l’emploi.
Le caractère confidentiel de l’emploi
[81] La Cour supérieure estime que la décision du TAT est déraisonnable quant à sa conclusion sur le caractère confidentiel de l’emploi des juristes œuvrant au bureau du sous-ministre associé puisque le lien à examiner en vertu du sous-paragraphe 1 l) 3° du Code n’est pas celui avec l’exercice de la fonction exécutive, mais plutôt avec les relations du travail. Pour le juge, « le simple accès à des informations confidentielles n’est pas suffisant pour leur retirer leur statut de salarié ». Il réfère à son analyse sur cette question à l’égard des 19 juristes du ministère du Conseil exécutif[103].
[82] En ce qui concerne les juristes du bureau du sous-ministre associé, incluant Me Lydia Boily-Dupuis qui est à la Direction du droit administratif, mais dont il sera question dans une prochaine section, il y a d’abord lieu de préciser que les parties ont reconnu, devant le TAT, qu’il devrait y avoir une virgule après « Conseil exécutif » au paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint, et ce, même si le document déposé n’en comporte pas. Les parties s’entendent qu’il s’agit d’une erreur. Aux fins de l’interprétation, il faut donc considérer qu’il est ainsi rédigé :
4o les juristes relevant du ministère de la Justice qui sont affectés au Conseil exécutif, au bureau d’un sous-ministre associé et au Secrétariat du Conseil du trésor (Relations du travail);
[83] Cette virgule a son importance puisque les parties reconnaissent que ce sont tous les juristes affectés à un bureau de sous-ministre associé, dans n’importe quel ministère, qui peuvent être exclus de l’unité de négociation selon les termes de cette entente. Or, le TAT ne semble pas considérer cette admission lorsqu’il conclut qu’il faut qu’un juriste soit affecté au bureau du sous-ministre associé du Conseil exécutif ou du ministère du Conseil exécutif pour ne pas être inclus dans l’unité de négociation :
[235] Par ailleurs, le Tribunal ne peut retenir l’interprétation donnée par les parties du paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint qui selon eux viserait une exclusion spécifique concernant le personnel des BSMA, soit :
4. Les juristes relevant du ministère de la Justice qui sont affectés au Conseil exécutif, au bureau d’un sous-ministre associé et au secrétariat du Conseil du trésor (Relations du travail);
[Notre soulignement]
[236] Pour le tribunal, la portée très large donnée [par les parties] à l’expression « au bureau d’un sous-ministre associé » ne tient pas compte du contexte de cette exclusion telle qu’elle est rédigée. Rappelons que les parties ont « isolé » l’expression « au bureau d’un sous-ministre associé » en suggérant d’ajouter une virgule après le mot « exécutif ». Ce n’est pas anodin. Pour le Tribunal, il faut considérer l’ensemble de cette expression dans son contexte, soit qu’elle vise « les juristes affectés à un bureau de sous-ministre associé au Conseil exécutif » et non extraire, sans concordance avec la phrase, une exclusion spécifique qui viserait les juristes au bureau d’un sous-ministre associé.
[237] Il est clair que cette référence BSMA, dans le paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint, est strictement en lien avec les fonctions de soutien au Conseil exécutif et ne peut viser les bureaux des sous-ministres associés au MJQ.[104]
[84] La preuve indique pourtant clairement qu’il n’y a pas de sous-ministre associé au Conseil exécutif. Ce sont des secrétaires généraux associés qui relèvent du ministère du Conseil exécutif. Comme mentionné précédemment, ils ont les mêmes conditions de travail que les sous-ministres associés, mais n’en sont pas.
[85] En conséquence, pour que l’exclusion prévue au paragraphe 4 du rapport du Comité conjoint concernant les juristes relevant du bureau d’un sous-ministre associé ait une portée, il faut considérer que les parties les ont exclus de l’unité de négociation, comme c’est le cas pour ceux relevant d’un bureau de sous-ministre (paragraphe 1 du rapport du Comité conjoint) qui sont également exclus de l’accréditation. Il est par ailleurs logique qu’il en soit ainsi puisque les informations confidentielles sont partagées entre le bureau du sous-ministre et celui du sous-ministre associé. Cette interprétation permet de trancher le litige quant à tous les juristes du bureau du sous-ministre associé Yan Paquette qui sont exclus de l’unité de négociation en vertu du rapport du Comité conjoint. Cela est d’ailleurs conforme à la façon dont l’exclusion a été appliquée depuis plus de 20 ans.
[86] Bien que le TAT ait fait une autre interprétation de cette exclusion en mentionnant qu’elle vise « les juristes affectés à un bureau de sous-ministre associé au Conseil exécutif » et non les juristes d’un bureau de sous-ministre associé[105], ce qui est une erreur de l’avis de la Cour, la conclusion à laquelle il arrive, soit qu’ils doivent être exclus de l’unité de négociation en raison du caractère confidentiel des fonctions exercées, n’est pas déraisonnable (sous-paragraphe 1 l) 3° du Code).
