Décision

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Gabarit test Cour supérieure V12 - FR (2020-12-07)

Marquis c. Doe

2021 QCCS 657

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

montréal

 

No :

500-17-113490-208

 

 

 

DATE :

26 février 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

katheryne a. desfossés, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

JEAN-FRANÇOIS MARQUIS

Demandeur

c.

JOHN DOE

et

DIS SON NOM

et

FACEBOOK INC.

et

DELPHINE BERGERON

et

A.A.

Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

APERÇU

[1]           Dis son nom (« DSN ») est une page Facebook créée en juillet 2020 dans la foulée du mouvement « Me Too » initié en 2017.

[2]           En juillet et en août 2020, DSN publie une liste « des abuseurs présumés » (la « Liste ») sur laquelle se trouve le nom de Jean-François Marquis.

[3]           Monsieur Marquis poursuit DSN et ses administratrices Delphine Bergeron et A.A. afin que la Liste soit soit retirée et qu’elles soient condamnées à lui payer 50 000$ en dommages moraux et punitifs.

[4]           La principale et épineuse question qui en découle pour l’heure est celle de savoir si les présumées victimes d’agressions sexuelles ont droit à l’anonymat dans la présente instance.

CONTEXTE

[5]           A.A. est la fondatrice de DSN et l’une de ses administratrices.

[6]           Delphine Bergeron est également une administratrice de DSN.

[7]           En août 2020, le nom de Jean-François Marquis apparaît sur la Liste.

[8]           À la suite de cette publication, monsieur Marquis obtient une ordonnance d’injonction de type Norwich ordonnant à Facebook inc. de lui communiquer les noms et les coordonnées des personnes responsables de la page DSN (l’ « Action »).

[9]           L’Action vise également la fermeture de la Liste et une condamnation des défenderesses à payer au demandeur des dommages moraux et punitifs de 50 000 $.

[10]        En septembre 2020, A.A. et madame Bergeron présentent une demande pour :

10.1.        autoriser A.A. à signer les procédures de l’instance sous les initiales A.A.;

10.2.        autoriser A.A. et madame Bergeron à élire domicile au bureau de leurs avocats;

10.3.        ordonner la non-divulgation et la non-publication permanente du nom de A.A. et tout élément qui pourrait permettre de l’identifier;

10.4.        ordonner la non-divulgation et la non-publication permanente des adresses de A.A. et de madame Bergeron;

(la « Demande originale »).

[11]        Sur la foi de la déclaration sous serment de A.A. produite au soutien de la Demande originale, le juge Kalichman prononce une ordonnance de sauvegarde permettant à A.A. d’utiliser ces initiales dans la présente instance, de même qu’une ordonnance de non-divulgation et de non-publication du nom de A.A ou de tout élément permettant de l’identifier (l’ « Ordonnance »). L’Ordonnance vaut initialement jusqu’au 17 décembre 2020.

[12]        Dans ses motifs, le juge Kalichman précise que A.A. doit communiquer sa défense avant l’expiration de l’Ordonnance. De là, elle devra à nouveau présenter sa demande afin que le juge qui en sera saisie puisse déterminer si les critères établis par la Cour suprême dans les arrêts Dagenais c. Société Radio-Canada[1] et R. c. Mentuck[2] sont rencontrés.

[13]        Avant l’expiration de l’Ordonnance, une défense commune est produite pour A.A., madame Bergeron et DSN (la « Défense »).

[14]        Également, A.A. et madame Bergeron présentent à nouveau leur demande dont les conclusions recherchées demeurent les mêmes que dans la Demande Originale (la « Nouvelle Demande »).

[15]        Les déclarations sous serment au soutien de la Nouvelle Demande sont toutefois légèrement différentes. Notamment, les motifs invoqués par A.A. pour justifier sa demande d’anonymat diffèrent de ceux invoqués dans la Demande initiale. Le Tribunal y reviendra.

[16]        Lors de l’audition, l’avocate de A.A. et madame Bergeron informe le Tribunal que ses clientes ne demandent plus la non-divulgation de leurs adresses considérant que l’Ordonnance en traite selon elle de manière permanente.

[17]        Ce point n’est pas contesté par l’avocat de monsieur Marquis.

[18]        Par conséquent, le Tribunal doit limiter son analyse de la Nouvelle Demande aux conclusions portant sur la demande d’anonymat de A.A. quant à son nom.

[19]        Également, considérant le consentement des parties, l’Ordonnance a été renouvelée pour valoir jusqu’au présent jugement.

[20]        En janvier 2021, monsieur Marquis dépose une demande en radiation d’allégations contenues à la Défense (la « Demande en radiation »). Il demande aussi au Tribunal d’ordonner la communication de certains préengagements et de trancher à l’avance certaines objections (la « Demande sur les engagements »).

[21]        Le Tribunal doit donc se pencher sur les questions suivantes :

21.1.        A.A. a-t-elle le droit de conserver l’anonymat dans le cadre des procédures dans la présente instance?

21.2.        Les paragraphes 7, 8, 9, 18, 52 à 59, 63 à 75, 79 à 81 de la Défense doivent-ils être radiés?

21.3.        Monsieur Marquis peut-il obtenir la transmission des préengagements demandés et peut-il poser certaines questions aux défenderesses lors de leurs interrogatoires au préalable?

1.            a.a. a-t-elle droit de conserver l’anonymat dans le cadre des procédures dans la présente instance?

1.1  Conclusion

[22]        A.A. n’a pas le droit à l’anonymat dans le cadre des procédures dans la présente instance.

1.2  Faits pertinents à la question en litige

[23]        Pour bien comprendre la portée de l’ordonnance recherchée par la Nouvelle Demande, il importe de souligner certains faits :

23.1.        A.A. allègue avoir été victime d’agression sexuelle à deux occasions par deux agresseurs différents[3];

23.2.        La Défense relate ces deux agressions;

23.3.        Monsieur Marquis ne conteste pas que A.A. ait été victime d’agressions sexuelles;

23.4.        Monsieur Marquis n’est pas l’un des deux agresseurs de A.A.;

23.5.        A.A. souhaite aider d’autres victimes à dénoncer leurs agressions et entamer un processus de guérison d’où la raison d’être de DSN[4];

23.6.        A.A. est la fondatrice de DSN[5];

23.7.        L’Action est essentiellement une poursuite en diffamation intentée par monsieur Marquis contre DSN et ses administratrices A.A et madame Bergeron .

[24]        Pour justifier sa Nouvelle Demande, A.A. affirme qu’elle connaît les stigmates liés au statut de victime d’agression sexuelle, qu’elle entame son processus de guérison et qu’elle ne se sent pas assez forte en ce moment pour agir de manière publique[6].

1.3  Principes juridiques

[25]        Le caractère public des procédures devant les tribunaux judiciaires est « une composante essentielle de la démocratie canadienne »[7]. Il est consacré en droit civil québécois à l’article 11 C.p.c. qui se lit comme suit :

11.  La justice civile administrée par les tribunaux de l’ordre judiciaire est publique. Tous peuvent assister aux audiences des tribunaux où qu’elles se tiennent et prendre connaissance des dossiers et des inscriptions aux registres des tribunaux.

Il est fait exception à ce principe lorsque la loi prévoit le huis clos ou restreint l’accès aux dossiers ou à certains documents versés à un dossier.

Les exceptions à la règle de la publicité prévues au présent chapitre s’appliquent malgré l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne.

[26]        Il est possible d’y faire exception si l’ordre public ou la protection d’intérêts légitimes exige que l’audience se tienne à huis clos ou que des ordonnances de non-publications soient émises. À cet égard, l’article 12 C.p.c. prévoit :

12.  Le tribunal peut faire exception au principe de la publicité s’il considère que l’ordre public, notamment la protection de la dignité des personnes concernées par une demande, ou la protection d’intérêts légitimes importants exige que l’audience se tienne à huis clos, que soit interdit ou restreint l’accès à un document ou la divulgation ou la diffusion des renseignements et des documents qu’il indique ou que soit assuré l’anonymat des personnes concernées.

