Décision

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Sévigny c. Nazeraly

2011 QCRDL 23137

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No :          

31 100518 051 G

 

 

Date :

23 juin 2011

Régisseure :

Christine Bissonnette, juge administratif

 

Huguette Sévigny

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Nevine Nazeraly

 

Badouraly Laljy

 

Locateurs - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      La locataire Lise Pufahl a produit une demande d'exécution en nature des obligations de la locatrice, et le recouvrement des frais.

[2]      La locataire Huguette Sévigny a produit une demande d'exécution en nature des obligations de la locatrice, de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal, plus l'indemnité additionnelle, et le recouvrement des frais.

[3]      Les demandes des locataires ont été réunies en ce qui a trait au litige pour le stationnement vu la preuve commune mais elles feront l’objet d’une décision distincte (art. 57 L.R.).

[4]      La locataire Lise Pufahl occupe les lieux depuis 23 ans et elle a eu l’usage de deux stationnements depuis cette date. Un de ces stationnements est inclu au bail alors que l’autre résulte d’un usage continu (P-1). Elle précise qu’elle et son mari ont toujours utilisé ces espaces. Or, la nouvelle locatrice a décidé en cours de bail de ne fournir qu’un seul espace de stationnement au bail, le second espace devra être payé au montant de 50 $ par mois (L-3). De plus, les numéros de stationnement apposés sur les espaces ne correspondent pas aux prises de courant reliées au logement. À ce sujet, le concierge du locateur confirme que ce n’est que l’été passé qu’il a réalisé que la prise de courant au stationnement était branchée chez la locataire. Il croyait que c’était la prise de courant de service. Il utilisait cette prise de courant de la locataire depuis 3 ans pour couper le gazon. Il a informé le mandataire de la locatrice, qui l’a avisé d’utiliser la prise extérieure de l’immeuble à l’avant qui est elle reliée au compteur de service.

[5]      La locataire veut donc récupérer le second espace de stationnement dont elle a toujours l’usage (L-4) (L-2A)B). La locataire a depuis été dans l’obligation de louer un autre espace de stationnement de son ancien locateur qui possède l’immeuble adjacent, tel qu’en font foi copie des reçus produits en preuve (L-4). La procureure de la locatrice s’objecte à la production de ces reçus parce qu’elle devait recevoir copie et qui par mégarde ne lui ont pas été acheminés. Or, elle a pris connaissance desdits reçus à l’audience et le tribunal estime qu’il n’y a aucun préjudice réel.


[6]      La locataire Huguette Sévigny occupe les lieux depuis 28 ans et elle a eu également l’usage de deux stationnements depuis cette date. Elle fait un usage régulier des deux espaces et elle estime ne pas avoir à payer pour le second espace.

[7]      La nouvelle locatrice a acquis l’immeuble de huit logements en octobre 2005. Son conjoint, son mandataire, est présent à l’audience et il la représente car il gère cet édifice et il est celui qui a signé les avis de reconduction de bail.

[8]      Il témoigne qu’en 2005, il ne savait pas à quel endroit la locataire stationnait. Ce n’est qu’à l’été 2008 pour madame Pufahl et à l’été 2009 pour madame Sévigny qu’il s’est aperçu de l’usage de deux stationnements. À chaque fois, il a donné un avis verbal aux personnes concernées de ne plus stationner au deuxième stationnement.

[9]      Il a décidé de numéroter les espaces et de placer une pancarte d’avis de remorquage et il a expédié le 2 mars 2010 une mise en demeure auxdits locataires de cesser cet usage d’un second stationnement à moins de payer un supplément de 50 $ ou à défaut d’être remorqué.

[10]   À cette date, il n’a fait remorquer aucune voiture.

Décision :

[11]   Le tribunal doit décider du droit de la locatrice de restreindre l’usage des locataires à un stationnement.

