Décision

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Denis c. Grondin

2010 QCRDL 43172

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau de Laval

 

No :          

36 091029 008 G

 

 

Date :

24 novembre 2010

Régisseure :

Marie-Louisa Santirosi, juge administratif

 

André Denis

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Rolland Grondin

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Les parties sont convoquées de nouveau devant la soussignée suite à un jugement de rétractation.

[2]      Le locateur réclame la résiliation du bail au motif que le locataire possède un chat en contravention d’une clause l’interdisant dans son bail, et au motif que l’odeur se dégageant du logement perturbe la jouissance des autres locataires et lui cause un préjudice sérieux. 

[3]      Subsidiairement, il demande l’émission d’ordonnances pour qu’il se débarrasse de l’animal et désinfecte son logement.

[4]      Les parties sont liées par un bail reconduit débutant le 1er juillet 2010 au 30 juin 2011 pour un loyer de 685 $ par mois.

[5]      L’immeuble est divisé en huit logements répartis sur trois paliers.  Le locataire habite un des logis du deuxième étage, depuis la mi-juin 2006. 

[6]      Suite à sa séparation, il a adopté, en 2005, un chat mâle dans l’optique de faciliter sa transition durant cette période difficile.

[7]      Le locateur témoigne des plaintes de deux locataires différents.  Seule l’une d’entre eux, la voisine du palier supérieur, était présente.  Le second locataire ne vivrait plus dans l’immeuble.

[8]      La voisine en question, habite le logement depuis neuf ans.  Elle possède également un chat, une femelle opérée.  Elle reproche des odeurs fortes émanant du logement du dessous, entre autres, des effluves d’urine (ammoniaque), des odeurs de mâle non castré et excréments. 

[9]      Un parfum fétide plane partout dans son logement, mais avec plus d’intensité dans sa cuisine en dessous de son évier, sa chambre et la salle de débarras.

[10]   Elle a témoigné avec beaucoup de verbe et d’émotions sur les répercussions de cette condition de vie.  L’odeur serait tellement forte et présente qu’elle vomit dès son lever le matin pour aller travailler, ne dort presque plus, subit de graves maux de tête.  Elle ne peut plus respirer normalement, et elle en devient malade.


[11]   L’été, elle peut ouvrir ses fenêtres, mais l’hiver, elle devient captive d’un logement qui concentre les odeurs d’ammoniaque de son voisin d’en bas.

[12]   C’est le troisième hiver qu’elle risque de vivre ainsi.  Dans l’éventualité où elle n’obtient pas satisfaction, elle quittera son logement.

[13]   Elle se décrit comme une locataire sans problèmes, une bonne personne qui ne cherche hargne à personne.  Elle n’alimente aucun sentiment d’animosité envers le locataire.  Elle se plaint toutefois que le chat qu’il possède, un mâle, n’est pas castré, qu’il se soulage un peu partout dans le logement et sur le balcon imprégnant les lieux de fluides nauséabonds.  Elle sait que l’animal n’est toujours pas opéré à ce jour. Elle a tenté de discuter avec son voisin des problèmes qu’elle vit et relier à son animal sans constater d’amélioration dans sa façon de se comporter. 

[14]   Le locateur dépose des photos prises par celle-ci du balcon à l’été 2009 qui exposent l’urine et des excréments de chats directement sur le bois.  Elle pense que tout le logement était dans cet état et qu’il est imprégné des odeurs offensantes.  

[15]   La chatte qu’elle possède est bien entretenue et ne miaule pas.  Elle souligne que l’odeur est toujours présente à la date d’audition et elle a même pris des photos du balcon le 18 octobre dernier pour démontrer que le problème ne s’est pas résorbé depuis le jugement accordant la résiliation. 

[16]   Le concierge de l’immeuble, M. St-Pierre, relate que l’odeur qui se dégageait du logement du locataire envahissait les corridors en 2009, mais que depuis quelques mois, la senteur se restreint au logement du locataire.

[17]   Il corrobore que l’odeur monte pour se concentrer en dessous de l’évier de la locataire de dessus et qu’elle est plus distinctive dans sa cuisine.

[18]   Il a fait récemment (la semaine avant l’audition) une réparation au logement du locataire, et a pu constater que l’odeur est omniprésente chez lui.

[19]   Il en a profité pour prendre des photographies.  Le locataire s’est opposé à leurs dépôts en preuve. 

[20]   Il appert qu’il avait donné l’autorisation au concierge de procéder aux réparations en son absence, mais n’a pas eu connaissance que ce dernier devait photographier son logement.

[21]   La soussignée a pris l’objection sous réserve. 

[22]   Une photographie tout comme un écrit ou un enregistrement est un moyen de preuve dont la valeur probante s’apprécie selon les circonstances ayant entouré sa confection.

[23]   Dans notre dossier, le concierge avait l’autorisation de pénétrer dans le logement pour faire des travaux aux comptoirs de cuisine.  C’est cependant à l’insu du locataire et sans son consentement qu’il a pris des photographies pour constituer de la preuve dans un dossier litigieux entre son employeur et ce dernier.

[24]   Le tribunal estime que cette façon de procéder déconsidère la justice.

[25]   Pour ce motif, l’objection est retenue.

[26]   M. St-Pierre explique qu’en dessous de l’évier où se trouvent les déchets du locataire, se trouve une ouverture pour la tuyauterie correspondant au-dessous de la cuisine de la plaignante. 

