Décision

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Benoit c. Groupe CRH Canada inc.

2022 QCCS 1919

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

Montréal

 

No :

500-17-099497-177

 

 

DATE :

30 mai 2022

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

michel a. pinsonnault, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

ÉRIC BENOIT

et

RICHARD DUFF à titre personnel et à titre de mandataires

Demandeurs

c.

GROUPE CRH CANADA INC.

et

KPH TURCOT, UN PARTENARIAT S.E.N.C.

et

BAU-VAL INC.

et

VILLE DE VARENNES

Défenderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFIÉ

______________________________________________________________________

 

APERÇU

[1]                Les Demandeurs, messieurs Éric Benoit[1] et Richard Duff[2], agissent aux présentes tant en leur titre personnel qu’à titre de mandataires de 24 mandants[3] aux termes d’un mandat modifié en date du 6 septembre 2019[4].

[2]   À compter de 2016, la construction des nouvelles infrastructures du projet Turcot à Montréal a requis une quantité phénoménale de remblai de pierre concassée dont la majeure partie provenait de la carrière Demix Agrégats[5] située sur le chemin des Carrières à Varennes laquelle est exploitée par Groupe CRH Canada inc.[6]

[3]   Or, pendant la durée du Projet Turcot, pour s’approvisionner en remblai auprès de la Carrière Demix, les camions transportant les agrégats de pierre concassée[7] à destination du site de construction de l’échangeur Turcot à Montréal, devaient emprunter le chemin de la Butte-aux-Renards[8] sur la portion située entre l’autoroute de l’Acier[9] à Varennes et le chemin des Carrières. 

[4]   Le chemin des Carrières porte ce nom en raison de la présence de deux carrières, dont la Carrière Demix exploitée depuis 1959 et une seconde carrière exploitée par Bau-Val inc.[10] à compter de l’année 1964.

[5]                Bau-Val qui œuvre dans l’industrie des produits pétroliers raffinés a cessé d’exploiter sa carrière, mais y opère toujours par l’entremise de ses divisions, Tech-Mix, une entreprise de vente directe de produits spécialisés pour l’entretien et la réparation des routes et des bâtiments, et Pavages Varennes, spécialisée dans la conception et la fabrication de béton bitumineux chaud conventionnel et de haute performance.

[6]                Le CBR est l’unique voie de passage où la circulation des camions est autorisée entre, d’une part, les installations de CRH et de Bau-Val sur le chemin des Carrières et, d’autre part, l’Autoroute 30, laquelle se situe à quelques centaines de mètres des résidences des demandeurs.

[7]                À l’instar des clients de CRH, ceux de Bau-Val doivent également emprunter la portion du CBR d’une longueur d’environ 1,6 kilomètre qui relie l’Autoroute 30 au chemin des Carrières[11].

[8]                Or, le Tronçon CBR est bordé de quelque 15 résidences se trouvant au cœur d’une zone agricole permanente[12]. Par ailleurs, la circulation sur l’Autoroute 30 est visible et audible des résidences des demandeurs puisqu’elles n’y sont séparées que par des terres agricoles.

[9]                En fait, les demandeurs disent se trouver «coincés» entre l’Autoroute 30 et un complexe d’industries lourdes[13] étant riverains du CBR qui constitue la seule voie de transit conçue pour le trafic lourd menant à ce complexe.

[10]           Le présent recours des demandeurs vise également KPH Turcot, un partenariat S.E.N.C.[14] et la Ville de Varennes[15], cette dernière étant propriétaire et gestionnaire du CBR sur lequel les camions circulent pour en avoir hérité du ministère des Transports du Québec[16] au cours des années 90.

[11]           Quant à la société en nom collectif KPH[17], celle-ci s’est vue décerner par le MTQ un contrat de type conception-construction pour la réalisation du projet requérant, entre autres, l’approvisionnement d’agrégats de pierre concassée devant servir de remblai sur le site du projet de l’échangeur Turcot[18]. Les pierres concassées allant servir de remblai devaient comporter certaines caractéristiques particulières exigées par le MTQ.

[12]           Or, il fut déterminé que la Carrière Demix de CRH à Varennes était la seule à proximité du Projet Turcot qui pouvait fournir en quantité suffisante les agrégats composés de syénite. La preuve révélera que CRH a fourni à KPH aux fins du Projet Turcot tout près d’un million de tonnes de pierre concassée.   

[13]           Pour l’essentiel, les demandeurs allèguent être victimes, depuis au moins 2014, d’un préjudice important et sérieux et de graves inconvénients anormaux de voisinage causés par les opérations commerciales et industrielles générées par les installations de Carrière Demix et de Bau-Val à Varennes ainsi que par les installations de KPH à Montréal dans le cadre du Projet Turcot.

[14]           CRH répond qu’elle ne possède pas de flotte de camions et qu’elle ne livre pas les agrégats à ses clients qui sont plutôt responsables de venir en prendre livraison directement à la Carrière Demix. Bref, CRH n’opère et ne fait circuler aucun camion sur le CBR et par conséquent, n’exerce aucun contrôle sur les camionneurs envoyés par ses clients pour prendre livraison des agrégats sur le chemin des Carrières tout en empruntant le CBR.

[15]           Quoi qu’il en soit, pendant le Projet Turcot, de concert avec Varennes et avec l’assistance de KPH, CRH a mis en place des mesures de mitigation en 2016 et 2017 pour tenter d’atténuer les inconvénients liés à la circulation de camions sur le CBR le soir, la nuit et au cours des fins de semaine, ce qui n’a pas eu les effets bénéfiques escomptés auprès des demandeurs.  

[16]           Par ailleurs, CRH précise qu’elle a toujours exploité la Carrière Demix dans la légalité des lois environnementales contrairement aux allégations des demandeurs qui prétendent que les changements d’équipements utilisés à la Carrière Demix effectués depuis le début du siècle nécessitaient l’émission d’un certificat d’autorisation du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques[19] en vertu de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement[20].  

[17]           La position de Bau-Val s’apparente à celle de CRH quant au modus operandi des livraisons de camions qui relèvent exclusivement de sa clientèle. Bau-Val ajoute qu’elle n’a jamais été impliquée au niveau du Projet Turcot et ne peut donc être blâmée pour les inconvénients subis par les demandeurs pendant la durée du Projet Turcot et plus particulièrement au cours des années 2016 à 2018.

[18]           Quant à KPH, celle-ci nie toute responsabilité, ajoutant qu’elle n’a pas engagé sa responsabilité extracontractuelle en l’espèce ni causé des dommages aux demandeurs :

-          CRH étant le sous-traitant responsable de l’approvisionnement en pierre concassée pour le Projet Turcot;

-          KPH n’effectuant pas elle-même le transport de la pierre concassée en provenance de la Carrière Demix;

-          Le camionnage lié au Projet Turcot ne représentant qu’une portion du camionnage lié à l’ensemble des clients de CRH et de Bau-Val circulant sur le CBR pendant les années concernées; et

-          Le Projet Turcot ayant fait l’objet d’une autorisation ministérielle délivrée en vertu de l’article 22 L.Q.E.     

[19]           Enfin, CRH et KPH ont déploré le «grand absent» du présent débat, soit le MTQ qui a commissionné le Projet Turcot et qui aurait dû avoir un mot à dire au sujet de la circulation sur le CBR. Leurs procureurs s’expliquent mal pourquoi les demandeurs ont volontairement retiré le Procureur général du Québec[21] à titre de codéfendeur.

[20]           Au point de vue procédural, ce dossier a déjà suscité l’intervention de la Cour d’appel suite à une injonction interlocutoire prononcée par le juge Kirkland Casgrain le 29 mars 2018[22] dont il sera plus amplement question plus loin.

[21]           Mais, auparavant, pour bien situer les enjeux, il importe de résumer les dernières conclusions[23] recherchées par les demandeurs à l’endroit des défenderesses dans leur demande introductive d’instance du 17 février 2022.

1.                 Les conclusions recherchées

[22]           Outre une série de condamnations pécuniaires visant l’une ou l’autre des défenderesses, les dernières conclusions recherchées par les demandeurs comportent également un volet déclaratoire et un volet injonctif[24] :

I-                    Le volet déclaratoire

Les demandeurs demandent au Tribunal de déclarer que :

  • Bau-Val et CRH génèrent, dans le cadre de l’exploitation de leurs entreprises respectives, un camionnage excessif sur le CBR;
  • ce camionnage excessif a eu pour conséquence et continue de causer des troubles et inconvénients anormaux de voisinage au sens de l’article 976 de Code civil du QuébecC.c.Q.»);
  • les défenderesses CRH et KPH ont abusé de leurs droits ayant failli à leur devoir de respecter les règles de conduite qui s’imposent à elles compte tenu des circonstances, des usages et de la loi;
  • ce camionnage excessif porte atteinte à la santé, à la sécurité, au bien-être et au confort, cause du dommage et porte préjudice aux biens des Demandeurs en violation de l’article 20 de la L.Q.E.;
  • CRH ne détient pas les certificats d’autorisation requis pour l’utilisation des procédés de concassage et de tamisage et pour l’augmentation de la production de ses procédés par augmentation de leur capacité nominale au sens des dispositions applicables de l’article 22 de la L.Q.E.; et que
  • Varennes est solidairement responsable avec Bau-Val et CRH par omission d’avoir pris en temps opportun les mesures qui s’imposaient pour ouvrir une voie de contournement et pour gérer la circulation de poids lourds sur le CBR.

II-                 Le volet injonctif  

Quant à CRH et Bau-Val :

Il importe de noter que les volets injonctifs demandés ne doivent valoir que jusqu’à l’ouverture d’une voie de contournement et jusqu’à l’entrée en vigueur de la modification au Règlement 547-5 de Varennes interdisant la circulation des camions et véhicules-outils sur le CBR :

-          Un premier volet injonctif lié au camionnage sur le CBR voulant que les opérations courantes de CRH et de Bau-Val soient limitées aux heures d’ouverture normales les jours de la semaine et par conséquent :

  • De cesser, entre 17 h et 7 h, du lundi soir au vendredi matin inclusivement, toute opération de chargement des camions venant s’approvisionner en produits;
  • De cesser, sauf à raison de trois fois par année, les opérations de chargement de camions la fin de semaine, les jours fériés et durant les vacances de la construction;

-          Un second volet injonctif lié à la capacité de concassage à la Carrière Demix et à la capacité de fabrication des produits de Bau-Val en limitant le nombre quotidien[25] et le nombre mensuel[26] de chargements des camions allant s’approvisionner à leurs places d’affaires sur le chemin des Carrières; 

Quant à CRH :

-          Un troisième volet injonctif pour ordonner à CRH de cesser d’approvisionner directement ou indirectement sa clientèle à partir de la Carrière Demix à Varennes tant et aussi longtemps que CRH n’aura pas obtenu les certificats d’autorisation requis par la L.Q.E. et par le Règlement sur les carrières et sablières[27] du MELCC pour l’exploitation de sa carrière à Varennes, pour l’utilisation de ses procédés de concassage et de tamisage à ladite carrière et pour l’augmentation de la production de sa carrière par augmentation de la capacité nominale de ses procédés;

Quant à la Ville de Varennes :

-          Un quatrième volet injonctif obligeant la Ville de Varennes en tant que gestionnaire et propriétaire du CBR de prendre les mesures qui s’imposent pour aménager et ouvrir une voie de contournement pour le camionnage des entreprises des défenderesses Bau-Val et CRH;

III-               Le volet dommages-intérêts

Ce volet vise la condamnation de :

  1. Bau-Val à verser à chacun des demandeurs des dommages-intérêts de 10 000 $ par année à compter de 2014 et jusqu’à ce que cessent les inconvénients anormaux de voisinage causés par leurs activités de camionnage;
  2. Bau-Val à verser à chacun des demandeurs des dommages-intérêts exemplaires de 350 000 $;
  3. CRH à verser à chacun des demandeurs des dommages-intérêts de 15 000 $ par année pour les années 2014 et 2015 pour les inconvénients anormaux de voisinage causés par les activités de camionnage de Carrière Demix sur le CBR;
  4. CRH à verser à chacun des demandeurs des dommages-intérêts exemplaires de 350 000 $;
  5. CRH et KPH solidairement à chacun des demandeurs des dommages-intérêts de 50 000 $ par année et ce, à compter de 2016 jusqu’à ce que cessent leur préjudice, leurs inconvénients anormaux et intolérables de voisinage et l’atteinte à leur droit à la qualité de l’environnement.

[23]           Bref, les demandeurs allèguent principalement que le Projet Turcot a généré sur le CBR un camionnage de nuit effarant suscitant de nombreuses plaintes de leur part auprès de la Ville de Varennes sans aucun résultat positif tangible d’où les diverses conclusions recherchées en fonction de chacune des défenderesses.

[24]           Bien que l’approvisionnement en agrégats auprès de la Carrière Demix à Varennes pour le Projet Turcot ait débuté vers le mois de septembre 2015 et qu’il se soit poursuivi jusqu’en 2020 et bien que Bau-Val n’ait jamais été impliquée dans ce projet, les demandeurs reprochent à CRH et à Bau-Val d’avoir abusé de leurs droits en permettant un camionnage excessif sur le CBR rétroactivement à 2014, leur causant par le fait même des troubles et inconvénients anormaux de voisinage qui ont excédé les limites de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q. En se faisant, CRH et Bau-Val auraient rejeté dans l’environnement des contaminants (bruit et poussière) en contravention de l’article 20 L.Q.E.   

[25]           Chacune des défenderesses conteste les conclusions recherchées par les demandeurs à son endroit en offrant des arguments propres à chacune d’entre elles.

[26]           Avant de se pencher sur la position de chacune des parties, il importe de brosser un tableau du contexte factuel et procédural de la présente affaire.  

2.                 LE CONTEXTE FACTUEL et PROCÉDURAL

[27]           D’emblée, pour une meilleure compréhension des circonstances ayant donné ouverture au présent litige, il est utile de reproduire le contexte du litige tel que relaté par la Cour d’appel aux termes de son arrêt rendu le 21 juin 2018[28] dans la présente affaire alors que la Cour siégeait en appel du Jugement Casgrain.

[28]           Bénéficiant maintenant de la preuve administrée sur le fond, le Tribunal considère que le résumé offert par la Cour d’appel permet de bien saisir les faits essentiels du présent litige relativement aux événements survenus jusqu’en mars 2018 : 

[4] Le contexte du litige fut décrit dans le jugement accordant la permission d’appeler et il y a lieu de le reprendre ici[29].

[5] Linjonction interlocutoire fut prononcée à la demande des intimés Annie Beauregard [Annie Beauregard fut subséquemment remplacée par Éric Benoit] et Richard Duff agissant en leur nom et en vertu d’un mandat qui leur fut confié par 24 autres individus. Ils sont tous des résidents riverains dun tronçon de moins de deux kilomètres du chemin de la Butte-aux-Renards à Varennes, lequel est bordé par 15 résidences. Il sagit de lunique voie de circulation permettant aux camions de sapprovisionner auprès de la carrière de CRH et des installations de Bau-Val.

[6] Le camionnage sur le chemin de la Butte-aux-Renards a fait lobjet de plusieurs plaintes des résidents riverains au cours des années. Diverses démarches de la Ville de Varennes afin daménager une route de contournement se sont avérées infructueuses. Les plaintes des résidents, qui perduraient depuis plusieurs années, ont pris de lampleur en 2016 lorsque CRH devient une source importante de pierre concassée pour le Projet Turcot, laquelle pierre répondant à des critères techniques particuliers propices à la réalisation du projet.

[7] Le Projet Turcot sétend sur environ sept kilomètres dans laxe de lautoroute 20 et 720 et sur environ trois kilomètres dans laxe de lautoroute 15, dans les quartiers du sud-ouest du centre-ville de Montréal, Montréal-Ouest et Westmount. Outre la reconstruction de léchangeur Turcot et les tronçons des autoroutes 15, 20 et 720, le Projet Turcot comprend notamment la reconstruction des échangeurs de La Vérendrye, Angrignon et Montréal-Ouest. Il sagit dun projet majeur dinfrastructures routières requis pour les besoins des usagers du réseau routier métropolitain. Dailleurs, selon la preuve au dossier, plus de 300000 véhicules circulent quotidiennement sur léchangeur Turcot.

[8] KPH Turcot a reçu du ministère des Transports du Québec («MTQ») le contrat de conception-construction pour le Projet Turcot, qui doit être livré à l’automne 2020. Le projet est soumis à un échéancier serré, lequel exige que les travaux soient réalisés selon un horaire de travail de six jours par semaine sur deux quarts de travail, et ce, en continu, trois saisons par année. Contrairement aux structures existantes de lancien échangeur Turcot de type surélevé, les nouvelles infrastructures sont construites majoritairement sur du remblai. Il sagit essentiellement de construire des murs de soutènement le jour et dy ajouter à lintérieur du remblai (des pierres concassées) la nuit.

[9] Lapprovisionnement de cette pierre concassée se fait à la carrière de CRH puisque, jusqu’à récemment, KPH Turcot soutenait que cette carrière était la seule à proximité du Projet Turcot qui pouvait fournir en quantité suffisante la pierre concassée comportant les caractéristiques exigées par le MTQ.

[10] Il va de soi que cette demande a grandement augmenté la circulation des camions sur le chemin de la Butte-aux-Renards. Non seulement le nombre de camions augmente-t-il de façon importante, mais lapprovisionnement auprès de la carrière de CRH sétend une partie de lannée au soir et à la nuit, de même que la fin de semaine, et ce, principalement aux fins de desservir le Projet Turcot. Ainsi, selon les conclusions du juge de première instance, la circulation totale de camions attribuable aux activités de CRH aurait doublé, de 124324 passages en 2015 à 244128 passages en 2017.

[11] À cette circulation sajoute celle liée aux activités de Bau-Val. Dans ce dernier cas, la circulation des camions aurait augmenté dun peu plus dun tiers, soit de 22634 passages en 2015 à 30414 passages en 2017. Cet accroissement de la circulation nest cependant pas la résultante du Projet Turcot, mais plutôt dune expansion des activités de lentreprise Bau-Val.

[12] Les résidents riverains du chemin de la Butte-aux-Renards soutiennent que cette augmentation de la circulation des camions rend leur vie intolérable. Ils entament ainsi des procédures judiciaires pour obtenir des injonctions et des dommages-intérêts. Ils essuient un premier échec le 17 juillet 2017 lorsque le juge Paul Mayer de la Cour supérieure refuse de leur accorder une injonction provisoire vu labsence durgence et lintérêt public à terminer le Projet Turcot dans les délais.

[13] Les résidents cherchent alors à obtenir une injonction interlocutoire, ce que le juge de première instance leur accorde le 29 mars 2018. Dans son jugement, il conclut que les résidents riverains vivent une situation difficile liée au camionnage sur le chemin de la Butte-aux-Renards, que ce camionnage est excessif et quil contrevient à larticle 20 de la Loi sur la qualité de lenvironnement[30] LQE»). Il ajoute que CRH et Bau-Val exercent leurs droits dune manière excessive et déraisonnable et invoque larticle 976 du Code civil du Québec C.c.Q.») portant sur les troubles de voisinage. Il écarte la prétention voulant que lintérêt public doive primer en affirmant que «[l]a vie et la santé des citoyens de la Butte-aux-Renards valent plus que le chantier Turcot»[31]. Finalement, il conclut que les dommages subis par les résidents riverains ne peuvent être compensés adéquatement au moyen dun dédommagement financier, énonçant que «[l]a vie na pas de prix»[32].

[14] Le juge énonce ensuite que le droit des résidents riverains du chemin de la Butte-aux-Renards serait clair. Selon le juge, «si le droit est clair mais la certitude nest pas essentielle —, linjonction doit être émise»[33]. Il écarte ainsi le critère de la balance des inconvénients qui est généralement pris en compte lorsquune partie demande une injonction interlocutoire. Il conclut aussi que le procès qui décidera du mérite de laction judiciaire entreprise par les résidents riverains «ne pourra avoir lieu avant au moins un an ou deux, doù la demande interlocutoire»[34]. Il prononce donc une injonction valable jusquau jugement final.

[15] Cette injonction interlocutoire interdit le camionnage de soir et de nuit (de 17 h 30 à 6 h 29), limite le camionnage de fin de semaine à trois samedis par année et restreint sévèrement le camionnage de jour pour CRH et Bau-Val.

[16] CRH, Bau-Val et KPH Turcot demandent la permission d’appeler de ce jugement, de même que la suspension de l’injonction interlocutoire pendant l’appel. Le 26 avril 2018, la permission d’appeler est accordée et l’injonction interlocutoire est suspendue en partie, soit pour les jours du mois de mai 2018 (un jour s’étendant de 6 h 30 à 17 h 29), tout en étant maintenue pour le soir, la nuit et les fins de semaine. Cette suspension partielle de l’injonction interlocutoire fut prolongée par la Cour jusqu’à ce que le présent arrêt soit rendu.

[Soulignement ajouté]

[29]           Ainsi, le 17 juillet 2017, au moment du dépôt de leur demande introductive d’instance, se disant victimes dun préjudice important et sérieux et de graves inconvénients anormaux de voisinage, puisque le CBR était alors utilisé jour et nuit par le camionnage lourd pour répondre en particulier aux besoins en agrégats pour le client de CRH dans le contexte du Projet Turcot, les demandeurs présentent une demande pour l’émission d’une injonction interlocutoire provisoire visant à ordonner à CRH et à Bau-Val de cesser dapprovisionner pour une période de dix jours leur clientèle en général à partir de la Carrière Demix et des installations de Bau-Val à Varennes entre dix-sept heures et six heures le matin.

2.1   Le Jugement Mayer du 17 juillet 2017

[30]           CRH, Bau-Val et KPH contestent alors la demande pour l’émission d’une injonction interlocutoire provisoire qui est entendue et rejetée oralement le jour même par le juge Paul Mayer.

[31]           Pour l’essentiel, le 17 juillet 2017, le juge Mayer note à la lecture de la procédure, des pièces et de la vingtaine de déclarations sous serment produites en demande et formule les commentaires suivants :

-          L’existence d’études menées en 2016 qui révèle que quelque neuf cents camions parcourent le Tronçon CBR chaque jour soit un camion à chaque 90 secondes ainsi qu’un niveau sonore très élevé en découlant;

-          Trois éléments perturbateurs surviennent, soit des vibrations, du bruit et de la poussière;

-          Comme la situation vécue en 2016 se répète en 2017, le critère de l’urgence n’est pas satisfait;

-          Au niveau de l’apparence de droit, le juge n’est pas convaincu que CRH qui affirme jouir de droits acquis ait besoin d’un certificat d’autorisation devant être émis par le MELCC pour pouvoir exploiter la Carrière Demix;

-          Par ailleurs, prima facie, les demandeurs subissent des inconvénients anormaux du voisinage graves et importants qui excèdent la limite de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q.;  

-          À la lumière des inconvénients subis par les demandeurs, le juge ne voit pas a priori de faute commise par KPH;

-          Quant à Bau-Val, le droit des demandeurs n’apparait pas clair non plus d’autant que les allégués de la demande introductive d’instance concernent plutôt Carrière Demix, car Bau-Val n’est pas impliquée dans le Projet Turcot;

-          Le sommeil perturbé des demandeurs constitue un préjudice sérieux pour lequel aucune compensation adéquate ne peut être octroyée, car une telle privation peut avoir un impact important sur la santé en général tant physique que psychologique;

-          Enfin, la balance des inconvénients ne favorise pas les demandeurs compte tenu de l’impact qu’aurait l’ordonnance d’injonction provisoire demandée sur le Projet Turcot qui se veut un projet d’infrastructure majeur dont un tiers de la productivité se réalise par des quarts de nuit;

-          L’intérêt public de terminer le Projet Turcot dans les délais impartis doit primer les intérêts privés des demandeurs.  

2.2   Le Jugement Casgrain du 29 mars 2018

[32]           Le 29 mars 2018, le juge Kirkland Casgrain émet une ordonnance d’injonction interlocutoire à l’endroit de CRH et de Bau-Val pour valoir jusqu’au jugement sur le fond.

[33]           Ce jugement prononce une injonction interlocutoire restreignant significativement les heures d’exploitation de la Carrière Demix et celles de Bau-Val ainsi que le nombre de chargements de camions qui peuvent s’effectuer à la Carrière Demix et aux installations de fabrication d’enrobés bitumineux et de produits liés à l’asphaltage de Bau-Val, toutes deux desservies et accessibles par le CBR à Varennes.

[34]           Bien que KPH ne fasse l’objet d’aucune conclusion directement à son endroit, vu les restrictions majeures imposées à CRH, la société en commandite se pourvoit en appel du Jugement Casgrain, compte tenu de l’impact de celui-ci sur le bon déroulement du Projet Turcot.

[35]           Quelques jours avant l’audience en appel, KPH se désiste de son pourvoi[35]. La preuve a révélé que CRH venait d’acquérir une carrière à St-Jacques-le-Mineur qui pouvait offrir un certain approvisionnement en agrégats de syénite quoiqu’en quantité insuffisante pour cesser définitivement l’approvisionnement à la Carrière Demix à Varennes. Cette nouvelle solution alternative a cependant permis de réduire le besoin de KPH de s’approvisionner à la Carrière Demix à Varennes.    

2.3   L’arrêt de la Cour d’appel du 21 juin 2018[36]

[36]           Le 21 juin 2018, la Cour d’appel accueille, d’une part, l’appel de Bau-Val et infirme le Jugement Casgrain à son endroit aux motifs suivants :

[99] Quant à Bau-Val, la preuve ne révèle pas qu’elle fournit des matériaux pour le Projet Turcot. Le juge de première instance a d’ailleurs reconnu que «[q]uant à Bau-Val, […] les passages de nuit en semaine sont considérablement restreints et […] ceux de fins de semaine sont pratiquement inexistants sauf pour quelques petites pointes le jour en 2014». Pourtant, le juge interdit «le camionnage la nuit à l’avenir pour Bau-Val, que ce soit la semaine ou la fin de semaine» et il restreint considérablement le camionnage de jour. Ce faisant, le juge prononce une injonction interlocutoire à l’égard de Bau-Val sans tenir compte du critère de la balance des inconvénients, ce qui constitue en soi une erreur de droit justifiant l’intervention de la Cour.

[100] Pour 2016, la preuve indique 31456 passages de camions de jour, de nuit et de fin de semaine liés aux activités de Bau-Val, dont 30388 passages pendant la semaine de jour; pour 2017, c’est 30414 passages de camions de jour, de nuit et de fin de semaine liés aux activités de Bau-Val, dont 29522 passages pendant la semaine de jour. Les passages de soir, de nuit et de fin de semaine ne concernent qu’environ 3 % des activités de camionnage liées à Bau-Val. Le juge de première instance a lui-même reconnu que l’augmentation de l’achalandage généré par Bau-Val «reste minime dans l’équation» lorsqu’on le compare à l’achalandage généré par CRH.

[101] Dans ce contexte et tenant compte de la balance des inconvénients, il y a lieu d’accueillir l’appel de Bau-Val et de casser l’injonction interlocutoire à son égard.[37]

[Soulignement ajouté, références omises]

[37]           D’autre part, la Cour d’appel accueille en partie le pourvoi logé par CRH et infirme partiellement le Jugement Casgrain en ne maintenant essentiellement que la restriction de procéder au chargement des camions le soir, la nuit et les fins de semaine et en limitant dans le temps, la durée de l’injonction interlocutoire :

[104] INFIRME le jugement du 29 mars 2018 de la Cour supérieure et rendant le jugement qui aurait dû être rendu;

[105] ORDONNE à Groupe CRH Canada inc., ses dirigeants, représentants, employés et ayants droits, de limiter les chargements de camions de son entreprise ou place d’affaires située sur le chemin des carrières à Varennes aux jours et heures suivants :

(a) les jours de semaine du lundi au vendredi de 6 h à 18 h;

(b) trois (3) samedis par année (du 1er janvier au 31 décembre), de 6 h à 14 h, à condition d’en informer par écrit et préalablement les procureurs des intimés au moins dix (10) jours à l’avance.

[106] ORDONNE que cette injonction demeure en vigueur jusqu’à l’arrivée du premier des événements suivants :

(a) le jugement final de la Cour supérieure sur le recours entrepris par les intimés;

(b) la fin de la construction du Projet Turcot présentement prévue pour l’automne 2020;

(c) l’ouverture d’une voie de contournement au chemin de la Butte-aux-Renards à Varennes accessible aux camions.[38]

[38]           En ce faisant, la Cour d’appel élimine toute restriction quant au nombre de chargements de camion pouvant être effectué par CRH tant quotidiennement que mensuellement.

[39]           Bref, la Cour d’appel appliquant les critères régissant l’injonction interlocutoire conclut essentiellement qu’en l’espèce, l’intérêt public voulant que le Projet Turcot soit complété dans les meilleurs délais primait les intérêts privés des demandeurs.

[40]           La Cour d’appel retient également que les inconvénients majeurs subis et le préjudice sérieux et irréparable causé aux demandeurs découlaient avant tout du Projet Turcot et de l’approvisionnement dagrégats à la Carrière Demix qui ont entrainé un horaire atypique depuis 2016 comportant le camionnage intensif de soir, de nuit et de fin de semaine.  

[41]           C’est ainsi quen éliminant les limites de chargement de camions imposées à CRH pendant les journées de semaine aux termes du Jugement Casgrain, la Cour d’appel décide de rétablir le statu quo prévalant entre les parties avant que le contrat d’approvisionnement du Projet Turcot amène une intensification importante du camionnage de soir, de nuit et de fin de semaine sur le chemin de la Butte-aux-Renards constituant des troubles de voisinage qui excèdent les limites de la tolérance[39].

[42]           Quant à Bau-Val qui n’était aucunement liée au Projet Turcot, en cassant l’injonction interlocutoire à son égard, la Cour d’appel retient que les passages de soir, de nuit et de fin de semaine ne concernaient qu’environ 3 % des activités de camionnage liées à Bau-Val tout en notant que le juge Casgrain avait reconnu que l’augmentation de l’achalandage généré par Bau-Val «reste minime dans l’équation» lorsqu’on le compare à l’achalandage généré par CRH[40].

