Décision

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Lamenta c. Mouaki

2023 QCTAL 15932

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

670789 31 20221228 G

No demande :

3755208

 

 

Date :

25 mai 2023

Devant la juge administrative :

Camille Champeval

 

Giuseppe Lamenta

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Dadi-Said Mouaki

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le locateur requiert initialement de reprendre le logement pour son propre usage et celui de son fils, Michael Lamenta, à compter du 30 juin 2023.

[2]         Par la voie d’un amendement, il demande à reprendre le logement exclusivement pour son propre bénéfice.

[3]         Les formalités entourant la notification et le dépôt de l’avis et la demande ont respectées et ne font pas l’objet d’une contestation.

Le contexte

[4]         Les parties sont liées par un bail reconduit, du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023 pour un loyer mensuel de 950 $.

[5]         Les locataires occupent cette unité de type 5 et demie, depuis le 1er juillet 2016. Elle est sise au rez-de-chaussée de l’immeuble et comporte un espace au sous-sol. Un autre logement de superficie similaire est situé au dernier étage de l’immeuble.

[6]         Le locateur occupe le logement du demi-sous-sol depuis 2016. Il s’agit d’un deux et demie.

[7]         Le locateur déclare avoir hérité de l’immeuble de sa mère en 2017. Il en est le seul propriétaire.

[8]         Il n’est propriétaire d’aucun autre immeuble locatif.

La preuve

[9]         Le locateur a habité le logement visé avec sa mère jusqu’au décès de celle-ci, en 2017, dit-il. Les locataires étaient alors leurs voisins et les parties entretenaient des rapports cordiaux.


[10]     Suivant le décès de sa mère, le locateur indique aux locataires que le logement est trop grand pour lui et leur fait part de son intention de déménager dans le logement du sous-sol pour ce motif.

[11]     Il est alors grand-père de trois jeunes enfants.

[12]     En réinterrogatoire, le locateur dira s’être installé au sous-sol « juste comme ça », sans trop savoir ce qui s’est passé.

[13]     À l’invitation du locateur, insistante, précise la locataire, les locataires déménagent dans le logement visé.

[14]     Le locateur compose avec un état de santé difficile, témoigne-t-il d’emblée, se disant « très malade ». Il tousse beaucoup, ce qui le réveille parfois, souffre de diabète, a des douleurs au dos et aux jambes. Son pneumologue lui recommande de ne plus habiter dans un sous-sol, indiquetil, note médicale à l’appui. Datée du 4 avril 2013, elle se lit ainsi :

« Le patient M. Lamenta Giuseppe a un diagnostic de toux chronique toujours sous investigation, sinusite chronique probable avec congestion nasale, dit avoir développé tous ses symptômes au fil des années qu’il habite au sous-sol de son logement, car il y a de l’humidité.

Il est conseillé qu’il habite dans un logement sec et propre sans agents polluants et allergènes. »

[15]     Selon Michael Lamenta, la santé du locateur s’est quelque peu détériorée au cours des trois dernières années.

[16]     Le locateur se dit très proche de sa famille, composée de quatre enfants et six petits-enfants. Il les voit en moyenne une fois par semaine. Il indiquera plus tard que des réunions familiales se déroulent environ dix fois par année.

[17]     La petite superficie de son logement ne lui permet malheureusement pas de recevoir les membres de sa famille, déplore-t-il. Ils se côtoient au restaurant ou encore à leurs domiciles respectifs.

[18]     Reprendre le logement lui permettra ainsi d’y tenir des réunions familiales, de cuisiner et même de garder ses petits-enfants, affirme le locateur, précisant avoir l’intention d’aménager deux des chambres pour les accueillir. Il pourra même accommoder ses enfants s’ils perdent leur emploi, ajoute-t-il.

[19]     Il concède avoir gardé ses petits-enfants tout au plus à quatre reprises depuis 2012.

[20]     La dernière réunion familiale s’est tenue chez l’ex-épouse du locateur pour la fête de Pâques et la précédente quelques mois auparavant, chez l’une de ses filles.

[21]     Le locateur voit toutefois son fils Michael Lamenta tous les jours, énonce-t-il. Ils prennent un café au bar du coin.