[27]        Traitant de cette exception dans l’arrêt S. c. Lamontagne, la Cour d’appel en explique l’existence et l’application[8] :

[20]  Toutes ces exceptions et dérogations, qu’elles soient d’origine jurisprudentielle ou législative, reposent pour l’essentiel sur l’application judicieuse de la notion de la bonne administration de la justice.

[21]  Le principe de la publicité des débats judiciaires doit donc être modulé lorsque nécessaire, de manière à préserver la capacité du justiciable à recourir aux tribunaux pour exercer ses droits, incluant ses droits fondamentaux.

[22]  En ces temps où les cours de justice ne cessent de revoir leur pratique dans le but d’améliorer leur accessibilité, l’application sans nuance du principe de la publicité des débats peut constituer un frein à cet accès avec le risque d’en miner l’objectif. 

[28]        Pour avoir droit à l’ordonnance d’anonymat demandée, A.A. doit rencontrer les critères établis par la Cour suprême dans les arrêts Dagenais c. Société Radio-Canada[9],  et R. c. Mentuck[10], lesquels ont été repris dans l’arrêt Globe and Mail c. Canada (Procureur général)[11]:

[90]  (…)

 

a) L'ordonnance est-elle nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l'absence d'autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque?

 

b) Les effets bénéfiques de l'ordonnance de non-publication sont-ils plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment sur le droit à la libre expression et sur l'efficacité de l'administration de la justice?

1.4  Discussion

[29]        Le fait que A.A. soit elle-même victime d’une agression sexuelle lui donne-t-elle un droit automatique à l’anonymat? 

[30]        Si le législateur avait voulu que les victimes d’agressions sexuelles aient droit à l’anonymat en toutes circonstances, il l’aurait prévu expressément comme cela est le cas notamment en matière familiale[12]. En l’absence d’une telle exception expresse, le Tribunal ne peut conclure que le statut de présumée victime d’agression sexuelle confère un droit automatique à l’anonymat en matière civile.

[31]        S’il est vrai que les tribunaux appliquent parfois l’exception à la règle de la publicité des débats judiciaires lorsque la victime d’une agression sexuelle poursuit son agresseur, cette application n’est pas automatique.

[32]        Lorsqu’elle est appliquée à des victimes d’agressions sexuelles qui poursuivent leurs agresseurs, l’exception à la règle de la publicité des débats judiciaires vise principalement à permettre aux victimes d’exercer leurs droits sans porter plus amplement atteinte à leur dignité.

[33]        Si A.A. poursuivait ici ses agresseurs, il est possible qu’elle ait droit à l’anonymat. Mais ce n’est pas le cas.

[34]        Si A.A. était poursuivie en diffamation par son ou ses agresseurs, on peut imaginer qu’en guise de défense à cette action, elle voudrait raconter ses agressions afin d’expliquer et potentiellement justifier ses propos, le cas échéant. Pour lui donner le droit à une défense pleine et entière dans le respect de sa dignité, elle aurait possiblement droit à l’anonymat. Mais ce n’est pas le cas.

[35]        Ici, A.A. est poursuivie en diffamation par monsieur Marquis qui est un tiers par rapport à elle. Il n’est pas son agresseur. Pourtant, selon monsieur Marquis, A.A. a permis que son nom apparaisse sur la Liste et qu’il soit publié sur la foi du témoignage d’une présumée victime inconnue. C’est là l’essence du reproche formulé par monsieur Marquis contre A.A. dans l’Action.

[36]        Le fait que A.A. soit elle-même victime d’agressions sexuelles lui donne-t-elle un droit à l’anonymat dans ces circonstances particulières? 

[37]        Au soutien de la Nouvelle Demande, A.A. allègue que son anonymat est requis parce qu’elle entame son processus de guérison et qu’elle n’est pas prête à publier son identité considérant qu’elle est elle-même victime d’agressions sexuelles[13]. La déclaration sous serment produite au soutien de la Nouvelle Demande ne fait état d’aucune préoccupation quant à la sécurité de A.A.[14]

[38]        Il est vrai que la Défense raconte le récit des agressions de A.A. Toutefois, une lecture de la Défense permet de comprendre facilement que l’argument invoqué est que la publication de la Liste est d’intérêt public. L’avocate de A.A. le dit et le répète également dans ses arguments au Tribunal.

[39]        Or, pour faire valoir cet argument, A.A. n’était pas tenue de raconter ses agressions en détail. Elle pouvait alléguer qu’elle est une victime d’agressions sexuelles. Point. D’ailleurs, monsieur Marquis ne conteste pas qu’elle soit victime d’agressions sexuelles. Là n’est pas le débat dans l’Action.

[40]        En fait, A.A. n’était pas tenue de dire qu’elle est une victime d’agressions sexuelles. L’argument d’intérêt public relativement à la publication de la Liste demeure entier même si les personnes derrière DSN ne sont pas elles-mêmes des victimes.

[41]        Permettre que son choix de raconter son récit en détail lui confère un droit à l’anonymat, particulièrement alors que ce récit n’est pas nécessaire à sa défense, équivaut à inverser l’ordre des choses. Ce serait d’accorder un droit à l’anonymat ex post facto en permettant que la stratégie de défense adoptée puisse créer la situation qui justifie son anonymat.  

[42]        La vérité, comme l’explique l’avocate de A.A., c’est qu’elle a besoin d’en parler.

[43]        En optant pour le chemin qui publicise volontairement et sciemment à grande échelle sa situation et celles d’autres victimes, A.A. doit agir à visière levée.

[44]         Les circonstances ne justifient pas que l’on déroge au principe général de la publicité des débats judiciaires.

2.            les paragraphes 7, 8, 9, 18, 52 à 59, 63 à 75, 79 à 81 de la défense doivent-ils être radiés?

2.1  Conclusion

[45]        Les paragraphes 7, 8, 9, 52 à 59, 63 à 75, 79 à 81 de la Défense doivent être radiés.

2.2  Principes juridiques

[46]        Par définition, un acte de procédure énonce les faits qui le justifient[15]. Quant à la défense plus particulièrement, elle « consiste à faire valoir tous les moyens de droit ou de fait qui s’opposent au maintien, total ou partiel, des conclusions de la demande »[16].

[47]        Dans le Précis de procédure civile du Québec, les auteurs Ferland et Émery expliquent[17] :

1-1009 - Ainsi, les parties doivent exposer, dans leurs actes de procédure, les faits à prouver, non de simples hypothèses, ni les arguments de droit ou des autorités en droit (références à la loi, à la jurisprudence et à la doctrine), qu'elles entendent invoquer, et les conclusions qu'elles recherchent.

1-1010 - Exceptionnellement, un acte de procédure contient des allégations de droit, notamment en défense, dans une demande en irrecevabilité, dans une demande conjointe de décision sur un point de droit, dans un pourvoi en contrôle judiciaire de la légalité d'actes de personnes morales de droit public ou de droit privé, de groupements, ou de décisions d'un tribunal inférieur, dans une demande alléguant l'application de la Constitution ou d'une charte des droits et libertés de la personne, ou dans un mémoire d'appelant ou d'intimé en appel.

[48]        L’article 169 al 2 C.p.c. ajoute qu’une partie :

[…] peut aussi demander au tribunal d’ordonner à une autre partie de fournir des précisions sur des allégations de la demande ou de la défense ou de lui communiquer un document, ou encore de procéder à la radiation d’allégations non pertinentes.

[49]        Au niveau de la pertinence des allégations contenues aux actes de procédure, la Cour d’appel invite à la prudence avant d’en d’ordonner la radiation [18]:

[2] La pertinence des allégations se mesure à leur degré de connexité avec l'objet du litige et s'apprécie par rapport à l'obligation des parties de faire la preuve des éléments de leur réclamation. Un fait est pertinent lorsqu'il contribue à prouver un fait en litige ou peut aider le tribunal à apprécier la force probante d'un témoignage. En cas de doute sur la question de savoir si une allégation est pertinente, il y a lieu de faire confiance à la partie qui fait l'allégation et désire administrer la preuve.

[50]        Par sa Demande en radiation, monsieur Marquis demande la radiation de plusieurs paragraphes de la Défense au motif que ceux-ci ne contiennent pas d’allégations de faits, qu’il s’agit d’opinions ou que les allégations ne sont pas pertinentes.