[43]           Enfin, quant à la Ville, la Cour d’appel qualifie de «solution raisonnée» la résolution à long terme du litige préconisée soit d’ouvrir une voie de contournement du CBR[41].

[44]           À la lumière de l’Arrêt du 21 juin 2018, un premier constat s’impose.

[45]           La Cour d’appel conclut que les troubles de voisinage [des demandeurs] qui excèdent les limites de la tolérance découlent de l’intensification dramatique du camionnage résultant de l’approvisionnement du Projet Turcot qui a amené depuis 2016 une intensification importante du camionnage de soir, de nuit et de fin de semaine sur le CBR par opposition au camionnage de jour de semaine.

[46]           Un second constat s’impose.

[47]           La Cour d’appel considère que les troubles de voisinage qui excèdent les limites de la tolérance étaient étroitement liés au Projet Turcot et devaient vraisemblablement prendre fin lorsque le Projet Turcot allait être complété comme prévu en 2020.

[48]           Par ailleurs, la Cour d’appel considère que l’ouverture d’une voie de contournement au CBR accessible aux camions aurait pour effet de résoudre les inconvénients dont se plaignent les demandeurs, d’où la conclusion de limiter la durée de l’injonction interlocutoire à la fin du Projet Turcot ou à l’ouverture d’une voie de contournement en l’absence d’un jugement final dans la présente instance. 

[49]           Bien que l’approvisionnement en agrégats ait terminé en 2020, le Projet Turcot a été complété formellement en 2021, l’Attestation de réception provisoire (générale) ayant été émise, le 1er avril 2021 et l’Attestation de réception finale le 31 août 2021[42].

[50]           En fait, le Tribunal comprend que l’approvisionnement en agrégats en provenance de la Carrière Demix a diminué significativement dès 2018 suite au Jugement Casgrain.

[51]           Ceci s’explique par le fait qu’en 2018, CRH a non seulement obtempéré au Jugement Casgrain, mais qu’elle a également acquis une carrière à St-Jacques-le-Mineur qui disposait d’une certaine quantité d’agrégats composés de syénite permettant par le fait même de réduire le nombre de camions allant s’approvisionner à la Carrière Demix de Varennes.

[52]           La réduction de l’achalandage des camions s’approvisionnant à la Carrière Demix à compter de 2018 a été reconnue par plusieurs demandeurs. Malheureusement, leur seuil de tolérance relativement à l’achalandage des camions sur le CBR, a été irrémédiablement franchi en raison des événements exceptionnels, mais dévastateurs quant à eux de 2016 et 2017.

2.4   L’implication du Procureur général du Québec

[53]           Dès le 10 juillet 2017, le PGQ était mis en cause sans aucune conclusion recherchée contre lui. Par modification du 31 octobre 2017, le PGQ devient codéfendeur tout comme lors de la modification du 6 novembre 2017. Le 21 mars 2018, les conclusions visant le PGQ disparaissent, mais le PGQ demeure codéfendeur. Puis, le 19 juillet 2018, le PGQ redevient mis en cause sans aucune conclusion le visant tout comme lors des modifications subséquentes du 9 septembre 2019 et du 17 février 2022.

[54]           Le 19 avril 2021, CRH appelle en garantie le PGQ (représentant le MTQ) afin de l’indemniser de toute condamnation pouvant être prononcée contre elle en faveur des demandeurs. Le 28 juin 2021, le PGQ s’y oppose.

[55]           Comme le procès devait débuter le 7 février 2022, le PGQ décide de présenter un Avis de gestion qui mènera au jugement de la juge Karen M. Rogers daté du 18 janvier 2022 aux termes duquel la juge préférera scinder l’appel en garantie de CRH sous réserve du droit du PGQ de présenter son opposition à une date ultérieure et ainsi ne pas provoquer la remise du procès vu la tardiveté de l’appel en garantie :

[12] ACCUEILLE la demande orale conjointe pour disjoindre la demande dintervention forcée de celle de laction principale de la défenderesse/demanderesse en garantie, Groupe CRH Canada inc., et du défendeur en garantie, le ministère des Transports du Québec, représenté par le Procureur général du Québec dans le dossier 500-17-099497-177;

[56]           Dans un autre registre, la multiplicité et la diversité des conclusions recherchées soulèvent plusieurs questions en litige.

3.                 LES QUESTIONS EN LITIGE

[57]           Dans la déclaration commune du 7 décembre 2020, les parties avaient énoncé quelque 32 questions en litige, certaines recoupant d’autres.

[58]           En janvier 2022, à l’approche du procès, la juge Karen Rogers a demandé aux parties de simplifier d’un commun accord les nombreuses questions en litige. Voici ce que l’exercice a donné :

1. Groupe CRH Canada inc. dispose-t-elle de droits acquis quant à ses procédés de concassage et tamisage? Quelle est leur portée, le cas échéant?

2. Est-ce que les défenderesses CRH et Bau-Val inc. sont, respectivement, des voisines au sens de l’article 976 CCQ :

3. Est-ce que les inconvénients allégués liés au passage de camions sur le chemin de la Butte-aux-Renards sont anormaux au sens de cet article? Le cas échéant, CRH ou Bau-Val sont-ils responsables de ces inconvénients anormaux?

4. Les demandeurs ont-ils rempli leur fardeau de démontrer une atteinte aux articles 19.1 et 20 al 2. LQE de la part de KPH Turcot, CRH ou Bau-Val en l’espèce?

5. Les demandeurs ont-ils rempli leur fardeau de démontrer qu’il y a eu abus de droit ou atteinte illicite et intentionnelle à un droit fondamental protégé par la Charte des droits et libertés de la personne à leur égard de la part de KPH Turcot et/ou CRH en l’espèce?

6. Les demandeurs sont-ils en droit de demander une conclusion purement déclaratoire à l’effet que la Ville de Varennes serait solidairement responsable avec Bau-Val et CRH par omission d’avoir pris en temps opportun les mesures qui s’imposaient pour ouvrir une voie de contournement et pour gérer la circulation de poids lourds sur le chemin de la Butte-aux-Renards?

7. Les demandeurs ont-ils droit aux conclusions de nature injonctive demandées à l’égard de CRH et Bau-Val?

8. Les demandeurs ont-ils droit à des dommages compensatoires en l’espèce? Le cas échéant, quel montant doit leur être accordé et en quelle proportion doivent-ils être assumés par chacune des défenderesses concernées?

9. Les demandeurs ont-ils droit à des dommages punitifs en l’espèce? Le cas échéant, quel montant doit leur être accordé et en quelle proportion doivent-ils être assumés par CRH et KPH Turcot?

[59]           Ces questions peuvent se regrouper en 5 catégories :

I- Les inconvénients de voisinage subis par les demandeurs au sens de l’article 976 C.c.Q. : 

  • CRH et Bau-Val sont-elles voisines des demandeurs au sens de l’article 976 C.c.Q.?
  • Est-ce que les inconvénients allégués liés au passage de camions sur le CBR sont anormaux au sens de l’article 976 C.c.Q.? Le cas échéant, CRH ou Bau-Val sont-elles responsables de ces inconvénients anormaux?
  • Dans l’affirmative, quelle est la durée de ces inconvénients anormaux? En d’autres mots, existent-ils toujours comme semblent le prétendre les demandeurs?

II-                 Y a-t-il eu rejet de contaminants (bruit et poussière) sur le CBR au sens des articles 19.1 et 20 al 2. L.Q.E.?

  • Les demandeurs ont-ils rempli leur fardeau de démontrer une atteinte aux articles 19.1 et 20 al 2. L.Q.E. causée par KPH, CRH et/ou Bau-Val en l’espèce?

III-               Les demandeurs ont-ils justifié la conclusion purement déclaratoire à l’effet que la Ville de Varennes serait solidairement responsable avec Bau-Val et CRH par omission d’avoir pris en temps opportun les mesures qui s’imposaient pour ouvrir une voie de contournement et pour gérer la circulation de poids lourds sur le chemin de la Butte-aux-Renards? 

IV-              Les demandeurs ont-ils droit aux conclusions de nature injonctive demandées à l’égard de CRH et de Bau-Val?

  • CRH dispose-t-elle de droits acquis quant à ses procédés de concassage et tamisage? Quelle est leur portée, le cas échéant?
  • Y a-t-il lieu d’ordonner la cessation des opérations de CRH jusqu’à ce que l’entreprise obtienne les certificats d’autorisation requis du MELCC en vertu de l’article 22 L.Q.E.? 

V-                Les dommages compensatoires et punitifs

  • Les demandeurs ont-ils droit à des dommages compensatoires en l’espèce? Le cas échéant, quel montant doit leur être accordé et en quelle proportion doivent-ils être assumés par chacune des défenderesses concernées?
  • Y a-t-il eu abus de droit ou atteinte illicite et intentionnelle à un droit fondamental des demandeurs protégé par la Charte des droits et libertés de la personne de la part de KPH et/ou de CRH en l’espèce?
  • Les demandeurs ont-ils droit à des dommages punitifs en l’espèce? Le cas échéant, quel montant devrait leur être accordé et en quelle proportion devraient-ils être assumés par CRH et KPH?

ANALYSE

[60]           D’emblée, le Tribunal est conscient que la coexistence des résidents du CBR avec CRH et Bau-Val qui exploitent leurs entreprises à proximité, soulève des enjeux fort réels et fort sérieux qui ne sont malheureusement pas susceptibles d’être résolus à la satisfaction de tous au moyen du présent jugement.

[61]           Certains constats préliminaires s’imposent.

[62]           À la lumière des arguments formulés de part et d’autre, CRH et Bau-Val ont prétendu, à juste titre, que les restrictions majeures que les demandeurs désirent leur imposer dorénavant par l’entremise des ordonnances d’injonction recherchées constituent en réalité une tentative de leur part de faire en sorte que les deux entreprises ferment leurs portes en raison du caractère sévère des restrictions demandées qui auraient pour effet de les empêcher de pouvoir desservir adéquatement les besoins de leur clientèle respective. 

[63]           Comme noté par la Cour d’appel dans l’Arrêt du 21 juin 2018[43], la Ville de Varennes soutient, à juste titre, que la solution à long terme du présent litige se trouve dans l’ouverture d’une voie de contournement du CBR et qu’il s’agit d’une solution raisonnée, ajoutant que si un tel projet se réalisait, l’injonction interlocutoire [à l’époque] n’aurait plus sa raison d’être.

[64]           Il ne fait aucun doute que la voie de contournement est la seule solution réaliste qui permette aux demandeurs de pouvoir cohabiter raisonnablement avec leurs voisins CRH et Bau-Val tout en leur permettant de poursuivre l’exploitation de leurs entreprises.

[65]           Dans une telle éventualité, les ordonnances d’injonction permanente présentement recherchées contre CRH et Bau-Val n’auraient vraisemblablement plus leur raison d’être non plus.

[66]           Le défi auquel est confronté Varennes est que la Ville n’a aucun contrôle sur le sort d’une telle démarche qui requiert en premier lieu, l’obtention préalable d’une autorisation de la part de la Commission de protection du territoire agricole (le «CPTAQ»), pour ensuite procéder, le cas échéant, à une ou plusieurs expropriations suivies de la construction de la voie de contournement alors autorisée.

[67]           Or, les tentatives antérieures de la Ville d’obtenir l’assentiment du CPTAQ se sont avérées des échecs vu le peu de réceptivité des décideurs alimentée par les objections de propriétaires concernés par des expropriations éventuelles ainsi que l’Union des producteurs agricoles (UPA) sans oublier le manque de volonté et de collaboration de CRH et de Bau-Val qui refusaient alors une telle solution par souci de nature économique avec un trajet allongé pour les camions se rendant à leurs installations. 

[68]           Quoi qu’il en soit, une fois la voie de contournement en place, le cas échéant, les demandeurs s’attendent aussi à ce que la Ville modifie son Règlement 547-5 pour interdire dorénavant la circulation de camions et de véhicules-outils sur le CBR. Or, le Tribunal comprend qu’une telle modification est également assujettie à l’approbation du MTQ pour pouvoir entrer en vigueur.    

[69]           Qui plus est, à l’heure actuelle, outre le Tronçon CBR qui fait l’objet du présent litige, les autres chemins donnant accès au chemin des Carrières ne sont pas conçus pour le camionnage lourd.

[70]           Force est de constater que les parties sont loin de la coupe aux lèvres en termes de trouver une solution réaliste, équitable et durable.

[71]           Le juge Casgrain avait raison de s’interroger sur l’inaction des instances gouvernementales pour mettre en place une voie de contournement :

[79] Et puis, que font au juste les autorités gouvernementales avec ce problème des résidents de la Butte-aux-Renards ? Comment se fait-il que rien n’a été fait pour mettre en place une voie de contournement?

[80] La procureure générale du Québec est également défenderesse dans les procédures des demandeurs.

[81] Pourtant, aucune réaction à jour.

[82] Quelques années avant que ne soient entrepris les travaux sur Turcot et suite à un décret du gouvernement du Québec, on a capturé sur le site et déménagé avec les plus grands soins environ 150 « couleuvres brunes du nord » menacées d’extinction : les travaux projetés aggravaient cette menace.

[83] Les résidents de la Butte-aux-Renards ont droit eux aussi à un minimum d’égards.[44]

4.                 LE RECOURS SOUS L’ARTICLE 976 C.c.Q.

4.1   Les inconvénients de voisinage subis par les demandeurs au sens de l’article 976 C.c.Q. 

[72]           Il y a lieu d’aborder, dans un premier temps, l’application des règles du voisinage au cas actuel au sens de l’article 976 C C.c.Q.

[73]           L’article 976 C.c.Q. se lit ainsi :

976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.

4.1.1           Les principes applicables à l’article 976 C.c.Q.

[74]           Il importe de conserver à l’esprit que l’article 976 C.c.Q. a instauré un régime de responsabilité sans faute[45] lequel impose aux demandeurs d’accepter les inconvénients normaux de leur voisinage «suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux».

[75]           Ainsi, la responsabilité d’un voisin n’est engagée que lorsque celui-ci cause à son voisin des inconvénients anormaux qui excèdent les limites de la tolérance comme le Tribunal l’a déjà constaté pour les années 2016 et 2017.

[76]           L’auteur Jean Teboul a résumé ainsi les critères centraux applicables en matière d’inconvénients anormaux de voisinage, soit la gravité et la récurrence des inconvénients :

Deux critères sont au centre de l’appréciation du seuil de normalité : la récurrence et la gravité du trouble. Cette dernière peut être appréciée en fonction de la nature des fonds, de leur situation, des usages locaux, et du moment de la journée, de la semaine ou de l’année durant lequel les troubles se produisent. La conduite du défendeur, bien que de moins en moins considéré suite au rejet d’un régime de responsabilité fondé sur la faute, n’a pas totalement disparu. La pré-occupation des lieux et la conduite du défendeur constituent tous deux des critères «satellites», non déterminants, mais permettant d’affiner l’appréciation du seuil. En revanche, des critères tels que l’utilité de l’activité du défendeur pour la collectivité ou le comportement de la victime restent marginaux.[46]

[77]           Dans l’affaire de Maltais c. Procureure générale du Québec[47], le juge Alain Michaud alors saisi d’une action collective au nom de 1350 résidents requérant la construction d’un mur antibruit destiné à réduire les inconvénients leur résultant du voisinage de l’autoroute Laurentienne à Québec, a résumé ainsi les principes directeurs dégagés par la jurisprudence en matière de troubles du voisinage :

   [168] Rappelons ici en ordre chronologique les plus significatifs des principes directeurs établis par nos tribunaux supérieurs, en matière de troubles de voisinage :

a) «les droits d’un propriétaire s’arrêtent là où commencent les droits identiques des autres propriétaires»;

b) en acquérant une propriété, on acquiert «l’environnement d’alors, mais aussi l’environnement futur»;

c) la limite au droit de propriété qu’impose l’article 976 C.c.Q., en regard des inconvénients anormaux ou excessifs de voisinage, «encadre le résultat de l’acte accompli par le propriétaire plutôt que son comportement»;

d) cette «reconnaissance d’une responsabilité sans faute favorise les objectifs de protection de l’environnement […] et renforce aussi l’application du principe du pollueur-payeur»;

e) les inconvénients normaux du voisinage «ne doivent pas être déterminés dans l’abstrait, mais plutôt en tenant compte de l’environnement dans lequel un abus de droit de propriété se serait matérialisé»;

f) une réclamante «ne bénéficie pas d’un droit acquis à ce que la situation du voisinage demeure inchangée», du fait de l’antériorité de son installation;

g) cette «antériorité d’un usage fait partie intégrante de l’examen contextuel requis dans les circonstances»;

h) tous les éléments et facteurs pertinents à la qualification des inconvénients doivent être pondérés et évalués par le juge de première instance, lequel bénéficie d’une grande discrétion;

i) le seuil de tolérance doit être apprécié selon un critère objectif, «celui d’autres voisins placés dans les mêmes circonstances : celui de l’être raisonnable»;

j) puisque l’arrêt CSL a établi que l’élément déterminant à examiner est le résultat de l’acte accompli par le propriétaire, «la seule défense possible est de démontrer la normalité du trouble et son caractère raisonnable»;

k) «pour conclure à la présence de troubles et de voisinage, deux critères sont centraux dans l’analyse des inconvénients : la gravité et la récurrence de ceux-ci».

[Références omises, italiques dans le texte]

[78]           Il y a lieu également de citer la Cour d’appel dans l’arrêt Homans c. Gestion Paroi inc.[48] où il est question, entre autres, d’établir un équilibre entre les droits de chacun :

[115] Or, l’article 976 C.c.Q. n’interdit pas de se livrer à des activités qui causent des inconvénients aux voisins. Il énonce au contraire expressément la règle voulant que les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage. Ce n’est qu’interprété a contrario, ce qu’il est toutefois tout à fait légitime de faire, que les tribunaux ont conclu qu’il interdit également de causer aux voisins des inconvénients anormaux.

[116] Ainsi, cette disposition sur laquelle est fondé le régime encadrant les troubles de voisinage contient, en son sein, l’idée même d’un équilibre entre les droits de chacun et impose aux tribunaux, lorsqu’on leur demande d’intervenir, la difficile tâche d’établir ce nécessaire équilibre. Ils doivent le faire en encadrant les activités, par ailleurs licites, de façon que les inconvénients qu’elles causent n’excèdent pas les inconvénients normaux de voisinage. Ils peuvent ainsi en réduire la fréquence, l’intensité, la durée, ou même, en certaines circonstances, les prohiber.

[Soulignement ajouté]

[79]           Bref, le régime de l’article 976 C.c.Q. requiert de tenir compte d’un ensemble de facteurs et de circonstances incluant notamment la nature ou la situation des fonds ou des lieux respectifs des voisins et les usages locaux.

[80]           Ainsi, lapplication de cette disposition commande une analyse multifactorielle et contextuelle[49].

[81]           La seule preuve d’inconvénients, qu’ils soient subjectivement tolérables ou non aux demandeurs, ne suffit pas; il doit s’agir d’inconvénients excessifs au sens de l’art. 976 C.c.Q.

[82]           La preuve de la nuisance ou des inconvénients anormaux causés par un voisin incombe à celui qui s’en plaint.

[83]           Par ailleurs, lorsque plus d’un voisin est impliqué comme en l’espèce, il s’agira de déterminer si les activités de Bau-Val, prises indépendamment des activités de CRH, pour lesquelles Bau-Val ne peut être tenue responsable, ont causé, par l’entremise du camionnage qui lui est attribuable, un inconvénient anormal eu égard à la nature et à la situation des fonds des demandeurs, aux usages locaux sur le CBR, et à l’ensemble du contexte factuel dans lequel s’inscrit le présent recours[50].

4.1.2           Le critère de la personne objective

[84]           Les tribunaux ont rappelé que le critère retenu par le législateur n’est pas subjectif, mais objectif. Le Tribunal est donc appelé à fixer la limite de la tolérance obligatoire en fonction dune conduite jugée «raisonnable» de la part de la personne qui subit linconvénient, compte tenu des circonstances pertinentes.

[85]           Or, ce seuil de tolérance doit être apprécié en fonction de celui dautres voisins placés dans les mêmes circonstances : celui de la personne raisonnable.[51]

[86]           L’affaire Larue c. TVA Productions inc.[52] rappelle la raison d’être de ce principe :

[184] C’est donc dire que lévaluation des inconvénients ne se fait pas selon ce quen pense un demandeur particulier, mais selon ce quune personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances en penserait.

[185] Cela évite quun demandeur intransigeant à tous égards et se déclare incommodé par tous les faits et gestes de son voisin et réussisse automatiquement son recours du simple fait quil na aucune tolérance à légard de quoi que ce soit.

[87]           Ce critère objectif est déterminant dans la présente affaire à la lumière des témoignages des demandeurs à l’audience. Certains d’entre eux ont indiqué qu’ils n’étaient tout simplement plus capables de tolérer les inconvénients qu’ils ont toujours autrement trouvé acceptables et tolérables avant les événements de 2016 et 2017.

[88]           M. Éric Benoit, le coreprésentant des demandeurs, a par exemple admis que le niveau de camionnage avait diminué depuis 2018 et n’était aucunement comparable à ce qui prévalait en 2016 et 2017. Or, il considère tout de même la situation actuelle comme étant intolérable et admet que cela est dû à une diminution de son propre niveau de tolérance survenu depuis les événements de 2016 et 2017.

[89]           M. Nicolas-Maxime Paiement, quant à lui, a admis qu’une personne qui irait aujourd’hui à sa maison n’entendrait pas les camions, mais que lui ne peut plus rien endurer comme bruit, donnant en exemple la camionnette de son voisin dans son nouveau quartier résidentiel. Il a ajouté qu’un camion passé sur le CBR le 28 décembre 2018 était le «camion de trop» et qu’il fallait «qu’il sorte». M. Paiement a déménagé en 2019.

[90]           Mme Josée Desaulniers a quant à elle expliqué qu’elle était devenue «allergique» au camionnage, de sorte qu’elle ne tolère plus aujourd’hui ce qu’elle a déjà pu tolérer par le passé.

[91]           Pour sa part, M. Éric Ruel a indiqué qu’il se «sent attaqué» maintenant à chaque passage de camion.

4.1.3           CRH et Bau-Val, voisins des demandeurs au sens de l’article 976 C.c.Q.

[92]           La Cour d’appel a tranché cette question dans l’Arrêt du 21 juin 2018 quant au statut de voisins de CRH et de Bau-Val au sens de l’article 976 C.c.Q. 

[93]           Il n’y a pas lieu de remettre en question cette détermination.

[94]           Il importe cependant de souligner les motifs de la Cour d’appel qui a rejeté l’argument de CRH et de Bau-Val voulant que ces dernières ne soient pas voisines des demandeurs au sens de l’article 976 C.c.Q.[53].

[95]           La Cour d’appel a également écarté l’argument que la source des inconvénients subis par les demandeurs était nécessairement étrangère à CRH et à Bau-Val, car elle résultait de l’exploitation de la voie publique par des camions et non de l’exploitation de leurs entreprises[54] :

[48] Avec égards, ce raisonnement doit être écarté ou, à tout le moins, considéré inapplicable en l’espèce. Les intimés affirment que le camionnage excessif est l’«inconvénient anormal» qu’ils subissent en ce sens que les désagréments dont ils se plaignent (bruit, poussière, particules, vibrations, pollution lumineuse et odeurs) sont inhérents au passage même des camions. Or, ce camionnage excessif est directement relié aux activités des appelantes, leurs «voisines» au sens de l’article 976 C.c.Q. C’est en ce sens que s’est d’ailleurs déjà exprimé le juge Jacques Dufresne (alors à la Cour supérieure) dans St-Cyrille-de-Wendover (Municipalité de) c. 3101-6965 Québec inc.[55] :

[47] En l’absence de contravention de l’exploitant à des normes réglementaires ou à des conditions du certificat d’autorisation quant au taux de circulation de camions par heure, le Tribunal ne peut faire droit à la présente demande d’injonction et empêcher la circulation de camions lourds dans le Rang III que si la demanderesse prouvait négligence ou abus de droit de la part de la défenderesse [c’est-à-dire, un trouble de voisinage].

[…]

[51] L’ensemble de la preuve telle que soumise ne justifie pas le Tribunal de faire droit à la demande d’injonction. L’exploitant de la sablière n’est pas pour autant à l’abri d’une injonction. Il ne peut abuser de son droit d’exploiter la sablière et doit respecter les règles de bon voisinage, notamment dans sa gestion de la fréquence et de la manière dont le transport de sable est effectué.

[Soulignement ajouté dans l’Arrêt]

[49] Si les inconvénients subis résultaient plutôt d’une faute des camionneurs, qui ne sont pas des employés des appelantes (ce qui serait le cas, par exemple, si les camionneurs, dans une intention malveillante, abusaient sans justification du klaxon en pleine nuit), ces dernières pourraient sans doute soulever ce fait à titre de novus actus interveniens afin de rompre le lien de causalité entre les activités de la carrière et les inconvénients subis. Toutefois, le fait qu’il soit théoriquement possible qu’un événement rompe le lien de causalité à titre de novus actus interveniens ne suffit pas à conclure que le lien de causalité est rompu. Encore faut-il que cet événement se soit effectivement produit. La catégorie du novus actus interveniens suppose l’existence d’un fait ou d’un acte qui a rompu le lien de causalité entre l’activité du défendeur et le préjudice subi par le demandeur[56]. Cependant, ce n’est pas le cas ici, car ce qui est en cause n’est pas la conduite abusive des camionneurs, mais plutôt la quantité excessive de chargements provenant des entreprises voisines créant ainsi une circulation excessive de camions.

[50] Le camionnage en cause en l’espèce est donc indissociable des activités de chargement qui, elles, font partie de l’exploitation même des entreprises des appelantes. Ainsi, un tribunal peut conclure à l’existence d’un trouble de voisinage contraire à l’article 976 C.c.Q. lorsque l’exploitant d’une entreprise voisine est la cause d’un transport excessif de ses matières, que ce soit par la fréquence abusive du transport ou par la manière abusive dont il est effectué.

[…]

[52] D’après les conclusions de fait du juge de première instance, la circulation totale de camions attribuable aux activités de CRH aurait doublé, de 124324 passages en 2015 à 244128 passages en 2017[57]. Quant à Bau-Val, la circulation s’est accrue de 22634 passages en 2015 à 30414 passages en 2017[58].

[53] Les intimés prétendent que ce camionnage est excessif sur le chemin de la Butte-aux-Renards puisqu’il engendre des inconvénients anormaux de voisinage. Ils se plaignent particulièrement des «sons», «odeurs» et «vibrations» lesquels, il faut le souligner, sont des «contaminants» au sens du paragraphe 1(5°) LQE[59].

[Caractères gras ajoutés]

[96]           Le Tribunal doit néanmoins déterminer si, à titre de voisins des demandeurs, CRH et Bau-Val ont causé aux demandeurs des inconvénients anormaux qui excèdent les limites de la tolérance.

[97]           Dans l’affirmative, vu les dommages réclamés depuis 2014 et les conclusions en injonction permanente, ces inconvénients anormaux ont-ils été causés depuis 2014 et perdurent-ils jusqu’à présent comme le prétendent les demandeurs?    

[98]           Pour les motifs qui suivent, le Tribunal est satisfait que pour les années 2016 et 2017, par la fréquence et l’intensité de l’achalandage des camions en transit aux installations de CRH et circulant sur le Tronçon CBR, les demandeurs ont subi des inconvénients majeurs et anormaux de voisinage qui excédaient clairement les limites de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q.   

[99]           Pendant ces deux années, ces inconvénients anormaux ont été causés par leur voisin CRH dans le contexte de l’exploitation de son entreprise située sur le chemin des Carrières en raison de la situation exceptionnelle créée par l’approvisionnement intensif du Projet Turcot à des heures atypiques.

[100]       Le Tribunal n’en vient pas à la même conclusion quant à Bau-Val vu l’impact relativement négligeable ou minime dans l’équation que son entreprise a eu sur le niveau d’achalandage de camions sur le CBR pendant ces deux années comparativement à la situation qui prévalait avant 2016 comme l’ont noté le juge Casgrain et la Cour d’appel[60].

[101]       En d’autres termes, contrairement à CRH, l’achalandage des camions fréquentant les installations de Bau-Val au cours des années 2016 et 2017 n’a pas vu un accroissement tel qu’il puisse être considéré comme constituant un inconvénient anormal de voisinage excédant les limites de la tolérance en comparant cet achalandage à celui des années 2014 et 2015 dont il sera plus amplement question plus loin.

[102]       Même s’ils pouvaient circuler aux mêmes heures que les camions s’approvisionnant aux installations de CRH, les inconvénients anormaux imputables à CRH ne peuvent être transposés à Bau-Val. Les activités et démarches de chaque voisin doivent apprécier distinctement de l’autre en fonction des critères applicables à l’article 976 C.c.Q.     

[103]       Par ailleurs, bien que le camionnage excessif suscité par l’approvisionnement du Projet Turcot se soit déroulé essentiellement en 2016 et en 2017, les demandeurs demandent l’octroi de dommages rétroactivement à 2014 et ce, jusqu’à ce que cessent les inconvénients anormaux de voisinage causés par les activités de camionnage de CRH et de Bau-Val, d’une part et de 2016 jusqu’à ce que cessent leur préjudice, leurs inconvénients anormaux et intolérables de voisinage et l’atteinte à leur droit à la qualité de l’environnement causés par CRH et KPH, d’autre part.

[104]       En raison de ce qui précède, après avoir traité des circonstances vécues en 2016 et 2017 qui ont manifestement donné ouverture aux présentes procédures judiciaires, le Tribunal abordera les années 2014 et 2015, puis la situation depuis 2018.    

4.1.4           Les inconvénients anormaux du voisinage subis en 2016 et 2017

4.1.4.1            CRH et le Projet Turcot, les années 2016 et 2017

[105]       Sur les vingt-six demandeurs, treize ont témoigné au procès.

