Décision

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Mnassri c. Bond (Habitations Ville-Marie)

2024 QCTAL 10942

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

751336 31 20231213 G

No demande :

4141714

 

 

Date :

27 mars 2024

Devant la juge administrative :

Stella Croteau

 

Rafik Mnassri

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

James Bond faisant affaires sous le nom de Habitation Ville Marie

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le Tribunal est saisi d’une demande du locataire, produite le 13 décembre 2023, en ordonnance d’exécution, diminution du loyer ainsi qu’en dommages moraux, le tout avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, au paiement des frais et ordonner l’exécution provisoire malgré l’appel.

[2]         Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024, au loyer de 940 $.

MOTIFS

[3]         Ordonner au locateur de maintenir le logement en bon état pendant toute la durée du bail.

[4]         Diminuer le loyer de 20 % par mois à compter du 1er octobre 2023.

[5]         Condamner le locateur à payer 1 000 $ en dommages moraux.

QUESTIONS EN LITIGE

Ordonnance

[6]         Le locateur contrevient-il à ses obligations?

[7]         L'émission d'une ordonnance est-elle justifiée?

Diminution du loyer

[8]         Le locateur a-t-il privé le locataire de la pleine jouissance des lieux donnant ouverture à une diminution de loyer?


Dommages moraux

[9]         Le locateur a-t-il commis une faute ayant causé des dommages moraux au locataire?

[10]     En cas de faute du locateur, quel est le montant des dommages subis par le locataire?

CONTEXTE FACTUEL

[11]     Le locataire habite dans le 4 ½ du deuxième étage depuis 2021. Il y vit avec son épouse et leur bébé.

[12]     L’immeuble a trois (3) étages et contient environ 20 logements.

[13]     Il dénonce un problème de chauffage au salon. Il s’agit d’un chauffage central à l’eau. Son chauffage est inclus dans son loyer. Il ne contrôle pas le chauffage.

[14]     Avant octobre 2023, le chauffage était correct. En revanche, à partir de cette date, le chauffage ne fonctionne pas dans le salon. Lorsqu’il fait froid, il n’a pas accès à cette pièce.

[15]     Le 23 novembre 2023, il dénoncera le problème au concierge. Ce dernier doit passer l’info. Aucun suivi ne sera fait. Le locataire fera donc parvenir une mise en demeure au locateur, qui sera reçu le 30 novembre 2023. Le locateur intervient en décembre 2023. Le locateur viendra prendre la température, mais comme il vient une journée qu’il fait chaud, il ne constate aucun problème. L’employé propose au locataire de bloquer complètement la porte-fenêtre qui se situe au salon. Solution que refuse le locataire qui n’aurait plus accès à son balcon. L’employé ne fera rien pour réparer le chauffage.

[16]     Il dénonce également la condensation des fenêtres. Cela crée de la moisissure sur la porte. De plus, son tapis devient complètement détrempé devant la porte. Il produira des photos de cette condensation sur les fenêtres et la porte qui est scellée par du ruban adhésif.

[17]     Il réclame des dommages car il n’a pas la pleine jouissance de son logement. Lors de journée froide, il ne peut utiliser son salon. Il a un bébé de moins d’un an, ce qui complique la situation.

[18]     Le locataire ne peut donner les températures au salon car il n’a pas de thermomètre.

[19]     Le locateur témoignera que son technicien de service a offert au locataire de scellé la porte avec une pellicule de plastique, solution qui a été refusée par le locataire. Il a été avisé par lettre le 29 novembre 2023 et son technicien s’est présenté le 1er décembre 2023.

[20]     Le locateur souligne que la notion de chaleur est différente pour chacun. Il produira les photos que son technicien a prises lors de ses deux (2) visites. La température est de 26.3, le 1er décembre et 22.8 le 22 décembre 2023.

[21]     Le locateur informe le Tribunal que le locataire a une sécheuse dans son logement. Cette dernière ne possède pas de sortie extérieure. Selon lui, c’est l’utilisation de cette dernière qui crée la condensation des fenêtres et la moisissure.

[22]     L’ancien locataire de ce logement y aurait vécu 39 ans, sans aucune plainte.

[23]     Le locataire conteste cette conclusion. Il affirme qu’il n’utilise pas la sécheuse. Il attend d’avoir une sortie extérieure.

[24]     De plus, le locataire aurait été aperçu en short et camisole aux mois d’octobre-novembre 2023.

ANALYSE

[25]     Le Tribunal souligne qu’il a bien pris note de l’ensemble des témoignages et analysé attentivement toute la preuve administrée devant lui, mais qu’il sera uniquement fait mention à la présente des éléments pertinents retenus et fondant la décision.

[26]     En vertu des articles 2803 et 2804 C.c.Q., il incombe à chaque partie de prouver, par une preuve prépondérante, l'existence des faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions.


[27]     Par conséquent, si la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra[1].

