Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

R. c. CFG Construction inc.

2019 QCCQ 7449

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC

 

LOCALITÉ DE QUÉBEC

 

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

200-01-175428-139

 

 

 

DATE :

3 décembre 2019

______________________________________________________________________

 

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE HÉLÈNE BOUILLON, J.C.Q.

 

 

______________________________________________________________________

 

 

LA REINE

Poursuivante

c.

 

C.F.G. CONSTRUCTION INC.

Accusée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE

______________________________________________________________________

 

I.              LE CONTEXTE

[1]           La compagnie C.F.G. construction a été déclarée coupable de négligence criminelle causant la mort d’Albert Paradis, l’un de ses employés[1].

[2]           L’accident mortel s’est produit sur le chantier du parc éolien de la Seigneurie de Beaupré, le 11 septembre 2012. Un camion lourd Volvo douze roues, propriété de l’accusée, est le seul véhicule impliqué.

[3]           Le porte-conteneur est retrouvé au bas de la pente d’un chemin forestier, à la sortie d’une courbe. La lourde cargaison d’armature d’acier qui venait tout juste d’être chargée se trouve par terre, dans un fossé, à la suite d’un tonneau effectué. La porte du camion (côté gauche) est entrouverte et abîmée. Le corps inanimé du conducteur est allongé au sol.

[4]           Il n’y a aucun témoin de l’événement.

[5]           Albert Paradis était un camionneur d’expérience. Il cumulait plus de 25 années dans le domaine. Il connaissait le chantier pour y avoir effectué un chargement la veille. Il connaissait aussi très bien le camion qu’il conduisait. Il l’utilisait presque tous les jours depuis le début de l’année 2012 pour effectuer son travail à l’emploi de l’accusée.

[6]           Lors du procès, l’entretien et l’état du système de freinage de ce camion ont été au cœur du litige.

[7]           Aux fins d’une meilleure compréhension de la présente décision sur la peine, il apparaît essentiel de reprendre certaines parties du jugement rendu le 14 février 2019, déclarant l’accusée coupable de négligence criminelle causant la mort d’Albert Paradis.

 

***

II.             LA PREUVE PRÉSENTÉE AU PROCÈS

[8]           Elle a mis en lumière davantage qu’une simple omission ponctuelle dans l’entretien et les réparations des freins du porte-conteneur et bien plus que certaines faiblesses dans la gestion des dossiers d’entretien exigés par règlement.

[9]           Les défaillances n’ont été ni temporaires ou sans importance. Elles ont subsisté dans le temps au plus haut niveau de négligence.

A.   LA COMPAGNIE ACCUSÉE

[10]        À maintes reprises, au cours du procès, l’accusée a fait référence à la philosophie de l’entreprise selon laquelle la santé et la sécurité des employés étaient au cœur de ses préoccupations. Ce qui a été avancé n’a trouvé écho nulle part dans la preuve.

[11]        L’affirmation du dirigeant à l’effet que les correctifs demandés par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) en 2010, avaient été mis en place en 2012, n’a pas été supportée par la preuve, sauf quant à l’existence de quelques documents requis et exigés par règlement dont la gestion était cependant déficiente : formulaires absents, manquants, incomplets, mal classés ou même contradictoires entre eux[2].

[12]        Une attitude passive et négligente vis-à-vis de l’état mécanique des freins du camion Volvo, dénoncée à maintes reprises, a plutôt trahi le détachement complet de l’accusée face à la réalité de son employé, un conducteur de poids lourds, ainsi qu’une indifférence par rapport à la norme sociale protégée qu’est la santé et la sécurité du travail. Les conséquences étaient pourtant prévisibles.

B.   LE MÉCANICIEN RESPONSABLE DU GARAGE

[13]        Le camion était réparé de façon compartimentée, sans préoccupation pour l’ensemble du fonctionnement des systèmes mécaniques en cause alors que, pourtant, les composantes sont liées les unes aux autres[3] : un travail en silo, fragmenté, de pièces changées seulement lorsqu’elles sont «usées à la corde», une vision étroite, vouée à une interprétation restreinte de la «conformité», sans égard au danger que peut représenter cette manière de «réparer».

[14]        L’ensemble du système de freinage du camion était dans un état d’usure avancée, présentant des anomalies importantes et un déséquilibre majeur en raison de l’insouciance du mécanicien et du dirigeant du garage, tous deux cadres supérieurs de l’accusée.

C.   LES AVERTISSEMENTS RÉPÉTÉS

[15]        Ils avaient pourtant reçu des avertissements quant à l’état du système de freinage : ceux d’Albert Paradis, très nombreux, à tout le moins sur une période de neuf mois et les commentaires de John Burke, mécanicien, qui qualifie ce système de «très, très, très défectueux», une semaine avant les événements et à qui le cadre supérieur donne la consigne d’essuyer l’huile et de brûler l’excédent avec une torche[4].

[16]        Ajoutons que le rapport de certification annuel du camion identifiait déjà, en février 2012, de l’usure sur l’ensemble des garnitures de freins[5].

[17]        La répétition des demandes de réparation d’Albert Paradis, se référant au même problème récurrent, aurait dû mener le mécanicien responsable à pousser plus loin ses vérifications. Aucun essai routier dans le but d’évaluer les freins et de prendre la réelle mesure de leur état n’a pourtant été effectué.

[18]        Les plaintes répétées du camionneur n’ont pas été prises avec tout le sérieux qui était requis par l’état vétuste de ce camion lourd, acheté pour la somme de 17 000  $ en 2009. Les montants investis et les réparations effectuées étaient nettement insuffisants. Son état mécanique, le 11 septembre 2012, le démontre largement.

[19]        Par ailleurs, considérant le nombre élevé de défectuosités mécaniques décelées sur l’ensemble de sa flotte de camions[6], l’accusée était une entreprise d’intérêt pour l’agence Contrôle routier Québec et elle le savait. Il s’agit aussi d’une certaine forme d’avertissement.

D.   LES FREINS

[20]        Les freins d’un véhicule constituent un système mécanique de sécurité indispensable, particulièrement pour un porte-conteneur qui les sollicite davantage en raison du poids de ses chargements.

[21]        L’inspection mécanique de ce camion après l’accident, une expertise non contredite, a établi qu’avant l’accident, ils fonctionnaient à 53% de leur capacité maximale, soit presqu’à moitié inopérants.

[22]        De plus, les défectuosités majeures préexistantes à l’accident étaient en nombre alarmant, soit quatorze[7], toutes reliées au système de freinage alors qu’une seule défectuosité majeure, selon la règlementation en vigueur, faisait perdre à l’accusée le droit de mettre le camion en circulation sur la route[8].

[23]        Ces nombreuses anomalies résultent de manquements importants au cours de l’entretien et lors de réparations effectuées au système de freinage selon l’expert en vérification mécanique entendu au procès : sorties de tiges non barrées, leviers d’ajustement dépassant l’ajustement maximal, garnitures et tambours encrassés par une accumulation de contaminants de longue date dans le système[9].

E.   LE 11 SEPTEMBRE 2012

[24]        L’état du camion Volvo était connu par le mécanicien responsable du garage de la compagnie, tout comme l’étaient les conditions difficiles du chantier.

[25]        Le poids important du chargement était une demande spécifique de la direction, mécontente du demi-voyage de la veille effectué au même endroit.

[26]        Une personne raisonnable n’aurait jamais permis que ce camion circule sur la route. Quatorze défectuosités majeures et un système de freinage à moitié inopérant le commandait. La règlementation l’exigeait. Elle rend encore plus déraisonnable la décision de l’envoyer chercher des rebuts d’acier sur un chemin forestier, avec la consigne de charger le conteneur au maximum de sa capacité.

F.    CERTAINES CONCLUSIONS DU JUGEMENT SUR LA CULPABILITÉ

[27]        À tous les niveaux, une absence de rigueur et de professionnalisme se dégageait du travail effectué au garage. Les exemples, nombreux dans la preuve, le démontrent trop bien : l’endroit, un local inadéquat et désuet, l’utilisation de la carte de crédit personnelle des dirigeants pour payer les achats nécessaires aux réparations, le critère d’usure appliqué (notamment les freins et les pneus), la culture qui prévalait, l’absence de preuve fiable d’entretien[10] du camion Volvo, la tenue déficiente des dossiers pourtant exigée par règlement (documents absents ou remplis partiellement), les formulaires ISO, introduits en 2004 et encore qualifiés d’embryonnaires en 2012 par celui chargé de les remplir, l’absence d’implication valable du président à la suite de sa connaissance des différentes problématiques au garage, notamment quant à l’état de ses véhicules.

