Robert c. Guilbeault-Mayers

2025 QCTAL 8065

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No dossier:

783144 31 20240405 F

No demande:

4276376

RN :

 

4459967

 

Date :

11 mars 2025

Devant la greffière spéciale :

Me Marie-Dorothée Lesage

 

Jean-Claude Robert

Locateur - Partie demanderesse

c.

Xavier Guilbeault-Mayers

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Le locateur a produit une demande de fixation de loyer et de modification d’une condition du bail, conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec. Il demande également le remboursement des frais.
  2.          Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024, à un loyer mensuel de 630,00 $.
  3.          Le locateur demande au Tribunal de statuer sur les modifications suivantes :

« Toutes locations court terme de type Air B & B sont interdites., à compter ai 20240701 ». [sic]

Demande de fixation de loyer

  1.          Le Tribunal, lorsque saisi d’une demande de fixation ou de réajustement de loyer, en vertu de l’article 1947 du Code civil du Québec, détermine le loyer au terme du bail en tenant compte, selon la part attribuable au logement, des critères prévus au Règlement sur les critères de fixation de loyer[1] (ciaprès : « le Règlement »).
  2.          Le locateur a le fardeau de prouver, selon la règle de la prépondérance de la preuve et de la balance des probabilités, les dépenses et les montants inscrits dans le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer (ci-après : « le Formulaire »).
  3.          Le locateur a produit le Formulaire ainsi que les pièces justificatives et les factures au soutien des renseignements qui y sont inscrits.

  1.          Le Tribunal a pris en considération l’ensemble des témoignages et la preuve administrée devant lui, et il a porté assistance aux parties qui n’étaient pas représentées par avocat.

Loyer estimé

  1.          Comme mentionné lors de l’audience, lorsque le locateur ou un membre de sa famille occupe un logement dans l'immeuble concerné par une demande fixation, le Tribunal doit estimer la valeur du loyer de ce logement, tel que l'exige le Règlement.
  2.          En effet, en vertu du Règlement, l'ajustement de loyer est calculé selon la part attribuable du logement, laquelle est établie en proportion de ce que représente le loyer du logement par rapport aux revenus de l'immeuble.
  3.      Les revenus de l'immeuble comprennent les loyers, les loyers estimés ainsi que tout autre revenu provenant de son exploitation.
  4.      L’article 1 du Règlement prévoit :

« 1. Dans le présent règlement, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par:

« logement comparable »: un logement équivalent, dans le même immeuble ou dans un immeuble équivalent, doté de services, accessoires et dépendances comparables et situé dans un environnement comparable;

« loyer »: le prix mensuel de la jouissance d’un logement avec ses services, accessoires et dépendances, même s’ils font l’objet d’un contrat distinct du bail;

[…]

« loyer estimé »: le loyer évalué par rapport à celui de logements comparables, s’il s’agit d’un logement:

 inoccupé;

 occupé par le locateur ou sa famille;

 occupé par un employé dont le travail concerne l’immeuble;

 utilisé pour l’exploitation de l’immeuble;

[…]

« revenus»: les loyers et, le cas échéant, les loyers estimés d’un immeuble pour le dernier mois de la période considérée, multipliés par 12, ainsi que tout autre revenu provenant de l’exploitation de l’immeuble durant la période de référence; »

[Notre soulignement]

  1.      On comprend de la définition de « loyer estimé » que le locateur doit participer aux dépenses d'exploitation et d'immobilisation de l'immeuble lorsque lui ou un membre de sa famille occupe un des logements de l'immeuble.
  2.      Selon la jurisprudence du Tribunal, dans l'évaluation ou l'estimation de la valeur du loyer du logement occupé par le locateur ou sa famille, les éléments à prendre en considération sont notamment le loyer moyen des autres logements du même immeuble, le loyer des logements comparables ainsi que les caractéristiques propres au logement occupé par le locateur ou sa famille[2].
  3.      Lors de l’audience, puisque le locateur occupe un logement de l’immeuble, il a été établi, compte tenu du loyer des autres logements et des caractéristiques propres au logement occupé par le locateur, qu’un loyer estimé de 1 500 $ est raisonnable et représente de manière juste la valeur du loyer du logement.
  4.      Par conséquent, le Tribunal retient la valeur du loyer estimé de 1 500 $ au logement occupé par le locateur aux fins du calcul des revenus de loyers de l’immeuble en décembre 2023.

