Banna c. Klein |
2019 QCRDL 973 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
||||||
Bureau dE Montréal |
||||||
|
||||||
No dossier : |
409433 31 20180720 G |
No demande : |
2549286 |
|||
|
|
|||||
Date : |
10 janvier 2019 |
|||||
Régisseure : |
Linda Boucher, juge administrative |
|||||
|
||||||
Inass Banna |
|
|||||
Locataire - Partie demanderesse |
||||||
c. |
||||||
Aaron Klein
Solomon Walter |
|
|||||
Locateurs - Partie défenderesse |
||||||
|
||||||
D É C I S I O N
|
||||||
[1] La locataire s’oppose à l’agrandissement substantiel de son logis et demande le rejet de l’avis d’éviction que les locateurs lui ont transmis.
[2] Les parties admettent être liées par un bail reconduit du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2018 au loyer mensuel de 1 075 $.
[3] Les lieux loués sont composés d’un logement au rez-de-chaussée et d’une pièce au sous-sol.
[4] Vers le 22 juin dernier, les locateurs ont fait tenir à la locataire un avis d’éviction pour agrandissement substantiel. L’éviction devant avoir lieu le 31 décembre prochain.
[5] La locataire s’oppose à cet avis, le déclarant de mauvaise foi et visant son éviction pour d’autres motifs.
[6] L’avocat de celle-ci plaide que l’avis en question est invalide pour ne pas être suffisamment précis quant aux intentions des locateurs.
[7] À ce chapitre, l’avis en question indique :
« the 6 1/2 will be a 5 1/2 plus an open space in the basement »
[8]
Il est en effet essentiel que l’avis de
reprise pour agrandissement soit précis et permette à la locataire d’identifier
avec précision l’intention du locateur car il en va de son droit au maintien
dans les lieux (article
[9] Il cite en exemple le cas où le tribunal a jugé le motif inscrit à la demande comme étant insuffisamment précis et a donc procédé à accueillir son objection au projet de modification du locateur. L’avis mentionnait :
« Ce petit studio changera d’affectation et sera modifié, ce qui me permettra d’avoir la pleine jouissance de cet espace en tant que nouveau propriétaire. » ([1])
[10] Sous cette formulation hermétique, il s’avéra que la locatrice désirait agrandir son propre logis au détriment de celui de la locataire.
[11] Or, en l’instance, le tribunal juge l’avis des locateurs des plus précis. Ils indiquent bien qu’ils entendent agrandir le logement en question d’une superficie de 35 % en créant un espace ouvert au sous-sol.
[12] Partant, le tribunal rejette cet argument de l’avocat de la locataire.
[13] Celui-ci ajoute que la mauvaise foi du locateur s’exprime, notamment, du fait que celui-ci a entrepris une pareille démarche en 2017, mais n’y a pas donné de suite.
[14] Le tribunal ne partage pas cet avis et puisque le droit à la reprise se renouvelle à chaque reconduction du bail, le tribunal ne considérera que les motifs invoqués pour la présente demande sans se référer aux avis passés.
[15] En l’occurrence, le fardeau de la preuve est renversé et il appartenait aux locateurs de démontrer la bonne foi de leur intention.
[16] S’exprimant au nom des locateurs, le locateur Klein explique qu’ils souhaitent agrandir le logement afin de le rendre attrayant pour une grande famille en en augmentant la superficie habitable.
[17] Ils atteindront ainsi un objectif triple soit, offrir un logement à une grande famille, un besoin qu’ils ont identifié dans le quartier. Ils pourront aussi mieux utiliser l’espace du sous-sol dont ils ne peuvent se servir autrement considérant la configuration des lieux. Finalement, l’agrandissement leur permettra d’obtenir un meilleur rendement sur leur investissement en obtenant de ce nouveau logement agrandi un loyer plus important que ce que celui-ci leur rapporte présentement alors qu’un espace considérable du sous-sol est perdu et ne leur rapporte rien.
[18] Ce projet pourra facilement se réaliser puisqu’un escalier relie déjà le logement au sous-sol et qu’il ne sera pas nécessaire d’abattre des murs porteurs.
[19] Leur projet était à l’origine de créer des pièces fermées au sous-sol, malheureusement en raison d’une contrainte liée à la hauteur du plafond, cela ne peut se faire et ils doivent donc opter pour une grande pièce ouverte.
[20] Libre alors aux futurs locataires de conserver cette pièce telle quelle ou de la reconfigurer selon leurs goûts et leurs besoins à l’aide d’autres moyens.
[21] Au soutien de leur démarche, les locateurs exhibent un plan des lieux avant et après la modification démontrant un agrandissement de plus de 30 %.
[22] Ils ont également obtenu un permis de construction attestant de la faisabilité de leur projet. Ce permis mentionne aussi des rénovations au rez-de-chaussée.
[23] Finalement, ils produisent des preuves attestant de leur capacité financière nécessaire à la réalisation de leur projet d’agrandissement.