[87] Comme le plaide le PGQ, la jurisprudence a reconnu trois catégories de confidentialité qui entraînent l’application de cette disposition du Code : 1) la confidentialité reliée à la gérance[106]; 2) celle reliée aux relations patronales-syndicales[107]; et, enfin, 3) la confidentialité reliée à l’accès à de l’information pouvant aller à l’encontre d’une allégeance syndicale[108]. Par ailleurs, le législateur a créé une exception spécifique pour les fonctionnaires du gouvernement. Cela ne peut être une répétition de l’exclusion prévue au sous-paragraphe 1 l) 1° du Code concernant les représentants de l’employeur.
[88] Le PGQ reproche au juge de la Cour supérieure de segmenter le lien entre la détention de renseignements confidentiels, la participation à un très haut niveau à la fonction exécutive de l’État et les liens avec les relations du travail[109]. Il ignore le volet de la détention d’informations confidentielles, ce qui va à l’encontre de la jurisprudence qu’il retient sur la question[110]. Pour le PGQ, le juge commet une erreur en ne considérant pas que la « fonction exécutive » est imbriquée dans la troisième catégorie, soit la « confidentialité reliée à l’accès à de l’information pouvant aller à l’encontre d’une allégeance syndicale ».
[89] Le juge de la Cour supérieure résume d’abord ce qu’il retient de la notion de confidentialité développée par la jurisprudence et il explique ensuite quelle application il faut en faire en l’espèce :
[54] De cette jurisprudence, le Tribunal retient que cette notion de confidentialité doit s’entendre de la façon suivante :
• la notion de confidentialité est limitée à un état de connaissances privilégiées en rapport avec l’exercice des droits de gérance ou, tout au moins reliées aux relations patronales-syndicales;
• la confidentialité peut aussi être reliée au traitement de dossiers confidentiels pouvant mettre en conflit d’intérêts de façon formelle le salarié avec son allégeance syndicale;
• la confidentialité qui est un motif d’exclusion vise les informations que le gouvernement doit garder secrètes au syndicat accrédité chez lui;
• le simple fait que le salarié ait accès à des informations confidentielles n’est pas en soi un motif d’exclusion;
• la preuve doit révéler que le conflit d’intérêts est réel et actuel et non seulement hypothétique.
[55] Donner une définition plus large à la notion de confidentialité ferait perdre à tous les juristes de l’État le statut de salarié. Par définition, un juriste reçoit, dans l’exercice de sa profession, les confidences de son client. Cela est aussi vrai pour de nombreux fonctionnaires. D’ailleurs, à ses articles 5 et 6, la Loi sur la fonction publique impose à tout fonctionnaire un devoir de loyauté et de discrétion.
[…]
[162] Le Tribunal est d’avis que sous le volet « confidentialité en lien avec la fonction exécutive », la Décision du TAT est déraisonnable.
[163] L’élaboration par le TAT d’un nouveau critère d’exclusion, soit celui de la confidentialité en lien avec la fonction exécutive, équivaut à une réécriture de la loi. À tout le moins, il s’agit d’une rupture avec une jurisprudence constante pour laquelle le TAT ne s’explique pas.
[164] La notion de confidentialité doit plutôt s’entendre de la façon dont le Tribunal l’énonce au paragraphe [54].
[165] Or, ce n’est pas cette notion de confidentialité que le TAT retient pour exclure ces 19 juristes de l’unité de négociation, mais uniquement « celle en lien avec la fonction exécutive ». Il ne s’agit pas ici d’une question de sémantique. Le TAT a très bien fait la distinction entre le concept de la confidentialité « en lien avec la fonction exécutive » qu’il a développé et celui de la confidentialité « en lien avec les relations du travail » qu’il applique à l’égard de trois juristes, soit Mes Boily-Dupuis et Grondin et Me Deschênes.
[166] Le Tribunal doit donc en déduire que le TAT a jugé que la preuve administrée devant lui ne justifiait pas l’application de l’exception de confidentialité en lien avec les relations du travail à l’égard de ces 19 juristes. Il n’appartient pas au Tribunal de décider s’il avait raison de conclure ainsi. L’objet du Pourvoi est la Décision rendue et non celle qui aurait pu l’être.
[167] À la lumière de la preuve considérée par le TAT, la seule conclusion raisonnable est que cette exclusion fondée sur la confidentialité est inapplicable.[111]
[Soulignement ajouté]
[90] Il est à noter que les paragraphes 162 à 167 du jugement de la Cour supérieure font partie de la section concernant les 19 juristes du ministère du Conseil exécutif et non de celle concernant les 6 juristes relevant du bureau du sous-ministre associé dont il est ici question. Toutefois, le juge s’y réfère, au paragraphe 183 de son jugement, pour expliquer sa décision que le lien qui doit exister, en ce qui concerne la confidentialité, n’est pas avec l’exercice de la fonction exécutive, mais plutôt avec les relations du travail.