[12]   Tout d’abord, le tribunal constate qu’un bail écrit conclu en 1994-1995 avec la locataire Huguette Sévigny a été produit et il indique « inclus un stationnement avec prise de courant ». Or depuis cette date, la preuve testimoniale non contredite des locataires démontre qu’elles ont eu l’usage non interrompu de deux stationnements, le tout avant et même depuis l’acquisition par la nouvelle locatrice. Ainsi, un autre bail a été produit en preuve depuis 2005. Il s’agit de celui de la locataire Huguette Pufhal/Desrosiers et la locatrice, par son mandataire, où l’on constate le droit au stationnement est comme suit : « pour le parking ». Encore une fois, il n’y a aucun nombre de stationnement qui est précisé et l’usage depuis confirme que deux stationnements sont occupés par cette locataire et inclus dans le prix du loyer. D’ailleurs, la locatrice reconnaît ce double usage puisqu’elle a déposé une demande de modification de bail pour le terme du bail débutant le 1er juillet 2010, afin d’exiger une somme de 50 $ par mois pour la place de stationnement supplémentaire (31-100315-008F).

[13]   Or, la loi prévoit que la nouvelle locatrice « a envers le locataire, les droits et obligations résultant du bail »[1]. La preuve établit qu’outre le bail écrit qui établit le droit au stationnement, l’usage continu et non interrompu des locataires démontre que deux stationnements étaient inclus dans cette location au même prix (art. 1434 C.c.Q.). La locataire n’a offert aucune preuve pour contredire cet usage. Qui plus est depuis 2005, la locatrice n’a pas changé cet usage, et les locataires ont même continué d’user de leurs deux espaces de stationnement.

[14]   Il en résulte que la locatrice ne peut modifier les conditions de location et de ses accessoires, en cours de bail, comme elle l’a fait. En effet, en vertu de l’article 1854 C.c.Q., elle est tenue de procurer la jouissance paisible du bien loué et de ses accessoires « pendant toute la durée du bail ». Ce n’est qu’au moment de la reconduction du bail qu’elle peut tenter de modifier ses conditions de location. À ce sujet, le tribunal constate que le litige en fixation est pendant devant la Régie et devra suivre son cours[2]. Dans l’intervalle la locatrice doit permettre l’accès aux deux stationnements utilisés par les locataires et ce tant que le tribunal en fixation n’en décidera pas autrement.

[15]   Dans un second temps, la locataire Huguette Sévigny réclame de la locatrice une somme de 2 000 $ en dommages pour troubles et inconvénients, suite à une agression dont elle prétend avoir été victime de la part du mandataire et conjoint de la locatrice survenue le 4 février 2010 à l’occasion de la reconduction du bail.


[16]   La procureure de la locatrice s’objecte à cette réclamation en invoquant que le tribunal n’a pas compétence pour entendre ce litige. Elle plaide qu’il n’y a aucun lien de droit entre ce mandataire et la locataire, qu’il s’agit d’un recours extra-contractuel, pour lequel la locatrice ne peut être tenue responsable. Elle a produit à l’appui de cette prétention copie de la doctrine et de décisions rendues en ce sens[3]. Subsidiairement, elle invoque qu’il s’agit d’un acte isolé qui ne peut donner ouverture à ladite réclamation; enfin à titre de mandataire, l’époux de la locatrice, aurait excédé son mandat.

[17]   Le tribunal entend donc disposer de cette décision avant de trancher le litige au fond. Tout d’abord, il faut établir le cadre du litige et décider si la demande en dommages repose sur la relation locatrice-locataire sur laquelle le tribunal a une juridiction exclusive (art. 28 L.R.). Le tribunal constate que l’agression alléguée par la locataire s’est tenue lors d’une rencontre chez elle à l’occasion de la reconduction du bail avec le mandataire de la locatrice. Les faits établissent que ladite rencontre a eu lieu dans le cadre d’une relation locatrice-locataire, alors que le mandataire représentait sa conjointe. Ce dernier administre l’immeuble, signe les baux et les avis de reconduction et exerce toutes les fonctions pour et au nom de la locatrice.

