Décision

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Décision

Yu c. Adm

2021 QCTAL 18150

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

502699 31 20200122 G

No demande :

2938074

 

 

Date :

15 juillet 2021

Devant la juge administrative :

Isabelle Hébert

 

Mei Hong Yu

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Karim ADM

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      La locatrice réclame des dommages correspondant aux loyers perdus (8 000 $), des dommages moraux (150 $), avec les intérêts et l’indemnité additionnelle conformément à l’article 1619 du Code civil du Québec le paiement des frais et l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel.

CONTEXTE

[2]      Le 28 février 2016, les parties signent un bail allant du 1er mars 2016 au 30 juin 2017, au loyer mensuel de 1 600 $[1].

[3]      Sur le formulaire de bail, il est coché que le logement concerné, un condo, est loué à des fins d’habitation seulement.

[4]      À l’audience, la locatrice témoigne que le locataire a utilisé le logement à des fins commerciales et ce, contrairement à ce qui avait été convenu.

[5]      Elle affirme que le logement devait servir aux employés du restaurant qui pouvaient aller y dormir lorsqu’ils terminaient leur quart de travail tard en soirée.

[6]      Toutefois, à son insu, le logement a plutôt servi de bureau et d’entrepôt pour le restaurant, usage non conforme au bail et qui lui a causé des problèmes avec le syndicat de copropriété de l’immeuble. Elle a dû, notamment, acquitter de lourdes amendes.

[7]      Sommée par le syndicat de copropriété de faire cesser l’usage du logement autrement qu’à des fins résidentielles, la locatrice avise à son tour le locataire de mettre fin à l’usage commercial du logement.

[8]      Ne pouvant plus utiliser le logement tel que prévu, le locataire quitte le logement le ou vers le 20 janvier 2017.


[9]      Informée de la décision du locataire de quitter le logement le 20 janvier 2017, la locatrice lui adresse un courriel lui rappelant qu’il doit respecter ses obligations relatives au bail jusqu’à son terme, soit jusqu’au 30 juin 2017.

[10]   Dans ce courriel du 13 janvier 2017, elle lui propose notamment de sous-louer le logement ou d’y loger des parents ou des employés.

[11]   À la suite du départ du locataire, aucun loyer n’est payé pour les mois de février, mars, avril, mai et juin 2017, ce qui justifie la demande de recouvrement de la locatrice.

[12]   Le locataire livre une version différente des faits.

[13]   Il déclare être employé d’un restaurant adjacent à l’immeuble concerné.

[14]   Il admet avoir signé un bail avec la locatrice, le 28 février 2016.

[15]   Ce bail, ajoute-t-il, suivait un bail précédemment signé en 2014 avec la compagnie propriétaire du restaurant.

[16]   Depuis le tout début et tout au long de l’occupation du logement, l’usage du logement a toujours été le même : il était utilisé comme espace de bureau et d’entreposage pour le restaurant.

[17]   En effet, précise le locataire, une employée du restaurant œuvrant aux comptes payables y avait son bureau et des produits secs y étaient entreposés.

[18]   Une telle utilisation se poursuit ainsi sans problème jusqu’à ce que la locatrice soit avisée par son syndicat de copropriété que les baux commerciaux n’étaient pas permis dans l’immeuble.

[19]   Tentant de trouver une solution au problème, la locatrice approche le locataire qui, de bonne foi, accepte de signer le bail visé par le présent recours, le 28 février 2016.

[20]   De plus, tel qu’il ressort des échanges courriels intervenus entre les parties en avril 2016, ces dernières conviennent que le logement ne devra plus servir pour y stocker des aliments et qu’un lit sera installé dans le logement[2].

[21]   Par ailleurs, insiste le locataire, malgré la mention au bail que le logement est loué à des fins d’habitation seulement, le logement est toujours utilisé comme espace de bureau pour le restaurant.

[22]   En effet, des employés continuent alors d’y travailler, notamment ceux affectés à la comptabilité et au service de la paye.

[23]   Jamais personne n’a dormi dans le logement, et ce, même après l’installation du lit. Cette installation a été demandée par la locatrice à la suite de plaintes du syndicat de copropriété, précise-t-il.

[24]   À la suite de nouvelles plaintes reçues de la part du syndicat de copropriété, la locatrice l’informe que l’utilisation du logement à des fins commerciales doit cesser et, conséquemment, le locataire et autres employés du restaurant quittent le logement, le ou vers le 20 janvier 2017.

