Duquette c. Charron | 2024 QCTAL 17241 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Rouyn-Noranda | ||||||
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No dossier : | 760581 12 20240130 G | No demande : | 4182555 | |||
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Date : | 17 mai 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Annie Hallée | |||||
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Alain Duquette |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
François Charron |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi d’une demande du locateur, déposée le 30 janvier 2024, en reprise de logement, en exécution provisoire de la décision malgré l’appel et pour les frais.
[2] Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024, au loyer mensuel de 720 $.
[3] Le logement concerné est un 4 ½ pièces, situé dans un immeuble comprenant huit (8) logements.
FAITS :
[4] Le locateur confirme avoir transmis au locataire, le 29 décembre 2023 par courrier recommandé, un avis de reprise de logement, pour s’y loger, à compter du 1er juillet 2024. Le locataire n’a pas répondu à cet avis, laissant présumer qu’il s’y oppose.
[5] Il mentionne qu’il habite présentement le même immeuble dans un logement situé au troisième étage depuis 1998.
[6] Il aimerait reprendre le logement occupé par le locataire situé au rez-de-chaussée afin de se rapprocher du sol afin de ne plus avoir à monter plusieurs escaliers pour accéder à son logement.
[7] En effet, lorsqu’il arrive de son travail ou de faire des courses, il trouve difficile de monter tous ces escaliers pour se rendre à son logement
[8] Il a l’intention de louer son logement à 1 000 $ par mois puisqu’il y a effectué plusieurs travaux de rénovations. Il a d’ailleurs l’intention de rénover le logement concerné.
[9] Le logement qui s’est libéré au deuxième étage en décembre 2023 n’est pas le plus approprié pour répondre à ses besoins puisqu’il aura encore à monter des escaliers et celui du demi-sous-sol est un 3½ pièces.
[10] De son côté, le locataire confirme qu’il habite le logement depuis 2010.
[11] Il explique que, vers le mois d’août ou le mois de septembre, un logement s’est libéré au deuxième étage ainsi qu’au demi-sous-sol.
[12] Il précise que la possibilité d’interchanger son logement avec celui du locateur situé au troisième étage n’est pas une option pour lui.
[13] L’avocat du locataire argue que le logement concerné est équivalent à celui dans lequel habite déjà le locateur.
[14] Il invoque des recours antérieurs intentés envers le locataire dans le but de démontrer l’intention réelle du locateur d’expulser le locataire.
[15] Le locateur a-t-il démontré avoir droit à la reprise du logement?
ANALYSE ET DROIT APPLICABLE :
[16] Le Tribunal rappelle qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.[1]
[17] Ainsi, il doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue. Il suffit que le fait litigieux soit, par la preuve, probable.
[18] Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal, elle verra sa demande rejetée.
[19] Tout comme l’indique l’article 1957 du Code civil du Québec, un locateur, qui en est également le propriétaire, peut reprendre un logement pour y habiter ou y loger un membre de sa famille :
« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. »
[20] Advenant que le locataire s’oppose à la reprise, le locateur doit obtenir l'autorisation du Tribunal pour le reprendre. En effet, ce droit contrevient au droit au maintien dans les lieux du locataire et, ainsi, la loi impose des conditions au locateur afin de protéger ce droit tel que le prévoit l’article 1963 du Code civil du Québec :
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »
[21] Tel que l’écrivait Me Bisson dans l’affaire Dagostino c. Sabourin[2], en matière de reprise de logement, deux droits importants se rencontrent et s’opposent : d’une part, le droit du propriétaire d’un bien de jouir de ce dernier comme bon lui semble et, d’autre part, le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C’est pour protéger ce droit du locataire que le législateur impose des conditions au locateur.
[22] En l’espèce, le Tribunal considère que le locateur respecte les exigences de la loi quant à la reprise du logement et il est satisfait que ce dernier désire bien le logement pour s’y loger selon les motifs expliqués lors de son témoignage.
[23] Ainsi, puisqu’il juge indiqué d’autoriser la reprise du logement concerné, le Tribunal est d’opinion qu’il y a lieu d’examiner les circonstances propres aux locataires, en regard des termes de l’article 1967 du Code civil du Québec qui se lit comme suit :
« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l’éviction, il peut imposer les conditions qu’il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d’une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »
[24] Dans l’affaire Boulay c. Tremblay, (1994) L.L. 132, l’honorable Juge Jacques Lachapelle précise la nature de l’indemnité applicable en matière de reprise de logement de la façon suivante :
« Dans les cas d’éviction du locataire pour subdivision du logement ou changement d’affectation, le législateur a prévu une indemnité de trois mois de loyer et des frais de déménagement et même une somme supérieure si le locataire le justifie. (Art. 1660.4 C.c.) Cependant, en matière d’éviction pour reprise de possession, le législateur n’a déterminé aucune indemnité précise. Il laisse au tribunal le soin de fixer les conditions justes et raisonnables et notamment l’indemnité de déménagement.