[24] Pour sa part, la locataire fait savoir que le but premier des locateurs est son éviction. M. Klein l’en aurait d’ailleurs directement menacé.
[25] Les locateurs, poursuit-elle, ignorent ou refusent systématiquement presque toutes ses demandes de réparation ou rénovation de sorte que c’est elle, assistée de son frère handicapé, qui ont retapé leur logement pour le rendre confortable et coquet.
[26] Elle ne souhaite certes pas à présent le quitter après y avoir investi, temps, argent et énergie.
[27] Le locateur Klein ne partage pas la même vision de ses relations avec la locataire et affirme ne pas vouloir son départ, d’ailleurs, il est prêt à lui offrir le logement numéro 6 présentement vacant.
[28] Ainsi peut-on résumer la preuve.
[29] La requête de la locataire est fondée sur l’article 1966 du Code civil du Québec, qui stipule ce qui suit :
« 1966. Le locataire peut, dans le mois de la réception de l'avis d'éviction, s'adresser au tribunal pour s'opposer à la subdivision, à l'agrandissement ou au changement d'affectation du logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir consenti à quitter les lieux.
S'il y a opposition, il revient au locateur de démontrer qu'il entend réellement subdiviser le logement, l'agrandir ou en changer l'affectation et que la loi le permet. »
[30] L'auteur Pierre-Gabriel Jobin([2]), dans son ouvrage sur le louage, énonce de la façon suivante les éléments qui caractérisent le fardeau de preuve du locateur en cette matière :
« Le locateur démontre sa bonne foi par la preuve du caractère sérieux de son projet, plus particulièrement, il doit établir la possibilité de le réaliser et les démarches préparatoires qu'il a entreprises pour le réaliser. Au nombre de celles-ci, il y a les dispositions financières, la préparation des plans, parfois la recherche de clients. (...) Lorsque cependant le locateur a obtenu son permis, cela constitue une forte preuve et de sa bonne foi et de la légalité du projet ».
[31] La juge administrative Anne Mailfait écrit, à juste titre, dans l'affaire Tangco c. Dumenko([3]) :
« La formule « qu'il entend réellement » oblige le tribunal à vérifier si la démarche entreprise par le locateur se caractérise par sa faisabilité et le caractère certain et ferme de l'intention, tel qu'exprimé et défendu devant le tribunal par le locateur.
Il faut noter que contrairement à l'article
[32] En l’instance, les locateurs ont démontré le sérieux de leur projet et sa faisabilité. Ils ont déjà obtenu le permis nécessaire et ainsi qu’un plan démontrant clairement l’agrandissement projeté, agrandissement que le tribunal qualifie de substantiel puisqu’il ajoutera aux lieux loués plus de 30 % en superficie.
[33] Le tribunal est convaincu que les locateurs vont procéder à l’agrandissement du logement de la locataire une fois que sera levé ce dernier obstacle.
[34] Le tribunal ne retient pas que les locateurs cherchent principalement à évincer la locataire puisqu’il ne s’agit pas là d’un critère pouvant faire obstacle à leur demande d’agrandissement.
[35] La soussignée fait siens les propos du juge administratif Robin-Martial Guay dans l’affaire Jane Deny Methot c. 92893726 Québec Inc. ([4]) :
« Dit autrement, il n'appartient pas au Tribunal, une fois la faisabilité du projet d'agrandissement démontrée ainsi que sa conformité aux lois et règlement de questionner l'opportunité des choix du locateur ou ses motivations à l'égard du projet qui nécessite l'éviction d'un locataire. »
[36] Ainsi, le tribunal procède à rejeter la demande de la locataire pour autoriser la reprise du logement pour son agrandissement.
[37] Pour ce qui est de
l'indemnité payable en un tel cas, les locateurs devront verser à la locataire
l’équivalent de trois mois de loyer prévus à l'article
[38] Puisque les parties s’entendent pour reporter la date de l’éviction au 31 mars prochain, le tribunal prend acte de leur proposition.
[40] De plus, l'article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[41] REJETTE l'opposition de la locataire à l’agrandissement des lieux loués, la locataire assumant les frais de sa demande;
[42] PROROGE le bail jusqu’au 31 mars 2019;
[43] AUTORISE et ORDONNE l'éviction de la locataire et de tous les autres occupants des lieux loués au plus tard le 31 mars 2019;
[44] CONDAMNE les locateurs à verser à la locataire une indemnité équivalent à trois mois de loyer, soit 3 225 $ payable le jour de son éviction ainsi que des frais raisonnables de déménagement sur présentation des pièces justificatives;
[45]
RÉSERVE
à la locataire tous ses droits et recours en vertu de l'article
|
|
|
|
|
Linda Boucher |
||
|
|||
Présence(s) : |
la locataire Me Yorrick Bouyela, avocat de la locataire les locateurs Me Mélanie Chaperon, avocate des locateurs |
||
Date de l’audience : |
30 novembre 2018 |
||
|
|||
|
|||
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.