[51]        Qu’en est-il?

2.3  Discussion

[52]        La Défense s’articule autour d’un argument principal : l’intérêt public rattaché à la publication de la Liste. Les paragraphes 50, 51, 86, 87 et 88 de la Défense en font état comme suit :

50.  La liste anonyme publiée par Dis son nom (ci-après « La Liste ») a été créée pour les raisons suivantes :

a. Protéger les victimes potentielles d’agressions sexuelles.

b. Initier une remise en question de société.

c. Libérer la parole des victimes.

51.  Les défenderesses souhaitent également informer la population en général via leur page Facebook et Instagram concernant les agressions sexuelles, les ressources et autres informations reliées à ce sujet.

(…)

86.  Les défenderesses, avec la publication de la Liste, protègent les victimes potentielles, permettent une réflexion sociétale et libèrent la parole des victimes.

87.  Les défenderesses ne souhaitent en aucun cas remplacer les tribunaux judiciaires et encouragent les victimes dans la voie qu’elles choisissent, que ce chemin soit judiciaire ou non.

88.  Pour ces raisons, la création de la Liste par les défenderesses est d’intérêt public.

[53]        Il reviendra au juge du procès de déterminer de la justesse de ces arguments dans la présente affaire. Dans l’intervalle, le Tribunal doit déterminer si certaines des allégations de la Défense contreviennent aux critères applicables du C.p.c.

2.3.1 Paragraphe 7 de la Défense

[54]        Le paragraphe 7 de la Défense cite simplement un passage d’un arrêt de la Cour suprême du Canada en guise d’introduction.

[55]        Les références à la jurisprudence sont à proscrire dans un acte de procédure qui ne doit pas être une plaidoirie écrite[19]. Les défenderesses pourront bien évidemment référer le tribunal à cet arrêt lors des plaidoiries au procès.

[56]        Le paragraphe 7 doit être radié.

2.3.2 Paragraphes 8 et 9 de la Défense

[57]        Les paragraphes 8 et 9 de la Défense se lisent :

8. Dans un rapport de 2018 intitulé Femmes victimes de violence et système de justice pénale : expériences, obstacles et pistes de solution (ci-après « Rapport de 2018 ») déposé au soutien des présentes comme pièce D-1, on indique que :

 

La culpabilité des femmes et la banalisation des gestes et des paroles de violence sexuelle sont perçues comme des choses communes, voire inévitables. La culture du viol déresponsabilise les agresseurs et renforce les attitudes et les comportements sexistes qui sont à l’œuvre dans les sphères publiques et privées. (p.29)

 

Lorsque les victimes se sentent oubliées par le système de justice, elles trouvent elles-mêmes des stratégies et des actions pour s’assurer d’une certaine reprise de pouvoir sur leur vie. (p.51)

 

9. Suivant la vague de dénonciations de l’été 2020 (ci-après « Vague de 2020 »), la journaliste Émilie Nicolas a résumé la situation ainsi dans un article du journal Le Devoir déposé au soutien des présentes, pièce D-2:

 

On cherche plutôt à guérir, reconnaître et réparer les torts causés, à assurer la sécurité et l’épanouissement des femmes, à veiller à ce que les personnes qui ont commis des gestes dommageables ne soient plus dangereuses pour l’avenir et à transformer les normes sociales qui ont rendu la pandémie de violence possible.

 

[58]         Le paragraphe 8 de la Défense introduit et cite deux passages (par ailleurs incomplets) de la pièce D-1 qui est un rapport de recherche universitaire et communautaire datant de 2018 intitulé Femmes victimes de violence et système de justice pénale : expériences, obstacles et poursuite de solution.

[59]        Quant au paragraphe 9 de la Défense, il introduit et cite un passage de la pièce D-2 qui est un article du journal Le Devoir.

[60]        Tel qu’indiqué par l’avocate des défenderesses, ces paragraphes sont inclus à la Défense en guise d’introduction visant à situer le débat dans son contexte social.

[61]        Le contenu des citations et les pièces D-1 et D-2 d’où elles émanent ne sont pas des faits ni des éléments de preuve au soutien de la Défense. Il s’agit plutôt de documents qui rapportent des opinions et qui doivent être communiqués comme tel.  

[62]        Le contexte social dans lequel s’inscrit la Défense est intimement lié à celle-ci et le Tribunal comprend que les défenderesses voudront en faire la preuve. Toutefois, ce qu’elles peuvent et doivent alléguer au soutien de la Défense sont des faits, c’est-à-dire « au sens large, tout événement, tout ce qui arrive »[20].

[63]        Ce qui constitue une opinion doit être étranger aux allégations d’une procédure. L’opinion appartient au rapport et au témoignage de l’expert. D’ailleurs, les défenderesses annoncent que la préparation d’un rapport par un expert en sociologie est en cours.

[64]        Dans le présent cas, ce qui doit se trouver à la Défense est un ou des paragraphes qui allèguent que la publication de la Liste soit d’intérêt public en raison du contexte social dans lequel elle s’inscrit. C’est essentiellement ce qu’on retrouve aux paragraphes 50, 51 et 86 à 88 de la Défense.

[65]        Les paragraphes 8 et 9 de la Défense, tels que formulés, ne sont pas conformes aux règles prescrites par le C.p.c. quant à la rédaction des actes de procédure.

[66]        Il n’est pas écarté que les paragraphes 8 et 9 de la Défense, qui se veulent une introduction, soient reformulés pour alléguer simplement que le contexte social entourant les faits en litige justifie la défense d’intérêt public invoquée par les défenderesses.

[67]        Dans l’intervalle, les paragraphes 8 et 9 de la Défense doivent être radiés.

2.3.3 Paragraphe 18 de la Défense

[68]        Le paragraphe 18 de la Défense indique : « Delphine Bergeron est passée à travers le processus judiciaire, un processus long et laborieux ».

[69]        L’avocat de monsieur Marquis plaide que le paragraphe constitue une affirmation générale sur le processus judiciaire que madame Bergeron ne peut faire.

[70]        La lecture du paragraphe en question permet de comprendre que madame Bergeron affirme surtout que son expérience avec le processus judiciaire aura été longue et laborieuse. Il s’agit d’un fait que madame Bergeron pourra prouver et qui n’est pas complètement dénué de pertinence quant à sa défense.

[71]        Le paragraphe 18 de la Défense est maintenu.

2.3.4 Paragraphes 52 à 59 de la Défense

[72]        Les paragraphes 52 à 59 de la Défense se lisent :

52.  Au Québec, bien que la criminalité en général soit en baisse depuis des années, les crimes d’agressions sexuelles restent au même niveau, le tout tel qu’il appert des pièces D-3 et D-4.

 

53.  Afin d’avoir un portrait plus clair de la situation, voici certaines statistiques :

 

a.   Entre 18 % et 22 % des femmes ont été victimes d’au moins une agression sexuelle avant d’atteindre l’âge de 18 ans, tel qu’il appert de la pièce D-5;

 

b.   De même, entre 9 % et 10 % des hommes ont été victime d’au moins une agression sexuelle avant d’atteindre l’âge de 18 ans, tel qu’il appert de la pièce D-5;

 

c.   On évalue qu’entre 25 % et 50 % des adultes autochtones ont été victimes d’agression sexuelle avant d’atteindre l’âge de 18 ans, tel qu’il appert de la pièce D-6;

 

d.   Les femmes ayant une incapacité sont près de deux fois plus susceptibles que les femmes sans incapacité d’avoir été victimes d’une agression sexuelle, tel qu’il appert de la pièce D-7.

 

54.  Sachant qu’une femme sur cinq et un homme sur dix seront victimes d’agression sexuelle dans leur vie, le nombre de victimes potentielles est gigantesque.

 

55.  De plus, de nombreux agresseurs font plus d’une victime. En effet, 40,5 % des agresseurs condamnés en lien avec des agressions sexuelles sont de nouveau accusés pour des gestes similaires, tel qu’il appert de la pièce D-8.

 

56.  Ces chiffres ne prennent en compte que les agresseurs condamnés en droit criminel.

 

57.  Informer les victimes potentielles des comportements problématiques de certaines personnes par la Liste permet d’assurer leur sécurité.

