Décision

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Association québécoise des pharmaciens propriétaires c. Régie de l'assurance maladie du Québec

2018 QCCS 806

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

 

 

N° :

200-17-026509-174

 

 

 

DATE :

26 février 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DANIEL DUMAIS, j.c.s.

 

 

______________________________________________________________________

 

L’ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DES PHARMACIENS PROPRIÉTAIRES

-et-

JEAN THIFFAULT, ès qualités de membre et président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires

Demandeurs

c.

LA RÉGIE DE L’ASSURANCE MALADIE DU QUÉBEC

-et-

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

Défenderesses

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(sur demande en jugement déclaratoire)

______________________________________________________________________

 

1.-     L’APERÇU

[1]           L’Association québécoise des pharmaciens propriétaires («l’AQPP») demande à la Cour d’interpréter une disposition nouvelle ajoutée à la Loi sur l’assurance médicaments[1]. Cette difficulté porte sur l’article 8.1.1 de cette loi. Elle concerne l’obligation de remise d’une facture détaillée lors de la vente d’un médicament ou la fourniture d’un service pharmaceutique.

[2]           Essentiellement, l’AQPP plaide que ses membres pharmaciens n’ont pas à communiquer telle facture à une autre personne que celle qui se procure le bien ou le service.

[3]           Tant la Régie de l’assurance maladie du Québec («RAMQ») que La Procureure générale du Québec («PGQ») voient les choses autrement. Selon elles, le pharmacien doit également faire suivre copie de la facture à l’assureur de son client, ou à l’administrateur d’un régime d’avantages sociaux, lorsque celui-ci en assume le paiement, en tout ou en partie.

[4]           Le Tribunal doit donc décider du sens à donner à l’article de loi contesté quant au(x) destinataire(s) de telle facture.

2.-     LE CONTEXTE

            a)         Le régime d’assurance médicaments

[5]           Le Québec a mis en place un régime général et obligatoire d’assurance médicaments en 1996. Celui-ci est régi par la Loi sur l’assurance médicaments (ci-après la «LAM»). C’est la RAMQ qui en chapeaute la gestion.

[6]           L’objet de ce régime se définit ainsi :

2.          Le régime général a pour objet d’assurer à l’ensemble de la population du Québec un accès raisonnable et équitable aux médicaments requis par l’état de santé des personnes.

À cette fin, il prévoit une protection de base à l’égard du coût de services pharmaceutiques et de médicaments et exige des personnes ou des familles qui en bénéficient une participation financière tenant compte notamment de leur situation économique.[2]

[7]           On cherche donc à procurer à chacun des résidents québécois une protection financière pour ses besoins pharmaceutiques. Celle-ci est offerte de deux façons. D’abord, le résident peut être couvert par l’entremise d’une assurance collective émise par un assureur ou par un régime d’avantages sociaux souscrits par son employeur. Il s’agit du régime privé. Sinon, il est soumis au régime public administré par la RAMQ.

[8]           Dans l’un et l’autre cas, l’individu participe aux coûts. Sa contribution est exigée, généralement, sous forme de prime ou de cotisation annuelle sans égard aux risques ou à ses besoins individuels ou familiaux. Il défraie également un montant, pour chaque service ou médicament, sous forme de franchise ou coassurance, sujet à une contribution maximale[3]. Les plus démunis sont exempts des coûts.

[9]           Il en résulte que tous sont protégés soit par la RAMQ (régime public) soit par une assurance collective ou un régime d’avantages sociaux (régime privé)[4]. Il n’existe pas d’assurances individuelles en la matière. Ce système permet de partager et répartir les frais et assure une protection minimale à tous. Personne n’est laissé pour compte.

[10]        Pour l’ensemble de la province, c’est le Ministre de la Santé et des Services sociaux qui négocie les prix et modalités des médicaments, fournitures et services pharmaceutiques suivant recommandations de la RAMQ. Les fabricants et grossistes sont accrédités, ce qui permet un certain contrôle des coûts. Le Ministre négocie également avec l’AQPP le montant d’honoraires que peut charger un pharmacien aux patients régis par le régime public[5]. Par contre, dans le régime privé, le pharmacien conserve le droit d’ajouter les honoraires qu’il détermine, librement, au coût des médicaments prescrits ou renouvelés.

[11]        Autrement dit, la personne couverte par la RAMQ paie un prix uniforme, pour ses médicaments, peu importe l’établissement où elle va. Le prix ne peut varier. C’est celui établi.

[12]        À l’inverse, le régime privé concède plus de latitude au professionnel. Il conserve le droit de décider des honoraires qu’il additionne au tarif prescrit pour un médicament. Il y a alors variation possible des prix, d’une pharmacie à l’autre.

            b)         Le paiement

[13]        Dans le passé, les gens bénéficiant d’une assurance collective de médicaments devaient en débourser le prix entier au pharmacien. Ils pouvaient ensuite réclamer le remboursement de la partie couverte à leur assureur en lui envoyant un formulaire et des pièces justificatives à cet effet. On procédait en deux temps.

[14]        Cette façon de faire a évolué au fil du temps. On a mis en place, dans les années 90, un traitement électronique permettant de simplifier le tout. Pour le client, la transaction peut maintenant se faire en une seule étape.

[15]        Seulement 5% des réclamations liées à l’assurance médicaments se font encore de la façon traditionnelle. Pour les autres, un mécanisme de traitement direct permet d’obtenir, sur le champ, confirmation du paiement assumé par l’assureur ou l’administrateur du régime d’avantages sociaux. Le client ne verse que sa part de coassurance ou sa franchise.

[16]        Ces systèmes informatisés, gérés par des intermédiaires appelés Tiers Payants, permettent aux pharmaciens et clients de recevoir confirmation instantanée de la prise en charge du paiement par l’assureur ou l’administrateur de régimes sociaux[6]. Lorsque tel est le cas, le patient ne débourse que la part qui lui incombe. Quant aux Tiers Payants, ils agissent comme intermédiaires pour les assureurs. Ils gèrent le processus d’adjudication des demandes de paiement et en assurent l’exécution auprès des pharmaciens.[7]

[17]        Afin de procéder électroniquement, via des Tiers Payants, les pharmaciens requièrent de leurs clients certaines informations provenant des assureurs soit les données numériques du groupe assuré et celles du numéro de certificat du client. L’identité de l’assureur n’est pas nécessaire. Avec ces données, le pharmacien contacte, de façon électronique, avec le Tiers Payant à qui il envoie les détails d’une vente ou d’un service pharmaceutique en cours de réalisation, sans lui joindre de documents[8]. Ce Tiers Payant représente un ou plusieurs assureurs. Si la demande est acceptée, le client débourse sa franchise ou sa part de la coassurance au pharmacien. Le solde lui sera acheminé ultérieurement par l’assureur via le Tiers Payant.