[91] La Cour est d’avis que le juge s’est mépris quant au sens à donner au « caractère confidentiel » d’un emploi, lequel permet l’exclusion d’un fonctionnaire d’une unité de négociation en vertu du sous-paragraphe 1 l) 3° du Code. Il est exact que les exclusions d’une unité doivent être interprétées restrictivement[112]. Toutefois, en l’espèce, le législateur a adopté des dispositions particulières pour les fonctionnaires et il faut déterminer quelle était son intention au moment de leur adoption et lorsqu’il les a par la suite modifiées.
[92] Le TAT explique ainsi ce qu’est un emploi ayant un caractère confidentiel :
4.1.3 L’emploi d’un caractère confidentiel
[168] Une remarque préliminaire s’impose. Bien que les fonctionnaires soient tous tenus aux règles inhérentes de confidentialité liées à leurs fonctions et les juristes à leur Code de déontologie, en raison de leur statut d’avocat ou de notaire, il est manifeste que le travail au cœur des plus hautes instances du gouvernement les amène à collaborer à la prise de décision. Ils jouent donc un rôle spécialisé, d’analyse, de rédaction d’avis ou participent à la rédaction législative, mais ils ont également accès et peuvent contribuer à enrichir l’analyse politique des membres de l’exécutif. Ainsi, ils participent à la fonction exécutive de l’État.
[169] Examinons la portée de l’exclusion du Code visant le « fonctionnaire dont l’emploi est d’un caractère confidentiel au jugement du Tribunal ». Cette exclusion est spécifique aux employés de la fonction publique. Elle a donné lieu à plusieurs décisions dont celle concernant Association des juristes de l’État c. Procureur général du Québec qui résume ainsi cette notion :
[page 20] De plus, la notion de confidentialité reliée aux dispositions du Code du Travail a été limitée, par différents arrêts et la doctrine, à un état de connaissances privilégiées en rapport avec l’exercice des droits de gérance ou, tout au moins relié aux relations patronales-syndicales. Il apparaît alors le possible conflit d’intérêts entre les connaissances acquises de façon privilégiée et l’exercice subséquent de revendications syndicales pouvant découler dans le cadre normal de l’allégeance syndicale des membres.
[170] Mais pour bien cerner la portée de cette exclusion, il faut également considérer le rôle des juristes dans la participation au processus d’élaboration de décisions privilégiées, donc politiques. Il est utile de reproduire l’extrait suivant de l’ouvrage « Le droit du travail du Québec » :
395 – Confidentialité et discrétion – Le caractère de confidentialité de certaines fonctions se distingue de l’obligation générale de discrétion du fonctionnaire. Il ne suffit pas en somme que l’exercice des fonctions de l’employé lui donne l’occasion de prendre connaissance d’informations qui ne doivent pas être révélées. La véritable confidentialité s’attache à une forme de participation quelconque au processus d’élaboration de décisions privilégiées. Elle s’apprécie essentiellement en fonction de la perception d’une possibilité ou non de conflits d’intérêts pour le fonctionnaire entre l’exercice de ses fonctions et son appartenance syndicale. Il faut aussi signaler que l’exclusion pour cause de confidentialité dans la fonction publique ne vise que les fonctionnaires dont le travail se rapporte à la fonction exécutive de l’État, sans atteindre deux qui servent plutôt la fonction judiciaire comme les secrétaires des juges de la Cour supérieure.
[Notre soulignement]
[171] De plus, comme mentionné précédemment, il faut tenir compte des amendements au Code du travail introduisant de nouvelles « exclusions nommées», sans égard au caractère confidentiel ou non des fonctions. Dans l’ouvrage cité au paragraphe précédent, l’auteur Robert P. Gagnon précise ce qui suit :
4. Les exclusions nommées
396 – Fonctions visées – Sont automatiquement exclus du groupe des salariés qui peuvent être syndiqués en vertu du Code du Travail, sans égard au caractère confidentiel ou non de leurs fonctions, les fonctionnaires du ministère du Conseil exécutif ou du Conseil du trésor, sauf dans les cas que le gouvernement peut déterminer par décret, ainsi que ceux qui occupent certaines fonctions à l’Institut de la statistique du Québec (art 1 l), 3.1o, 3.2o et 3.3o C.t.). (…)
[Notre soulignement]
[172] Pour le Tribunal, les distinctions qu’invoque LANEQ pour nuancer le statut des juristes affectés au CE ou au MCE ne sont pas appropriées. Examinons ses arguments.[113]
[93] Au paragraphe 169 de sa décision, le TAT reprend le passage d’un jugement du juge Yergeau du Tribunal du travail, qui résume la notion de confidentialité à la lumière de la jurisprudence des dix années qui ont précédé sa décision rendue en 1991[114]. La Cour est d’avis que le TAT a bien exposé les principes établis selon lesquels une exclusion d’une unité de négociation peut survenir lorsqu’un fonctionnaire doit traiter de dossiers confidentiels qui le mettent en conflit d’intérêts avec une allégeance syndicale. À partir de ces principes, il a examiné la preuve et en a tiré la conclusion que les six juristes attachés au bureau du sous-ministre associé devaient être exclus de l’unité de négociation. Ses motifs sont longuement exposés au moyen d’une description des fonctions occupées et par l’analyse qu’il fait de la preuve[115].