 

58.  De plus, les victimes ont généralement le souci que leur agresseur ne fasse pas d’autres victimes.

 

59.  Plusieurs craignent qu’à cause de leur silence, d’autres personnes ne vivent les mêmes violences ; c’est un fardeau très difficile à porter.

 

[73]        Les paragraphes 52, 53 et 55 de la Défense introduisent les pièces D-3 à D-8 qui font état de données quant à la criminalité au Québec et à des statistiques sur les personnes victimes d’agressions sexuelles.

[74]        Plus spécifiquement, les pièces en question sont :

·           D-3 : un document intitulé Statisques criminalité au Québec, Principales Tendances 2016, du ministère de la Sécurité publique;

·           D-4 : un document intitulé Agression sexuelle, datant du mois d’avril 2019, du ministère de la Justice du Canada, division de recherche et de la statistique;

·           D-5 : un article datant des mois de mars-avril 2006 intitulé Prévalence et cooccurrence de la violence envers les enfants dans la population québécoise, tiré du Canadian Journal of Public Health;

·           D-6 : un mémoire de recherche du Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles datant du mois de janvier 2016 intitulé État des connaissances en recherche sur la violence sexuelle et les femmes autochtones au Québec;

·           D-7 : un document de Statistique Canada du 15 mars 2018 intitulé La victimisation avec violence chez les femmes ayant une incapacité, 2014;

·           D-8 : un article publié en novembre 2009 dans Criminologie intitulée Évaluation de la validité prédictive de neuf instruments chez les agresseurs sexuels adultes;

[75]        Une allégation exprime l’un ou l’autre des éléments suivants : un fait, une statistique, une hypothèse, une opinion ou un argument. En principe, seules les allégations de fait sont permises au soutien d’une procédure. Exceptionnellement, certaines allégations de droit sont permises notamment dans une défense afin d’exposer pleinement la position prise par de manière à ne pas prendre l’autre partie par surprise.

[76]        Les statistiques sont des éléments qui peuvent être mis en preuve. Comme l’indique la Cour suprême dans Fraser c. Canada : « Le poids accordé aux statistiques dépendra, entre autres, de la qualité de celles-ci et de la méthode utilisée pour les obtenir »[21].

[77]        Il n’en demeure pas moins que des statistiques ne sont pas des faits. Le dictionnaire Le Robert, Dico en ligne définit le nom « statistique » comme[22] : « Science et techniques d'interprétation mathématique de données complexes et nombreuses, permettant de faire des prévisions. —  Ensemble de données utilisables selon ces méthodes. » Dit simplement, une statistique est une donnée indicative. Ce n’est pas un fait.

[78]        Les paragraphes 52, 53 et 55 de la Défense contiennent des allégations mixtes de statistique et d’opinion. Le même constat vaut pour les pièces D-3 à D-8 communiquées au soutien de ces paragraphes dont le contenu oscille entre la statistique et l’opinion.

[79]        Tels que formulés, les paragraphes 52, 53 et 55 de la Défense ne sont pas conformes aux règles prescrites par le C.p.c. quant à la rédaction des actes de procédure.

[80]        Il n’est pas écarté que certaines des pièces D-3 à D-8 puissent être communiquées autrement, notamment par le biais d’un rapport d’expert. Dans l’intervalle, les paragraphes 52, 53 et 55 doivent être radiés.

[81]        Quant aux paragraphes 54, 56 à 59 de la Défense, ils expriment soit une opinion, soit un argument. Dans l’un ou l’autre de ces cas, il ne s’agit pas d’allégations de fait.

[82]        Ces paragraphes doivent également être radiés.

2.3.5 Paragraphes 63 à 75 et 79 à 81 de la Défense

[83]        Les paragraphes 63 à 75 de la Défense se lisent :

63.  Dans un article de presse, on rapporte les propos suivants du premier ministre du Québec, M. François Legault : « Je veux saluer les gens qui ont eu le courage de dénoncer, parce que ça aide à ce que tout le monde soit plus sensible, d’une certaine façon. C’est un peu plate que ça se passe comme ça, mais je veux saluer leur courage. », le tout tel qu’il appert d’une copie de l’article de Patrick Bellerose publié le 13 juillet 2020, déposé au soutien, pièce D-9.

 

64.  M. Legault a ajouté que le ministre de la Justice examine actuellement comment Québec peut rendre le processus judiciaire « moins difficile » pour les victimes d’agressions sexuelles.

 

a)     Libérer la parole des victimes

 

65.   La parole des victimes doit être libérée pour permettre la dénonciation et par la suite la reconstruction.

 

66.   La première étape du processus de reconstruction pour la majorité des victimes est la reconnaissance du fait d’avoir été agressé et cela peut se faire par la dénonciation et ainsi par la reconnaissance de leur vécu par d’autres personnes, comme le permet les réseaux sociaux.

 

67.   La dénonciation peut, entre autres, se faire devant les instances judiciaires, mais de nombreuses barrières existent.

 

68.   En effet, malgré les politiques, les plans d’action gouvernementaux et la formation offerte aux différents acteurs et actrices du système judiciaire, plusieurs victimes entretiennent un rapport tendu avec le système de justice pénale.

 

69.   Certaines statistiques permettent d’illustrer cet élément :

 

a.      5 % des victimes d’agression sexuelle porteraient plainte, tel qu’il appert de la pièce D-10;

 

b.      Les agressions à caractère sexuel représentent l’un des crimes les plus sous-déclarés au Canada, tel qu’il appert de la pièce D-11;

 

c.      De 2009 à 2014, un peu plus d’une affaire d’agression sexuelle sur 10 signalée par la police et corroborée par celle-ci a donné lieu à une déclaration de culpabilité au criminel, comparativement à près du double (23 %) pour les affaires de voies de fait, tel qu’il appert de la pièce D-12.

 

70.   Comme mentionnée, des barrières existent à la dénonciation par les tribunaux judiciaires, en voici quelques-unes :

 

a.      La peur de ne pas être crue ou de ne pas être prise au sérieux, ainsi qu’une perte de confiance en elle-même, illustrée par la citation suivante, provenant du Rapport de 2018 à la page 42, pièce D-1 :

 

Une tendance générale bien vivante qui consiste à minimiser les agressions à caractère sexuel et leurs conséquences, ce qui fait en sorte que les femmes sont souvent blâmées et ont peur de ne pas être crues. L’intériorisation par les femmes de ces normes sociales les amène elles-mêmes à minimiser ce qu’elles ont vécu et à parfois relativiser les actions de l’agresseur.

 

b.      Elles ne se reconnaissent pas comme victime ou, vu les construits sociaux, se considèrent responsables de la violence vécue ;

 

c.      La crainte de représailles ;

 

d.      Les attitudes des différents acteurs et actrices du système judiciaire, par exemple : le paternalisme et des attitudes culpabilisatrices ;

 

e.      Une victimisation secondaire ;

 

f.       Un besoin de cheminement personnel, préalablement à un processus de plainte.

 

71.   Le processus judiciaire est long et les conséquences négatives sur la santé physique et mentale des victimes sont réelles.

 

72.   L’honorable juge Karakatsanis a confirmé cela dans R c. RV au paragraphe 37 : « Témoigner dans une affaire d’agression sexuelle peut être traumatisant et nocif pour les plaignantes. »

 

73.   Ainsi, étant donné les incertitudes et autres appréhensions liées au parcours judiciaire, les victimes peuvent trouver plus adéquat, vu leur situation personnelle, de se tourner vers d’autres moyens plutôt que vers le système judiciaire.

 

74.   Peu importe à quel endroit se fait la dénonciation, celle-ci doit être reçue de manière à ce que la victime soit crue et soutenue.

 

75.   Il faut également permettre une reprise de pouvoir par les victimes, cela se matérialise en respectant le choix des personnes victimes, entre autres de dénoncer devant le forum qu’elles choisissent et en valorisant leurs expériences et leurs connaissances dans la recherche de solutions.

 

[84]        Les paragraphes 63 à 75 de la Défense introduisent diverses pièces faisant état de données quant à la criminalité au Québec, à des statistiques sur les personnes victimes d’agressions sexuelles et à des commentaires émis par des élus.