[28]        Le degré d’écart présent (par rapport à la façon dont se serait comportée une personne raisonnablement prudente dans les circonstances) révèle un continuum de négligence se situant bien loin de l’inattention momentanée ou ponctuelle pouvant entraîner une responsabilité civile. Elle se situe plutôt à un échelon supérieur soit celui de l’écart marqué et important imprégnant tant l’élément matériel que moral.

[29]        L’état lamentable du camion Volvo de l’accusée entraînait un risque déréglé et téméraire pour la sécurité du camionneur et de toute personne croisant son chemin.

[30]        La conduite de véhicules lourds est une activité strictement règlementée afin d’accroitre la sécurité des usagers de la route. Ceux qui décident d’œuvrer dans ce secteur normalisé et qui ne satisfont pas à  la norme de diligence requise, ne peuvent être considérés comme moralement innocents[11].

 

***

III.           LA PREUVE LORS DE L’AUDIENCE SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE

A.   LA PREUVE DE LA POURSUITE

1.    Les membres de la famille d’Albert Paradis

[31]        La conjointe et les enfants d’Albert Paradis ont livré des témoignages sobres et émouvants[12].

[32]        La perte et l’absence d’un mari, d’un père et d’un grand-père, est lourde à porter au quotidien pour les membres de cette famille meurtrie et déchirée, encore aux prises avec d’importantes répercussions, dont l’éclatement de leur famille.

[33]        La présence d’une douleur qui transperce la peau, la perte de la paix de l’âme, un vide immense, une rage indescriptible, un ouragan subi de plein fouet et la sensation de basculer dans le vide sont quelques-uns des propos qu’ils ont tenus au cours de cette audition afin d’exprimer les sentiments éprouvés.

[34]        Comme le souligne le juge Vauclair de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Lacelle Bélec :

[48] […] dans la plupart des cas, peu de mots suffisent pour comprendre l’ampleur de la souffrance des victimes de crimes. Un sentiment d’injustice envahit toute personne le moindrement empathique.

[49] La criminalité sème la souffrance. La victime, sa famille, la famille du délinquant, les témoins et le délinquant lui-même dans bien des cas. Plus particulièrement, tous comprennent la douleur des victimes et de leurs proches. […][13]

[35]        Et un peu plus loin : «On ne peut certainement pas reprocher aux victimes ou à leurs proches d’être parfois animés de sentiments négatifs à l’endroit d’un accusé.[14]»

[36]        Le processus de détermination de la peine vise à servir l’intérêt public. Le Tribunal est conscient du rôle important et impartial qui lui revient ainsi que des aspects de la peine qui sont de son ressort exclusif.

[37]        Il est toutefois sensible au malheur qui bouleverse cette famille et espère qu’ils pourront trouver une certaine forme d’apaisement, une fois les procédures judiciaires terminées.

 

2.    La preuve documentaire

[38]        La poursuivante a déposé certains documents ayant trait aux infractions commises par l’accusée à différentes lois provinciales ainsi qu’une décision du Tribunal administratif du travail qui maintient la suspension de sa licence d’entrepreneur pour la période du 5 mars au 8 avril 2018[15]. Nous en traiterons ultérieurement.

B.   LA PREUVE EN DÉFENSE

[39]        Lors de l’audition sur la détermination de la peine, la défense a fait entendre un employé de l’accusée et certaines pièces ont été déposées[16].

1.    Le contrôleur financier de C.F.G. Construction inc.

[40]        Michel Tremblay occupe ce poste depuis 2010. Au sein de l’entreprise, il s’occupe des finances, notamment des déboursés, des encaissements et de la facturation. À l’occasion, il s’implique «un peu»[17] dans la gestion interne administrative. Il témoigne toutefois à propos de certains autres aspects du fonctionnement de la compagnie, notamment du garage, de la gestion documentaire, de la sécurité des travailleurs depuis 2012, des constats d’infraction reçus au cours de cette période ainsi que des liens d’affaires avec d’autres compagnies.

[41]        Débutons par son domaine d’expertise, soit les finances.

a)   La situation financière

[42]         Il indique que la situation financière de l’accusée était assez précaire en 2012. Pour l’illustrer, monsieur Tremblay souligne qu’à cette époque, les dirigeants faisaient les achats (entretien et réparation des camions et des équipements inclus) avec leurs cartes de crédit personnelles.

[43]        Invité à décrire l’actuelle situation, il parle d’une progression du chiffre d’affaires au cours des dernières années même si celle de 2018 a pu être plus difficile.

[44]        Selon les États financiers vérifiés au 31 décembre 2017[18], le chiffre d’affaire de l’accusée est évalué à 15.6 millions avec des bénéfices nets de 191 000 $. La valeur comptable de l’entreprise est pour sa part, évaluée à 2 635 238 $.

[45]        Les états financiers plus contemporains, ceux du 31 décembre 2018, n’étaient pas encore disponibles en date du 26 juin 2019 (au moment des observations sur la peine).

[46]        Pour la présente audition, il a cependant été préparé un État des résultats de l’année 2018[19] (document non vérifié). On y constate une baisse du chiffre d’affaire de 3 millions par rapport à l’année précédente ainsi qu’un déficit net de 101 000 $.

[47]        La perte de trois contrats importants serait à l’origine de cette diminution. L’image de l’entreprise et le procès en cours indisposeraient certains clients.

[48]        Par ailleurs, le témoin admet que la suspension de la licence d’entrepreneur de l’accusée, pour une période de 35 jours en 2018, n’est pas étrangère à cette situation non plus.

[49]        L’accusée fonctionnerait avec une marge de crédit de 350 000 $, utilisée au maximum. La position de l’institution financière n’est pas connue advenant le cas où le Tribunal imposerait une amende plus importante que celle réclamée en défense. Monsieur Tremblay est toutefois d’opinion que l’accusée pourrait devoir fermer la compagnie si la banque se retirait.

[50]        Diverses autres dépenses viennent alourdir leur bilan financier. Entre autres, le taux de prime de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Nous y reviendrons.

[51]        Environ 250 personnes ont travaillé de façon occasionnelle pour l’accusée en 2018. Actuellement, le nombre d’employés permanents se situerait « peut-être » entre 50 et 60 personnes[20].

b)  Le garage

[52]        La mécanique ne se fait plus au même endroit qu’en 2012. Elle s’effectue désormais à même les bureaux de la compagnie. Il s’agit d’un local fermé avec un plancher cimenté possédant un espace suffisant pour effectuer l’entretien et les réparations de plusieurs équipements et véhicules.

[53]        Le comparant avec le local utilisé en 2012, ce garage serait beaucoup mieux outillé incluant un compresseur central ainsi que des ponts roulants permettant une meilleure manipulation des équipements et des pièces par les mécaniciens. Il serait chauffé, avec l’eau courante et plusieurs autres fonctionnalités.

 

c)   L’entretien et réparation

[54]        La compagnie préconise désormais que les « pièces à usure » des camions soient remplacées par des pièces neuves[21].

[55]        Faisant référence au témoignage du mécanicien responsable du garage en 2012 qui avait indiqué, lors du procès en 2018, changer les pièces mécaniques au strict minimum, le contrôleur financier assure qu’actuellement «beaucoup plus de préventif est effectué»[22].

[56]        Le mot d’ordre est donné aux mécaniciens, camionneurs et employés sur les chantiers de rapporter toute défectuosité et tout bris. Les mécaniciens ont l’instruction de procéder aux réparations et les conducteurs sont avisés qu’aucun équipement ne doit ressortir du garage avant d’être certains qu’elles ont été effectuées complètement et adéquatement. Il ajoute : «contrairement à l’époque, parce que la situation financière est un peu mieux, on va procéder à la location ou à l’utilisation de sous-traitants pour effectuer le travail si la compagnie n’est pas en mesure de sortir l’équipement ou le matériel rapidement»[23].

[57]        Le témoin fait aussi état des dépenses pour l’entretien du matériel roulant, la mécanique externe et le transport de sous-traitance[24].

