Chartrand-Simard c. Rossi | 2024 QCTAL 36387 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 720371 31 20230706 G | No demande : | 3960979 | |||
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Date : | 08 novembre 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Leyka Borno | |||||
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Clovis Chartrand-Simard |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Mario Rossi |
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Locateur - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le 6 juillet 2023, le locataire demande au Tribunal une ordonnance visant à lui redonner accès à un stationnement intérieur et extérieur et à faire cesser toute forme de harcèlement à son endroit. Il demande également le remboursement des frais de justice et l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel.
[2] Bien que dûment notifié et convoqué, le locateur est absent à l’audience.
CONTEXTE
[3] Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025 au loyer mensuel de 775 $[1].
[4] Madame Léandre Chartrand, mère du locataire, témoigne qu’elle a habité le logement concerné avec le locataire de septembre 2014 à novembre 2020. Durant cette période, elle était la seule locataire au bail.
[5] Lorsqu’elle a quitté, son fils est demeuré au logement et a signé un bail avec le locateur.
[6] Madame Chartrand déclare qu’à l’époque où elle occupait le logement, elle était propriétaire d’une moto. Bien que son bail ne prévoyait pas d’espace de stationnement, Mme Chartrand stationnait sa moto dans le garage de l’immeuble avec l’autorisation du locateur.
[7] À l’été 2020, son fils fait l’acquisition d’une moto[2]. Ce dernier, toujours avec la permission du locateur, stationnait celle-ci dans un espace de rangement au sous-sol de l’immeuble.
[8] Le locataire déclare qu’il a signé un bail avec le locateur pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 700 $[3].
[9] Il précise que ce bail prévoit un espace de stationnement pour sa moto à l’extérieur et à l’intérieur, dans l’espace destiné au rangement des vélos[4]. Il réfère le Tribunal à la mention « avec moto » dans la « section D Loyer » du bail.
[10] Il déclare qu’initialement, le loyer mensuel prévu pour le logement était de 695 $ et réfère à l’avis de renouvellement envoyé par le locateur à sa mère pour la période 2021-2022[5].
[11] Toutefois, disposant d’un espace de stationnement intérieur et extérieur pour sa moto, le locateur lui a facturé 5,00 $ pour ces espaces, ce qui explique le loyer de 700 $ indiqué à son bail.
[12] Le 1er février 2022, le locateur transmet au locataire un avis de renouvellement pour la période du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, augmentant le loyer mensuel[6]. Seul le loyer est modifié dans cet avis.
[13] Le 17 mars 2023, le locateur transmet au locataire un avis de renouvellement pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024[7]. Outre une augmentation de loyer, aucune autre modification n’apparaît à cet avis de renouvellement.
[14] En avril 2023, le locateur l’informe qu’à compter de juillet 2023, il ne pourra plus stationner sa moto ni à l’extérieur ni à l’intérieur, et ce, à moins de payer un montant de 10 $ supplémentaire à son loyer pour bénéficier de ces espaces.
[15] Le locataire a refusé de défrayer ce coût.
[16] Il ajoute qu’entre avril et juillet 2023, le locateur n’a cessé de le harceler afin qu’il débourse ce coût additionnel pour les espaces de stationnement. Le locateur l’aurait appelé une quinzaine de fois à ce sujet.
[17] Le locataire souligne également que le locateur a même refusé à un certain moment de prendre ses paiements de loyer[8].
[18] Finalement, le locataire affirme que depuis juillet 2023, il ne stationne plus sa moto dans l’espace intérieur puisque le locateur lui a retiré l’accès à celui-ci. Il la stationne tout de même dans l’espace prévu à l’extérieur, le locateur lui ayant redonné l’accès depuis août 2023.
[19] Ainsi, se résume l’essentiel de la preuve.
ANALYSE ET DÉCISION
[20] Dans un premier temps, il est utile de rappeler les articles
[21] Le locataire demande d’ordonner au locateur de lui redonner accès aux espaces de stationnement intérieur et extérieur pour sa moto.
[22] Cet accès lui a été retiré depuis juillet 2023.
[23] Il argue que l’accès à ces espaces de stationnement avait été convenu au bail.
[24] La preuve non contredite révèle que lors de la conclusion du bail, les parties se sont entendues sur un loyer mensuel incluant des espaces de stationnement extérieur et intérieur.
[25] La mention « avec moto » à la « section D Loyer » du bail ainsi que le témoignage crédible et convainquant du locataire quant à l’utilisation de ces espaces de stationnement les années suivantes, conduisent le Tribunal à conclure que l’accès à ces espaces constitue une condition incluse au bail dans le coût du loyer mensuel.
