Demers c. Rabah | 2024 QCTAL 42527 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Montréal |
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No dossier : | 692373 31 20230320 V | No demande : | 4200653 |
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Date : | 09 décembre 2024 |
Devant la juge administrative : | Francine Jodoin |
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Yanick Demers | |
Locateur - Partie demanderesse |
c. |
Benamara Rabah | |
Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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- Le locateur demande la révision des décisions de fixation de loyer rendue le 16 janvier 2024 et qui concerne quatre locataires.
- Ces décisions déclarent l’instance périmée et rejette une demande verbale pour être relevé du défaut d’avoir notifié le formulaire de renseignements nécessaires dans le délai imparti.
- Bien que les dossiers aient faits l’objet d’une enquête et audition commune, une décision distincte et rendue dans chacun d’eux.
QUESTION EN LITIGE :
- La greffière spéciale a-t-elle commis une erreur dans son interprétation, appréciation ou application des règles relatives à la péremption d’instance ?
LES FAITS
- En révision, le locateur explique qu’il confie à sa sœur, comptable, la gestion de ses immeubles. Celle-ci ne pouvant se présenter à l’audience, il est allé par lui-même, sans requérir une remise de l’audience.
- À cette audience, lorsqu’on l’interroge sur la notification du formulaire de renseignements nécessaires (formulaire RN), il répond, selon la décision, que cela n’avait pas été fait.
- Il soumet avoir indiqué à la greffière spéciale que sa sœur s’occupait de cela mais n’a pas requis de remise de l’audience pour vérifier l’information. Il a cependant mentionné, dit-il, qu’il pourrait faire témoigner sa sœur.
- Il ignorait ce qu’il y avait dans l’envoi recommandé transmis aux locataires.
- Les trois locataires présents, dit-il, ont tous nié avoir reçu le document.
- La greffière spéciale l’a ensuite, questionné sur les motifs qui permettraient d’être relevé du défaut et il aurait répondu qu’il ignorait cette obligation de transmettre le formulaire aux locataires.
- Madame Sonia Demers confirme qu’elle gère pour son frère « une centaine de portes ». Comme elle avait un rendez-vous médical d’urgence, elle n’a pas pu le représenter à l’audience comme à son habitude.
- Bien que normalement, les locataires sont rencontrés pour leur remettre la demande de fixation de loyer et le formulaire de renseignements nécessaires. Cette année-là, elle a plutôt joint les deux documents dans un envoi recommandé par manque de temps.
- La preuve de notification de la demande de fixation a été produite au dossier du Tribunal dans le délai imparti et elle vaut, dit-elle, également pour le formulaire RN.
- Elle a procédé de la même façon pour 24 dossiers et seuls les locataires de cet immeuble ont nié avoir reçu le formulaire de renseignements nécessaires. Elle fait valoir son titre de comptable professionnel agréé qui l’oblige à un devoir de diligence et de professionnalisme.
- Le locataire, Rabah Benamara, confirme ne pas avoir reçu dans l’envoi recommandé le formulaire de renseignements nécessaires qui lui est exhibé. Il donne, à certains égards, un autre compte-rendu de l’audience.
- Il a été convenu que le Tribunal procéderait à l’écoute de l’enregistrement de cette audience.
- Celle-ci révèle que la greffière spéciale interroge monsieur Demers sur la complétion et la notification du formulaire de renseignements nécessaires. Il répond clairement qu’il n’a pas notifié celui-ci car il s’agit d’une nouvelle procédure et qu’auparavant il le faisait sur demande.
- Il soutient, ensuite, que « peut-être cela a été fait » car il ne s’en est pas occupé lui-même mais sans plus.
- Après avoir obtenu des locataires une confirmation qu’ils ne l’avaient pas reçu. La greffière spéciale revient vers monsieur Demers qui répond : « s’ils disent ne pas l’avoir reçu, ils ne l’ont pas reçu ».
- Il croit que la sanction est liée aux frais de la demande.
- Lorsqu’il est avisé de la péremption et de la possibilité d’être relevé du défaut, il soulève l’ignorance comme motif pour ne pas avoir suivi la loi.
ANALYSE
- Le Tribunal, siégeant en révision, tire sa compétence de l'article 90 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[1] qui accorde un pouvoir de reconsidération lorsque la demande a pour objet la fixation de loyer, la modification d'une autre condition du bail ou la révision de loyer.
- À cet égard, il appartient aux demandeurs en révision de prouver l'existence d'une erreur dans l'appréciation, l'application ou l'interprétation des faits ou des règles applicables[2] à la fixation du loyer ou à la modification des conditions du bail.
