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Hammadi c. Tilli |
2019 QCRDL 18255 |
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RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
371085 31 20171214 G |
No demande : |
2395596 |
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Date : |
30 mai 2019 |
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Régisseure : |
Francine Jodoin, juge administrative |
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Abdelmalek Hammadi |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Annibale Tilli |
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Locateur - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le locataire produit, le 14 décembre 2017, une demande visant l’émission d’une ordonnance d’exécution des travaux nécessaires au logement, la diminution rétroactive du loyer au 1er juillet 2016, des dommages punitifs de 3 000 $, l’exécution provisoire et les frais judiciaires.
CONTEXTE
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet au 30 juin de chaque année au loyer mensuel de 680 $. Le locataire habite les lieux depuis 2016.
[3] En date de l’audience, la demande du locataire n’a pas été valablement notifiée au locateur, et ce, malgré une remise consentie le 26 juillet 2018 pour ce motif.
[4] Malgré cela, le mandataire du locateur consent à procéder sur la demande et renonce par le fait même à une telle notification.
[5] Les motifs de la demande apparaissent à deux lettres de mises en demeure, datées respectivement du 21 février 2017 et 20 juin 2017 qui n’ont pas été reçues par le locateur, également.
[6] Appelé à préciser davantage les motifs de la demande, le locataire invoque le harcèlement commis par le mandataire du locateur, les services de conciergerie déficients et le défaut d’accès à un service d’eau dans le garage. Il allègue, aussi, avoir été incommodé par les odeurs de cigarettes dans les espaces communs ainsi que le flânage.
[7] Par ailleurs, tel qu’expliqué lors de l’audience, le Tribunal ne peut aller au-delà de la demande et toute nouvelle réclamation qui ne découle pas de la demande initiale devra faire l’objet d’une demande distincte (vu l’absence d’amendement en temps utile).
[8] La lettre du 21 février 2017 a pour but de dénoncer au locateur les agissements de son mandataire qui a communiqué avec le locataire au sujet des bruits provoqués par son enfant du locataire. De plus, il y mentionne les insultes reçues du concierge et le flânage de personnes étrangères dans l’immeuble.
[9] En juin 2017, sa lettre dénonce du harcèlement en raison de plaintes de bruit dans le logement, faites à son égard.
[10] Il y ajoute que le comptoir de la salle de bain doit être changé et que la porte d’entrée ne se verrouille pas (ce dernier point étant réglé lors de l’audience).
[11] Il mentionne, également, qu’il n’a plus accès à l’eau dans le garage.
[12] Pour ces raisons, il réclame une diminution de loyer de 40 % pour la période de juillet 2016 à avril 2017 et 3 000 $ de dommages punitifs pour harcèlement.
[13] Nulle part dans ces lettres on ne peut lire quelques reproches que ce soient au sujet des odeurs de cigarettes.
LES FAITS
[14] Le locataire dit avoir reçu des appels téléphoniques le 18 novembre 2016, 26 novembre 2016 et 19 février 2017 au sujet du bruit provoqué par son jeune enfant, ce qu’il juge inacceptable.
[15] Il reconnaît, par ailleurs, que ces appels étaient liés à des plaintes formulées par des voisins.
[16] Il nie, par ailleurs, que celles-ci puissent avoir été justifiées.
[17] Il ajoute que son bail lui permet l’usage d’un stationnement intérieur. À cet endroit se trouve une entrée d’eau qu’il utilisait pour ses besoins personnels. Or, le locateur a fait cadenasser l’accès à l’eau ce qui l’empêche de s’en servir. Il demande le rétablissement de cet accès.
[18] Il reproche au concierge de communiquer avec lui de façon inacceptable.
[19] Cela lui provoque du stress et de l’anxiété.
[20] Quant au comptoir de la salle de bain, il dit avoir dénoncé son mauvais état à l’été 2018 en faisant le tour du logement avec le mandataire du locateur qui nie, par ailleurs, être allé au logement.
[21] Ceci dit, ce dernier prend l’engagement, à l’audience, d’aller vérifier l’état du comptoir et de faire les réparations nécessaires, le cas échéant.
[22] Vu l’absence de mise en demeure et l’absence de notification de la demande, le Tribunal n’interviendra pas au-delà de prendre acte de l’engagement du locateur, à cet égard.
[23] D’ailleurs, outre les affirmations du locataire, aucune preuve ne vient supporter ses doléances quant à ce comptoir.
