Décision

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Karabellas c. De Agostinis

2022 QCTAL 2487

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

590626 31 20210928 T

No demande :

3424967

 

 

Date :

01 février 2022

Devant la juge administrative :

Manon Talbot

 

Mario Karabellas

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Steve De Agostinis

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le Tribunal est saisi d'une deuxième demande de rétractation introduite par le locataire à la suite d'une décision rendue le 13 décembre 2021.

[2]         Cette décision rejette une première demande de rétractation du locataire en raison de son absence à l'audience et faute de preuve.

[3]         L'analyse du dossier révèle que le locateur a introduit un recours en résiliation de bail le 28 septembre 2021 pour défaut de paiement du loyer et recouvrement de loyer impayé (1 931 $).

[4]         Lorsque cette affaire a été entendue le 11 novembre 2021, le locataire était présent à l'audience.

[5]         Il appert de la décision du 17 novembre 2021 que le locataire doit 1 931 $, soit par imputation des paiements faits sur les plus anciennes dettes, le loyer de septembre, octobre et novembre 2021 et que le locataire admet que cette somme est impayée.

[6]         Le juge administratif Richard Barbe écrit également que le locataire peut éviter la résiliation du bail en payant, avant jugement, le loyer dû, les intérêts et les frais, le tout selon l'article 1883 C.c.Q., ce qu’il n’a pas fait.

[7]         Le locataire introduit sa première demande de rétractation au motif qu'il « n’a pu présenter une preuve ».  Il dira devant la soussignée que le juge ne lui pas donné l’occasion de s’exprimer. Il voulait faire valoir que le locateur refuse de faire les réparations nécessaires dans le logement et de prendre entente avec lui.

[8]         Comme moyens sommaires de défense à la procédure, le locataire écrit : « Logement pas réparer – Entente pas respecter Prêt à payer ».

[9]         La demande de rétractation est rejetée par une décision rendue le 13 décembre 2021 au motif de l'absence du locataire à l'audience, comme déjà mentionné.

[10]     Le locataire a donc introduit la deuxième demande de rétractation au motif qu'il ne s'est pas présenté à l’audience le 7 décembre 2021, n'ayant jamais reçu l'avis d'audition en temps utile, sans qu'il n'y ait faute de sa part. Le locataire mentionne avoir reçu l’avis d’audition le 8 décembre, soit le lendemain de l’audition.


[11]     Le locataire explique à l’audience que sa boîte aux lettres a été fracassée et qu’il n’a plus accès à celle-ci depuis six mois. Il doit donc récupérer son courrier au bureau de poste, ce qui implique de perdre du temps de travail pour s’y rendre à l’intérieur des heures d’ouverture. Il affirme récupérer son courrier environ aux deux semaines.

[12]     En ce qui concerne l’audition sur cette deuxième demande de rétractation, il ajoute avoir reçu l’avis de convocation la veille seulement, soit le 17 janvier 2022, lui laissant donc peu de temps pour se préparer et trouver un avocat.

[13]     Toutefois, il appert du dossier du tribunal que les avis de convocation ont été expédiés le 22 décembre 2021.

[14]     Questionné sur ses moyens de défense à la demande originaire du locateur, le locataire admet ne pas avoir payé le loyer réclamé pour lequel il a été condamné par la décision du 17 novembre 2021. Il reconnaît également ne pas avoir payé le loyer des mois suivants, soit décembre 2021 et janvier 2022. Il fait valoir qu’il refuse de payer le loyer tant et aussi longtemps que les réparations ne seront pas effectuées dans le logement.

[15]     Cette déclaration contredit celle apparaissant à sa première demande de rétractation selon laquelle il indique être prêt à payer.

[16]     De son côté, le locateur conteste les demandes de rétractation.  Il s’explique mal les difficultés du locataire à recevoir son courrier après que la décision en résiliation de bail et recouvrement de loyer ait été rendue.

[17]     De plus, il requiert du Tribunal qu’il interdise au locataire de présenter toute autre demande dans le présent dossier puisqu’il juge les demandes de rétractation abusives et dilatoires ayant pour unique but de retarder l’exécution de la décision.