[106]       Vingt-cinq d’entre eux avaient préalablement déposé des déclarations sous serment en 2017 au soutien de leur demande pour l’émission d’une injonction interlocutoire provisoire, lesquelles ont également servi pour l’obtention de l’injonction interlocutoire en mars 2018. 

[107]       À l’époque du dépôt de la demande introductive d’instance en juillet 2017, les demandeurs étaient tous résidents riverains du Tronçon CBR.

[108]       La preuve administrée au procès a permis de constater qu’une dizaine de demandeurs a quitté le CBR depuis 2018.

[109]       Ainsi, les demandeurs suivants n’habitent plus sur le CBR aujourd’hui : Luc Nesterenko (départ en 2018), Marie-Josée Paquet (départ en 2018), Justine Nesterenko (départ en 2018), Annie Beauregard (départ en 2018), Alexandre Demers (départ en 2018), Anne-Marie Conciatori (départ en 2019), Nicolas-Maxime Paiement (départ en 2019), et Alex Harvey (départ en 2020).

[110]       La preuve est silencieuse quant à savoir si Gabrielle Cormier et Isabelle Cormier habitent toujours sur le CBR.

[111]       D’emblée, bien que supplémentée par des données additionnelles au procès, force est de constater que la preuve administrée à l’audience rejoint celle présentée antérieurement qui a mené au Jugement Casgrain et à l’Arrêt du 21 juin 2018 quant à l’impact du camionnage sur les résidents riverains du Tronçon CBR.

[112]       Dans le Jugement Casgrain, le juge mentionne que les demandeurs s’étaient accommodés tant bien que mal du va-et-vient des camions, mais qu’à compter du printemps 2016, leur situation a atteint le point critique.[61]

[113]       Dans une section intitulée «L’enfer», après avoir cité de larges extraits de quelque dix-huit déclarations sous serment déposées au soutien de la demande d’injonction interlocutoire[62] lesquelles font également partie de la preuve aux fins des présentes le juge Casgrain conclut :

[35] Ces témoignages sont ceux de gens désespérés.

[114]       S’appuyant sur l’expertise de Monsieur Jean-René Guilbault «Guilbault») qui avait colligé les données ayant trait aux passages de camions sur le CBR en direction et provenance des installations de CRH et de Bau-Val pour les années 2014 à 2017[63], le juge Casgrain note :

[52] Les pièces I-19 en liasse et I-17 en liasse sont le produit final : des graphiques qui nous montrent la progression de l’achalandage en 2016 et en 2017 par rapport à 2014 et 2015.

[53] Voici quelques données pour C.R.H., tirées cette fois des tableaux-analyses :

— au mois d’août 2016, plus de 27000 passages;

— au mois de septembre 2016, plus de 40000 passages;

— au mois d’août 2017, plus de 31000 passages;

— au mois de septembre 2017, plus de 24000 passages;

[54] À ceci s’ajoute l’achalandage généré par Bau-Val, dont l’augmentation par rapport aux années 2014-2015 reste minime dans l’équation, mais qui participe tout de même à l’augmentation totale (environ 3250 par mois pour les mois d’août et septembre 2016 et 4320 en août 2017 et 2594 en septembre 2017).

[55] L’achalandage sur la Butte-aux-Renards est en fait, à certaines périodes de l’année, une véritable procession de camions.

[56] Les graphiques de l’expert Guilbault démontrent également que c’est le chantier Turcot, le grand responsable de cette procession, particulièrement la nuit.

[57] De fait, les graphiques de l’expert Guilbault démontrent que les chargements de nuit ont commencé à la fin juin de 2015 et qu’ils sont dus au chantier Turcot.

[Soulignement ajouté]

[115]       Après avoir reproduit de nombreuses statistiques relevées pour les années 2014 à 2017 relativement aux passages sur le Tronçon CBR de camions fréquentant les installations de CRH et de Bau-Val, le juge Casgrain conclut à un résultat réel qu’il qualifie d’effarant :

[59] Nous avons réparti les nombres de passages également sur les 12 mois de l’année; mais on sait que dans les faits, chaque mois est différent et que les mois d’hiver sont beaucoup moins achalandés : décembre, janvier, février et mars, en particulier, représentent un pourcentage beaucoup plus bas de camions par rapport aux autres mois… Le résultat réel est effarant : comme on a vu, plus de 40000 passages pour CRH seulement en septembre 2016 soit plus de 1333 passages par jour (24 heures) et donc près d’un camion à la minute à chaque heure du jour et de la nuit tout le mois durant, 7 jours par semaine

[Caractères gras ajoutés]

[116]       Selon le juge Casgrain, il ne faisait aucun doute également que CRH et Bau-Val nuisaient aux demandeurs en permettant que ce camionnage puisse être effectué d’une telle façon[64]. Le juge conclut : 

[75] En l’espèce, CRH et Bau-Val, et CRH en particulier, exercent des droits qui nuisent aux demandeurs d’une manière excessive et déraisonnable : la preuve soumise est accablante.

[117]       Bref, à la lecture du Jugement Casgrain, il ne fait aucun doute que celui-ci avait fait un lien direct entre le Projet Turcot et l’approvisionnement à la Carrière Demix de Varennes pour conclure que les demandeurs subissaient un préjudice irréparable dû à l’augmentation considérable de l’achalandage de camions depuis le printemps 2016[65] :

[87] Certes, CRH et Bau-Val ont le droit d’exploiter leur entreprise, mais ce droit a des limites. CRH et Bau-Val ont des droits, mais ils n’ont pas tous les droits.

[88] CRH et Bau-Val savent qu’elles sont les premières responsables de l’achalandage excessif subis par les demandeurs : elles ne peuvent se laver les mains des conséquences de cet achalandage excessif.

[118]       Aux termes de l’Arrêt du 21 juin 2018, la Cour d’appel retient les données liées aux passages de camions fréquentant les installations de CRH et de Bau-Val en notant que Bau-Val a vu son achalandage s’accroitre en 2017 bien que ce ne soit pas la résultante du Projet Turcot, mais plutôt d’une expansion de ses activités à Varennes[66].

[119]       À l’instar du juge Casgrain, la Cour d’appel qualifie d’«hallucinants» les chiffres correspondant au camionnage de soir, de nuit et de fin de semaine engendré par les besoins du Projet Turcot[67] :

[56] Tout comme le juge de première instance, force est de constater que les chiffres correspondant au camionnage de soir, de nuit et de fin de semaine engendré par les besoins du Projet Turcot sont «hallucinants»[68]. Pour les mois de juin à septembre 2016, ces chiffres sont respectivement les suivants[69] : 5870, 3283, 7280 et 5289 passages. Il s’agit là seulement des passages de soir, de nuit et de fin de semaine pour CRH. Pour les mois de juin à septembre 2017, ces chiffres sont respectivement les suivants[70] : 2817, 7911, 7638 et 2532 passages.

[57] À titre d’exemple, selon une étude réalisée entre le vendredi 26 août 2016 et le vendredi 2 septembre 2016[71], il est passé en moyenne environ 149 camions à benne par nuit auxquels il faut additionner le passage de 131 poids lourds par nuit, pour un total de 280 camions par nuit[72]. Une nuit s’étendant, dans cette étude, entre 20 h et 7 h (soit 11 heures), cela représente environ 25 camions par heure, soit un camion presque toutes les deux minutes… en pleine nuit. Le juge de première instance a sans équivoque conclu qu’il s’agissait d’un camionnage «excessif»[73]. Rappelons que l’évaluation du caractère «anormal» de l’inconvénient subi «est essentiellement une question de fait faisant appel au pouvoir d’appréciation du juge de première instance qui jouit d’une discrétion»[74].

[58] Les mesures acoustiques prises sur le chemin de la Butte-aux-Renards effectuées de 16 h 24 le jeudi 15 septembre 2016 jusqu’à 19 h 51 le vendredi 16 septembre 2016 indiquent des niveaux sonores aux trois points mesurés de 63, 64 et 66 dBA sur 24 heures[75].

[59] Ainsi, au stade actuel du dossier, le juge de première instance pouvait tout à fait retenir que ce bruit était un inconvénient «anormal» ou «excessif» compte tenu de la quantité de passages de camions en cause, des mesures acoustiques et des descriptions des préjudices subis énoncés par les intimés riverains du chemin de la Butte-aux-Renards dans leurs nombreuses déclarations assermentées à l’appui de la demande d’injonction interlocutoire.

[60] Les intimés satisfont donc au critère de la question sérieuse en ce qui concerne à tout le moins le camionnage de soir, de nuit et de fin de semaine lié au Projet Turcot. CRH reconnaît que [c] » est […] la construction du complexe d’échangeurs Turcot qui nécessite […] un approvisionnement en agrégats de façon continue la nuit et qu’[i]l s’agit d’une situation exceptionnelle[76]. Donc, difficile d’y voir un inconvénient «normal» du voisinage.

[Soulignement et caractères gras ajoutés]

[120]       Tel que susmentionné, en sus des déclarations sous serment déjà versées au dossier, le Tribunal a eu le bénéfice d’entendre le témoignage de treize des demandeurs.

[121]       En plus d’être convaincants, ces témoignages fort éloquents, voire touchants et particulièrement troublants à certains égards ont tous fait écho des faits allégués dans les diverses déclarations sous serment et surtout, du véritable enfer et du cauchemar vécus par les demandeurs à compter du printemps 2016 avec le début de l’approvisionnement massif requis pour répondre aux besoins ponctuels du Projet Turcot en 2016 et 2017.

[122]       Il n’était donc pas surprenant quen présentant leur demande d’injonction interlocutoire en mars 2018, les demandeurs ne veuillent plus revivre un troisième été similaire.  

[123]       Il ne fait aucun doute dans l’esprit du Tribunal qu’au cours des années 2016 et 2017, l’achalandage soudain, excessif et déraisonnable des camions circulant sur le CBR le soir, la nuit et la fin de semaine a créé une situation et un environnement engendrant des inconvénients majeurs et anormaux pour les demandeurs excédant clairement les limites de la tolérance.

[124]       Comme le disait le juge Casgrain en parlant des années 2016 et 2017, la preuve est accablante[77].

[125]       La Cour d’appel a également noté que le Projet Turcot avait été identifié comme étant la principale source du transport ou du camionnage excessif sur le Tronçon CBR en 2016 et 2017 :

[54] Les heures d’ouverture courantes de la carrière de CRH à Varennes sont, depuis plusieurs années, de 6 h à 18 h du lundi au vendredi et à l’occasion, de 6 h à 14 h le samedi[78]. En juin 2016, toutefois, CRH a informé la Ville qu’elle avait obtenu «un important contrat de fourniture de pierres et d’agrégats, dans un contexte où les travaux en cause devaient se réaliser principalement la nuit»[79]. Comme l’explique Mathieu Langelier, Directeur Environnement, santé et sécurité chez CRH, dans sa déclaration sous serment en date du 20 février 2018, le projet du complexe d’échangeurs Turcot […] a créé depuis l’année 2016 […] une forte demande de matériaux et [c] » est la demande créée par le chantier du complexe d’échangeurs Turcot […] qui entraîne l’intensification du camionnage sur le chemin de la Butte-aux-Renards[80]. Ce camionnage accru relié au Projet Turcot se fait principalement du mois de juin au mois de septembre, le soir et la nuit en semaine et le jour les samedis.

[55] Il ressort des déclarations sous serment des résidents du chemin de la Butte-aux-Renards, dont le juge de première instance cite de larges extraits dans son jugement, que c’est surtout l’horaire atypique de la carrière de CRH depuis 2016, c’est-à-dire le camionnage de soir, de nuit et de fin de semaine lié au Projet Turcot, qui est la principale cause de leurs tourments. Comme le note le juge de première instance, plusieurs des demandeurs déclarent s’être accommodés de l’achalandage de[s] années [2014 et 2015] (voir leurs [déclarations assermentées] et interrogatoires hors cour)[81]. Toujours selon le juge de première instance, le camionnage de nuit […], que ce soit la semaine ou la fin de semaine, est pratiquement généré par Turcot[82]. En effet, [e]nviron 98,6 % du transport d’agrégats en dehors des heures d’ouverture courantes depuis 2016 provenant de la carrière de Varennes sont destinés aux travaux du complexe d’échangeurs Turcot et [c] » est […] la construction du complexe d’échangeurs Turcot qui nécessite ainsi un approvisionnement en agrégats de façon continue la nuit[83].

[Caractères gras ajoutés]

[126]       Le lien entre les inconvénients anormaux et excessifs subis par les demandeurs et le Projet Turcot était si étroit que la Cour d’appel a même jugé opportun de limiter la durée de l’injonction interlocutoire, entre autres, à la fin dudit Projet.

[127]       En ce qui a trait aux années 2016 et 2017, en fonction de la preuve administrée à l’audience comportant, entre autres, les mêmes études, données et informations soumises au juge Casgrain et à la Cour d’appel, rien ne permet au Tribunal de conclure autrement que l’ont fait ceux-ci quant au caractère anormal et excessif des inconvénients de voisinage subis par les demandeurs en raison du camionnage lié au Projet Turcot.  

[128]       Au cours des années 2016 et 2017, c’est CRH qui à titre de voisin des demandeurs, a bel et bien fait subir à ces derniers des inconvénients anormaux du voisinage excédant les limites de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q.

[129]       Le fait qu’il s’agissait alors de circonstances exceptionnelles pour répondre aux besoins du Projet Turcot comme le prétend CRH, n’atténue aucunement ses propres obligations à titre de voisin des demandeurs au sens de l’article 976 C.c.Q. ni l’impact majeur et néfaste de l’achalandage accru et excessif sur ceux-ci. Le fait qu’un inconvénient soit exceptionnel n’empêche pas qu’il puisse être également anormal excédant le seuil de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q.

[130]       Qu’en 2016 et 2017, CRH ait mis en place avec l’assistance de KPH et de la Ville des mesures de mitigation qui ne se sont pas avérées aussi heureuses et utiles qu’espéré pour atténuer les inconvénients anormaux alors subis par les demandeurs et que les offres monétaires soumises n’aient pas suscité l’aval de ces derniers, ne dégage pas CRH de toute responsabilité au sens de l’article 976 C.c.Q. si ce n’est que de témoigner que CRH était certes consciente de l’importance et de l’ampleur des inconvénients subis sur une base dite exceptionnelle.     

[131]       Somme toute, le Tribunal est d’avis qu’en l’espèce, en ce qui a trait aux années 2016 et 2017, il y a lieu de conclure que les demandeurs ont subi des troubles anormaux de voisinage qui ont excédé les limites de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q. qui sont imputables à leur voisin CRH lequel a alors généré, avec l’exploitation de son entreprise, un transport de ses produits par camion qui se voulait excessif par la fréquence abusive du transport et par la manière déraisonnable dont il s’est effectué avec un horaire typique abusif.   

[132]       Le Tribunal retient donc la responsabilité de CRH, à titre de voisin des demandeurs au sens de l’article 976 C.c.Q. pour les années 2016 et 2017.

[133]       Avec égards, il y a lieu de rejeter l’argument de CRH voulant que le Projet Turcot, un projet de construction monumental d’intérêt public, par surcroît, ayant été avalisé par décrets gouvernementaux, CRH se devait somme toute d’obtempérer aux exigences du donneur d’ouvrage le MTQ et de KPH, et ce, même si le fait de répondre favorablement à ces exigences exceptionnelles aurait pour effet de causer des inconvénients anormaux aux résidents du Tronçon CBR.   

[134]       En telles circonstances, CRH a soutenu ne pas être responsable de causer des inconvénients anormaux qui excédaient les limites de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q. car dans un tel contexte, il revenait aux résidents du Tronçon CBR de participer à l’effort collectif et par conséquent, de tolérer ces inconvénients temporaires si pénibles soient-ils.

[135]       On peut difficilement parler d’inconvénients temporaires compte tenu de l’ampleur et de la sévérité des inconvénients subis, et des moments durant lesquels ils sont survenus à toute heure du jour et de la nuit et de leur récurrence intensive pendant deux années.

[136]       Si l’approvisionnement à la Carrière Demix était à ce point crucial et absolument essentiel à la réalisation du Projet Turcot, CRH pouvait aisément anticiper l’impact de l’approvisionnement envisagé sur ses voisins pour sensibiliser sans délai KPH et le MTQ afin de planifier dès lors des mesures de mitigation raisonnables et efficaces.

[137]       Rappelons que lors de la construction de l’Autoroute 30 au cours des années 60, le MTQ avait fait en sorte qu’une voie de contournement soit construite en prolongeant le chemin des Carrières jusqu’à une voie de desserte de l’Autoroute 30 créée pour l’occasion, le tout au bénéfice des camions s’approvisionnant aux installations de CRH et de Bau-Val. Pour des raisons qu’ignore le Tribunal, le MTQ a abandonné cette voie de contournement une fois l’Autoroute 30 terminée.  

[138]       Quoi qu’il en soit, la preuve révèle plutôt que CRH n’a rien fait à l’égard des inconvénients anormaux qu’elle pouvait raisonnablement anticiper, pour plutôt laisser KPH le découvrir plus tard alors que le mal était déjà fait.

[139]       La responsabilité de cette situation incombe exclusivement à CRH qui ne peut plaider essentiellement qu’elle n’avait pas autre choix que d’obtempérer aux exigences de l’instance gouvernementale du MTQ et de KPH.         

[140]       Qu’est-il du voisin Bau-Val?

4.1.4.2            Bau-Val a-t-elle causé des inconvénients anormaux à ses voisins, les demandeurs?

[141]       Pour les motifs qui suivent, force est de constater, à la lumière de la preuve, que Bau-Val n’a pas causé d’inconvénients anormaux aux demandeurs en 2016 et 2017 au sens de l’article 976 C.c.Q.

[142]       D’emblée, il est clair et c’est ce qui dégage de l’Arrêt du 21 juin 2018 rendu au stade de l’injonction interlocutoire que le seul inconvénient alors considéré comme un inconvénient anormal de voisinage vécu par les demandeurs, était le camionnage intensif de nuit et de fin de semaine ayant eu lieu en 2016 et 2017 en lien avec l’approvisionnement du Projet Turcot auquel Bau-Val ne participait pas.[84]

[143]       Étant étrangère au Projet Turcot, il faut déterminer si Bau-Val a causé des inconvénients anormaux du voisinage à l’endroit des demandeurs en 2016 et 2017 en appréciant les critères applicables à l’article 976 C.c.Q.

[144]       Rappelons que le juge Casgrain avait mentionné que les demandeurs s’étaient accommodés tant bien que mal du va-et-vient des camions, mais qu’à compter du printemps 2016, leur situation avait atteint le point critique.[85]

[145]       Pratiquement tous les demandeurs ont d’ailleurs admis que la situation du camionnage sur le CBR, avant 2016, était tolérable et acceptable alors que les camions circulaient les jours de semaine, et occasionnellement le soir, la nuit et la fin de semaine.

[146]       Le bruit causé par le camionnage attribuable aux activités de Bau-Val, et particulièrement celui en dehors des heures normales d’ouverture, n’a jamais présenté le seuil de gravité et de récurrence que requiert la jurisprudence pour que la responsabilité de Bau-Val puisse être engagée en vertu de l’article 976 C.c.Q.

[147]       Le passage des camions lourds sur le CBR constitue sans aucun doute un inconvénient pour les résidents riverains. C’est cependant un inconvénient que doivent tolérer normalement toutes les personnes habitant en bordure d’un chemin où le camionnage est autorisé. Aucune preuve n’a été administrée afin de démontrer en quoi la situation sur le CBR serait différente de celle qui prévaut sur tous les autres chemins publics comparables, au Québec.

[148]       En d’autres termes, les inconvénients que pourrait avoir causés Bau-Val aux demandeurs s’avèrent être des inconvénients qu’une personne raisonnable résidant sur le CBR jugerait normaux eu égard à la nature de cette route, à sa situation géographique, à la nature des activités de Bau-Val et à l’utilisation du CBR par Bau-Val depuis plus de 50 ans.

4.1.5           Les années 2014 et 2015 et la situation des fonds des parties, l’évolution des usages locaux au sens de l’article 976 CCQ

[149]       Contrairement aux années 2016 et 2017, la situation est moins évidente en ce qui a trait aux années précédentes soit les années 2014 et 2015 qui font l’objet de réclamations de la part des demandeurs fondées sur l’article 976 C.c.Q.

[150]       Un examen de la situation des fonds et des usages locaux s’impose.

[151]       Il importe de tenir compte, entre autres, de la nature ou de la situation des lieux respectifs des voisins. Autrement dit, le Tribunal doit bien évidemment tenir compte du «voisinage».

[152]       Les demandeurs vivent dans des résidences construites sur des terres agricoles bordant le CBR dans la Ville de Varennes.

[153]       Comme le démontre la pièce DCRH-18[86], les demandeurs ne vivent pas le long d’un simple chemin de campagne, mais le long d’une artère sur laquelle passe depuis des dizaines d’années tout le trafic lourd de l’Autoroute 30 vers deux sites sur le chemin des Carrières composé d’industries lourdes, à savoir une carrière de grande envergure (CRH), mais aussi deux usines de béton bitumineux et une usine d’ensachage de matériaux (Bau-Val).

[154]       Comme l’a précisé la Cour d’appel, les installations de CRH et de Bau-Val font partie du voisinage des demandeurs depuis 1959 (1963-64 pour Bau-Val); ces derniers ne peuvent donc se réclamer d’un voisinage exempt de telles installations industrielles.

[155]       Qui plus est, la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles prévoit même une immunité pour le bruit généré par les activités agricoles[87].

[156]       Force est de constater que les activités de CRH et de Bau-Val à Varennes impliquent nécessairement le passage de camions sur le CBR afin d’acheminer les produits qui y sont fabriqués aux divers chantiers qui en ont besoin, tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas une voie de contournement.

[157]       Contrairement à ce qu’ont pu suggérer certains demandeurs, le CBR n’est pas situé dans un coin calme et bucolique, mais plutôt dans un environnement bruyant, situé à proximité de l’Autoroute 30, de champs servant à l’exploitation agricole et d’industries lourdes.

[158]       Le Tribunal ne peut ignorer un fait important à savoir que la carrière de CRH est exploitée à cet endroit depuis 1959[88] et que le site de Bau-Val est occupé depuis 1963-64.

[159]       Ainsi, les demandeurs côtoient, entre autres, CRH une industrie qui procède à la Carrière Demix au dynamitage du roc, au concassage du matériel dynamité et son tamisage selon divers grades d’agrégats et la restauration ou réhabilitation de son site au moyen de sols faiblement contaminés[89], sans oublier les deux usines exploitées par Bau-Val.

[160]       Le camionnage lié aux activités de CRH et de Bau-Val constitue donc «une composante de l’environnement» du CBR, et ce, depuis 1959.

[161]       Les demandeurs ne peuvent prétendre à une quelconque antériorité d’usage puisqu’ils se sont tous installés sur le CBR alors qu’ils étaient ou devaient être conscients de l’existence de la carrière de CRH et des installations de Bau-Val ainsi que du passage des camions y afférents.

[162]       C’est donc dans ce cadre que doit s’effectuer l’appréciation des inconvénients que doivent tolérer les demandeurs et que doit se faire l’analyse contextuelle et multifactorielle prônée par la Cour d’appel.

[163]       Le caractère tolérable d’un inconvénient doit en tout temps s’apprécier objectivement, sans tenir compte des attentes particulières ou des facteurs subjectifs pouvant avoir une influence sur le degré de tolérance d’une personne ou d’un groupe de personnes en particulier.

[164]       Il revenait donc aux demandeurs le fardeau de prouver que les inconvénients qu’ils subissent excèdent la tolérance qu’exige un tel voisinage d’une autoroute, de terres agricoles, d’une carrière et d’industries lourdes.

[165]       Avec égards, les demandeurs ne peuvent prétendre avoir droit au même environnement que s’ils vivaient dans un endroit rural retiré dépourvu d’installations industrielles.

[166]       Selon le témoin Marc GiardGiard»), greffier de la Ville de Varennes, seul le Tronçon CBR passant devant les résidences des demandeurs est adapté au transport lourd et ce, depuis de nombreuses années.

[167]       Le témoin Giard a expliqué qu’en 2010, le Tronçon CBR avait été refait toujours en fonction du trafic lourd, tout en précisant qu’au moment où le MTQ avait transféré à la Ville sa juridiction sur ce chemin, il était déjà conçu pour le trafic lourd.

[168]       Incidemment, plusieurs des demandeurs ont souligné avoir noté, au fil des années, une augmentation graduelle du nombre de camions circulant devant leurs résidences sur le CBR, généralement durant les heures normales d’opération soit entre 6 h et 18 h pendant les jours de semaine.

[169]       À cet égard, il est bien établi qu’un voisin n’a pas de droit acquis à la préservation d’un environnement ou d’un niveau de bruit.[90]

[170]       Tant pour CRH que Bau-Val, les demandeurs se plaignent du bruit, des vibrations et de la poussière générés par le passage des camions devant leurs résidences. Ce sont donc essentiellement des inconvénients découlant du passage des camions dont se plaignent les demandeurs.

[171]       Or, de l’aveu même de plusieurs des demandeurs, même si dérangeante, la situation sur le CBR liée au camionnage était acceptable et tolérable avant 2016.

[172]       Voici des extraits de témoignages des demandeurs qui révèlent leur attitude et leur appréciation de leur environnement et de la situation qu’ils ont vécue avant 2016 :

Éric Ruel (3215 CBR)

«2014-2015, pas de problème, c’est 2016 que c’est différent.[91]»

Alex Harvey (3258 CBR)

Bien ça a tout le temps était endurable avant, on faisait avec, on le savait que quil y avait des camions, mais cétait quand même endurable.[92]

Josée Desaulniers (3258 CBR)

«Q. Puis avant cette période-là, le camionnage nétait pas un problème?

R. Il était de jour, le lot de camions mapparaissait dans la norme, il y en avait pas de soir, ni la nuit, ni les week-ends.[93]»

«Q. Bon. Et je comprends de votre témoignage et des allégués que, finalement, la situation de votre vie a changé à compter de 2016?

R. Oui.

Q. Avant 2016, je présume si vous revenez sur cette rue, si vous investissez dans la maison que la vie était certainement agréable?

R. On savait quil y avait du camionnage.

Q. Et vous saviez quil y avait du camionnage

R. De jour.

Q. de jour et vous viviez avec cette prémisse-là?

R. Oui, cétait raisonnable.[94]»

Guy Racine (3032 CBR)

«Q. Ce qui vous cause des inconvénients que vous alléguez dans votre déclaration sous serment, cest le camionnage en tant que tel?

R. Oui

Q. Est-ce que, il y a dautres sources dinconvénients par rapport à lexploitation?

R. Tout le trafic, cest juste le trafic qui passe chez moi, il est quand même que si vous exploitez la carrière nous autres, on a rien, on veut pas que vous fermiez les deux compagnies, là, loin de là, les ça fait vivre des gens, mais il faut que vous fassiez quelque chose pour pas nuire à la vie des autres. Vous avez aucun respect du monde qui vit sur la Butte-aux-Renards, aucun respect. Je dis cest intolérable de voir quest-ce qui se passe depuis 2016, là, le nombre de camions qui a augmenté, puis qui va continuer à augmenter.[95]»

Geneviève Morin (3215 CBR)

«Q. Depuis février 2010 que vous habitez à cet endroit-là, est-ce quil y a toujours eu un problème de camions lourds même quand vous êtes arrivée là, et je ne parle pas de lintensité, mais est-ce que vous avez toujours vécu un certain problème par rapport au camionnage?

R. Non.[96]»

Marie-Josée Paquet (3230 CBR)

«4. Lhoraire du transport lourd était alors acceptable, soit du lundi au vendredi de 6 h à 17 h et quelques fins de semaine durant lannée. De plus, il ny avait aucun transport durant les vacances de la construction;[97] »

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«Q. Je comprends que la situation change de façon drastique en 2016?

R. Oui.

Q. Et selon votre témoignage, je comprends que cest associé au volume de camions qui passent et selon votre compréhension cest associé au chantier de léchangeur Turcot, exact?

R. Entre autres, oui.

Q. Entre autres. Bon. Alors, cest cette partie qui mintéresse, entre autres. Vous parlez de quoi dautre?

R. Bien, cest sûr quon a la compagnie Bau-Val aussi qui passe chez nous.

Q. Oui.[98]»

Line Bédard (2907 CBR)

«4. Durant les années 2013, 2014 et 2015, il y avait du camionnage le jour sur le Chemin de la Butte-aux-Renards, mais lhoraire dopération ressemblait à un horaire régulier de travail et le volume nétait pas si élevé;

5. Le camionnage na jamais été agréable, mais je pouvais le tolérer;

6. De mai 2016 au mois doctobre 2016, le débit de circulation des camions fut tel que je ne pouvais rester au lit pour me reposer le vendredi et le samedi matin;[99]» 

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«Q. Puis en 2014, 2015, est-ce que cétait tolérable les camions qui passaient sur le Chemin de la Butte-aux-Renards?

R. 2014, 2015, oui, parce que, un, on travaillait et, deux, on navait pas à les subir le soir, la nuit, la fin de semaine. Donc, on peut pas empêcher les gens de travailler, mais là, cest maintenant devenu intolérable, et les débits et les heures dexploitation.[100]» 

Interrogatoire préalable, p. 44 et 45, pièce DCRH-8 (p. 72 PDF) :

«Q. Alors, durant lannée 2013 ou les neuf mois de lannée 2013 et lannée 2014, vous avez dû constater la circulation des camions?

R. Oui, effectivement.

Q. Et quelle était votre réaction ou votre perception?

R. La perception quon avait, cest que oui, il y avait de la circulation de camions parce quon était conscient quil y avait une carrière en arrière, mais cest une circulation qui nous semblait raisonnable, agaçante, mais raisonnable, et qui semblait, lhoraire de travail, comme je le mentionnais tout à lheure, semblait un horaire régulier, 6 h, 7 h, le matin, à 16 h, 16 h 30 le soir.[101]»

Julien Benoît (2907 CBR)

«2. Depuis que nous habitons la Butte-aux-Renards, je nai jamais été affecté par la circulation des camions, sauf en 2016;[102]»

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«Q. Au paragraphe 2 de ta déclaration, tu dis : Depuis que nous habitons la Butte-aux-Renards, je nai jamais été affecté par la circulation des camions, sauf en 2016.

