[1] En 2007, les intimés se portent acquéreurs d’une résidence. La requérante, Intact compagnie d’assurance, assure leur propriété, sans par ailleurs avoir été informée au préalable par le courtier des intimés de l’existence d’un chauffage auxiliaire au mazout.
[2] Deux ans plus tard, en 2009, les intimés apprennent que leur terrain est contaminé à la suite d’un déversement de mazout provenant du réservoir extérieur alimentant le système de chauffage auxiliaire. Puisqu’ils ne bénéficient pas de l’avenant « fuite de mazout », contrairement aux instructions qu’ils avaient données au courtier d’assurance, la requérante refuse de les indemniser pour les dommages reliés à cette contamination. Ce refus donne lieu à un premier litige entre les parties, qui fera l’objet d’un règlement hors cours en mai 2012.
[3] À l’été 2013, à l’occasion des travaux de décontamination, les intimés découvrent l’existence de « la migration potentielle de la contamination » vers la propriété voisine à la leur. Ils en informent le ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques (« le Ministre ») et les voisins potentiellement concernés par cette contamination. L’un d’eux transmet une mise en demeure aux intimés afin de les aviser qu’il les tiendra responsable des dommages, advenant l’existence d’une telle contamination. Quelques mois plus tard, le Ministre leur transmet un avis de sanction administrative pécuniaire vu leur retard à agir.
[4] En novembre 2014, les intimés introduisent en Cour supérieure un recours intitulé « Requête introductive pour obliger [la requérante et le courtier d’assurances] à assumer la défense des [intimés] et l’émission de mesures de sauvegarde ».
[5] Par jugement du 16 mai 2016, le juge Lukasz Granosik accueille en partie la demande des intimés[1] et ordonne à la requérante d’assurer leur défense « à l’encontre des procédures évoquées dans les mises en demeure, que menacent d’entreprendre leurs voisins et faisant suite au déversement survenu en mars 2009 ». Notons qu’à cette date, les voisins n’avaient toujours pas entrepris de recours contre les intimés. Ils ne le feront qu’en juillet 2016, plus de deux mois après le jugement, pour éviter qu’on ne leur oppose la prescription acquise contre eux[2].
[6]
S’autorisant de l’article
* * * * *
[7]
Cette demande soulève une question préliminaire[3] :
le jugement de première instance doit-il être considéré comme un jugement
« rendu en cours d’instance/rendered in the course of a proceeding »,
appelable sur permission en vertu de l’article
[8]
Tant la requérante que les intimés soutiennent qu’il s’agit d’un
jugement « rendu en cours d’instance/rendered in the course of a
proceeding » au sens de l’article
[9]
À mon avis, il y a lieu de considérer le jugement dont la requérante
recherche l’autorisation de se pourvoir comme un jugement mettant fin à
l’instance, appelable selon l’article
[10]
Aux fins de déterminer le processus d’appel applicable, l’ancien Code
de procédure civile opposait les notions de « jugement final/final
judgment » (art. 26 a.C.p.c.) et de «jugement
interlocutoire/interlocutory judgment » (art. 29 a.C.p.c.).
Cette terminologie n’est pas reprise dans le Code de procédure civile,
le législateur référant dorénavant à des jugements « qui mettent fin à une
instance/that terminate a proceeding » (art.
[11] Dans ses commentaires, la ministre de la Justice indique que ce changement de terminologie n’a pour but que de corriger un anglicisme[5]. Les auteurs André Rochon et Juliette Vani sont d’avis que la jurisprudence élaborée sur la notion de « jugement final/final judgment » sous l’a.C.p.c. devrait continuer de s’appliquer à un jugement « qui [met] fin à une instance/ that terminate[s] a proceeding ». Ils écrivent :
On ne parle plus de jugements « finals », mais de «
jugements qui mettent fin à une instance ». En plus de corriger un anglicisme,
cette modification codifie la jurisprudence puisqu’un jugement final a toujours
été un jugement qui met fin à l’instance entre des parties et dessaisit le
tribunal de la cause d’action (Société canadienne du cancer c. Imperial
Tobacco ltée, EYB 1989-64888,
[12] Je partage leur avis.