[94] Comme déjà mentionné, c’est au TAT que le législateur a clairement confié la tâche de déterminer si un fonctionnaire doit être exclu de l’unité de négociation en raison du caractère confidentiel de son emploi. Les tribunaux supérieurs doivent faire preuve d’une grande déférence à l’endroit de ces décisions. En l’espèce, la Cour est d’avis que le TAT n’a pas commis d’erreur révisable sur cette question et que le juge de la Cour supérieure a erré en déterminant que sa décision à cet égard était déraisonnable.
Le rôle de représentant de l’employeur
[95] Le juge de la Cour supérieure estime par ailleurs que le TAT a rendu une décision déraisonnable en déterminant que les six juristes du bureau du sous-ministre associé, dont il est question dans la présente section, peuvent être exclus de l’unité de négociation en raison de leur rôle de représentant de l’employeur (sous-paragraphe 1 l) 1° du Code). Selon le juge, ces juristes ne représentent pas l’employeur « dans ses relations avec ses salariés »[116]. Il écrit :
[184] Quant au second motif d’exclusion retenu, soit leur rôle de représentant de l’employeur (article 1, paragraphe l), sous-paragraphe 1 du Code du travail), le Tribunal estime également que la conclusion à cet égard est déraisonnable. Selon le texte même du Code du travail, la personne exclue est celle qui représente l’employeur « dans ses relations avec ses salariés ».
[185] En ce qui a trait à Me Bujold, le TAT ne justifie pas son application de ce second motif d’exclusion. Le fait qu’elle gère l’agenda du SMA Paquette, coordonne ses activités, le soutient dans l’implantation et la gestion des dossiers stratégiques et qu’elle ait accès à l’ensemble des messages qui lui sont destinés ne mène pas à la conclusion qu’elle est une représentante de l’employeur dans ses relations avec ses salariés.
[186] Quant à Mes Painchaud et Gilbert, l’application de cette exclusion est également déraisonnable alors que le TAT conclut qu’ils n’ont aucune responsabilité à l’égard des relations du travail.
[187] En ce qui a trait à Mes Lebrun, Labrecque et M. Paquette, le TAT ne conclut pas qu’ils représentent l’employeur dans ses relations avec ses salariés ni qu’ils auraient une quelconque implication dans les dossiers de relations du travail.
[188] Sur le tout, la décision du TAT à l’égard de ces six juristes est déraisonnable. En fonction de la preuve exposée dans la Décision, la seule conclusion raisonnable est que les deux exclusions invoquées pour le retrait de leur statut de salarié sont inapplicables.
[189] Le Tribunal fera donc droit au Pourvoi en ce qui les concerne.[117]
[96] Le PGQ soutient que la décision du TAT, selon laquelle les juristes exerçant au bureau du sous-ministre associé Paquette sont des représentants de l’employeur, est raisonnable. En intervenant, la Cour supérieure a confondu le pouvoir de gérance et la notion de « représentant de l’employeur », cette dernière ayant une portée plus large que le concept de pouvoir de gérance. Selon la preuve, les juristes œuvrant au bureau de Me Paquette communiquent ses orientations, le conseillent, obtiennent l’information nécessaire à l’exercice de sa fonction et le représentent. Cette preuve n’a pas été contredite et la Cour supérieure ne pouvait donc pas intervenir à cet égard.
[97] LANEQ plaide pour sa part qu’aucun élément de preuve ne permet de conclure que les juristes concernés sont des représentants de l’employeur. Pour se prévaloir de cette exclusion, le PGQ devait démontrer que les juristes détiennent un pouvoir de gérance. Or, le TAT a confondu cette notion avec la proximité des juristes par rapport au pouvoir exécutif. La Cour supérieure a donc conclu avec raison que cette décision était déraisonnable.
[98] La Cour est d’avis que LANEQ a raison sur cette question. Le juge de la Cour supérieure n’a pas erré en déterminant que cette conclusion du TAT est déraisonnable. Par souci de commodité, il y lieu de reproduire le sous-paragraphe 1 l) 1 du Code.
