Décision

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Ngandu Mpoyi c. Kigutaq

2022 QCTAL 22411

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Gatineau

 

No dossier :

635452 22 20220601 G

No demande :

3569747

 

 

Date :

04 août 2022

Devant le juge administratif :

Stéphane Sénécal

 

Élie Ngandu Mpoyi

 

Jemima Mbombo

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Martin Kigutaq

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le Tribunal est saisi d’une demande des locateurs, déposée le 1er juin 2022 en expulsion du locataire vu la fin du bail.

[2]         Les parties sont liées par un bail cédé (pièce L-1) reconduit jusqu’au 31 mai 2022, au loyer mensuel de 1 225 $. Le terme du 1er juin 2022 au 31 mai 2023 fait l’objet du présent litige.

FAITS :

[3]         Le locateur Elie Ngandu Mpoyi allègue principalement que le logement était prêt pour l’habitation au 1er juin 2017. Le tout selon le bail cédé et déposé sous P-1.

[4]         Il ajoute qu’un avis de reconduction du bail, daté du 8 février 2022 (L-2), a été notifié au locataire et ce dernier a répondu qu’il refusait les modifications.

[5]         Ainsi, les locateurs demandent que le Tribunal déclare que le bail est résilié rétroactivement en date du 31 mai 2022 et demande l’expulsion du locataire étant donné qu’il s’agit d’un immeuble faisant l’objet de l’exception de l’article 1955 Code civil du Québec (C.c.Q.).

[6]         Le locataire, pour sa part, mentionne que pour lui, la période de cinq (5) ans est écoulée et qu’il n’a pas à quitter, et ce, même s’il a refusé les modifications proposées au renouvellement.

[7]         Il argue de plus que les locateurs lui ont envoyé un avis de reprise de logement qu’il dépose sous L-3.

ANALYSE ET DÉCISION :

[8]         Le Tribunal rappelle tout d’abord qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.[1]

[9]         Ainsi, il doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue. Il suffit que le fait litigieux soit, par la preuve, probable.

[10]     Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal, elle verra sa demande rejetée.

[11]     La présente demande découle des articles 1889, 1945 et 1955 C.c.Q. qui stipulent :

« 1889. Le locateur d’un immeuble peut obtenir l’expulsion du locataire qui continue d’occuper les lieux loués après la fin du bail ou après la date convenue au cours du bail pour la remise des lieux; le locateur d’un meuble peut, dans les mêmes circonstances, obtenir la remise du bien. »

« 1945. Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l'avis de modification du bail, d'aviser le locateur de son refus ou de l'aviser qu'il quitte le logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.

Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l'article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail. »

« 1955. Ni le locateur ni le locataire d'un logement loué par une coopérative d'habitation à l'un de ses membres, ne peut faire fixer le loyer ni modifier d'autres conditions du bail par le tribunal.

De même, ni le locateur ni le locataire d'un logement situé dans un immeuble nouvellement bâti ou dont l'utilisation à des fins locatives résulte d'un changement d'affectation récent ne peut exercer un tel recours, dans les cinq années qui suivent la date à laquelle l'immeuble est prêt pour l'usage auquel il est destiné.

Le bail d'un tel logement doit toutefois mentionner ces restrictions, à défaut de quoi le locateur ne peut les invoquer à l'encontre du locataire. »

[12]     Dans l’affaire 9086-2756 Québec inc. c. Rivard[2], le juge administratif, Patrick Simard affirme ce qui suit :

« Le tribunal conclut que la durée de l'exemption de cinq ans quant au droit d'une partie de demander la fixation du loyer se calcule comme suit :

Du 1er octobre 2002 au 30 septembre 2003 : 1ère année

Du 1er octobre 2003 au 30 septembre 2004 : 2ième année

Du 1er octobre 2004 au 30 septembre 2005 : 3ième année

Du 1er octobre 2005 au 30 septembre 2006 : 4ième année

Du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007 : 5ième année

Bien que les parties se trouvent encore au jour de l'audience dans la cinquième année d'exclusion prévue par l'article 1955 du Code civil du Québec, le Tribunal est d'avis que les cinq années d'exclusion prévues à l'article 1955 du Code civil du Québec sont désormais expirées quant au prochain renouvellement du bail.