R. Oui.

Q. Tu parles de lété 2016?

R. Euh, là, oui, ça doit être 2016, oui, depuis lété 2016. Avant ça, cest parce quen fait, avant ça, jétais pas en garde partagée avec mon père, puis cest vraiment à ce moment-là, cest en étant en garde partagée une semaine, une semaine, que là je suis plus affecté par les camions. Parce quavant ça, je voyais mon père, je vous dirais, quatre jours aux deux semaines, fait que ça maffectait moins.[103]» 

Éric Benoît (2907 CBR)

«42. Par la présente, je souhaite retrouver une vie telle quelle létait au cours des années 2013-2014-2015 alors quil ny avait pas de camion qui circulait le soir, la nuit et la fin de semaine et que la circulation de jour malgré que dérangeante, le volume était moindre.[104]»

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«Q. Ma question, cest : il y a vraiment une coupure entre 2015 et 2016?

R. Oui, il y a vraiment une différence en 2016.

Q. Alors, pour vous, 2013, 14 et 15, cétait

R. Cétait dérangeant, mais dans la mesure de lacceptabilité, dans le contexte où est-ce quon me dit que ces inconvénients-là vont durer jusquen 2012 (sic).[105]»

Réjean Cormier (3214 CBR)

«Q. Je comprends, cest parce que le sujet a été abordé un petit peu, mais je comprends quen 2016, cest là que la situation change, cest là quil y a une augmentation importante du camionnage, est-ce que cest exact?

R. Que je ne suis plus capable de tolérer.

Q. Que vous êtes plus capable de tolérer?

R. Non.

Q. Avant, il y avait du camionnage?

R. Oui.

Q. Mais vous le tolériez?

R. Oui, je suis un gars qui est pacifique

Q. Depuis 2016, vous le tolérez plus.

R.puis jaime pas faire de trouble à personne.

Q. Si vous le tolérez plus, je comprends que cest en raison dune augmentation importante du camionnage?

R. Oui.[106]»

Isabelle Cormier (fille de Réjean Cormier, 3214 CBR)

«Q. Vous écrivez au paragraphe 4 :

En raison du camionnage excessif de jour et de nuit sur le chemin de la Butte-aux-Renards, jai subi et je continue de subir de graves inconvénients.»

Vous subissez depuis quand?

R. Majoritairement un peu plus dun an, là.

Q. Pardon!

R. Un peu plus dun an.

Q. Et avant?

R. Bien ça a tout le temps été dérangeant les camions, mais on vit avec, hein.[107]»

Caroline Morrison (3292 CBR)

«4. En acceptant la succession en novembre 2009 et par le fait même, la maison, nous savions que la carrière opérait et que des camions passaient sur le chemin, de jour en semaine. Cette situation nous convenait. Mon conjoint ayant déjà habité à la même adresse, étant plus jeune, était conscient de la situation et mentionnait que lhoraire était raisonnable;

5. Au fil des années, nous nous sommes rendu compte que la carrière opérait parfois le soir et même la fin de semaine, mais ça ne durait jamais très longtemps. Une semaine ou deux par année durant certaines périodes de pointe;

6. À partir du printemps 2016 par contre, le nombre de camions et les horaires de circulation sur le chemin de la butte-aux-Renards sont devenus un très lourd fardeau inacceptable pour notre famille;[108]»

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«R. Ça a commencé à être un peu nimporte quoi en 2012. On recevait des lettres nous disant quil allait y avoir des travaux jusquà minuit, que la circulation allait augmenter, mais on avait des dates, à ce moment-là.

Q. O.K. Et vous étiez

R. Donc, cétait encore acceptable.

Q. vous étiez avisés par les compagnies?

R. Oui.

Q. Par qui vous étiez avisés?

R. La plupart du temps, cétait par... si je me souviens bien du logo, cest le logo de Demix, qui nous envoyait des lettres nous informant de laugmentation de circulation pour une période donnée. Donc, admettons, ils nous disaient : du 14 avril à la fin mai. Mais on avait une période, donc on savait ce qui nous attendait. Puis je le mentionne je lai mentionné en entrée de jeu, en 2012, le trafic a augmenté, mais ça a pas duré tsais, ça sest pas éternisé.[109]»

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«Q. En 2016? Au paragraphe 5, vous dites que :

«La carrière opérait parfois le soir et même la fin de semaine, mais ça ne durait jamais très longtemps, une semaine ou deux par année durant une certaine période de pointe.»

Ça, cest durant lété?

R. Oui.

Q. Oui, durant lété? O.K. Puis est-ce que ça, cétait raisonnable, pour vous, que ça puisse arriver quelquefois?

R. Oui.[110]»

Jeffrey Khün (3292 CBR)

Q. Donc, je comprends quavant 2016, la situation était est acceptable, raisonnable?

R. Elle était acceptable.[111] 

Nicolas-Maxime Paiement (3041 CBR)

«3. Cest vers le mois de mai 2016 que tout a changé;[112]»

Anne-Marie Conciatori (3041 CBR)

«5. Pendant les 16 premières années, la période de la journée et le nombre de camions en provenance et en direction des carrières de Bau-Val et Demix étaient tolérables;[113]»

Manon Poirier (3121 CBR)

«Q. En 2015, cétait comment?

R. 2015? Cétait pas cétait pas il y avait des camions qui dérangeaient, mais jamais comme lannée passée et cette année.

Q. Quest-ce que vous voulez dire «il y avait des camions qui dérangeaient?

R. La quantité.

Q. En 2015?

R. Non, en 2016 et puis en 2017.

Q. Je mexcuse, javais compris que vous aviez dit quen 2015 il y avait des camions qui dérangeaient.

R. Non.

Q. Ce nétait pas le cas?

R. Bien, cest sûr que ça dérangeait, mais il y en avait moins. Et puis on avait la paix, on avait une période où quon avait la paix, chose quon na plus maintenant.[114]»

[173]       Force est de constater que ces témoignages pour la très grande majorité contemporains aux perturbations majeures de 2016 et 2017 sont fort éloquents et révélateurs essentiellement aux fins de déterminer l’ampleur des inconvénients que les résidents riverains considéraient normaux malgré les dérangements occasionnés par le passage de camions lourds devant chez eux :

-          Les demandeurs étaient au courant et conscients qu’ils vivaient sur une route où circulaient régulièrement des camions fréquentant le chemin des Carrières; on savait qu’il y avait du camionnage;

-          Le va-et-vient des camions dérangeait certes, mais ces inconvénients étaient tolérables, acceptables, endurables; c’était raisonnable; on faisait avec; le camionnage na jamais été agréable, mais je pouvais le tolérer; cétait dérangeant, mais dans la mesure de lacceptabilité; bien ça a tout le temps été dérangeant les camions, mais on vit avec, hein;

-          Le lot de camions apparaissait dans la norme, il n’y en avait pas de soir ni la nuit ni la fin de semaine;

-          Durant les années 2013, 2014 et 2015, il y avait du camionnage le jour sur le chemin de la Butte-aux-Renards, mais lhoraire dopération ressemblait à un horaire régulier de travail et le volume nétait pas si élevé;

-          2014, 2015, oui, parce que, un, on travaillait et, deux, on navait pas à les subir le soir, la nuit, la fin de semaine. Donc, on peut pas empêcher les gens de travailler, mais là, cest maintenant devenu intolérable, et les débits et les heures dexploitation;

-          La perception quon avait, cest que oui, il y avait de la circulation de camions parce quon était conscients quil y avait une carrière en arrière, mais cest une circulation qui nous semblait raisonnable, agaçante, mais raisonnable, et qui semblait, lhoraire de travail, comme je le mentionnais tout à lheure, semblait un horaire régulier, 6 h, 7 h, le matin, à 16 h, 16 h 30 le soir;

-          Depuis que nous habitons la Butte-aux-Renards, je nai jamais été affecté par la circulation des camions, sauf en 2016;

-          je souhaite retrouver une vie telle quelle létait au cours des années 2013-2014-2015 alors quil ny avait pas de camion qui circulait le soir, la nuit et la fin de semaine et que la circulation de jour, malgré que dérangeante, le volume était moindre;

-          C’est le nombre de camions qui a commencé à augmenter depuis 2016;

-          Lhoraire du transport lourd était alors acceptable, soit du lundi au vendredi de 6 h à 17 h et quelques fins de semaine durant lannée; 

-          L’achalandage accru de camions n’était limité au Projet Turcot; cest sûr quon a la compagnie Bau-Val aussi qui passe chez nous.

[174]       À la lumière de cette preuve, le Tribunal retient que :

-          les résidents du CBR étaient conscients qu’en s’établissant sur le Tronçon CBR, ils allaient essentiellement cohabiter avec les camions qui fréquentaient les installations de CRH et de Bau-Val qui se trouvaient à proximité;

-          l’achalandage des camions dérangeait dans une certaine mesure, mais il se situait dans la norme du raisonnable, du tolérable et ce, même si sporadiquement CRH opérait le soir ou la fin de semaine, car ça ne durait jamais très longtemps, une semaine ou deux par années durant une certaine période de pointe;

-          en plus d’être exceptionnel et de courte durée, l’achalandage de camions de soir et de fin de semaine faisait généralement l’objet d’annonces préalables auprès des résidents par à tout le moins CRH, ce qui semblait être apprécié; la période d’achalandage accru annoncé était respectée;

-          c’est clairement l’accroissement soudain et soutenu de l’achalandage de soirée, de nuit et de fin de semaine à compter de 2016 qui fut la goutte qui a fait déborder le vase;

-          l’achalandage accru à compter de 2016 n’était pas attribuable exclusivement au Projet Turcot, Bau-Val contribuant également aux inconvénients en découlant sans pour autant que ces derniers soient considérés anormaux.   

[175]       En ce qui a trait aux années 2014 et 2015, il revenait aux demandeurs de prouver que les inconvénients allégués à cette époque étaient anormaux et excessifs au sens de l’article 976 C.c.Q.

[176]       Or, où se trouve la normalité sur un chemin qui est le seul lien entre une autoroute et des sites industriels lourds?

[177]       Le Tribunal ne dispose d’aucun paramètre pour fixer cette limite, autrement que les données existant avant le Projet Turcot pour des inconvénients que les demandeurs ont qualifiés de tolérables.

[178]       Avec respect pour l’opinion contraire, eu égard aux circonstances qui prévalaient avant 2016, le Tribunal partage l’avis des avocats de CRH et de Bau-Val voulant que les inconvénients que subissaient alors les demandeurs même s’ils étaient dérangeants, ceux-ci s’inscrivaient tout de même à l’intérieur des limites de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q.

[179]       Avec égards, les demandeurs ne peuvent, aux fins de leur recours, prétendre d’un côté que la Carrière Demix fait partie de leur voisinage et de l’autre, prétendre qu’ils n’ont plus à subir les inconvénients propres au voisinage d’une carrière et dindustries lourdes.

[180]       Somme toute, pour les années avant 2016, les demandeurs ont décrit vivre les inconvénients normaux du voisinage d’une carrière (CRH) et d’une industrie lourde (Bau-Val), à deux pas d’une autoroute.

[181]       Incidemment, certains des demandeurs ayant témoigné à l’audience ont tenté d’atténuer la portée de leurs déclarations antérieures quant à leur appréciation de la situation avant 2016, et ce, pour justifier les réclamations de 10 000 $ (Bau-Val) et de 15 000 $ (CRH) pour chacune des années 2014 et 2015, entre autres.

[182]       Aucun des demandeurs n’a pas pu expliquer pourquoi il avait décidé de réclamer des dommages pour ces deux années, ajoutant que ces montants avaient été déterminés par leurs avocats pour des raisons que chaque témoin disait ignorer.

[183]       Leurs déclarations sous serment souscrites en 2017 ont été vraisemblablement rédigées dans l’espoir de convaincre un juge d’émettre une injonction interlocutoire provisoire à l’été 2017. Pour ce faire, l’emphase a été mise sur la tournure des événements depuis 2016 en prenant soin d’indiquer que la situation vécue par les demandeurs avant 2016 était tout de même tolérable en comparaison.      

[184]       Une fois rendus au fond, les demandeurs ne peuvent tenter de réécrire l’histoire pour justifier l’octroi de dommages pour les années 2014 et 2015 au motif que les inconvénients alors subis aux mains de CRH et Bau-Val étaient également anormaux, excessifs et intolérables.

[185]       Quoi qu’il en soit, le Tribunal considère que le «souvenir» que les témoins ont pu en avoir, quatre années et plus après les faits, ne peut se comparer à la «réalité» qu’ils ont décrite dans leurs déclarations et témoignages antérieurs; à cet égard, le Tribunal accorde plus de valeur probante aux témoignages contemporains qu’à ceux rendus à l’audition en cas de contradiction.

[186]       En conclusion, le Tribunal est d’avis que pour les années 2014 et 2015, CRH et Bau-Val n’ont pas causé ou fait subir aux demandeurs des inconvénients anormaux de voisinage qui excédaient les limites de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q. 

[187]       Autrement dit, l’achalandage de camions circulant sur le CBR en lien avec les activités de CRH et de Bau-Val avant 2016 était tolérable au sens de l’article 976 C.c.Q.

[188]       Le Tribunal va donc retenir que les activités de CRH et de Bau-Val avant 2016 et l’achalandage de camions circulant sur le CBR en découlant constituent un seuil de normalité aux fins des présentes, seuil qui a cependant été franchi en 2016 et 2017 par CRH.

[189]       Le Tribunal conclut donc qu’eu égard à la situation des lieux et aux usages locaux et malgré les dérangements causés par le passage des camions devant leurs résidences au cours des années 2014 et 2015, CRH et Bau-Val n’ont pas causé aux demandeurs des inconvénients anormaux excédant le seuil de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q.

[190]       Avec cette prémisse, comment se comparaient les activités de Bau-Val de 2014 à 2018?

4.1.5.1            Les activités de Bau-Val de 2014 à 2018

[191]       Rappelons qu’au-delà de la situation des fonds bordant le CBR au sens strict, il faut conserver à l’esprit la nature des activités que Bau-Val mène sur son site de Varennes depuis près de 60 ans, que les demandeurs connaissaient au moment de s’établir et qu’ils ont choisi d’accepter.

[192]       Bau-Val œuvre dans le domaine de la fabrication d’enrobés bitumineux et de matériaux secs, lesquels sont notamment utilisés dans le cadre de projets de voirie majeurs dans la grande région de Montréal.

[193]       La preuve a révélé qu’entre 2016 et 2021, Bau-Val a approvisionné les matériaux bitumineux requis dans le cadre de travaux d’intérêt public telle la réfection de la route 132 et des autoroutes 20 et 30 et que ces contrats sont terminés.

[194]       Pour minimiser l’impact sur la circulation empruntant ces grands axes routiers, le MTQ a choisi de procéder à des chantiers de nuit et de fin de semaine ce qui oblige Bau-Val de fournir à l’occasion ses matériaux de soir, de nuit et de fin de semaine.

[195]       Le représentant de Bau-Val, M. Sylvain Leroux («Leroux»), a expliqué que l’asphalte chaud fabriqué par Bau-Val ne peut être produit à l’avance et doit être livré rapidement sur les chantiers après avoir été fabriqué afin de conserver ses propriétés physico-chimiques.

[196]       Considérant que Bau-Val œuvre dans le milieu de la construction, il est normal que des camions provenant de ses installations à Varennes circulent ponctuellement le soir, la nuit et la fin de semaine. Pratiquement tous les demandeurs ont admis qu’avant 2016, le camionnage ponctuel hors des heures normales d’ouverture était tolérable.

[197]       Lorsqu’il s’agit de travaux d’intérêt public, la jurisprudence indique que le devoir de tolérance est accru[115] :

[17] Les tribunaux ont également affirmé à plusieurs reprises que les citoyens doivent, règle générale, tolérer les inconvénients normaux qui découlent de la réalisation de travaux effectués dans l’intérêt public. Ces citoyens n’auront pas droit à une indemnité si les dommages causés ne diffèrent pas de ceux subis par l’ensemble de la population concernée par les travaux. Comme le soulignait la Cour d’appel dans Sirois c. Cité de Rivière-du-Loup :

«La vie sociale exige certains sacrifices. Comme tout autre résident, Sirois a sans doute bénéficié des améliorations apportées. Il fallait qu’il tolère les inconvénients qui en provenaient, lorsque ceux-ci n’équivalaient pas à l’expropriation de son commerce.» (p. 23)

[198]       Avec égards, les demandeurs ont choisi de s’installer à proximité d’une entreprise qui participe à des chantiers majeurs de voirie. Par conséquent, ils se doivent de faire preuve de tolérance de la même manière que toutes les autres personnes subissant les inconvénients engendrés par un chantier de construction d’envergure.

[199]       Encore là, tout est question de dosage et de mesure.

4.1.6           Le bruit et la preuve d’experts

[200]       Le principal inconvénient allégué par les demandeurs est le bruit engendré par les camions en transit sur le CBR, particulièrement le soir, la nuit et la fin de semaine dépassait le seuil de leur tolérance.

[201]       Dans le contexte qui nous occupe, le caractère normal ou anormal de bruits sur une personne doit s’apprécier objectivement.[116] 

[202]       Le Tribunal doit donc analyser la question du bruit sur le CBR à la lumière de normes objectives plutôt qu’en fonction des appréciations subjectives des demandeurs.[117]

[203]       À ce sujet, le Tribunal n’est pas sans ignorer que dans le présent dossier, la Cour d’appel a mentionné qu’il n’existe en l’espèce aucune norme contraignante établissant le niveau de bruit maximal pouvant être généré par la circulation sur le CBR[118].

[204]       Les expertises acoustiques déposées en demande et en défense traitent toutes deux de trois ensembles de normes afin de caractériser l’environnement sonore du CBR :

-          les normes énoncées par la SCHL en 1977 dans le document (réédité en 1981) «Le bruit du trafic routier et ferroviaire : ses effets sur l’habitation»;

-          les normes prévues dans la Politique sur le bruit routier adoptée en 1998 par le MTQ; et

-          les normes proposées par l’Organisation mondiale de la santé («OMS»).

[205]       À cet égard, le Tribunal partage l’avis de l’avocat de Bau-Val voulant que bien qu’aucune de ces normes ne soit contraignante et que seuls les critères énoncés à la Politique sur le bruit routier du MTQ sont applicables au CBR même si imparfaits et qu’ils doivent être privilégiés aux fins de l’analyse de l’espèce.

[206]       L’expert retenu par les demandeurs, M. Danny Vu («Vu») de Vinacoustik inc. a essentiellement noté qu’en fonction des diverses données qu’il a recensées en 2018 sur le CBR lors du passage de camions, le bruit alors généré :

-          Dépassait la limite extérieure (55 dBA) recommandée par la SCHL;

-          Représentait un niveau de gêne sonore Faible à Moyen (ou de Moyen à Fort[119]) en fonction des normes du MTQ; et

-          Représentait un niveau de gêne sonore sérieuse[120] selon l’OMS.[121]

[207]       Puis, l’expert Vu conclut que pour respecter une limite de 55 dBA en tout temps, 15 camions devraient circuler à chaque heure du jour pour un maximum quotidien de 360 camions pour CRH et Bau-Val :

7.9 Afin de respecter la limite de 55 dBA en tout temps pour éviter tout dérangement ou nuisance possible, il est suggéré de maintenir le nombre maximum de camions/heure à 15 camions par heure ou 7,5 chargements/heure (voir Annexe 8[122]). Notons qu’un chargement égal à deux passages.[123]

[208]       À 360 camions par jour, nous sommes loin de la moyenne quotidienne de 470 camions recensée en 2014[124] au cours d’une période jugée tolérable.  

[209]       À la lumière de ce qui précède, l’expert Vu préconise manifestement d’utiliser les valeurs guides de l’OMS qui apparaissent aux yeux du Tribunal comme étant utopiques[125] et impossibles à appliquer raisonnablement dans le cas qui nous intéresse.

[210]       Qui plus est, contredisant son propre rapport, l’expert Vu a même indiqué au cours de son réinterrogatoire que le passage de 4 ou 5 camions par heure suffirait pour dépasser les valeurs guides qu’il favorise.

[211]       La Politique du MTQ stipule qu’un niveau de bruit inférieur à 55 dBA LAeq,24 h est acceptable. Le niveau de gêne est considéré comme faible pour un niveau compris entre 55 dBA et 60 dBA, comme moyen pour un niveau de bruit compris entre 60 dBA et 65 dBA et comme fort pour un niveau sonore supérieur à 65 dBA qui constitue le seuil d’intervention du MTQ.

[212]       Le Tribunal considère qu’il n’est pas utile ou nécessaire de passer en revue les multiples données auditives ou sonores recueillies de part et d’autre pour déterminer s’il y a eu dépassement du seuil de la normalité sonore ou non.

[213]       Il ne fait aucun doute qu’un camion lourd circulant sur le CBR à proximité des résidences des demandeurs génère un bruit qui ne peut être normalement ignoré tant à l’extérieur qu’à l’intérieur si les fenêtres sont ouvertes.

[214]       Avec grands égards, l’expert des demandeurs a malheureusement donné l’impression au Tribunal de favoriser la manipulation des données recueillies au moyen de calculs priorisant des valeurs idéalistes pour essentiellement tenter de donner raison aux demandeurs plutôt que d’éclairer le Tribunal de façon impartiale, et ce, pour finalement conclure à un niveau irréaliste de passage quotidien et horaire de camions sur le Tronçon CBR qui invite essentiellement à la fermeture des installations des voisins CRH et Bau-Val.

[215]       L’expert Vu a même conclu sur la base d’une méthodologie quelque peu «discutable» que les niveaux de bruit généré par le passage des camions en plein jour empêchaient un sommeil de qualité avec les fenêtres ouvertes entre 6 h et 18 h.

[216]       Un trouble anormal de voisinage ne peut résulter de la difficulté des demandeurs à dormir en plein jour les fenêtres ouvertes alors qu’ils se sont sciemment installés à proximité d’entreprises qui génèrent du camionnage lourd les jours de semaine.

[217]       Le fait que l’expert des demandeurs doive avoir recours à une méthodologie de calcul discutable (aucun calcul Laeq 12 h pour les heures de nuit et mention du sommeil de jour les fenêtres ouvertes) pour tenter de démontrer que le camionnage sur le CBR (en 2018 alors que la situation est revenue à la normale suivant le Projet Turcot) nuit au sommeil des demandeurs affecte grandement l’attention et la crédibilité que peut accorder le Tribunal au rapport d’expertise de Vinacoustik dans le contexte actuel.

[218]       Par ailleurs, le rapport[126] fort détaillé soumis par l’expert acousticien M. Étienne ProulxProulx») de Yockell Associés inc. préparé en réponse au rapport de Vinacoustik s’est avéré beaucoup plus utile.  

[219]       Après avoir noté qu’il n’existe pas de référence législative propre à la problématique encourue dans le présent dossier et considéré les valeurs guides recommandées par la SCHL et l’OMS, l’expert Proulx a écrit :

À ce titre, mentionnons que la grille dévaluation de la qualité de lenvironnement sonore du MTQ est lapproche qui est utilisée pour lensemble des projets routiers sur le territoire de la province de Québec. Elle est également celle sur laquelle les villes et municipalités se basent pour élaboration des règlements de zonage et       durbanisme dans une optique de bonne gestion du territoire. Elle parait donc être la plus appropriée, dans le cas présent, pour qualifier la nature des impacts sonores liée à la circulation des camions sur le chemin de la Butte-aux-Renards.[127]

[Soulignement ajouté]

[220]       À la lumière de mesures prises en mai 2019, l’expert Proulx indique que selon les valeurs guides du MTQ, la circulation routière sur le CBR et principalement de camions lourds, génère un niveau de gêne Acceptable à Faible.

[221]       Malheureusement, la densité d’occupation du sol[128] le long du CBR est trop faible pour justifier la mise en place de mesures d’atténuation sonore par le MTQ qui sont déclenchées en fonction d’un niveau sonore supérieur à 65 dBA.

[222]       L’expert Proulx conclut son rapport ainsi :

En 2014 et 2015, on constate que CRH représente environ 90 % des passages. Le mois doctobre 2015 est le seul mois où le nombre de passages moyen de nuit est susceptible de générer un impact sonore.

En 2016 et 2017, CRH constitue toujours lutilisateur principal du CBR en période de jour. Toutefois, de soir et de nuit, cest KPH qui produit le plus de passages de camions sur le CBR.

Pour 2018, le transport associé à CRH est le plus important. De soir et de nuit, suivant une ordonnance dinjonction interlocutoire rendue par la Cour dappel quant à CRH, les heures dautorisation de transport de matériel de CRH sont comprises en 6 h et 18 h. Il ny a donc pas eu de transport en dehors de cette plage horaire pour CRH. Quant à BV il est possible que quelques passages de camions aient pu être faits de soir et de nuit, mais ceux-ci demeuraient toutefois occasionnels.

Enfin, on constate qu’à elle seule, Bau-Val, na pas produit entre 2014 et 2018 un achalandage suffisant pour générer un impact sonore dans le milieu, tant de jour que de soir et de nuit.

En somme, lanalyse du climat sonore dans le secteur et du nombre de passages de camions sur le chemin de la Butte-aux-Renards a permis de relativiser limpact sonore ressenti par les résidents. On constate, au final, que :

i. de manière générale, le climat sonore peut être caractérisé de gêne faible selon la grille dévaluation du MTQ;

ii. les résidences, fenêtres fermées, possèdent une insonorisation qualifiée dadéquate pour assurer un climat sonore acceptable à lintérieur;

iii. les périodes où il peut y avoir un impact sonore sont comprises généralement de jour pour 2014 à 2018 et pour 2016 et 2017, de nuit entre mai et octobre.[129]

[223]       Trois constats se dégagent de la preuve acoustique présentée en l’espèce.

[224]       Premièrement, il appert que le CBR est situé dans un environnement bruyant, sans égard au camionnage lourd. Le CBR est en effet bordé de champs où sont menées des activités agricoles et il se situe à proximité de l’Autoroute 30.

[225]       Deuxièmement, il ressort du rapport et du témoignage de l’expert Proulx que la contribution sonore des camions provenant des installations de Bau-Val de 2014 à 2018 est restée minime[130]. Ainsi, entre 2014 et 2018, le nombre de passages quotidiens attribuables aux activités de Bau-Val ne représentait que 15 % de l’ensemble de la circulation de jour.

[226]       Dans la décision Maltais, en Cour supérieure, le juge Michaud a tenu compte du caractère d’utilité publique de l’Autoroute 73 à Québec pour déterminer que, dans ce contexte particulier, c’était le seuil de 65 dBA qui devait être retenu comme seuil de tolérance à ne pas dépasser[131].

[227]       Or, dans le cas qui nous occupe, les niveaux de bruit généré sur le CBR par le camionnage lié à l’ensemble des clients de CRH et de Bau-Val, incluant le Projet Turcot, sont demeurés en deçà de 65 dBA (LAeq,24 h) et ce, même au plus fort de ce camionnage en septembre 2016.

[228]       Dans le cadre de son analyse, M. Étienne Proulx de la firme Yockell Associés inc. a établi les niveaux sonores générés en fonction du nombre de passages comme suit[132] :

LAeq,24 h

Nombre de passages

requis sur 24 h pour

atteindre le dBA

Nombre de passages de nuit durant 9 h entre 21 h et 6 h

45 dBA

46

18

50 dBA

144

54

55 dBA

456

171

56 dBA

574

216

57 dBA

723

270

58 dBA

910

342

59 dBA

1145

432

60 dBA

1440

540

65 dBA

4680

1755

70 dBA

14760

5535

[229]       Or, le nombre de passages de camion quotidiens moyens a été le plus élevé en septembre 2016[133] :

Entreprises

Passages de camion quotidiens moyens en septembre 2016

CRH (Autres clients) :

1,275 (1248 + 26 + 1)

CRH (Projet Turcot) :

537 (357 + 114 + 66)

Bau-Val :

165 (157 + 2 + 6)

Total :

1977

[230]       Force est de constater que suivant le tableau de l’expert Proulx établissant les niveaux sonores générés en fonction du nombre de passages, 1977 passages par jour génèrent un niveau sonore en deçà de 65dBA (Leq,24 h)[134].

[231]       Parmi ses divers calculs, l’expert Vu de Vinacoustik est arrivé à un résultat semblable en ce que suivant son analyse, 1920 passages par jour ont généré un niveau sonore de 62.3dBA (Leq,24 h)[135].

[232]       Ainsi, les niveaux de bruit généré sur le CBR par le camionnage lié à l’ensemble des clients de CRH et de Bau-Val, incluant le Projet Turcot, sont demeurés en deçà de 65dBA, et ce, même au plus fort de ce camionnage en septembre 2016.

[233]       Également, même au plus fort du camionnage de nuit, en juillet 2017, avec des passages de nuit totalisant 203 (générant environ 56dBA), les niveaux de bruit généré sur le CBR par le camionnage lié à l’ensemble des clients de CRH et de Bau-Val, incluant le Projet Turcot, sont demeurés en deçà de 65dBA (LAeq,24 h).[136]

[234]       Dans un tel contexte, les demandeurs ne peuvent prétendre à plus de droits que ceux de tous les autres résidents du Québec alors que l’environnement sonore occasionné par le camionnage sur le CBR à Varennes ne satisfait pas les critères pour justifier l’intervention du MTQ.

[235]       Au final, selon les études effectuées de part et d’autre, le bruit découlant du camionnage attribuable à Bau-Val et à CRH n’a jamais dépassé le seuil auquel l’on pourrait raisonnablement s’attendre sur un axe routier destiné au camionnage lourd situé à proximité d’un site industriel en servant de la norme non contraignante du MTQ.

[236]       Ainsi, même si le Tribunal a conclu qu’en 2016 et 2017, CRH a causé des inconvénients anormaux de voisinage excédant le seuil de la tolérance, il ne peut imputer ce dépassement à Bau-Val, tant sa contribution sonore est demeurée négligeable depuis 2014, surtout le soir, la nuit et les fins de semaine.

