Par un recours introduit le 4 février 2025, la locatrice demande l’autorisation à reprendre le logement concerné à compter du 1erjuillet 2025 pour y loger sa mère Victoire Nougbognonhou et, en conséquence, ordonner l’expulsion des locataires et de tous les occupants.
CONTEXTE
Les parties sont liées par un bail reconduit couvrant la période du 1erjuillet 2024 au 30 juin 2025,au loyer mensuel de 1830$[1].
Les locataires résident au logement concerné depuis le 29 mai 2022. Il s’agit d’un condominium de quatre pièces et demie (4 ½) réparties sur deux étages.
Le 23 décembre 2024, la locatrice donne aux locataires un avis de reprise de logement pour la fin ci-dessus mentionnée.
Ceux-ci n’ont pas répondu à l’avis. Ils sont donc réputés avoir refusé de quitter le logement.
QUESTIONS EN LITIGE
Y-a-t-il lieu d’autoriser la reprise de possession et si oui, à quelles conditions?
PREUVE EN DEMANDE
La locatrice déclare qu’elle est la seule propriétaire du condominium. Elle l’a acquis le 1eraoût 2014.[2] Elle est également propriétaire avec son conjoint de la maison unifamiliale où ils vivent et d’un chalet à l’Estérel.
Elle affirme que le logement concerné répond parfaitement aux besoins de sa mère et d’ajouter qu’il est grand temps que celle-ci ait un chez soi bien à elle, pour plus d’intimité. De plus, il est convenu qu’elle ne paiera aucun loyer. Elle n’en a pas les moyens.
LA DÉFENSE
Une fois la preuve close en demande, les locataires informent le Tribunal qu’ils ne contestent plus la reprise pour la fin ci-dessus mentionnée. Toutefois ils souhaitent bénéficier d’un sursis de deux mois pour déménager, avec possibilité de mettre fin au bail avant, à leur convenance, s’ils trouvent un autre logement plus tôt.
Finalement, ils demandent une indemnité sans la quantifier. Comme facteurs particuliers à prendre en compte, ils témoignent de leur attachement au logement, puisque c’est le seul qu’ils ont occupé depuis leur arrivée au pays. Ils expliquent aussi que ce logement a l’avantage d’être situé à proximité de leur institution d’enseignement et de leur travail.
RÉPLIQUE
La locatrice déclare qu’elle est d’accord avec le sursis demandé par les locataires. Elle consent aussi à ce qu’ils puissent mettre fin au bail en tout temps à partir de maintenant, à leur convenance. Toutefois, elle ne propose aucun montant pour l’indemnité. À l’instar des locataires, elle s’en remet au Tribunal.
ANALYSE ET DÉCISION
LA REPRISE DU LOGEMENT
Les locataires ne s’opposant plus à la reprise du logement pour permettre à Victoire Nougbognonhou d’y loger, la demande de la locatrice est accueillie.
L’INDEMNITÉ
L’article 1967 du Code civil du Québec prévoit que lorsque le tribunal accorde une reprise du logement, il peut imposer les conditions qu’il estime justes et raisonnables, y compris une indemnité équivalente aux frais de déménagement.
Dans l’affaire Boulay c. Tremblay[3], l’honorable juge Jacques Lachapelle explique la nature de l’indemnité prévue à l’article 1967 C.c.Q. et les critères qui doivent être retenus pour la déterminer. Il ne s’agit pas d’une demande en dommages-intérêts fondée sur une faute. La reprise du logement étant une exception au droit au maintien dans les lieux du locataire, le législateur a voulu que le locateur indemnise le locataire pour les inconvénients que lui occasionne l’exercice de ce droit, en gardant à l’esprit que le locateur ne commet aucune faute et se prévaut d’un droit que lui accorde la loi.
Par ailleurs, la Cour du Québec a, aussi, déterminé que cette disposition ne vise pas que les frais de transport des biens. D’autres facteurs peuvent être pris en considération dans la fixation de l’indemnité, notamment l'âge du locataire, son état de santé, la durée d'occupation du logement, l'attachement au logement, le coût du transport des biens, les frais de branchement aux services publics (téléphone, électricité, câblodistribution, etc.). [4]
Cette liste n’est pas exhaustive puisque chaque cas est particulier et doit donc être apprécié à son mérite.
La reprise étant autorisée, les locataires ont le droit de se voir compenser pour les dépenses et les inconvénients occasionnés par ce déménagement forcé. L'absence de devis ou de soumission n'interdit pas au Tribunal l'exercice de sa discrétion à ce chapitre[5].
Après analyse de l’ensemble des faits soumis, le Tribunal estime qu'une somme de 2800$ est juste et raisonnable pour indemniser les locataires, le tout considérant le nombre de pièces, leur attachement au logement et les dépenses directement reliés au déménagement (transport des biens, réacheminement de courrier, branchement des services publics, achat de boites, etc.).
LA DATE DE LA REPRISE
Les locataires demandent un sursis de deux mois avec la possibilité pour eux de mettre fin au bail en tout temps à partir de maintenant, à leur convenance. La locatrice accepte.
C’est la solution retenue par le Tribunal puisqu’elle convient à tous.
À TITRE INFORMATIF
Le Tribunal rappelle qu’un recours est prévu en faveur d’un locataire en recouvrement de dommages-intérêts et même de dommages punitifs si la reprise de logement est obtenue de mauvaise foi (article 1968 C.c.Q.). De plus, un logement qui a fait l’objet d’une reprise ne peut, sans l’autorisation du Tribunal administratif du logement, être reloué ou utilisé pour une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé (article 1970 C.c.Q.).
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
PROLONGE le bail jusqu'au 1erseptembre 2025;
AUTORISE la locatrice à reprendre le logement pour y loger sa mère Victoire Nougbognonhou à compter du 2 septembre 2025 ou sitôt les locataires partis, advenant que le bail prenne fin plus tôt que le 1erseptembre 2025;
PERMET aux locataires à mettre fin au bail avant le 1erseptembre 2025, auquel cas le loyer sera calculé au prorata des jours occupés le mois de leur départ;
À défaut d’un départ volontaire, ORDONNE l’expulsion des locataires et de tous les occupants dès le 2 septembre 2025;
CONDAMNE la locatrice à payer aux locataires 2800$ à titre d’indemnité le jour de leur départ;
La locatrice assume les frais de la demande.
Suzanne Guévremont
Présence(s) :
la locatrice
les locataires Din Mohammad Noori et Omid Jan Noori
[4]Carlin c. Dec, 500-02-063681-980, 99-03-26; Lucifero c. Nakhal2017 QCRDL 10607; Krichen c. Larose2015QCRDL 2146; Poulin c. Arcand2012 QCRDL 21241; Biron c. Giroux2012 QCRDL 10564; Vassislas c. Bitochi2010 QCRDL 6260.