[85]        Plus spécifiquement, les pièces D-9 à D-12 auxquelles ces paragraphes réfèrent sont :

·           D-9 : un article de Patrick Bellerose du Journal de Québec datant du 13 juillet 2020 intitulé Dénonciations anonymes en ligne : Legault salue le « courage » de dénoncer;

·           D-10 : un document de Statistique Canada du 23 novembre 2015 intitulé La victimisation criminelle au Canada, 2014;

·           D-11 : un document de Statistique Canada du 22 juillet 2019 intitulé Statistiques sur les crimes déclarés par la police au Canada, 2018;

·           D-12 : un document de Statistique Canada du 26 octobre 2017 intitulé De l’arrestation à la déclaration de culpabilité : décisions rendues par les tribunaux dans les affaires d’agression sexuelle déclarées par la police au Canada, 2009 à 2014.

[86]        Les paragraphes 63 à 75 de la Défense formulent des opinions et arguments quant au processus judiciaire et à l’impact dudit processus sur les victimes d’agressions sexuelles.  

[87]        Au même titre que les paragraphes 8 et 9 et 52 à 59 de la Défense, ces éléments ne sont pas des faits que les défenderesses peuvent alléguer au soutien de leur Défense.

[88]        Quant aux paragraphes 79 à 81 de la Défense, ils se lisent :

79.   En effet, vu les différents écueils systémiques énoncés préalablement, il est excessivement difficile pour les victimes de dénoncer.

 

80.  Permettre aux victimes de le faire anonymement facilite la dénonciation, cela permet de créer un espace sécuritaire pour les victimes.

 

81.  Cela facilite la dénonciation pour les victimes en général, mais également pour les victimes racialisées, les jeunes, les minorités de genre, les personnes en situation de handicap et autres, car pour ces victimes d’autres difficultés s’ajoutent.

 

[89]        Ces paragraphes de la Défense formulent une opinion et relève plutôt de l’argumentaire. Il ne s’agit pas d’allégations de fait.   

[90]        Les paragraphes 79 à 81 de la Défense doivent également être radiés.

3.            monsieur marquis peut-il obtenir la transmission des préengagements demandés et peut-il poser certaines questions aux défenderesses lors de leurs interrogatoires au préalable?

3.1 Conclusion

[91]        Sous réserve de certaines limites, les défenderesses doivent transmettre les documents et informations demandés et répondre aux questions posées lors de leurs interrogatoires au préalable.

3.2 Faits pertinents à la question en litige

[92]        En vue de l’interrogatoire préalable de A.A. et de madame Bergeron, monsieur Marquis demande la communication des documents suivants en guise de préengagement :

92.1.        Les échanges entre les défenderesses et la ou les victimes alléguées du demandeur;

92.2.        Les échanges entre les défenderesses relativement au demandeur;

92.3.        La liste de tous les administrateurs des pages Facebook, Instagram et le site web de DSN ainsi que les dates respectives des retraits des administrateurs, le cas échéant;

92.4.        Advenant que des administrateurs se soient retirés, les échanges entre les défenderesses et les personnes qui se sont retirées de l’administration de DSN;

92.5.        La liste des personnes ayant pris connaissance des dénonciations transmises aux défenderesses;

92.6.        Les dénonciations reçues par DSN ou ses administrateurs quelles aient été traitées ou non.

[93]        Monsieur Marquis demande également à pouvoir poser les questions suivantes à A.A. et madame Bergeron dans le cadre de leur interrogatoire préalable :

93.1.        « Qui sont les personnes qui ont dénoncé les agissements de monsieur Marquis ? »

93.2.        « Avez-vous requis une opinion juridique relativement à la légalité de votre démarche? »

93.3.        « Quelles étaient les options judiciaires préconisées par Juripop? »

[94]        Les défenderesses s’y opposent invoquant un intérêt légitime important, la confidentiliaté des informations, le privilège relatif au litige et le secret professionnel.

3.3 Principes juridiques

[95]        L’article 228 C.p.c. traite des objections anticipées comme suit :

228. Les parties peuvent, avant la tenue de l’interrogatoire, soumettre à un juge les objections qu’elles anticipent afin que celui-ci en décide ou leur donne des directives pour la conduite de l’interrogatoire.

Si les objections soulevées pendant l’interrogatoire portent sur le fait que la personne interrogée ne peut être contrainte ou sur les droits fondamentaux ou encore sur une question soulevant un intérêt légitime important, cette personne peut alors s’abstenir de répondre. Ces objections doivent être présentées au tribunal dans les cinq jours pour qu’il en décide.

Les autres objections, notamment celles portant sur la pertinence, n’empêchent pas la poursuite de l’interrogatoire, le témoin étant tenu de répondre. Ces objections sont notées pour être décidées lors de l’instruction, à moins qu’elles ne puissent être entendues par le tribunal pour qu’il en décide sur-le-champ.

Le jugement qui tranche une objection peut être rendu oralement ou par écrit.

[96]        Dans une décision récente traitant d’objections soulevées dans le cadre d’un interrogatoire préalable, le juge Frappier résume les principes applicables à la confidentialité des informations ou documents demandés au stade de l’interrogatoire préalable [23] :

[30]      Cependant, dans la mesure où les objections soulevées portent sur une question soulevant un intérêt légitime important, le témoin peut s’abstenir de répondre. Il appartient alors au tribunal de trancher l’objection.

[31]       Dans l’arrêt Southam inc. c. Landry, la Cour d’appel rappelle que la confidentialité des documents ne devrait pas être un obstacle à leur communication au stade de l'interrogatoire, compte tenu de l'engagement implicite de confidentialité reconnu à cette étape par l'arrêt Lac d'Amiante du Québec c. 2858-0702 Québec inc., du fait que l'interrogatoire ne fait pas partie du dossier de la cour et n'est soumis au principe de la publicité des débats que lorsque la transcription est produite en preuve et, enfin, du fait que les parties ont alors la possibilité de demander des ordonnances pour protéger leurs droits.

[32]       De plus, il ne suffit pas d’invoquer la confidentialité d’un document pour soulever automatiquement un « intérêt légitime important ». L’exception à cet égard doit être interprétée restrictivement.

[33]       L’« intérêt légitime important » doit comporter des conséquences graves pour la partie qui l’invoque, tels les secrets commerciaux et industriels ou, encore, des données financières confidentielles.

 

[97]        C’est avec ces principes à l’esprit que le Tribunal doit analyser la Demande sur les engagements.

3.4 Discussion

3.4.1 Documents demandés : Les échanges entre les défenderesses et la ou les victimes alléguées du demandeur

3.4.2 Question posée : « Qui sont les personnes qui ont dénoncé les agissements de monsieur Marquis? »

[98]        Nul doute que l’identité de la ou les victimes alléguées de monsieur Marquis, de même que les échanges entre les défenderesses et ces personnes sont pertinents au litige. Ceci est d’autant plus vrai considérant que l’avocate des défenderesses confirme que ses clientes ont l’intention de démontrer la véracité des reproches concernant monsieur Marquis.

[99]        Il reste la difficile question à savoir si ces communications, de même que l’identité de cette ou ces personnes, sont des informations confidentielles auxquelles monsieur Marquis ne peut avoir accès.

[100]     Au soutien de leur objection à transmettre les documents et informations demandés, les défenderesses plaident l’intérêt légitime important de ces victimes de conserver l’anonymat et l’application du test de Wigmore. Selon l’avocate des défenderesses, les dénonciations ont été transmises avec l’assurance que les victimes conserveraient l’anonymat.