[237]       En conservant à l’esprit la nature et la situation des lieux ainsi que les usages locaux qui impliquent la présence d’industries lourdes, lesquelles requièrent l’utilisation du Tronçon CBR pour le camionnage lourd et le constat que la coexistence entre les résidents du CBR et CRH/Bau-Val se situaient en deçà du seuil de la tolérance avant 2016 malgré les désagréments liés au passage des camions, le Tribunal considère que la mesure la plus fiable et appropriée en l’espèce n’est la mesure du bruit manifestement occasionné par le passage des camions, mais plutôt l’intensité (quantité excessive) et la récurrence de passages de camions associés à un horaire atypique tel que constaté en 2016 et 2017.     

[238]       Somme toute, avec respect pour l’opinion contraire et sans pour autant prétendre de quelle que façon que ce soit que le bruit généré par le passage de camions lourds n’est pas susceptible de déranger les résidents du Tronçon CBR, la preuve acoustique administrée n’a pas permis aux demandeurs d’acquitter leur fardeau de prouver de façon prépondérante que le bruit généré par les camions circulant sur le Tronçon CBR est d’une intensité telle qu’il excède le seuil de la tolérance sauf en situation d’achalandage excessif voire ahurissant tel que vécu en 2016 et 2017.     

4.1.7           La poussière et les vibrations

[239]       Le Tribunal tire la même conclusion quant à la poussière et aux vibrations générées par le passage des camions.

[240]       La poussière venant d’un chemin public constitue un type de poussière qui n’a rien d’anormal. C’est à la lumière de ce fait incontournable que doivent s’apprécier les doléances des demandeurs.

[241]       Nous ne sommes pas ici en présence du même type de poussière ayant fait l’objet de l’affaire Ciment Saint-Laurent qui impliquait une poussière générée par une usine qui fonction jour et nuit, 365 jours par année, qui était corrosive et qui ne devait pas entrer en contact avec les yeux et la peau.[137]

[242]       Dans l’affaire Domfer[138], il s’agissait d’une poussière noire composée de particules de fer, qui s’incrustait sur les surfaces touchées[139], donnant une coloration rougeâtre au fini des matériaux.

[243]       Bref, à la lueur de la gravité réelle des inconvénients prouvés dans ces décisions, il parait impossible de qualifier d’anormaux ceux invoqués par les demandeurs en l’espèce.

[244]       Quant aux vibrations, bien qu’invoquée par certains des demandeurs qui ont prétendu avoir subi des dommages importants à l’intégrité structurelle de leurs résidences, outre des déclarations anecdotiques, la preuve est essentiellement absente quant à l’intensité et l’origine des vibrations associées au camionnage et aux fissures apparues sur certaines des fondations.   

[245]       Aucune expertise n’a été soumise à ce sujet.

[246]       Qu’en est-il maintenant de la situation pour les années 2018 et suivantes?

4.2   Au cours des années 2018 et suivantes, CRH et Bau-Val ont-elles occasionné des inconvénients anormaux de voisinage aux demandeurs au sens de l’article 976 C.c.Q.?

[247]       L’année 2018 a été marquée par les événements suivants :

-          L’injonction interlocutoire prononcée le 29 mars 2018 par le juge Casgrain;

-          L’Arrêt du 21 juin 2018 de la Cour d’appel modifiant l’injonction quant à CRH et cassant celle visant Bau-Val;

-          La décision de KPH de s’approvisionner en agrégats ailleurs qu’à la Carrière Demix de Varennes suite à l’acquisition de la carrière de St-Jacques-le-Mineur par CRH.  

[248]       L’année 2018 marque le retour du camionnage selon un «horaire normal». Certains demandeurs ont confirmé au procès la diminution du volume de circulation des camions sur le CBR, notamment le soir, la nuit et la fin de semaine.

[249]       Les activités de Bau-Val à Varennes ont d’ailleurs connu un léger déclin en termes de livraisons en 2018 et 2019 tel que noté par l’expert Guilbault :

Nous avons constaté que les opérations de Demix agrégats ont généré légèrement moins de chargements/passages sur le chemin de la Butte-aux-renards en 2018 comparativement à l’année 2017 durant la période analysée.

Pour Bau-Val, les données provenant de Bau-Val indiquent approximativement 21 % moins de passage que pendant la même période en 2017.[140]

[250]       En 2020 et 2021, les activités de Bau-Val étaient comparables à celles de 2016 et 2017, que la Cour d’appel qualifiait de «minimes dans l’équation[141]» relativement au camionnage total sur le CBR.

[251]       Il y a lieu de se pencher sur les données disponibles quant aux passages recensés depuis 2014 pour pouvoir apprécier l’état et l’évolution de la situation à compter de 2018 tout en conservant à l’esprit qu’au cours des années 2016 et 2017, les passages de camions imputables aux activités de CRH ont dépassé le seuil de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q. 

[252]       Les opérations de Bau-Val ainsi que les opérations de CRH à la Carrière Demix, ont de tout temps engendré du camionnage sur le CBR, en très grande majorité durant les heures normales d’ouverture.

[253]       Les données produites pour les années 2014 et 2015[142] révèlent le portrait suivant :

Passages de jour, sur semaine

Année

CRH

Bau-Val

Total

2014

149290

20382

169672

2015

122659

22070

144729

[254]       En soustrayant du nombre total de passages le nombre de passages durant le jour, en semaine, la preuve a révélé les données suivantes en ce qui a trait aux passages de soir, de nuit et en fin de semaine :

Passages de soir, nuit et fins de semaine

Année

CRH

Bau-Val

Total

2014

756

1074

1830

2015

1665

564

2229

[255]       Rappelons que durant cette période, les demandeurs ont reconnu que la circulation des camions sur le Tronçon CBR était tolérable même si les camions dérangent. 

[256]       Force est de constater qu’à l’époque, la contribution de Bau-Val en termes de camionnage sur le CBR était marginale, ne comptant que pour 12,5 % et 15,4 % des passages totaux en 2014 et 2015, respectivement[143].

[257]       D’ailleurs, jamais Bau-Val n’a connu de problème avec les résidents du Tronçon CBR et n’a jamais reçu de plaintes de leur part en lien avec le camionnage dans la présente affaire avant la mise en demeure de juillet 2017 qui ne visait que le camionnage de soir, nuit et fin de semaine :

Par conséquent, vous êtes par la présente en demeure de cesser immédiatement vos activités de camionnage sur le chemin de la Butte-aux-Renards de 17 h à 6 h, du lundi au vendredi et la fin de semaine, et de contribuer aux efforts à venir de la Ville de Varennes pour laménagement dune voie de contournement.[144]

[258]       Le témoignage des demandeurs a révélé que le printemps 2016 a été un point tournant eu égard au volume de camions circulant sur le CBR, plus particulièrement en dehors des heures normales d’opération.

[259]       Ainsi, les données mises en preuve pour les années 2016 et 2017[145] notent la situation suivante :

 

 

 

[260]       À nouveau, en soustrayant du nombre total de passages le nombre de passages durant le jour, en semaine, on obtient les résultats suivants en ce qui a trait aux passages de soir, de nuit et en fin de semaine en 2016 et 2017 :

Passages de soir, nuit et fins de semaine

Année

CRH

Bau-Val

Total

2016

24 480

1 068

25 548

2017

22 842

892

23 734

 

[261]       Bref, en ce qui a trait à Bau-Val, sa contribution au camionnage sur le CBR en 2016-2017 est demeurée relativement minime comparativement à CRH, ne constituant que 14,1 % et 11,8 % des passages pour 2016 et 2017, respectivement.

[262]       Plus encore, la contribution de Bau-Val au camionnage de soir, de nuit et en fin de semaine (ce qui constitue le réel inconvénient allégué par les demandeurs) ne comptait que pour 4,2 % et 3,8 % des passages pour 2016 et 2017 respectivement.

[263]       Le témoin Leroux de Bau-Val a expliqué que l’augmentation du nombre de passages de jour était attribuable aux activités de Bau-Val en 2016 et 2017 par l’obtention de deux contrats ponctuels.

[264]       D’une part, le site de Bau-Val à Varennes a été sollicité pour un contrat de récupération de moraines (un produit de recyclage) provenant de l’excavation du chantier du nouveau pont Champlain. Ce contrat s’est échelonné de février à novembre 2016. Il a représenté environ 4000 passages de jour, durant cette période.

[265]       D’autre part, le site de Varennes a également été sollicité pour fournir du béton concassé entre juin et novembre 2016, principalement dans le cadre de travaux de resurfaçage de la route 132 à Varennes. Ce contrat exceptionnel a représenté un total d’environ 2000 passages de jour pour Bau-Val.

[266]       Par ailleurs, la preuve a démontré que Bau-Val avisait la Ville des périodes de camionnage «hors du commun» (soit le soir, la nuit et la fin de semaine) attribuables à ses activités depuis l’avènement de la «problématique» causée par le camionnage en lien avec le Projet Turcot, et ce, même si elle n’a aucun lien direct avec ladite problématique.

[267]       À ce sujet, il aurait été souhaitable que Bau-Val informe directement ses voisins, les résidents concernés plutôt que de se limiter à la Ville.

[268]       Quoi qu’il en soit, les données produites par Bau-Val pour 2018 à 2021 révèlent une réduction significative des passages en 2018 et 2019, pour s’accroitre en 2020 et 2021 à des niveaux similaires à ceux de 2016-2017[146] :

Passages attribuables à Bau-Val

Année

Jours de semaine

Soirs, nuits et fins de semaine

Total

2018

21 828

684

22 512

2019

22 028

1 398

23 426

2020

28 960

1 172

30 132

2021

30 406

2 762

33 168

[269]       Le Tribunal traitera plus loin des données de CRH pour ces mêmes années en ce qui concerne les passages de camions qui lui sont attribuables, mais il s’avèrera que ceux-ci représentent toujours la très grande majorité des passages sur le CBR considérant la quantité d’agrégats extraits de sa carrière en 2018 à 2021, qui est similaire aux années précédentes.

[270]       Bau-Val a expliqué l’augmentation relative du nombre de passages attribuable à ses activités en 2020 par l’octroi de contrats exceptionnels d’utilité publique par le MTQ dans le cadre de travaux de voirie à Boucherville et de travaux de réfection de l’Autoroute 30 à Verchères.

[271]       L’augmentation relative du nombre de passages attribuable aux activités de Bau-Val en 2021 s’explique quant à elle par l’octroi de contrats d’utilité publique exceptionnels par le MTQ dans le cadre de travaux de réfection de l’autoroute 20 à Saint-Hyacinthe et de l’Autoroute 30 à Brossard.

[272]       Tel que mentionné précédemment, le témoin Leroux a expliqué que ces projets du MTQ se situaient dans le rayon d’action des installations de Bau-Val à Varennes pour permettre la livraison ponctuelle d’asphalte chaude et que les projets complétés dans les dernières années (Autoroute 30, Autoroute 20, route 132) n’auront pas à être refaits à court ou moyen terme.

[273]       En résumé, en se servant des données offertes par Bau-Val[147], dont la fiabilité a été établie à la satisfaction du Tribunal lors du témoignage de Mme Annie Bouthillette, le constat général suivant peut être tiré :

a) De 2014 à 2021, les installations de Bau-Val à Varennes (Pavages Varennes et Tech-Mix) ont généré en moyenne 13 449 billets[148] de pesée annuellement;

b) En 2016 et 2017, soit durant les deux années durant lesquelles les demandeurs allèguent avoir subi des inconvénients anormaux du voisinage, les installations de Bau-Val à Varennes ont généré en moyenne 15 468 billets annuellement, soit une faible augmentation de 15 % de billets de jour par rapport à la moyenne de 2014 à 2021, alors que les billets de soir, nuit et fin de semaine sont demeurés similaires ou moindres que ceux des années 2014 et 2015;

c) Et pour la période de 2018 à 2021 uniquement, soit après le Projet Turcot, les installations de Bau-Val à Varennes ont généré en moyenne 13 655 billets annuellement, soit une augmentation minime de 1,5 % comparée à la moyenne totale.

[274]       Bien qu’elles aient fluctué légèrement d’année en année, les activités de Bau-Val, prises indépendamment des activités de CRH, pour lesquelles Bau-Val ne peut être tenue responsable, sont demeurées relativement stables de manière générale durant toute la période sous étude.

[275]       Il appert donc que le camionnage qui est attribuable à Bau-Val n’a pas causé d’inconvénient anormal aux demandeurs eu égard à la nature et à la situation des fonds des demandeurs, aux usages locaux sur le CBR, et à l’ensemble du contexte factuel dans lequel s’inscrit le présent recours.

[276]       L’augmentation excessive du camionnage alléguée par les demandeurs pour les années 2016 et 2017 n’a pas été causée par Bau-Val.

[277]       C’est d’ailleurs le constat auquel en est arrivée la Cour d’appel[149] en refusant d’émettre une injonction limitant les activités de Bau-Val en 2018.

[278]       Le Tribunal ne dispose d’aucune raison pour conclure différemment.

[279]       Toujours en ce qui a trait à Bau-Val, le Tribunal est d’avis qu’à l’instar de ses constats antérieurs pour les années 2014 à 2017, depuis 2018, la circulation de camions fréquentant les installations de Bau-Val n’a pas causé dinconvénients anormaux aux demandeurs qui ont excédé les limites de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q. 

[280]       En d’autres termes, les hausses ponctuelles de passages sur le CBR de camions s’approvisionnant aux installations de Bau-Val s’inscrivent toujours à l’intérieur du cadre de la normalité en considérant la nature des opérations de Bau-Val et de CRH ainsi que l’environnement des résidents du Tronçon CBR à proximité d’une carrière et d’industries lourdes qui ne peuvent desservir leurs clientèles respectives qu’en empruntant le Tronçon CBR. 

[281]       À la lumière de la preuve administrée, le Tribunal ne peut imputer à Bau-Val aucune faute engendrant sa responsabilité envers ses voisins du Tronçon CBR pour la période post Projet Turcot au sens de l’article 976 C.c.Q.

[282]       Bien entendu, il est concevable que le passage des camions lourds constitue un inconvénient. C’est cependant un inconvénient que doivent tolérer normalement toutes les personnes habitant en bordure d’un chemin où ce type de camionnage est autorisé. Aucune preuve n’a été administrée afin de démontrer en quoi la situation sur le CBR serait différente de celle qui prévaut sur tous les autres chemins publics comparables, au Québec dans un environnement et un contexte similaires.

[283]       Jusqu’à présent, les inconvénients que Bau-Val a causés aux demandeurs par l’entremise de camions circulant sur le CBR, s’avèrent être des inconvénients qu’une personne raisonnable résidant sur le CBR jugerait normaux eu égard à la nature du CBR, à sa situation géographique, à la nature des activités de Bau-Val et à l’utilisation du CBR par Bau-Val depuis plus de 50 ans.

[284]       Rappelons que le caractère tolérable d’un inconvénient doit en tout temps s’apprécier objectivement, sans tenir compte des attentes particulières ou des facteurs subjectifs pouvant exercer une influence sur le degré de tolérance d’une personne ou d’un groupe de personnes en particulier.

[285]       Ceci étant, un tel constat ne signifie pas que Bau-Val ne doive pas redoubler de vigilance, de prudence et de courtoisie face à ses voisins tant et aussi longtemps que la seule solution réaliste et raisonnable n’aura pas été mise en place, soit l’établissement d’une voie de contournement.

[286]       Il est certes louable que Bau-Val ait dans le passé avisé la Ville d’horaires atypiques ponctuels, exceptionnels et temporaires, mais il est fort souhaitable que Bau-Val révise et améliore ses relations directement avec «ses voisins» en demeurant sensible à leur situation fort particulière et en maintenant également des canaux de communication directement avec eux tout comme le témoin Leroux a dit le faire avec la Ville.

[287]       Eu égard aux faits particuliers de l’espèce, la ligne entre une conduite normale entre les voisins du CBR et une conduite anormale comme celle vécue en 2016 et 2017 est mince.

[288]       Dorénavant et tant que la situation n’aura pas été corrigée par l’établissement d’une voie de contournement, CRH et Bau-Val ne peuvent prétendre ignorer les effets sur les résidents du Tronçon CBR de la circulation de camions fréquentant leurs établissements respectifs.  

[289]       L’argument de l’intérêt public lors de l’exécution de travaux d’intérêt public ne peut servir de panacée en tout temps et justifier de causer des inconvénients clairement anormaux et excessifs sur une longue période de temps par surcroît, tel que vécu au cours des années 2016 et 2017 en raison du Projet Turcot.

[290]       Qu’est-il maintenant de la situation de CRH pour les années 2018 et suivantes?

[291]       D’emblée, la preuve a déjà démontré l’augmentation qualifiée d’ahurissante des passages de camions s’approvisionnant à la Carrière Demix pour les années 2016 et 2017 par rapport aux années 2014 et 2015.

[292]       Il n’est pas nécessaire de revenir là-dessus.

[293]       Le Tribunal a également déterminé que la preuve acoustique quoique pertinente à certains égards, n’est pas déterminante pour établir en l’espèce le niveau acceptable ou tolérable de bruit généré par le passage des camions d’autant qu’il n’existe aucune norme contraignante et que la norme objective la plus pertinente, celle du seuil de 65dBA de la Politique du MTQ n’a pas été franchie, à tout le moins de façon significative.  

[294]       Le bruit généré par les camions circulant sur une route destinée à accueillir un tel trafic dans le contexte où cette route est la seule permettant de desservir des industries lourdes, s’inscrit dans le caractère normal des inconvénients occasionnés par le passage de ces camions.

[295]       C’est plutôt le nombre de passages de camions, l’intensité de ceux-ci, leur récurrence en particulier à des heures atypiques comme on l’a vu en 2016 et 2017 qui constitue en l’espèce la mesure la plus fiable quant à la détermination du caractère normal ou anormal des inconvénients causés par ceux-ci.      

[296]       Dans le Rapport Yockell, l’expert Proulx s’exprime ainsi quant à ses constats pour l’année 2018 :

Pour 2018, les périodes susceptibles de générer un impact sonore sont comprises entre mai et novembre et concernent uniquement période de jour. De soir, de nuit et durant la fin de semaine, le nombre de passages quotidiens moyens est faible, voire négligeable.

La distribution du nombre de passages quotidiens moyens de jour pour chaque entité est présentée à la figure 6.9. On constate les éléments suivants :

1° Le nombre de passages quotidiens moyens de TM [Tech-Mix] est négligeable;

2° Le nombre de passages quotidiens de PV [Pavage Varennes] est faible;

3° BV (TM + PV) représente environ 10 % et 15 % de la circulation de camions sur le CBR;

CRH représente environ 80 % et 90 % des passages sur le CBR;

KPH n’a circulé qu’entre avril et juin et a représenté entre 5 % et 10 % de la circulation de camions durant cette période;[150]

[Soulignement ajouté]

[297]       L’expert Proulx conclut ainsi quant à l’année 2018 :

Pour 2018, le transport associé à CRH est le plus important. De soir et de nuit, suivant une ordonnance dinjonction interlocutoire rendue par la Cour dappel quant à CRH, les heures dautorisation de transport de matériel de CRH sont comprises en 6 h et 18 h. Il ny a donc pas eu de transport en dehors de cette plage horaire pour CRH. Quant à BV il est possible que quelques passages de camions aient pu être faits de soir et de nuit, mais ceux-ci demeuraient toutefois occasionnels.

Enfin, on constate qu’à elle seule, Bau-Val, na pas produit entre 2014 et 2018 un achalandage suffisant pour générer un impact sonore dans le milieu, tant de jour que de soir et de nuit.[151]

[298]       À la lumière de la preuve administrée, la mesure la plus fiable aux yeux du Tribunal pour évaluer l’impact du camionnage lié aux opérations de CRH sur le CBR pour les années 2018 et suivantes se reflète au niveau des ventes annuelles effectuées par CRH à la Carrière Demix telles que rapportées à la pièce DCRH-22.  

[299]       Le Tribunal a retenu que les tonnes de pierres rapportées au tableau suivant représentent le volume de pierre concassée vendue par Carrière Demix chaque année depuis 2010 jusqu’à 2021. La pierre concassée vendue signifie qu’elle a nécessairement été acheminée par camion à la clientèle de CRH via le CBR :

[300]       Force est de constater que :

-          de 2010 à 2015, les ventes annuelles moyennes ont toujours oscillé autour de        1 014 813 tonnes;

-          pour les années problématiques de 2016 et 2017, les ventes annuelles moyennes ont atteint 1 509 457 tonnes;

-          pour les années 2018 à 2021, les ventes annuelles moyennes ont descendu à        1 090 573 tonnes;

-          les ventes liées au Projet Turcot se situent essentiellement en 2016 et 2017 (413 685 tonnes et 382 236 tonnes) pour réduire substantiellement en 2018 (36 451 tonnes), 2019 (88 447 tonnes) et 2020 (3 283 tonnes);

-          en considérant les ventes annuelles totales de 2010 à 2021, la moyenne des années 2018-2021 représente une baisse de 2,8 %;

-          en retirant les ventes liées au Projet Turcot, la moyenne des années 2018-2021 représente une hausse somme toute très modeste de 1,2 %.[152] 

[301]       Ces données fort révélatrices démontrent qu’à compter de 2018, les activités de CRH sont essentiellement revenues au niveau qu’elles étaient avant le Projet Turcot.

[302]       Avec égards, les demandeurs n’ont pas convaincu le Tribunal que depuis 2018 et surtout depuis la fin du Projet Turcot, le passage des camions liés aux activités de la Carrière Demix a continué de causer des inconvénients anormaux excédant les limites de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q.      

[303]       Finalement, le fait que certains des camions en direction des installations de CRH et de Bau-Val puissent transporter de matières à recycler ou des sols servant à réhabiliter la Carrière Demix n’influence aucunement les conclusions déjà tirées par le Tribunal.

5.                 LE RECOURS SOUS L’ARTICLE 20 L.Q.E.

[304]       Les demandeurs fondent également leur recours sur l’article 20 L.Q.E. ayant trait au rejet de contaminants que sont le bruit et la poussière causés par le camionnage sur le CBR :

20. Nul ne peut rejeter un contaminant dans l’environnement ou permettre un tel rejet au-delà de la quantité ou de la concentration déterminée conformément à la présente loi.

La même prohibition s’applique au rejet de tout contaminant dont la présence dans l’environnement est prohibée par règlement ou est susceptible de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l’être humain, de causer du dommage ou de porter autrement préjudice à la qualité de l’environnement, aux écosystèmes, aux espèces vivantes ou aux biens.

[Soulignement ajouté]

[305]       Le recours en vertu de l’article 20 L.Q.E. est lié au principe énoncé à son article 19.1 :

19.1. Toute personne a droit à la qualité de l’environnement, à sa protection et à la sauvegarde des espèces vivantes qui y habitent, dans la mesure prévue par la présente loi, les règlements, les ordonnances, les approbations et les autorisations délivrées en vertu de l’un ou l’autre des articles de la présente loi ainsi que, en matière d’odeurs inhérentes aux activités agricoles, dans la mesure prévue par toute norme découlant de l’exercice des pouvoirs prévus au paragraphe 4° du deuxième alinéa de l’article 113 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (chapitre A-19.1).

[Soulignement ajouté]

[306]       Outre l’argument lié à la capacité de concassage fondé sur l’article 22 L.Q.E. dont il sera question plus loin, qui nécessiterait, selon les demandeurs, l’émission d’un certificat d’autorisation en faveur de CRH, il importe de noter que ceux-ci ne se plaignent pas des activités à la Carrière Demix elle-même ou aux installations de Bau-Val, vu notamment la distance à laquelle elles se trouvent par rapport à leurs résidences.

[307]       La L.Q.E. prévoit une prohibition générale de polluer à son article 20 qui met en place un contrôle curatif.

[308]       L’article 20 in fine énonce une norme subjective en prohibant l’émission de contaminants qui sont susceptibles de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être, au confort de l’être humain, de causer du dommage ou de porter autrement préjudice à la qualité du sol, à la végétation, à la faune ou aux biens. Tout contaminant visé par une de ces trois situations est considéré comme nocif et son rejet dans l’environnement est interdit par la loi.

[309]       Dans l’Arrêt du 21 juin 2018, la Cour d’appel a abordé la question de l’article 20 L.Q.E. tout en rappelant le cadre d’analyse applicable à un recours fondé sur cet article.

[310]       La Cour d’appel conclut que les deux premiers volets de l’article 20 L.Q.E. n’étaient pas pertinents en l’espèce tout en précisant qu’il n’existe pas de réglementation sur le bruit qui soit d’application générale au Québec :

[40] […] S’il existe des règlements spécifiques applicables à certaines industries, les dispositions du Règlement sur les carrières et sablières portant sur le bruit ne sont pas pertinentes en l’espèce. La Politique sur le bruit routier adoptée en mars 1998 par le MTQ nest pas non plus un texte réglementaire, ni a fortiori une loi. Elle énonce simplement la position du MTQ à l’égard du bruit. Elle ne constitue pas une norme à caractère obligatoire; elle sert simplement de guide et propose des critères indicatifs.[153]

[311]       Quant au troisième volet, la Cour d’appel s’exprime ainsi :

[41] En somme, seul le troisième volet de l’article 20 LQE est pertinent ici. Ce volet énonce une norme subjective et requiert une analyse multifactorielle et grandement tributaire du contexte et des faits, que la juge Bich décrit ainsi dans l’arrêt Courses automobiles Mont-Tremblant inc. c. Iredale :

[99] S’agissant de ce contaminant particulier qu’est le son, il est en effet inutile de mentionner que le législateur n’a pas voulu bannir tout bruit ou tout son. C’est le bruit excessif qui, seul, peut être visé. Or, ce qui est excessif dépend du contexte. C’est un truisme en effet de dire que la nocivité du bruit, aux fins du troisième volet de l’article 20 L.q.e., ne peut être évaluée pareillement dans un centre urbain et dans un lieu champêtre, dans un quartier résidentiel et dans un quartier industriel. En outre, la nocivité elle-même (et encore davantage quand elle n’est que potentielle) est un concept intrinsèquement fluctuant : ainsi un bruit continu peut être nocif alors qu’un bruit ponctuel de même intensité ne le sera pas; un bruit peut être moins nocif si l’on met en place, autour de sa source, des mesures d’atténuation, et ainsi de suite. Par conséquent, bien qu’elle prétende édicter une prohibition et use du langage de celle-ci, l’article 20 L.q.e. énonce plutôt une norme subjective et forcément tributaire d’un examen factuel, contextualisé et individualisé des situations qu’elle est susceptible de viser. Manifestement, cette norme ne saurait s’appliquer de la même façon sur l’ensemble du territoire québécois et ne saurait d’avantage s’appliquer dans l’abstrait.

[100] Autrement dit, l’article 20 L.q.e., dans son troisième volet, énonce une norme qui requiert une analyse multifactorielle, qui dépend des circonstances et d’un exercice de conjugaison d’intérêts immanquablement variés (et même variables) ainsi que de facteurs et d’éléments scientifiques, économiques et sociaux changeants, dont la preuve, il va sans dire, doit être faite. En somme, il s’agit d’une prohibition à géométrie variable, mais qui demeure essentiellement conjoncturelle.

[42] Ainsi, la norme énoncée au troisième volet de l’article 20 LQE rappelle à certains égards l’article 976 C.c.Q. et s’y harmonise assez bien; on peut même soutenir que l’article 976 C.c.Q., «qui fait partie d’un code qui se veut, en toute matière le fondement des autres lois […], sert désormais d’assise à l’article 20 [LQE]».

[43] Dans les circonstances particulières du présent dossier, il y a donc lieu de fonder l’analyse de la question sérieuse principalement sur l’article 976 C.c.Q. portant sur la responsabilité sans faute plutôt que sur le troisième volet de l’article 20 LQE.

[Soulignement et caractères gras ajoutés]

[312]       En clair, la détermination de la nocivité d’un bruit aux fins du deuxième alinéa de l’article 20 L.Q.E. requiert une analyse multifactorielle qui s’apparente fortement à celle qui s’impose dans le cadre d’un recours en trouble anormal du voisinage en vertu de l’article 976 C.c.Q et est grandement tributaire du contexte et des faits.

[313]       Même si plusieurs principes d’interprétation établis par la jurisprudence sont applicables à la fois à l’analyse des dispositions précitées de la L.Q.E. ainsi qu’à celle relative au régime de responsabilité sans faute en matière de troubles du voisinage (976 C.c.Q.), il n’en demeure pas moins que les articles 19.1 et 20 al. 2 L.Q.E. ne relèvent pas d’un régime de responsabilité sans faute et les trois éléments nécessaires à la responsabilité civile doivent être démontrés :

[301] Premièrement, il importe de rappeler que la violation de cette norme législative si elle était démontrée ne constitue pas nécessairement une faute civile engageant la responsabilité du contrevenant.

[302] Deuxièmement, et cela est fondamental, «la sanction du droit à la qualité de l’environnement par l’octroi de dommages-intérêts passe essentiellement par le triptyque traditionnel de la responsabilité civile faute – causalité – dommage (art. 1457 C.c.Q.) […]».[154]

[314]       Dans l’arrêt Courses automobiles Mont-Tremblant inc. c. Iredale, la Cour d’appel explique que la prohibition énoncée dans cette troisième partie de l’article 20 al. 2 L.Q.E. n’est pas «absolue», mais constitue plutôt une «norme générale dont l’application repose nécessairement sur une appréciation au cas par cas»[155].

[315]       En ce qui concerne plus particulièrement les contaminants sonores, la Cour d’appel précise que l’interdiction ne vise que le bruit «excessif» et que ce caractère «excessif» s’évalue de manière subjective. Ainsi, pour déterminer s’il y a ou non contravention à cette norme subjective, il faudra se livrer à une analyse «multifactorielle» qui variera en fonction des circonstances de l’espèce[156].

[316]       Cela implique cependant que le Tribunal ne peut se satisfaire d’hypothèses et de conjectures[157].