[26] Selon l’article
« 1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s’il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l’arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l’avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.
Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d’au moins un mois, mais d’au plus deux mois.
Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s’il s’agit du bail d’une chambre. »
[27] En cas de refus du locataire, le locateur peut alors demander au Tribunal d'autoriser la modification proposée dans le mois de la réception du refus :
« 1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s’adresser au tribunal dans le mois de la réception de l’avis de refus pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail. Il peut également, lorsque le locataire qui a sous-loué son logement pendant plus de 12 mois refuse de quitter les lieux, s’adresser au tribunal pour mettre fin au bail. »
[28] L’article
« 1952. Le tribunal qui autorise la modification d'une condition du bail fixe le loyer exigible pour le logement, compte tenu de la valeur relative de la modification par rapport au loyer du logement. »
[29] Or, il appert de la preuve présentée que le locateur n’a pas transmis au locataire un avis de modification de bail pour le retrait de ces espaces de stationnement ni introduit de recours afin que le Tribunal statue sur une modification d’une condition du bail conformément à ces dispositions.
[30] Ainsi, le locateur ne peut, en l’absence d’avis de modification tel que prescrit par loi, modifier unilatéralement cette condition qui est prévue au bail ni exiger un coût additionnel pour celui-ci.
[31] Par conséquent, les espaces de stationnement intérieur et extérieur étant inclus au bail, le Tribunal ordonnera au locateur d’en donner accès au locataire, et ce, sans coût supplémentaire.
[32] En ce qui concerne le harcèlement, l’article
« 1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte le logement.
Le locataire, s’il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
[33] Dans son article intitulé, « Le harcèlement envers les locataires et l’article
« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l'effet dérangeant qu'elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l'auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l'article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :
« Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement[10]. »
Il ajoute, cependant, ce qui suit :
« Toute conduite ayant une conséquence de restreindre la jouissance du locataire ne constitue pas nécessairement du harcèlement; elle doit être une tactique choisie dans la mise en œuvre d'une stratégie plus ou moins planifiée en vue d'atteindre un objectif recherché et son effet immédiat (l'effet dérangeant) doit apparaître comme un objectif intermédiaire ou secondaire[11]. »
[34] À cet égard, il fut reconnu que le harcèlement ne peut être apprécié de façon subjective puisque cela reviendrait à qualifier la situation à partir de la perception personnelle du locataire. L'intention malicieuse doit apparaître dans les agissements du locateur dans le cadre d'une stratégie planifiée.
[35] Or, le Tribunal doit apprécier l'ensemble des faits de façon objective et chercher à déterminer si les gestes posés peuvent raisonnablement être qualifiés d'actes de harcèlement constituant une série de mesures systémiques ayant comme conséquence de restreindre le droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir que le locataire quitte le logement.
[36] En l’instance, bien que les gestes posés par le locateur puissent être qualifiés d’inappropriés, le Tribunal ne peut conclure qu’il s’agit d’actes de harcèlement.
[37] Conséquemment, il n’y a pas lieu d’émettre d’ordonnance à ce sujet.
[38] L'exécution provisoire de la présente décision malgré l'appel n'est pas justifiée.
[39] Les frais applicables sont adjugés contre le locateur selon le Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement[12] sauf pour la notification de l'amendement comprenant des réclamations entièrement rejetées.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[40] ACCUEILLE en partie la demande du locataire;
[41] ORDONNE au locateur de permettre au locataire l’usage des espaces de stationnement extérieur et intérieur pour sa moto, sans coût supplémentaire;
[42] CONDAMNE le locateur à payer au locataire les frais de justice de 96,75 $;
[43] REJETTE la demande quant aux autres conclusions.
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Leyka Borno | ||
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Présence(s) : | le locataire | ||
Date de l’audience : | 7 août 2024 | ||
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[1] Le Tribunal a accordé au locataire une autorisation de produire l’avis de renouvellement de bail, conformément à l’article 37 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement.
[2] Pièce L-7.
[3] Pièce L-1.
[4] Pièce L-6.
[5] Pièce L-4.
[6] Pièce L-2.
[7] Pièce L-3.
[8] Pièce L-5.
[9] RLRQ c CCQ-1991.
[10] Me Pierre Pratte, Le harcèlement envers les locataires et l'article
[11] Ibid.
[12] RLRQ, c. T-15.01, r. 6.
AVIS :
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