Décision

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Lafond c. Anderson

2022 QCCA 1499

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-029803-210

(540-11-011212-216)

 

DATE :

 3 novembre 2022

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

 

DIANE LAFOND

APPELANTE – débitrice

c.

 

RENÉ ANDERSON

INTIMÉ – créancier

 

et

LITWIN BOYADJIAN INC.

MISE EN CAUSE – syndic autorisé en insolvabilité

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 25 novembre 2021 par la Cour supérieure, district de Laval (l’honorable Marie-Christine Hivon)[1]. Le jugement ordonne, en vertu de l’article 69.4 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[2] (LFI), la levée de la suspension des procédures afin de permettre à l’intimé de poursuivre l’exécution d’un jugement prononcé en sa faveur.

[2]                Pour les motifs du juge Hamilton, auxquels souscrivent les juges Morissette et Baudouin, LA COUR :

[3]                ACCUEILLE l’appel;

[4]                INFIRME le jugement de première instance;

[5]                CASSE l’ordonnance de levée de suspension des procédures prononcée en faveur de l’appelante afin de permettre à l’intimé de poursuivre l’exécution d’un jugement prononcé en sa faveur dans la cause portant le numéro de cour 500-22-242643-172;

[6]                RETOURNE le dossier en première instance afin que le tribunal se prononce de nouveau sur la requête pour obtenir la levée de la suspension des procédures après que l’intimé aura donné un avis aux autres créanciers ou démontré qu’ils sont au courant de sa procédure et renoncent à y participer;

[7]                LE TOUT, sans frais de justice vu le résultat mitigé.

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

Me Martin P. Jutras

KAUFMAN AVOCATS

Pour l’appelante

 

Me Alain-Guy Tachou Sipowo

AGS AVOCATS

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

14 septembre 2022


 

 

 

MOTIFS DU JUGE HAMILTON

 

 

[8]                Le présent dossier soulève une question bien précise en matière de faillite : lorsqu’un créancier ayant intenté une action en inopposabilité avant la date de la proposition de la débitrice veut continuer son action malgré la suspension des procédures, doit-il en aviser les autres créanciers de la débitrice?

[9]                Pour les motifs qui suivent, j’estime qu’il faut répondre à cette question par l’affirmative.

***

[10]           Le contexte se résume comme suit.

[11]           L’intimé est créancier de l’appelante pour un montant de 49 780,70 $[3], plus les intérêts et les frais, en raison d’une sentence arbitrale rendue le 17 juillet 2017 par le Conseil d’arbitrage des comptes d’honoraires des avocats du Barreau du Québec, relativement à une contestation d’honoraires professionnels. La sentence arbitrale a été homologuée par la Cour du Québec le 28 mars 2019[4] et la requête pour permission d’appeler hors délai de ce jugement a été rejetée le 28 octobre 2019[5].

[12]           N’ayant pas réussi à exécuter son jugement, l’intimé introduit le 18 février 2021, dans ce même dossier de cour, une demande en déclaration d’inopposabilité de deux donations de 30 500 $ faites par l’appelante à ses enfants le 2 octobre 2020. Il demande que les deux donations lui soient déclarées inopposables et de condamner les enfants à lui payé 30 500 $ chacun, les intérêts en sus. Il demande aussi que l’appelante soit condamnée à lui payer les frais extrajudiciaires qu’il a encourus, ces derniers incluant les frais reliés à l’enquêteur privé et les honoraires professionnels de ses avocats.

[13]           Le 29 mars 2021, l’appelante dépose une proposition concordataire en vertu de la LFI. Cette proposition prévoit que l’appelante remettra une somme forfaitaire de 30 000 $ au syndic pour distribution à ses créanciers. La proposition est amendée le lendemain pour bonifier la somme forfaitaire offerte à 60 000 $.

[14]           Le 31 mars 2021, le syndic envoie à l’intimé un avis de surseoir aux procédures en vertu de l’article 69 LFI.

[15]           Le 5 mai 2021, l’intimé dépose une requête pour obtenir la levée de la suspension des procédures afin de poursuivre son action en inopposabilité. L’appelante conteste la requête, mais le syndic, bien que dûment notifié, ne comparaît pas.

[16]           Dans le jugement entrepris, la juge conclut que la levée de la suspension est équitable et qu’elle n’aura pas pour effet de procurer un avantage indu à l’intimé vis-à-vis les autres créanciers. Elle ordonne la levée de la suspension.