[317]       En l’espèce, il n’y a pas lieu de s’éloigner de l’analyse multifactorielle déjà effectuée en vertu de l’article 976 C.c.Q. et de modifier les conclusions déjà tirées par le Tribunal relativement aux inconvénients anormaux vécus par les demandeurs au sens de l’article 976 C.c.Q.

[318]       Les demandeurs ont effectivement vécu des inconvénients anormaux en 2016 et 2017 en raison du passage excessif de camions lié aux opérations de CRH.

[319]       Ces inconvénients étaient essentiellement liés aux bruits et vibrations causés par le passage des camions. 

[320]         Or, en l’espèce, la prohibition que l’on retrouve à l’article 20 L.Q.E. in fine a servi à permettre l’émission de l’injonction interlocutoire à l’endroit de CRH puisque le bruit et les vibrations sont des contaminants au sens de la L.Q.E. qui ont été rejetés dans l’environnement des demandeurs par le camionnage intensif et excessif de 2016 et 2017 imputé à CRH.

[321]       Par contre, la preuve prépondérante ne permet pas au Tribunal de conclure qu’il y a eu accroc aux dispositions de l’article 20 L.Q.E. par Bau-Val ni par CRH pour les années 2018 et suivantes.  

[322]       Le Tribunal entend aborder maintenant l’implication de KPH.

6.                 KPH et sa responsabilité ENVERS les demandeurs

6.1   Commentaires préliminaires

[323]       À la lumière du Jugement Casgrain, de l’Arrêt du 21 juin 2018 et de la preuve administrée, il ne fait aucun doute que l’approvisionnement d’agrégats contenant de la syénite requis par le Projet Turcot a eu un impact majeur sur les inconvénients anormaux subis par les demandeurs en 2016 et 2017.

[324]       Rappelons que le Projet Turcot était un projet dinfrastructure majeur devenu nécessaire pour prévenir le vieillissement des structures de lancien échangeur Turcot et pour assurer lintérêt et la sécurité du public et plus particulièrement des usagers du réseau routier de la Ville de Montréal et de ses environs.

[325]       Le camionnage lié au Projet Turcot a débuté de façon plus significative au printemps 2016, diminué temporairement de façon importante de novembre 2016 à avril 2017, repris au printemps 2017 pour diminuer à partir de novembre 2017, le tout en fonction de l’échéancier et des exigences du Projet Turcot dictés par le MTQ.

[326]       Suite à l’injonction interlocutoire de mars 2018, l’approvisionnement à la Carrière Demix a diminué drastiquement jusqu’à la fin du Projet Turcot en 2020.

[327]       Selon la preuve, CRH était un sous-traitant important du Projet Turcot c’est-à-dire de KPH et un «Participant» aux termes du Contrat de conception-construction[158] intervenu entre le MTQ et KPH ainsi que ses deux associés, Kiewit et Parsons.

[328]       CRH était notamment responsable de l’approvisionnement du Projet Turcot en pierre concassée et c’est CRH, à titre de sous-traitant de KPH, qui a fait le choix de la Carrière Demix à Varennes pour approvisionner le Projet Turcot en pierre de remblai.

[329]       CRH a choisi la Carrière Demix à Varennes, car, selon elle, c’était la seule carrière à pouvoir fournir en quantité suffisante la pierre rencontrant les caractéristiques exigées par le MTQ, soit une pierre concassée composée de syénite.

[330]       À titre de sous-traitant de KPH et «Participant» au Projet Turcot, CRH connaissait l’échéancier serré exigé par le MTQ et les besoins importants de ce dernier en pierre de remblai.

[331]       CRH connaissait également l’état de son voisinage à Varennes, notamment la présence de résidences sur le CBR et les doléances passées de leurs occupants à l’égard du camionnage qui y circule.

[332]       Avant de lui faire part des plaintes reçues des résidents à la fin du printemps 2016, CRH n’avait pas informé KPH qu’il pouvait exister une problématique liée au camionnage sur le CBR, pas plus que des doléances passées des résidents du Tronçon CBR.

[333]       Avant l’ordonnance d’injonction interlocutoire prononcée par le juge Casgrain, le 29 mars 2018, CRH n’a jamais imposé à KPH (Projet Turcot) ou à ses autres clients quelque limitation que ce soit quant à ses heures d’ouverture.

[334]       CRH accommodait essentiellement toutes les demandes de sa clientèle, dont KPH.

6.2   KPH et le voisinage au sens de l’article 976 C.c.Q.

[335]       D’emblée, il est incontestable que KPH ne peut être considérée comme étant voisin des demandeurs au sens de l’article 976 C.c.Q. n’ayant aucune installation dans ce voisinage.

[336]       Son seul lien de rattachement aux demandeurs est le fait que CRH ait déterminé que l’approvisionnement en pierre concassée devant servir de remblai pour le Projet Turcot allait provenir de sa propre carrière à Varennes.

[337]       Les dispositions de l’article 976 C.c.Q. ne s’appliquent pas à KPH.

6.3   KPH est-elle responsable d’avoir rejeté des contaminants (bruit et poussière) sur le CBR au sens de l’article 20 al. 2 L.Q.E.?

[338]       KPH peut-elle être tenue responsable d’avoir rejeté un contaminant (bruit) au sens de l’article 20 al. 2[159] L.Q.E. et conséquemment, être tenue au préjudice subi allégué par les demandeurs même s’il est effectivement démontré que ce préjudice découlait en partie du camionnage lié au Projet Turcot?

[339]       Avec égards, le Tribunal ne le croit pas. 

[340]       Dans la mesure où l’approvisionnement du Projet Turcot en pierre concassée a causé des inconvénients aux demandeurs, la responsabilité échoit à CRH, à titre de sous-traitant responsable de cette activité, et non pas à KPH.

[341]       Le Tribunal comprend que KPH n’effectuait pas, pour la très grande majorité, le transport des matériaux requis pour le projet incluant ceux fournis par CRH à partir de la Carrière Demix à Varennes et qu’elle avait contracté avec des fournisseurs de services spécialisés en transport de matériaux pour les besoins du Projet Turcot.

[342]       Les demandeurs n’ont pas établi de façon prépondérante que KPH avait un quelconque lien de subordination avec ces transporteurs indépendants, qu’elle exerçait un contrôle sur leur prestation de travail et qu’elle donnait des instructions ou directives précises aux préposés sur la manière dont leur travail devait être effectué au niveau du transport des agrégats en provenance de la Carrière Demix.

[343]       Bref, KPH n’exerçait aucun contrôle notamment sur l’embauche des camionneurs, l’état des camions, le trajet emprunté, le comportement des camionneurs et la vitesse à laquelle ils circulaient.[160]

[344]       Par conséquent, le Tribunal partage entièrement l’avis du procureur de KPH voulant que la responsabilité de sa cliente ne puisse être engagée à l’égard des demandeurs en ce que ceux-ci se plaignent de préjudices résultant du camionnage et du comportement des camionneurs sur le CBR, dont la responsabilité et la supervision relevaient en tout temps de tiers transporteurs et non de KPH.[161]

[345]       Comme KPH n’effectuait pas elle-même le transport de la pierre concassée, elle ne peut pas avoir rejeté de contaminants (bruit et poussières) au sens de l’article 20 al. 2 L.Q.E. et ne peut être tenue responsable du préjudice allégué par les demandeurs à ce sujet, même s’il était effectivement démontré que le préjudice subi en 2016 et 2017 découlait en partie du camionnage lié au Projet Turcot.

[346]       Avec égards, en ce qui concerne KPH, quel que soit le nombre de camions liés au Projet Turcot ayant circulé sur le Tronçon CBR n’importe guère. CRH était mieux placée que quiconque y compris KPH pour apprécier l’impact sur ses voisins les résidents du Tronçon CBR de l’achalandage accru des camions assurant l’approvisionnement lié au Projet Turcot de soir, de nuit et de fin de semaine.

[347]       À titre de voisin des demandeurs connaissant les besoins particuliers de sa clientèle qui doit obligatoirement emprunter le Tronçon CBR depuis des décennies, CRH était à même d’apprécier l’impact sur ses voisins découlant du passage de camions lourds circulant en 2016 et 2017 à un rythme qualifié d’effarant par le juge Casgrain et d’hallucinant par la Cour d’appel, et ce, même la nuit et la fin de semaine.  

[348]       KPH a argumenté qu’elle n’était pas la seule cliente de CRH ayant profité d’un horaire atypique, car d’autres clients de CRH et de Bau-Val utilisaient également le CBR la nuit et la fin de semaine à l’époque.[162]

[349]       En 2016 et en 2017, les passages générés par les autres clients de CRH représentaient 62 % et 70 % de la totalité des passages sur le CBR[163] :

Année

CRH (Autres clients)

CRH (Projet Turcot)

Bau-Val

Total

2016

140 829 (62 %)

56 395 (24 %)

31 456 (14 %)

228 680

2017

170 624 (70 %)

44 290 (18 %)

30 414 (12 %)

245 328

[350]       En fait, sans tenir compte des passages générés par le Projet Turcot, les passages générés par les autres clients de CRH ont augmenté de 110 644 en 2015 à 140 829 en 2016, soit une augmentation de 30 185 passages.

[351]       De même, les passages générés par les autres clients de CRH ont augmenté de 140 829 en 2016 à 170 624 en 2017, soit une augmentation de 29 795 passages.

[352]       En conclusion, en plus de ne pas être celle qui effectuait le transport de la pierre, KPH n’était qu’une cliente parmi d’autres de CRH et il n’existe aucune justification qui permette de lui attribuer à elle, et non aux autres clients de CRH et de Bau-Val, une responsabilité pour les inconvénients allégués liés au camionnage sur le CBR au cours des années 2016 et 2017.

[353]       Avec respect pour l’opinion contraire, KPH n’a pas à subir ou à assumer les conséquences de la décision de CRH d’offrir à sa clientèle dont KPH un approvisionnement de soirée, de nuit et de fin de semaine en toute connaissance de cause en ce qui avait trait à la quantité phénoménale de camions qui allaient être nécessaires.  

[354]       La crainte de perdre sa clientèle, en tout ou en partie ou de voir son chiffre d’affaires réduit, ne peut justifier à elle seule la décision d’ouvrir ses installations et de desservir la clientèle à toute heure du jour, de la soirée, de la nuit et de la fin de semaine si en se faisant, l’entreprise allait causer à ses voisins des inconvénients anormaux qui excèdent démesurément les limites de la tolérance. 

[355]       La preuve a révélé que les mesures de mitigation mises en place en 2016 et 2017 par CRH avec l’assistance de la Ville de Varennes et de KPH ne se sont pas avérées adéquates ou suffisantes pour atténuer significativement les inconvénients majeurs subis par les demandeurs.

[356]       Le fait que KPH ait participé à la mise en place de certaines de ces mesures de mitigation en 2017 pour ne pas compromettre l’approvisionnement d’agrégats qui était déjà engagé ne constitue pas un aveu de responsabilité ou une faute génératrice de responsabilité envers les demandeurs. Après tout, KPH avait été placée par CRH devant un fait accompli au cours de l’été 2016 et a finalement trouvé moyen de s’approvisionner ailleurs au printemps 2018.

[357]       En effet, au printemps 2018, une fois confrontée à la présentation de la demande d’injonction interlocutoire qui sera entendue par le juge Casgrain, CRH s’est portée acquéreuse d’une carrière à St-Jacques-le-Mineur offrant une pierre comportant les caractéristiques similaires à celles recherchées par le MTQ (KPH).

[358]       Une fois liée contractuellement envers KPH, il revenait à CRH de trouver une solution ou une source alternative ailleurs qu’à Varennes pour approvisionner le Projet Turcot en agrégats contenant de la syénite et par conséquent, de limiter significativement la circulation de camions liés au Projet Turcot sur le CBR par après.

[359]       L’achat par CRH d’une nouvelle carrière a permis à KPH de diminuer significativement son approvisionnement auprès de la Carrière Demix à Varennes dès mai 2018, d’où son désistement du pourvoi qu’elle avait logé à l’encontre du Jugement Casgrain.

[360]       En l’absence d’une voie de contournement, il existait donc une solution pour limiter les inconvénients majeurs et anormaux subis par les demandeurs en lien avec le Projet Turcot.

[361]       Bref, il revenait de façon primordiale au voisin CRH non pas à un tiers tel KPH d’anticiper l’impact qu’auraient sur ses voisins les exigences particulières d’approvisionnement de KPH, d’en informer cette dernière et de trouver une alternative ou une solution raisonnable face aux inconvénients anormaux qu’elle allait faire subir à ses voisins le long du Tronçon CBR en lien avec l’approvisionnement exceptionnel du Projet Turcot.    

[362]       Qui plus est, la preuve n’a pas révélé que KPH avait placé CRH au pied du mur pour l’obliger à continuer d’approvisionner à tout prix le Projet Turcot en agrégats à partir de la Carrière Demix de Varennes. La responsabilité d’approvisionner le Projet échoyait avant tout à CRH, à titre de sous-traitant et «Participant» au projet.     

[363]       En somme, KPH ne peut être trouvée non plus responsable d’une violation à la L.Q.E. pour les raisons qui se résument ainsi :

a) CRH était le sous-traitant responsable de l’approvisionnement en pierre concassée pour le Projet Turcot et c’est elle qui a fait le choix de la Carrière Demix à Varennes. Ainsi, si l’approvisionnement du Projet Turcot en pierre concassée a causé des inconvénients aux demandeurs, c’est CRH, à titre de sous-traitant responsable de cette activité et «Participant», qui en est responsable, pas KPH;

b) Comme KPH n’effectuait pas elle-même le transport de la pierre concassée, des tiers fournisseurs s’en chargeant, elle ne peut pas avoir rejeté un contaminant (bruit) au sens de l’article 20 al. 2 L.Q.E. et ne peut être tenue responsable du préjudice allégué par les demandeurs, même s’il était démontré que ce préjudice découlait en partie du camionnage lié au Projet Turcot;

c) En 2016 et 2017, le camionnage (nombre de passages) lié au Projet Turcot représentait respectivement que 25 % et 18 % du camionnage lié à l’ensemble des clients de CRH et de Bau-Val sur le CBR, KPH n’étant qu’une cliente parmi d’autres de CRH et Bau-Val. Il n’existe ainsi aucune justification qui permette d’attribuer à KPH plus qu’aux autres clients de CRH et de Bau-Val, une responsabilité pour les inconvénients allégués liés au camionnage sur le CBR.

[364]       Ainsi, les conclusions tirées par le Tribunal à l’endroit de KPH disposent des questions en litige et enjeux soulevés par les demandeurs à son endroit sans qu’il ne soit nécessaire de se pencher sur les autres questions soulevées au sujet de KPH lesquelles sont toutes tributaires d’une faute commise par KPH ayant généré sa responsabilité envers les demandeurs, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[365]       Bref, le présent recours doit être rejeté en ce qui a trait à KPH qui n’a commis aucune faute génératrice de responsabilité envers les demandeurs.    

[366]       Qu’en est-il maintenant de la Ville de Varennes?

7.                 Le statut de voisin de la Ville de Varennes

[367]       En sa qualité de propriétaire et gestionnaire du CBR, Varennes est-elle voisine des résidents riverains du CBR au sens de l’article 976 C.c.Q.?

[368]       À ce sujet, la Cour d’appel n’a pas jugé nécessaire de se prononcer :

[51] Compte tenu de cette conclusion [quant au statut de voisins de CRH et de Bau-Val], il n’est pas nécessaire que la Cour décide, dans le contexte des présents appels, si le propriétaire ou le gestionnaire d’une route publique est aussi un «voisin» au sens de l’article 976 C.c.Q. lorsqu’il est impossible d’identifier une source précise de l’achalandage routier[164].

[369]       D’emblée, force est de constater que les recours et des conclusions des demandeurs à l’égard de la Ville de Varennes constituent des cibles mouvantes.

[370]       A priori, on peut retenir que les demandeurs semblent percevoir la Ville de Varennes comme un assureur contre les troubles du voisinage qui les préoccupent.

[371]       Dans la demande introductive du 10 juillet 2017, les demandeurs demandaient l’annulation d’une portion du Règlement 529 de la Ville assortie de l’obligation de prendre les mesures qui s’imposent pour aménager et ouvrir une voie de contournement sur le CBR.

[372]       En novembre 2017, les demandeurs ajoutent une série de fautes par omission commises par la Ville tout en recherchant sa responsabilité extracontractuelle avec celle du MTQ ainsi que des condamnations in solidum au paiement de dommages avec Bau-Val et CRH le tout assorti d’une ordonnance de faire cesser les nuisances causées par le bruit du camionnage sur le CBR.

[373]       En mars 2018, les demandeurs retirent leur demande d’annulation relative au Règlement 529 ainsi que toutes les allégations de fautes et de responsabilité civile à l’égard de la Ville de Varennes. Les conclusions concernant la Ville de Varennes ne contiennent dorénavant qu’une réserve des demandeurs de lui réclamer des dommages éventuellement.

[374]       En juillet 2018, les demandeurs se ravisent et ajoutent à nouveau les allégations de fautes par omission de la Ville de Varennes sauf celle relative à l’atteinte illicite et intentionnelle à leur droit et à la libre jouissance de leur propriété. Ils rajoutent une conclusion déclaratoire de faute visant la Ville. Enfin, ils réintroduisent une demande pour ordonner que la Ville prenne les mesures qui s’imposent pour aménager et ouvrir une voie de contournement sur le CBR, mais selon un tracé qu’ils lui imposent.

[375]       En septembre 2019, les demandeurs retirent l’exigence que la voie de contournement soit celle du tracé qu’ils désiraient imposer précédemment.

[376]       Finalement, au mois de février 2022, il ne demeure qu’une déclaration que la Ville est solidairement responsable avec Bau-Val et CRH par omission d’avoir pris, en temps opportun, les mesures qui s’imposaient pour ouvrir une voie de contournement et pour gérer la circulation de poids lourds sur le CBR.

[377]       Enfin, les demandeurs réitèrent leur demande qu’il soit ordonné à la Ville en sa qualité de gestionnaire et de propriétaire du CBR de prendre les mesures qui s’imposent pour aménager et ouvrir une voie de contournement pour le camionnage des entreprises de Bau-Val et de CRH.

[378]       Avec grands égards pour l’opinion contraire, la preuve prépondérante convainc le Tribunal que même si la Ville, à titre de propriétaire et gestionnaire du CBR, pouvait être considérée comme voisine des résidents riverains du Tronçon CBR au sens de l’article 976 C.c.Q., le Tribunal ne peut imputer à Varennes aucune geste, omission ou faute justifiant la déclaration judiciaire demandée voulant que la Ville soit solidairement responsable avec Bau-Val et CRH par omission d’avoir pris en temps opportun les mesures qui s’imposaient pour ouvrir une voie de contournement et pour gérer la circulation de poids lourds sur le CBR.

[379]       La Ville n’a pas commis de faute engendrant sa responsabilité civile à l’endroit des demandeurs en lien avec le passage excessif de camions en 2016 et 2017.

[380]       Suite au témoignage fort éloquent et convaincant de Me Marc Giard, le directeur des services juridiques et greffier de la Ville, Varennes n’a pas fait la sourde oreille face aux doléances et déboires des résidents riverains du Tronçon CBR, et ce, même si les résultats attendus par ces derniers ne se sont pas réalisés à leur satisfaction jusqu’à présent.

[381]       La réalité est que dans le contexte actuel, la Ville de Varennes n’a pas eu les coudées franches jusqu’à présent, car les démarches qu’elle peut entreprendre pour tenter de solutionner la problématique tout en respectant les droits des demandeurs ainsi que ceux de CRH et de Bau-Val sont assujettis à des tiers, notamment le CPTAQ qui a un mot à dire sur l’établissement d’une voie de contournement dans un environnement agricole ainsi que le MTQ au sujet de la signalisation et la vitesse de circulation sur le CBR qui a été construit précisément pour desservir le camionnage lourd qui a accès au chemin des Carrières.[165]

[382]       Qui plus est, le respect de la limite de vitesse sur le CBR est assuré par les patrouilles policières ne relevant pas directement de la Ville, mais plutôt de la Régie intermunicipale de police Richelieu-Saint-Laurent.

[383]       Jusqu’à présent, le CPTAQ n’a pas été réceptif aux demandes formulées par la Ville pour pouvoir établir une voie de contournement :  

[36] La Ville de Varennes a travaillé avec CRH et KPH pour tenter d’amenuiser le désastre, sauf qu’il y a des limites aux pouvoirs de la Ville. Il y a en particulier cette rebuffade qu’elle a essuyée de la part de la CPTAQ en 2001. Elle tentera encore bientôt de proposer une autre voie de contournement à la CPTAQ, mais le processus est long et les chances de succès sont minces à en juger par le passé.[166]

[Soulignement ajouté]

[384]       À ce sujet, le Tribunal fait siens les propos suivants du juge Casgrain formulés dans son jugement :

[11] Il y a une solution pourtant : une voie de contournement. C’est ce que vont demander les résidents, appuyés par la Ville.

[12] Dans le courant de l’année 2000, la Ville s’adresse officiellement à la Commission de la protection du territoire agricole (la « C.P.T.A.Q. ») pour demander l’autorisation de construire cette voie de contournement. L’autorisation de la C.P.T.A.Q. est nécessaire parce que la région est une zone agricole protégée.

[13] Deux tracés sont proposés par la Ville. Le premier tracé proposé empiète peut-être un peu trop sur le territoire agricole. Le second est contesté par Groupe CRH puisqu’il aurait pour effet d’augmenter les coûts de transport de ses produits, car la nouvelle route que les camions devraient emprunter est un peu plus longue.

[14] Le 10 janvier 2001, la C.P.T.A.Q. rend sa décision : les voies de contournement proposées sont refusées.[167]

[15] La Ville porte alors la décision en appel devant le Tribunal administratif du Québec (« le T.A.Q. »).

[16] En novembre 2002, le T.A.Q. rend jugement : la décision de la C.P.T.A.Q. est confirmée.[168]

[17] Treize ans plus tard, en 2015, l’achalandage n’a fait qu’augmenter.

[385]       Force est de constater que les démarches entamées par la Ville pour pouvoir établir une voie de contournement qui mettrait fin définitivement à la présente problématique sont empreintes d’embuches majeures, dont notamment certains agriculteurs soucieux de ne pas perdre de portions de terres agricoles de premières qualités, la Fédération de l’UPA St-Jean-Valleyfield, sans oublier CRH et Bau-Val, apparemment plus soucieuses jusqu’à récemment par leur profitabilité que par le sort et le bien-être de leurs voisins les demandeurs.

[386]       Le Tribunal mentionne «plus soucieuses jusqu’à récemment», car il semblerait que CRH et Bau-Val appuient enfin les dernières démarches effectuées par la Ville auprès du CPTAQ pour l’établissement d’une voie de contournement qui soulagerait enfin l’achalandage actuel sur le CBR. Il y a lieu de s’en réjouir. 

[387]       Somme toute, que la Ville de Varennes soit voisine ou non des demandeurs au sens de l’article 976 C.c.Q., n’importe peu face au constat que la Ville n’est pas responsable des inconvénients subis par les résidents riverains du Tronçon CBR en raison de l’achalandage des camions qui y circulent en direction et en provenance des établissements de CRH et de Bau-Val sur le chemin des Carrières.    

[388]       Comme le mentionnait le juge Casgrain, il y a malheureusement des limites aux pouvoirs de la Ville dans la présente affaire qui requièrent l’assentiment et la collaboration de tiers intervenants sur lesquels la Ville n’exerce aucun contrôle.

[389]       Conséquemment, il n’y a pas lieu de prononcer la déclaration judiciaire demandée à l’endroit de la Ville de Varennes

8.                 LeS Ordonnances DE NATURE Injonctive

8.1   La Ville de Varennes

[390]       Les demandeurs requièrent aussi l’ordonnance suivante à l’endroit de la Ville de Varennes :

K.5 ORDONNER à Ville de Varennes en tant que gestionnaire et propriétaire du chemin de la Butte-aux-Renards de prendre les mesures qui s’imposent pour aménager et ouvrir pour le camionnage des entreprises des défenderesses BAUVAL INC. et GROUPE CRH CANADA INC., une voie de contournement;

[391]       Il n’y a pas lieu de prononcer cette ordonnance visant la Ville de Varennes pour les motifs suivants.

[392]       D’emblée, si le Tribunal devait donner raison aux demandeurs à cet égard, en quoi consistent «les mesures qui s’imposent» sans qu’elles ne soient précisées clairement? 

[393]       Qui plus est, bien que cette autre conclusion[169] ne revête pas la forme d’une injonction, les demandeurs rendent la durée des ordonnances d’injonction demandées tributaire dévénements impliquant la Ville mais qui ne relèvent pas de son contrôle à certains égards, les demandeurs semblant s’attendre, entre autres, à ce que la Ville modifie le Règlement 547-5 pour interdire la circulation des camions sur le CBR alors qu’il n’existe aucun autre chemin permettant aux camions lourds de se rendre aux installations de CRH et de Bau-Val.  

[394]       Une telle demande semble découler de celle voulant que le Tribunal déclare Varennes responsable avec CRH et Bau-Val d’avoir omis de prendre en temps opportun les mesures qui s’imposaient pour ouvrir une voie de contournement et pour gérer la circulation de poids lourds sur le CBR.

[395]       Les attentes des demandeurs doivent nécessairement impliquer implicitement l’obligation de la Ville de modifier le Règlement 547-5 pour interdire la circulation de camions sur le CBR pour soi-disant corriger les «fautes ou les erreurs du passé» sans le dire ouvertement.

[396]       Or, nous ne sommes pas ici en matière de mandamus. Il ne revient pas au Tribunal d’ordonner à la Ville de procéder ainsi. Cette prérogative revient aux élus du Conseil municipal de Varennes.

[397]       Autrement dit, le Tribunal ne peut ordonner à la Ville de poser un geste qui relève de son pouvoir législatif de nature discrétionnaire[170].

[398]       Qui plus est, le Tribunal a déjà conclu que la Ville n’a pas commis de faute génératrice de responsabilité envers les demandeurs et qu’elle n’avait pas à s’immiscer plus qu’elle ne l’a déjà fait dans le litige impliquant les voisins du CBR.

[399]       Le Tribunal ajouterait que les décisions prises et démarches effectuées jusqu’à présent par la Ville pour tenter d’atténuer les inconvénients subis par les demandeurs et pour tenter d’instaurer une voie de contournement étaient empreintes de bonne foi et constituaient un exercice légitime du pouvoir discrétionnaire du Conseil municipal à l’intérieur de la sphère législative de sa compétence qui ne justifie pas l’intervention du Tribunal.  

[400]       Avec grands égards, les reproches adressés par les demandeurs à l’endroit de la Ville voulant que cette dernière n’ait pas agi dans leur intérêt ne sont pas justifiés.

[401]       Le Tribunal ne peut blâmer la Ville non plus pour les délais encourus relativement à la présentation de sa nouvelle demande d’autorisation d’ouvrir une voie de contournement auprès de la CPTAQ. Les échecs du passé, les réserves exprimées par la CPTAQ, les embuches rencontrées impliquant des tiers s’opposant au projet et surtout, les objections de CRH et de Bau-Val dictaient que la Ville adopte une approche empreinte de prudence malgré l’urgence de la situation dans l’optique des demandeurs.  

[402]       Par ailleurs, tel que mentionné précédemment, le Tribunal se réjouit que CRH et Bau-Val appuient enfin la dernière demande déposée auprès de la CPTAQ en espérant enfin une réponse positive de sa part après tant d’années où le doute semblait teinter le caractère sérieux des inconvénients subis par les demandeurs, si normaux puissent-ils être au sens de l’article 976 C.c.Q.

[403]       La Ville s’est engagée par résolution à présenter une nouvelle demande d’autorisation devant la CPTAQ et elle agit en conséquence[171].

[404]       Bref, la conduite de la Ville devant la CPTAQ vise à maximiser les chances de succès de sa dernière demande d’autorisation.

[405]       En terminant, dans la mesure où le Tribunal a déjà conclu qu’eu égard à la preuve prépondérante administrée, les inconvénients causés aux demandeurs depuis 2018 se situent à l’intérieur de la normalité et n’excèdent pas les limites de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q., et qu’il n’y a pas eu de rejet de contaminants sonores dans l’environnement en vertu de l’article 20 L.Q.E., en l’absence d’une contravention quelconque par la Ville, CRH ou Bau-Val depuis lors, une injonction ne peut être émise de manière préventive sur la base de craintes purement hypothétiques[172].

[406]       Nonobstant ce qui précède, il ne faut pas interpréter les propos ci-devant du Tribunal comme signifiant qu’il n’y a pas nécessité d’instaurer une fois pour toutes la voie de contournement identifiée par tant d’intervenants comme la «solution raisonnée» à la résolution à long terme de la problématique sérieuse vécue par les résidents du Tronçon CBR même dans un contexte de normalité.

8.2   CRH et Bau-Val, les demandes d’injonction relatives au camionnage sur le CBR en vertu de l’article 976 C.c.Q. et de l’article 20 al. 2 L.Q.E.

[407]       Pour les motifs déjà énoncés ci-devant, en l’absence de contraventions aux dispositions de l’article 20 L.Q.E. et d’inconvénients anormaux excédant les limites de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q. depuis 2018, il y a lieu pour le Tribunal d’exercer la discrétion judiciaire qui lui est conférée et par conséquent, de refuser d’émettre les ordonnances d’injonction demandées à l’endroit de CRH et de Bau-Val lesquelles ne sont aucunement justifiées dans le contexte particulier actuel, et ce, malgré le caractère dérangeant du passage des camions sur le Tronçon CBR.

[408]       Qui plus est, le Projet Turcot est terminé depuis plus d’un an. La situation exceptionnelle qui a généré le camionnage excessif sur le CBR au préjudice des demandeurs n’existe plus et le niveau de passage de camions recensé depuis l’injonction de 2018 n’a jamais atteint l’intensité et les sommets qualifiés d’effarants des années 2016 et 2017.  

