Djeaiou c. Pommier |
2019 QCRDL 27594 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
346022 31 20170711 G |
No demande : |
2286864 |
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Date : |
27 août 2019 |
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Régisseure : |
Chantale Bouchard, juge administrative |
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Salim Djeaiou |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Jean-Louis Pommier |
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Locateur - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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DEMANDE, CONTEXTE PROCÉDURAL ET NOTIFICATION
[1] Le Tribunal est saisi d'un recours introduit par le locataire en date du 11 juillet 2017, par lequel il réclame la résiliation du bail, l’exécution en nature des obligations du défendeur, des dommages-intérêts totalisant 1 950 $, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévus au Code civil du Québec, l’exécution provisoire de la décision, malgré l’appel, et les frais judiciaires[1].
[2] Or, il est fait état que le recours n’a toujours pas été notifié au locateur.
[3] Questionné à cet égard, le locataire ne peut justifier le délai écoulé depuis le dépôt de sa demande sans l’avoir portée à la connaissance de la partie adverse.
[4] La partie défenderesse demande le rejet du recours pour ce motif, malgré le fait que celle-ci ait été avisée de la possibilité qu’un autre recours de même acabit puisse être réintroduit par le locataire demandeur[2].
[5] Le Tribunal est appelé à se pencher sur la recevabilité de la demande, considérant l’absence de notification à ce jour et le délai déjà couru.
DISCUSSION
[6] Les dispositions applicables ayant trait à la notification des procédures déposées auprès de la Régie du logement sont les articles 56 de la Loi sur la Régie du logement[3] et 7 du Règlement sur la procédure devant la Régie du logement[4] :
« 56. Une partie qui produit une demande doit en notifier une copie à l'autre partie dans le délai et en la manière prévue par les règlements de procédure. »
« 7. La notification ou la signification d’une demande ou d’une requête se fait dans un délai raisonnable, une fois qu’elle est produite à la Régie, par poste recommandée ou par huissier. Elle peut aussi être faite par tout autre mode permettant de prouver sa réception. Preuve de la notification ou la signification devra être faite au régisseur.
Le régisseur peut, sur requête même verbale, autoriser un autre mode de notification notamment par avis public. Il peut encore, sur le vu du procès-verbal d’un huissier qui a tenté sans succès de signifier une demande ou une requête, autoriser cette personne à la notifier en la manière qu’il détermine.
Lorsqu’un huissier a tenté de signifier une procédure et qu’il a consigné ce fait à son procès-verbal, il peut, sans autorisation, procéder à la signification en laissant sur place copie de la procédure à l’intention du destinataire. »
(Soulignements ajoutés)
[7] À leur lecture, il ne fait nul doute que la notification d’une procédure est obligatoire et qu’elle doive intervenir dans un délai raisonnable pour pouvoir en saisir le Tribunal au mérite.
[8] Traitant de dispositions analogues s’inscrivant au sein du Code de procédure civile, les tribunaux ont reconnu à maintes occasions que la « signification »[5] est impérative, car elle participe des règles de justice naturelle par opposition à celles de pure procédure.[6] [7] À ce titre, son défaut pourra s’avérer fatal et provoquer le rejet du recours.
[9] Aussi, la Cour du Québec énonçait que l'établissement du caractère raisonnable du délai à l'intérieur duquel une partie doit s'acquitter de son obligation de signifier sa demande relève de l'appréciation du décideur de première instance.[8]
[10] Ce caractère s’appréciera à la lumière du droit et des faits de chaque dossier.
[11] Parfois, il pourra s’avérer que le demandeur puisse valablement justifier le délai engendré, même important à première vue. Néanmoins, il va sans dire que le laxisme ou la négligence ne pourront être cautionnés par le Tribunal. Par ailleurs, la règlementation prévoit diverses possibilités pour notifier une procédure introduite auprès de la Régie du logement, dont celle visant l’obtention d’un mode spécial dans l’éventualité de difficultés pour ce faire[9]. Le délai raisonnable devra conséquemment être évalué en tenant compte de tous ces paramètres.
[12] C’est en ce sens que s’exprimait le juge administratif Éric Luc Moffatt dans l’affaire Charles (Yves) Proulx c. Jean Lemay :
« [11] Dans le présent cas, aucun élément particulier ou exceptionnel ne permet au tribunal de s’écarter de la jurisprudence applicable à la question soulevée concernant le délai raisonnable de signification prévu par la loi et fait sienne la position retenue par les tribunaux lorsqu’il s’agit de conclure au rejet d’une demande qui n’a pas été signifiée dans un délai raisonnable suite à son dépôt. »[10]
[13] De même, s’il est soulevé[11], le délai tenant à la prescription du recours[12] pourra être considéré.