[58]        Une « évolution » se serait produite au garage depuis 2012 : l’amélioration des lieux de travail en plus de la présence de mécaniciens spécialisés en mécanique de camions dont l’un d’eux possède sa carte PEP, soit celle du Programme d’entretien préventif offert par la SAAQ.

d)  La gestion documentaire

[59]        Certains documents ont été ajoutés au système ISO[25] de la compagnie depuis l’accident de 2012.

[60]        En 2016, l’accusée s’aperçoit qu’il y a encore un manque du côté de la gestion des documents exigés par les autorités provinciales : «l’image reflétée, elle est là, je ne la nie pas», mentionne le contrôleur financier en faisant référence aux multiples constats d’infractions existants[26] au cours des dernières années.

[61]        Malgré ceci, en 2018, le nombre de constats d’infractions est toujours important. Dans ce contexte, le témoin se rend suivre une formation sur les obligations des propriétaires de véhicules lourds en janvier 2019. Il aurait décelé et compris, lors de cette formation, qu’il y a de l’amélioration à apporter et des lacunes à corriger dans la gestion de l’entreprise.

[62]        Afin de maitriser la situation de façon définitive, la compagnie aurait procédé, tout récemment, à l’embauche d’un consultant externe afin d’analyser la situation et d’apporter les correctifs nécessaires[27].

e)   Les constats d’infraction

[63]        Monsieur Tremblay commente un document[28] déposé par la poursuite et confectionné par François Gourdeau, enquêteur pour l’agence Contrôle routier Québec affiliée à la SAAQ, qui indique les interventions de cet organisme auprès des camions de la compagnie accusée : le témoin dit ignorer l’information qui se retrouve sous la rubrique Détail des interventions et qui réfère à dix-sept accidents avec dommages matériels, dont un avec blessés, pour la période postérieure à l’accident mortel, soit entre le 11 septembre 2012 et le 26 juin 2019.

[64]        Il mentionne:

Ça fait partie des améliorations à faire justement avec la firme, là, qu’on a engagée, qu’ils m’ont souligné justement le fait de demander beaucoup plus régulièrement l’état du dossier de l’entreprise auprès de la commission, de la SAAQ, pour s’assurer justement s’il y a des choses qui apparaissent, que les conducteurs omettent de nous dire. (…) Donc, le moyen de palier qu’on va implanter, justement, là, qui nous a été soulevé, c’est de sortir plus souvent le registre pour savoir justement qu’est-ce qui s’est passé puis être en mesure d’analyser et de faire venir les documents nécessaires et de réprimander s’il y a lieu les personnes concernées.[29]

[65]        En revanche, Monsieur Tremblay est en désaccord avec le nombre de constats d’infraction émis pour l’année 2016 qu’il estime à «entre douze et quatorze infractions», sans autre précision, plutôt qu’à vingt-quatre constats, comme l’indique le document confectionné par l’enquêteur de Contrôle routier Québec.

[66]        Pour l’année 2018, il justifie les quinze infractions commises de la façon suivante :

C’est que dans notre situation, entre autres, nous, il y a des documents effectivement qu’on remplissait, mais qu’ils n’étaient pas remplis complètement. Soit que le mécanicien n’avait pas écrit le millage du véhicule ou que la date n’était pas indiquée ou qu’il manquait un renseignement, ce qui fait qu’ils invalidaient complètement tout ce qui était présent au dossier du véhicule.[30]

[67]        Le contrôleur ne parle pas cependant, des infractions reliées aux manquements des obligations de maintenir les véhicules lourds en bon état mécanique, de respecter les normes d’entretien, la fréquence et les modalités des vérifications établies par règlement, alors que pourtant, la preuve établit la présence de plusieurs de ces infractions au cours des dernières années.

f)   La flotte d’équipement et de camions

[68]        Depuis 2012, certains équipements ont été rajeunis, d’autres ont été mis hors service et n’ont pas été remplacés.

[69]        Les dirigeants essaieraient d’évaluer plus souvent le niveau de fiabilité d’un véhicule. «On a rajeunis un ou deux véhicules afin d’être plus efficace et plus aux normes.»[31] dit-il.

[70]        Actuellement, la flotte de matériel roulant serait la suivante : un roll-off, deux tracteurs, cinq-six remorques, sept-huit pick-up, deux minivans, deux véhicules utilitaires sport et une voiture pour une valeur comptable totale de 100 000 $.

[71]        Une valeur bien peu élevée, doit tout de même admettre le contrôleur financier Tremblay.

g)  La sécurité des travailleurs depuis 2012

[72]        Plusieurs améliorations d’année en année à ce sujet : une augmentation des réunions sur les chantiers et l’appel à des agents de prévention sur les chantiers, si nécessaire, sont les exemples fournis par le témoin[32].

h)  Les liens avec d’autres compagnies

[73]         C.F.G. Construction et Géniam sont deux compagnies indépendantes, mais elles travaillent de concert. Elles partagent la même place d’affaires, les locaux, le garage et le temps de travail de certains employés. La marge de crédit de cette compagnie, dirigée par la mère du président de l’accusée, serait de 200 000 $.

[74]        Questionné à propos de l’achat récent par Géniam de quinze nouveaux véhicules, le témoin semble surpris. Par ailleurs, il admet être propriétaire d’une compagnie à numéro qui loue son seul camion roll-off à l’accusée.

***

IV.          LA POSITION DES PARTIES

[75]        L’amende est la seule peine pouvant être imposée à une organisation reconnue coupable d’une infraction criminelle au Canada, accompagnée ou non d’une ordonnance de probation.

A.   LA POURSUITE

[76]        La peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’accusée, tous deux forts élevés. Ce principe cardinal en matière de détermination de la peine doit recevoir application.

[77]        Ainsi, tenant compte du peu de facteurs atténuants et de l’importance des facteurs aggravants, elle réclame une amende de 500 000 $.

B.   LA DÉFENSE

[78]        Compte tenu du profil de l’accusée, de certaines mesures correctives déployées, du délai encouru, de la médiatisation de l’affaire et surtout de sa faible capacité financière, elle soumet qu’une amende de 50 000 $ assortie d’une ordonnance probatoire atteindrait les objectifs pénologiques tout en lui permettant de poursuivre ses activités commerciales qui seraient par ailleurs compromises par l’imposition d’une amende plus importante.

***

V.            LES PRINCIPES JURIDIQUES ET L’ANALYSE

A.   UNE PEINE JUSTE ET APPROPRIÉE

[79]        Afin de protéger la société et de contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre, la peine appropriée doit dénoncer le comportement délictuel et le tort causé par le délinquant à la collectivité, dissuader de façon générale et individuelle, isoler au besoin le délinquant (non applicable en l’espèce) et favoriser sa réinsertion sociale, assurer la réparation des torts causés à la collectivité et, enfin, amener la prise de conscience par le délinquant de ses responsabilités[33].

[80]        La peine doit respecter le principe fondamental de la proportionnalité qui constitue l’élément central de sa détermination : la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant[34].

[81]        Le Tribunal doit, de plus, tenir compte des circonstances aggravantes et atténuantes, de l’harmonisation des peines, éviter l’excès, examiner les mesures substitutives raisonnables dans les circonstances qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité[35].

[82]        Reprenant ce qui a été mentionné par le juge Vauclair de la Cour d’appel du Québec en matière de détermination de la peine :

[28] Certaines infractions interpellent parfois les objectifs punitifs et le juge doit y être sensible : R. c. Lacasse, [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 5-6, 49-50, 78. À cet égard, il faut rappeler que le législateur lui-même n’exclut aucun objectif de la réflexion qui mène à la peine juste. Lorsque le législateur le fait, il adopte des dispositions qui précisent que, pour certaines infractions, le juge de la peine doit accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. Il ne cherche alors qu’« à infléchir la mise en œuvre discrétionnaire des objectifs plutôt qu’à dicter un résultat précis », tout en reconnaissant que « la mise en équilibre des objectifs dans l’imposition de la peine demeure discrétionnaire » : R. c. Rayo, 2018 QCCA 824, par. 106-109.

[29] Ainsi, même lorsque les objectifs de dissuasion et de dénonciation sont sollicités, l’exercice de la détermination ne doit pas amener le juge à ignorer les autres objectifs; seul l’équilibre mène à une peine juste : Harbour c. R., 2017 QCCA 204, par. 77-84.