[101]     Dans l’arrêt R c. National Post, la Cour suprême énonce les quatre volets du test de Wigmore comme suit [24]:  

[53] Le test ou « critère de Wigmore » comporte quatre volets qui peuvent se résumer comme suit dans le contexte qui nous occupe. Premièrement, les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l'assurance que l'identité de l'informateur ne serait pas divulguée. Deuxièmement, le caractère confidentiel doit être essentiel aux rapports dans le cadre desquels la communication est transmise. Troisièmement, les rapports doivent être des rapports qui, dans l'intérêt public, devraient être « entretenus assidûment », adverbe qui évoque l'application constante et la persévérance (selon le New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles (6e éd. 2007), vol. 2, p. 2755, le terme anglais « sedulous[ly] » utilisé par Wigmore signifie: « diligent[ly] ... deliberately and consciously.”). Enfin, si toutes ces exigences sont remplies, le tribunal doit déterminer si, dans l'affaire qui lui est soumise, l'intérêt public que l'on sert en soustrayant l'identité à la divulgation l'emporte sur l'intérêt public à la découverte de la vérité. (…)

[102]     La personne qui invoque la confidentialité d’une communication sur la base d’un privilège assume le fardeau d’en faire la démonstration.

[103]     Or, les défenderesses ne produisent aucune déclaration sous serment au soutien de leur objection. Ni de A.A. et de madame Bergeron, ni de l’une ou l’autre des victimes de monsieur Marquis. Pourtant, l’audition visant à traiter de ces objections a été fixée plusieurs jours sinon semaines à l’avance.

[104]     Les déclarations sous serment de A.A. et de madame Bergeron au soutien de la Nouvelle Demande ne fournissent pas non plus les assises factuelles permettant de conclure à la confidentialité des informations.

[105]     Quant à la Défense, elle contient les paragraphes suivants :

78.  Dis son nom a aussi été créé pour répondre au besoin de nombreuses victimes de dénoncer de manière anonyme.

79.  En effet, vu les différents écueils systémiques énoncés préalablement, il est excessivement difficile pour les victimes de dénoncer.

80.  Permettre aux victimes de le faire anonymement facilite la dénonciation, cela permet de créer un espace sécuritaire pour les victimes.

81.  Cela facilite la dénonciation pour les victimes en général, mais également pour les victimes racialisées, les jeunes, les minorités de genre, les personnes en situation de handicap et autres, car pour ces victimes d’autres difficultés s’ajoutent.

[106]     Ainsi, les défenderesses allèguent à la Défense qu’il est souhaitable que les victimes puissent dénoncer anonymement.

[107]     Mais est-ce que c’est ce que les victimes ont fait? Ont-elles dénoncé avec l’intention de demeurer anonymes? Pensons à madame Bergeron qui déclare sous serment qu’elle se sent assez forte pour agir publiquement[25]. Aussi, comment la promesse d’anonymat, si elle a été faite, a-t-elle été présentée par DSN aux victimes de monsieur Marquis?

[108]     Ce sont des questions qui demeurent sans réponse.

[109]     Dans l’arrêt A.B. c. Bragg Communications Inc. [26], la Cour suprême nous enseigne qu’en l’absence de preuve, les tribunaux peuvent conclure à l’existence d’un préjudice objectivement discernable afin de faire droit à une demande d’anonymat.

[110]     Deux éléments distinguent la présente situation de l’arrêt A.B. c. Bragg Communications Inc.

[111]     D’une part, la personne protégée y formule spécifiquement une demande d’anonymat.  En l’espèce, la ou les victimes alléguées de monsieur Marquis ne formulent pas de telle demande et rien ne permet au Tribunal de conclure que c’est ce qu’elles souhaitent.

[112]     D’autre part, il y est question des conséquences sur une enfant de l’utilisation sur internet de son image. En l’espère, le Tribunal ignore si la ou les victimes alléguées de monsieur Marquis sont des enfants ou des adultes.

[113]     Ainsi, même si le Tribunal voulait extentionner l’application de l’arrêt  A.B. c. Bragg Communications Inc. à la présente instance et conclure à l’existence d’un préjudice objectivement discernable pour les victimes de monsieur Marquis, encore faudrait-il que le Tribunal soit saisi d’une demande d’anonymat par ces dernières.

[114]     Autrement, cela équivaut à conclure que les victimes alléguées d’agressions sexuelles ont un droit automatique à l’anonymat, ce que le Tribunal a déjà exclu.

[115]     Pareillement, même si le Tribunal tente de se prêter à l’analyse du test de Wigmore pour conclure à l’existence d’un privilège en l’espèce, cette analyse ne passe pas le cap du premier volet, à savoir que les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance que l’identité de l’informateur ne serait pas divulguée. La preuve au dossier est silencieuse à cet égard.

[116]     Même si aucun autre privilège n’a été plaidé, le Tribunal s’est posé la question à savoir s’il existe un autre privilège qui permettrait aux défenderesses de refuser la communication des documents et informations demandés. Le Tribunal estime que non.

[117]     Les défenderesses et leurs sources n’ont pas droit à la confidentialité des sources journalistiques puisque les défenderesses ne sont pas des journalistes ou d’anciennes journalistes au sens de l’article 39.1(1) de la Loi sur la preuve au Canada[27].

[118]     Les défenderesses et leurs sources n’ont pas non plus droit à la défense de dénonciation d’actes répréhensibles (« whitleblowing ») applicable en milieu de travail[28] ou à la confidentialité découlant du secret professionnel[29].

[119]     En somme, les défenderesses n’ont pas démontré que leurs communications avec les victimes, de même que l’identité de ces dernières, sont protégées par un privilège quelconque. 

[120]     Quant à l’intérêt légitime spécifiquement prévu à l’article 228 C.p.c., en supposant qu’un tel intérêt puisse exister en dépit des conclusions du Tribunal quant à l’absence d’un privilège, cet intérêt appartient aux victimes alléguées.

[121]     Un intérêt légitime important s’entend d’une volonté de protéger un droit consacré par la loi ou reconnu comme tel. En l’espèce, le droit visé serait celui du droit à la vie privée[30]. Il s’agit d’un droit personnel incessible[31] que seule chacune des victimes alléguées peut invoquer.

[122]     En l’absence d’un privilège quelconque, les défenderesses ne peuvent plaider pour autrui et invoquer l’intérêt légitime d’une tierce partie pour refuser de répondre à une question ou une demande d’engagement dans le cadre d’un interrogatoire au préalable. 

[123]     Enfin, considérant que les défenderesses entendent spécifiquement démontrer la véracité des reproches formulés par la ou les victimes alléguées de monsieur Marquis, il est évident que ce dernier doit savoir qui lui reproche quel geste. Lui refuser cette information équivaudrait à le priver de son droit de répondre à la Défense.

[124]     Les défenderesses doivent communiquer à monsieur Marquis les échanges entre elles et la ou les victimes alléguées de ce dernier. Par le fait même, les défenderesses doivent communiquer à monsieur Marquis l’indentitié de la ou les personnes qui se disent victimes de ce dernier.  

[125]     Par ailleurs, le Tribunal prend acte de l’engagement de l’avocat de monsieur Marquis de déposer au dossier de la cour sous pli confidentiel, le cas échéant, tout document permettant au public d’identifier la ou les victimes alléguées. La ou les victimes alléguées qui souhaitent formuler une demande d’anonymat ou de non-divulgation dans le cadre de la présente instance pourront ainsi saisir elles-mêmes le tribunal afin qu’il se penche spécifiquement sur la question. 

3.4.3 Documents demandés : les échanges entre les défenderesses relativement au demandeur

[126]     Les défenderesses s’opposent à la communication des échanges entre elles relativement à monsieur Marquis en raison du privilège relatif au litige.

[127]     Pour invoquer le privilège relatif au litige, la partie qui l’invoque doit démontrer que l’objet principal du document dont elle refuse la communication découle de la préparation d’un litige[32]. « La perspective d’un litige éventuel ne suffit pas »[33].

[128]     Monsieur Marquis a droit aux échanges entre les défenderesses à son sujet dans la mesure où ces échanges ne sont pas couverts par le privilège relatif au litige.

[129]     L’avocate des défenderesses devra faire l’exercice d’examiner chacune des communications afin de déterminer lesquelles bénéficient de cette protection et lesquelles doivent être communiquées à monsieur Marquis.

[130]     En cas de doute quant à certaines communications, les parties pourront saisir le tribunal.

3.4.4 Documents et informations demandés : La liste de tous les administrateurs des pages Facebook, Instragram et le site web de DSN ainsi que les dates respectives des retraits des administrateurs, le cas échéant

[131]     Les défenderesses n’ont proposé aucun motif de contestation sérieux quant à cette demande, autre que le fait que monsieur Marquis cherche à ajouter des parties défenderesses à son Action.