ANALYSE ET DÉCISION

Demande de rétractation

[18]     L'article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement du logement (Loi)[1] permet la rétractation d'une décision si une partie a été empêchée par surprise, fraude, ou autre cause jugée suffisante de se présenter à l'audience.

[19]     À maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est une dérogation au principe de l'irrévocabilité des jugements d'où le sérieux que doivent revêtir les motifs invoqués[2].

[20]     De plus, l'absence d'une partie à l'audience ne justifie pas automatiquement la rétractation de jugement[3].

[21]     Après examen de la preuve, le Tribunal juge que le locataire ne l’a pas convaincu de ses prétentions.

[22]     D’une part, les explications du locataire concernant la boîte aux lettres brisées depuis des mois sont peu convaincantes et ne sont pas soutenues par aucune autre preuve que son seul témoignage.

[23]     D’autre part, même en tenant pour acquis que la boîte aux lettres est endommagée, en connaissant les difficultés à recevoir son courrier le locataire se devait d’effectuer un suivi adéquat de son dossier pour s’assurer d’être entendu sur sa demande de rétractation déposée le 26 novembre 2021.

[24]     Il appert du dossier du tribunal que l’avis de convocation a été expédié le 30 novembre 2021. Le locataire n’offre pas d’explications claires pour justifier qu’il en ait pris connaissance le 8 décembre seulement pour faire valoir son absence à l’audition le jour précédent. 

[25]     D’ailleurs, ses allégations concernant le fait qu’il ait pris connaissance de l’avis de convocation de la présente audition la veille seulement laissent perplexe puisque plus de trois semaines se sont écoulées depuis son expédition le 22 décembre 2021.

[26]     Si le locataire n’a pas accès au suivi de son dossier sur le site internet du tribunal, des appels téléphoniques lui auraient permis d’obtenir l’information recherchée.


[27]     Le Tribunal estime donc que le locataire n’a pas été diligent dans la gestion de ses affaires. Il n'a pas convaincu le Tribunal qu'il n'a pu se présenter à l'audience sur sa première demande de rétractation pour une cause juste et suffisante.

[28]     Dans la décision Lettrage Graphico-Tech inc. c. Quden inc.[4], le juge Marchand de la Cour du Québec énonce ce qui suit : 

« En matière de rétractation  de jugement, il faut trouver un juste équilibre entre deux principes qui s'affrontent, soit celui de la stabilité des jugements rendus et celui du droit à une défense pleine et entière. Il est donc essentiel de déterminer si la négligence de la partie défenderesse de protéger adéquatement ses droits est excusable ou non. La jurisprudence la considère excusable lorsqu'elle a été en quelque sorte causée par des circonstances extérieures à la partie elle-même, soit parce qu'elle a été induite en erreur ou surprise par la partie adverse ou par des tiers dont elle ne répond pas. La situation est fort différente, lorsque la partie défenderesse a fait preuve d'un manque de sérieux flagrant dans la conduite de ses affaires, en ne faisant pas un suivi adéquat de son dossier. » 

[29]     Dans les circonstances, il y a lieu de donner préséance au principe de l’irrévocabilité des jugements.

[30]     Mais il y a plus. L'analyse d'une demande de rétractation ne se limite pas à vérifier si la partie demanderesse a établi un empêchement de se présenter à l'audience ou de fournir une preuve elle doit aussi démontrer l’existence d’un moyen sommaire de défense à faire valoir à l’encontre de la demande originaire.

[31]     À ce sujet, la juge administrative Jocelyne Gravel mentionne ce qui suit dans la décision Charbonneau c. St-Laurent[5] :

« On constate qu'un défendeur doit également prouver avoir un moyen de défense valable à faire valoir à l'encontre de la demande originaire. Dans l'éventualité où les moyens de défense invoqués sont voués à l'échec, il serait dès lors inutile de permettre la rétractation.

