Décision

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Décision

Desiront c. Dunn

2017 QCRDL 4662

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

313914 31 20170111 G

No demande :

2154771

 

 

Date :

14 février 2017

Régisseur :

Robin-Martial Guay, juge administratif

 

ANDRÉ DESIRONT

 

ISABELLE GROULX

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Diane Dunn

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Les locateurs, Isabelle Groulx et André Désiront, demandent au Tribunal de les autoriser à reprendre le logement concerné, pour s'y loger à compter du 1er juillet 2017, et ce, suivant les termes des articles 1957 et 1963 du Code civil du Québec.

[2]      La preuve révèle que les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017 au loyer mensuel de 598 $.

[3]      Le 29 novembre 2016, les locateurs avisent la locataire qu’ils entendent reprendre le logement concerné afin de s'y loger à compter du 1er juillet 2017.

[4]      La locataire n'a pas répondu à l'avis de reprise des locateurs de sorte qu'elle est présumée avoir refusé de quitter les lieux.

[5]      Par conséquent, les locateurs ont introduit, devant la Régie du logement, la présente demande d'autorisation en date du 11 janvier 2017.

[6]      Pour les fins de la présente demande d'autorisation, il sied de rappeler que les articles 1957 et 1963 du Code civil du Québec édictent ce qui suit :

« 1957. Les locateurs d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autres parent ou allié dont il est le principal soutien.

Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. »

« 1963. Lorsque la locataire refuse de quitter le logement, les locateurs peuvent, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.

Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et les locateurs doivent alors démontrer qu'ils entendent réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »


[7]      En l'espèce, la preuve révèle que les locateurs sont copropriétaires et codébiteurs de l'immeuble qui abrite le logement concerné depuis septembre 2013.

[8]      Cet immeuble est constitué d'un triplex.

[9]      Les locateurs sont aussi copropriétaires et codébiteurs d’un autre immeuble acquis en 2010 et qui est situé à Sainte-Marthe-du-Cap non loin de Trois-Rivières. Il s’agit d’une maison de campagne située en bordure du fleuve. Cette maison est présentement à vendre (Pièce P-2).

[10]   Les locateurs expliquent que la maison de campagne est à vendre pour plusieurs raisons.

[11]   D’entrée de jeu, monsieur estime que l’achat de cette maison a été fait de façon spontanée; ce qu’il regrette quelque peu aujourd’hui. Il juge le prix des taxes excessif pour une telle propriété. Elle commande des débours mensuels importants pour son entretien et les enfants au nombre de six et petits-enfants au nombre de cinq ne viennent pas aussi souvent qu’il le souhaiterait en raison de la distance. Tous sauf un vivent à Montréal. De plus, en raison d’un problème d’infiltration d’eau, ils ont dû débourser en 2016, la forte somme de 23 000 $ provenant de leurs économies.

[12]   Or, il se trouve que l’immeuble abritant le logement concerné requiert des travaux de pieutage dont les coûts pour les travaux s’élèveront à quelques 70 000 $. Ces travaux doivent débuter au cours de l’année 2017.

[13]   Le locateur qui aura bientôt 70 ans et la locatrice qui est âgée de 63 ans, soulignent qu’ils souhaitent rapatrier leur capital par la vente de leur propriété dont aussi l’immeuble qu’ils habitent depuis trois ans: une copropriété indivise situé sur la rue Cartier à Montréal.

[14]   Le couple souhaite concentrer ses efforts et les économies qu’ils tireront de la vente de leurs deux autres propriétés à l’immeuble de la rue Falardeau qui abrite le logement concerné et qui requiert un investissement de 70 000 $ pour des travaux de pieutage.

[15]   Au jour de l’audience, les locateurs avaient entre les mains une offre d’achat de cette copropriété située sur la rue Cartier à Montréal; offre qu’ils ont accepté en date du 15 janvier 2017. (Pièce P-1). Cet immeuble est entièrement payé et les locateurs n’ont pas cachés leur soulagement de pouvoir compter sous peu de l’apport en capital de 270 000 $ qu’ils tireront de la vente. Le couple acheteur doit prendre possession des lieux pour le 1er juillet 2017.

[16]   Les locateurs précisent que les acheteurs sont un couple originaire de l’île de Saint-Barthélemy dans les Antilles françaises. Le couple acheteur compte un enfant qui fait déjà ses études supérieures au Québec. Cet étudiant habite et vit présentement chez des amis du couple acheteur, lesquels sont copropriétaires indivis du même immeuble que celui qu’habitent les locateurs. Il faut dire que l’île de Saint-Barthélemy ne permet pas de poursuivre des études supérieures. Le couple acheteur compte deux autres enfants qui eux aussi feront leurs études supérieures au Québec d’où leur intérêt pour l’achat de la copropriété des locateurs.

[17]   La locataire habite le logement concerné depuis 1973. Elle vit dans ce quartier où tous la connaissent. Elle ne souhaite pas déménager ailleurs.

