Di Benedetto c. Luque Polo | 2023 QCTAL 15761 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 679389 31 20230203 G | No demande : | 3794571 | |||
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Date : | 18 mai 2023 | |||||
Devant la juge administrative : | Amélie Dion | |||||
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Pietro Di Benedetto |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Karina Roxana Luque Polo |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Par un recours introduit le 3 février 2023, le locateur demande la permission du Tribunal pour reprendre le logement de la locataire afin d’y loger sa fille.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[2] Le locateur a-t-il démontré qu'il avait réellement l'intention de reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et que la reprise du logement ne constitue pas un prétexte pour atteindre une autre fin?
[3] Le cas échéant, quelle est l'indemnité raisonnable pour le déménagement?
LE CONTEXTE
[4] Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023 à un loyer mensuel de 830 $. Le logement est un quatre pièces et demie, lequel est situé au premier étage de l’immeuble.
[5] Le locateur a longtemps habité le logement adjacent, soit le plus grand logement de l’immeuble. Il s’agit un 7 pièces et demie avec le sous-sol. Sa fille a d’ailleurs habité ce logement lorsqu’elle était enfant. Ce logement n’est présentement pas loué.
[6] Le locateur a rénové un logement de quatre pièces et demie, lequel est situé au deuxième étage de l’immeuble. Il réside dans ce logement depuis 2022. Le locateur a également rénové le logement adjacent au deuxième étage à la suite du décès de sa locataire. Il a reloué le logement le 1er avril 2023.
[7] Le 29 décembre 2022, le locateur transmet un avis de reprise du logement à la locataire. Celle-ci ne répond pas à cet avis, elle est présumée avoir renoncé à quitter le logement.
[8] Le locateur introduit une demande, le 3 février 2023, afin d’obtenir la permission de reprendre le logement.
L’ANALYSE
Les principes pertinents
[9] Le droit à la reprise est fondé sur l'article
1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile.
[10] Le locateur désirant reprendre un logement doit se conformer à certaines conditions essentielles. Celles-ci sont encadrées par les dispositions suivantes :
1960. Le locateur qui désire reprendre le logement ou évincer le locataire doit aviser celui-ci, au moins six mois avant l'expiration du bail à durée fixe; si la durée du bail est de six mois ou moins, l'avis est d'un mois.
Toutefois, lorsque le bail est à durée indéterminée, l'avis doit être donné six mois avant la date de la reprise ou de l'éviction.
1962. Dans le mois de la réception de l'avis de reprise, le locataire est tenu d'aviser le locateur de son intention de s'y conformer ou non; s'il omet de le faire, il est réputé avoir refusé de quitter le logement.
[11] Lorsque le locataire refuse ou est présumé avoir refusé de quitter le logement, une demande doit être présentée devant le Tribunal administratif du logement (TAL) conformément à l’article
1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.
La nature du litige
[12] Le litige qui oppose les parties est expliqué de la manière suivante par le juge administratif Bisson :
« Lors de la reprise d'un logement par le locateur, deux droits importants se rencontrent et s'opposent. Le droit du propriétaire d'un bien de jouir de celui-ci comme bon lui semble et le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ce droit du locataire que le législateur impose des conditions au locateur.
Ainsi pour obtenir l’autorisation du Tribunal de reprendre le logement le locateur doit démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins. »[1]
Le fardeau de la preuve
[13] Le fardeau de la preuve repose sur les épaules du locateur. Le juge Dortélus de la Cour du Québec explique la démonstration que doit rencontrer un locateur désirant reprendre un logement :
« [38] Il ressort de cette revue de la doctrine et jurisprudence qu'il appartient au locateur de démontrer par prépondérance de preuve qu'il entend réellement reprendre possession du logement pour la fin mentionnée dans l'avis de reprise de possession, il doit prouver sa bonne foi, ce faisant, établir qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »[2]
[14] Généralement, la bonne foi se traduit par une absence de prétexte, laquelle reste une appréciation des faits entourant la reprise de logement.
