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Décision

Office municipal d'habitation de Montréal secteur Est c. Piché

2021 QCTAL 6968

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

485925 31 20191007 G

No demande :

2865299

 

 

Date :

17 mars 2021

Devant la juge administrative :

Manon Talbot

 

OFFICE MUNICIPAL D’HABITATION de Montréal Secteur Est

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Édouard Piché

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le 7 octobre 2019, le locateur, l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM), demande la résiliation du bail parce que le locataire contrevient à ses obligations en vertu du bail ou de la loi, ce qui cause un préjudice sérieux au locateur lui-même et/ou aux autres occupants de l'immeuble.

[2]      Les parties sont liées par un bail de logement à loyer modique au loyer mensuel actuellement déterminé à 436 $ jusqu’au 31 mai 2021, et ce, sur la base d’un ménage constitué du locataire seulement.

[3]      Le locataire habite le logement attribué depuis novembre 2017. Il est constitué de 3 ½ pièces, comprenant une chambre à coucher située dans un immeuble de 65 logements de type pensionné, tous destinés à des personnes âgées de 60 ans et plus.

[4]      Bien que signifié de la demande par huissier, en mains propres le 16 octobre 2019, et dûment convoqué, le locataire est absent à l'audience. Le Tribunal a donc procédé par défaut en son absence.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[5]      Le locataire et/ou les personnes à qui il donne l’accès à son logement troublent-ils la jouissance normale des autres locataires de l'immeuble justifiant la résiliation du bail?

[6]      L’OMHM est-il justifié de demander la résiliation du bail au motif que le locataire fait défaut de déclarer qu’il héberge une ou plusieurs personnes dans son logement à loyer modique?

LA PREUVE

[7]      Le Tribunal retient ce qui suit de la preuve soumise en lien avec les reproches allégués.


[8]      Il ressort des témoignages de Jean-François Leblanc, préposé aux relations avec les locataires, et Richard Langlois, locataire du logement sis sous celui concerné, que le locataire cause des bruits excessifs et récurrents portant ainsi atteinte à la jouissance normale des lieux des occupants de l'immeuble.

[9]      Le Tribunal entend d’abord monsieur Leblanc, lequel explique que son rôle au sein de l’OMHM est d’intervenir pour apporter les correctifs requis lors d’allégations de troubles de voisinage dans un contexte de personnes en situation de vulnérabilité et de santé mentale notamment.

[10]   Monsieur Leblanc relate que l’OMHM reçoit en 2018 des signalements du Service de sécurité de l’OMHM pour des plaintes concernant du bruit et des incivilités survenant surtout tard le soir et la nuit en lien avec le logement concerné.

[11]   À cette période, les plaintes sont isolées et espacées dans le temps.

[12]   En février 2019, un agent sociocommunautaire du SPVM l’avise qu’à la suite de plaintes de bruit excessif provenant du logement 312 (déplacements de meubles, démarche lourde, présence de plusieurs personnes), il souhaite être accompagné pour une rencontre entre le plaignant et le locataire.

[13]   Lors d’une première rencontre le 18 février 2019, monsieur Leblanc remarque que le locataire est agité et marche constamment. Celui-ci déclare être atteint de schizophrénie et prendre une médication pour traiter ce trouble de santé (injection mensuelle), sans toutefois pouvoir préciser le nom de son médecin traitant. Le locataire ne considère pas être en situation de vulnérabilité et avoir besoin d’aide sous quelque forme que ce soit.

[14]   Durant cette rencontre, un homme au nom de Michel est présent dans le salon. Il s’agit d’un résident de la Mission Old Brewery. Le locataire est d’ailleurs un ancien itinérant.

[15]   Les deux intervenants tentent d’obtenir plus d’information sur les habitudes de vie de soir et de nuit du locataire, mais ils obtiennent peu d’information pertinente.

[16]   Il est donc suggéré au locataire de marcher dans le corridor pour éviter de déranger son voisin du logement en dessous.

[17]   Vu les circonstances, monsieur Leblanc fait appel à la travailleuse sociale de l’OMHM pour faire le pont avec les intervenants du milieu.

[18]   En avril 2019, les plaintes de bruit excessif provenant du logement du locataire augmentent, malgré les avertissements donnés.

[19]   Par une lettre du 25 avril 2019, le locataire est avisé des plaintes reçues concernant des visiteurs qu’il reçoit et qui dérangent la quiétude du voisinage.

[20]   Une autre lettre est transmise au locataire le 13 mai 2019 pour lui rappeler ses obligations. Il est plus spécifiquement mentionné que les plaintes concernent un va-et-vient dans son logement causant du bruit à des heures indues.

[21]   Le 27 mai 2019, le locateur envoie une lettre au locataire afin de lui rappeler son obligation de déclarer tous les occupants de son logement et que seuls les membres du ménage identifiés par le locateur peuvent habiter les lieux loués.