[409]       On ne peut raisonnablement justifier l’octroi d’une injonction sur la foi d’hypothèses voulant que, peut-être, un nouveau projet de l’envergure du Projet Turcot requérant le type d’agrégats que peut fournir CRH puisse voir le jour.

[410]       Il n’existe aujourd’hui aucune situation de trouble anormal de voisinage au sens de l’article 976 C.c.Q. pouvant donner ouverture à une injonction permanente ou non. L’injonction ne peut être utilisée de manière préventive pour empêcher la survenance d’un hypothétique trouble futur.

[411]       Ce recours ne pourra être exercé que si les circonstances futures le justifient

[412]       Par ailleurs, les ordonnances d’’injonction recherchées sont aussi disproportionnées dans leurs effets. Les limites auxquelles s’attendent les demandeurs quant au nombre de chargements quotidiens et mensuels des camions s’approvisionnant auprès de CRH et Bau-Val[173], sont fondées sur des normes vertueuses qui apparaissent exagérées aux yeux du Tribunal d’autant qu’elles auraient pour effet dexposer les entreprises, sous peine d’outrage au tribunal, à envisager de fermer de leurs installations à Varennes faute de pouvoir desservir adéquatement leur clientèle respective. 

[413]       En fait, les demandeurs proposent des limites de chargements de camions qui sont clairement en deçà de ce qui était considéré tolérable pour les années 2014 et 2015, donc occasionnant des inconvénients considérés normaux au sens de l’article 976 C.c.Q.    

[414]       Il est exact qu’aux termes de l’Arrêt du 21 juin 2018, la Cour d’appel a reconnu que les activités d’une carrière telle la Carrière Demix sont appelées à fluctuer en fonction des besoins en agrégats.

[415]       Ceci n’exonère cependant pas CRH et Bau-Val de respecter en tout temps leurs obligations de bon voisinage envers les demandeurs en vertu de l’article 976 C.c.Q., sous réserve de circonstances exceptionnelles et temporaires. 

[416]       Avec égards, le Tribunal est d’avis que cette obligation de bon voisinage en vertu de l’article 976 C.c.Q. n’est pas transférée à un promoteur ou à un donneur d’ouvrage faisant affaire avec CRH ou Bau-Val en fonction de l’importance ou du caractère exceptionnel des commandes de pierre concassée ou autres matériaux à fournir ou en raison du fait que l’approvisionnement s’inscrit dans le contexte d’un projet d’utilité publique.    

[417]       L’obligation de bon voisinage demeure. Tout est question de mesure en fonction des critères établis par l’article 976 C.c.Q.

[418]       Lorsqu’il est question d’approvisionner près d’un million de tonnes[174] d’agrégats en fonction d’un horaire clairement atypique qui s’étendra sur plusieurs années, tel que celui vécu lors du Projet Turcot, l’obligation de bon voisinage d’anticiper raisonnablement et d’éviter les inconvénients anormaux occasionnés pour les voisins de la Carrière Demix par une telle commande exceptionnelle implique à tout le moins d’en parler dès le début avec le donneur d’ouvrage et le promoteur pour envisager dès lors la mise en place de mesures de mitigation ou de trouver une source alternative comme l’a fait tardivement CRH une fois confrontée aux procédures d’injonction.     

[419]       Ainsi, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas lieu d’émettre les ordonnances d’injonction demandées à l’endroit de CRH et de Bau-Val que les demandeurs ne seront pas en mesure d’obtenir de telles ordonnances dans le futur dans la mesure où CRH et/ou Bau-Val causent alors des inconvénients anormaux qui excéderont alors les limites de la tolérance au sens de l’article 976 C.c.Q.

[420]       Avec respect, ces deux voisins industriels ne peuvent plus plaider l’ignorance, fermer les yeux ou tenter de s’exonérer en imputant la faute ou la responsabilité à des tiers ou des clients qui désirent s’approvisionner chez eux à toutes les heures du jour et de la nuit.

[421]       À nouveau, tout est question de mesure et de considération pour les voisins et le Tribunal ajouterait de gros bon sens lorsqu’il est à prévoir raisonnablement que les inconvénients qui seront causés vont temporairement excéder les limites de la normalité et de la tolérance dans le contexte évidemment des normes et circonstances applicables à leur voisinage.

[422]       Finalement, les ordonnances recherchées par les demandeurs s’apparentent aussi à une «ordonnance structurelle» qui vise à encadrer strictement les activités de CRH et de Bau-Val sous la supervision constante du Tribunal.

[423]       Les demandeurs demandent ni plus ni moins au Tribunal de mettre en place un système de surveillance des activités de CRH et de Bau-Val qui serait confié à leurs avocats et à leur expert M. Jean-René Guilbault, une situation qui serait grandement susceptible de déborder devant le Tribunal à courte échéance, car, dans les faits, les demandeurs cherchent à réguler le volume et les heures de camionnage sur le CBR.

[424]       Ce pouvoir relève des autorités gouvernementales ou municipales[175].

8.3   CRH et la demande d’injonction relative aux activités de concassage en vertu de l’article 22 L.Q.E.

[425]       Rappelons que les demandeurs demandent que le Tribunal ordonne à CRH de cesser d’approvisionner directement ou indirectement sa clientèle à partir de la Carrière Demix à Varennes tant et aussi longtemps que CRH n’aura pas obtenu les certificats d’autorisation requis par la L.Q.E. et par le Règlement sur les carrières et sablières[176] du MELCC pour l’exploitation de sa carrière à Varennes, pour l’utilisation de ses procédés de concassage et de tamisage à ladite carrière et pour l’augmentation de la production de sa carrière par augmentation de la capacité nominale de ses procédés.

[426]       La preuve prépondérante a satisfait le Tribunal que les activités de concassage ont commencé à la carrière présentement exploitée par CRH avant l’entrée en vigueur de la L.Q.E. en 1972.

[427]       La Cour d’appel a déjà établi que les activités qui avaient cours avant l’entrée en vigueur de la L.Q.E. n’étaient pas assujetties à l’article 22 de cette loi[177].

[428]       L’article 22 L.Q.E. se lisait ainsi au moment de l’institution des procédures dans le présent dossier :

22. Nul ne peut ériger ou modifier une construction, entreprendre l’exploitation d’une industrie quelconque, l’exercice d’une activité ou l’utilisation d’un procédé industriel, ni augmenter la production d’un bien ou d’un service s’il est susceptible d’en résulter une émission, un dépôt, un dégagement ou un rejet de contaminants dans l’environnement ou une modification de la qualité de l’environnement, à moins d’obtenir préalablement du ministre un certificat d’autorisation.

Cependant, quiconque érige ou modifie une construction, exécute des travaux ou des ouvrages, entreprend l’exploitation d’une industrie quelconque, l’exercice d’une activité ou l’utilisation d’un procédé industriel ou augmente la production d’un bien ou d’un service dans un cours d’eau à débit régulier ou intermittent, dans un lac, un étang, un marais, un marécage ou une tourbière doit préalablement obtenir du ministre un certificat d’autorisation.

La demande d’autorisation doit inclure les plans et devis de construction ou du projet d’utilisation du procédé industriel ou d’exploitation de l’industrie ou d’augmentation de la production et doit contenir une description de la chose ou de l’activité visée, indiquer sa localisation précise et comprendre une évaluation détaillée conformément aux règlements du gouvernement, de la quantité ou de la concentration prévue de contaminants à être émis, déposés, dégagés ou rejetés dans l’environnement par l’effet de l’activité projetée.

Le ministre peut également exiger du requérant tout renseignement, toute recherche ou toute étude supplémentaire dont il estime avoir besoin pour connaître les conséquences du projet sur l’environnement et juger de son acceptabilité, sauf si le projet a déjà fait l’objet d’un certificat d’autorisation délivré en vertu des articles 31.5, 31.6, 154 ou 189, d’une autorisation délivrée en vertu des articles 167 ou 203 ou d’une attestation de non-assujettissement à la procédure d’évaluation et d’examen délivrée en vertu des articles 154 ou 189.

[Soulignement ajouté]

[429]       En août 1977, le Règlement sur les carrières et sablières,[178] est venu encadrer l’augmentation de production d’une carrière, en l’assimilant à une augmentation de la capacité nominale de concassage. L’article 2 dudit Règlement se lit ainsi :

2. Autorisation : Nul ne peut entreprendre lexploitation dune carrière ou dune sablière, entreprendre lutilisation dun procédé de concassage ou de tamisage dans une carrière ou augmenter la production dun tel procédé de concassage ou de tamisage à moins davoir obtenu du Directeur un certificat dautorisation conformément à larticle 22 de la Loi.

Sans restreindre la généralité de ce qui précède, il est notamment nécessaire dobtenir un certificat dautorisation du Directeur dans tous les cas où lon établit ou agrandit une carrière ou sablière au-delà des limites dune aire dexploitation déjà autorisée par un certificat dautorisation délivré antérieurement par le Directeur et dans tous les cas où lon agrandit une carrière ou une sablière existante sur un lot qui nappartenait pas, au moment de lentrée en vigueur du présent règlement, au propriétaire du fonds de terre où cette carrière ou sablière est située.

Pour les fins du présent article, il ny a augmentation de production dun procédé de concassage ou de tamisage que lorsquon accroit la capacité nominale de lun ou lautre procédé. Tout projet daugmentation de production dune carrière ou dune sablière sans augmentation des procédés de concassage et de tamisage est soustrait à lapplication des articles, 22, 23 et 24 de la Loi.

Dans le cas dune sablière doù plusieurs personnes peuvent extraire des agrégats, il incombe au propriétaire de la sablière de présenter la demande.

[Soulignement ajouté]  

[430]       Malgré l’implication du MELCC suscitée à l’initiative des demandeurs, la preuve n’a pas démontré de façon prépondérante en fait, loin de là que CRH avait illégalement augmenté sa capacité nominale de concassage après le mois d’août 1977 sans obtenir au préalable le certificat d’autorisation prévu à l’article 22 L.Q.E. et que par conséquent, l’entreprise exploite présentement la Carrière Demix illégalement sans le certificat d’autorisation soi-disant requis.

[431]       Il appartenait aux demandeurs de prouver en fonction de la balance des probabilités que CRH contrevient à la réglementation applicable et par conséquent, qu’il y a eu une augmentation, non pas du concassage, mais de la capacité nominale de concassage, après août 1977.[179]

[432]       Avec égards, les demandeurs ont échoué dans leur tentative.

[433]       En fait, les représentants du MELCC qui ont été appelés à témoigner ont révélé que le ministère avait donné suite aux plaintes formulées en juillet 2017 par les demandeurs et se sont rendus sur le site de la Carrière Demix pour y enquêter sur toute la question du concassage et tamisage et des équipements utilisés par CRH à cette fin.    

[434]       Selon le rapport préparé par Mme Annick Abel («Abel») en date du 31 juillet 2017[180], le témoin Abel s’est présenté à la Carrière Demix le 25 juillet 2017 dans le but de :

But : Vérifier sil y a augmentation de la capacité de production. Vérifier si un certificat dautorisation est requis. Vérifier si il (sic) a eu agrandissement de laire dexploitatoin (sic).

[Le «Rapport Abel»]

[435]       Le Rapport Abel qui, avec ses diverses annexes, se veut fort détaillé, contient la conclusion suivante :

17 Conclusion - Il y a quelques différences par rapport aux équipements qui avaient été prévus dans le cadre de la demande de remplacement et de relocalisation des équipements de 2000. Toutefois, le responsable de lentreprise ma fourni la documentation technique sur les équipements et maffirme que la capacité de production reste la même.

Donc il y a le même nombre de concasseurs que prévu et 1 tamis de moins.[181]

[436]       À la section 18 du Rapport Abel intitulée «Évaluation de la gravité des conséquences des manquements constatés», Abel coche la boite «SO» pour Sans Objet.

[437]       À la section 19 intitulée Recommandations, Abel écrit :

Je recommande de considérer les facteurs aggravants – NON

Je recommande de considérer les facteurs atténuants – NON

Je recommande de faire une demande davis à la Direction de lAnalyse (DRAE) afin de valider quil ny a pas eu daugmentation de production avec les modifications des équipements.[182]

[Soulignement ajouté]

[438]       Or, bien que la Direction de l’Analyse (DRAE) ait été saisie de la demande d’Abel, il appert que la personne qui a traité ce dossier a pris sa retraite et qu’il a été impossible de retrouver le rapport préparé par celui-ci.

[439]       Force est de constater que le MELCC était en possession de tous les éléments requis pour déterminer si CRH violait ou non les dispositions réglementaires applicables nécessitant par le fait même l’émission d’un certificat d’autorisation du ministère.  

[440]       Rappelons que même si le témoin Abel recommandait d’obtenir l’avis de la DRAE, elle tendait néanmoins à conclure qu’aucun certificat d’autorisation n’était nécessaire en lien avec la modification et l’utilisation des équipements de concassage.  

[441]       Le témoignage du représentant de CRH, M. Mathieu Langelier («Langelier») a convaincu le Tribunal quen remplaçant le concasseur principal «Extra Heavy-Duty Grizzly King Jaw Crusher» de HR International inc.[183] par le «Jaw Crusher» de Sandvik[184], CRH n’a pas augmenté sa capacité nominale de concassage. En fait, elle l’a réduite.  

[442]       Bien que la capacité nominale de concassage offerte par le «Jaw Crusher» de Sandvik soit moindre que l’appareil précédent, le témoin Langelier a précisé que la capacité nominale du nouvel appareil, quoique réduite, répondait tout de même aux besoins de l’entreprise qui n’a jamais atteinte la limite maximale.

[443]       Il n’est donc pas surprenant que lors de son enquête et sa visite des lieux en juillet 2017, le témoin Abel ait conclu de façon préliminaire qu’il n’existait de situation en vertu de laquelle CRH devait obtenir un certificat d’autorisation du MELCC.

[444]       Le Tribunal peine à croire qu’avec toutes les informations pertinentes en main, le MELCC, pourtant alerté de la situation par les demandeurs qui se plaignaient, aurait préféré ignorer les plaintes en question pour fermer les yeux sur une soi-disant contravention de CRH à la L.Q.E.  

[445]       Somme toute, il n’y a aucune preuve probante que la capacité nominale de concassage de CRH a augmenté depuis l’entrée en vigueur de la L.Q.E.

[446]       Les demandeurs ont été incapables d’établir quelle était la capacité nominale de concassage avant l’entrée en vigueur du Règlement sur les carrières et sablières.

[447]       De plus, les demandeurs ont été incapables d’établir de combien cette capacité aurait été augmentée, ni à quelle date elle l’aurait été.

[448]       Bref, outre la preuve administrée par l’entremise des deux témoins du MELCC, le Tribunal ne dispose d’aucun autre repère pour fixer la capacité nominale de concassage dont le dépassement requerrait apparemment un certificat d’autorisation.

[449]       Il y a donc lieu de rejeter cette autre conclusion de nature injonctive visant CRH.

9.                 Les dommages réclamés par les demandeurs

[450]       Rappelons que les demandeurs réclament les dommages suivants :

Quant à Bau-Val :

-          Bau-Val doit verser à chacun des demandeurs des dommages-intérêts de 10 000 $ par année à compter de 2014 et jusqu’à ce que cessent les inconvénients anormaux de voisinage causés par leurs activités de camionnage;

-          Bau-Val doit verser à chacun des demandeurs des dommages-intérêts exemplaires de 350 000 $;

Quant à CRH :

-          CRH doit verser à chacun des demandeurs des dommages-intérêts de 15 000 $ par année pour les années 2014 et 2015 pour les inconvénients anormaux de voisinage causés par les activités de camionnage de Carrière Demix sur le CBR;

-          CRH doit verser à chacun des demandeurs des dommages-intérêts exemplaires de 350 000 $;

-          CRH et KPH Turcot doivent verser solidairement à chacun des demandeurs des dommages-intérêts de 50 000 $ par année, et ce, à compter de 2016 jusqu’à ce que cessent leur préjudice, leurs inconvénients anormaux et intolérables de voisinage et l’atteinte à leur droit à la qualité de l’environnement.

9.1     Les dommages compensatoires

9.1.1           Bau-Val

[451]       Malgré les désagréments occasionnés aux demandeurs par le passage des camions s’approvisionnant aux installations de Bau-Val sur le chemin des Carrières, à la lumière de la preuve administrée et des conclusions tirées par le Tribunal quant à l’absence de preuve prépondérante établissant que Bau-Val, à titre de voisin des demandeurs, a transgressé les dispositions applicables de l’article 976 C.c.Q. et de l’article 20 L.Q.E., aucun dommage compensatoire n’est dû par Bau-Val aux 26 demandeurs.

9.1.2           CRH et KPH

9.1.2.1            Les périodes pré et post Projet Turcot

[452]       La preuve et les constats à l’endroit de CRH sont quelque peu différents.

[453]       À nouveau, malgré les dérangements occasionnés aux demandeurs par le passage des camions s’approvisionnant aux installations de CRH sur le chemin des Carrières, la preuve prépondérante a révélé que la circulation de ces camions au cours des années qui ont précédé le début de l’approvisionnement pour le Projet Turcot en 2016 s’inscrivait tout de même dans un contexte de normalité voulant que les inconvénients en découlant n’excédaient pas le seuil de la tolérance entre voisins.

[454]       Le même constat a été fait en ce qui a trait aux années 2018 et suivantes suite à l’injonction interlocutoire prononcée contre CRH en mars 2018 et suite à la fin du Projet Turcot en 2020.

[455]       Il n’y a donc pas lieu d’octroyer les dommages compensatoires de 15 000 $ réclamés par chacun des 26 demandeurs à l’endroit de CRH pour les années 2014 et 2015.

9.1.2.2            La période du Projet Turcot (2016-2017)

[456]       Par ailleurs, chacun des 26 demandeurs réclame de CRH et de KPH solidairement des dommages compensatoires de 50 000 $ par année à compter de 2016, et ce, jusqu’à ce que cessent leur préjudice, leurs inconvénients anormaux et intolérables de voisinage et l’atteinte à leur droit à la qualité de l’environnement.

[457]       Il ne fait aucun doute que les dommages-intérêts réclamés à ce chapitre découlent directement de l’achalandage excessif suscité, entre autres, par l’approvisionnement du Projet Turcot à la Carrière Demix.

[458]       D’emblée, le Tribunal a déjà conclu à l’absence d’une faute génératrice de responsabilité commise par KPH à l’endroit des demandeurs.

[459]       Il n’y a donc pas lieu de prononcer de condamnation monétaire à l’endroit de KPH.

[460]       Qu’en est-il de CRH pour sa conduite à titre de voisin des demandeurs pour les années 2016 et 2017?

[461]       La preuve a établi sans contredit que les inconvénients subis par les demandeurs en 2016 et 2017 en raison de l’achalandage excessif occasionné concurremment à l’approvisionnement d’agrégats requis par le Projet Turcot étaient effarants voire hallucinants pour faire écho aux propos de la Cour d’appel et du juge Casgrain.

[462]       Rappelons que sous la rubrique qu’il a intitulée «L’enfer», le juge Casgrain conclut son analyse des multiples témoignages qu’il avait décidé de reproduire dans son jugement en mentionnant de façon fort éloquente :

  [35] Ces témoignages sont ceux de gens désespérés.

[463]       À l’instar des constats faits par le juge Casgrain et par la Cour d’appel, les nombreuses allégations de déclarations sous serment produites appuyées par les témoignages fort touchants et révélateurs de quelque treize des demandeurs entendus ont permis au Tribunal de constater l’ampleur et la gravité des inconvénients subis et de la détresse physique et psychologique causée directement par le passage du nombre ahurissant de camions lourds devant leurs résidences à toute heure du jour et de la nuit.    

[464]       La preuve a également révélé que pendant cette période infernale du point de vue des demandeurs, le Projet Turcot n’était pas la seule raison pour l’achalandage accru auprès des installations de CRH en 2016 et 2017. Quoi qu’il en soit, le résultat est le même pour les demandeurs qui ont dû tenter de composer avec une situation exceptionnelle qui leur fut imposée sans égards à l’enfer qu’ils devaient vivre en raison des décisions d’affaires prises par CRH au cours de ces deux années qui furent sans aucun doute fort profitables financièrement.

[465]       Les efforts de mitigation déployés bien que louables se sont avérés malheureusement trop peu, trop tard.

[466]       À la lumière de la preuve, le Tribunal doute fortement que les dirigeants de CRH aient accepté de vivre sur le CBR ce que les demandeurs ont dû vivre en 2016 et 2017 en raison de leurs décisions d’affaires dénuées de toute considération à l’endroit de leurs voisins.  

[467]       Le Tribunal est satisfait que les demandeurs ont droit d’être compensés financièrement pour l’enfer que CRH leur a fait subir au cours des années 2016 et 2017.

[468]       CRH a argumenté que les montants réclamés par les demandeurs étaient grandement exagérés, voire même abusifs, en considérant également les dommages exemplaires de 350 000 $.

[469]       Les demandeurs tenteraient ainsi de s’enrichir aux dépens de CRH en plus d’être justement indemnisés pour les dommages réellement subis.  

[470]       Ce commentaire sévère ne s’applique pas nécessairement au montant de 50 000 $ réclamé par les demandeurs pour chacune des années 2016 et 2017.

[471]       Prenant appui sur la jurisprudence, CRH estime qu’une juste compensation serait une compensation équivalente à ce qui a été reconnu par la jurisprudence jusqu’ici, à moins d’une preuve de la part des demandeurs qu’il y a lieu de déroger à ce courant jurisprudentiel, ce qu’ils n’auraient pas établi selon son avocat.

[472]       Les défendeurs CRH, Bau-Val et KPH ont porté à l’attention du Tribunal une série de décisions jurisprudentielles attestant des montants fort conservateurs octroyés par année d’inconvénients subis par les tribunaux en pareilles matières ou quelque peu similaires avec un maximum annuel de 5 000 $ recensé dans les situations plus extrêmes.  

[473]       Quoi qu’il en soit, chaque cas est un cas d’espèce qui doit être apprécié en fonction de la preuve administrée et des circonstances.

[474]       Le Tribunal est certes conscient qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une action collective. Par conséquent, il revenait à chaque demandeur de faire la preuve de ses dommages liés et découlant directement de la faute commise par CRH.

[475]       Avec grand respect, la preuve offerte en demande sous certains aspects s’est avérée quelque peu hétéroclite et peu convaincante principalement en matière de lien direct entre la faute commise par CRH et l’impact causé par cette faute sur la santé de certains des demandeurs ou les dommages causés à leurs propriétés.  

[476]       Quoi qu’il en soit, la preuve offerte en demande quant aux dommages subis en fonction de l’intensité et de la gravité de la faute commise par CRH à l’endroit des demandeurs permet néanmoins d’accorder à chacun d’entre eux des dommages-intérêts globaux compensatoires que le Tribunal arbitre à 20 000 $ pour couvrir l’ensemble des deux années 2016 et 2017.

[477]       Le Tribunal retient que les demandeurs qui ont quitté le CBR depuis l’institution des présentes procédures, ne l’ont fait qu’à compter de 2018 et par la suite. Ainsi, ils étaient essentiellement tous présents lors des événements survenus au cours des années 2016 et 2017, lesquels les avaient incités à entamer les présentes procédures judiciaires.

[478]       Comme le Tribunal n’accorde aucun dommage compensatoire pour les années 2018 et suivantes, cette problématique ne se soulève pas.

9.2   Les dommages exemplaires

[479]       Les demandeurs allèguent avoir subi une atteinte illicite et intentionnelle à leur droit à la libre jouissance de leurs biens selon l’article 6[185] de la Charte des droits et libertés de la personne[186] et sont en droit de réclamer des dommages exemplaires en vertu de l’art. 49[187] de la Charte des droits et libertés de la personne (la «Charte québécoise»).

[480]       D’emblée, le Tribunal partage l’avis de l’avocat de KPH que même si les demandeurs avaient réussi à démontrer une atteinte illicite et intentionnelle à leurs droits protégés par la Charte québécoise, ce qui n’est pas le cas en l’espèce quant à KPH vu l’absence de faute contributoire ou autre commise par cette dernière, le montant de 350 000 $ réclamé à ce titre par chacun des 26 demandeurs est certes exagéré.

[481]       Il n’y a pas lieu pour autant de déclarer abusif ce chef de réclamation.

[482]       Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute dans l’esprit du Tribunal que le comportement fautif de CRH au cours des années 2016 et 2017 était tel qu’il constitue une atteinte illicite et intentionnelle aux droits des demandeurs protégés par la Charte québécoise.

[483]       Comme mentionné précédemment, CRH ne peut tenter de se réfugier derrière KPH et le MTQ et argumenter essentiellement qu’eu égard au caractère d’intérêt public d’envergure exceptionnelle du Projet Turcot, elle n’avait d’autre choix que d’approvisionner le Projet Turcot à partir de la Carrière Demix.

[484]       Cette excuse ne tient pas la route pour justifier de passer outre à ses obligations de bon voisinage découlant de l’article 976 C.c.Q. en tentant d’attribuer ou d’imputer la responsabilité ultime à des tiers tels des clients comme KPH ou le MTQ.

[485]       Le caractère intentionnel de la faute commise par CRH en 2016 et 2017 ne fait également aucun doute. CRH savait mieux que quiconque parmi les autres acteurs ou intervenants que les camions devant s’approvisionner à ses installations de Varennes allaient devoir emprunter obligatoirement le Tronçon CBR jour et nuit.

[486]       Comme «Participant» au Projet Turcot, CRH devait avoir une bonne idée tôt dans le processus de l’ampleur des agrégats requis à titre de remblai tout au long du projet on parle de près d’un million de tonnes et vu la situation géographique des lieux au site de construction voulant que l’approvisionnement doive être assuré ponctuellement le soir, la nuit et la fin de semaine via le CBR, car il n’y avait pas d’endroits sur le site pour entreposer à l’avance les agrégats requis.    

[487]       Il est impensable que les dirigeants de CRH, étant au fait de la configuration des lieux quant au CBR et de l’accès unique au chemin des Carrières et des exigences fort particulières du Projet Turcot, n’aient pas réalisé avant le début de l’approvisionnement, l’impact majeur et néfaste qu’aurait l’exécution de ce contrat sur les demandeurs et leur bien-être pendant de longues années par surcroît.    

[488]       Manifestement, la profitabilité et l’appât du gain avaient préséance dans l’esprit des dirigeants et décideurs de CRH par rapport à l’obligation de bon voisinage imposée par l’article 976 C.c.Q.

[489]       Avec égards, un tel comportement fautif mérite sanction que le Tribunal fixe à 5 000 $ pour chacun des 26 demandeurs.  

[490]       Le Tribunal considère que dans le contexte actuel, ce montant est juste, raisonnable et suffisant pour assurer la fonction préventive qu’exige ce chef de dommages-intérêts.

[491]       Si par malheur, CRH s’aventurait à récidiver dans le futur, elle s’exposera alors à des dommages exemplaires accrus.

[492]       En terminant et sans pour autant oublier qu’en l’absence d’une voie de contournement permanente, le contexte actuel offre aux demandeurs une cohabitation pour le moins dérangeante avec leurs voisins CRH et Bau-Val dont les clients doivent obligatoirement emprunter le Tronçon CBR, le Tribunal espère vivement que dorénavant les voisins CRH, Bau-Val et la Ville de Varennes seront encore plus à l’écoute des préoccupations raisonnables de leurs voisins du Tronçon CBR et qu’ils ne poseront aucun geste pour que la situation infernale, effarante et hallucinante vécue par les demandeurs au cours des années 2016 et 2017 ne se reproduise plus.  

10.             Les frais de justice et frais d’expertises

[493]       Finalement, en raison des circonstances fort particulières de l’espèce, le Tribunal est d’avis qu’il est juste et raisonnable d’accueillir en partie le recours des demandeurs contre CRH avec les frais de justice payables par cette dernière.

[494]       Par contre, il est également juste et raisonnable de rejeter le recours de demandeurs sur la base de chaque partie payant ses propres frais quant à Bau-Val, KPH et la Ville de Varennes.

[495]       Quant aux expertises produites de part et d’autre, chaque partie devra assumer ses propres frais à cet égard.       

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[496]       ACCUEILLE en partie la Demande introductive d’instance remodifiée en injonction permanente, en jugement déclaratoire, en dommages-intérêts et en dommages-intérêts exemplaires en date du 17 février 2022;

[497]       DÉCLARE que la défenderesse Groupe CRH Canada inc. a généré, dans le cadre de l’exploitation de son entreprise située à Varennes sur le chemin des Carrières, un camionnage excessif sur le chemin de la Butte-aux-Renards pendant les années 2016 et 2017;

[498]       DÉCLARE que ce camionnage excessif généré par la défenderesse Groupe CRH Canada inc. en 2016 et 2017, a eu pour conséquence de causer des troubles et inconvénients anormaux du voisinage au sens de l’article 976 du Code civil du QuébecC.c.Q.»);

[499]       DÉCLARE que la défenderesse Groupe CRH Canada inc. a failli à son devoir de respecter les règles de conduite qui s’imposaient à elle en 2016 et 2017 compte tenu des circonstances, des usages et de la loi;

[500]       DÉCLARE que ce camionnage excessif généré par la défenderesse Groupe CRH Canada inc. en 2016 et 2017 a porté atteinte à la santé, à la sécurité, au bien-être et au confort, a causé des dommages et a porté préjudice aux demandeurs, Éric Benoit et Richard Duff, et à leurs vingt-quatre (24) mandants dont les noms apparaissent à l’Annexe 1 du présent jugement, le tout en violation de l’article 20 de la Loi sur la qualité de l’environnement;

[501]       CONDAMNE la défenderesse Groupe CRH Canada inc. à payer à chacun des demandeurs, Éric Benoit et Richard Duff, et à chacun des vingt-quatre (24) mandants dont les noms apparaissent à l’Annexe 1 du présent jugement, à titre de dommages-intérêts compensatoires, la somme globale de 20 000 $ pour les années 2016 et 2017, pour les inconvénients anormaux de voisinage causés au cours de ces deux années sur le chemin de la Butte-aux-Renards par les activités de camionnage générées par la défenderesse Groupe CRH Canada inc. en lien avec l’exploitation de ses installations (Carrière Demix) sur le chemin des Carrières à Varennes, le tout avec l’intérêt au taux légal de 5 % l’an et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter de la date d’assignation le 17 juillet 2017;

[502]       CONDAMNE la défenderesse Groupe CRH Canada inc. à payer à chacun des demandeurs, Éric Benoit et Richard Duff, et à chacun des vingt-quatre (24) mandants dont les noms apparaissent à l’Annexe 1 du présent jugement, la somme de 5 000 $ à titre de dommages-intérêts exemplaires, le tout avec l’intérêt au taux légal 5 % l’an et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter de la date du présent jugement;

[503]       REJETTE, en ce qui concerne les défenderesses KPH Turcot, un partenariat s.e.n.c., Bau-Val inc., et la Ville de Varennes seulement, la Demande introductive d’instance remodifiée en injonction permanente, en jugement déclaratoire, en dommages-intérêts et en dommages-intérêts exemplaires en date du 17 février 2022, chacune de ces parties devant acquitter ses propres frais de justice et ses propres frais d’expertise, le cas échéant;

[504]       LE TOUT avec les frais de justice payables par la défenderesse Groupe CRH Canada inc. aux demandeurs, Éric Benoit et Richard Duff, et à leurs vingt-quatre (24) mandants; chacune de ces parties devant cependant acquitter ses propres frais d’expertise, le cas échéant.