[15] Dans l’affaire Simard-Godin c. Gibeault, le Tribunal expose ce qu’il entend par une évaluation de la bonne foi :
« La détermination de la bonne foi, de l'intention réelle de reprendre possession et de l'absence de prétexte dolosif est une question de faits et d'intention entourant les faits. À ce chapitre la Régie est justifiée d'examiner les faits et motifs qui amènent le locateur à requérir le logement: cette appréciation implique nécessairement des éléments subjectifs et objectifs tels que la crédibilité de la locatrice et de sa fille, les raisons personnelles justifiant leur droit spécifique, la disponibilité d'un logement équivalent et même l'état des relations avec le locataire en cause. »[3]
La preuve
[16] Le locateur vit dans un logement de quatre pièces et demie qu’il a rénové en 2021 et 2022. Il admet qu’un autre logement était disponible le 1er avril 2023, mais il n’a pas offert ce logement à sa fille.
[17] D’une part, il tient à son intimité et d’autre part, ce logement était en très mauvaise condition. Il a donc rénové le logement et reloué celui-ci pour un montant de 1 475 $ par mois.
[18] Le logement de la locataire est situé au premier étage et serait parfait pour sa fille, même si celui-ci n’est pas aussi rénové que celui du deuxième étage. Il a effectué quelques travaux d’entretien dans le logement convoité, et ce, au cours du temps. Le loyer est présentement de 830 $ par mois.
[19] Il aimerait se rapprocher de sa fille puisqu’à la suite du divorce une distance s’est installée entre eux. Il croit que si elle habite l’immeuble, cela sera plus facile d’établir une relation.
[20] Sa fille a maintenant 29 ans et habite chez sa mère. Pour elle, il sera plus facile d’avoir une vie sociale si elle a un logement. Elle prévoit y vivre environ un an ou deux avant de s’acheter quelque chose qui lui appartiendrait.
[21] Elle n’a pas visité le logement, mais elle précise connaitre les lieux pour avoir habité l’un des logements étant plus jeune, avec ses parents. Elle sait que le logement n’est pas très éclairé et non rénové, mais les pièces sont de bonnes dimensions et cela lui convient. Aussi, il est possible d’entreprendre quelques rénovations puisqu’elle ne payera pas de loyer.
[22] Or, la preuve révèle que le locateur a choisi le logement de la locataire alors qu’il existe un logement de libre pour sa fille, soit l’ancien logement familial qu’elle connait pour y avoir habité.
[23] Le locateur n’explique pas pourquoi il ne peut l’offrir à sa fille, d'autant plus que celui-ci n’est pas loué présentement. Le logement ne fait pas l’objet de rénovations pour l’instant et ne le sera pas avant deux ans.
[24] Le locateur ne mentionne pas que ce logement est inhabitable. Il a simplement déclaré, lors de l’audience, qu’il n’a plus le goût de vivre dans du vieux. Sa fille prévoit une occupation temporaire de l’immeuble d’une année ou deux. Ce délai d’occupation correspond au projet de rénovations du logement par le locateur.
[25] Or, selon la jurisprudence, une reprise de logement ne devrait pas être accueillie pour une occupation temporaire.
[26] Par ailleurs, le locateur aurait pu offrir le logement du deuxième étage loué en avril 2023, lequel est également un quatre pièces et demie. En rénovant ce logement, il lui était pourtant possible d’améliorer l’isolation de la chambre à coucher afin de s’assurer de l’intimité des lieux.
[27] L’ensemble des circonstances porte à croire que le locateur veut rénover l’ensemble des logements de son immeuble et la locataire est un obstacle à la réalisation de son projet. Sa fille semble être l’instrument de ce projet puisqu’il lui aurait offert en toute logique le logement inoccupé du deuxième étage ou celui inoccupé.
[28] Le locateur n’a pas démontré l’absence de prétexte et que l’intention véritable est un besoin réel de loger sa fille dans ce logement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[29] REJETTE la demande.
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Amélie Dion | ||
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Présence(s) : | le locateur la locataire | ||
Date de l’audience : | 20 avril 2023 | ||
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[1] Dagostino c. Sabourin, (R.D.L., 2000-01-26),
[2] Hajjali c. Tsikis,
[3] Simard-Godin c. Gibeault J.L. 87-82 (R.L.), à la p. 40.
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