[30] Je réitère les propos fort justes de mon collègue Doyon « qu'une peine dont la durée serait augmentée pour un motif de dissuasion, sans tenir compte de cette règle de proportionnalité, constituerait une erreur de droit » : R. c. Paré, 2011 QCCA 2047, par. 46 et jurisprudence citée. En outre, mon collègue mentionnait avec sagesse que la recherche de l’exemplarité au détriment des éléments de preuve qui démontrent le mérite des objectifs de réhabilitation est incompatible avec le principe d’individualisation : R. c. Paré, 2011 QCCA 2047, par. 48. « La détermination de la peine est un processus intrinsèquement individualisé » : R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 92. [36]

[83]        Dans cet arrêt, le juge Lamer fait référence à l’exercice qui doit être effectué par les juges :

[…] la détermination objective, raisonnée et mesurée d'une peine appropriée, reflétant adéquatement la culpabilité morale du délinquant, compte tenu des risques pris intentionnellement par le contrevenant, du préjudice qu'il a causé en conséquence et du caractère normatif de sa conduite. [37]                                    

[84]        Le Tribunal doit, en sus des principes, objectifs et facteurs de détermination de la peine précédemment énoncés, examiner les principes spécifiques prévus à l’article 718.21 du Code criminel régissant la détermination de la peine du volet applicable à une organisation[38].

[85]        Considérons les paragraphes, un à un.

B.   L’ARTICLE 718.21 DU CODE CRIMINEL

1.    Les avantages tirés par l’accusé

[86]        Si on omet de s’attarder aux éléments précis de la preuve, il pourrait être facile de conclure à l’absence d’avantages économiques de l’entreprise face à l’accident mortel qui est à l’origine de la condamnation.

[87]        Cependant, la négligence criminelle causant la mort d’un employé s’est produite par l’omission de l’accusée : l’omission de débourser les sommes nécessaires et essentielles à l’entretien et aux réparations du camion conduit par la victime.

[88]        La situation financière précaire de la compagnie en 2012, placée sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[39] depuis deux ans, n’était certainement pas étrangère à cette situation.

[89]        L’accusée ne possédait ni marge ou carte de crédit bancaire à cette période où, celles des membre de la direction lui ont permis de survivre. Le strict minimum était dépensé afin de faire fonctionner l’entreprise.

[90]        Les exemples présentés au procès, nombreux dans la preuve, démontrent que le vieux camion Volvo a particulièrement été visé par ces restrictions. Les sommes qui auraient dû être investies (dans son entretien et réparation) et qui ne l’ont pas été, ont clairement constitué un avantage pour C.F.G. Construction, soit celui de se sortir au plus vite de son impasse économique et de son insolvabilité.

[91]        Il s’agit d’un facteur aggravant.

 

 

2.    Le degré de complexité des préparatifs reliés à l’infraction et de l’infraction elle-même et la période au cours de laquelle elle a été commise

[92]        L’infraction n’est pas le résultat d’une erreur de jugement commise à un moment précis dans le temps. Elle est davantage le reflet d’une culture existante et d’une façon de faire courante, présente, acceptée au sein de l’entreprise accusée et amplifiée par ses difficultés financières.

[93]        La période en cause est d’environ six mois. Au cours de ce laps de temps, de nombreux avertissements ont été transmis au responsable du garage relativement au mauvais état de l’ensemble du système de freinage du camion impliqué dans l’accident mortel.

[94]        Une attitude de détachement, d’indifférence et d’insouciance face aux entretiens et changements des freins du camion Volvo, sans réelle considération pour le respect des directives règlementaires, ont balayé toute préoccupation de sécurité au-delà de la simple négligence.

[95]        Il s’agit d’un facteur aggravant.

3.    La dissimulation ou conversion des actifs pour éviter l’amende

[96]        Le Tribunal est étonné, perplexe même, devant l’absence, à la fin juin 2019, d’un document pourtant important soit l’États financiers vérifiés pour l’année 2018 et le peu d’explications fournies pour plusieurs des rubriques du bilan maison confectionné pour cette même année.

[97]        Au demeurant, les liens étroits avec la compagnie Géniam soulèvent beaucoup plus d’interrogations que de réponses, de confusion, que de clarté. Le témoin en perdait ses mots lorsqu’il a été confronté à l’achat de plus ou moins quinze véhicules neufs en 2019 par cette compagnie alors que pourtant, il travaille dans les mêmes locaux administratifs et que le garage commun, se trouve à cet endroit.

[98]        Cependant, susciter l’étonnement, considérer invraisemblable certaines parties d’un témoignage ne saurait jamais équivaloir à une preuve suffisante pour prouver un facteur aggravant. C’est le cas en l’espèce.

 

 

 

4.    La viabilité économique de l’organisation et le maintien en poste de ses employés

[99]        L’arrêt 9147-0732 Québec inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales[40] est plaidé en défense comme étant la décision que le Tribunal devrait suivre à propos de la capacité de payer d’une personne morale.

[100]     Quelques mots au sujet des faits à la base de cette affaire s’imposent. Cette compagnie a été déclarée coupable de l’infraction réglementaire (et non criminelle) d’avoir exercé les fonctions d’entrepreneur en construction en exécutant ou faisant exécuter des travaux de construction sans être titulaire d’une licence en vigueur à cette fin. Pour cette infraction, l’amende minimale obligatoire était de 30 843 $.

[101]     La Cour d’appel du Québec, appelée à trancher la question de savoir si une personne morale peut bénéficier de la protection contre les traitements ou peines cruelles et inusitées de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, conclut positivement à la question.

[102]     En résumé, la Cour mentionne que l’hypothèse qu’une amende minimale soit exagérément disproportionnée est tout à fait possible. L’amende peut être cruelle pour la personne morale. Une personne morale peut souffrir d’une telle amende qui se manifeste par sa dureté, sa sévérité et une sorte d’hostilité. L’analyse de la situation doit être entreprise en fonction de la réalité vécue par la personne morale et non en fonction d’une réalité qui ne la concerne pas.

[103]     La juge Bélanger pour l’opinion majoritaire de la Cour d’appel mentionne ce qui suit à propos de l’intérêt public :

[129]   En vertu du Code criminel, la capacité de payer d’une personne morale n’est pas un élément qui doit être pris en compte dans la fixation de l’amende. Par contre, la loi exige qu’une sanction pénale ou criminelle tienne compte de l’intérêt public dont l’alinéa 718.21d) C.cr. Tel que le mentionne le ministre de la Justice du Canada dans les commentaires qui ont suivi les amendements législatifs de 2004, l’intérêt public indique qu’il faut assurer la viabilité économique d’une organisation et le maintien en poste de ses employés […]

[…]

[130]     Je ne crois pas que la société canadienne trouverait acceptable ou dans l’ordre naturel des choses, en toutes circonstances, qu’une amende totalement disproportionnée conduise une personne morale ou une organisation à la faillite, mettant ainsi en péril les droits de ses créanciers ou forçant les licenciements. Dans ce cas, ce serait non seulement certaines personnes qui seraient pénalisées, mais parfois toute une communauté et, de là, la société en général.

[…]

[134]     L’intérêt public est une notion à géométrie variable qui commande de « prendre en considération l’objectif de dissuasion générale, la gravité de l’infraction, son incidence [sur] la communauté, l’attitude du public à son égard et la confiance de ce dernier dans le système judiciaire ». Bien que l’amende s’apparente davantage à la justice punitive, elle vise ultimement à inciter le contrevenant à reconnaître ses torts et à rétablir l’équilibre entre celui-ci et la collectivité. […][41]

                                                                                                [Soulignements ajoutés]

[104]     La taille de l’organisation tout comme l’impact économique de l’amende sur celle-ci, doivent être considérés par le Tribunal qui adhère à l’importance d’effectuer une pondération de tous les éléments de preuve présentés.

[105]     Cet exercice est toutefois bien difficile à faire en l’espèce. La déficience de la preuve rend plus ardue l’évaluation de la véritable situation financière de l’accusée.