[132]     Monsieur Marquis ne s’en cache pas, tel est effectivement l’un des objectifs visés par cette demande d’information. Son avocat ajoute que les difficultés à obtenir ces informations justifient d’autant plus la demande. Il rappelle que la présente instance a débuté par l’émission d’une ordonnance de type Norwich visant à forcer Facebook à lui communiquer l’identité des administrateurs de DSN.

[133]     La demande de monsieur Marquis est pertinente et justifiée dans les circonstances. Il a droit aux informations demandées à cet égard.

3.4.5 Documents demandés : Les échanges entre les défenderesses et les personnes qui se sont retirées de l’administration

[134]     Les défenderesses s’opposent à cette demande en invoquant le privilège relatif au litige et le fait qu’il s’agit d’une partie de pêche.

[135]     L’avocat de monsieur Marquis justifie sa demande en indiquant qu’une ancienne administratrice de DSN a publiquement dénoncé le fonctionnement de DSN. Considérant la réclamation pour dommages punitifs de monsieur Marquis, son avocat estime qu’il est pertinent et justifié qu’il ait accès à ces communications notamment afin de savoir si les défenderesses ont reçu des mises en garde quant au fonctionnement de DSN et comment elles ont traité ces mises en garde, le cas échéant.

[136]     La pertinence s’entend de ce qui « est utile, approprié, susceptible de faire progresser le débat, reposant sur un objectif acceptable qu'il cherche à atteindre dans le dossier »[34].

[137]     Considérant les représentations de l’avocat de monsieur Marquis, la demande ne constitue pas une partie de pêche si les échanges demandés sont limités à ceux où il est question du fonctionnement de DSN.

[138]     Monsieur Marquis a droit aux échanges entre les défenderesses et les personnes qui se sont retirées de l’administration de DSN dans la mesure où ces échanges ne sont pas couverts par le privilège relatif au litige et qu’ils sont relatifs au fonctionnement de DSN. L’avocate des défenderesses devra faire l’exercice d’examiner chacune des communications afin de déterminer lesquelles doivent être communiquées à monsieur Marquis.

3.4.6 Information demandée : La liste des personnes ayant pris connaissance des dénonciations transmises aux défenderesses

[139]     Afin d’établir l’étendue des dommages qu’il a subis, monsieur Marquis demande de savoir qui a accès aux dénonciations lorsque celles-ci sont reçues par DSN.

[140]     Les défenderesses ne formulent aucun motif sérieux de contestation quant à cette demande.

[141]     L’information demandée est justifiée, mais doit être limitée aux dénonciations relatives à monsieur Marquis. Ainsi, les défenderesses doivent identifier la ou les personnes chez DSN qui ont pris connaissance de quelque dénonciation relative à monsieur Marquis et communiquer cette information à ce dernier.

3.4.7 Documents demandés : Les dénonciations reçues par DSN ou ses administratrices quelles aient été traitées ou non

[142]     L’avocat de monsieur Marquis justifie sa demande à cet égard en raison des paragraphes 82 à 85 de la Défense où les défenderesses expliquent le processus qu’elles ont mis en place ainsi que les lignes directrices qu’elles appliquent.

[143]     Selon lui, monsieur Marquis est en droit de vérifier les tenants et aboutissants de ce processus et de ces lignes directrices et la rigueur appliquée par les défenderesses dans le traitement de l’information.

[144]     Les défenderesses s’y opposent en invoquant le droit à la confidentialité de leurs sources et le caractère abusif et déraisonnable de la demande.

[145]     Considérant les conclusions précédentes du Tribunal quant l’absence de droit à la confidentialité en l’espèce, cet argument des défenderesses ne peut servir pour justifier l’objection.

[146]     Quant au caractère abusif et déraisonnable de la demande, vu les paragraphes 82 à 85 de la Défense et considérant la sévérité des reproches formulés contre lui par l’inclusion de son nom à la Liste, monsieur Marquis est en droit de vérifier le processus en place et les lignes directrices invoquées. Ces vérifications ne peuvent être valablement faites que si elles impliquent une revue complète du processus, du moins jusqu’à la publication du nom de monsieur Marquis sur la Liste en août 2020.

[147]     Par contre, est-il pertinent et nécessaire que monsieur Marquis obtienne le nom de l’ensemble des victimes alléguées pour faire ces vérifications[35]? Pareillement, si certaines dénonciations réfèrent à des personnes dont le nom ne se trouve pas sur la Liste, est-il pertinent et nécessaire que monsieur Marquis ait accès à ces noms? Le Tribunal ne le croit pas.

[148]     Bien que cet argument n’ait pas été spécifiquement plaidé par les défenderesses, le Tribunal peut écarter d’office une preuve non pertinente[36]. Il s’en suit que le Tribunal peut maintenir une objection à une demande de préengagement, s’il détermine que le document ou l’information demandée n’est pas pertinent, même si le motif de l’objection n’est pas basé sur la pertinence.

[149]     Dans Glegg c. Smith, traitant de la pertinence dans le cadre d’interrogatoires au préalable, la Cour suprême affirme (le Tribunal souligne)[37] :

[25]   Le critère de la pertinence, en raison du sens que lui donne la jurisprudence, joue un rôle central dans ce domaine. Il doit ici prendre en compte l'importance du droit au respect de la vie privée, déjà protégé par la Charte québécoise, qu'implique la reconnaissance législative du secret professionnel médical. Il oblige celui qui réclame l'accès à l'information à établir la pertinence apparente de l'information recherchée, pour l'exploration des fondements de la demande et pour la conduite de la défense. L'appréciation de l'impact de la divulgation doit se faire en retenant qu'elle se situe dans le cadre des interrogatoires préalables, où une obligation implicite de confidentialité s'impose aux parties (Lac d'Amiante). De plus, le Règlement de procédure civile, R.R.Q. 1981, ch. C-25, r. 8, se préoccupe de limiter la diffusion de ce type d'information. Selon l'article 3, elles sont conservées sous enveloppe scellée. Seuls les parties et leurs avocats peuvent en prendre connaissance.

[150]     Si les vérifications des documents et informations obtenues permettent à monsieur Marquis de démontrer subséquemment que le nom de l’ensemble des victimes alléguées ou le nom de personnes dénoncées, mais non retenues sont des informations pertinentes et nécessaires à la théorie de sa cause, il pourra saisir le tribunal en ce sens. Dans l’intervalle, il n’est pas pertinent qu’il obtienne ces informations.

[151]     Les défenderesses doivent fournir les dénonciations reçues jusqu’au mois d’août 2020. Les noms des victimes alléguées de même que les noms des personnes dénoncés, mais non inclus à la Liste seront caviardés des dénonciations fournies.

3.4.8   Question posée : « Avez-vous requis une opinion juridique relativement à la légalité de votre démarche? »

3.4.9   Question posée : « Quelles étaient les options judiciaires préconisées par Juripop? »

[152]     Les défenderesses s’objectent à ces questions invoquant le droit au secret professionnel.

[153]     L’avocat de monsieur Marquis plaide que les défenderesses ont renoncé au secret professionnel en indiquant à la Défense que A.A. a fait appel à Juripop pour connaître ses options judiciaires. Au surplus, considérant la nature du recours entrepris, il invoque que monsieur Marquis est justifié de savoir si les défenderesses ont agi de manière consciente des risques rattachés à leurs actions.

[154]     La simple allégation dans la Défense que A.A. a placé un appel à Juripop pour connaître ses options judiciaires ne constitue pas une renonciation au secret professionnel.

[155]     Monsieur Marquis n’a pas le droit de savoir quelles étaient les options judiciaires préconisées par Juripop.

[156]     Il peut toutefois demander aux défenderesses si elles ont obtenu une opinion juridique relativement à la légalité de leur démarche. Les questions à ce sujet ne pourront toutefois pas aller plus loin, indépendamment de la réponse qui devra être donnée.

CONCLUSION

[157]     A.A. devra continuer les procédures dans la présente instance sous son nom.