[18]        Autrefois, on exigeait l’émission d’un reçu et sa remise au client[9]. Par contre, il n’existait aucune obligation de remettre une facture.

[19]        C’est dans le contexte ci-avant résumé qu’intervient l’amendement à l’origine de la présente dispute.

            c)         L’amendement relatif à la facture

[20]        En avril 2016, le Gouvernement du Québec présente le projet de loi no 92, lequel vise à accroître les pouvoirs de la RAMQ et à modifier certaines dispositions législatives. Sanctionnée le 7 décembre 2016, cette loi[10] a notamment pour effet d’amender la LAM et d’introduire une nouvelle disposition, soit l’article 8.1.1. Cette dernière est entrée en vigueur le 15 septembre dernier.

[21]        En résumé, elle introduit l’obligation, pour un pharmacien, de «remettre une facture détaillée à la personne à qui est réclamé le paiement d’un service pharmaceutique […] d’un médicament ou d’une fourniture couvert par le régime général».

[22]        Cette facture doit indiquer, distinctement :

·               les honoraires professionnels du pharmacien pour chaque service rendu;

·               le prix assumé par le régime général pour chaque médicament ou fourniture;

·               la marge bénéficiaire du grossiste;

·               tout autre renseignement déterminé par règlement.

[23]        Le texte précis de cet article 8.1.1 se lit ainsi :

8.1.1     Un pharmacien doit remettre une facture détaillée à la personne à qui est réclamé le paiement d’un service pharmaceutique, sauf lorsqu’il s’agit d’un service pour lequel aucune contribution n’est exigible en vertu du paragraphe 1.4° du premier alinéa de l’article 78, d’un médicament ou d’une fourniture couvert par le régime général. Cette facture doit indiquer, distinctement, les honoraires professionnels du pharmacien pour chaque service rendu, le prix assumé par le régime général pour chaque médicament ou fourniture qu’il fournit, ainsi que la marge bénéficiaire du grossiste, le cas échéant.

Cette facture doit également faire mention de tout autre renseignement que le gouvernement détermine par règlement, selon que la couverture d’assurance est assumée par la Régie ou par une assurance collective ou un régime d’avantages sociaux.

Un grossiste reconnu doit remettre au pharmacien auquel il vend un médicament ou une fourniture couvert par le régime général une facture détaillée indiquant distinctement le prix de ce médicament ou de cette fourniture ainsi que sa marge bénéficiaire.

[24]        La LAM prévoit de plus que le pharmacien qui contrevient à cet article commet une infraction et est passible d’une amende variant entre 2 500 $ et 25 000 $[11]. Il en est de même du grossiste.

[25]        Mentionnons, par ailleurs, le texte de l’article 42.2.1 de la LAM, adopté au même moment, qui stipule que : «Nul contrat d’assurance collective ou régime d’avantages sociaux ne peut restreindre la liberté du bénéficiaire de choisir son pharmacien».

[26]        Voilà donc, brièvement synthétisé, le contexte entourant le litige soumis au Tribunal.

3.-     LA QUESTION EN LITIGE

[27]        On ne s’entend pas sur l’étendue de l’obligation du pharmacien en lien avec la remise de la facture. Selon l’AQPP, elle se limite aux personnes physiques se procurant les services pharmaceutiques, médicaments ou fournitures, à l’exclusion des assureurs qui sont appelés à contribuer financièrement.

[28]        La RAMQ et la PGQ s’y opposent. D’après elles, dans le cadre du régime privé, les assureurs appelés à payer doivent, eux aussi, recevoir copie de la facture.

[29]        Notons que la question ne se pose pas lorsqu’il s’agit du régime public. En effet, un règlement prévoyait déjà l’obligation du pharmacien de transmettre à la RAMQ, lors d’une demande de paiement, diverses informations incluant le prix du médicament et celui des honoraires professionnels chargés par le pharmacien[12]. Dans un tel cas, le montant des honoraires est plafonné et ne peut excéder le tarif établi.

[30]        C’est donc au niveau du régime privé que se situe le présent débat.

4.-     LA PREUVE

[31]        Considérant la nature juridique, plutôt que factuelle, de la présente affaire, la preuve se limite à quelques pièces, deux déclarations assermentées et le dépôt d’une entente conjointe sur les faits signée par tous. On ne soulève donc pas d’éléments de preuve contradictoires.

[32]        Afin de compléter le contexte qu’il a ci-avant exposé, le Tribunal estime approprié de reproduire intégralement l’exposé commun des faits. Le voici.

 

ENTENTE CONJOINTE SUR LES FAITS

 

Les parties conviennent conjointement des faits suivants :

1.-   Voici la liste des différents acteurs qui interviennent dans le processus de remboursement à l'égard des personnes assurées par un régime privé :

a)  Les personnes physiques («Personnes assurées») qui se procurent les services pharmaceutiques, des médicaments et/ou des fournitures (les « Services pharmaceutiques»);

b)  Les pharmaciens qui fournissent les Services pharmaceutiques;

c)  Les assureurs et administrateurs de régimes d'avantages sociaux (les «Assureurs privés») qui offrent aux Personnes assurées une couverture en assurance médicaments; et

d)  Les Tiers payants qui, notamment, adjudiquent les Demandes de paiement pour le compte des Assureurs privés et, en cas de couverture, paient les réclamations assurées directement aux pharmaciens, le cas échéant (les «Tiers payants»), tel qu'il appert plus amplement d'un modèle d’entente conclue entre un Tiers payant et l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (l’«AQPP») (y compris son article 3), dont copie est communiquée comme pièce P-16. Toutes les ententes conclues entre l’AQPP et les Tiers payants qui sont actuellement en vigueur sont identiques.

2.-   5,2 millions de québécois détiennent une assurance collective avec une couverture d'assurance maladie complémentaire qui inclut obligatoirement l’assurance médicaments.