En effet, afin de donner un sens aux stipulations du législateur prévues à l'article 1955 du Code civil du Québec, le tribunal doit conclure que les cinq années d'exemption seront écoulées à la fin du présent terme du bail entre les parties se terminant au 30 septembre 2007. Le tribunal est d'avis que le point de départ du calcul du délai n'est pas le jour à lequel le locateur a transmis son avis de modification du bail, soit le 12 juin 2007, mais plutôt le premier jour du prochain terme du bail. Le tribunal a déjà déterminé qu'on doit tenir compte de la date d'entrée en vigueur du nouveau bail et non de la date d'envoi de l'avis, notamment dans l'affaire Rivest c. Cogespol Inc. [1981, DRL. 150, (RL)].

Le tribunal ne peut se rallier aux arguments invoqués par le locateur puisque ainsi, celui-ci profiterait d'une année supplémentaire à celles prévues par le législateur pour l'exemption de l'application du Règlement sur les critères de fixation de loyer. »

[13]     Il est important d’appliquer ce raisonnement au présent litige. Il en est de même pour la réflexion du juge administratif Marc C. Forest dans l’affaire Joyal c. Gauthier[3] qui s’exprime comme suit :

« [12] Si le Tribunal retenait la version de la locatrice, de tenir compte que l’avis d’augmentation a été transmis durant cette période de cinq ans, elle aurait donc cinq chances de s’ajuster au marché pour un total de six ans où le Tribunal ne pourrait pas fixer le coût du loyer.

[13] Malgré qu’une lecture rapide de l’article 1955 du Code civil du Québec porte à penser que l’interprétation qu’en fait la partie demanderesse pourrait être envisagée, mais une analyse plus méticuleuse anéantit cette façon d’envisager cet article.


[14] Le Tribunal ne peut malheureusement retenir cette façon d’interpréter la loi.

[15] D’ailleurs, plusieurs décisions confirment la position du Tribunal soit, entre autres, 9086-2756 Québec inc. c. Rivard, 18-0706618-018 G (28 juin 2007). »

[14]     Il faut donc retenir que la période prévue à l’article 1955 C.c.Q. débute au moment où l’immeuble dans lequel le logement est situé est prêt à l’habitation. En l’espèce, la preuve révèle que c’est le 1er juin 2017.

[15]     Pour ce qui est du calcul de la fin de la période des cinq (5) années, le Tribunal signale qu’il ne faut pas tenir compte de la date d’envoi de l’avis de renouvellement. En effet, même si l’avis de renouvellement est expédié à l’intérieur de la dernière période des cinq (5) ans, l’exception de l’article 1955 C.c.Q. n’est pas applicable si l’avis de renouvellement vise le terme postérieur à cette cinquième (5e) année. Effectivement, l’objet du recours en fixation de loyer stipulé à la loi est pour les renouvellements du bail et ce sont ces derniers qui doivent guider le calcul de la période de cinq (5) ans.

[16]     Dans le présent cas, le terme visé par l’avis de reconduction subséquent à la période de cinq (5) ans est du 1er juin 2022 au 31 mai 2023. Le calcul se fait comme suit :

Du 1er juin 2017 au 31 mai 2018 : 1ère année

Du 1er juin 2018 au 31 mai 2019 : 2ème année

Du 1er juin 2019 au 31 mai 2020 : 3ème année

Du 1er juin 2020 au 31 mai 2021 : 4ème année

Du 1er juin 2021 au 31 mai 2022 : 5ème année

[17]     Dès lors, à la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que l’exemption de l’article 1955 C.c.Q. ne s’applique pas à la période de bail du 1er juin 2022 au 31 mai 2023. Ainsi, le bail est renouvelé aux mêmes conditions. Décider à l’inverse et tel que le Tribunal l’a déjà déterminé précédemment, notamment par l’entremise des juges Forest et Simard[4], cela aurait pour effet d’accorder six (6) années d’exemptions, ce qui n’est aucunement le but visé par l’article 1955 C.c.Q.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[18]     REJETTE la demande des locateurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

Stéphane Sénécal

 

Présence(s) :

le locateur Jemima Mbombo

le locataire

Date de l’audience : 

17 juin 2022

 

 

 

 


[1] Articles 2803, 2804 et 2845 C.c.Q.

[2] R.L. 18-070618-018 G, 28 juin 2007, j.a. P. Simard.

[3] 2021 QCTAL 23146.

[4] Supra notes 3 et 4, Voir également : Girard c. Raymond (R.D.L., 2014-12-19), 2014 QCRDL 43651, SOQUIJ AZ-51137762; Léveillé c. Baraké (T.A.L., 2020-09-17), 2020 QCTAL 1791, SOQUIJ AZ-51710274; Parisien c. Nocera (T.A.L., 2021-06-16), 2021 QCTAL 15067, SOQUIJ AZ-51774578.

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