[106]     Nous ne possédons pas les États financiers vérifiés pour 2018. L’État des résultats produit est incomplet. À plusieurs reprises, les réponses du témoin sont approximatives ou évasives quant à la situation du financement possible. Le nombre d’employés en 2018 est d’environ 250 personnes occasionnelles et «plus ou moins» entre 50 et 60 employés permanents. Au surplus, aucun document ne supporte ce qui est avancé.

[107]     La preuve de l’impact de l’imposition d’une amende plus importante que 50 000 $ semble équivoque quant au maintien de la marge de crédit autorisée par l’institution financière ainsi qu’en regard de sa viabilité économique pour cette compagnie au chiffre d’affaires de 13 millions et à la valeur comptable d’environ 2.6 millions en 2018.

[108]     La preuve révèle davantage un portrait flou et incertain de l’entreprise que son vrai visage. Il aurait été préférable que les renseignements fournis soient exacts et sûrs.

[109]     Afin de déterminer la peine appropriée, le juge devrait disposer de renseignements les plus complets possibles afin de soutenir la position présentée par l’accusée.

[110]     Comme l’indique la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Jean[42], le juge doit tenir compte des conséquences indirectes découlant de la loi, mais dans la mesure où la peine susceptible d’éviter cette conséquence indirecte demeure une peine juste et proportionnelle.

[111]      Faisant référence à certaines décisions dont celle précédemment citée, le juge Vauclair dans le Traité général de preuve et de procédure pénale mentionne : « On ne saurait imposer une peine inappropriée ou artificielle dans le but de permettre à l’accusé d’échapper aux conséquences indirectes d’une peine autrement justifiée.» [43]

[112]     C’est ce qui est requis du Tribunal : l’actuelle viabilité économique de la compagnie accusée est présentée à titre de facteur militant pour une amende plus clémente alors qu’en 2012, une situation financière précaire existait et qu’elle a contribuée à la commission de l’infraction de négligence criminelle causant la mort de l’un de ses employés.

[113]     Ceci est paradoxal et dérangeant.

[114]     La capacité financière de l’organisation est tout de même un facteur pertinent.

5.    Les frais de l’enquête et de la poursuite - admissions

[115]     L’enquête policière a engendré des heures supplémentaires pour les enquêteurs impliqués : le coût est évalué à 8 547.50 $.

[116]     Les parties s’entendent également sur le montant des frais de remisage du camion Volvo encourus par la Sûreté du Québec (SQ) : il s’évalue à 54 603.08 $.

[117]     Un montant total de 63 150.58 $ a été identifié au titre de frais supportés par l’État. Il s’agit d’un facteur pertinent.

6.    L’imposition de pénalités à l’organisation ou à ses agents à l’égard des agissements à l’origine de l’infraction

[118]     L’accusée est actuellement poursuivie pour des infractions règlementaires en lien avec les faits à la base de la présente accusation criminelle. Elle est passible d’une amende de 83 000 $ selon ce que le Tribunal comprend de la preuve présentée. L’issue de ce dossier demeure inconnue.

[119]     Nous apprenons également que l’entreprise accusée aurait un taux élevé de primes de la CNESST. Dans le domaine de la démolition, ce taux, qui correspond à sa classification, devrait normalement être de 9% du salaire versé. Le taux personnalisé de l’accusée se situerait pourtant entre 22% et 23%. L’augmentation de ce pourcentage serait liée à la situation de l’entreprise et aux réclamations effectuées. Le montant de 196 805.34 $ associé au décès d’Albert Paradis apparaissant à la pièce SD-4 déposée en défense, constitue l’une des réclamations qui aurait fait augmenter ce taux.

[120]     Il s’agit d’un facteur pertinent (en tenant compte des nuances qui s’imposent).

7.    Les déclarations de culpabilité ou les pénalités pour des agissements similaires

[121]     Le 17 novembre 2017, le Bureau des régisseurs de la Régie du bâtiment suspendait la licence d’entrepreneur de l’accusée pour une période de 35 jours à la suite de différents manquements. Cette décision a été maintenue en révision. Un appel devant le Tribunal administratif est intenté pour contester cette seconde décision. La division de la construction et de la qualification professionnelle maintient les précédentes décisions rendues et confirme la suspension de la licence d’entrepreneur de l’accusée pour la période du 5 mars au 8 avril 2018[44].

[122]     On y retrouve certains passages pertinents, dont notamment le paragraphe 40 :

Or, la CNESST a dû intervenir à plusieurs reprises en 2016 et, en comparant les données de 2016 à celles des années 2008 à 2013, elles sont plus nombreuses, de mêmes que les dérogations et le nombre de décisions rendues et des constats notifiés.

[123]     C’est d’ailleurs ce que révèlent les documents déposés par la poursuite[45].

[124]     Les infractions règlementaires pour lesquelles l’accusée a été condamnée depuis septembre 2012 sont nombreuses et elles impliquent plusieurs lois[46].

[125]     Quant au Code de la sécurité routière[47], en plus de nombreuses infractions de toutes sortes, certaines d’entre elles concernent l’article 213 (équipement qui doit être tenu en bon état), l’article 243 (suffisance de la force de freinage d’un véhicule routier), l’article 244 (l’exigence d’un système de freins indépendant), l’article 270 (conformité des pneus aux normes établies par règlement), l’article 437.1 (utilisation conforme d’une remorque ou semi-remorque), l’article 519.15 (l’exigence d’un état mécanique des véhicules lourds, conforme aux normes établies par règlement) et l’article 519.17 (défectuosités mécaniques).

[126]     L’inspection partielle du 18 septembre 2012, l’inspection complète du 16 novembre 2012 ainsi que les contrôles de conformité du 5 septembre 2018 et du 18 mars 2019 ont tous démontrés diverses infractions sur les véhicules de l’accusée, entre autres : délai de 24 heures excédé, dossier incomplet, heures de travail et de conduite dépassées, absence de fiche journalière, fiche journalière incomplète, fréquence d’entretien non conforme.

[127]     Certaines infractions sont liées à l’état mécanique de la flotte de véhicules de l’accusée, en contravention au Code de la sécurité routière[48] qui stipule que tout propriétaire doit maintenir ses véhicules lourds en bon état mécanique et respecter les normes d’entretien, la fréquence et les modalités des vérifications établies par règlement.

[128]     Même l’État des résultats confectionné par le contrôleur financier[49] de l’accusée démontre que pour l’année 2018 seulement, la somme de 17 374.80 $ aurait été déboursée en paiement des constats d’infractions.

[129]     Antérieurement à l’accident mortel, l’accusée possédait de nombreuses condamnations pour des infractions réglementaires. Depuis 2012, elles sont encore plus fréquentes. La présence d’infractions de façon continuelle sur une aussi longue période est préoccupante.

[130]     Une entreprise avertie à répétitions par les autorités compétentes et par les tribunaux, qui n’apporte pas de changements significatifs à ses comportements répréhensibles et dangereux, compromet la sécurité sociale.

[131]     Ces illégalités systémiques démontrent qu’elles font partie de la culture de l’entreprise accusée.

[132]     Quel que soit l’angle sous lequel on examine la question, la réhabilitation de l’accusée est loin d’être acquise et le risque de récidive est présent.

[133]     Il s’agit d’un facteur aggravant.

8.    L’imposition de pénalités aux agents pour leur rôle dans la perpétration de l’infraction

[134]     Il n’y a aucune preuve de pénalités ou mesures disciplinaires infligées par l’accusée, à Yannick Émond, le mécanicien responsable du garage au moment des événements, pour le rôle important occupé dans la perpétration de l’infraction.

[135]     Au cours du procès, ce dernier a d’ailleurs mentionné avoir quitté la compagnie, de façon volontaire, cinq ans après les événements.

[136]     Il s’agit d’une absence de réaction de l’accusée, de désapprobation envers l’un de ses employés fautifs, qui s’éloigne de celle attendue mais qui constitue un facteur neutre.

9.    Toute restitution ou indemnisation imposée à l’organisation ou effectuée par elle au profit de la victime

[137]     La conjointe d’Albert Paradis a reçu l’indemnité de 120 000 $ de la CNESST à la suite du décès de son mari. Selon le contrôleur financier de l’accusée et le document déposé sous SD-4, l’accusée devra payer ou aura à payer ce montant, incluant d’autres frais reliés au décès de la victime, soit un total de 196 805.34 $ à la CNESST, via le Taux de prime personnalisé. Il s’agit, en quelque sorte, d’une indemnisation imposée à l’accusée dont une partie a été remise à la conjointe de la victime. Il s’agit ici d’un facteur atténuant.