3.-   En 2016, les Assureurs privés ont remboursé 2,5 milliards à titre de réclamations médicaments, pour un total, en tenant compte de la coassurance payée par les participants, de 3,1 milliards de dollars payés par le volet privé du régime général d’assurance médicaments.

4.-   Dans le passé, une Personne assurée par un régime d’assurance collective qui se procurait des Services pharmaceutiques devait défrayer le montant en entier auprès du pharmacien, remplir un formulaire de demande de remboursement et l'acheminer à l'Assureur privé qui lui remboursait alors le montant assumé par celui-ci.

5.-   Actuellement, seulement 5% des réclamations liées à l'assurance médicaments se font encore par voie de formulaire papier de demande de remboursement.

6.-   Les autres réclamations transitent entre les Personnes assurées et les Assureurs privés par le biais d'intermédiaires, les pharmaciens et les Tiers payants.

7.-   En matière de paiement direct, ce sont les Tiers payants qui paient directement les produits et les Services pharmaceutiques couverts dans le cadre d'un régime administré par le Tiers payant et dispensés à une Personne assurée par le pharmacien (les Tiers payants sont subséquemment remboursés par les Assureurs privés), de sorte que la Personne assurée ne débourse aucun montant lors de sa visite à la pharmacie, mis à part la franchise ou la coassurance, le cas échéant.

8.-   À l'heure actuelle, la mise sur pied d'un site d'information sur les prix en pharmacie au bénéfice des Personnes assurées (tel que la Pièce P-18) nécessite un travail de recoupement de données important et tous les Assureurs privés n'ont pas ou ne veulent pas consacrer les ressources nécessaires à un tel projet.

9.-   Les Assureurs privés sont liés aux Tiers payants par des contrats distincts de ceux conclus entre les Assureurs privés et les Personnes assurées, entre les pharmaciens et les Personnes assurées et entre l'AQPP et les Tiers payants.

10.- Un même Tiers payant peut agir exclusivement pour le compte d'un ou de plusieurs Assureurs privés et les Tiers payants n'ont aucune relation contractuelle avec les Personnes assurées.

11.- Les pharmaciens n'ont généralement pas de communication avec les Assureurs privés et ils ne connaissent pas davantage l'identité de l'Assureur privé qui assure une Personne assurée en particulier.

12.- Le processus transactionnel typique entre les pharmaciens et les Personnes assurées par un Assureur privé va comme suit :

a)  Ouverture du dossier : à cette première étape non récurrente, la Personne assurée présente notamment au pharmacien les informations fournies par son Assureur privé. Le pharmacien entre ensuite les données numériques liées au «groupe» et au «numéro de certificat» fournies par la Personne assurée dans le Système informatique du Pharmacien (tel que défini à la pièce P-16). Aucune autre information, incluant l’identité de l’Assureur privé qui assure la Personne assurée, n’apparaît dans le Système informatique du Pharmacien;

b)  Transactions : le pharmacien fournit les Services pharmaceutiques à la Personne assurée et communique directement les Demandes de paiement au Tiers payant, de façon électronique. Le Tiers payant valide en temps réel cette Demande de paiement, tel qu'il appert de la pièce P- 16. Ensuite, le pharmacien obtient, en lieu des Personnes assurées, le remboursement des Services pharmaceutiques assurés (déduction faite de toute franchise ou coassurance, le cas échéant, lesquels sont assumés par la Personne assurée). Le pharmacien ne transmet donc pas de fichier au Tiers payant (y compris une copie de la facture), puisque la Demande de paiement n'est constituée que de données, tel qu'il appert de la pièce P-16; et

c)  Pouvoirs d'audit des Tiers payants : tel qu’il appert de la pièce P-16, les Tiers payants détiennent un droit contractuel de procéder à un audit en pharmacie (article 11) et à un audit de prix (article 12) afin de vérifier et valider la conformité du processus de paiement en général et des Demandes de paiement en particulier.

13.- Pour l’instant, les systèmes informatiques mis en place par les pharmaciens et les Tiers payants ne permettent pas la circulation de documents mais bien de données. Ainsi, jusqu'au 15 septembre 2017, les Tiers payants ne recevaient pas un reçu identique à celui de la Personne assurée mais bien seulement des données relatives à la Personnes assurée, au médicament et à l'exécution de l’ordonnance, y compris le montant du Service pharmaceutique assuré (donc duquel toute franchise ou coassurance seront par la suite déduites par le Tiers payant, le cas échéant).

14.- Ces systèmes ne permettent pas la transmission de fichiers (comme une facture). Ils devront donc être modifiés aux frais des pharmaciens afin de permettre la transmission de fichiers aux Tiers payants (et non aux Assureurs privés) si l'interprétation de la Régie est retenue par le Tribunal.

15.- L’objet du litige introduit par la Demande de jugement déclaratoire ne vise pas certains types de transaction pour lesquels il est admis que la facture détaillée ne doit être remise qu'à la Personne assurée seulement, soit lorsque celle-ci :

a)  choisit de ne pas réclamer le remboursement auquel elle aurait droit auprès de son Assureur privé, mais choisit plutôt de payer elle-même les frais reliés aux Services pharmaceutiques; et

b)  choisit de procéder à une «réclamation manuelle», c'est-à-dire lorsqu'elle paie entièrement les frais reliés aux Services pharmaceutiques au pharmacien, puis entreprend ensuite elle-même les démarches pour obtenir un remboursement auprès de son Assureur privé, le tout sans requérir d'intervention de la part du pharmacien.

16.- Il est entendu que les Demandeurs se réservent le droit et vont plaider qu'à ces situations s'ajoutent, outre la procédure de «paiement direct», les types de transaction où la Personne assurée choisit la procédure de «paiement différé», c'est-à-dire lorsqu'elle paie entièrement les frais reliés aux Services pharmaceutiques au pharmacien et consent à ce que le pharmacien transmette électroniquement les renseignements au Tiers payant, pour que la Personne assurée obtienne finalement et directement de l’Assureur privé le remboursement demandé.

17.- Les Tiers payants listés à la pièce P-17 pour lesquels apparaît la mention «eux- mêmes» sont tous des gestionnaires adjudicataires de Demandes de paiement qui agissent pour le compte de groupes d'assurés autogérés (par exemple, pour l’Association des policiers provinciaux du Québec dans le cas de SEGIC ou pour les Débardeurs du Port de Montréal dans le cas de Médic A.S. Solutions inc.), en leur offrant l'infrastructure technologique requise pour permettre le «paiement direct».