[22]     Michael Lamenta ne va jamais chez le locateur, son logement étant trop petit. Il se limite à venir le chercher deux ou trois fois par semaine, souvent avec sa fille âgée de 8 ans, pour aller prendre un café. Il précisera en contre-interrogatoire voir son père les dimanches pour quelques heures et ne pas avoir tendance à aller chez lui, parce qu’il apprécie aller prendre un café à l’extérieur.

[23]     Trois petits-enfants se sont ajoutés à la famille depuis que le locateur a déménagé dans l’unité du sous-sol, témoigne Michael Lamenta. Il a aussi pris de l’âge, et l’addition de ces deux facteurs justifie le souhait du locateur de reprendre le logement, selon lui.

[24]     L’idée de reprendre le logement est venue au locateur il y a quelques années. Il a d’ailleurs déjà présenté une demande devant ce Tribunal, laquelle a été rejetée le 12 juillet 2022. La juge administrative Lise Gélinas s’y exprime notamment en ces termes[1] :

« [32] Le locateur a donc le fardeau de démontrer, par preuve prépondérante, qu'il entend réellement reprendre le logement pour les fins visées dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.(9)

[33] En l'instance, le Tribunal considère que le locateur n'a pas convaincu le Tribunal de son intention réelle de reprendre le logement pour s'y loger. Le Tribunal opine de la preuve soumise qu'il s'agit plutôt d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. Le Tribunal n'accordera pas la demande de reprise de logement. »

(Références omises)

[25]     Interrogé sur un autre recours entrepris en 2021, le locateur répond avoir voulu « mettre les locataires dehors », car ils fumaient et faisaient du bruit. Le 8 décembre 2021, la juge administrative Stella Croteau rejette la demande[2]. Elle écrit :

« [35] Le Tribunal n'a d'autre choix que de conclure que le locateur n'a pas établi par une preuve adéquate, documentaire ou autre, les agissements reprochés au locataire. La force probante du témoignage du locateur, sa fiabilité, la valeur objective des faits relatés, ne convainc pas le Tribunal.

[36] En revanche, le Tribunal trouve que les témoignages du locataire et de son épouse sont très crédibles. Ils ont livré un témoignage précis.

[37] Le locataire a admis être un fumeur. Le Tribunal le croit lorsqu'il mentionne ne fumer qu'à l'extérieur. Le locateur n'a cependant pas réussi à prouver un préjudice sérieux lié à ce fait. Les photos des mégots de cigarettes, dont le locateur ne peut absolument pas dire quand elles ont été prises, ne sont d'aucune aide. Le locateur n'a également pas fait la preuve que la fumée des deux à trois cigarettes par jour que le locataire fume à l'extérieur lui cause un préjudice sérieux justifiant une résiliation du bail.

[38] La preuve ne supporte également pas que la vitre cassée soit due aux mauvaises fréquentations du locataire. De ce fait, le montant des frais de remplacement de celle-ci est refusé.

[39] Le locateur n'ayant pas fait la preuve de ses dommages, aucun montant ne lui est accordé

[40] Aucune ordonnance ne sera émise considérant que la preuve ne révèle pas qu'il a des gens qui fument à l'intérieur du logement. »

[26]     Le locateur a aussi introduit une demande en résiliation de bail, rejetée par la juge administrative Suzanne Guévremont le 10 novembre 2020[3], vu le défaut du locateur et de son procureur de se présenter à l’audience.

[27]     Lors de l’envoi de l’avis de reprise et de la demande, le locateur et son fils Michael avaient l’intention de déménager ensemble. Ce dernier a changé d’avis vers le début du mois de février 2023, estimant que le projet ne s’accordait pas avec sa vie personnelle.

[28]     Le logement du dernier étage est loué 820 $ par mois. Le locateur souhaite toutefois reprendre le logement des locataires, vu l’attachement significatif qu’il porte aux lieux.

[29]     Selon lui, sa relation avec les locataires est « correcte ». S’il avait disposé d’un autre logement disponible, il s’y serait installé, dit-il. D’ailleurs, il n’a pas eu de contacts directs avec les locataires depuis fort longtemps.

[30]     Les locataires contestent le recours, lequel constitue une énième tentative du locateur de les évincer, expriment-ils.

[31]     Ils corrigent d’emblée l’assertion selon laquelle la mère du locateur serait décédée en 2017, puisqu’ils ont déménagé dans le logement le 1er juillet 2016, tel qu’en fait foi leur bail.

[32]     Ils sont en désaccord avec le témoignage du locateur sur la nature de leurs relations, les qualifiant plutôt de houleuses.