[22]   Une rencontre entre monsieur Leblanc et la travailleuse sociale de l’OMHM est tenue avec le locataire à son logement. Ce dernier marche et tourne en rond. Il ne souhaite pas divulguer les informations permettant de vérifier s’il bénéficie de ressources adéquates pour lui venir en aide (infirmière, popote roulante, travailleur social) et évaluer son filet de sécurité.

[23]   À la suite de cette rencontre, une intervenante avec l’organisme Diogène (ressource pour les personnes à risque de perdre leur logement) est sollicitée par monsieur Leblanc et une rencontre a lieu le 12 juillet 2019 avec le locataire. Lors de celle-ci, un dénommé Denis est présent et déclare être résident de la Mission Old Brewery et venir en aide au locataire pour faire son ménage.


[24]   Le locataire est alors avisé que si le problème de dérangement du voisinage ne se règle pas, des procédures judiciaires seront entreprises. Le locataire semble saisir davantage l’importance et le but de leur rencontre et donne son consentement pour un suivi avec son infirmière.

[25]   Malgré ce qui précède, les signalements sont récurrents pour du bruit de jour comme de nuit.

[26]   Une rencontre est tenue le 29 août avec l’agent sociocommunautaire du SPVM, l’intervenante de Diogène et monsieur Leblanc au logement du locataire. Est également présent Denis, l’ami du locataire.

[27]   Le locataire nie en bloc tous les reproches qui lui sont adressés, dont celui de recevoir des visiteurs chez lui, mais se ravise lorsque Denis admet sa présence régulière sur place.  Tous deux mentionnent toutefois que Michel, à l’origine de la présence de punaises de lit récurrentes dans les lieux, ne vient plus au logement. Denis est quand même avisé de se loger ailleurs pour éviter au locataire la perte de son logement.

[28]   En dépit de ces avertissements, les signalements se poursuivent, des rencontres impromptues sont effectuées et les mêmes mises en garde sont réitérées.

[29]   Le 30 janvier 2019, Michel est aperçu au logement, malgré les déclarations à l’effet contraire. Il mentionne à monsieur Leblanc qu’il quittera les lieux définitivement prochainement.

[30]   Les mois passent sans changement quant à la situation reprochée au locataire.

[31]   Lors d’une rencontre le 30 septembre 2020, Denis ainsi qu’une amie au nom de Céline sont présents dans le logement. Leur présence est à nouveau constatée le 14 octobre et le 4 décembre 2020. À cette date, Denis indique être dans l’attente d’une chambre disponible et qu’ils sont sur le point de partir.

[32]   Or, le 22 janvier 2021, Denis et Céline sont toujours dans le logement du locataire et ils sont informés de l’audience fixée dans le présent dossier.

[33]   Monsieur Leblanc offre au locataire de changer les serrures pour empêcher ses visiteurs d’entrer chez lui puisqu’ils ont une clé. Même s’il manifeste le souhait de voir Denis et Céline cesser d’habiter son logement, le locataire se déclare incapable de leur refuser l’accès.

[34]   L’avocate de l’OMHM fait entendre Richard Langlois, occupant du logement situé sous celui du locataire depuis 5 ans, donc avant l’arrivée de ce dernier.

[35]   Il raconte les dérangements causés par le va-et-vient et le fait que deux autres personnes habitent le logement du locataire depuis au moins deux ans. Il les voit entrer dans l’immeuble plusieurs fois par semaine et y faire leur lavage.  Depuis l’été dernier, il aperçoit régulièrement une femme qui se rend au logement du locataire.

[36]   De façon plus spécifique, le témoin explique entendre le locataire marcher durant des heures quotidiennement tôt le matin et le soir. Il reconnait sa démarche qu’il décrit comme étant celui d’un robot contrairement à celle de l’autre homme dont le bruit est celui d’une personne qui court. Il ne peut identifier les bruits de pas de la dame qui habite le logement.

[37]   Le témoin entend aussi le bruit d’objets déplacés et d’autres sons qu’il compare à des coups de marteau par épisode d’une dizaine de minutes.

[38]   Concernant les bruits nocturnes, monsieur Langlois explique être surtout dérangé par l’utilisation fréquente de longues douches.

[39]   Monsieur Langlois témoigne du stress subi et du manque de sommeil causé par le comportement des occupants du logement concerné lui occasionnant une perte de jouissance des lieux. Il estime que malgré une certaine amélioration au fil du temps, le bruit anormal perdure. La dernière fois où il a entendu le bruit qu’il associe à Denis est le matin de la présente audition.


ANALYSE ET DÉCISION

[40]   Pour obtenir la résiliation du bail, le locateur doit démontrer que le locataire fait défaut de respecter ses obligations et que ce défaut cause un préjudice sérieux au locateur ou aux autres occupants de l'immeuble (article 1863 du Code civil du Québec (C.c.Q.)).