5.-     LES PROCÉDURES

[33]        Avec l’accord et la collaboration de tous, cette affaire a progressé rondement. L’entrée en vigueur du règlement, à la mi-septembre, imposait une mise en état rapide du dossier. Ce qui a été fait.

[34]        Désigné le 6 septembre 2017 pour gérer cette instance de façon particulière, le soussigné a convoqué les parties à une séance de gestion le 15 septembre suivant. Tous ont alors convenu d’un échéancier serré en vue d’une audition pour la fin novembre.

[35]        Le 29 septembre, l’AQPP déposait une demande modifiée. Le 13 octobre, les défenses étaient produites. Le 10 novembre, une nouvelle séance de gestion établissait les balises de l’audition qui a eu subséquemment lieu les 28 et 29 novembre derniers. L’affaire était alors prise en délibéré.

6.-     L’ANALYSE

            a)         Considérations générales

[36]        La difficulté à résoudre s’avère simple à identifier. Il s’agit d’un exercice d’interprétation concernant un article précis d’une loi. La réponse à y donner se veut plus problématique. D’autant plus qu’un joueur important, l’industrie de l’assurance, n’est pas impliqué dans le processus judiciaire.

[37]        Or, il appert, lorsqu’on gratte l’affaire, que celle-ci oppose, notamment, deux groupes d’intérêts privés soit le lobby des pharmaciens et celui des assureurs. C’est ce qui se dégage, en arrière-scène, du dossier.

[38]        Mais revenons à la tâche qui incombe au Tribunal, soit celle de déterminer la portée de l’article 8.1.1.

[39]        Les trois parties au dossier s’accordent sur l’approche à utiliser. Il faut appliquer les règles d’interprétation moderne, lesquelles consistent à lire les termes de la loi dans leur contexte global, selon le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec son esprit, son objet et l’intention exprimée par le législateur.

[40]        Autrement dit, il faut considérer ce qui est écrit, l’objectif recherché et l’intention manifestée par celui qui adopte le texte. Tout cela doit se faire de manière globale de façon à rechercher le sens réel et voulu plutôt que de s’arrêter à une analyse technique. Il ne suffit pas de regarder le texte, même s’il semble clair[13]. Il importe d’en soupeser le contexte[14].

[41]        C’est ce qui ressort du passage suivant puisé de l’arrêt Montréal c. 2952-1366 Québec inc.[15] de la Cour suprême du Canada :

[9]         Comme notre Cour l’a maintes fois répété : «Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur» […] Cela signifie que, comme on le reconnaît dans Rizzo & Rizzo Shoes, «l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi».

[42]        Cela est d’ailleurs conforme au principe énoncé à l’article 41 de la Loi d’interprétation québécoise[16] :

41.        Toute disposition d’une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d’imposer des obligations ou de favoriser l’exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.

Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.

[43]        Ce n’est que si une ambiguïté subsiste, au terme de cette démarche, que l’on peut recourir à des règles alternatives ou subsidiaires telle que celle de l’interprétation restrictive d’une disposition comportant un aspect pénal. C’est ce qu’enseigne le professeur P.A. Côté dans son volume Interprétation des Lois[17], fréquemment cité :

1697.    Les lois pénales, c’est-à-dire celles qui prévoient des infractions et des peines, s’interprètent restrictivement. On veut dire par là que si, dans la détermination de leur sens ou de leur portée, il surgit une difficulté réelle, une difficulté que le recours aux règles ordinaires d’interprétation ne permet pas de surmonter d’une façon satisfaisante, alors on est justifié de préférer l’interprétation la plus favorable à celui qui serait susceptible d’être trouvé coupable d’infraction.

            b)         Le sens ordinaire et grammatical du texte

[44]        Il convient de s’attarder d’abord à la compréhension qui découle de la lecture de l’article 8.1.1. Les deux derniers paragraphes ne sont pas problématiques. On y décrit ce que doit indiquer la facture et on exige du grossiste qu’il remette une facture détaillée au pharmacien à qui il vend un médicament ou une fourniture.

[45]        Qu’en est-il du premier paragraphe? Sauf pour une exception non ici en cause, «un pharmacien doit remettre une facture détaillée à la personne à qui est réclamé le paiement d’un service pharmaceutique, d’un médicament ou d’une fourniture couvert par le régime général».

[46]        L’AQPP plaide que le pharmacien n’a d’obligation qu’envers une seule personne soit celle qui se présente à la pharmacie. Il ne peut donc avoir d’engagement envers une personne morale. Cela découle, d’après elle, de l’utilisation du singulier «une personne» et de l’action de «remettre», laquelle implique la mise en possession de quelque chose. Elle ajoute que toute obligation à l’égard d’un assureur devrait être prévue de façon spécifique.

[47]        Le Tribunal ne souscrit pas à cette lecture de la disposition. D’une part, l’utilisation du singulier n’exclut pas que l’obligation vaille envers plusieurs personnes. L’article 54 de la Loi d’interprétation québécoise le prévoit spécifiquement :

54.        Le nombre singulier s’étend à plusieurs personnes ou à plusieurs choses de même espèce, chaque fois que le contexte se prête à cette extension. […][18]

[48]        Cette règle d’interprétation est fort compréhensible et vise à éviter d’alourdir le texte, souvent indigeste, des lois.

[49]        Ici, le contexte se prête à cette extension sans difficultés. C’est l’inverse qui surprendrait. Prenons l’exemple de deux parents qui se partagent les coûts d’un médicament pour leur enfant dont ils ont la garde partagée. Chacun paie sa moitié. Doit-on comprendre qu’un seul a droit à une facture? Si oui, lequel? Celui qui se rend sur place? Mais alors, que faire si les deux se présentent au comptoir? Il est évident que l’obligation ne peut être limitée à une seule personne.

[50]        C’est la même chose pour la référence au mot «personne». L’article 61 de la Loi d’interprétation québécoise stipule que :

61.        Dans toute loi, à moins qu’il n’existe des dispositions particulières à ce contraire:

                         […]

                         16°  le mot «personne» comprend les personnes physiques ou morales, leurs héritiers ou représentants légaux, à moins que la loi ou les circonstances particulières du cas ne s’y opposent;[19]

[51]        Qu’est-ce qui empêche de «remettre» une facture à une personne morale? Lorsque quelqu’un fait une remise de taxes à un corps public, il transige avec une personne morale. Il n’y a là rien d’incongru.