[17]           L’appelante se pourvoit en appel.

[18]           Pour compléter le portrait, il est utile de mentionner qu’à la suite du jugement entrepris, l’appelante modifie de nouveau sa proposition le 3 décembre 2021 pour bonifier la somme forfaitaire offerte à 90 000 $. Cette proposition amendée est acceptée par les créanciers à l’assemblée des créanciers du 9 décembre 2021 et est approuvée par le tribunal le 14 mars 2022. Ces derniers éléments sont subséquents au jugement entrepris et ne font pas l’objet d’une demande de nouvelle preuve. Comme ils n’affectent pas l’issue de l’appel, il est inutile d’en traiter davantage.

***

[19]           L’appelante ne présente qu’un moyen d’appel sous la formulation suivante :

[La juge de première instance] en permettant [à l’intimé] de poursuivre l’exécution de son jugement et la procédure en inopposabilité des donations faites par [l’appelante], va-t-elle directement à l’encontre de l’économie générale de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité commettant de la sorte une erreur déterminante, manifeste et dominante?

[20]           Essentiellement, l’appelante prétend que la levée de la suspension aura pour effet de procurer un avantage à l’intimé au détriment des autres créanciers, en ce qu’il entreprend pour son seul bénéfice un recours qui appartient prioritairement au syndic, sans respecter la procédure à l’article 38 LFI.

[21]           Subsidiairement, l’appelante avance que la juge n’aurait pas dû lever la suspension parce que le recours en inopposabilité ne présente aucune chance raisonnable de succès. Elle soutient que les sommes qu’elle a données à ses enfants proviennent d’un montant forfaitaire obtenu dans le cadre du règlement d’une action qu’elle a intentée pour des dommages moraux subis à la suite d’une erreur médicale dans le dossier de cour 500-17-105035-185. Dans ces circonstances, l’appelante prétend que les sommes sont insaisissables en vertu de l’article 696, alinéa 2 du Code de procédure civile et ne font donc pas partie du patrimoine attribué aux créanciers en vertu de l’alinéa 67(1)b) LFI.

[22]           L’intimé répond que la juge a exercé sa discrétion en vertu de l’article 69.4 LFI. De plus, il rappelle que le recours en inopposabilité contre les enfants ne vise pas les actifs de l’appelante et que le syndic n’a pas jugé utile de prendre quelque action que ce soit en vue de rapatrier ces biens dans la masse des créanciers.

[23]           Quant au deuxième moyen de l’appelante, l’intimé soutient que cet argument n’a pas été débattu en première instance et qu’il est soulevé pour la première fois en appel. Il plaide aussi que l’article 696, alinéa 2 C.p.c. n’a aucune application en l’instance.

***

[24]           L’appelante invoque l’article 38 LFI, qui porte sur le droit du créancier d’intenter des procédures lorsque le syndic refuse ou néglige d’agir :

38 (1) Lorsqu’un créancier demande au syndic d’intenter des procédures qui, à son avis, seraient à l’avantage de l’actif du failli, et que le syndic refuse ou néglige d’intenter ces procédures, le créancier peut obtenir du tribunal une ordonnance l’autorisant à intenter des procédures en son propre nom et à ses propres frais et risques, en donnant aux autres créanciers avis des procédures projetées, et selon les autres modalités que peut ordonner le tribunal.

 

38 (1) Where a creditor requests the trustee to take any proceeding that in his opinion would be for the benefit of the estate of a bankrupt and the trustee refuses or neglects to take the proceeding, the creditor may obtain from the court an order authorizing him to take the proceeding in his own name and at his own expense and risk, on notice being given the other creditors of the contemplated proceeding, and on such other terms and conditions as the court may direct.

 

(2) Lorsque cette ordonnance est rendue, le syndic cède et transfère au créancier tous ses droits, titres et intérêts sur les biens et droits qui font l’objet de ces procédures, y compris tout document à l’appui.

 

(2) On an order under subsection (1) being made, the trustee shall assign and transfer to the creditor all his right, title and interest in the chose in action or subject-matter of the proceeding, including any document in support thereof.

 

(3) Tout profit provenant de procédures exercées en vertu du paragraphe (1), jusqu’à concurrence de sa réclamation et des frais, appartient exclusivement au créancier intentant ces procédures, et l’excédent, s’il en est, appartient à l’actif.