[18]   De l’avis du tribunal, cette rencontre et tout ce qui en découle relève d’une relation purement locateur-locataire et en conséquence, les événements y inclus les incidents qui en résultent tombent sur la compétence de la Régie. Ainsi, quelle que soit la théorie appliquée par la jurisprudence citée par la procureure, sur la source des obligations, sur le lieu de l’incident, ou de la juridiction exclusive sans égard à la qualification juridique du manquement d’obligation; le présent litige « survient d’abord et avant tout en raison de l’existence de la relation contractuelle entre le locataire et le locateur »[4], et c’est le véritable critère à retenir pour déterminer la compétence du présent tribunal.

[19]   Ainsi, comme le décide l’honorable juge Normand Bonin :

« Le modèle de la juridiction exclusive paraît plus conforme à l’esprit de la loi instituant un tribunal spécialisé, d’autant plus que le nouveau Code civil du Québec interdit l’option entre le recours civil et délictuel. Le législateur met ainsi un frein à l’application du principe de la juridiction coexistante de la Cour du Québec et de la Régie du logement et, de la même façon, au chevauchement des recours. Considérer la juridiction en déterminant l’essence du litige devrait aussi être de nature à éviter des jugements qui peuvent être perçus comme étant contradictoires. Le législateur a d’ailleurs voulu marquer le respect à l’égard du tribunal spécialisé qu’est la Régie du logement en modifiant le droit d’appel pour qu’il ne puisse être exercé que sur permission. »[5]

[20]   Or, avec respect, le présent tribunal ne peut souscrire à l’obiter dictum du juge Bonin lorsqu’il indique que des voies de fait entre les parties n’est pas de la compétence de la Régie[6]. En effet, le tribunal est d’avis qu’une fois la relation de bail établie entre les parties, et que la source du litige relève de cette relation, l’option entre les deux régimes de responsabilité n’est plus possible, selon l’article 1458 C.c.Q. et la Régie a donc une compétence exclusive pour disposer d’un tel litige.

[21]   Ainsi, la conduite d’une partie, ou de son mandataire, envers l’autre partie contractante à l’occasion d’un événement ou incident relatif au bail, dans les lieux loués relève de la compétence exclusive de la Régie du logement; par conséquent, l’objection préliminaire du procureur est donc rejetée. Le tribunal va donc entendre ce litige.

[22]   La locataire témoigne que le 4 février 2010, le mandataire s’est présenté chez elle pour discuter de l’augmentation de loyer à venir. Après s’être entendue pour une augmentation de loyer de 10 $, le mandataire aurait remis la copie d’un bail à la locataire qui lui aurait alors dit vouloir en discuter avec sa fille. C’est alors que le mandataire l’aurait bousculé en lui prenant le bras gauche pour lui arracher le bail des mains. La locataire a eu peur, lui a sommé de quitter les lieux et c’est ce qu’il a fait. Elle s’est rendue chez sa voisine madame Pufahl qui témoigne qu’elle était « rouge », et lui aurait dit que le mandataire est « venu comme un fou et l’a poussée ». Or, elle-même a rencontré le mandataire de la locatrice quelques temps après cet incident et la rencontre s’est passée comme d’habitude sans incident.


[23]   La locataire Sévigny est retournée chez elle et elle a appelé les policiers. Le policier Patrick Chartier a témoigné de sa rencontre avec la locataire à qui il a expliqué la procédure et il lui a laissé une feuille de déclaration. Il lui a mentionné également qu’elle dispose de 6 mois pour porter plainte. Le policier a communiqué également après avec le locateur pour l’informer de cette rencontre.

[24]   Or, il s’avère que la locataire a fait sa déclaration et déposé sa plainte le 27 avril 2010 (L-4). Le policier témoigne qu’il en résulte seulement d’une lettre expédiée au mandataire de la locatrice le 14 juillet 2010, l’informant d’un programme de traitement non judiciaire, car aucune poursuite criminelle n’a été autorisée pour cet incident. Pour sa part, la locataire indique qu’elle a eu très peur, qu’elle est restée nerveuse, et elle ne veut plus qu’il « mette les pieds chez nous ».