[52]        En l’espèce, les circonstances se prêtent à l’inclusion énoncée à la Loi d’interprétation plutôt qu’à restreindre le sens du mot «personne» à un individu. Si on visait uniquement une personne physique, on aurait plutôt référé à la «personne admissible» comme on le fait à plusieurs endroits dans la loi[20].

[53]        D’autre part, le mot «remettre» n’exige pas nécessairement, aux yeux du soussigné, la présence physique du destinataire. Tout comme pour un paiement ou un avis de non-renouvellement, on peut procéder de manière électronique. «Remettre» a plutôt le sens de «transmettre». D’ailleurs, si on exige que le destinataire soit sur place, que faire dans le cas de clients alités ou incapables de se déplacer? Le Tribunal voit mal pourquoi la remise de la facture ne pourrait se faire par courrier, courriel ou intermédiaire. Il n’est pas requis qu’elle se fasse en présence du destinataire.

[54]        En définitive, l’article 8.1.1 ne semble pas limiter, à sa face même, l’obligation de remise à une seule personne dont on requiert la présence à la pharmacie. Ce devoir peut s’étendre à plus d’un, incluant une personne morale. On aurait pu l’écrire de manière plus expresse en référant nommément aux assureurs mais cela n’est pas requis. La formulation choisie conduit au même résultat.

[55]        Par ailleurs, l’AQPP soulève que, lors d’une transaction, le paiement est réclamé, en totalité, à une seule personne, soit le client qui se procure le médicament ou le service. Le pharmacien accepte de traiter la demande de réclamation de ce client à son assureur mais le fait en son nom. Aucun contrat n’existe entre l’assureur et le pharmacien et il s’agit de deux opérations distinctes.

[56]        Il est vrai que le contrat d’assurance intervient entre l’assureur et le client et que le pharmacien n’y est pas partie. Mais la relation est moins claire lorsqu’intervient un paiement par le procédé électronique utilisé par les pharmaciens. Il serait intéressant de voir comment réagiraient les pharmaciens advenant que le paiement promis par le Tiers Payant, à titre d’agent de l’assureur, ne soit pas satisfait dans les jours suivants l’autorisation. Advenant faillite de l’assureur (ou du Tiers Payant) et que le paiement ne se rende pas, le pharmacien pourrait-il valablement se retourner contre son client? Cela serait discutable. Ce client dirait sans doute qu’il a payé sa part et qu’il n’est pas responsable de celle de l’assureur. D’autant plus que le pharmacien lui a confirmé l’acceptation de ce dernier, via le Tiers Payant, de procéder au paiement. L’assureur devient donc une personne à qui est réclamé le paiement.

[57]        Une telle interprétation est d’ailleurs en ligne avec la façon dont est érigé le régime général. Plusieurs intervenants payeurs sont identifiés et peuvent avoir à payer pour un même service pharmaceutique. Il y a la RAMQ, l’acheteur de médicaments, les assureurs privés et les administrateurs de régimes sociaux[21]. L’AQPP et ses membres n’ignorent pas cela lorsqu’ils mettent en place et participent à un mécanisme de transactions électroniques par l’entremise des Tiers Payants[22]. Nul doute que le client considère alors qu’il paie une partie de la facture au pharmacien et que son assureur en paie l’autre partie.

[58]        Si le pharmacien ne veut pas remettre plus d’une facture, il peut évidemment exiger plein paiement de son client assuré et lui dire de se faire rembourser par l’assureur. Cette liberté existe même si elle complique les choses et risque de déplaire à ce même client.

[59]        Récapitulons cette section en concluant que le sens ordinaire et grammatical des mots utilisés à l’article 8.1.1 ne supporte pas la position de la demanderesse. Mais cela ne suffit pas pour disposer de la demande. Il faut s’intéresser à l’objet de la loi et à l’intention de son auteur.

            c)         L’objet et l’esprit de la loi

[60]        L’objet visé par la Loi sur l’assurance médicaments est exprimé à son article 2 :

2.          Le régime général a pour objet d’assurer à l’ensemble de la population du Québec un accès raisonnable et équitable aux médicaments requis par l’état de santé des personnes.

À cette fin, il prévoit une protection de base à l’égard du coût de services pharmaceutiques et de médicaments et exige des personnes ou des familles qui en bénéficient une participation financière tenant compte notamment de leur situation économique.

[61]        C’est une législation d’ordre public[23], à caractère social[24], qui vise à assurer aux Québécois un accès raisonnable et équitable aux médicaments que requiert leur état de santé. On met en commun les ressources et on s’assure que les individus et les familles profitent d’une protection de base offerte soit par la RAMQ ou par des assureurs privés.

[62]        Pour ce qui est du nouvel article 8.1.1, tous s’entendent sur ce qu’il poursuit comme but, soit une plus grande transparence. On désire que les payeurs soient informés du coût des médicaments et des services de sorte qu’ils puissent magasiner les prix si tel est leur désir. Une telle concurrence favorise généralement un contrôle des coûts, ce qui ne peut qu’être bénéfique pour tous et favoriser la viabilité du régime.

[63]        Or, pour comparer les coûts, encore faut-il connaître les honoraires chargés. Jusqu’aux récents amendements, ces honoraires n’étaient pas communiqués de façon obligatoire. Cela ne créait pas de problèmes pour le régime public puisqu’ils étaient et demeurent les mêmes partout, sauf pour une exception spécifique prévue à l’entente  P-15. Cependant, ce n’était pas le cas pour le régime privé. Les frais variaient d’une pharmacie à l’autre pour l’exécution ou le renouvellement des ordonnances. De tels écarts existent encore et ne sont pas interdits.

[64]        On rend maintenant obligatoire la divulgation des honoraires, sur la facture, ce qui favorise la concurrence et peut contribuer à alléger le fardeau des payeurs. Cet objectif milite en faveur de l’interprétation des défenderesses plutôt que celle, restrictive, de la demanderesse.