[27]   Le locataire admet qu’il a vécu une période de dépression en 2009, où il ne s’occupait pas de son animal.  Cette période aurait duré entre 3 et 6 mois.  Son frère qui devait s’occuper du logement en son absence aurait été négligent dans l’entretien du chat, causant un certain degré de malpropreté.

[28]   Cette période est révolue et il a rectifié la situation à l’automne 2009.  En outre, le locateur a procédé à un grand nettoyage suite à un feu.

[29]   Il ne comprend donc pas qu’on se plaigne encore d’odeur nauséabonde.  Il nettoie régulièrement la litière de son félin, mais admet que ces poubelles situées juste au dessous de la cuisine de la locataire ont pu occasionner des odeurs.  Il s’interroge sur le défaut du locateur de boucher cette ouverture telle qu’il l’a demandé.

[30]   Il déclare que son chat fut opéré il y a un an et deux mois, ce qui correspond à la fin de l’été 2009, soit la fin de sa dépression.


DISCUSSION

[31]   Le locateur réclame la résiliation du bail pour deux motifs distincts, la présence du chat à l’encontre d’une clause l’interdisant et les odeurs fétides lui causant préjudices.

[32]   Il appert de la preuve que le locateur tolère la présence de chat malgré la clause au bail.

[33]   La jurisprudence majoritaire soutient qu'une certaine tolérance équivaut à une renonciation à se prévaloir en temps opportun d'une clause au bail interdisant la présence d'animaux.[1] En outre, il semble que la politique de tolérance au chat du locateur s’applique également à d’autres locataires. Il peut donc difficilement exiger l’émission d’une ordonnance pour forcer le locataire à se départir du chat.

[34]   Le premier motif du locateur est en conséquence rejeté.

[35]   La question de l’odeur est plus problématique.  En effet, bien qu’il semble y avoir une amélioration de ce côté, la preuve prépondérante est à l’effet qu’il se dégage encore une odeur soutenue du logement.

[36]   Sa procureure soumet la possibilité que la voisine de l’étage supérieur souffre d’une sensibilité olfactive plus développée que la moyenne expliquant qu’elle soit la seule à se plaindre des odeurs.

[37]   Le tribunal estime que la localisation de son logement, située au-dessus de celui du locataire la rend plus susceptible à subir les odeurs du dessous.

[38]   Le locateur a l’obligation de fournir la jouissance paisible du logement à ses occupants.  Il s’agit d’une obligation de résultat.  L’odeur se dégageant du logement du locataire l’entrave dans l’accomplissement de cette responsabilité.

[39]   La voisine du dessus a témoigné avec intelligence et pondération.  Le tribunal la considère crédible.

[40]   Il apparaît difficile que l’on puisse profiter des conditions de vie d’un logement où se dégage continuellement une odeur fétide.  Il ne s’agit pas d’un trouble de voisinage normal.

[41]   Sous cet angle, l'article 976 du Code civil du Québec prescrit que les voisins sont tenus d'accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance suivant la nature des lieux ou les usages locaux.

[42]   La soussignée prend également en considération le témoignage du concierge qui souligne que l’odeur dans le logement du locataire et celle de sa voisine concentrée surtout en dessous de l’évier, soit au-dessus des déchets et de la litière de son voisin de dessous.  Cette affirmation concorde avec la déclaration du locataire qu’il dispose de ses déchets et de la litière à cet endroit.

[43]   Le locataire cause un préjudice sérieux à sa voisine et au locateur qui risque de perdre une bonne locataire.

[44]   Son procureur suggère, in extremis, qu’une ordonnance permettrait de régler la situation.

[45]   La soussignée doute de l’efficacité d’une ordonnance se limitant à se débarrasser du chat dans le dossier. 

[46]   En effet, il est possible que les émanations proviennent, soit des matériaux du logement ou des biens du locataire imprégnés des divers fluides du félin.

[47]   Ainsi, si le locataire désire éviter la résiliation, le tribunal en plus d’une ordonnance pour qu’il se départisse de l’animal, entend lui ordonner de prendre toutes les mesures nécessaires de façon précise pour neutraliser les odeurs.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[48]   ACCUEILLE en partie la demande du locateur;


[49]   ORDONNE au locataire de se départir de son chat dans les 15 jours du jugement à intervenir et de fournir la preuve au locateur par la transmission d’un document du refuge ou tout autre document pertinent dans les 21 jours, suivant la décision;

[50]   ORDONNE au locataire de faire nettoyer et désinfecter les murs et planchers du logement et balcons dans les 30 jours de la décision;

[51]   ORDONNE au locataire de faire nettoyer les sofas, rideaux, couvertures lui appartenant dans les 30 jours de la décision, à intervenir;

[52]   ORDONNE au locataire de fournir la preuve au locateur de ses démarches dans les 5 semaines, suivant la décision;

[53]   PERMET au locateur de visiter le logement pour vérifier que le logement est en bon état et exempt d’odeurs;

[54]   CONDAMNE le locataire aux frais judiciaires de 71 $.

 

 

 

 

 

Marie-Louisa Santirosi

 

Présence(s) :

Me François Turcot, avocat du locateur

le locataire

Me Sarah Brutus, avocate du locataire

Date de l’audience :  

10 novembre 2010

 


 



[1] Office municipal d'habitation de Dégelis c. Lebrun, (1994) J.L. 127 , C.Q. , Mailloux et fils ltée c. Fournier, (2003) 12 (R.L.).

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