[14] En prescrivant que la notification doive se faire dans un délai raisonnable, c’est donc le délai qui est qualifié ainsi et non l’obligation qui, elle, ne fait aucun doute quant à son exigence.
[15] Ainsi, pour un motif aussi « raisonnable », le Tribunal pourra examiner tel délai en regard notamment du préjudice que l’autre partie pourrait en subir, et ce, en appliquant, par analogie, les prescriptions de l’article 59 de la Loi sur la Régie du logement[13].
[16] Incidemment, bien que le tribunal de la Régie du logement soit dit « d’accès », cela ne veut certes pas inférer qu’il ne s’agit pas d’un tribunal « de droit ». Vrai que sa procédure s’avère et se veut simplifiée et qu’elle réaffirme la préséance du droit et du fond sur la forme[14], mais celle-ci n’est pas sans fondement. Rappelons que la procédure à la Régie du logement est établie par un règlement qu’il n’y aura pas lieu d’écarter sans motif, sous peine de voir ce texte législatif sans aucune portée, voire inexistant.
[17] De façon toujours incidente, passer outre du défaut de notification dans un délai raisonnable peut inférer sur la portée de l’indemnisation requise.
[18] À titre d’exemple, qui pourrait paraître anodin autrement que dans certains recours de nature hypothécaire, la date du dépôt du recours aura un impact sur les dommages-intérêts matériels de type moratoire, communément appelés « les intérêts », où s’appliquent les articles 1617, 1618, et accessoirement, 1619 du Code civil du Québec[15].
[19] En effet, alors que les deux dernières dispositions permettent au Tribunal d’user de sa discrétion judiciaire pour les calculer à partir d’une date postérieure à la demeure (à défaut, la date du dépôt d’un recours en fera office[16]), la première ne le permet pas.
[20] Tel que déjà mentionné, il existe des dispositions afin qu’un justiciable ne perde pas ses droits de se pourvoir en justice advenant que son recours soit jugé irrecevable pour défaut de notification dans un délai raisonnable.
[21] Néanmoins, dans sa décision, le Tribunal n’aura pas à considérer ou présumer que le demandeur se pourvoira à nouveau, ni sur quels chefs il le fera. Ce choix lui appartiendra. Vrai qu’il aura à en défrayer les frais judiciaires selon le Tarif[17], mais voilà le coût pour permettre à la partie adverse d’avoir l’opportunité de se préparer adéquatement et d’opposer, le cas échéant, les moyens appropriés de défense.
[22] Bref, en l’espèce, il s’est avéré qu’un délai de plus de deux années se soit écoulé depuis la production du recours, sans qu’il ait été notifié à la partie défenderesse qui s’est objectée à sa recevabilité.
[23] Suivant la preuve administrée, ce délai est jugé déraisonnable.
[24] Ainsi, faute d'en avoir établi une notification adéquate ou un motif raisonnable pour n’y avoir procédé en temps opportun, le Tribunal ne peut se prononcer sur le fond de la demande. Celle-ci, irrecevable, est donc rejetée pour ce motif.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[25] REJETTE la demande pour défaut de notification dans un délai raisonnable de sa production.
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Chantale Bouchard |
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Présence(s) : |
le locataire le locateur |
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Date de l’audience : |
30 juillet 2019 |
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[2] Notamment, le premier alinéa de l’article 2895 du Code civil du Québec prévoit ceci :
« 2895. Lorsque la demande d'une partie est rejetée sans qu'une décision ait été rendue sur le fond de l'affaire et que, à la date du jugement, le délai de prescription est expiré ou doit expirer dans moins de trois mois, le demandeur bénéficie d'un délai supplémentaire de trois mois à compter de la notification de l’avis du jugement, pour faire valoir son droit. »
[3] RLRQ, c. R-8.1.
[4] RLRQ, c. R-8.1, r.5.
[5] Depuis le 1er janvier 2016, le terme « signification » se rapporte à la notification faite par l’huissier. Sur ce vocable, voir notamment l’article 116 du Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25.01).