[65]        En effet, si les assureurs, joueurs clés du régime général, obtiennent copie des factures, ils pourront faire des listes de prix, des comparateurs, et en informer leurs assurés. Ceux-ci disposeront alors d’un meilleur éclairage en ce qui concerne les prix. Le Tribunal reconnaît que le choix d’un pharmacien peut reposer sur d’autres facteurs tels la relation avec le professionnel ou la localisation de l’établissement. Toutefois, pour plusieurs, l’aspect monétaire compte et peut faire la différence.

[66]        L’AQPP rétorque que cet exercice se fait déjà et que les assureurs n’ont qu’à demander copie des factures à leurs assurés. Si la chose est possible, elle s’avère certes plus complexe et ne permet pas d’obtenir des données aussi complètes. L’exercice de triangulation devient maintenant plus facile, pour les assureurs, et cela ne peut que profiter à tous les contribuables. On s’éloigne de l’objectif de concurrence si on statue que seul le citoyen peut transmettre la facture à l’assureur. D’autant plus que 95% des transactions se règlent de façon instantanée sans que l’assuré envoie une formule papier à son assureur.

[67]        Bref, la transparence recherchée a plus de chances d’être atteinte si on élargit les destinataires de factures plutôt que de les restreindre. La remise de factures aux assureurs payeurs est certainement plus compatible avec la finalité de la loi et ne peut qu’être qu’avantageuse pour les citoyens.

[68]        Contrairement à ce qu’affirme l’AQPP, la RAMQ ne privilégie par les assureurs au détriment des pharmaciens. Ce n’est pas à ce niveau que se situe le problème à trancher. On veut donner préséance à une interprétation favorable aux citoyens appelés à se procurer des médicaments. Cela les avantage tant individuellement que collectivement. Plus le régime est efficace, plus il atteint son but et assure sa survie. Au contraire, s’il devient trop dispendieux, il risque de s’effondrer.

[69]        L’esprit et l’objet de la loi s’accordent nettement mieux avec l’interprétation des défenderesses que celle de la demanderesse.

            d)         L’intention du législateur

[70]        Il est reconnu que la révision des débats parlementaires, sans être décisive[25], constitue une source pertinente à considérer lorsque vient le temps d’interpréter un texte législatif.

[71]        Dans Re Canada 3000 inc.[26], la Cour suprême canadienne écrit à ce sujet :

                         Bien que sa valeur probante soit restreinte, la transcription des débats parlementaires peut servir à déterminer le contexte et l’objet d’un texte légilatif; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 35; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, p. 484. En l’espèce, elle confirme l’intention évidente du législateur d’exclure la responsabilité personnelle des propriétaires en titre à l’égard des redevances pour la navigation aérienne. L’historique législatif et la LCSNAC elle-même montrent clairement que le législateur ne voulait pas que cette Loi remplace ou écarte le cadre réglementaire en place mais plutôt qu’elle s’y insère de façon cohérente.

[72]        Le poids à accorder à ces débats dépend de divers éléments dont il est question ci-après :

De façon générale, il est proposé que le poids accordé aux débats parlementaires devrait être évalué selon : a) la fiabilité de la source d’information; b) la contemporanéité avec la procédure législative en soi; c) la proximité avec la fin du processus législatif; et d) le contexte dans lequel se l’information. […]

Il s’ensuit que les discours du ministre responsable d’un projet de loi à la Chambre des communes se verront donner plus de poids que la déclaration d’un parlementaire d’arrière-banc durant la période de questions.[27]

[73]        Or, ici, l’intention derrière la modification ne laisse guère de doutes à la lecture des débats qui se sont tenus dans le cadre de l’adoption de l’amendement[28].

[74]        D’abord, l’objectif de transparence, d’ouverture à la concurrence et de contrôle de prix apparaît de ces extraits du ministre de la Santé et Services sociaux lors de l’étude du projet de loi no 92 :

                         Alors, c’est un article qui traite de deux objets. En fait, qui est le même thème, qui est celui de la facture qui devra éventuellement être produite lorsqu’il y a la vente d’un produit, incluant les médicaments. Et c’est un article…un amendement qui fait référence et qui répond aux doléances qui ont été exprimées, particulièrement par les gens de l’industrie, incluant les gens du monde de l’assurance, qui ont eu, dans les dernières années, et ça a été confirmé et amené par l’AQPP, l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires, qui ont eu à faire face à des montées substantielles de prix suite à la mise ne place, il y a quelques années, de plafonds de ristournes. Les pharmaciens, par leurs différents représentants et leurs différentes organisations dont ils sont membres nous ont indiqué et ont amené à plusieurs reprises, que, lorsqu’il y avait eu un plafonnement, bien les gens se reviraient de bord et c’était repris sur les assureurs privés. Les assureurs privés, ça inclut évidemment les entreprises. La conséquence de ça est évidemment l’absence de concurrence et un coût qui devient lourd pour le secteur privé et particulièrement pour les employeurs. Alors, l’idée ici est de faire en sorte qu’il y ait une transparence maximale face aux payeurs pour que le principe fondamental et sain de la concurrence s’exerce. Et, pour qu’il y ait concurrence, il faut une transparence de la facture.

Un dernier commentaire, M. le Président. Des gens ont dit que…ont critiqué, d’ailleurs. On l’a vu dans les médias ce matin…que ce serait le seul endroit où on allait faire ça. Bien peut-être, mais ce n’est pas le seul endroit où les factures sont détaillées. C’est vrai qu’on va…là où on va dans le projet de loi…mais je pense qu’à partir du moment où on est dans un régime public, on a le devoir, nous, comme gouvernement, de s’assurer que la concurrence soit, lorsqu’elle s’applique…soit existante. Et, pour y parvenir, bien c’est le chemin à prendre, d’où cet amendement qui, encore une fois, répond à une demande spécifique du monde de l’assurance et du monde de l’entreprise. Et je pense que ces gens-là ont fait part d’un argumentaire qui était tout à fait recevable. Voilà.[29]

[…]       Nous, dans le médicament, imposons par loi l’obligation d’avoir une assurance médicaments. Ça, c’est une grosse, grosse, grosse différence du commerce. À la question : Pourquoi, nous autres, dans le commerce, il y a juste nous autres? Bien, c’est parce que ce n’est pas un libre marché parce qu’on impose, on impose aux gens, on leur impose d’avoir une assurance médicaments, soit par le biais du système public, soit par la loi, mais par un véhicule qui est privé. On impose une dépense aux citoyens. Bien, il me semble que, comme législateurs, on a la responsabilité de donner toutes les chances aux consommateurs, à qui on impose une dépense, d’avoir le meilleur prix possible, d’où la transparence.[30]