10. L’adoption par l’organisation de mesures en vue de réduire la probabilité qu’elle commette d’autres infractions

[138]     La preuve révèle une amélioration importante concernant les lieux physiques où s’effectuent les réparations, l’entretien du matériel roulant et de l’équipement. De plus, un mécanicien aurait suivi sa formation PEP et désormais, les réparations s’effectueraient avec des pièces neuves ou recyclées.

[139]     L’ajout et le changement de certains documents en 2016 ainsi qu’un travail de prévention auprès des mécaniciens, camionneurs, employés sur les chantiers en leur donnant le mot d’ordre de rapporter toute défectuosité et tout bris au mécanicien sont avancés comme étant des éléments majeurs d’amélioration.

[140]     Au-delà des mots avancés, du discours tenu, l’image de l’accusée en 2019 n’est pas si différente de celle de 2012, mis à part l’amélioration notoire au niveau du garage. C’est bien peu en regard de l’ensemble de la situation existante.

[141]     Les mêmes problématiques de gestion des dossiers existent toujours, démontrant un laisser-aller et une absence de préoccupation pour le respect des exigences légales, pourtant très claires, envers les propriétaires de camions lourds. Une absence de prévoyance, d’efficacité et d’autorité au sein de la compagnie accusée règne toujours.

[142]     L’ajout d’un mécanicien possédant la formation PEP n’est pas significatif de quoi que ce soit, puisque le cadre supérieur, responsable du garage à l’époque des événements (2012), possédait lui aussi cette qualification. L’affirmation à l’effet que les réparations étaient effectuées avec des pièces neuves ou recyclées était également ce qui avait été maintenu par le même mécanicien.

[143]     Le nombre d’infractions de toutes sortes confirme que les faibles mesures mises en place par l’accusée sont inadéquates et insuffisantes.

[144]     Conséquemment, la seule inférence qui s’impose est à l’effet que l’accusée n’a pas réagi sérieusement pour apporter les correctifs qui étaient requis à la suite de la mort de son employé, le 11 septembre 2012.

[145]     Le témoignage du contrôleur financier le démontre, la preuve des condamnations de l’accusée à de nombreuses infractions de différentes lois provinciales le confirme.

[146]     Seul le lieu physique des réparations et entretien est une amélioration qui constitue un facteur atténuant.

C.   Les autres facteurs

[147]     Comme mentionné précédemment, la peine que le Tribunal doit imposer sera nécessairement tributaire de la gravité objective et subjective de l’infraction ainsi que des facteurs aggravants et atténuants présents.

[148]     La gravité objective est déterminée par la peine maximale prévue par le législateur pour l’acte reproché et, la place qu’occupe un tel acte au niveau de la peine dans la hiérarchie des infractions prévues au Code criminel[50].

[149]     L’amende est la seule peine pouvant être imposée à une organisation au Canada. Le Code criminel ne fixe aucune limite au montant fixé par le Tribunal, lorsqu’il s’agit d’un acte criminel.

[150]     La négligence criminelle causant la mort est une des infractions les plus sérieuses au Code criminel. Il s’agit d’une infraction qui se situe dans la fourchette, au niveau le plus élevé sur le continuum de responsabilité morale[51].

[151]     À propos de la gravité subjective, au stade de l’imposition de la peine, le juge doit s’attarder, entre autres, à la façon dont le crime a été commis et à la culpabilité morale du délinquant pour identifier les facteurs aggravants et atténuants ainsi que les autres circonstances pertinentes.

[152]     Les parties ne s’entendent pas sur la réelle situation de l’accusée ni quant au poids à  accorder à certains aspects de la preuve présentée.

1.    Les facteurs atténuants

[153]     À  ce chapitre, le Tribunal n’en identifie que deux :

1.    Le changement positif de lieu physique où s’effectuent les entretiens et les réparations de véhicules et machineries;

2.    Le remboursement «obligatoire et automatique» via le Taux de prime de la CNESST du montant de 196 000 $ déboursé en lien avec le décès d’Albert Paradis (une partie a été remise à la conjointe de la victime).

2.    Les facteurs aggravants

1.    Les conséquences importantes pour les membres de la famille de la victime;

2.    La longue période sur laquelle l’infraction a été commise;

3.    Les nombreux avertissements reçus au cours de cette période. L’accusée connaissait le risque et elle a tout de même persisté dans son comportement moralement répréhensible;

4.    L’avantage financier pour l’accusée;

5.    Les antécédents d’infractions réglementaires de l’accusée, nombreux et constants avant les événements;

6.    Les antécédents d’infractions règlementaires de l’accusée, nombreux et constants, après les événements;

7.    Le risque de récidives, toujours présent : l’absence de mesures correctrices sérieuses et la perpétuation, dans le temps, d’une culture de négligence et de non-respect des normes et des règlements ;

3.    Les facteurs pertinents

[154]     La défense invite le Tribunal à considérer les facteurs suivants comme étant pertinents en l’espèce, outre la capacité financière de l’accusée :

a)    Le délai

[155]     La défense soutient que le principe dégagé par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Yessaian devrait être retenu ici, soit : «que les longs délais qui entraînent une incertitude pour l’accusée, sans pour autant être suffisants pour fonder un recours en vertu de la Charte, peuvent tout de même constituer un facteur atténuant dans le calcul de la peine appropriée.» [52]

[156]     Rappelons qu’il s’agissait d’une affaire où aucun délai n’était imputable à l’accusé qui était soumis à de restrictives conditions de mise en liberté provisoire alors qu’il était à la remorque des co-accusés. Avant le prononcé de la peine, l’accusé avait, de plus, déposé une requête en imposition d’une peine réduite pour délai déraisonnable.

[157]     La situation qui prévaut dans cet arrêt se distingue de façon importante de celle de l’accusée où, mis à part une période d’environ sept mois sur près de six ans et demi débutant le 6 juin 2013, date de la dénonciation, les procès-verbaux n’indiquent aucune demande de sa part pour accélérer le processus et, au contraire, plusieurs reports sont inscrits à sa demande ou du consentement des parties.

[158]     Considérant ce tempérament important, le délai n’est pas retenu à titre de facteur pertinent déterminant.

b)   La médiatisation

[159]     La défense cherche à faire connaître à titre de facteur pertinent, voire atténuant, la publicité découlant de la nature publique des procédures.

[160]     Dans l’arrêt Harbour, le juge Vauclair mentionne ce qui suit aux paragraphes 66 et suivants :

[66]        […]  L’impact médiatique, pris comme le simple dévoilement du crime et de son auteur, n’autorise pas en soi à inférer, dans la plupart des cas, des conséquences qui en feraient un facteur atténuant. C’est, je crois, ce confirme la Cour dans les arrêts Thibault, Chav, et Savard précités. En effet, l’inférence d’une stigmatisation découlant d’une accusation n’est pas toujours un facteur, celle-ci étant intrinsèque à des niveaux variables, correspondants au crime. À l’évidence, la gravité du crime et la stigmatisation sont directement proportionnelles : R. c. Martineau 1990 CanLII 80 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 633.

[67]        Par contre, il me semble difficile d’affirmer que la preuve de la déchéance d’un délinquant à la suite d’une accusation et d’une condamnation, médiatisée ou non, ne puisse jamais être pertinente. Je suis plutôt d’opinion que la jurisprudence reconnaît bien cela comme circonstance pertinente dans la détermination de la peine. Un juge peut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsque la preuve le justifie, considérer que le passage à travers le système de justice criminelle contribue en soi à l’atteinte d’objectifs de la peine, notamment, mais non exclusivement, en raison de sa médiatisation.

[…]

[74]        Plus ce facteur est appuyé par la preuve, plus le juge doit le considérer tout en le pondérant avec les autres éléments et les objectifs de la peine. Il s’agit d’un élément contextuel pertinent. [53]

[161]     Aucun élément de preuve ne permet de conclure que le passage de l’accusée à travers le système de justice criminelle a contribué à l’atteinte d’objectifs de la peine, en raison de sa médiatisation. Effectivement, la médiatisation de cette affaire importante touchant la sécurité des travailleurs a certainement occasionné l’inquiétude chez les bailleurs de fonds. Mais, comme mentionné précédemment, la gravité du crime et la stigmatisation sont directement corrélatifs. Ce facteur pertinent possède bien peu de poids ici.