[13] Or, en l’occurrence, le jugement de première instance dispose du débat soulevé par l’instance et met fin à celle-ci[6]. La Cour supérieure en est dessaisie. Bien que le litige entre les parties, dans son sens large, ne soit pas terminé, ce jugement règle définitivement la requête des intimés quant à l’obligation de défendre de la requérante et du courtier, seules questions en litige dans cette instance. Il statue sur la demande soulevée et « […] met fin au traitement du dossier »[7] par la Cour supérieure, qui voit sa juridiction épuisée.
[14] L’affaire Lombard du Canada ltée c. Mont-Tremblant (Ville de)[8], sur laquelle les parties s’appuient, ne trouve pas application en l’espèce. Dans cette cause, la Ville de Mont-Tremblant était poursuivie en dommages par un tiers. Elle a présenté une requête de type Wellington en vue d’obliger ses assureurs à la défendre à l’encontre de ce recours. Le juge ayant fait droit à sa requête, ses assureurs voulaient se pourvoir. La requête Wellington n’était qu’une procédure dans un dossier dont la Cour supérieure demeurait toujours saisie. Après avoir reconnu que la jurisprudence des juges de la Cour reconnaissait, sans en discuter par ailleurs, le caractère interlocutoire de tels jugements, la juge Bich indique partager cet avis. Elle écrit :
[8] À mon avis, il y a lieu de considérer le jugement comme un jugement interlocutoire, statuant sur ce qui est ici, au moins virtuellement, la première partie d'une instance en garantie entre l'assuré et son assureur. Le fait que l'obligation de défendre puisse être plus large que l'obligation éventuelle d'indemniser ne me paraît pas devoir changer cette qualification. On pourrait aussi tenir le jugement statuant in limine litis sur l'obligation de défendre comme une mesure de sauvegarde destinée à préserver au moins temporairement la protection que la police offre à l'assuré, en attendant qu'il soit statué de façon finale sur les obligations de l'assureur.[9]
[15] Les faits de l’espèce sont différents. La requête de type Wellington présentée par les intimés est plutôt de la nature d’un jugement déclaratoire, n’étant jointe à aucun autre recours judiciaire de la part des voisins, lequel n’existait d’ailleurs pas au moment de l’institution des procédures et du prononcé du jugement de première instance. Le fait que le litige, dans son sens plus large, entre les parties ne soit pas terminé ne modifie pas pour autant la qualification du jugement prononcé ici par la Cour supérieure. Celle-ci a épuisé sa compétence et le traitement du dossier est final. Il y a donc fin de l’instance. Le recours éventuel d’un ou d’autres voisins fait d’ailleurs l’objet d’une instance différente, devant un tribunal différent vu le montant réclamé.
[16] De fait, la situation en l’occurrence ressemble plutôt à celles soulevées dans les arrêts Aldo Group inc. c. Chubb Insurance Company of Canada[10] et CGU, compagnie d’assurances du Canada c. Équipements Pierre Champigny inc.[11] Dans ces deux dossiers, les assurés étaient impliqués dans des procédures judiciaires déposées devant un tribunal étranger et avaient présenté une requête en Cour supérieure afin que celle-ci statue sur l’obligation de leur assureur d’assumer leur défense dans ces procédures étrangères. Les jugements prononcés en première instance ont fait l’objet d’une inscription en appel et la Cour s’est prononcée sur ces pourvois sans remettre en cause le véhicule procédural choisi par l’appelant pour contester le jugement de la Cour supérieure.
