Décision

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Décision

Horr c. Bélisle

2020 QCRDL 7189

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

433357 31 20181219 G

No demande :

2654923

 

 

Date :

28 février 2020

Régisseur :

Charles Rochon-Hébert, juge administratif

 

Abdelhadi Horr

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

François Belisle

 

Robert Montemurro

 

Locataires - Partie défenderesse

et

Syndicat des copropriétaires Les Jardins

 

Partie demanderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le locateur demande la résiliation du bail, l’expulsion des locataires et de tous les occupants du logement, l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel et le paiement des frais.

[2]      Les parties sont liées par un bail à durée indéterminée débutant le 1er novembre 2018, au loyer mensuel de 1 250 $. Les locataires habitent, dans les faits, le logement depuis le 28 octobre 2018.

[3]      Les locataires sont absents lors de l’audience.

La demande d’intervention du syndicat de copropriété :

[4]      Le logement est situé dans un immeuble détenu en copropriété divise. Le Syndicat des copropriétaires Les Jardins Saint-Léonard, Phase 2m (ci-après le « Syndicat ») demande à intervenir dans la demande du locateur afin de soutenir ce dernier et également demander la résiliation du bail.

[5]      Conformément à l’article 1079 du Code civil du Québec qui se lit comme suit, le syndicat de copropriété a l’intérêt juridique pour ce faire :

« 1079. Le syndicat peut, après avoir avisé le locateur et le locataire, demander la résiliation du bail d’une partie privative lorsque l’inexécution d’une obligation par le locataire cause un préjudice sérieux à un copropriétaire ou à un autre occupant de l’immeuble. »


[6]      La preuve révèle que les locataires ont été signifiés par huissier de la demande d’intervention du Syndicat et que le locateur a non seulement été avisé de celle-ci, mais également qu’il y consent.

[7]      La demande d’intervention du Syndicat est donc accueillie.

 

Le droit applicable :

[8]      Au soutien de leur demande, le locateur et le Syndicat allèguent plusieurs troubles de comportement des locataires affectant les autres occupants de l’immeuble, ainsi qu’une négligence totale à user du logement avec prudence et diligence.

[9]      Pour obtenir la résiliation du bail, il doit être démontré le défaut des locataires de respecter leurs obligations et le préjudice sérieux en résultant.

[10]   Tout locataire a l'obligation générale d'user du bien loué avec prudence et diligence et doit notamment se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance « normale » des autres occupants de l'immeuble.

[11]   Les articles 1855,1860 et 1863 se lisent comme suit :

« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence. »

 « 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires. 

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

[12]   En ce qui concerne les troubles de jouissance des lieux, l'article 976 du Code civil du Québec prévoit que les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature des lieux ou les usages locaux. Au sein d'un immeuble à logements multiples, chaque résident doit ajuster ses comportements pour tenir compte de la situation et de l'usage des lieux.

[13]   Dans la décision Carrion c. Gaudreau[1], la juge administrative Francine Jodoin énonce ce qui suit quant à la preuve requise en matière de troubles subis par les autres locataires :

« (...)

Pour donner ouverture à la résiliation du bail, la preuve doit révéler une série de faits établissant des inconvénients anormaux ou excessifs qui présentent un caractère de persistance ou de répétition; le locataire auteur du trouble doit avoir agi de façon illégitime ou fautive; il faut aussi prouver la dénonciation du trouble au locataire et sa persistance par la suite.

En cette matière, le Tribunal ne peut fonder son appréciation sur des considérations subjectives et doit chercher à déterminer, si les locataires plaignants vivent une situation qui par sa répétition, insistance et ampleur constitue une atteinte grave, excessive ou déraisonnable justifiant la résiliation du bail. Cette analyse doit se fonder sur des critères objectifs et probants. Ce qui est incommodant pour certains peut ne pas l'être pour d'autres et ainsi, le Tribunal est appelé à se prononcer uniquement sur une situation extraordinaire et inhabituelle.

Par ailleurs, il appartient au locateur de voir au maintien de la paix dans son immeuble. Le seul fait qu'il y ait un climat difficile dans l'immeuble ne peut justifier à lui seul la résiliation du bail. Le Tribunal rappelle qu'il ne peut sanctionner par la résiliation du bail, que les cas où il y a atteinte grave, excessive et déraisonnable à la jouissance paisible des lieux. »


Le témoignage de l’agent Kevin Rousseau

[14]   Comme premier témoin, le locateur et le syndicat ont fait entendre l’agent Kevin Rousseau. Ce dernier est policier au poste de quartier pour le territoire où le logement concerné est situé.