[33]     Dès leur arrivée au logement, le locateur a adopté un comportement problématique à leur égard, entrant chez eux sans autorisation, ou encore venant frapper à leur porte au milieu de la nuit. Il a insisté pour modifier certaines conditions de leur bail en 2019, notamment en leur interdisant de fumer dans le logement ou d’y posséder des animaux et en leur imposant des obligations supplémentaires, tel le déneigement ou la tonte du gazon.

[34]     Les locataires rappellent que le locateur a tenté de vendre l’immeuble en 2020. Il leur a même indiqué qu’ils seraient obligés de partir lors de la vente de l’immeuble, déplorent-ils.

[35]     Ils doutent par ailleurs de la véracité du témoignage du locateur portant sur ses relations familiales, exprimant n’avoir vu Michael Lamenta qu’à quelques reprises en sept années et n’avoir guère vu, voire jamais vu pour la locataire, ses autres enfants. Jamais n’ont-ils aperçu ses petitsenfants autour de l’immeuble.


Droit applicable

[36]     Le locateur fonde son recours sur les articles 1957 et suivants du Code civil du Québec, lesquels traitent de la reprise du logement.

[37]     L’article 1957 se lit comme suit :

« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.

Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. »

[38]     En vertu de l'article 1963 du Code civil du Québec, un locateur doit démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.

[39]     En matière de reprise de logement, deux droits prévus par la loi en faveur de chacune des parties s'opposent simultanément, tel que l’exprime le juge administratif Jean Bisson dans l'affaire Dagostino c. Sabourin[4] :

« Lors de la reprise de logement, deux droits importants se rencontrent et s'opposent: d'une part le droit du propriétaire d'un bien d'en jouir comme bon lui semble et, d'autre part, le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ce droit que le législateur impose des conditions au locateur. 

La reprise fait échec au droit du locataire au maintien dans les lieux, aussi, la jurisprudence a déterminé que la reprise doit avoir pour but un établissement permanent par le bénéficiaire. »

[40]     Soulignons que la bonne foi doit exister à toutes les étapes de la reprise, à partir du moment de la conception du projet des locateurs, jusqu’à l’instance devant le Tribunal.

[41]     L'auteur Pierre-Gabriel Jobin, dans son traité sur Le Louage, écrit quant à l'exigence de la bonne foi du locateur :

« Le Code civil du Québec exige du locateur qu'il démontre qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin indiquée dans le préavis et que la reprise ne constitue pas un prétexte pour atteindre d'autres fins. Sur le fond, d'après nous, ce nouveau texte n'emporte pas de changement par rapport à celui du Code civil du Bas-Canada; le locateur doit donc encore, essentiellement, prouver sa bonne foi, comme il a été dit.

La bonne foi est fréquemment la pierre d'achoppement des tentatives des locateurs de tourner la loi, notamment, pour augmenter le loyer à la faveur d'un changement de locataire. Aussi le contentieux est-il particulièrement abondant sur cette question. Naturellement, la bonne foi s'établit souvent par le témoignage du locateur lui-même. Cependant, les tribunaux n'hésitent pas à prendre en considération d'autres témoignages ainsi que les circonstances et le comportement du locateur; ils ont bien raison d'agir ainsi puisqu'en cette matière comme dans d'autres, c'est souvent la seule façon d'établir la mauvaise foi ....

Enfin, selon l'heureuse formule de la défunte Commission des loyers, la bonne foi exigée par la loi doit être prouvée non seulement « relativement à l'intention (du locateur) d'habiter (les lieux), mais aussi relativement aux intentions qui l'ont poussé et motivé à faire la demande de repossession ». C'est ainsi qu'on refusera la reprise du logement à ce locateur astucieux qui veut effectivement habiter les lieux, mais seulement pour quelque temps et dans le but de se défaire du locataire ou de faciliter la vente de l'immeuble, l'éventuel acheteur n'étant pas « embarrassé » par la présence d'un locataire. Voilà bien ce qu'on appelle aujourd'hui un abus de droit[5]. »

[42]     La jurisprudence du présent Tribunal établit par ailleurs que l'existence de conflits ou de tensions entre les parties ne permet pas, de ce seul fait, de conclure automatiquement à la mauvaise foi d’un locateur.