D.   LA JURISPRUDENCE

[162]     Pour assister les juges dans la délicate tâche de la détermination de la peine, la jurisprudence occupe une place au premier rang. Cependant, la comparaison de peines est souvent un exercice imparfait qui comporte ses limites.

[163]     Abondante généralement, elle est plutôt ténue en ce qui concerne une compagnie condamnée pour négligence criminelle causant la mort.

[164]     Il y a bien peu de cas d’application au Canada. Nous retrouvons une seule décision au Québec où une amende a été imposée à une personne morale pour ce type d’infraction précise, il s’agit de Transpavé inc.[54]. Dans cette affaire, un employé est mort écrasé par le grappin d’un palettiseur alors qu’il tentait d’enlever une rangée de blocs excédentaires d’une palette. Ni la compagnie ni aucun de ses employés n’étaient au courant que le levier de détection de la planche pouvait se coincer et se décoincer. Il existait un système de sécurité à faisceau optique pour limiter l’accès à l’endroit où l’accident s’est produit et c’est hors la connaissance de la compagnie ou de ses dirigeants qu’il avait été neutralisé lors de l’accident.

[165]     Après un plaidoyer de culpabilité, les parties suggèrent au juge, de façon commune, une amende de 100,000 $. L’amende tenait compte du montant de 750,000 $ investi volontairement par la compagnie Transpavé, après l’accident, au chapitre de la santé et sécurité au travail. La recommandation de peine a été suivie par le Tribunal.

[166]     La décision Stave lake Quarries[55] émane de la cour provinciale de la Colombie Britannique. Il s’agit également d’un cas où une suggestion commune de peine de 100,000 $ a été présentée au juge à la suite d’un plaidoyer de culpabilité à une accusation de négligence criminelle causant la mort de l’une des employés de la compagnie. Les parties ont tenu compte des mesures correctives prises par la compagnie afin d’améliorer le protocole de sécurité ainsi que l’absence d’antécédents judiciaires.

[167]     La Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Metron Construction Corporation[56], a augmenté de façon significative la peine rendue en première instance pour le décès de quatre employés et les blessures d’un autre, à la suite de l’effondrement d’un échafaudage. La Cour d’appel augmente l’amende de 200,000 $ à 750,000 $ en estimant que l’emphase doit être mise sur la dénonciation et la dissuasion dans ces circonstances. Dans cet arrêt, la cour d’appel émet certains commentaires notamment quant à l’impact d’une amende importante pour une entreprise et sa viabilité économique.

[168]     Toutes ces situations se distinguent du cas de C.F.G. Construction inc.

[169]     Mais quelques grandes lignes se dessinent : la jurisprudence tend à donner de l’importance aux objectifs de dénonciation et de dissuasion lorsqu’il s’agit d’imposer une amende à une organisation sans toutefois faire abstraction d’autres critères. La règle d’or demeurant la recherche de la proportionnalité sans excéder ce qui est juste et approprié[57]. La mesure de ce qui est nécessaire est toutefois une question d’équilibre et demeure du ressort des tribunaux[58].

[170]     Avant de conclure, quelques mots à propos de deux volets de la peine qui sera prononcée.

E.   LA SURAMENDE COMPENSATOIRE

Les parties s’entendent à l’effet que le taux de suramende compensatoire devant s’appliquer en l’espèce, est celui qui était en vigueur au moment des événements soit un taux de 15% de l’amende infligée pour l’infraction[59].

F.    L’ORDONNANCE DE PROBATION

[171]     Les deux parties soutiennent qu’il y a lieu de rendre une ordonnance de probation et d’y insérer certaines des conditions facultatives prévues au paragraphe 3.1 de l’article 732.1 du Code criminel.

[172]     Chacun des avocats a soumis un projet d’ordonnance dans lequel ressort l’importance de changements et améliorations apportés aux pratiques de sécurité de l’accusée. Par contre, selon eux, les paragraphes a) et f) ne devraient pas recevoir application.

[173]     Malgré l’absence de correctifs sérieux apportés depuis 2012 aux aspects négligés du garage, menant à une non-conformité récurrente avec la réglementation existante (camions, dossiers d’entretien et de réparation etc.), le discours de l’organisation est tout de même à l’effet qu’elle désire s’améliorer. Un message identique à celui tenu en janvier 2018, au cours du procès.

[174]     Le dirigeant de l’accusée est en accord avec l’imposition d’une mesure probatoire. Il se propose comme pouvant être la personne désignée par le Tribunal pour rendre compte.

[175]     À propos de cette mesure, il est soutenu par l’avocat de l’accusée, que le caractère contraignant d’une telle ordonnance peut être assimilé à une sanction substitutive et ainsi permettre au juge de faire preuve de souplesse dans l’imposition globale de la peine[60].

***

VI.          EN RÉSUMÉ

[176]     L’analyse  des principes, objectifs et facteurs mentionnés précédemment amène le Tribunal à conclure qu’il ne peut adhérer à l’une ou l’autre des suggestions de peine présentée par les parties quant au quantum de l’amende.

[177]     Celle proposée en défense ne reflète pas suffisamment les nombreux facteurs aggravants présents tout comme la gravité de l’infraction et le degré de responsabilité de l’accusée.

[178]     L’amende imposée ne doit pas équivaloir à une simple dépense d’entreprise ou un xième avertissement[61].

[179]     Quant à la question cruciale de la viabilité économique de l’entreprise, en l’absence d’un portrait financier fiable et d’une preuve minimalement prépondérante de la possibilité réelle de faillite, l’accusée ne devrait pas pouvoir bénéficier du flou existant.

[180]     La preuve ne permet pas d’atteindre ce seuil, tributaire de différents manques qui apparaissent malheureusement compatible avec le fonctionnement général de l’organisation. Par ailleurs, en l’espèce, une amende légère ne saurait être compatible avec l’application du principe de la proportionnalité.

[181]     L’amende suggérée par le Ministère public se rapproche davantage de ce qui est approprié et requis dans les circonstances. Elle tient compte des nombreux facteurs aggravants et de la proportionnalité. Toutefois, elle ne reflète pas les sommes payées par l’accusée (CNESST) et de façon plus générale, le principe d’individualisation de la peine.

***

[182]     Enfin, il faut comprendre qu’aucune décision ne saurait compenser la perte d’une vie humaine.

***

VII.         POUR CONCLURE

[183]     La détermination de l’amende, qui doit être juste et appropriée dans les circonstances, n’est pas une tâche si simple.

[184]     L’acte criminel commis par l’accusée constitue l’une des infractions les plus sérieuses au Code criminel. Le Tribunal est d’avis qu’il commande de donner priorité aux objectifs de dénonciation et de dissuasion face à une compagnie qui a exposé l’un de ses travailleurs à un risque non quantifiable et qui persiste à adopter un comportement négligent en contrevenant régulièrement à la règlementation en vigueur.

[185]     Cette peine doit être significative et elle doit traduire la réprobation d’un comportement qui a porté atteinte aux valeurs de notre société et notamment celles entourant la santé et la sécurité du travail. Elle doit de plus envoyer un message clair à toute entreprise qui serait tentée d’adopter cette même conduite.

[186]     Cependant, elle doit être modulée en tenant compte des possibles combinaisons de mesures pouvant être adaptées en fonction de l’association d’objectifs de détermination de la peine, incluant celui de favoriser la réhabilitation et d’éviter la récidive.

[187]     Tenant compte de tous les facteurs précédemment mentionnés devant être pris en considération le Tribunal est d’avis que l’amende que l’accusée se mérite, dans les circonstances, est de 300 000 $.

[188]     POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[189]     IMPOSE à l’accusée une amende de 300 000 $ ;

Les modalités et l’échéance du paiement de cette somme seront déterminées après discussion avec les parties;

[190]     PRONONCE, conformément à l’article 731 du Code criminel, une ORDONNANCE DE PROBATION d’une durée de trois ans comportant les conditions suivantes :

Obligations légales

-    L’accusée devra se conformer à toutes ses obligations légales.