Comme exprimé par la Cour d'appel du Québec, les motifs d'une demande de rétractation doivent être sérieux puisqu'ils ont pour effet de déroger au principe de l'irrévocabilité des jugements. »

[32]     En l’instance, le locataire maintient et persiste à dire qu’il refuse de payer le locateur tant que les réparations dans son logement ne seront pas effectuées. Le locataire soulève en quelque sorte la défense d'inexécution prévue à l'article 1591 du Code civil du Québec.

[33]     La soussignée partage l'analyse de la juge administrative Francine Jodoin, dans l'affaire Delpapa c. Auclair[6], laquelle s'exprime comme suit :

« La jurisprudence bien établie ne reconnaît pas à une partie le droit unilatéral de se faire justice à elle-même et de retenir le loyer pour forcer une autre partie à exécuter ses propres obligations ou pour se compenser des inconvénients subis. Le tribunal qui sera saisi de la demande des locataires sera en mesure d'apprécier la preuve de l'inexécution des obligations du locateur et d'évaluer la compensation qui pourra leur être accordée pour les inconvénients ainsi occasionnés, le cas échéant. »

[34]     C’est donc dire que le locataire ne pouvait pas se faire justice lui-même en cessant de payer son loyer. Puis, le locataire n'a pas entrepris de démarches judiciaires pour faire reconnaître ses droits ni même mis en demeure le locateur de faire les réparations nécessaires. Cette défense d'inexécution ne libère pas du paiement du loyer, elle est donc irrecevable dans les circonstances.

[35]     En conséquence de ce qui précède, permettre une nouvelle audience pour ce dossier ne changerait vraisemblablement pas le sort du litige puisque les motifs de défense, tels que présentés par le locataire, sont voués à l'échec.  La preuve qu’il désire administrer ne permettrait pas de modifier les conclusions de la décision attaquée.

[36]     Devant l'absence de moyens de défense et considérant que les loyers dus continuent d'augmenter, le Tribunal est d'avis que le locataire n'a pas établi, par preuve prépondérante, un motif sérieux de rétractation.


Limitation procédurale

[37]     Le locateur demande verbalement au Tribunal d'interdire au locataire de présenter toute autre demande dans le présent dossier, en vertu du deuxième alinéa de l'article 63.2 de la Loi qui prévoit :

« 63.2. (...)

« Lorsque le Tribunal constate qu'une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d'empêcher l'exécution d'une de ses décisions, il peut en outre interdire à cette partie d'introduire une demande devant lui à moins d'obtenir l'autorisation du président ou de toute autre personne qu'il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu'il désigne détermine.

(…)»

[38]     Le Tribunal retient notamment du témoignage du locataire que celui-ci tente, par le biais de ses demandes de rétractation, de forcer le locateur à une entente de paiement de sa dette.

[39]     Considérant au surplus les moyens de défense voués à l’échec et les loyers impayés depuis plus de cinq mois, le Tribunal conclut que le recours en rétractation constitue, pour le locataire, un moyen efficace pour éviter de faire face à ses obligations et pour retarder le processus judiciaire. Dans ce contexte, la demande de limitation procédurale est accordée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[40]     REJETTE les deux demandes de rétractation du locataire;

[41]     MAINTIENT la décision rendue le 17 novembre 2021;

[42]     INTERDIT au locataire d'introduire toute autre demande dans le présent dossier devant le Tribunal administratif du logement, à moins d'obtenir l'autorisation du Président du Tribunal ou de toute autre personne qu'il désigne.

 

 

 

 

 

 

 

 

Manon Talbot

 

Présence(s) :

le locataire

le locateur

Date de l’audience : 

18 janvier 2022

 

 

 


 


[1] RLRQ c. T-15.01.

[2] Entreprises Roger Pilon inc. et al. c. Atlantis Real Estate Co., [1980] C.A. 218.

[3] Thérèse ROUSSEAU-HOULE et Martine DE BILLY, Le bail de logement : analyse de la jurisprudence, Wilson & Lafleur Ltée (1989) Montréal, p. 307. 

[5] Charbonneau c. St-Laurent, R.L., Montréal, 31-0505508-055T-060905, 26 septembre 2006.

[6] Delpapa c. Auclair, no. 31-030708-087 G, 18 septembre 2003, (R.L.) Francine Jodoin j.a.

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