1. […]
l) «salarié» : une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération, cependant ce mot ne comprend pas:
1° une personne qui, au jugement du Tribunal, est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés; | 1. […]
(l) “employee” : a person who works for an employer and for remuneration, but the word does not include:
(1) a person who, in the opinion of the Tribunal, is employed as manager, superintendent, foreman or representative of the employer in his relations with his employees; |
[99] Les auteurs de l’ouvrage Droit des rapports collectifs du travail au Québec résument de la façon suivante les balises jurisprudentielles qui permettent de mieux cerner la notion de « représentant de l’employeur » :
Comme le sous-entend le Code du travail en parlant de « gérant, surintendant, contremaître », l’étiquette donnée à une fonction n’a en soi aucune importance. Ce sont les fonctions réellement exercées qui sont déterminantes. […] Il faut plutôt voir dans chaque cas si, dans les faits, l’employé assume ou non l’autorité hiérarchique à l’endroit d’autres salariés (en cas de délégation par l’employeur des pouvoirs de contrôle et de direction notamment) ou s’il ne possède qu’une autorité fonctionnelle, technique ou professionnelle, la question étant résolue au cas par cas.
Suivant l’opinion dominante, un employé disposant de l’autorité hiérarchique ne peut faire partie de l’unité de négociation, car cela créerait une situation de conflit d’intérêts dommageable à la paix industrielle. […]
Quels sont les indices dont il faut tenir compte pour juger si un employé dispose d’une telle autorité hiérarchique ? Mentionnons les éléments suivants :
- L’employé dispose-t-il d’un pouvoir d’embaucher (ou de recommander ou de s’opposer à l’embauche)?
- L’employé assume-t-il, sur une base régulière, une fonction de contrôle et de surveillance des salariés : pour le dire plus crûment, l’employé représente-t-il « les yeux et les oreilles de l’employeur »?
- L’employé joue-t-il un rôle clé dans l’organisation du travail : possède-t-il, par exemple, le pouvoir de distribuer les tâches et d’en vérifier l’exécution?
- L’employé participe-t-il à l’évaluation des autres salariés?
- L’employé participe-t-il à l’exercice du pouvoir disciplinaire, notamment en matière de congédiements (il peut s’agir en ce cas d’un simple pouvoir de recommandation)?
On notera qu’il n’est pas nécessaire que tous ces éléments soient réunis, la présence d’un seul de ces éléments suffit.[118]
[100] L’auteur Robert P. Gagnon ajoute avec justesse que l’exclusion du sous-paragraphe 1 l) 1° du Code couvre également les employés qui n’ont pas de salariés sous leur contrôle, mais qui « disposent néanmoins d’un pouvoir significatif, soit en engageant l’employeur à l’endroit de tiers de leur seule autorité, soit en participant à l’orientation et à la marche des activités de l’entreprise »[119]. L’application de cette exclusion au personnel de gestion administrative est toutefois exceptionnelle[120] et requiert « une véritable délégation de pouvoirs significatifs dans la gestion de l’entreprise, assortie d’une discrétion administrative »[121].
[101] Le TAT explique très brièvement sa conclusion à cet égard. En effet, il mentionne succinctement que ces juristes exercent un rôle de représentant de l’employeur, « puisque le SMA Paquette les a formellement désignés pour agir en son nom »[122]. Or, les motifs ne permettent pas de comprendre en quoi ces derniers assument l’autorité hiérarchique envers les salariés. Il faut d’ailleurs noter que le TAT souligne, au paragraphe 137 de sa décision, en ce qui concerne Me Painchaud et Me Gilbert, qu’ils « n’ont pas de responsabilité à l’égard des relations du travail dans le MJQ »[123].
[102] Quant aux trois juristes qui travaillent à la Direction des services aux ministères – jurisconsulte, le TAT indique en outre qu’ils représentent le sous-ministre associé auprès des directions des affaires juridiques dans les ministères, ce qui leur conférerait l’autorité d’agir à titre de représentants de l’employeur[124]. Il justifie sa décision en soulignant que les juristes peuvent requérir des précisions d’une direction avant de soumettre leurs recommandations au sous-ministre associé[125]. Or, cette explication ne permet pas de justifier qu’une « demande de précisions » auprès d’une direction puisse constituer l’exercice de l’autorité hiérarchique. La Cour est d’avis que cette partie de la décision est déraisonnable.
[103] Toutefois, le TAT ayant appuyé sa conclusion concernant l’exclusion des six juristes sur deux motifs distincts, soit le caractère confidentiel de l’emploi et le rôle de représentant de l’employeur, elle demeure valable puisque la Cour conclut que sa décision sur le caractère confidentiel de l’emploi n’était pas déraisonnable.
La juriste de la Direction du droit administratif
[104] Le TAT exclut Me Boily-Dupuis de l’unité de négociation en raison du caractère confidentiel de son emploi en lien avec la fonction exécutive et les relations du travail (sous paragraphe 1 l) 3° du Code) :
[249] Me Boily-Dupuis travaille au dossier de la rémunération des juges, incluant les régimes de retraite. De ce fait, elle assume un rôle qui la place en conflit d’intérêts avec LANEQ.