[18]   Elle ne croit pas que les locateurs vont s’installer dans son logement même une fois rénové au goût du jour en raison de sa situation géographique, soit dans une zone relativement bruyante.

[19]   C’est de tout le contraire ce dont affirment les locateurs. Madame Groulx souligne de façon particulière les avantages et douceurs que lui procurera le jardin en étant situé au rez-de-chaussée. Il s’agit là d’un avantage suffisamment significatif pour les avoir convaincu de vendre l’immeuble sur la rue Cartier qui est sans jardin et de conserver celui de la rue Falardeau avec son jardin avant et arrière.

[20]   Le couple ne doute pas qu’ils sont des citadins et ne craignent pas le situs de l’immeuble de la rue Falardeau qui, ont-ils souligné, n’est situé qu’à quelque cinq minutes de marche seulement du lieu qu’ils habitent présentement; rue Cartier.

[21]   Bien qu’elle affirme ne pas en avoir la preuve, la locataire croit que l’offre d’achat de la rue Cartier est une offre de complaisance visant à peaufiner le dossier de reprise des locateurs.


[22]   En corollaire, la locataire estime que la décision rendue le 4 février 2016, par le juge administratif André Monty, relativement à une première demande de reprise du logement concerné par les locateurs en 2016 est toujours d’actualité en ce que la situation n’a guère changé. Une fois de plus, la demande de reprise de son logement devrait être rejetée pour les mêmes motifs que ceux exprimés par le juge administratif Monty.

[23]   Tel est l’essentiel de la preuve entendue et soumise à l’attention du tribunal.

Discussion

[24]   D’entrée de jeu, le Tribunal souligne que la décision rendue le 4 février 2016, qui rejette une demande de reprise du logement concerné, se fonde essentiellement sur l'appréciation des témoignages déposés lors de l'audition de cette demande.

[25]   Saisi d'une nouvelle demande, le présent forum dispose de toute la discrétion que l’article 2845 de Code civil du Québec lui confère en matière d’appréciation d’un témoignage et jugé de sa force probante.

[26]   Il convient aussi de rappeler qu'en vertu de l'article 2805 du Code civil du Québec, « la bonne foi se présume toujours à moins que la loi n'exige expressément de la prouver ».

[27]   En matière de reprise de logement, il appartient donc au locataire de renverser cette présomption en faisant la preuve de la mauvaise foi du locateur.

[28]   Qu’à cela ne tienne, l’article 1936 C.c.Q, consacre en faveur du locataire, un droit au maintien dans les lieux tant et aussi longtemps qu'il respecte les obligations prévues au bail. Le locataire peut voir ce droit au maintien compromis que dans les cas prévus par la loi. Il s'agit, entre autres, des cas de reprise de logement ou d'éviction prévus aux articles 1957 et suivants du Code civil du Québec.

[29]   En vertu de l'article 1963 du Code civil du Québec, le locateur doit démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.

[30]   En matière de reprise de logement, deux droits prévus par la loi en faveur de chacune des parties s'opposent simultanément.

[31]   Si le propriétaire d'un immeuble bénéficie du droit à l’usus, au fructus et à l’abusus de son bien, le locataire peut revendiquer sur le bien du propriétaire celui au maintien dans les lieux loués.

[32]   Notons que c'est pour protéger ce droit du locataire au maintien dans les lieux que le législateur impose des conditions au locateur au chapitre de la reprise de logement. Il appartient à ce dernier de démontrer que son projet de reprise du logement repose sur des faits raisonnables et probables et non sur de faux prétextes.

[33]   Dans la décision Hajjali c. Tisiki, le juge Dortélus analyse certaines décisions qui déterminent le fardeau de preuve applicable en matière de reprise. Il mentionne ce qui suit :

« Il ressort de cette revue de la doctrine et jurisprudence qu'il appartient au locateur de démontrer par prépondérance de preuve qu'il entend réellement reprendre possession du logement pour la fin mentionnée dans l'avis de reprise de possession, il doit prouver sa bonne foi, ce faisant, établir qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »

[34]   La question en litige à laquelle doit répondre le Tribunal en matière de reprise de logement s’exprime comme suit: La preuve des locateurs convainc-t-elle le tribunal que leur intention de reprendre le logement concerné ne vise pas une autre fin que celle énoncée dans l’avis de reprise qu’ils ont donné à la locataire ?

[35]   En l'instance, la demande des locateurs est, entre autres, motivée par des raisons économiques et de rentabilité de leur immeuble. Ces motivations ne font pas que cette demande soit pour autant illégitime.

[36]   En l’espèce, le Tribunal juge que la preuve ne démontre pas que les locateurs sont de mauvaise foi ou que leur demande d’autorisation à reprendre le logement concerné pour s’y loger est un prétexte pour évincer la locataire du logement concerné.

[37]   Après examen de l’ensemble de la preuve, le Tribunal juge que les locateurs ont démontré, suivant la prépondérance de preuve, qu’ils entendent réellement reprendre possession du logement concerné afin de s'y loger et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.