[41]   Tout locataire a l'obligation générale d'user du bien loué avec prudence et diligence (article 1855 C.c.Q.) et doit, notamment, se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance « normale » des autres locataires par son fait ou celui des personnes auxquelles il permet l'accès aux lieux loués (article 1860 C.c.Q).

[42]   L'article 976 C.c.Q. applicable en matière de louage prévoit que les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature des lieux ou les usages locaux. Notons que la cohabitation dans un immeuble à logements multiples oblige chaque résident à faire des concessions et à ajuster ses comportements pour tenir compte de la situation et de l'usage des lieux.

[43]   Ainsi, pour conclure au caractère anormal et exorbitant des inconvénients subis par des occupants d’un immeuble, il doit être démontré une situation qui, par sa répétition, insistance et ampleur, constitue une atteinte grave, excessive ou déraisonnable justifiant la sanction réclamée.

[44]   En l’instance, la preuve non contestée révèle que le locateur a reçu 126 signalements en lien avec le logement du locataire.

[45]   Les va-et-vient réguliers, l’utilisation de la buanderie commune, les incivilités et le bruit causent des inconvénients aux autres locataires de l'immeuble.

[46]   De plus, le témoignage de monsieur Langlois est convaincant en ce qui concerne le bruit anormal qu’il doit subir de façon quotidienne en raison notamment des personnes à qui le locataire donne accès à son logement.

[47]   Certes, il a été démontré que le locataire âgé de 71 ans est une personne en situation de vulnérabilité. C’est pourquoi d’ailleurs, monsieur Leblanc intervient auprès du locataire depuis deux ans pour trouver des solutions dans le but de lui permettre de conserver son logement. Or, malgré ses efforts pour sensibiliser le locataire sur la pertinence de recevoir des services pour l’aider à surmonter ses difficultés, les problèmes persistent.

[48]   Ainsi, la preuve révèle que le locataire est incapable de se prendre en main et de contrôler les accès à son logement, comme il l’a avoué bien sincèrement à monsieur Leblanc tout récemment en connaissant les conséquences en découlant.

[49]   La preuve démontre aussi l'alourdissement de la gestion des lieux loués en raison du nombre important d'interventions, des suivis à effectuer et des coûts en découlant.

[50]   Par ailleurs, l’avocate de l’OMHM plaide que le locataire ne respecte pas ses obligations établies par l’article 18 du Règlement sur les conditions de location des logements à loyer modique[1], lequel impose au locataire de fournir au locateur les noms des personnes qui habitent le logement et les documents pertinents établissant leurs revenus. Le but visé est de permettre au locateur de déterminer le loyer conformément à la loi et aux règlements applicables et le droit des personnes d’occuper ou non le logement.

[51]   Ainsi, le manquement à une telle obligation incombant au locataire qui désire bénéficier d'un logement à loyer modique peut justifier la résiliation du bail. Une inexécution d'une obligation de cette nature peut constituer à elle seule un préjudice sérieux pour le locateur de logements à loyer modique au sens de l'article 1863 C.c.Q.[2] Manifestement, cette omission empêche le locateur d'un logement à loyer modique de fixer correctement le montant du loyer à être versé en considérant les revenus réels du locataire.

[52]   En l’espèce, la preuve révèle que le locataire héberge des personnes de façon permanente, depuis près de deux ans en contravention à ses obligations de déclarations.


[53]   En conséquence, l'appréciation de la preuve présentée à l'audience permet au Tribunal de conclure que la demande de résiliation de l’OMHM est fondée, et ce, malgré les conséquences pouvant en découler et l'empathie que peut susciter la situation du locataire dans les circonstances.

[54]   En effet, le comportement du locataire, tel que décrit ci-devant, ainsi que les conséquences subies à la fois par le locateur et les autres locataires de l'immeuble, du fait de ce comportement, sont de nature à leur causer un préjudice sérieux.

[55]   Enfin, le Tribunal est aussi d'avis qu'il est inutile de surseoir à la résiliation du bail et d'y substituer des ordonnances afin que le locataire modifie son comportement. Le locataire a eu de nombreuses chances pour se conformer à ses obligations et ne l'a pas fait. À l'instar du représentant de l’OMHM, la soussignée ne croit pas que le locataire mesure l'importance d'agir pour remédier à la situation.

[56]   L'exécution provisoire de la décision n'est pas justifiée en regard de l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[57]   RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;

[58]   CONDAMNE le locataire à payer au locateur les frais judiciaires de 85 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Manon Talbot

 

Présence(s) :

le mandataire du locateur

Me Marie-Pier Durand, avocate du locateur

Date de l’audience :  

27 janvier 2021

 

 

 


 



[2] Il est de jurisprudence constante qu'un tel défaut du locataire cause un préjudice sérieux au locateur, sans que la preuve d'un préjudice pécuniaire soit nécessaire. Voir l’analyse de la juge administrative Chantale Bouchard dans l’affaire Coopérative d'habitation des Ethnies c. Bontemps 2011 QCRDL 21539, paragraphes 73,74 et 75.

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