[24] Quant aux odeurs de cigarettes, il souligne que le concierge et sa conjointe fument dans les espaces communs et que cela l’indispose.
[25] Il ajoute que les excréments du chien de ce dernier ne sont pas ramassés et qu’ils se retrouvent dans l’allée menant à l’immeuble.
[26] Le fils du locateur assure la gestion de l’immeuble. Il reconnaît avoir appelé le locataire au sujet de son enfant. Dès leur arrivée, dit-il, il a reçu des plaintes de voisins pour le bruit provoqué par l’enfant. Il semble que la police soit intervenue et le concierge aussi.
[27] Il a même fait l’objet d’un recours devant la Régie du logement par le locataire plaignant[1].
[28] Le locataire qui n’aimait pas ce qu’il entendait s’est fâché.
[29] Quant au garage, il souligne que la location permet au locataire de se stationner et non d’utiliser l’entrée d’eau. Il a remarqué qu’il en abusait et c’est la raison pour laquelle il a restreint l’accès.
[30] Pour les odeurs de cigarettes, il l’apprend aussi à l’audience, mais précise que le locataire est le seul à s’en plaindre.
[31] Quant au chien, il précise que celui du concierge a accès à la cour arrière et qu’il n’a jamais remarqué de problèmes à ce sujet.
[32] Le concierge, monsieur Loussaief, précise qu’il y a beaucoup de chiens dans le voisinage et que lorsqu’il remarque la présence d’excréments il les ramasse.
[33] Le comptoir de la salle de bain était en parfait état lorsque le locataire a emménagé en 2016.
[34] Il confirme que le locataire utilisait le garage comme un « car wash » pour ses amis et qu’il a verrouillé l’entrée d’eau à la demande du locateur.
[35] Il confirme avoir reçu des plaintes des locataires habitant au-dessous du locataire au sujet du bruit émanant de son logement.
[36] Il nie, par ailleurs, fumer la cigarette dans les espaces communs, mais reconnaît que l’année dernière, il y a eu 3 fumeurs dans l’immeuble.
ANALYSE
[37] Suivant la loi, le
locateur assume, entre autres, l'obligation de délivrer un logement en bon état
de réparation de toute espèce et de procurer au locataire la jouissance
paisible de son logement (article
[38] Selon les auteurs[2], les obligations du locateur sont qualifiées de « résultat », de sorte que les moyens de défense sont limités. Une fois le manquement établi, le locateur ne peut alors invoquer simplement sa diligence raisonnable ou se contenter de rapporter la preuve d'un comportement prudent et diligent[3].
[39] Le locataire assume le
fardeau d’établir les faits au soutien de ses prétentions (article
[40] De plus, son recours est assujetti à l’obligation de dénoncer formellement les troubles au locateur par le biais d’une mise en demeure[4].
[41] Tel qu’expliqué lors de l’audience, si le locataire s'est accommodé d’une situation, il ne peut espérer tirer profit de l'écoulement du temps et ainsi obtenir une réduction de loyer pour une période équivalant à la durée du manquement s’il n’a pas dénoncé formellement au locateur[5] ses reproches.
[42] Le Tribunal croit utile d’ajouter que la diminution de loyer ne sera accordée qu’en cas de perte réelle et significative de la valeur locative du logement en raison des dégradations qui y sont constatées[6] .
[43] En l’occurrence, le locateur n’est informé formellement des plaintes du locataire qu’à l’audience.
[44] Par ailleurs, le Tribunal croit utile d’ajouter que le locataire n’a pu, par une preuve prépondérante, démontrer que le locateur contrevient à ses obligations.
[45] Comme le souligne l'auteur Léo Ducharme, dans son traité sur la preuve:
« 146. S'il est nécessaire de savoir sur qui repose l'obligation de convaincre, c'est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l'absence de preuve. En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve : celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdre.[7]» [Notre soulignement]
[46] Vu la preuve contradictoire offerte et l’absence de dénonciation en temps utile à l’égard de divers troubles de jouissance ou réparations à faire, la réclamation du locataire est rejetée.
Harcèlement
[47] L’article
« 1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.
Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
[48] Cette disposition fait partie des obligations inhérentes au bail.