[17]
Je suis donc d’avis que le jugement de première instance en l’occurrence
met fin à l’instance et que le droit d’appel est donc régi par
l’article
* * * * *
[18]
Demeure alors la question de savoir si ce jugement est appelable de
plein droit conformément au premier alinéa de l’article
[19] Encore une fois, les parties font front commun et plaident que l’objet en litige étant de moins de 60 000 $, une permission d’interjeter appel demeure requise. Elles quantifient l’objet en litige en fonction des montants réclamés à ce jour dans le cadre des recours institués par les voisins à l’encontre des intimés devant la Cour du Québec, division des petites créances, près de deux mois après le prononcé du jugement de première instance.
[20] Je ne partage pas cette approche. Selon moi, le jugement de première instance, qui met fin à l’instance, est sujet à un appel de plein droit.
[21] La valeur de l’objet en litige en appel doit être déterminée à la date du jugement porté en appel[12]. Règle générale, un jugement qui ordonne à une partie d’accomplir un acte déterminé est sujet à un appel de plein droit[13]. Or, en l’occurrence, l’objet en litige est le fait pour la requérante de devoir défendre les intimés et non de les indemniser des sommes qu’ils pourraient être obligés de verser à leurs voisins au terme des poursuites judiciaires intentées ultérieurement au jugement de première instance. Le montant en litige de ce jugement déclaratoire ne peut donc être quantifié, de sorte que la règle énoncée au premier alinéa trouve application.
[22] Dès lors, je conclus que le jugement de première instance est appelable de plein droit et que la permission d’appeler n’était pas requise.
[23]
L’article
POUR CES MOTIFS, LA SOUSSIGNÉE :
[24] CONSTATE que l’appel a été valablement formé par le dépôt en temps utile de la déclaration d’appel et EN DONNE ACTE;
[25] REJETTE la requête pour permission d’appeler, qui n’était pas requise;
[26] FRAIS à suivre le sort du pourvoi.
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MANON SAVARD, J.C.A. |
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Me Jean-François Pichette |
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Weidenbach, Leduc, Pichette |
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Pour la requérante |
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Me Bernard Larocque |
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Lavery, De Billy s.e.n.c.r.l. |
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Pour les intimés |
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Me Christian Azzam (Absent) |
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Donati Maisonneuve |
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Pour la mise en cause |
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Date d’audience : |
13 septembre 2016 |
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[1]
Lamontagne c. Intact, compagnie d’assurances (Compagnie d’assurances ING
du Canada),
[2] À l’audience, les parties m’ont informée que deux recours distincts avaient été institués par les voisins devant la Cour du Québec, division des Petites créances, vu le montant réclamé.
[3] Avant l’audience, les parties ont été avisées par le greffe que je désirais les entendre sur cette question, de sorte qu’elles ont été en mesure de faire leurs observations sur celle-ci.
[4]
Lombard du Canada ltée c. Mont-Tremblant (Ville de),
[5] Luc Chamberland (dir.), Le grand collectif : Code de procédure civile, Commentaires et annotations, vol. 1, Cowansville, Yvon Blais, 2016, p. 225 [Le grand collectif]. Voir aussi, p. 226.
[6]
Adjutor Rivard, Manuel de la Cour d’appel,
Juridiction civile, Montréal, Éditions Variétés, 1941, p. 92 et 93;
Louise Mailhot et Lysanne Pariseau-Legault,
[7] Pierre-Yves Boisvert, « Interlocutoire ou final? Question simple, réponses complexes », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, vol. 161, Développements récents en droit civil, Cowansville, Yvon Blais, 2001, p. 169.
[8] Supra, note 3.
[9]
Voir également à ce sujet : Rochon, supra, note 6, p. 29 et 30; Technologies CII inc. c. Société d’assurances générales,
[10] Aldo Group inc. c. Chubb Insurance Company of Canada,
[11]
CGU, compagnie d’assurances du Canada c. Équipements
Pierre Champigny inc.,
[12]
Habitations des Champs Fleuris inc. c. Bouvier,
[13]
Devoir inc. (Le) c. Centre de psychologie préventive
et de développement humain G.S.M. inc., J.E. 99-404,
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