Pierre-Gabriel Jobin conclut à l’examen des dispositions de l’article 1659.7 :
« …Il serait sage d’indemniser le locataire victime d’une reprise de possession; celui-ci devrait avoir droit à l’indemnité, sauf quand son déménagement n’est pas provoqué en réalité, par la reprise de possession, mais qu’il obéit à d’autres préoccupations personnelles du locataire. »
Le juge aux termes de l’article 1659.7 a donc discrétion pour fixer les conditions justes et raisonnables et le montant de l’indemnité. Comme le signale le juge Pigeon, lorsque le juge a une telle discrétion, il « doit en user « judiciairement », ce qui signifie qu’il doit le faire pour un motif valable. » (Rédaction et interprétation des lois, Éditeur Officiel du Québec, Québec, 1965-1978, p. 30)
Ainsi, il doit justifier tout autant son refus d’accorder que de ne pas accorder une indemnité de déménagement de même que des conditions justes et raisonnables. Il doit prendre sérieusement en compte la demande du locataire et contrairement à ce que certains prétendent, ne refuser cette demande qu’exceptionnellement.
Il convient ici de rappeler que la reprise de possession est une exception au droit du maintien dans les lieux du locataire et qu’elle est provoquée par le locateur. Il est en conséquence légitime que le locataire se voit indemniser pour les dépenses et les inconvénients qu’il a subis. Ce droit est cependant balisé par le droit du locateur de disposer de ses biens et par conséquent, de son droit à la reprise de possession. Si le Tribunal a discrétion pour déterminer le montant, il doit tenir compte de ce droit du locateur et ne peut certes pas condamner aux dommages-intérêts qui découlent d’une reprise de possession abusive. »
(notre soulignement)
[25] L’article 1659.7 du Code civil du Bas-Canada est remplacé depuis le 1er janvier 1994 par l’article 1967 du Code civil du Québec. Cette nouvelle disposition est de même nature et a la même portée que l’ancienne.
[26] Le Tribunal partage l’opinion du juge Lachapelle et, comme lui, et compte tenu, aussi, du fait que la locatrice n’a pas à être pénalisée pour l’exercice d’un droit légitime, soit celui d’habiter sa maison, le Tribunal estime que l’octroi d’une indemnité de l’ordre de 2 500 $, est juste et raisonnable pour compenser le locataire pour les frais d’un déménagement et tous les troubles et inconvénients y afférant, dont la recherche d’un nouveau logement.
[27] Le Tribunal tient également à rappeler aux parties qu’en vertu de l’article 1970 du Code civil du Québec (C.c.Q.), le logement qui fait l’objet d’une reprise ne peut être remis en location sans autorisation du Tribunal.
[28] Par ailleurs, si la reprise ne se fait pas conformément à la demande et à la présente décision, le locataire sera en droit d'exiger des dommages-intérêts selon l'article 1968 C.c.Q.
[29] Considérant la date de la présente décision, le Tribunal estime qu’il est juste et raisonnable que la reprise aura lieu à compter du 1er septembre 2024.
[30] Aucun motif ne justifie l’exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l’article de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.[3]
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[31] ACCUEILLE en partie la demande;
[32] AUTORISE le locateur à reprendre le logement à compter du 1er septembre 2024 pour s’y loger;
[33] ORDONNE l’éviction du locataire à compter du 31 août 2024;
[34] CONDAMNE le locateur à payer au locataire la somme de 2 500 $, au plus tard le 31 juillet 2024 et PERMET aux parties d’opérer compensation sur les loyers à venir;
[35] Le locateur assume les frais de la demande.
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Annie Hallée | ||
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Présence(s) : | le locateur le locataire Me Samuel Richard-Guertin, avocat du locataire | ||
Date de l’audience : | 19 mars 2024 | ||
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[1] Articles 2803, 2804 et 2845 C.c.Q.
[2] 31-991119-037G, 00-01-26, J. Bisson.
[3] RLRQ, chapitre T-15.01.
AVIS :
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