[250] C’est sa participation à la stratégie globale du gouvernement concernant la politique de rémunération du personnel de l’État, dont la gestion des régimes de retraite, qui nécessite son exclusion de l’unité de négociation, puisqu’elle a accès à des informations confidentielles en lien avec les relations du travail qui la place en conflit d’intérêts.
[251] Elle doit donc être exclue selon l’article 1 l) 3o du Code en raison du caractère confidentiel de l’emploi en lien avec la fonction exécutive et les relations du travail.[126]
[Soulignement ajouté]
[105] La preuve révèle que Me Boily-Dupuis, outre son affectation dans le dossier de la rémunération des juges, participe à l’élaboration de la stratégie globale du gouvernement concernant également les autres personnes rémunérées à même les fonds publics[127].
[106] Pour conclure que le rôle de Me Boily-Dupuis est strictement lié à la rémunération des juges, alors que ces derniers ne sont pas des fonctionnaires, le juge de la Cour supérieure interprète de nouveau la preuve :
[201] Relativement à l’exclusion de confidentialité en lien avec les relations du travail, les faits retenus par le TAT ne permettent pas de conclure que les fonctions occupées par Me Boily-Dupuis et le traitement des informations confidentielles qui sont portées à son attention dans le dossier de la rémunération des juges sont susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts avec son allégeance syndicale.
[202] Les juges ne sont pas des fonctionnaires. Leurs rémunération et conditions de travail sont définies au terme d’un processus qui leur est propre et qui est étranger à celui des juristes appartenant au corps d’emploi 115.
[203] Certes, le TAT indique, au paragraphe 250 de la Décision, que Me Boily-Dupuis participe à la stratégie globale du gouvernement concernant la politique de rémunération du personnel de l’État dans la gestion des régimes de retraite. Cependant, au paragraphe 150 de celle-ci, le TAT précise qu’il s’agit de la stratégie globale concernant la rémunération des juges et des autres personnes dont il est question à l’article 246.42, paragraphe 8, de la Loi sur les tribunaux judiciaires. On y lit que le comité sur la rémunération des juges prend en considération, notamment « l’état et l’évolution comparés de la rémunération des juges concernés d’une part, et de celle des autres personnes rémunérées sur les fonds publics ».
[204] Une seule conclusion s’impose, soit celle que l’exception de confidentialité en lien avec les relations du travail ne s’applique pas à Me Boily-Dupuis.[128]
[107] Le juge de la Cour supérieure commet là une erreur. En ce qui concerne la confidentialité en lien avec les relations du travail, la preuve est claire que Me Boily-Dupuis a connaissance de la stratégie gouvernementale en matière de relations du travail pour toutes les personnes rémunérées par les fonds publics, et non seulement de celle s’appliquant aux juges. La décision du TAT était raisonnable à cet égard et aurait dû être confirmée.
[108] En conclusion, la Cour est d’avis que la décision du TAT d’exclure de l’unité de négociation les 26 juristes visés par le présent litige est raisonnable. Le juge de la Cour supérieure aurait dû rejeter le pourvoi en contrôle judiciaire.
[109] Considérant cette conclusion, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la question de savoir si la Cour supérieure a erré en tranchant le fond du litige plutôt que de renvoyer le dossier au TAT.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[110] ACCUEILLE l’appel, avec les frais de justice;
[111] INFIRME le jugement de la Cour supérieure;
[112] REJETTE le pourvoi en contrôle judiciaire, avec les frais de justice;
[113] RÉTABLIT la décision rendue par le Tribunal administratif du travail le 16 août 2019 dans le dossier CQ-2018-1580.
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| JULIE DUTIL, J.C.A. | |
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| JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A. | |
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| MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. | |
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Me Jean-François Dolbec Me Julie-Ann Blain | ||
bouchard, dolbec avocats | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Jean-Luc Dufour Me Sophie Cloutier | ||
poudrier, bradet | ||
Pour l’intimée | ||
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Date d’audience : | 13 décembre 2021 | |
[1] Les avocats et notaires de l'État québécois (LANEQ) c. Tribunal administratif du travail,
[2] Les avocats et les notaires de l'État québécois et Gouvernement du Québec (Ministère du Conseil exécutif) (Directions des relations professionnelles Conseil du trésor) (Secrétariat du Conseil du trésor) (Ministère de la Justice),
[3] RLRQ, c. F-3 1.1.
[4] Pièce P-3, Décret 14-96 du 10 janvier 1996.
[5] RLRQ, c. C-27.
[6] Décision du TAT, paragr. 6.
[7] Id., paragr. 28-29.
[8] Id., paragr. 30; Loi sur l’exécutif, RLRQ, c. E-18, art. 3-4.
[9] Loi sur l’exécutif, RLRQ, c. E-18, art. 10.
[10] Pièce MC-19, Encadrements législatifs du ministère du Conseil exécutif.
[11] Décision du TAT, paragr. 31, 60, 72, 92 et 105.