[6] Notamment, le jugement rendu par l'honorable Christian M. Tremblay, juge de la Cour du Québec, dans l’affaire Léger c. 4339487 Canada inc. (C.Q. 2008-04-02), 2008 QCCQ 2438 500-80-010030-071, rappelle ceci : « La signification d'un acte de procédure est une formalité importante, voire même essentielle afin de s'assurer que la partie adverse a pris connaissance, en temps utile, d'un acte de procédure émanant d'une partie. Les modes de signification prévus aux articles 119.2 et suivants assurent une fiabilité quant à la communication de l'acte de procédure donnant ainsi la chance à la partie adverse de venir débattre du mérite de la procédure (art. 5 C.p.c.) ».
[7] Sur le sujet, voir également les auteurs Denis Ferland et Benoît Emery, Des règles générales relatives à la procédure écrite, Précis de procédure civile du Québec, vol. 1, 4e édition, 2003.
[8] Syne c. Bourdages, 2008, QCCQ 1939, l’honorable juge Henri Richard, j.c.q.
[9] Voir le second alinéa de 7 du Règlement sur la procédure devant la Régie du logement précité.
[10] R.L. 31-080922-037G, le 6 novembre 2012 (2012 QCRDL 38710).
[11] En effet, selon le premier alinéa de l’article 2878 du Code civil du Québec, « [l]e tribunal ne peut suppléer d'office le moyen résultant de la prescription ». (Soulignement ajouté)
[12] À ce sujet, les articles 2925 et 2892 du Code civil du Québec édictent notamment que l'action qui tend à faire valoir un droit personnel et dont le délai de prescription n'est pas autrement fixé se prescrit par trois ans, et que, le dépôt d'une demande en justice n'interrompt la prescription que si elle est signifiée au plus tard dans les soixante jours qui suivent l’expiration de ce délai.
[13] L’article 59 de la Loi sur la Régie du logement (RLRQ, c. R-8.1.) se lit comme suit :
« 59. La Régie peut, pour un motif raisonnable et aux conditions appropriées, prolonger un délai ou relever une partie des conséquences de son défaut de le respecter, si l'autre partie n'en subit aucun préjudice grave. » (Soulignements ajoutés)
[14] Le Règlement sur la procédure devant la Régie du logement, RLRQ, c. R-8.1, r.5., débute ainsi :
SECTION I-DISPOSITIONS GÉNÉRALES
1. Le présent règlement vise à établir les règles de procédure applicables lors de l’exercice d’un recours devant la Régie du logement, de façon à en simplifier, à en faciliter et à en accélérer le déroulement, dans le respect des principes de justice fondamentale et de l’égalité des parties.
2. L’inobservation d’une règle de procédure ne peut affecter le sort d’une demande ou d’une requête s’il y a été remédié alors qu’il était possible de le faire.
À moins que le régisseur ne fixe d’autres modalités, il peut être remédié devant lui, à l’audience, à tout vice de forme, retard ou irrégularité de procédure. » (Soulignements ajoutés)
[15] Les articles 1617, 1618 et 1619 du Code civil du Québec :
« 1617. Les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution d’une obligation de payer une somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux convenu ou, à défaut de toute convention, au taux légal.
Le créancier y a droit à compter de la demeure sans être tenu de prouver qu’il a subi un préjudice.
Le créancier peut, cependant, stipuler qu’il aura droit à des dommages-intérêts additionnels, à condition de les justifier.
1618. Les dommages-intérêts autres que ceux résultant du retard dans l’exécution d’une obligation de payer une somme d’argent portent intérêt au taux convenu entre les parties ou, à défaut, au taux légal, depuis la demeure ou depuis toute autre date postérieure que le tribunal estime appropriée, eu égard à la nature du préjudice et aux circonstances.
1619. Il peut être ajouté aux dommages-intérêts accordés à quelque titre que ce soit, une indemnité fixée en appliquant à leur montant, à compter de l’une ou l’autre des dates servant à calculer les intérêts qu’ils portent, un pourcentage égal à l’excédent du taux d’intérêt fixé pour les créances de l’État en application de l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale (chapitre A-6.002) sur le taux d’intérêt convenu entre les parties ou, à défaut, sur le taux légal. » (Soulignements ajoutés)
[16] Le Code civil du Québec édicte ceci :
« § 3. — De la demeure
1594. Le débiteur peut être constitué en demeure d'exécuter l'obligation par les termes mêmes du contrat, lorsqu'il y est stipulé que le seul écoulement du temps pour l'exécuter aura cet effet.
Il peut être aussi constitué en demeure par la demande extrajudiciaire que lui adresse son créancier d'exécuter l'obligation, par la demande en justice formée contre lui ou, encore, par le seul effet de la loi. » (Soulignements ajoutés)
[17] Tarif des frais exigibles par la Régie du logement, RLRQ, c. R-8.1, r. 6.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.