Suivi initial

-     Dans les prochains 15 jours ouvrables, une rencontre devra avoir lieu entre le cadre supérieur désigné et le responsable de la surveillance afin de discuter de la présente ordonnance.

Consultant externe et rapports

-    L’accusée devra retenir les services d’un consultant externe (possédant l’expertise pertinente) afin qu’il évalue la situation (de la conformité aux lois et règlements auxquels la compagnie est soumise), qu’il propose les correctifs appropriés ainsi qu’un échéancier. Ces informations devront être contenues dans un rapport écrit (ce rapport devra identifier les risques reliés au travail, mettre en place des moyens concrets pour assurer la sécurité des employés ainsi que des mesures disciplinaires en cas de non-respect) ;

-    Une réévaluation de la situation devra être effectuée annuellement par le consultant externe qui devra fournir un rapport à cet effet ;

-    Le rapport du consultant externe devra être remis, le 1er juin de chaque année (de la mesure probatoire), au responsable de la surveillance (il sera identifié plus loin);

-    Le cadre supérieur de l’accusée, désigné pour la représenter, devra participer à une rencontre avec le responsable de la surveillance, dans les trois mois de la remise des documents et ce, annuellement.

Formation

-    L’accusée devra fournir une formation à tous ses employés au sujet des obligations et responsabilités des utilisateurs et exploitants de véhicules lourds, lors de leur embauche et, une fois par an;

-    Elle devra tenir un registre des participants à cette formation et le remettre le 1 juin de chaque année à la personne responsable de la surveillance ;

-    Elle devra fournir les informations pertinentes quant à ces formations ; le contenu, la durée, le nom de la personne qui la dispense, ses qualifications, à la même fréquence que le registre des participants et au responsable de la surveillance.

Interception et condamnation

-    L’accusée devra exiger, de ses employés, la divulgation immédiate de toute interception par les autorités compétentes dans le cadre de leur travail ;

-    Elle devra tenir un registre des interceptions ayant mené à un constat d’infraction ou autres mesures par les autorités compétentes ;

-    Elle devra fournir ce registre le 1er juin et le 1er décembre de chaque année de la mesure probatoire, débutant le 1er juin 2020, à la personne responsable de la surveillance ;

-    L’accusée devra fournir une copie du procès-verbal ou du jugement, de toute condamnation contre elle, dans les 15 jours ouvrables de celle-ci, au responsable de la surveillance.

Rapport d’inspection annuel

-     L’accusée devra fournir une copie du rapport d’inspection annuel de la SAAQ dans les 15 jours ouvrables de sa réception, au responsable de la surveillance.

Rencontres et suivis

-     D’autres rencontres, non prévues à l’ordonnance, devront se tenir lors de situations nécessitant l’intervention du responsable de la surveillance. Le cadre désigné devra se présenter à ces rencontres et offrir une collaboration adéquate afin d’apporter les correctifs requis et demandés.

Désignations

-    Le Tribunal désigne comme cadre supérieur de l’entreprise qui veillera au respect des conditions émises : Franky Glode.

-    Le suivi de l’exécution de l’ordonnance est confié à :

 

Sergent-détective Sylvain Charest (ou tout autre personne désignée par son organisation en cas d’impossibilité pour lui d’exercer la surveillance).

Responsable d’équipe

Division des crimes majeurs Québec

Sûreté du Québec

1050, rue des Rocailles

Québec (Québec)

G2K 0H3

Bureau : 418-623-6330

Télécopieur : 418-623-6522

Sylvain.Charest@surete.qc.ca

-  Il recevra l’assistance du :

Capitaine Éric Tremblay (ou toute autre personne désignée par son organisation en cas d’impossibilité pour celui-ci d’exercer cette assistance).

Directeur

Service du contrôle routier de la Capitale-nationale

Contrôle routier Québec 1685, Blvd Wilfrid-Hamel

Québec (Québec)

G1N 3Y7

Bureau : 418-0448, poste 230

Télécopieur : 418-528-0716

Eric.tremblay@saaq.gouv.qc.ca

Service de Contrôle routier - Capitale Nationale

 

[191]     IMPOSE à l’accusée, en vertu de l’article 737 du Code criminel, le paiement de la suramende compensatoire au taux qui s’appliquait en septembre 2012 soit 15% de l’amende infligée.

 

 

 

 

_____________________________

(SIGNÉ) HÉLÈNE BOUILLON, J.C.Q.

 

Me Thomas Jacques

Procureur aux poursuites criminelles et pénales

 

Me Charles Levasseur

Procureur de l'accusée

 



[1]     R. c. C.F.G. Construction inc., 2019 QCCQ 1244.

[2]     Référence aux pièces P-37, P-38, P-39.

[3]     Référence à la pièce P-14.

[4]     Notes sténographiques du 6 décembre 2017, p. 70-72.

[5]     Référence à la pièce P-9 et notes sténographiques du 19 décembre 2017, p. 82-83 et 100.

[6]     Référence à la pièce P-36.

[7]     Référence aux pièces P-5 (annexe E), P-16 et P-17.

[8]     Code de la sécurité routière, RLRQ, c. C-24.2, art. 534.

[9]     Notes sténographiques du 8 janvier 2018, témoignage de Gilles Gagnon.

[10]    Règlement sur les normes de sécurité des véhicules routiers, RLRQ, c. C-24.2, r. 32, art 200-201.

[11]    R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49.

[12]    Pièce SP-1.

[13]    Lacelle Belec c. La Reine, 2019 QCCA 711, par. 48 et 49.

[14]    Id., par 73.

[15]    Pièce SP-2, en liasse.

[16]    Pièces SD-1 à SD-4.

[17]    Notes sténographiques du 27 juin 2019, p. 43.

[18]    Pièce SD-2.

[19]    Pièce SD-1.

[20]    Notes sténographiques du 27 juin 2019, p. 67.

[21]    Notes sténographiques du 27 juin 2019, p. 48.

[22]    Notes sténographiques du 27 juin 2019, p. 49.

[23]    Id.

[24]    Pièce SD-3.

[25]    Norme définie par l’organisation internationale de normalisation de l’entreprise.

[26]    Notes sténographiques du 27 juin 2019, p. 100.

[27]    Notes sténographiques du 27 juin 2019, p. 99.

[28]    Pièce SP-2.

[29]    Notes sténographiques du 27 juin 2019, p. 102.

[30]    Notes sténographiques du 27 juin 2019, p. 96.

[31]    Notes sténographiques du 27 juin 2019, p. 55.

[32]    Notes sténographiques du 27 juin 2019, p. 50.

[33]    Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 718, par. a) à f).

[34]    Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 718.1.

[35]    Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 718.2.

[36]    Lacelle Belec c. R., 2019 QCCA 711.

[37]    R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 80.

[38]    Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46.

[39]    Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B-3.

[40]    9147-0732 Québec inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2019 QCCA 373.

[41]    Id, par. 129, 130 et 134.

[42]    Jean c. La Reine, 2017 QCCA 1907.

[43]    Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Traité général de preuve et de procédure pénales, 26e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2019.

[44]    Pièce SD-2, en liasse.

[45]    Pièce SP-2.

[46]    Loi sur le bâtiment, RLRQ, c. B-1.1, art. 196.1 et 194(2); Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S-2.1, art. 236; Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction, RLRQ, c. R-20, art 119.1.

[47]    Code de la sécurité routière, RLRQ, c. C-24.2.

[48]    Code de la sécurité routière, RLRQ, c. C-24.2, art. 519.15.

[49]    Pièce SD-1.

[50]    Fournier c. La Reine, 2012 QCCA 1330, par. 49.

[51]    R. v. Metron Construction Corporation, 2013 ONCA 541, par. 79.

[52]    Yessaian c. La Reine, 2014 QCCA 1161.

[53]    Harbour c. La Reine, 2017 QCCA 204.

[54]    R. c. Transpavé inc., 2008 QCCQ 1598.

[55]    R. c.  Stave Lake Quarries inc., 2016 BCPC 377.

[56]    R. c. Metron Construction Corporation, 2013 ONCA 541.

[57]    R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6.

[58]    R. c. Brais, 2016 QCCA 356.

[59]    Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 737(1) (2)a), tel qu’en vigueur en septembre 2012.

[60]    Denis-Damée c. La Reine, 2018 QCCA 1251.

[61]    R. c. Terroco Industries LDT, 2005 ABCA 141. 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.