 

(3) Any benefit derived from a proceeding taken pursuant to subsection (1), to the extent of his claim and the costs, belongs exclusively to the creditor instituting the proceeding, and the surplus, if any, belongs to the estate.

 

(4) Lorsque, avant qu’une ordonnance soit rendue en vertu du paragraphe (1), le syndic, avec la permission des inspecteurs, déclare au tribunal qu’il est prêt à intenter les procédures au profit des créanciers, l’ordonnance doit prescrire le délai qui lui est imparti pour ce faire, et dans ce cas le profit résultant des procédures, si elles sont intentées dans le délai ainsi prescrit, appartient à l’actif.

(4) Where, before an order is made under subsection (1), the trustee, with the permission of the inspectors, signifies to the court his readiness to institute the proceeding for the benefit of the creditors, the order shall fix the time within which he shall do so, and in that case the benefit derived from the proceeding, if instituted within the time so fixed, belongs to the estate.

.

[25]           Cet article permet au créancier d’intenter, en son propre nom et à ses propres frais, une procédure qui appartient en principe au syndic. Le mécanisme qu’il prévoit est le suivant : (1) le créancier doit demander au syndic d’intenter la procédure qui l’intéresse, (2) si le syndic refuse ou néglige d’intenter la procédure envisagée par le créancier ce dernier peut alors intenter personnellement la procédure. Pour ce faire, le créancier doit (3) donner aux autres créanciers un avis de sa procédure projetée et (4) obtenir l’autorisation du tribunal.

[26]           Ce mécanisme vise à assurer l’équité entre les créanciers lorsque le syndic refuse ou néglige d’intenter une procédure qui serait potentiellement à l’avantage de la masse des créanciers. En obligeant le créancier demandeur à suivre les diverses étapes énumérées ci-dessus, le législateur permet aux autres créanciers d’être informés des procédures qui pourraient les intéresser et de prendre une décision informée quant à l’opportunité de participer ou non au recours envisagé. C’est d’ailleurs ce qu’explique la Cour d’appel de l’Alberta dans Toyota Canada Inc. v. Imperial Richmond Holdings Ltd[6]:

What then is the purpose of section 38? In my view, its primary purpose is to ensure that the bankrupt's assets are preserved for the benefit of the creditors. It provides the mechanism for creditors to proceed with an action when the trustee refuses or fails to act; thereby ensuring that assets of the bankrupt (which may otherwise go unrecovered) are available to creditors willing to finance the litigation.

The secondary purpose, relating to notice, is to make sure the section operates fairly. While it is fair that those parties willing to accept the risks and costs of litigation receive a preference in terms of recovering their losses, the right to that preference must be shared with all creditors.

[27]           Ces principes étant exposés, qu’en est-il en l’espèce?

[28]           L’intimé a introduit son recours en inopposabilité (fondé sur les articles 1631 et suivants C.c.Q) le 18 février 2021, soit avant que l’appelante ne dépose sa proposition initiale le 29 mars 2021. Puisque ce recours est initié avant la proposition de l’appelante, force est de conclure que l’article 38 LFI ne pouvait alors s’appliquer. En effet, on ne peut exiger de l’intimé qu’il ait demandé l’autorisation du syndic pour intenter son action alors qu’aucun syndic n’est encore mis en cause.

[29]           En vertu des dispositions du Code civil, l’intimé pouvait introduire son recours sans demander la permission du tribunal et pouvait en garder le produit, jusqu’à concurrence de sa dette, sous réserve des droits des créanciers prioritaires ou hypothécaires. Les autres créanciers de l’appelante avaient quant à eux le droit d’intervenir dans l’action afin d’en partager le produit. Toutefois, personne n’a exercé ce droit en l’instance, probablement parce que l’intimé ne les a pas avisés de l’institution de son action en inopposabilité. Alors que rien dans le Code civil n’obligeait l’intimé à leur transmettre un tel avis, certains préconisent néanmoins que le créancier qui intente une action en inopposabilité en vertu des articles 1631 et suivants C.c.Q. a l’obligation d’aviser les autres créanciers afin de leur permettre d’intervenir à l’action pour protéger leurs droits[7]. Cette question n’est toutefois pas soulevée en l’instance et nous n’avons pas à la trancher.

[30]           Le 29 mars 2021, l’appelante dépose sa proposition concordataire.