 

 

 

 

__________________________________michel a. pinsonnault, j.c.s.

 

Me Marie-Élaine Guilbault

Me Pierre Gonthier

Guilbault Gonthier Avocats inc.

Avocats des demandeurs

 

Me Robert Daigneault

Me Daika Brousseau-Généreux

Daigneault, avocats inc.

Avocats de la défenderesse, Groupe CRH Canada inc.

 

Me Stéphane Richer

Me Ève Gaudet

Borden Ladner Gervais s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Avocats de la défenderesse, KPH Turcot, un partenariat s.e.n.c.

 

Me Guillaume Boudreau-Simard

Me Rémi Leprévost

Me Jean-Philippe Dionne

Stikeman Elliott s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Avocats de la défenderesse, Bau-Val inc.

 

Me Marc-Antoine St-Pierre

Deveau Avocats

Avocats de la mise en cause, Ville de Varennes

 

Dates d’audience :

7, 8, 9, 10, 11, 14, 15, 16, 17, 18 février 2022

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXE 1

 

Liste des 24 Mandants

 

  1. Manon Poirier
  2. Line Bédard
  3. Julien Benoit
  4. Pierre St-Arnaud
  5. Éric Ruel
  6. Geneviève Morin
  7. Guy Racine
  8. Pauline Bissonnette-Racine
  9. Anne-Marie Conciatori
  10. Nicolas-Maxime Paiement
  11. Réjean Cormier
  12. Isabelle Cormier
  13. Gabrielle Cormier
  14. Sophie Nesterenko
  15. Alex Harvey
  16. Steeve Harvey
  17. Josée Desaulniers
  18. Jeffrey Kuhn
  19. Caroline Morrison
  20. Luc Nesterenko
  21. Marie-Josée Paquet
  22. Justine Nesterenko
  23. Annie Beauregard
  24. Alexandre Demers


 

ANNEXE 2

CONCLUSIONS FINALES RECHERCHÉES PAR LES DEMANDEURS

POUR CES MOTIFS, PLAISE AU TRIBUNAL :

AU STADE DU MÉRITE :

J. ACCUEILLIR la présente demande introductive d’instance en injonction permanente et en dommages-intérêts et dommages-intérêts exemplaires des demandeurs, Éric Benoit et Richard Duff, personnellement et à titre de mandataires des vingt-quatre (24) mandants :

J.a) DÉCLARER que les défenderesses BAU-VAL et GROUPE CRH CANADA INC. génèrent, dans le cadre de l’exploitation de leurs entreprises respectives, un camionnage excessif sur le chemin de la Butte-aux-Renards;

J.b) DÉCLARER que ce camionnage excessif a eu pour conséquence de causer des troubles et inconvénients anormaux de voisinage au sens de l’art. 976 C.c.Q.

J.c.) DÉCLARER que les défenderesses GROUPE CRH CANADA INC.et KPH TURCOT ont failli à leur devoir de respecter les règles de conduite qui s’imposent à elles compte tenu des circonstances, des usages et de la loi et qu’il y a abus de droit;

J.d) DÉCLARER que ce camionnage excessif porte atteinte à la santé, à la sécurité, au bien-être et au confort, cause du dommage et porte préjudice aux biens des demandeurs et des mandants en violation de l’art. 20 de la Loi sur la qualité de l’environnement;

 

J.e) DÉCLARER que GROUPE CRH CANADA INC. n’a pas les certificats d’autorisation requis pour l’utilisation des procédés de concassage et de tamisage et pour l’augmentation de la production de ses procédés par augmentation de leur capacité nominale;

 

J.f) DÉCLARER que VARENNES est solidairement responsable avec BAU-VAL et GROUPE CRH CANADA INC. par omission d’avoir pris en temps opportun les mesures qui s’imposaient pour ouvrir une voie de contournement et pour gérer la circulation de poids lourds sur le chemin de la Butte-aux-Renards;

 

K.   RENDRE les ordonnances ci-dessous pour valoir jusqu’à l’ouverture d’une voie de contournement et l’entrée en vigueur de la modification au Règlement 547-5 interdisant la circulation des camions et véhicules-outils sur le chemin de la Butte- aux-Renards;

 

K.1            ORDONNER à GROUPE CRH CANADA INC., ses administrateurs, actionnaires, représentants, employés, ayants droit ou toute autre personne relativement à sa carrière Demix Agrégats à Varennes :

 

I.                    De cesser, entre 17 h et 7 h, du lundi soir au vendredi matin inclusivement toute opération de chargement des camions venant s’approvisionner en produits;

II.                  De cesser, sous réserve de l’alinéa VII, les opérations de chargement de camions la fin de semaine, les jours fériés et durant les vacances de la construction;

III.                De limiter du lundi au vendredi inclusivement, les heures d’opération durant lesquelles la défenderesse pourra procéder au chargement des camions venant s’approvisionner en agrégats :

a)     Le premier chargement du jour ne pourra avoir lieu qu’après 7 h;

b)     Le dernier camion du jour devra avoir quitté les installations de la défenderesse à 17 h;

IV.               De limiter à 1 780 par mois, le nombre de chargements de camions pouvant être effectués de jour la semaine;

V.                 De limiter à 100 par jour, le nombre de chargements de camion pouvant être effectués;

VI.               De soumettre à l’expert désigné par le Tribunal, à leur frais, le deuxième mardi de chaque mois suivant le mois sera rendue la présente ordonnance, les données quotidiennes des heures d’entrées, de sorties et de pesées des camions du mois précédent;

VII.            Nonobstant l’alinéa II, de permettre, à raison de 3 fois par année, de procéder à des chargements le samedi, à raison d’un nombre n’excédant pas 42 chargements, entre 10 h et 16 h, à condition d’en avoir préalablement informé les demandeurs ou leurs procureurs par écrit au moins 10 jours avant le début d’un tel chargement;

 

K.2           ORDONNER à BAU-VAL INC., ses administrateurs, actionnaires, représentants, employés, ayants droit ou toute autre personne relativement à ses entreprises Pavages Varennes et Tech-Mix situées sur le chemin des Carrières à Varennes :

 

I.                    De cesser, entre 17 h et 7 h, du lundi soir au vendredi matin inclusivement toute opération de chargement des camions venant s’approvisionner en produits;

II.                  De cesser, sous réserve de l’alinéa VII, les opérations de chargement de camions la fin de semaine, les jours fériés et durant les vacances de la construction;

III.                De limiter du lundi au vendredi inclusivement, les heures d’opération durant lesquelles la défenderesse pourra procéder au chargement des camions venant s’approvisionner en agrégats :

c)      Le premier chargement du jour ne pourra avoir lieu qu’après 7 h;

d)     Le dernier camion du jour devra avoir quitté les installations de la défenderesse à 17 h;

IV.               De limiter à 325 par mois, le nombre de chargements de camions pouvant être effectués de jour la semaine;

V.                 De militer à 25 par jour, le nombre de chargements de camion pouvant être effectués;

VI.               De soumettre à l’expert désigné par le Tribunal, à leur frais, le deuxième mardi de chaque mois suivant le mois sera rendue la présente ordonnance, les données quotidiennes des heures d’entrées, de sorties et de pesées des camions du mois précédent;

VII.            Nonobstant l’alinéa II, de permettre, à raison de 3 fois par année, de procéder à des chargements le samedi, à raison d’un nombre n’excédant pas 8 chargements, entre 10 h et 16 h, à condition d’en avoir préalablement informé les demandeurs ou leurs procureurs par écrit au moins 10 jours avant le début d’un tel chargement;

 

K.3           DONNER mandat à l’expert Jean-René Guilbault de recevoir lesdites données de Groupe CRH CANADA INC., et de BAU-VAL INC., de déterminer à partir de ces données, le volume de camionnage pour chaque entreprise, et de faire rapport aux procureurs des demandeurs;

 

K.4           ORDONNER à GROUPE CRH CANADA INC., ainsi qu’à ses officiers, représentants, mandataires ou administrateurs de cesser d’approvisionner, directement ou indirectement, leur clientèle à partir de leur carrière Demix Agrégats à Varennes, tant et aussi longtemps que GROUPE CRH CANADA INC. n’aura pas obtenu les certificats d’autorisation requis par la Loi sur la qualité de l’environnement et par le Règlement sur les carrières et sablières du Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les Changements Climatiques pour l’exploitation de sa carrière Demix Agrégats à Varennes, pour l’utilisation de ses procédés de concassage et de tamisage et pour l’augmentation de la production de sa carrière par augmentation de la capacité nominale de ses procédés;

 

K.5.   ORDONNER à Ville de Varennes en tant que gestionnaire et propriétaire du chemin de la Butte-aux-Renards de prendre les mesures qui s’imposent pour aménager et ouvrir pour le camionnage des entreprises des défenderesses BAU-VAL INC. et GROUPE CRH CANADA INC., une voie de contournement;

 

M.[188] CONDAMNER BAU-VAL à payer à chacun des demandeurs, Éric Benoit et Richard Duff, ainsi qu’à chacun des vingt-quatre (24) mandants, la somme de 10 000 $ par année parfaire selon la preuve à être présentée) à titre de dommages-intérêts, et ce, à compter de 2014 et jusqu’à ce que cessent les inconvénients anormaux de voisinage causés par leurs activités de camionnage, le tout avec l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619

C.c.Q.;

 

  1. CONDAMNER GROUPE CRH CANADA inc. à payer à chacun des demandeurs et à chacun des vingt-quatre (24) mandants, à titre de dommages-intérêts, la somme de 15 000 $ par année parfaire selon la preuve à être présentée), pour les années 2014 et 2015, pour les inconvénients anormaux de voisinage causés par les activités de camionnage de Demix sur le chemin de la Butte-aux-Renards, le tout avec l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q.;

 

  1. CONDAMNER solidairement GROUPE CRH CANADA inc. et KPH Turcot à payer à chacun des demandeurs, Éric Benoit et Richard Duff, ainsi qu’à chacun des vingt-quatre (24) mandants, à titre de dommages et intérêts, la somme de 50 000 $ par année parfaire selon la preuve à être présenté) à titre de dommages- intérêts, et ce, à compter de 2016 jusqu’à ce que cessent leur préjudice, leurs inconvénients anormaux et intolérables de voisinage et l’atteinte à leur droit à la qualité de l’environnement, le tout avec l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q.;

 

  1. CONDAMNER CRH inc. à payer à chacun des demandeurs, Éric Benoit et Richard Duff, et à chacun des mandants, la somme de 350 000 $[…], à titre de dommages- intérêts exemplaires, […] le tout avec l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q.;

 

  1. CONDAMNER KPH Turcot à payer à chacun des demandeurs, Éric Benoit et Richard Duff, et à chacun des mandants, la somme de 350 000 $ […] à titre de dommages-intérêts exemplaires, le tout avec l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q.;

 

S.[189] DISPENSER les demandeurs de fournir caution;

 

LE TOUT AVEC DÉPENS, y compris les frais d’expertise.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXE 3

 

 

 

Pièce DCRH-18

 


[1] Ci-après « Benoit ».

[2] Ci-après « Duff ».

[3] Ci-après collectivement les « demandeurs ».

[4] I-1. Les noms des 24 mandants apparaissent à l’Annexe 1 du présent jugement.

[5] Ci-après la « Carrière Demix » ou « Demix ».

[6] Ci-après « CRH ».

[7] Ci-après les « agrégats ».

[8] Ci-après le « CBR ».

[9] Ci-après l’« Autoroute 30 ».

[10] Ci-après « Bau-Val ».

[11] Ci-après le «Tronçon CBR».

[12] Selon la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (L.R.Q., c. P -41.1).

[13] Carrière Demix et Bau-Val.

[14] Ci-après « KPH ».

[15] Ci-après la « Varennes » ou la « Ville».

[16] Ci-après le « MTQ ».

[17] KPH Turcot dont les partenaires sont Construction Kiewit Cie («Kiewit») et Parsons inc. («Parsons»), a été constituée en 2014 (I-4).

[18] Ci-après le « Projet Turcot ».

[19] Ci-après le « MELCC».

[20] Chapitre Q-2 (ci-après la « L.Q.E. »).

[21] Ci-après le « PGQ ».

[22] 2018 QCCS 1330 (ci-après le « Jugement Casgrain »).

[23] Les conclusions recherchées ont évolué depuis le dépôt de la demande introductive d’instance du 10 juillet 2017.

[24] Telles que les conclusions apparaissent à la demande introductive d’instance remodifiée du 17 février 2022 lesquelles sont reproduites in extenso en annexe du présent jugement.

[25] 25 chargements quotidiens pour Bau-Val et 100 chargements quotidiens pour Carrière Demix.

[26] 325 chargements mensuels pour Bau-Val et 1 780 chargements mensuels pour Carrière Demix.

[27] Chapitre Q-2, r. 7.1, ci-après le « Règlement ».

[28] 2018 QCCA 1063 (l’« Arrêt du 21 juin 2018 »)

[29] 2018 QCCA 687, par. 3-13. 

[30]  Loi sur la qualité de l’environnement, RLRQ, c. Q -2.

[31]  Jugement entrepris, par. 77.

[32]  Ibid., par. 84.

[33]  Ibid., par. 85.

[34]  Ibid., par. 3.

[35] Arrêt du 21 juin 2018 :

[2] Étant donné que KPH Turcot invoquait que le Projet Turcot serait sérieusement retardé si l’injonction interlocutoire n’était pas levée à compter du 1er juin 2018, l’audition conjointe des appels fut fixée de façon urgente au 30 mai 2018. Or, le 11 mai 2018, KPH Turcot se désistait de son appel. On peut penser que les prétentions antérieures de KPH Turcot étaient erronées et que le Projet Turcot pourra se poursuivre selon l’échéancier prévu, peu importe le sort de l’appel.

[36] Par jugement daté du 26 avril 2018, le juge Robert M. Mainville avait accordé à CRH, Bau-Val et à KPH-Turcot la permission de se pourvoir en appel du Jugement Casgrain et suspendait l’ordonnance d’injonction interlocutoire limitant le nombre total de chargements de camions de CRH et de Bau-Val les jours de semaine pour le mois de mai 2018 (2018 QCCA 687) (le « Jugement Mainville »).  

[37] 2018 QCCA 1063, ci-après l’« Arrêt du 21 juin 2018 ».

[38] Ibid.

[39] L’Arrêt du 21 juin 2018, paragraphe 96.

[40] Ibid., paragraphe 100.

[41] Ibid., paragraphe 98.

[42] DKPH-29.

[43] 2018 QCCA 1063, par. 98.

[44] Jugement Casgrain, 2018 QCCS 1330.

[45] Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, 2008 CSC 64, par. 75 et 86.

[46] Jean Teboul, «Troubles de voisinage : l’article 976 C.c.Q. et le seuil de normalité», (2012) 71 R. du B. 99, p. 125-126 et 133-134.

[47] 2018 QCCS 527.

[48] 2017 QCCA 480.

[49] Courses automobiles Mont-Tremblant inc. c. Iredale, 2013 QCCA 1348, par. 104. (demande d’autorisation de pourvoi à la Cour Suprême rejetée dans 2014 CanLII 16019 (CSC))

[50] Coalition contre le bruit c. 3845443 Canada inc. (Aviation Mauricie), 2019 QCCS 713, par. 421-422. (Appel rejeté 2022 QCCA 51).

[51] Entreprises Auberge du parc ltée c. Site historique du Banc-de-pêche de Paspébiac, 2009 QCCA 257, par. 24-26 ; Laflamme c. Groupe Norplex inc., 2017 QCCA 1459, par.63.

[52] 2011 QCCS 5493.

[53] Arrêt du 21 juin 2018, par. 44 à 46.

[46] Dans ce cas-ci, les entreprises en cause se trouvent à quelques kilomètres à peine des intimés (environ 3 km) et on ne peut y accéder pour les fins du camionnage qu’en empruntant le chemin de la Butte-aux-Renards. Ces entreprises et les intimés sont manifestement des «voisins» au sens où l’entend l’article 976 C.c.Q. [Soulignement ajouté]

[54] Arrêt du 21 juin 2018, par. 47.

[55]  St-Cyrille-de-Wendover (Municipalité de) c. 3101-6965 Québec inc., 1999 CanLII 10906 (QC CS),      par. 47 et 51 de l’éd. CanLII ; conf. 2001 CanLII 38717 (QC CA).

[56]  Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1 «Principes généraux», Cowansville (Québec), Éditions Yvon Blais, 2014, n° 1-692, p. 727-728.

[57]  Jugement entrepris, par. 58.

[58]  Ibid.

[59]  Demande introductive d’instance remodifiée en injonction en date du 21 mars 2018, par. 59.

[60] Jugement Casgrain, par. 54 ; Arrêt du 21 juin 2018, par. 100.

[61] Jugement Casgrain, par. 18.

[62] Jugement Casgrain, par. 34

[63] I-17 et I-19.

[64] Jugement Casgrain, par. 68.

[65] Jugement Casgrain, par. 86.

[66] Arrêt du 21 juin 2018, par. 11.

[67]    Arrêt du 21 juin 2018, par. 56.

[68]  Jugement entrepris, par. 33.

[69]  Voir les tableaux Analyse des quantités de passages pour CRH et Bau-Val pour les années 2014 à 2017 reproduits aux p. 669-672 de l’exposé en appel de Bau-Val.

[70]  Ibid.

[71]  Compilation du nombre de camions pour la période du 26 août au 2 septembre 2016 reproduite à la    p. 314 de l’exposé en appel de Bau-Val.

[72]  Demande introductive d’instance remodifiée en date du 21 mars 2018, par. 38-39 ; Jugement entrepris, par. 32.

[73]  Jugement entrepris, par. 33, 59 et 67.

[74]  Homans c. Gestion Paroi inc., 2017 QCCA 480, par. 96, citant Plantons A et P inc. c. Delage, 2015 QCCA 7 ; Entreprises Auberge du parc ltée c. Site historique de Banc-de-pêche de Pasbébiac, 2009 QCCA 257.

[75]  Demande introductive d’instance remodifiée en date du 21 mars 2018, par. 40.

[76]  Contestation de la défenderesse CRH en date du 6 novembre 2017, par. 124-125.

[77] Jugement Casgrain, par. 75.

[78]  Déclaration sous serment de Mathieu Langelier en date du 20 février 2018, par. 33.

[79]  Déclaration sous serment de Me Marc Giard en date du 24 janvier 2018, par. 27 (soulignement ajouté).

[80]  Déclaration sous serment de Mathieu Langelier en date du 20 février 2018, par. 48 et 50.

[81]  Jugement entrepris, par. 102.

[82]  Ibid., par. 93.

[83]  Déclaration sous serment de Mathieu Langelier en date du 20 février 2018, par. 54-55.

[84] L’Arrêt du 21 juin 2018, 2018 QCCA 1063, par. 52-60.

[85] Jugement Casgrain, par. 18.

[86] La pièce DCRH-18 est annexée au présent jugement pour une meilleure visualisation des lieux.

[87] RLRQ c. P-41.1, article 79.17.

[88] DCRH-17.

[89] Règlement sur les carrières et sablières, RLRQ, c. Q-2, r.7.1, art. 38 et suivants. Voir également

Groupe CRH Canada inc. c. Ministre du Développement durable, de lEnvironnement et de la Lutte contre les changements climatiques, 2017 QCCS 400 confirmant le droit de CRH de réhabilité la carrière au moyen de sols faiblement contaminés.  

[90] Entreprises Auberge du parc ltée c. Site historique du Banc-de-pêche de Paspébiac, 2009 QCCA 257, par. 11-16 ; Coalition contre le bruit c. Bel-Air Laurentien Aviation inc., 2022 QCCA 51, par. 20-21.

[91] Témoignage à l’audience du 7 février 2022.

[92] Interrogatoire préalable du 7 novembre 2017 d’Alex Harvey (au 3258 CBR) (DCRH-8, pages 52-53 PDF). 

[93] Interrogatoire préalable du 1er novembre 2017 de Josée Desaulniers (au 3258 CBR) (DCRH-8, page 66 PDF). 

[94] Interrogatoire préalable du 1er novembre 2017 de Josée Desaulniers (au 3258 CBR) (DCRH-8, page 67 PDF).

[95] Interrogatoire préalable du 3 novembre 2017 de Guy Racine (au 3023 CBR) (DCRH-3, page 38 PDF).

[96] Interrogatoire préalable du 2 novembre 2017 de Geneviève Morin (au 3215 CBR) (DCRH-8, page 48 PDF).

[97] Déclaration sous serment de Marie-Josée Paquet du 10 juillet 2017 (I-2).

[98] Interrogatoire préalable du 3 novembre 2017 de Marie-Josée Paquet (au 3230 CBR) (DCRH-3, page 74 PDF).

[99] Déclaration sous serment de Line Bédard du 10 juillet 2017 (I-2).

[100] Interrogatoire préalable du 9 novembre 2017 de Line Bédard (au 2907 CBR) (DCRH-8, page 71 PDF).

[101] Interrogatoire préalable du 9 novembre 2017 de Line Bédard (au 2907 CBR) (DCRH-8, page 72 PDF).

[103] Interrogatoire préalable du 9 novembre 2017 de Julien Benoit (au 2907 CBR) (DCRH-3, page 49 PDF).

[104] Déclaration sous serment d’Éric Benoit du 10 juillet 2017 (I-2).

[105] Interrogatoire préalable du 9 novembre 2017 d’Éric Benoit (au 2907 CBR) (DCRH-8, page 42 PDF).

[106] Interrogatoire préalable du 9 novembre 2017 de Réjean Cormier (au 3214 CBR) (DCRH-3, page 89 PDF).

[107] Interrogatoire préalable du 7 novembre 2017 d’Isabelle Cormier (au 3214 CBR) (DCRH-8, page 58 PDF).

[108] Déclaration sous serment de Caroline Morrison du 10 juillet 2017 (I-2).

[109] Interrogatoire préalable du 5 décembre 2017 de Caroline Morrison (au 3292 CBR) (DCRH-8, page 21 PDF).

[110] Interrogatoire préalable du 5 décembre 2017 de Caroline Morrison (au 3292 CBR) (DCRH-8, page 22 PDF).

[111] Interrogatoire préalable du 5 décembre 2017 de Jeffrey Khün (au 3292 CBR) (DCRH-8, page 63 PDF).

[112] Déclaration sous serment de Nicolas-Maxime Paiement du 10 juillet 2017 (I-2).

[113] Déclaration sous serment d’Anne-Marie Conciatori du 17 octobre 2017 (I-2).

[114] Interrogatoire préalable du 5 décembre 2017 de Manon Poirier (au 3121 CBR) (DCRH-8, page 80 PDF).

[115] Vachon c. Montréal (Ville de), 2001 CanLII 14094.

[116] Coalition contre le bruit c. 3845443 Canada inc. (Aviation Mauricie), 2019 QCCS 713, par. 181. (Appel rejeté 2022 QCCA 51).

[117] Rivard c. Éoliennes de lÉrable, 2020 QCCS 601, p. 217.

[118] Arrêt du 21 juin 2018, par. 40.

[119] Tout dépendant des données.

[120] Selon l’OMS, un niveau de 50 dBA correspond à une gêne modérée et 55 dBA à une gêne forte le jour et le soir pour les espaces extérieurs (I-98, page5).

[121] Rapport d’expertise de Vinacoustik du 28 mai 2018, page 25 (I-98).

[122] Dordre général, le nombre de camions par jour maximal doit être de 360 camions. De cette façon, la limite de 55 dBA (LAeq 24h) sera respectée.

[123] I-98, page 26.

[124] Jugement Casgrain, par. 58.

[125] Dans l’affaire Maltais c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCS 527, le juge Michaud avait qualifié ces normes de l’OMS de « vertueuses » (par. 198).

[126] DCRH-16 (le « Rapport Yockell »).

[127] DCRH-16, page 61.

[128] Établie en fonction du nombre de résidences à l’intérieur d’un certain périmètre.

[129] DCRH-16, page 63.

[130] DCRH-16, pages 54-60 ; BV-22.

[131] Maltais c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCS 527, par. 235-248.

[132] Rapport de Yockell, Tableau 6.6, p. 52 (DCRH-16) et Tableau supplémentaire (DCRH-16C).

[133] Rapport de Yockell, Annexe 8, Tableau A8.2, p- 601 (DCRH-16).

[134] Rapport de Yockell, Tableau 6.6, p. 52 (DCRH-16).

[135] Rapport de Vinacoustik, Annexe 8, p.139 (I-98).

[136] Rapport de Yockell, Annexe 8, Tableau A8.2, p. 601 (DCRH-16).

[137] Barrette c. Ciment du Saint-Laurent Inc., 2003 CanLII 36856, par. 305.

[138] Comité denvironnement de Ville-Émard (CEVE) c. Domfer Poudres métalliques ltée, 2006 QCCA 1394. 

[139] Ibid., par. 63.

[140] Analyses quantitatives effectuées par l’expert Guilbault, le 24 septembre 2018 (I-96, page 6).

[141] Arrêt du 21 juin 2018, 2018 QCCA 1063 par 100.

[142] BV-22. Ces chiffres correspondent aux chiffres colligés par Mme Bouthillette à la Pièce BV-15.5A. 

[143] BV-22.

[144] BV-1.

[145] BV-22.

[146] BV-15.8A.

[147] BV-15.5A et BV-15.8A.

[148] Un billet représentant deux passages sur le CBR.

[149] Arrêt du 21 juin 2018, par. 99-100.

[150] DCRH-16, page 60.

[151] Ibid., page 63.

[152] DCRH-22.

[153] Arrêt du 21 juin 2018, par. 40.

[154] Maltais c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCS 527.

[155] Courses automobiles Mont-Tremblant inc. c. Iredale, 2013 QCCA 1348, par. 98. (demande d’autorisation de pourvoi à la Cour Suprême rejetée dans 2014 CanLII 16019 (CSC))

[156] Ibid., par. 99-100.

[157] Ibid., par. 101.

[158] Lettre de KPH au MTQ du 2 mai 2012 (DKPH-25) et Contrat C-C, Annexe 1, clause 1.229 (DKPH-5).

[159] 20. Nul ne peut rejeter un contaminant dans l’environnement ou permettre un tel rejet au-delà de la quantité ou de la concentration déterminée conformément à la présente loi.

La même prohibition s’applique au rejet de tout contaminant dont la présence dans l’environnement est prohibée par règlement ou est susceptible de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l’être humain, de causer du dommage ou de porter autrement préjudice à la qualité de l’environnement, aux écosystèmes, aux espèces vivantes ou aux biens.

 

[160] DKPH-23.

[161] Oubliés du viaduc de la Montée Monette c. Consultants SM inc., 2015 QCCS 3308, aux paras 96, 97, 107 et 108.

[162] DCRH-16, Annexe 8, page 601.

[163] Ibid.

[164]  Voir à cet égard Maltais c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCS 527, par. 37-43.

[165] Voir le paragraphe 37 du Jugement Casgrain relatant en détail les démarches effectuées par la Ville depuis 2016.

[166] Jugement Casgrain.

[167] 2001 CanLII 51212 (QC CPTAQ).

[168] 2002 CanLII 54554 (QC TAQ).

[169] RENDRE les ordonnances ci-dessous pour valoir jusqu’à l’ouverture d’une voie de contournement et l’entrée en vigueur de la modification au Règlement 547-5 interdisant la circulation des camions et véhicules-outils sur le chemin de la Butte-aux-Renards;

[170] St-Cyprien-de-Napierville (Municipalité de la paroisse de) c. 9110-8274 Québec inc., 2011 QCCA 2048, par. 36-37.

[171] DV-39.

[172] Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec c. Ordre des optométristes du Québec, 2013 QCCS 1532, par. 57; Côté c. Alain, 2011 QCCS 7486, par. 9.

[173] 25 chargements par jour et à 325 chargements par mois pour Bau-Val ; 100 chargements par jour et 1780 chargements par mois pour Carrière Demix.

[174] DCRH-22.

[175] WestJet c. Chabot, 2016 QCCA 584, par. 23-24.

[176] Chapitre Q-2, r. 7.1, ci-après le « Règlement ».

[177] Construction du St-Laurent ltée c. Québec (Procureur général), [1976] C.A. 635, no AZ-76011184, aux pages 636 et 637; Lafarge Canada inc. c. Québec (Procureur général), 1994 CanLII 5908, aux pages 9 et 14.

[178] 109e année, G.O. partie II, n°32, p. 3931.

[179] Blainville c. Taillon, 2010 QCCS 2441, par. 45-47.

[180] I-10.1.1.

[181] Ibid.

[182] Ibid.

[183] DCRH-6.

[184] DCRH-7.

[185]  6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

[186] RLRQ, c. C12.

[187] 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

 

[188] Il n’y a pas de « L ».

[189] Il n’y a pas de « R ».

 

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