[49] Dans son article
intitulé, « Le harcèlement envers les locataires et l'article
« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l'effet dérangeant qu'elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l'auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l'article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :
« Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement. » [8]
[50] Il ajoute ce qui suit :
« Toute conduite ayant une conséquence de restreindre la jouissance du locataire ne constitue pas nécessairement du harcèlement ; elle doit être une tactique choisie dans la mise en œuvre d'une stratégie plus ou moins planifiée en vue d'atteindre un objectif recherché et son effet immédiat (l'effet dérangeant) doit apparaître comme un objectif intermédiaire ou secondaire. »[9] [Notre soulignement]
[51] À cet égard, il fut reconnu que le harcèlement ne peut être apprécié de façon subjective puisque cela reviendrait à qualifier la situation à partir de la perception personnelle du locataire[10].
[52] Or, le Tribunal doit apprécier l'ensemble des faits de façon objective et chercher à déterminer si les gestes posés peuvent raisonnablement être qualifiés d'actes de harcèlement constituant une série de mesures systémiques ayant comme conséquence de restreindre le droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir que le locataire quitte le logement.
[53] L'intention malicieuse doit donc apparaître dans les agissements du locateur ou son mandataire dans le cadre d'une stratégie planifiée.
[54] Le Tribunal ne peut conclure que les quelques événements ou incidents relatés par le locataire s'inscrivent dans un contexte de harcèlement.
[55] D’ailleurs, et tel qu’expliqué lors de l’audience, en raison des obligations qu’il assume, le locateur n’a d’autres choix que d’intervenir lorsqu’il reçoit des plaintes au sujet du bruit. Il n’a pas à épouser la cause de l’un ou l’autre de ses locataires, il doit agir.
Dans la cause Froment c. 2319-4400 Québec inc.[11], la Cour du Québec s'exprime comme suit :
« L'article
[Notre soulignement]
[56] Dans son ouvrage, Traité de droit civil, Le louage, le professeur Jobin écrit ce qui suit en ce qui concerne l’obligation du locateur[12] :
« Quels moyens doit-il prendre pour agir en personne prudente et diligente? Dès qu'il est informé de la situation, le locateur doit agir rapidement pour faire cesser le trouble : il devra démontrer qu'il a agi avec toute la diligence possible. De plus, le locateur doit prendre tous les moyens raisonnables - au besoin, un recours en justice - contre le locataire fautif; il doit faire preuve de fermeté. On se rappellera cependant que le locateur n'est pas le commettant du voisin, qu'il ne possède pas strictement un pouvoir de contrôle sur lui et qu'il peut lui être difficile d'obtenir, par voie judiciaire, que le voisin se conforme à ses obligations ou qu'il quitte les lieux. Il s'agit en fait d'un cas particulier de responsabilité contractuelle pour le fait d'autrui. »
[Notre soulignement]
[57] Le Tribunal comprend fort bien que de recevoir des plaintes qu’on estime injustifiées n’est pas plaisant. Il n’y a, toutefois, pas pour autant matière à harcèlement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[58] PREND ACTE de l’engagement du locateur d’aller vérifier l’état du comptoir de la salle de bain, le samedi 11 mai 2019, à 12 h 00 et de faire les réparations nécessaires, le cas échéant;
[59] REJETTE la demande du locataire quant au surplus.
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Francine Jodoin |
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Présence(s) : |
le locataire le mandataire du locateur |
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Date de l’audience : |
7 mai 2019 |
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[1] 307349.
[2] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Motifs d'exonération dans les obligations, 6e Édition par Pierre-Gabriel Jobin, Jean -Louis Baudouin et P. Deslauriers, La faute contractuelle dans La responsabilité civile, Volume I - Principes généraux, 7e Édition, 2007, EYB2007RES21, approx. 12 pages.
[3] Baudouin J.-L. et P.-G. Jobin, Motifs d'exonération dans les obligations, 6e Édition par Pierre-Gabriel Jobin, avec la collaboration de N. Vézina, 2005, EYB2005OBL32, approx. 22 pages.
[5] Lamy, Denis, La diminution du loyer, Montréal, Wilson et Lafleur, 2004, p. 40. Voir aussi, Thérèse Rousseau-Houle et Martine De Billy, Le bail du logement : Analyse de la jurisprudence, 1989, Collection Wilson et Lafleur, page 101.
[6] Ferdinand c. Demopoulos, 2017 QCRDL 27235.
[9] Op.cit, p.3.
[10] D.Lamy, Le harcèlement entre locataires et propriétaires, 2004, Éditions Wilson et Lafleur Ltée (Les), pp. 206 à 208.
[11]
Froment c. 2319-4400 Québec inc.,
[12] Jobin, Pierre-Gabriel, Traité de droit civil, Le louage, 2e édition, 1996, Les Éditions Yvon Blais inc., p.403-404.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.