[43]     Ainsi, dans Lavigne c. Bathily, la juge administrative Luce De Palma, énonçait relativement à cette problématique :

« En l'espèce, il est vrai qu'un conflit existe entre les parties, de même qu'avec le frère du locateur, mais ces conflits, du seul fait qu'ils existent, ne permettent pas au tribunal de conclure automatiquement à la mauvaise foi du locateur[6]. »


Analyse et décision

[44]     Les procédures entreprises par le locateur au cours des dernières années ne peuvent automatiquement conduire à conclure que le présent recours est introduit sur la base de prétextes pour évincer les locataires.

[45]     Tout dépend du contexte et de la preuve présentée devant le Tribunal.

[46]     Or, la soussignée est loin d’être convaincue que le locateur n’use pas du présent recours pour atteindre d’autres fins que la reprise du logement.

[47]     Le locateur a décidé de son propre chef de déménager dans l’unité du sous-sol suite au décès de sa mère il y a plusieurs années, le logement des locataires dans lequel il a cohabité avec sa mère étant devenu trop grand pour ses besoins.

[48]     Les motifs pour lesquels il souhaite s’y établir de nouveau ne convainquent pas le Tribunal.

[49]     Dans un premier temps, preuve n’a pas été faite du lien entre les ennuis de santé du locateur et la situation du logement dans l’immeuble. Le médecin rapporte les propos du locataire concernant l’humidité des lieux, mais n’a elle-même fait aucun constat à ce sujet.

[50]     Le logement du locateur est-il humide et, dans l’affirmative, quelle conséquence cela emporte-t-il sur sa santé?

[51]     Le Tribunal l’ignore.

[52]     Il est de plus intéressant de noter que le locateur affirme éprouver des problèmes de santé depuis environ 3 ans. Or, la décision rejetant la demande en reprise de logement rendue en juillet 2022 ne traite pas de la santé du locateur. Il semble donc que ce dernier n’ait pas allégué une telle raison pour soutenir sa demande, se limitant à justifier son besoin de disposer de plus de place.

[53]     Ainsi, les explications du locateur à ce chapitre sont faibles, peu probantes. Elles ne sont pas retenues par le Tribunal.

[54]     Quant au besoin du locateur de vivre dans un espace plus grand pour y recevoir sa famille, le Tribunal retient ce qui suit.

[55]     Le locateur a 4 enfants et les réunions se déroulent chez l’un ou l’autre, voire chez son exépouse, la mère des enfants. Autant dire que les membres de la famille se reçoivent en alternance. Rien ne permet de penser que cette manière de fonctionner changera si le locateur devait habiter un logement plus grand, ce qui soulève plusieurs doutes quant au besoin réel du locateur de reprendre le logement pour ce motif. Le témoignage du locateur à cet égard ne convainc pas le Tribunal.

[56]     De plus, l’argument selon lequel il pourrait garder ses petits-enfants semble pour le moins hypothétique puisqu’il les a tout au plus gardés à 4 reprises depuis qu’il est grand-père. Soit depuis 2012. Or, il occupait à l’époque le logement des locataires, ce qui lui aurait pourtant permis de les recevoir.

[57]     Considérant le peu de poids accordé à la preuve du locateur, l’historique judiciaire entre les parties ne peut être ignoré. Les diverses procédures introduites dans les trois dernières années pour obtenir le départ des locataires, que ce soit par des demandes en résiliation de bail ou par une reprise de logement, assombrissent et affaiblissent encore plus les arguments du locateur. 

[58]     Ce dernier semble tenter, par tous les moyens, d’obtenir le départ des locataires.

[59]     L’ensemble de ces éléments soulève des doutes quant aux véritables desseins du locateur. La preuve démontre qu’il use du présent recours comme prétexte pour atteindre d’autres fins.

[60]     La demande est par conséquent rejetée.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[61]     REJETTE la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Camille Champeval

 

Présence(s) :

le locateur

Me Léa Chahine, avocate du locateur

la locataire

Me Karine Lévesque, avocate du locataire

Date de l’audience : 

5 mai 2023

 

 

 


 


[1] Lamenta c. Mouaki, 2020 QCTAL 6921.

[2] Lamenta c. Mouaki, 2021 QCTAL 31646.

[3] Lamenta c. Mouaki, 2020 QCTAL 6921.

[4] Dagostino c. Sabourin, R.D.L., 2000-01-26, SOQUIJ AZ-50736447.

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