[28]     L’article 2845 du Code civil du Québec, édicte quant à lui que la force probante des témoignages est laissée à l’appréciation du Tribunal, lequel aura pour mission d’évaluer la crédibilité des témoins.

[29]     Suivant la loi, le locateur assume, entre autres, l'obligation de procurer au locataire la jouissance paisible de son logement (article 1854 C.c.Q.), le maintien de celui-ci en bon état d'habitabilité (article 1910 C.c.Q.) et l'exécution de toutes les réparations nécessaires sauf celles qui sont purement locatives (article 1864 C.c.Q.).

[30]     En matière de chauffage, l'obligation est de détenir un système de chauffage permanent qui permet d'assurer une température minimale de 21°C. Toutefois, durant les températures très froides de l'hiver, il peut arriver que la température d'un logement baisse de quelques degrés alors que le système de chauffage peut éprouver des difficultés à maintenir la température requise. Cette situation doit être de courte durée et ne peut atteindre un seuil déraisonnable.

[31]     Le Tribunal ne dispose d’aucun élément pour établir que la température dans le logement du locataire n'a pas été maintenue à une température acceptable.

[32]     Le locataire ne produit aucune mesure de températures et son seul témoignage, est insuffisant puisque la sensation du froid demeure une donnée essentiellement subjective. Cela est nettement insuffisant pour démontrer une situation suffisamment grave pour justifier la diminution du loyer ou des dommages.

[33]     Les seules lectures de la température sont données par le locateur et elles sont de 22 et 26 degrés, donc plus élevées que requises.

[34]     Comme le souligne la juge administrative Linda Boucher dans l'affaire Lajoie c. Shakar[2] :

« [77] À titre de référence, l'article 74 du Code de logement de la Ville de Montréal stipule ce qui suit :

« Un logement doit être muni d'une installation permanente de chauffage qui maintient, dans les espaces et les pièces habitables ainsi que dans les salles de bain et dans les toilettes, une température minimale de 21°C. Cette température doit être maintenue jusqu'à ce que la température extérieure atteigne 23°C. La température à l'intérieure d'un logement doit être mesurée au centre de chaque pièce, à un mètre du sol. »

[78] La locatrice a l'obligation de procurer la jouissance paisible du logement à la locataire. En matière de chauffage, le Règlement sur le logement de la Ville de Montréal impose donc au propriétaire l'obligation de détenir un système de chauffage permanent qui permet d'assurer une température minimale de 21° Celsius. Toutefois, durant les températures très froides de l'hiver, il peut arriver que la température d'un logement baisse de quelques degrés alors que le système de chauffage peut éprouver des difficultés à maintenir la température requise. Cette situation doit être de courte durée et ne peut atteindre un seuil déraisonnable.

[79] Aussi, un locataire peut avoir l’impression que son logement est inadéquatement chauffé alors que son locateur remplit son obligation. En effet, la perception de la sensation de froid peut être hautement subjective dépendamment de la tolérance de chacun.

[80] De fait, au cœur de l'hiver une température ambiante de 21 degrés peut sembler froide à une personne frileuse ou sédentaire ou qui n'est pas suffisamment vêtue.

[81] C'est pourquoi, afin de déterminer si la locatrice a rempli son obligation en matière de chauffage, le Tribunal doit pouvoir compter sur des relevés de la température en quantité significative, prise à 3 pieds au-dessus du sol et au centre de la pièce, ainsi que de la température extérieure au même moment.

[82] Malheureusement, la locataire n'a fourni que quelques relevés incomplets, ce qui ne permet pas au Tribunal de juger de façon objective de la température qui régnait dans le logement durant son occupation. »

[35]     Dans les circonstances, la preuve soumise n'a pas convaincu le Tribunal que la température du logement du locataire était reliée à un dysfonctionnement du système de chauffage. Ainsi, si le locataire avait réellement subi des problèmes de température, une preuve plus convaincante aurait dû être soumise quant aux inconvénients en résultant. Quant au système de chauffage lui-même, la preuve prépondérante ne démontre pas qu'il ne fonctionne pas adéquatement.


[36]     Aucune ordonnance ne peut être émise car la preuve du dysfonctionnement du chauffage n’a pas été faite.

[37]     De plus, en ce qui concerne la température du salon, les seules données prouvées sont de 22 et 26 degrés, ce qui contredit le témoignage du locataire. En conséquence, aucune diminution de loyer, ni dommage ne peuvent être accordés.

[38]     Le locataire n’a pas rencontré le fardeau de sa preuve.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[39]     REJETTE la demande du locataire.

 

 

 

 

 

 

 

 

Stella Croteau

 

Présence(s) :

le locataire

la locatrice

Date de l’audience : 

1er mars 2024

 

 

 


 


[1] Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson et Lafleur Ltée, 2005, par. 146, p. 62.

[2] Lajoie c. Shakar, 2018 QCRDL 17015.

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