  1.      Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[3] est de 19,43 $ par mois, s’établissant comme suit :

 

Taxes municipales et scolaires

1,42 $

Assurances

 0,00 $

Gaz

 0,00 $

Électricité

 3,46 $

Mazout

 0,00 $

Frais d’entretien

0,62 $

Frais de services

0,00 $

Frais de gestion

 1,76 $

Réparations majeures, améliorations majeures,

mise en place d’un nouveau service

 

 0,00 $

Ajustement du revenu net

 12,17 $

 

TOTAL

 

 19,43 $

 

MODIFICATION AU BAIL

  1.      En vertu de l’article 1942 du Code civil du Québec, le locateur peut modifier les conditions du bail lors de sa reconduction s’il donne un avis au locataire en respectant les délais suivants :

« 1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de douze mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme. […] »

  1.      Lorsqu’un locataire refuse la modification proposée, le locateur peut, dans le mois de la réception du refus, s’adresser au Tribunal afin qu’il autorise ladite modification. À cet effet, l’article 1947 du Code civil du Québec prévoit :

« 1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s'adresser au Tribunal dans le mois de la réception de l'avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s'il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures. »

  1.      Par ailleurs, les articles 1936, 1941 et 1952 du Code civil du Québec doivent guider le Tribunal dans son analyse d’une demande de modification d’une condition du bail. Ces articles se lisent comme suit :

« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi. »

« 1941. Le locataire qui a droit au maintien dans les lieux a droit à la reconduction de plein droit du bail à durée fixe lorsque celui-ci prend fin.

Le bail est, à son terme, reconduit aux mêmes conditions et pour la même durée ou, si la durée du bail initial excède douze mois, pour une durée de douze mois. Les parties peuvent, cependant, convenir d'un terme de reconduction différent. »

« 1952. Le Tribunal qui autorise la modification d'une condition du bail fixe le loyer exigible pour le logement, compte tenu de la valeur relative de la modification par rapport au loyer du logement. »

  1.      Le Tribunal rappelle que c’est à la partie demanderesse de prouver le bien-fondé de sa demande, selon la prépondérance des probabilités[4]. Le locateur doit donc démontrer, en établissant des éléments de faits et de droit, que sa demande de modification d’une condition du bail est bien fondée et qu’une telle modification ne porte pas atteinte au droit du locataire au maintien dans les lieux.

  1.      Une demande de modification ne doit pas non plus viser à ajouter des obligations qui sont déjà prévues à la loi, abusives ou qui contreviennent à des dispositions l’ordre public. 
  2.      Or, lors de l’audience, le locateur mentionne que son intention est d’interdire à toute personne autre que le locataire d’occuper le logement concerné, sans présenter d’autres preuves à l’appui de sa demande. 
  3.      Par son témoignage, le locateur n’a pas établi, par balance des probabilités, le bien-fondé de sa demande.
  4.      La soussignée fait siens les propos du greffier spécial Me Gregor Des Rosiers dans la décision Gravel c. Whitmore[5] qui s’énoncent comme suit :

« [22]   Quels sont les critères permettant au locateur de modifier les conditions du bail lors de sa reconduction?

[23]   Tout d’abord, il y a lieu de souligner une règle de droit bien établie à l’effet qu’il appartient au demandeur de toute demande en justice de démontrer le bien-fondé de sa demande en établissant les éléments factuels de faits et de droit au soutien de sa demande.

[24]   En l’instance, il appartient aux locateurs de prouver le bien-fondé de leur demande en établissant les motifs au soutien de la modification par l’ajout au bail de cette clause interdisant la sous-location à court terme et qu’une telle modification au bail ne porte pas atteinte au droit personnel de la locataire au maintien dans les lieux.

[25]   Le Tribunal estime que les motifs soulevés par les locateurs semblent plutôt hypothétiques c’est-à-dire s’appuyant sur leur prérogative de propriétaires-locateurs, ils désirent interdire tout simplement la sous-location à court terme de type « Airbnb » craignant une activité commerciale de location.