(Le Tribunal a souligné)

[75]        Ensuite, les discussions des parlementaires laissent comprendre que les factures devront être transmises aux assureurs appelés à en payer une partie :

M. Barrette :     Alors il prend ses informations…et d’ailleurs je vous rappellerai, M. le Président, que, lors des consultations publiques, les assureurs se sont…j’avais posé des questions à cet égard-là, pas à cet égard-là précis pour ce qui est de l’angle de notre collègue, mais sur le fait que les assureurs avaient la possibilité de faire cette triangulation-là en regardant les factures. Et ils le font actuellement, mais ils n’ont pas l’information précise. Là, ce que l’amendement fait, c’est que l’information devient transparente et l’assureur, manifestement, va faire ici à mon avis ce qui se fait ailleurs au Canada, c’est-à-dire informer sa clientèle des variations de prix dans son quartier, par exemple, sans donner l’obligation, parce que l’obligation n’est légalement pas possible.[31]

(Le Tribunal a souligné)

[76]        On constate que, ce qui irritait l’opposition, ce n’est pas que la facture puisse être envoyée à l’assureur. C’est plutôt que cet assureur puisse imposer le choix d’une pharmacie, moins coûteuse, à son assuré.

M. Paradis (Lévis) : […] Est-ce qu’on doit comprendre que les compagnies d’assurance pourraient obliger des assurés à se procurer des médicaments dans des pharmacies qui vendent moins cher? Parce qu’un assureur qui a aussi cette information-là pourrait dire : Écoutez, nous, là on considère que vous devrez aller à celle-ci parce que, manifestement, au chapitre du remboursement des primes, on préfère que vous magasiniez à cet endroit, et là il y a une notion de choix qui est quand même importante.[32]

(Le Tribunal a souligné)

[77]        Le député Marceau expose expressément cette crainte :

                         Non, je…sans…que le ministre exprime, dans le micro, l’intention que nous avons tous ici. Et cette intention, c’est de faire en sorte que la possibilité de facture et puis d’information ne permette pas à des assureurs de limiter le choix des assurés, des bénéficiaires, et c’est parfait comme ça[33].

[78]        Or, la loi amendée règle spécifiquement cette crainte par l’adoption de l’article 42.2.1, qualifié d’anti-dirigisme, qui se lit :

42.2.1   Nul contrat d’assurance collective au régime d’avantages sociaux ne peut restreindre la liberté du bénéficiaire de choisir son pharmacien.

[79]        Ce nouvel article confirme l’intention du législateur de forcer la transmission d’une facture détaillée à l’assureur qui en assume le paiement en bout de ligne. On permet ainsi aux assureurs privés d’effectuer un exercice de comparaison auquel un citoyen peut difficilement se livrer. Par contre, on énonce le principe de libre-choix de son pharmacien.

            e)         La légalité de l’interprétation des défendeurs

[80]        En outre de soutenir que son interprétation est la bonne, l’AQPP plaide que celle des défendeurs est illégale. Cette position repose sur le fait que toute éventuelle publicité des prix, par exemple sous forme de tableaux comparateurs dans un territoire donné, enfreindrait le Code de déontologie des pharmaciens[34] compte tenu que ce code interdit toute forme de publicité des honoraires :

95.        Le pharmacien doit s’abstenir de faire ou permettre que soit faite en son nom, par quelque moyen que ce soit, une publicité portant sur un médicament visé à l’une des annexes I, II et IV du Règlement sur les conditions et modalités de vente des médicaments (chapitre P-10, r. 12)

[…]

97.        Malgré l’article 95, le pharmacien peut, à l’intérieur de sa pharmacie, indiquer sur une affiche le prix exigé lors de la vente d’une quantité déterminée d’un médicament visé à l’annexe I du Règlement sur les conditions et modalités de vente des médicaments (chapitre P-10, r. 12), à condition que ce prix indique le montant des honoraires exigibles.

101.      Le pharmacien ne doit pas permettre qu’une entreprise commerciale l’identifie comme tel dans une publicité à des fins commerciales destinées au public.

[81]        Selon l’AQPP, les articles 95, 97 et 101, ci-haut cités, interdisent à quiconque de faire, par quelque moyen que ce soit, et à l’extérieur de la pharmacie, de la publicité portant sur le prix des médicaments, y compris le montant des honoraires des pharmaciens. Ceux-ci ne peuvent donc permettre aux assureurs privés, explicitement, tacitement ou par omission, de publiciser le prix de leurs médicaments ou honoraires.

[82]        Or, tels comparateurs existent déjà[35] et personne n’a attaqué leur légalité, à ce jour. Deuxièmement, l’article 8.1.1 ne peut certainement pas imposer une obligation au pharmacien tout en le rendant coupable d’une infraction disciplinaire. Telle prétention ne tient pas la route. Il est évident que le pharmacien qui remet une facture à un assureur appelé à en payer une partie n’enfreint pas les articles ci-haut reproduits du Code de déontologie. Troisièmement, la remise d’une facture à l’assureur ou à l’assuré permet de connaître le prix des services, ce qui est bien légitime. Il ne s’agit pas, pour le pharmacien, de participer à de la publicité. Quatrièmement, le Tribunal voit mal ce qui empêcherait un tiers, journaliste par exemple, de publier un article sur les honoraires réclamés par des pharmaciens dans un secteur quelconque. Cela ne semble avoir rien d’illégal dans la mesure où les informations soient exactes. Si cela est vrai pour un journaliste, qu’est-ce qui empêche un citoyen ou un assureur d’en faire autant?

[83]        Cet argument de l’AQPP ne convainc pas.

            f)         Autres éléments

[84]        La présente section répond succinctement à quatre éléments additionnels soulevés par l’AQPP au soutien de sa position.

[85]        Premièrement, le fait que le Règlement sur les formules et relevés d’honoraires[36] impose déjà une obligation de transmission d’information à la RAMQ[37], de façon spécifique, n’écarte nullement l’interprétation faite par les défenderesses. Le nouvel article 8.1.1 ne fait qu’élargir l’étendue de ce qui doit être transmis (une facture) et de son ou ses destinataires.