[15]   L’agent Rousseau rapporte que cette adresse et les locataires sont très connus des policiers du quartier. En effet, non seulement il est personnellement intervenu à de nombreuses reprises au logement, mais il a également déposé en preuve les cartes d’appels au 911 démontrant que pendant une période d’environ 14 mois, soit du 8 décembre 2018 au 2 février 2020, 78 appels ont été effectués au 911 pour demander des interventions au logement concerné.

[16]   L’agent Rousseau a également produit 28 rapports d’événements, le plus récent en date du 10 février 2020, lesquels illustrent bien les troubles anormaux de voisinage que les locataires affligent aux autres occupants de l’immeuble.

[17]   La preuve ainsi déposée et le témoignage de l’agent Rousseau se résument comme suit. Les locataires ont de sérieux problèmes de consommation de drogue et leurs comportements s’en ressentent. Il est ici question de querelles et de cris à toute heure du jour et de la nuit, de fréquents épisodes de violence conjugale, d’état mental perturbé, de surdoses, et psychoses entraînant des transports volontaires et parfois forcés sous contention à l’hôpital, d’un chien maltraité devant être cueilli et euthanasié par la Société protectrice des animaux, etc.

[18]   À eux seuls, les constats d’infraction municipaux remis aux locataires pour avoir causé du bruit de nature à troubler la paix, le confort ou le bien-être du voisinage sont au nombre de 14.

[19]   À titre d’exemple, les policiers, dont l’agent Rousseau ont été appelés, le 10 février 2020 à la demande d’un occupant des lieux qui craignait pour sa sécurité puisque le locataire François Belisle était armé d’une barre de fer dans le hall d’entrée de l’immeuble tout en étant fortement intoxiqué et sujet à des hallucinations.

Le témoignage du locateur :

[20]   Le locateur est exaspéré de la situation et son condo est maintenant dans un piètre état en raison des agissements des locataires. Ses tentatives de discuter avec les locataires pour qu’ils modifient leur comportement ont toutes été vaines. En effet, les locataires sont soit trop intoxiqués pour tenir une discussion cohérente, soit ils prétendraient vouloir améliorer les choses, mais rechutent ensuite aussitôt, dans leurs mauvaises habitudes.

[21]   Le locateur affirme avoir conclu une entente le 24 août 2019 à l’effet que les locataires ne renouvelleraient pas leur bail; à ce qu’il prétend être son échéance le 31 octobre 2019. Or, les locataires sont toujours sur place et le locateur continue toujours à percevoir le loyer par prélèvements automatiques. De plus, le document produit par le locateur après l’audience avec l’autorisation du Tribunal est uniquement signé par ce dernier, et est en fait une mise en demeure intimant les locataires de quitter le logement au plus tard le 31 octobre 2019. Vu ce qui précède, le Tribunal ne peut conclure qu’une entente est intervenue pour mettre fin au bail.

[22]   Le locateur témoigne que le logement est présentement inhabitable, notamment, puisque l’électricité aurait été coupée à la demande des pompiers à la suite de la visite d’un inspecteur municipal, et ce, pour prévenir un incendie, vu les risques extrêmes que représente l’état des lieux.

Le rapport de l’inspecteur municipal :

[23]   Tel que permis par l’article 78 de la Loi sur la Régie du logement, le locateur et le Syndicat ont déposé pour valoir témoignage le rapport daté du 5 novembre 2019 de l’inspecteur municipal ayant visité le logement sous escorte policière le 22 octobre 2019 et ayant pris des photos jointes au rapport qu’il est ici pertinent de reproduire en partie et en dit long sur l’état dans lequel les locataires ont mis le logement :

« Suite à une plainte, une inspection est faite au [...] avec l’aide d’une escorte policière.

Dans le salon, nous constatons des traces d’excréments d’animaux étendus sur le sol. Il y avait deux chiens dans le logement.

Il y a plusieurs trous dans les murs de gypse du salon et du corridor qui semblent avoir été découpé. Des fils électrique sont exposés.


Il ne reste plus qu’un luminaire fonctionnel dans tout le logement. Il est situé dans le couloir. Tous les autres ont été retirés et les fils sont exposés. La plupart des interrupteurs et des prises de courant ont été retiré et les fils sont exposés.