[25]   En défense, le mandataire de la locatrice témoigne que l’augmentation discutée avec la locataire était de 23 $ par mois et c’est alors que cette dernière est devenue furieuse et elle a refusé de signer l’accusé de réception de son avis d’augmentation. Le mandataire s’est levé pour reprendre l’avis et elle a voulu tirer ce papier des mains, qu’il a repris. Il dit avoir immédiatement quitté les lieux car il n’aime pas la confrontation. Quant à la plainte déposée par la locataire, il l’a contestée auprès du policier, sans plus; et aucune autre démarche ne fut entreprise contre lui par la suite. Il considère que cette plainte est tout simplement un acte de vengeance à son endroit vu les autres litiges entre les parties.

Décision :

[26]   Le tribunal doit décider de cette réclamation pour troubles et inconvénients à la lumière de la preuve présentée par les parties.

[27]   À cet égard, le tribunal rappelle qu’en la matière, il appartient à la locataire d’établir par preuve prépondérante, c’est-à-dire une preuve fiable, concrète et crédible le bien-fondé de son allégation et des conséquence sur sa personne (art. 2803 C.c.Q.). Pour prendre sa décision, le tribunal doit apprécier les faits, les témoignages des parties et leur crédibilité.

[28]   Or, il appert de la preuve que les parties ont eu une rencontre qui a pris une tournure désagréable à la toute fin et au cours de laquelle un échange de documents a eu lieu de façon spontanée et brusque entre les parties. La locataire s’est informée de ses droits en faisant venir la police le jour même, et ce n’est que plus de deux mois plus tard qu’elle dépose sa déclaration auprès du service de police, dans laquelle elle indique avoir toujours peur du mandataire.

[29]   L’acte précis reproché à ce dernier consiste en de la bousculade au bras, à l’épaule pour reprendre un document, alors qu’en défense, ce même geste est contesté dans son intensité.

[30]   Le tribunal est d’avis que cette rencontre, bien que désagréable, ne consiste pas en une forme d’agression pour laquelle il y a lieu de compenser la locataire. En effet, outre la version de la locataire, sa voisine confirme sa nervosité certes, mais sans plus. Le policier témoigne également de sa rencontre mais sa déclaration spontanée ne donne pas lieu à une plainte immédiate; elle ne survient qu’après plus de deux mois, alors que les autres litiges s’intensifient. Dans un tel contexte, le tribunal ne peut souscrire en faveur de la locataire puisque la preuve présentée n’est pas concluante.

[31]   Cet incident désagréable est un événement isolé et spontané, dont l’intensité et les séquelles n’ont pas été prouvées à la satisfaction du tribunal. Par conséquent, cette partie de la réclamation de la locataire est rejetée.

[32]   CONSIDÉRANT que la demande de la locataire pour l’usage de deux stationnements est bien fondée en faits et en droit;

[33]   CONSIDÉRANT que la demande en dommages est mal fondée en faits et en droit;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[34]   ACCUEILLE la demande de la locataire;

[35]   ORDONNE à la locatrice de donner à la locataire l’usage de ces deux mêmes stationnements utilisés par la locataire;

[36]   REJETTE quant au reste de la demande de la locataire;


[37]   CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire les frais de 72 $;

[38]   ORDONNE l’exécution provisoire des présentes malgré appel, immédiatement et sans délai.

 

 

 

 

 

Christine Bissonnette

 

Présence(s) :

la locataire

le mandataire de la locatrice

Me Carmine Belfort, avocate de la locatrice

Dates des audiences :

8 mars 2011 et 16 mai 2011

 


 



[1] Article 1937(2) C.c.Q.

[2] 31-100315-008F.

[3] Doctrine :

École du Barreau du Québec, Obligations et contrats, Collection de droit 2007-2008 vol. 5 Les Éditions Yvon Blais, Me Gilles Daoust, La Régie du logement, p. 280 :

Jugements produits :

Général Accident, Compagnie d’Assurance du Canada c. Réal Doré; 60502-000588-964; Yarina Bouchamma c. André Lapierre, 200-22-047388-087, Alexandra Agranovich c. H&S Realties et Simon Rossdeutscher, RD, 31-070607-041G.

[4] General Accident p. 18.

[5] Idem.

[6] Ibid p. 21.

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