Immeubles E. Poulin inc. c. Elinares |
2019 QCRDL 23788 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Longueuil |
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No dossier : |
441214 37 20190204 G |
No demande : |
2682416 |
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Date : |
17 juillet 2019 |
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Régisseure : |
Danielle Deland, juge administrative |
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Les Immeubles E. Poulin Inc. |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Vincent Elinares |
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Locataire - Partie défenderesse |
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et |
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OFFICE MUNICIPAL D’HABITATION de Longueuil |
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Partie intéressée
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur demande de statuer sur une modification du bail prévoyant l'ajout de la clause suivante : « Il est strictement interdit de consommer du cannabis par inhalation (fumer du cannabis). La définition de « fumer » vise également l'usage d'une pipe, d'un bong, d'une cigarette électronique ou de tout autre dispositif de cette nature. Cette interdiction s'applique aux aires intérieures et extérieures de la propriété, notamment le logement, le terrain, les balcons, les terrasses et les aires communes ». Le locateur demande également à la Régie de statuer sur les frais.
[2] Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019 pour un loyer mensuel de 695 $.
[3] Le locateur a fait signifier au locataire l'avis de modification de bail dont une copie est déposée au dossier du tribunal sous la cote P-1, le 11 janvier 2019. Le 29 janvier 2019, soit dans le délai prévu à l'article 107 de la Loi encadrant l'usage sur le cannabis[1], que le locataire a répondu qu'il refusait la modification proposée et ce, pour des raisons médicales.
[4] À l’appui de son refus, le locataire a déposé au dossier un article d’Alexandre Duval publié le 31 mars 2019 sur le site de Radio-Canada. Cet article commentait la décision du juge administratif Francine Jodoin rendue le 7 mars 2019.
[5] La soussignée invite les parties à aller consulter cette décision de Me Jodoin qui fait une étude des diverses théories relatives à l’interprétation des lois établies par la jurisprudence et qui cite même les commentaires de la ministre en poste lors de l’adoption de l’article de loi permettant de modifier un bail en cours pour y inclure une interdiction de fumer du cannabis.
[6] Après avoir fait cette étude, le juge administratif Jodoin écrit :
[33] En l'occurrence, le législateur est intervenu directement dans les contrats de bail en cours tout en reconnaissant que des circonstances exceptionnelles, associées à l'état de santé d'un locataire, peuvent justifier la consommation de cannabis dans le logement.
[34] Le législateur a, ainsi, laissé le soin au Tribunal de définir l'encadrement des conditions susceptibles de justifier un refus de consentir à la modification proposée.
[35] Le Tribunal étant, alors, assujetti à l'obligation de maintenir un équilibre entre les objectifs de la loi et les principes directeurs applicables aux modifications du bail.
-Qu'est-ce donc que des raisons médicales ?
[36] À cet égard, la lecture des débats parlementaires permet de comprendre que le législateur a renoncé à exiger la production d'une ordonnance médicale par souci de respect de la vie privée des locataires et, aussi, parce que le Collège des médecins du Québec est réfractaire à l'émission de telles ordonnances.
[37] Rappelons, également, que selon les débats parlementaires, les médecins ne reconnaissent pas, généralement, le cannabis comme un médicament à part entière. Il n'existe, sans doute, pas actuellement de données cliniques suffisantes pour être en mesure de prescrire le cannabis comme un traitement médicalement approuvé et reconnu.
…
[39] Le législateur a donc pris soin de laisser le Tribunal apprécier la preuve en ce qui concerne l'usage du cannabis au logement pour des raisons médicales seulement.
[40] Quel est le fardeau de preuve requis du locataire?
[41] Certes, la production d'une ordonnance médicale facilite la preuve du locataire, mais en l'absence d'une telle exigence dans la loi, il convient d'apprécier la preuve soumise afin de déterminer si le refus du locataire est lié à des raisons médicales.
……
[45] Le Tribunal comprend que l'objectif visé par l'article 107 de la loi est de permettre à une personne, présentant une condition de santé particulière, de continuer de consommer du cannabis pour la soulager, et ce, malgré l'interdiction sollicitée par le locateur.
[46] Cette interprétation permet de maintenir l'équilibre entre l'objectif poursuivi par le législateur et le droit au maintien dans les lieux.
[47] À cet égard, il n'appartient pas au locateur ni au Tribunal de s'immiscer dans le choix des soins choisis par le locataire pour alléger ou soulager ses problèmes médicaux.[2]
[7] La soussignée souscrit à cette opinion de sa collègue, quoiqu’elle exigerait la preuve d’un diagnostic précis et d’une condition médicale avec un minimum de sévérité.
[8] Or, dans la présente affaire, le locataire a démontré qu’il avait une condition médicale précise et sévère et il a produit une lettre du Docteur Marcia Gillman de la clinique spécialisée en cannabinoïdes Santé Cannabis. Cette lettre précise que le locataire est un des patients de la clinique depuis le 2 mai 2015 et qu’il utilise le cannabis thérapeutique avec l’autorisation du médecin depuis ce temps. La lettre ajoute que la médication s’est avérée bénéfique pour le soulagement des symptômes associés à la condition de santé du locataire.
[9] Même si cette lettre n’est pas accompagnée d’une prescription d’une quantité précise de cannabis à consommer par le locataire, le Tribunal conclut que le locataire est en droit de refuser la modification à son bail.
[10] Cependant, le locateur a démontré que l’odeur de cannabis émanant du logement du locataire lui cause un préjudice sérieux puisque les autres locataires de l’immeuble s’en plaignent.
[11] Il a été assez longuement question de la possibilité que le locataire consomme plutôt de l’huile de cannabis pour soulager ses douleurs et ainsi ne pas déranger ses voisins. Le locataire a allégué que ses revenus étaient faibles et que l’huile de cannabis était beaucoup plus chère que le cannabis à fumer.
[12] De son côté, le locateur a déposé au dossier un document démontrant que l’huile de cannabis d’une part, a l’avantage d’avoir des usages beaucoup plus versatiles et d’autre part, est plus efficiente car la quantité du produit thérapeutique est précisément mesurable, ce qui n’est pas le cas des cigarettes dont une bonne partie « s’envole en fumée ».
[13] Les parties ont discuté des équivalences entre l’huile et les fleurs et il a été démontré que la quantité que le locataire considère qu’il doit prendre est l’équivalent de sept joints de cannabis à l’heure. Devant l’étonnement du locateur, de son avocate et de la soussignée, le locataire s’est dépêché d’expliquer que sa situation s’était améliorée et qu’il n’avait plus à prendre une telle quantité de cannabis.
[14] Il est vrai que le législateur a permis qu’un locataire puisse refuser une interdiction de fumer du cannabis pour des raisons médicales. Mais cela ne peut pas constituer une permission de fumer du cannabis sans limite, au détriment de la jouissance paisible des voisins.
[15] Tout comme la liberté
des uns se termine là où commence la liberté des autres, le locataire doit
comprendre que, même si la consommation d’huile de cannabis peut constituer
pour lui un préjudice économique, les règles de l’article
« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.
Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.
Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »
[16] La Régie ne peut ni modifier la clause de modification au bail que le locateur a fait parvenir au locataire pour lui imposer une consommation d’huile de cannabis, ni résilier le bail du locataire pour préjudice sérieux, parce que cette conclusion n’est pas celle recherchée dans le recours introduit par le locateur.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[17] REJETTE la demande du locateur.
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Danielle Deland |
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Présence(s) : |
le mandataire du locateur Me Felicia Marino, avocate du locateur le locataire la mandataire de la partie intéressée |
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Date de l’audience : |
1er avril 2019 |
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