[12] Id., paragr. 44.
[13] Id., paragr. 59-160.
[14] Id., paragr. 204.
[15] Loi modifiant le Code du travail, L.Q. 1990, c. 69, art. 1.
[16] Décision du TAT, paragr. 183-189.
[17] Id., paragr. 192 et 194.
[18] Id., paragr. 196-200.
[19] Id., paragr. 205.
[20] Loi assurant la continuité de la prestation des services juridiques au sein du gouvernement et permettant la poursuite de la négociation ainsi que le renouvellement de la convention collective des salariés assurant la prestation de ces services juridiques, L.Q. 2017, c. 2.
[21] Décision du TAT, paragr. 206-211.
[22] Me Ariel G. Boileau, Me Isabelle Brochu, Me Benoît Carbonneau, Me Jean-François Couture, Me Katryn-Anne Dawson, Me Andrée Drouin, Me Isabelle Giguère, Me Isabelle Lafond, Me Natacha Lavoie, Me Vicky Ouellet.
[23] Décision du TAT, paragr. 212-216.
[24] Me Louise Allen, Me Pascale Brière, Me Guylaine Lebel, Me France Trudel.
[25] Décision du TAT, paragr. 218.
[26] Id., paragr. 219-221.
[27] Me Annie Blais-Delagrave, Me Christian Duquette, Me Jean-Phillippe Miville-Deschênes et Me Pierre Vallée.
[28] Décision du TAT, paragr. 223.
[29] Id., paragr. 225.
[30] La décision d’exclure de l’accréditation les juristes affectés au bureau de la sous-ministre (soit Me Daraiche, Me Demers, Me Paré et Me Pothier) n’a pas été contestée dans le cadre du pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure. Il en va de même de la décision d’exclure Me Deschênes de l’accréditation, puisqu’elle était le prolongement du sous-ministre associé Rodrigue : voir Demande de pourvoi en contrôle judiciaire, 11 septembre 2019.
[31] Me Aurélie Bujold, Me Pascal Painchaud et Me François Gilbert.
[32] Décision du TAT, paragr. 239-243.
[33] Me Élise Labrecque, Me Jean-Phillipe Lebrun et Me Michel Paquette.
[34] Décision du TAT, paragr. 244-248.
[35] Id., paragr. 150 et 249-251.
[36] Id., paragr. 255. La décision d’exclure Me Grondin de l’accréditation n’est pas contestée.
[37] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov,
[38] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 91-119.
[39] Id., paragr. 120-141.
[40] Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3 1.1, art. 51.
[41] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 142-152.
[42] Id., paragr. 153-168.
[43] Id., paragr. 169-189.
[44] Id., paragr. 199-206.
[45] Id., paragr. 209-212.
[46] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov,
[47] Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile),
[48] Agraira c. Canada (Santé publique et Protection civile),
[49] Id., paragr. 46.
[50] F.S. c. Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail,
[51] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov,
[52] RLRQ, c. F-3.1.1.
[53] La virgule a été ajoutée puisqu’il y a eu une admission des parties qu’elle devrait être présente dans le texte d’origine, tel qu’il sera expliqué aux paragraphes 82-85.
[54] Pièce P-5, Rapport du comité conjoint constitué par le Gouvernement du Québec, novembre 1995.
[55] La décision d’exclure de l’accréditation les juristes affectés au bureau de la sous-ministre de la Justice (soit Me Daraiche, Me Demers, Me Paré et Me Pothier) n’a pas été contestée dans le cadre du pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure. Il en va de même de la décision d’exclure Me Deschênes de l’unité de négociation, puisqu’elle est affectée au bureau du sous-ministre associé. Quant à Me Nancy Grondin, la Cour supérieure a maintenu la décision du TAT de l’exclure de l’unité de négociation.
[56] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 91-119.
[57] Id., paragr. 120-141.
[58] Id., paragr. 142-152.
[59] Id., paragr. 153-168.
[60] Id., paragr. 91-119.
[61] Id., paragr. 117.
[62] Id., paragr. 120-141.
[63] Id., paragr. 121-126.
[64] Id., paragr. 131-133.
[65] RLRQ, c. E-18, a. 3 et 4.
[66] Décision du TAT, paragr. 30-41.
[67] Interrogatoire de Me Adam, 6 décembre 2018, p. 1491/367.
[68] Décision du TAT, paragr. 36.
[69] Loi sur le ministère du Conseil exécutif, RLRQ, c. M-30, art. 1.5.
[70] Décision du TAT, paragr. 43-44 et 46.
[71] Décision du TAT, paragr. 172-204.
[72] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 129 et 131-133.
[73] Association des chirurgiens-dentistes du Québec c. Ministre de la Santé et des Services sociaux,
[74] Loi modifiant le Code du travail, L.Q. 1990, c. 69, art. 1.
[75] Assemblée nationale, Journal des débats, 34e lég., 1re sess., fasc. 93, 12 décembre 1990, p. 6223-6241 (N. Cherry).