[31]           Le dépôt de la proposition entraîne une suspension de procédures en vertu de l’alinéa 69.1(1)a) LFI :

69.1 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (6) et des articles 69.4, 69.5 et 69.6, entre la date du dépôt d’une proposition visant une personne insolvable et :

 

69.1 (1) Subject to subsections (2) to (6) and sections 69.4, 69.5 and 69.6, on the filing of a proposal under subsection 62(1) in respect of an insolvent person,

 

a) soit sa faillite, soit la libération du syndic, les créanciers n’ont aucun recours contre elle ou contre ses biens et ne peuvent intenter ou continuer aucune action, exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite;

 

(a) no creditor has any remedy against the insolvent person or the insolvent person’s property, or shall commence or continue any action, execution or other proceedings, for the recovery of a claim provable in bankruptcy, until the trustee has been discharged or the insolvent person becomes bankrupt;

[32]           L’action en inopposabilité de l’intimé est déposée dans le cadre de la même instance que celle dans laquelle a été rendu le jugement contre l’appelante et vise à faire déclarer les donations inopposables afin de lui permettre d’exécuter son jugement. Cette action constitue une « procédure en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite » et est donc suspendue par la proposition de l’appelante.

[33]           L’intimé demande la levée de la suspension et la permission de continuer les procédures suivant l’article 69.4 LFI, plutôt que la permission d’intenter des procédures suivant l’article 38 LFI. Ce choix m’apparaît opportun : l’article 38 LFI s’applique aux procédures intentées après la faillite ou la proposition et non aux procédures intentées avant et continuées après.

[34]           L’article 69.4 LFI se lit ainsi :

69.4 Tout créancier touché par l’application des articles 69 à 69.31 ou toute personne touchée par celle de l’article 69.31 peut demander au tribunal de déclarer que ces articles ne lui sont plus applicables. Le tribunal peut, avec les réserves qu’il estime indiquées, donner suite à la demande s’il est convaincu que la continuation d’application des articles en question lui causera vraisemblablement un préjudice sérieux ou encore qu’il serait, pour d’autres motifs, équitable de rendre pareille décision.

69.4 A creditor who is affected by the operation of sections 69 to 69.31 or any other person affected by the operation of section 69.31 may apply to the court for a declaration that those sections no longer operate in respect of that creditor or person, and the court may make such a declaration, subject to any qualifications that the court considers proper, if it is satisfied

 

(a) that the creditor or person is likely to be materially prejudiced by the continued operation of those sections; or

 

(b) that it is equitable on other grounds to make such a declaration

 

[35]           Afin d’évaluer si la levée de la suspension est équitable selon la dernière partie de l’article, il faut évaluer si elle a pour effet de procurer un avantage à l’intimé au détriment des autres créanciers[8]. L’article 69.4 LFI a donc le même but que l’article 38 LFI, soit celui d’assujettir le droit d’action d’un créancier à une autorisation judiciaire afin que le tribunal puisse s’assurer de l’équité entre les créanciers.

[36]           Le syndic à une proposition a le droit d’exercer les recours prévus aux articles 95 à 101 LFI, qui visent les traitements préférentiels et les opérations sous-évaluées, à moins d’une disposition contraire de la proposition :

101.1 (1) Les articles 95 à 101 s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à la proposition faite au titre de la section I de la partie III, sauf disposition contraire de la proposition.

101.1 (1) Sections 95 to 101 apply, with any modifications that the circumstances require, to a proposal made under Division I of Part III unless the proposal provides otherwise.

[37]           Dans le cas présent, il est intéressant de noter que la toute première version de la proposition, celle déposée le 29 mars 2021, prévoyait expressément que le syndic et les créanciers ne pouvaient intenter de recours en vertu des articles 95 à 101 LFI ou des articles 1631 à 1636 C.c.Q. contre l’appelante ou ses biens ou contre toute autre personne. Cette clause n’a toutefois pas été reprise dans la version amendée du 30 mars 2021 ni dans la version finale du 3 décembre 2021.

[38]           En conséquence, le syndic a le droit de prendre un recours, soit en vertu des articles 95 à 101 LFI ou des articles 1631 à 1636 C.c.Q.[9], au bénéfice de l’ensemble des créanciers afin de contester les donations[10].

[39]           À la lumière de ces constats, force est de conclure que la continuation des procédures pour le seul bénéfice de l’intimé lui procure un avantage au détriment des autres créanciers. Le mécanisme approprié pour s’assurer que la continuation des procédures est équitable et ne procure pas un avantage à l’intimé au détriment des autres créanciers est celui prévu à l’article 38 : le syndic et les autres créanciers doivent être dûment avisés de la situation et doivent renoncer à leurs droits de participer au recours.