- Cette compétence s’exerce, également, à l’égard des questions accessoires à la fixation de loyer[3].
- Le 31 août 2020[4], le législateur a mis en vigueur de nouvelles dispositions législatives qui ont eu pour effet de modifier les pratiques établies depuis de très nombreuses années dans les dossiers de fixation de loyer.
- Le Tribunal ne peut que constater la conduite exemplaire de cette audience par la greffière spéciale.
- À la lumière des réponses données par le locateur en première instance, le Tribunal ne voit pas comment on aurait pu parvenir à une autre conclusion que celle qui a tranché le débat, vu les principes reconnus en matière d’application de l’article 59 LTAL[5].
- S’il est vrai que le locateur n’était pas au courant de la démarche effectuée, il lui appartenait de faire valoir ses droits et de requérir une remise de l’audience pour s’assurer que tous les faits pertinents avaient été présentés à la greffière spéciale.
- Au contraire, il a choisi de procéder en répondant lui-même aux questions de la greffière spéciale sur les raisons qui amènent à son défaut. Le Tribunal y voit un comportement négligent, désintéressé et insouciant.
- L’instance en révision n’est pas l’occasion de présenter une meilleure preuve. Comme le souligne la décision Tousignant c. Appartements Rockhill inc.[6] :
« [8] Le Tribunal siégeant en révision ne peut se substituer au greffier spécial comme si l'enquête de première instance n'avait jamais eu lieu. Il incombait à la locataire ou son procureur de faire valoir ses droits et arguments devant le greffier spécial, soit à la première occasion venue. L'enquête au stade de la révision ne peut non plus constituer une seconde chance de demander au locateur de se justifier, d'expliquer ses chiffres et données ou de présenter de nouvelles preuves alors que la locataire n'a pas agi à cette fin lors de l'enquête et audition tenue devant le premier décideur. Au cas contraire, un locataire pourrait décider de ne pas se présenter devant le greffier spécial et advenant une décision défavorable de celui-ci, il n'aurait donc qu'à se pourvoir en révision pour forcer une nouvelle enquête et finalement se faire entendre sur l'ensemble du dossier de fixation en vue d'infirmer la décision dont il est insatisfait. Une telle approche est incompatible avec une saine administration de la justice et le Tribunal ne peut la valider. » [Notre soulignement]
- Cela dit, même en retenant le témoignage de madame Demers que l’envoi recommandé comportait les deux documents requis, il s’agit tout au plus d’une preuve contradictoire à la lumière des témoignages rendus devant la greffière spéciale.
- Comme le souligne la juge administrative Manon Talbot dans l’affaire Dorélien c. Toussaint[7] :
« Le Tribunal juge pertinent de rappeler que les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoient que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits allégués dans sa demande, et ce, de façon prépondérante.
À cet effet, la force probante de la preuve testimoniale est laissée à l'appréciation du Tribunal, qui, pour ce faire, évalue la crédibilité des témoignages à la lumière de la chronologie des événements, de ce qui apparaît de la motivation des parties à agir et de la corroboration des allégations par d'autres témoignages notamment.
Par conséquent, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, la partie demanderesse perdra. »
[Référence omise] [Notre soulignement]
- À la lumière de l'ensemble des principes applicables, le Tribunal siégeant en révision en conclut que le locateur n’a pu établir d'erreur de la greffière spéciale dans son analyse des règles applicables vu la preuve offerte et considérant le rôle du Tribunal en révision, il n'y a pas lieu d'intervenir.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL SIÉGEANT EN RÉVISION:
- REJETTE la demande de révision.
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| Francine Jodoin |
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Présence(s) : | le locateur le locataire |
Date de l’audience : | 18 novembre 2024 |
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[3] Rocver Entreprises inc. c. Bourque, 2021 QCTAL 20145, Boilard c. Lacombe, R.L. révision Montréal 31040622039V050805, le 22 janvier 2007, rr. Dumont et Thérien. Requête en révision judiciaire a fait l'objet d'un désistement. Jorisso inc. c. Hamelin (1988) R.J.Q. 1191 (C.A.); Vernet c. Cour du Québec, J.E. 93-245 (C.S.).
[4] Loi visant principalement l'encadrement des inspections en bâtiment et de la copropriété divise, le remplacement de la dénomination de la Régie du logement et l'amélioration de ses règles de fonctionnement et modifiant la Loi sur la Société d'habitation du Québec et diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal, L.Q. 2019, c. 28, article 101 et 158.
[7] Dorélien c. Toussaint, 2018 QCRDL 24398. Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e Édition, 2005, Wilson et Lafleur ltée, p. 62.