[86]        Deuxièmement, l’imposition d’un fardeau administratif et financier additionnel aux pharmaciens[38] (notamment celui d’acquérir ou mettre en place un système permettant d’envoyer la facture et non de simples données) ne peut servir à déterminer, de façon concluante, le sens à donner à la nouvelle disposition. Il est fréquent qu’une loi nouvelle entraîne des conséquences financières aux gens à qui elle s’adresse, surtout en matière d’intérêt public. Au surplus, le pharmacien n’est pas obligé d’envoyer la facture à l’assureur s’il exige paiement entier de son assuré. La décision lui revient.

[87]        Troisièmement, le fait que l’on facilite le travail de comparaison des prix pour l’assureur et que l’on crée des frais pour le pharmacien ne changent rien. Le législateur ne privilégie ni l’un ni l’autre. Il vise à améliorer le régime mis en place, à mieux en contrôler les coûts et à favoriser le citoyen.

[88]        Enfin, le principe d’interprétation restrictive, vu les pénalités prévues, ne vaut pas en l’instance puisque le Tribunal ne constate aucune ambigüité à la conclusion de l’exercice d’interprétation ci-avant expliqué. L’AQPP peut s’opposer au choix législatif. Elle n’a pas à être d’accord. Cependant, cela ne suffit pas à justifier une interprétation contraire au texte, à son objet et à l’intention de son auteur.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[89]        REJETTE la demande en jugement déclaratoire modifiée et les conclusions déclaratoires recherchées;

[90]        AVEC LES FRAIS DE JUSTICE.

 

__________________________________

DANIEL DUMAIS, J.C.S.

 

Me Jean-Philippe Groleau

Me Léon Moubayed

Davies Ward Phillips & Vineberg

1501, avenue McGill College

26e étage

Montréal (Québec) H3A 3N9

 

Procureurs pour l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires

 

Me Claudia Lalancette

Me Hugo Poirier

Rousseau Vaillancourt

1125, Grande Allée, 8e étage

Québec (Québec) G1S 1E7

 

Procureure pour la Régie de l’assurance maladie du Québec

 

Me Marie-Andrée Garneau

Me Caroline Martin

Lavoie Rousseau

Casier 134

 

Procureures pour La Procureure générale du Québec

 

Dates d’audience :

28 et 29 novembre 2017

 



[1]     RLRQ, chapitre A-29.01.

[2]     Id., art. 2.

[3]     Id., art. 10 et 11.

[4]     Id., art. 4.

[5]     Voir la pièce P-15.

[6]     Afin d’alléger le texte, ces administrateurs de régimes sociaux seront ci-après considérés comme des assureurs, même s’ils n’en sont pas.

[7]     Voir la déclaration assermentée de Me Marie-Josée Crête, par. 7 et 13.

[8]     Voir la pièce P-16 soit le modèle de l’entente entre l’AQPP et un Tiers Payant.

[9]     Voir Règlement sur le régime général d’assurance médicaments, chapitre A-29.01, r-4, art. 14.

      Voir également l’article 4.11 de l’entente P-16 qui lie l’AQPP aux Tiers Payants.

[10]    LQ 2016, c.28.

[11]    Voir l’art. 80.5 de la LAM.

[12]    Règlement sur les formules et les relevés d’honoraires relatifs à la Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, C. A-29, r-7, art. 9. Ce règlement est toujours en vigueur.

[13]    Pharmascience inc. c. Binet, 2006 CSC 48, par. 32.

[14]    Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42, par. 55.

[15]    2005 CSC 62, par. 9. Voir aussi Rizzo and Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 R.C.C. 27, par. 21.

      Bell Expressvu c. Rex, 2002 CSC 42, par 26-27.

[16]    RLRQ, chapitre R-1-16.

[17]    4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009. Voir aussi Bell Expressvu, préc., note 15 par. 28;

      R. c. Jaw 2009 CSC 42, par. 38.

[18]    Préc., note 16, art. 54.

[19]    Id., art. 61.

[20]    Par exemple, aux articles 5.1, 10 et 34. Le Tribunal reconnaît, par ailleurs, que l’on écrit le mot «personne» aux articles 2, 8, 8.1, 11, 13, 14 et 15 quoiqu’on y vise uniquement la personne admissible. Cependant, cela ne pose pas de problème aux fins de compréhension de ces articles, une seul sens étant possible, ce qui n’est pas le cas de l’article 8.1.1.

[21]    Les clients contribuent au paiement selon l’article 11 de la LAM. Mais ils ne sont pas tenus du tout. La RAMQ ou les assureurs en assument une bonne partie.

      11.  Il peut être exigé d’une personne, lors du paiement du coût des services pharmaceutiques ou des médicaments qui lui sont fournis, une contribution à ce paiement jusqu’à concurrence d’une contribution maximale par période de référence. Cette contribution peut consister en une franchise ou en une part de coassurance. (…) La contribution maximale est le montant total assumé par une personne couverte, au delà duquel le coût des services pharmaceutiques et des médicaments est assumé entièrement par la Régie, l’assureur ou le régime d’avantages sociaux, selon le cas.

      (Le Tribunal a souligné)

[22]    L’AQPP le confirme dans son entente P-16 avec ces Tiers Payants. À l’annexe 1, aux règles 1 et 4, on stipule : «Selon les règles du Régime, le Tiers Payant et (ou) l’assuré paie au pharmacien le coût des services (…)». Il peut donc y avoir plus d’un payeur.

[23]    Pharmascience inc. c. PGQ, 2007 QCCA 1425, par. 6.

[24]    Option consommateurs c. Novopharm Limited, 2008 QCCA 949, par. 15.

[25]    Construction Gilles Paquet Ltée c. Entreprises Vego Ltée, [1997] 2 R.C.S. 299, par. 20.

[26]    2006 CSC 24, par. 57.

[27]    S. BEAULAC et F. BÉDARD, Précis d’interprétation législative, 2e édition, Lexis Nexis 2014, p. 323.

[28]    Voir la pièce D-2.

[29]    Voir la pièce D-2, p. 5 sur 123.

[30]    Id., p. 21.

[31]    Id., p. 25.

[32]    Id., p. 22.

[33]    Id., p. 105.

[34]    Chapitre P-10, r.7.

[35]    Voir la pièce P-18.

[36]    Préc., note 12.

[37]    Id., art. 9.1.

[38]    Voir la déclaration assermentée de Me Marie-Josée Crête, par. 11 et 14.

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