[40]           Qu’en est-il?

[41]           Le syndic est partie à la requête pour obtenir la levée de la suspension des procédures et en a été dûment notifié. La requête décrit l’action en inopposabilité intentée par l’intimé dont copie est jointe à la requête comme pièce C-13. Cela est un avis suffisant. Le syndic n’a pas comparu pour contester la requête. Il ne semble avoir aucune intention d’introduire sa propre action ou d’intervenir dans l’action de l’intimé.

[42]           Par contre, les créanciers n’ont reçu aucun avis formel. Ils ne sont pas partis à la requête pour obtenir la levée de la suspension des procédures et la requête ne leur a pas été notifiée. Ils ne sont pas partis à l’appel. Selon le dossier d’appel, la seule mention des donations qui leur a été transmise se trouve dans l’avis de proposition, où l’appelante divulgue à ses créanciers qu’elle a fait des donations de plus de 500 $. Elle décrit ces donations ainsi :

Donation à Sacha et Sarah Lafond provenant de sommes reçues pour dommages moraux dans la cause No. 500-17-105035-185

[43]           Comme on le constate, il s’agit d’une divulgation partielle puisque les montants exacts ne sont pas précisés.

[44]           De plus, il n’est fait aucune mention de l’action en inopposabilité instituée par l’intimé.

[45]           Le syndic quant à lui ne traite pas des donations ou de la possibilité de les contester dans son rapport aux créanciers. De même, il n’inclut rien à cet égard dans son évaluation des actifs de l’appelante dans le cadre d’une faillite. Il conclut qu’il n’y a aucun actif à réaliser autre que le dépôt initial et les dépôts mensuels exigés par la LFI et les actions d’une société qu’il ne peut évaluer.

[46]           En conséquence, il n’existe aucun élément dans le dossier tel que constitué permettant à la Cour de conclure que les créanciers sont au courant de la possibilité d’introduire un recours en inopposabilité ou d’intervenir dans le recours de l’intimé.

[47]           Dans ces circonstances, il serait inéquitable de lever la suspension des procédures et de permettre à l’intimé de procéder pour son seul bénéfice.

***

[48]           L’appelante soulève comme second moyen d’appel que le recours en inopposabilité de l’intimé ne présente aucune chance raisonnable de succès du fait qu’il vise des biens insaisissables de l’appelante.

[49]           L’intimé soutient que cet argument n’a pas été présenté en première instance et qu’il est inapproprié que la Cour se prononce sur cette question. La preuve au dossier étant incomplète, il est préférable que ce moyen soit traité par le juge du fond et non pas au stade préliminaire.

***

[50]           Je propose donc d’accueillir l’appel afin d’infirmer le jugement de première instance ordonnant la levée de la suspension des procédures et de retourner le dossier en première instance.

[51]           L’intimé pourra demander de nouveau la levée de la suspension, mais il devra donner un avis aux autres créanciers ou démontrer qu’ils sont au courant de sa procédure et renoncent à y participer.

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 


[1]  Syndic de Lafond, 2021 QCCS 5680 [jugement entrepris].

[2]  Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3.

[3]  L’intimé est également créancier d’un deuxième montant, mais il n’a pas obtenu la levée de la suspension des procédures quant à ce deuxième montant et il n’a pas porté cette partie du jugement en appel.

[4]  Anderson c. Lafond, 2019 QCCQ 1624.

[5]  Lafond c. Anderson, 2019 QCCA 1999; requête en rétractation de jugement rejetée, 2019 QCCA 2069.

[6]  Toyota Canada Inc. v. Imperial Richmond Holdings Ltd, (1994), 27 C.B.R. (3d) 1 (Alta. C.A.), paragr. 14 et 15.

[7]  Laymond c. 9066-4293 Québec Inc., J.E. 2004-1744 (C.S.), paragr. 79; Didier Luelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2018, p. 1807, paragr. 2866, NDBP 248.

[8]  Thériault c. Gestion Nali, 2010 QCCS 2898, paragr. 22; Re Advocate Mines Ltd, (1984) 52 C.B.R. (N.S.) 277.

[9]  Sous réserve d’un argument de prescription qu’il n’est pas nécessaire de trancher.

[10]  Perrette Inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [1998] R.J.Q. 1015 (C.A.)

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