[38]   À l’opposé, la locataire n’a pas démontré que les locateurs n’entendent pas réellement reprendre le logement concerné pour s’y loger à l’expiration du bail, le 30 juin 2017.

[39]   Pour tous ces motifs, le Tribunal autorise les locateurs à la reprise du logement concerné afin de s’y loger à l’expiration du bail le 30 juin 2017.

[40]   Subsidiairement, la locataire demande au tribunal à ce qu’une indemnité lui soit versée advenant le cas où le Tribunal autorise la reprise du logement. Sous ce rapport, elle réclame des frais de déménagement et de branchement de services.

[41]   Aussi, la locataire demande à ce qu’une indemnité lui soit versée en raison des troubles, ennuis et inconvénients résultant de la reprise du logement. À cet égard, elle prie le tribunal de tenir compte de son âge ainsi que du fait qu’elle habite le logement concerné depuis l’année 1973.

[42]   Au total, la locataire espère recevoir rien de moins que l’offre de 6 000 $ que lui ont fait par le passé les locateurs. À l’audience, l’avocate des locateurs s’est objectée à l’administration en preuve de cette offre puisqu’il s’agissait d’une offre faite sans admission ni préjudice et dans le seul but d’acheter la paix et d’éviter un procès aux parties. L’avocate insiste pour que le Tribunal ne tienne pas compte de cette offre devenue caduque puisqu’il n’y a pas eu de transaction entre les parties sur la base de cette offre. Le Tribunal retient cette objection.

[43]   Pour leur part, les locateurs soulignent qu’ils n’ont pas d’objection à verser à la locataire une indemnité qui permettra à celle-ci d’assumer ses frais de déménagement et de branchement de services.

[44]   À cet égard, ceux-ci ont obtenu des soumissions de ce qu’il en coûte pour un déménagement lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’un logement de 5.5 pièces situé au rez-de-chaussée. C’est d’un montant de 2 385 $ plus les taxes auquel s’ajoute un autre montant de 170 $ pour des cartons et papier d’emballage qu’il s’agit (Pièce P-5).

[45]   De plus, les locateurs n’ont pas d’objection à ce que la locataire puisse opérer compensation entre l’indemnité à lui être versée et le loyer des mois à venir jusqu'à concurrence de cette indemnité.

[46]   Le Tribunal souligne, à propos de l’indemnité, que les stipulations de l’article 1967 du Code civil du Québec s’appliquent à celle-ci.

[47]   L’article 1967 du Code civil du Québec édicte que :

« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »

[48]   Le Tribunal juge qu’il ne peut, selon les dispositions du Code civil du Québec qui s’appliquent à la reprise du logement, condamner des locateurs à payer des dommages-intérêts compensatoires à la locataire puisque les locateurs exercent un droit légitime que leur confère la loi. Dans les faits, les locateurs ne commettent aucune faute et agissent de bonne foi en souhaitant reprendre le logement concerné pour s’y loger à l’expiration du bail qui les lie à la locataire.

[49]   Toutefois, le Tribunal doit, selon ces mêmes dispositions, accorder à la locataire une indemnité pour les frais de déménagement et de branchement de services.

[50]   Dans le cas sous étude, le Tribunal juge approprié d’accorder une indemnité de 3 500 $ que devront payer les locateurs à la locataire qui, à son choix, pourra opérer compensation entre cette indemnité à lui être versée et le loyer des mois à venir jusqu'à concurrence de cette somme de 3 500 $. Cette somme inclut les taxes pour le déménagement et les frais de branchement de services.

[51]   À titre d'information, il convient d'ajouter que l'article 1968 du Code civil du Québec prévoit un recours au profit du locataire en dommages-intérêts et en dommages punitifs en cas de reprise de mauvaise foi.

[52]   De plus, l'article 1970 du Code civil du Québec précise qu'un logement qui a fait l'objet d'une reprise de logement ne peut être reloué ou utilisé à une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé sans l'autorisation du tribunal de la Régie du logement.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[53]   ACCUEILLE la demande des locateurs;

[54]   AUTORISE les locateurs à reprendre du logement concerné afin de s’y loger à compter du 1er juillet 2017;

[55]   ORDONNE à la locataire et à toute autre personne habitant le logement de quitter le logement concerné, au plus tard le 1er juillet 2017;

[56]   DÉCLARE le bail résilié en date du 30 juin 2017;

[57]   CONDAMNE les locateurs à payer à la locataire, à titre d’indemnité, la somme de 3 500 $;

[58]   AUTORISE la locataire à opérer compensation entre l’indemnité de 3 500 $ et le loyer des mois à venir jusqu’à concurrence de cette somme;

[59]   ORDONNE l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel;

[60]   Le tout sans remboursement des frais judiciaires.

 

 

 

 

 

 

 

 

Robin-Martial Guay

 

Présence(s) :

les locateurs

Me Valérie Cuierrier-Besner, avocate des locateurs

la locataire

Date de l’audience :  

6 février 2017

 

 

 


 

AVIS :
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