[25]   Précédemment à ce départ, la locatrice avait proposé au locataire qu’il pouvait trouver un sous-locataire ou laisser le logement à des parents ou à des employés qui pourraient l’utiliser comme résidence, lui rappelant qu’il était lié par le bail jusqu’au 30 juin 2017.

[26]   Enfin, suivant la demande du syndicat de copropriété de cesser l’occupation commerciale du logement, le départ du logement, demandé par la locatrice pour éviter de nouvelles amendes, a été organisé le plus rapidement possible. Cela a engendré plusieurs inconvénients et impliqué beaucoup de travail pour tous les employés du restaurant, incluant lui-même, mentionne le locataire.

[27]   Se conformant ainsi promptement à la demande d’éviction, il croyait rendre service à la locatrice et, conséquemment, ne comprend pas qu’elle lui réclame maintenant des sommes pour loyers impayés.


[28]   En mai 2017, la locatrice signe un nouveau bail débutant le 1er juillet 2017[3]. Elle réclame donc l’équivalent du loyer pour les mois de février à juin 2017.

QUESTION EN LITIGE

[29]   Le Tribunal a-t-il compétence pour entendre la demande et, le cas échéant, la locatrice a-t-elle droit aux dommages réclamés?

ANALYSE

[30]   Le Tribunal administratif du logement œuvre en matière de bail résidentiel. L’article 28 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[4] est la disposition lui conférant sa juridiction :

28. Le Tribunal administratif du logement connaît en première instance, à l’exclusion de tout autre tribunal, de toute demande:

1°  relative au bail d’un logement lorsque la somme demandée ou la valeur de la chose réclamée ou de l’intérêt du demandeur dans l’objet de la demande ne dépasse pas le montant de la compétence de la Cour du Québec;

2°  relative à une matière visée dans les articles 1941 à 1964, 1966, 1967, 1969, 1970, 1977, 1984 à 1990 et 1992 à 1994 du Code civil;

3°  relative à une matière visée à la section II, sauf aux articles 54.5, 54.6, 54.7 et 54.11 à 54.14.

Toutefois, le Tribunal administratif du logement n’est pas compétent pour entendre une demande visée aux articles 667 et 775 du Code de procédure civile (chapitre C25.01).

[31]   Conformément à cette disposition, le Tribunal administratif du logement a compétence pour entendre un litige relativement à un bail de logement.

[32]   Or, de l’avis du Tribunal, la preuve est prépondérante[5] à l’effet que le contrat liant les parties n’est pas et n’a jamais été un bail de logement au sens de la loi[6].

[33]   En effet, le Tribunal retient la version du locataire voulant que les parties avaient convenu dès la conclusion du bail d’une occupation du logement à des fins autres que l’habitation. Cette version est plus vraisemblable et concorde avec le contenu des courriels présentés en preuve ainsi qu’avec le fait qu’il s’agisse du deuxième bail signé par rapport à ce logement.

[34]   Il ressort de la preuve soumise que dès le début du premier bail en 2014 et ce, jusqu’au départ survenu en janvier 2017, le logement n’a jamais été occupé à des fins résidentielles au vu et au su de la locatrice.

[35]   L’occupation du logement de façon commerciale telle que prévu initialement s’est ainsi déroulée sans problème jusqu’à ce que le syndicat reproche à la locatrice l’existence du bail commercial. Confrontée aux sanctions imposées par le syndicat, la locatrice a alors tenté de corriger la situation, signant un nouveau bail et demandant au locataire d’installer un lit dans le logement et de cesser d’y remiser de la nourriture.

[36]   Si, tel que le prétend la locatrice, les parties avaient véritablement conclu un bail à des fins exclusivement résidentielles, pourquoi alors aurait-elle demandé au locataire d’installer un lit dans le logement?

[37]   Il apparaît clairement que l’entente initiale prévoyait la location du logement à des fins commerciales et que la locatrice a tenté par divers moyens d’échapper aux conséquences que cela impliquait par rapport au syndicat de copropriété.

[38]   Conséquemment, le Tribunal doit décliner compétence quant au présent litige et, compte tenu de cette conclusion, ne peut se prononcer quant aux dommages réclamés.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[39]   DÉCLINE compétence.

 

 

 

 

 

 

 

 

Isabelle Hébert

 

Présence(s) :

la locatrice

le locataire

Date de l’audience :  

27 avril 2021

 

 

 


 



[1] P-1.

[2] P-2.

[3] P-3.

[4] RLRQ, c. T-15.01.

[5] Art. 2803 et 2804 C.c.Q.

[6] Art. 1892 C.c.Q.

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