Dans la salle de bain, le ventilateur extracteur a été retiré. Il y a des traces de moisissure dans le bas du mur derrière la toilette

Dans la chambre, le plancher est extrêmement gondolé. Il y une courbure de plusieurs centimètres de haut. »

Le témoignage de Claire Beauchamp :

[24]   Mme Beauchamp est l’une des administratrices du syndicat de copropriété. Elle habite l’immeuble et a déposé à l’audience une pétition signée par 24 copropriétaires de l’immeuble demandant l’éviction des locataires.

[25]   Les chiens des locataires font leurs excréments partout dans le logement et non à l’extérieur et qu’en sus des dommages inhérents à l’immeuble, les mauvaises odeurs sont perceptibles à l’extérieur du logement. De plus, la présence d’insectes a été rapportée dans les unités adjacentes au logement concerné.

[26]   Quant aux fréquentes interventions policières et ambulancières, elles nuisent à la quiétude de tous et ne règlent rien de manière définitive.

 

Le témoignage de Martin Thibault :

[27]   Monsieur Thibeault travaille pour l’entreprise et agit à titre de gestionnaire de l’immeuble. Il se spécialise dans la gestion de sinistre.

[28]   Il rapporte être intervenu le 23 août 2019 en raison d’un important dégât d’eau dans l’immeuble dont la source était le logement concerné. Ce sinistre a endommagé plusieurs condos et parties communes.

[29]   Il affirme être convaincu par son expérience et les circonstances plus amplement décrites dans son témoignage que ce sinistre a été causé de manière intentionnelle par les locataires. Le Tribunal, sans aller jusqu’à conclure qu’il s’agit bel et bien d’un geste intentionnel, considère plausible cette hypothèse et ajoute qu’il s’agit au mieux de négligence grossière et insouciante de la part des locataires.

[30]   En effet, après avoir déterminé que la source du dégât d’eau était le logement concerné, M.Thibault s’est vu refuser l’accès au logement par les locataires, alors qu’il voulait faire cesser      celle-ci. L’intervention des policiers a donc été nécessaire.

[31]   Le sinistre résulte du fait que les locataires ont modifié artisanalement et sans raison valable la plomberie du logement pour que de l’eau se déverse par un drain conçu uniquement pour servir en cas de fuites provenant du chauffe-eau.

[32]   Or, malgré les conséquences de leurs gestes, il témoigne que les locataires persistent à faire usage ainsi volontairement et sans raison utile du drain. Afin de prévenir d’autres sinistres, la plomberie des aires communes a dû être modifiée pour que l’eau rejetée par les locataires se verse maintenant directement dans le garage où les conséquences sont moindres.

Analyse et conclusion :

[33]   La preuve démontre que malgré les interventions policières répétées, les interventions du locateur et celles du Syndicat, les troubles graves de comportement des locataires ont continué. Il semble tout à fait improbable que la situation change sans l’intervention du Tribunal.

[34]   Le Tribunal conclut des preuves soumises par le locateur et le Syndicat qu’ils ont amplement démontré que les locataires n’usent pas du logement avec prudence et diligence, qu’ils troublent gravement la jouissance des lieux des autres occupants en ce que leurs comportements troublants et leur manque flagrant de respect pour autrui causent de sérieux préjudices à bien des gens.

[35]   De plus, les gestes agressifs des locataires font craindre les autres occupants de l’immeuble pour leur sécurité et sont inacceptables. Le Tribunal ne saurait cautionner de tels comportements et doit intervenir rapidement pour les faire cesser de manière permanente et définitive.


[36]   L'exécution provisoire de la présente décision est donc justifiée aux termes de l'article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement considérant la gravité des préjudices sérieux subis.

[37]   En vertu du Tarif des frais exigibles par la Régie du logement, le locateur a droit au paiement des frais engagés de 76 $ pour la production de la demande et de 30 $ pour les significations par huissier de la demande.  

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[38]   ACCUEILLE la demande d’intervention du Syndicat des copropriétaires Les Jardins              Saint-Léonard, Phase 2;

[39]   RÉSILIE le bail et ORDONNE l’expulsion des locataires et de tous les occupants du logement, et ce, à la demande du locateur ou du Syndicat;

[40]   ORDONNE l'exécution provisoire, malgré l'appel, de l’ordonnance d’expulsion à compter de la signature de la décision;

[41]   CONDAMNE les locataires à payer au locateur les frais judiciaires de 106,00 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Charles Rochon-Hébert

 

Présence(s) :

le locateur

Date de l’audience :  

12 février 2020

 

 

 


 



[1] Carrion c. Gaudreau, R.D.L., 2015-05-29, 2015 QCRDL 17474, SOQUIJ AZ-51181167.

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