[26]   Les locateurs demandent alors que ces motifs hypothétiques et hautement subjectifs l’emportent sur l’inconvénient créé à la locataire par la modification d’une condition du bail.

[27]   Dans ces circonstances et pour les motifs précédemment mentionnés, le Tribunal estime que les faits et les arguments des locateurs ne permettent pas de leur accorder la modification demandée au bail puisque leur demande est plutôt guidée par des considérations personnelles et hypothétiques ou l’exercice abusif de leur droit de propriété, ce qui porte atteinte au droit personnel de la locataire au maintien dans les lieux loués. »

  1.      Suivant ce qui précède et l’analyse de la preuve présentée lors de l’audience, le Tribunal constate que la modification demandée est guidée par des considérations personnelles et hypothétiques, et qu'elle porte atteinte au droit du locataire au maintien dans les lieux.
  2.      De plus, la modification ne doit pas être demandée dans le but de sanctionner des manquements du locataire. Comme l'écrivaient les juges administratifs Francine Jodoin et Éric Luc Moffatt, siégeant en révision dans l'affaire Stanco c. Leblanc[6], la demande de modification du bail n’est pas le recours approprié pour faire cesser les troubles rapportés par le locateur :

« [35]   En somme, l’objet de la demande n’est pas réellement une modification aux conditions du bail au sens des articles 1942 et 1952 du Code civil du Québec puisqu’elle n’est pas fondée sur des considérations objectives liées à une évolution, un changement ou une transformation des règles de gestion de la propriété mais une sanction des manquements du locataire.

[36]   Cela implique nécessairement que le greffier spécial tienne une enquête sur les reproches formulés et décide ensuite d’accorder la modification sur simple preuve du manquement et dans la mesure où les autres critères sont rencontrés.

[37]   Le tribunal croit qu’une demande de modification aux conditions du bail n’est pas le recours approprié lorsqu’il s’agit exclusivement de punir un locataire de ses manquements.

[38]   Il faut, en effet, considérer qu’une modification aux conditions du bail qui a pour objet de supprimer un usage, un accessoire ou un service, par exemple, s’apparente à une demande de résiliation partielle du bail, ce qui ne serait pas possible en application de l’article 1863 du Code civil du Québec :

[…]  

[42]   En raison des règles qui régissent la fixation du loyer et la modification aux conditions du bail, une telle discrétion ne peut être exercée par le greffier-spécial.

[43]   Le locateur n’aurait alors qu’à faire valoir le manquement pour retirer un usage au locataire dans le cadre d’une modification aux conditions du bail.


[44] Si l'on devait permettre au locateur, de modifier une condition du bail uniquement parce qu'il est insatisfait de l'exécution par le locataire, cela aurait pour conséquence d'alléger le fardeau de preuve qui lui est normalement imposé. Il n'est, donc, pas approprié de procéder à une telle détermination dans le cadre d'une demande de fixation de loyer ou modification aux conditions du bail. »

  1.      Pour les motifs mentionnés, le Tribunal refuse la demande de modification du bail telle qu’énoncée.
  2.      CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;
  3.      CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de 19,43 $ est justifié;
  4.      CONSIDÉRANT que le Tribunal refuse la modification du bail telle qu’énoncée par le locateur;
  5.      CONSIDÉRANT que la preuve ne justifie pas la condamnation du locataire au remboursement des frais;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 649,00 $ par mois du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025.
  2.      REJETTE la demande de modification du bail.
  3.      Les autres conditions du bail demeurent inchangées.
  4.      Le locateur assume les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Marie-Dorothée Lesage, greffière spéciale

 

Présence(s) :

le locateur

le locataire

Date de l’audience :

13 décembre 2024

 

 

 


 


[1] Règlement sur les critères de fixation de loyer, chapitre T-15.01, r. 2.

[2] Chartrand c. Chartrand, 2019 QCRDL 33369 (CanLII).

[3] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

[4] Articles 2803, 2804 et 2805 du Code civil du Québec.

[5] 2019 QCRDL 25606 (CanLII)

[6] Stanco c. Leblanc, 2012 CanLII 129997 (QC TAL).

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