[76] À titre d’exemple, M. Michel Bourdon, député membre de l’opposition, réfère notamment au Secrétariat de l’Ordre national du Québec. Il déclare, non sans sarcasme, que « les professionnels ou les fonctionnaires qui savent que "La Poune" va être décorée soient syndiqués ou pas, il n'y a jamais eu de fuite à cet égard-là » : Assemblée nationale, Commission permanente de l'économie et du travail, Journal des débats, 34e lég., 1re sess., fasc. 95, 14 décembre 1990, p. 3339-3353 (M. Bourdon).
[77] Assemblée nationale, Journal des débats, 34e lég., 1re sess., fasc. 98, 19 décembre 1990, p. 6740-6744 (N. Cherry).
[78] Décision du TAT, paragr. 186-187.
[79] Comme le rappelle la Cour suprême, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits. Elle ajoute que le caractère raisonnable peut être compromis si le décideur ne tient pas compte de la preuve soumise : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov,
[80] Décision du TAT, paragr. 24-25, 87, 101-103 et 220.
[81] Robert P. Gagnon et Langlois Kronström Desjardins, s.e.n.c.r.l., Le droit du travail du Québec, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, p. 565, paragr. 601.
[82] Voir, par exemple : Témoignage de Stéphane Armanda, le 7 décembre 2018; Témoignage de François Bélanger, le 8 mai 2019.
[83] Robert P. Gagnon et Langlois Kronström Desjardins, s.e.n.c.r.l., Le droit du travail du Québec, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, p. 356, paragr. 397.
[84] Décision du TAT, paragr. 189.
[85] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 142-152.
[86] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 142-152.
[87] RLRQ, c. M-19.
[88] Décision du TAT, paragr. 190-195.
[89] Id., paragr. 188-194.
[90] Loi sur le ministère de la Justice, RLRQ, c. M-19, art. 3.
[91] Témoignage de Stéphane Armanda, 7 décembre 2018, p. 1576-1577; Témoignage de Yan Paquette, 1er février 2019, p. 1717-1718, 1736-1737 et 1741-1742; Témoignage de François Bélanger, 8 mai 2019, p. 1806.
[92] Témoignage de François Bélanger, 8 mai 2019, p. 1793/104.
[93] Id., p. 1806/155.
[94] Id., p. 1805/151.
[95] Témoignage de Stéphane Armanda, 7 décembre 2018, p. 1578.
[96] Témoignage de Yan Paquette, 1er février 2019, p. 1740.
[97] Témoignage de François Bélanger, 8 mai 2019, p. 1790/94. Voir également p. 1806/156.
[98] Témoignage de Stéphane Armanda, 7 décembre 2019, p. 1580.
[99] Pointe‑Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail),
[100] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 154.
[101] Décision du TAT, paragr. 124-144.
[102] Id., paragr. 240-248.
[103] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 183.
[104] Décision du TAT, paragr. 235-237.
[105] Id., paragr. 236.
[106] Syndicat de professionnelles et de professionnels du gouvernement du Québec c. Québec (Procureur général) (1991),
[107] Ibid.
[108] Syndicat des employés de bureau du Nouvelliste (C.S.N.) c. Nouvelliste 1982 inc. (Le) (1986),
[109] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 158-159 et 165.
[110] Id., paragr. 54-55.
[111] Id., paragr. 54-55 et 162-167.
[112] Syndicat des travailleuses et travailleurs du béton du Bas-Saint-Laurent - CSN c. Béton Provincial ltée,
[113] Décision du TAT, paragr. 168-172.
[114] Syndicat de professionnelles et de professionnels du gouvernement du Québec c. Québec (Procureur général) (1991),
[115] Décision du TAT, paragr. 124-144 et 232-248.
[116] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 184.
[117] Id., paragr. 184-189.
[118] Michel Coutu et al., Droit des rapports collectifs du travail au Québec, 3e éd., vol. 1 « Le régime général », Montréal, Yvon Blais, 2019, p. 280-283, paragr. 129.
[119] Robert P. Gagnon et Langlois Kronström Desjardins, s.e.n.c.r.l., Le droit du travail du Québec, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, p. 351, paragr. 391.
[120] Michel Coutu et al., Droit des rapports collectifs du travail au Québec, 3e éd., vol. 1 « Le régime général », Montréal, Yvon Blais, 2019, p. 285, paragr. 129.
[121] Syndicat des travailleuses et travailleurs du Festival du Nouveau Cinéma — CSN et Festival du Nouveau Cinéma de Montréal,
[122] Décision du TAT, paragr. 242.
[123] Id., paragr. 137.
[124] Id., paragr. 246.
[125] Ibid.
[126] Décision du TAT, paragr. 249-251.
[127] Id., paragr. 150.
[128] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 200-204.
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Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
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du plumitif s'avère une précaution utile.