[158]     Les paragraphes 7, 8, 9, 52 à 59, 63 à 75, 79 à 81 de la Défense doivent être radiés.

[159]     Les défenderesses doivent communiquer à monsieur Marquis l’identité de ses victimes alléguées ainsi que les échanges entre les défenderesses et ces victimes alléguées.

[160]     Le Tribunal prend acte de l’engagement de monsieur Marquis de déposer au dossier de la cour sous pli confidentiel, le cas échéant, tout document qui permet d’identifier la ou les victimes alléguées, afin de permettre à ces personnes de saisir le tribunal d’une demande d’anonymat ou de non-divulgation si elles le souhaitent.

[161]     Monsieur Marquis a droit aux échanges entre les défenderesses et les personnes qui se sont retirées de l’administration de DSN dans la mesure où ces échanges ne sont pas couverts par le privilège relatif au litige et qu’ils sont relatifs au fonctionnement de DSN.

[162]     Les défenderesses doivent communiquer à monsieur Marquis l’identité de la ou les personnes chez DSN ayant pris connaissance de quelque dénonciation relative à lui.

[163]     Les défenderesses doivent fournir les dénonciations reçues jusqu’au mois d’août 2020, en caviardant les noms des victimes alléguées de même que les noms des personnes dénoncés, mais non inclus à la Liste.

[164]     Les défenderesses doivent dire si elles ont obtenu une opinion juridique relativement à la légalité de leur démarche.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[165]     ORDONNE à A.A. d’utiliser son nom dans le cadre des procédures dans la présente instance;

[166]     ORDONNE la radiation des paragraphes 7, 8, 9, 52 à 59, 63 à 75, 79 à 81 de la Défense;

[167]     ORDONNE aux défenderesses Dis son nom, Delphine Bergeron et A.A. de transmettre au demandeur Jean-François Marquis, dans un délai de 10 jours précédant la tenue des interrogatoires préalables, les documents ou informations suivantes :

167.1.     L’identité des victimes alléguées du demandeur Jean-François Marquis ainsi que les échanges entre les défenderesses et ces victimes alléguées;

167.2.     Les échanges entre les défenderesses et les personnes qui se sont retirées de l’administration de Dis son nom qui ne sont pas couverts par le privilège relatif au litige et qui sont relatif au fonctionnement de Dis son nom;

167.3.     L’identité des personnes chez la défenderesse Dis son nom qui ont pris connaissance de quelque dénonciation relative au demandeur Jean-François Marquis;

167.4.     Les dénonciations reçues par les défenderesses jusqu’au mois d’août 2020, en caviardant les noms des victimes alléguées de même que les noms des personnes dénoncés, mais non inclus à la liste;

[168]     ORDONNE aux défenderesses Delphine Bergeron et A.A. de répondre, dans le cadre de leur interrogatoire au préalable à la question :

168.1.     Avez-vous obtenu une opinion juridique relativement à la légalité de votre démarche?

[169]     PRENDS ACTE de l’engagement du demandeur Jean-François Marquis de déposer au dossier de la cour sous pli confidentiel, le cas échéant, tout document qui permet d’identifier la ou les victimes alléguées, afin de permettre à ces personnes de saisir le tribunal d’une demande d’anonymat ou de non-divulgation si elles le souhaitent.

[170]     LE TOUT frais à suivre.

 

 

 

__________________________________KATHERYNE A. DESFOSSÉS,.j.c.s.

 

 

 

 

 

Me Pierre-Hugues Miller

PIERRE-HUGUES MILLER AVOCAT INC.

Avocat du demandeur Jean-François Marquis

 

 

Me Virginie Dufresne-Lemire

ARSENAULT DUFRESNE WEE AVOCATS S.E.N.C.R.L.

Avocats des défenderesses A.A., Delphine Bergeron et Dis son nom

 

Date d’audience :

Le 18 février 2021

 



[1] [1994] 3 R.C.S. 835.

[2] [2001] 3 R.C.S. 442.

[3] Par. 23, 24 et 32 de la Défense. 

[4] Par. 47 de la Défense.

[5] Par. 48 de la Défense.

[6] Déclaration sous serment de A.A. datée du 14 décembre 2020.

[7] S. c. Lamontagne, 2020 QCCA 663, par. 12. Voir également Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480 et Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43.

[8] 2020 QCCA 663, par. 20 à 22.

[9] Préc. note 1.

[10] Préc. note 2.

[11] 2010 CSC 41, par. 90. Voir également Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 et Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43.

[12] Voir les articles 15 et 16 C.p.c.

[13] Paragraphe 7 de la déclaration sous serment de A.A. datée du 14 décembre 2020.

[14] Lors de la présentation de la Demande initiale devant le juge Kalichman, A.A. invoquait que son anonymat est requis parce que ses agresseurs connaissent son lieu de résidence et qu’elle craint pour sa sécurité s’ils apprennent qu’elle les ait dénoncés : paragraphe 7 de la déclaration sous serment de A.A. daté du 23 septembre 2020. Ces paragraphes ne sont pas repris dans la déclaration sous serment de A.A. datée du 14 décembre 2020 produite au soutien de la Nouvelle Demande.

[15] Article 99 al 1 C.p.c.

[16] Article 170 al 1 C.p.c.

[17] Denis FERLAND et Benoît EMERY, Précis de procédure civile du Québec, Volume 1 (Art. 1-301, 321-344 C.p.c.), Les actes de procédure (art. 99-108), 6e édition, 2020, EYB2020PPC32, par. 1009-1010.

[18] Groupe Ledor inc., mutuelle d'assurances c. Bourret, EYB 2014-239553 (C.A.), par. 2.

[19] Association des propriétaires de Boisés de la Beauce c. Monde Forestier, EYB 2009-153015 (C.A.), par. 29 à 32.

[20] H. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, « fait », 2016, JuriBistro eDictionnaire.

[21] EYB 2020-356737 (C.S.C.), par. 59.

[23] Corporation Jamp Pharma (Wampole) c. Dollarama, 2021 QCCS 34, par. 30 à 33.

[24] [2010] 1 R.C.S. 477, par. 53.

[25] Paragraphe 8 de la déclaration sous serment du 14 décembre 2020 de madame Bergeron.

[26] [2012] 2 R.C.S. 567, par. 15.

[27] Denis c. Côté, EYB 2019-317233 (C.S.C.), par. 27 à 57.

[28] Sur la notion de défense de dénonication en milieu de travail, voir notamment : J.M. Montbriand, L'obligation des membres d'un ordre professionnel de dénoncer le comportement dérogatoire d'un autre membre, Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire (2019), Service de la formation continue du Barreau du Québec, 2019, EYB2019DEV2721; D. Di Vicenzo et L. Bernier, Relations patronales-syndicales : naviguer entre les obligations de civilité et de loyauté et l'immunité syndicale, Arbitrage de griefs - Deuxième colloque, Collection Blais, vol. 20, 2014, EYB2014CBL73.

[29] Article 60.4 de la Loi des professions; 9 de la Charte des droits et libertés de la personne.

[30] Article 3 al 1 C.c.Q.

[31] Article 3 al 2 C.c.Q.

[32] Hydro-Québec c. Énergie éolienne Le Plateau, 2020 QCCS 2271, par. 50.

[33] Hydro-Québec c. Énergie éolienne Le Plateau, 2020 QCCS 2271, par. 51. Voir également Corporation Jamp Pharma (Wampole) c. Dollarama, 2021 QCCS 34, par. 62.

[34] Westinghouse Canada inc. c. Arkwright Boston Manufacturers Mutual Insurance Co., REJB 1993-56157 (C.A.), par. 32. Voir également Corporation Jamp Pharma (Wampole) c. Dollarama, 2021 QCCS 34, par. 27.

[35] Westinghouse Canada inc. c. Arkwright Boston Manufacturers Mutual Insurance Co., REJB 1993-56157 (C.A.), par. 32. Voir également Corporation Jamp Pharma (Wampole) c. Dollarama, 2021 QCCS 34, par. 27.

[36] C. Piché, La sanction des règles de preuve, La preuve civile, 6e éd., 2020, EYB2020PRC137, par, 1402.

[37] [2005]1 R.C.S. 724, par. 25.

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