Lozeau c. Therrien | 2023 QCTAL 38883 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Salaberry-de-Valleyfield | ||||||
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No dossier : | 742611 27 20231030 G | No demande : | 4090609 | |||
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Date : | 14 décembre 2023 | |||||
Devant le juge administratif : | Michel Huot | |||||
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Marc Lozeau |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Caroline Therrien |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur dépose une demande contre la locataire le 30 octobre 2023. Il demande d’être autorisé à reprendre le logement concerné pour y loger son fils à compter du 1er mars 2024.
[2] Le 30 octobre 2023, le locateur dépose également une demande pour être relevé du délai d’avoir notifié l’avis de reprise dans le délai imparti par le Code civil du Québec.
[3] La présente décision traitera uniquement de la demande du locateur d’être relevé de son défaut d’avoir notifié dans les délais prévus par le Code civil du Québec son avis de reprise à la locataire.
CONTEXTE
[4] Les parties sont liées par un bail à durée indéterminée au loyer mensuel de 875 $ tel que le Tribunal l’a déjà décidé dans une décision[1] rendue le 8 juin 2023.
[5] Le 11 septembre 2023, le locateur rédige un avis[2] de reprise de logement. Il indique qu’il souhaite reprendre le logement pour y loger son fils, monsieur Frédérick Lozeau. L’avis est signifié par huissier à la locataire le 18 septembre 2023.
[6] Le logement loué se trouve dans un duplex. Le logement loué est situé au 2e étage et le locateur vit dans le logement du 1er étage.
[7] Le locateur témoigne qu’il a été occupé par son travail et qu’il a tardé à envoyer l’avis de reprise à la locataire. Il demande d’être relevé de son défaut.
QUESTION
[8] Le locateur peut-il être relevé de son défaut d’avoir respecté le délai prévu à l’article
ANALYSE ET DÉCISION
[9] Avant de répondre à la question posée, il y a lieu de rappeler les règles de preuve prévues aux articles
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
« 2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. »
« 2843. Le témoignage est la déclaration par laquelle une personne relate les faits dont elle a eu personnellement connaissance ou par laquelle un expert donne son avis.
Il doit, pour faire preuve, être contenu dans une déposition faite à l’instance, sauf du consentement des parties ou dans les cas prévus par la loi. »
« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du tribunal. »
[10] Les parties ont l’obligation de convaincre le Tribunal, selon la balance des probabilités, des prétentions qu’elles allèguent.
[11] Par conséquent, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l’impossibilité de déterminer où se situe la vérité, la partie qui l’allègue perdra.
[12] Comme le soulignent les auteurs Nadeau et Ducharme[3] dans leur Traité de droit civil du Québec :
« Celui sur qui repose l’obligation de convaincre le juge supporte le risque de l’absence de preuve, c’est-à-dire qu’il perdra son procès si la preuve qu’il a offerte n’est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d’autre est contradictoire et que le juge est placé dans l’impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »
Question : Le locateur peut-il être relevé de son défaut d’avoir respecté le délai prévu à l’article
[13] La demande du locateur se fonde sur l’article 59 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (ci-après nommée « L.T.A.L. »). Ledit article se lit comme suit :
« 59. Le Tribunal peut, pour un motif raisonnable et aux conditions appropriées, prolonger un délai ou relever une partie des conséquences de son défaut de le respecter, si l’autre partie n’en subit aucun préjudice grave. »
[14] Cette disposition applicable aux délais prévus au Code civil du Québec permet de relever une partie des conséquences de son défaut d’avoir respecté un délai dans la mesure où elle établit un motif raisonnable pour expliquer le délai et que la partie adverse n’en subit pas de préjudice grave[4].
[15] Les articles
« 1957. Le locateur d’un logement, s’il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l’habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien. »
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l’union civile. »
« 1960. Le locateur qui désire reprendre le logement ou évincer le locataire doit aviser celui-ci, au moins six mois avant l’expiration du bail à durée fixe ; si la durée du bail est de six mois ou moins, l’avis est d’un mois.
Toutefois, lorsque le bail est à durée indéterminée, l’avis doit être donné six mois avant la date de la reprise ou de l’éviction. »
« 1961. L’avis de reprise doit indiquer la date prévue pour l’exercer, le nom du bénéficiaire et, s’il y a lieu, le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur.
L’avis d’éviction doit indiquer le motif et la date de l’éviction.
Ces avis doivent reproduire le contenu de l’article 1959.1.
La reprise ou l’éviction peut prendre effet à une date postérieure à celle qui est indiquée sur l’avis, à la demande du locataire et sur autorisation du Tribunal. »
« 1962. Dans le mois de la réception de l’avis de reprise, le locataire est tenu d’aviser le locateur de son intention de s’y conformer ou non ; s’il omet de le faire, il est réputé avoir refusé de quitter le logement. »
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l’autorisation du Tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins. » (Notre soulignement)
[16] L’avis de reprise de logement devait donc être envoyé par le locateur au moins six mois avant la date de reprise proposée en vertu de l’article
[17] L’avis de reprise du locateur ne respecte pas ce délai.
[18] Pour que le Tribunal puisse relever le locateur de son défaut, il doit démontrer avoir un motif raisonnable.
[19] La preuve présentée par le locateur laisse le Tribunal perplexe. Le locateur témoigne qu’il a eu un mois d’octobre occupé. Il soumet en preuve une lettre[5] de son employeur qui confirme qu’il a beaucoup travaillé au cours de ce mois.
[20] Pourtant, l’avis de reprise a été rédigé en septembre 2023, soit le mois précédent. Le locateur ne donne aucune explication satisfaisante au Tribunal pour considérer qu’il a un motif raisonnable de le relever de son défaut.
[21] De plus, le Tribunal note que le locateur ne pouvait ignorer le délai pour donner son avis de reprise de logement à la locataire puisqu’une décision avait déjà été rendue entre les parties en matière de reprise de logement le 8 juin 2023. Il y a lieu de reprendre la portion pertinente de la décision[6] :
« [27] Le Tribunal considère qu’il y a lieu de répondre à la présente question même s’il a déjà rejeté le recours. Le Tribunal conclut que l’avis de reprise n’a pas été donné valablement à la locataire par le locateur.
[28] L’article
« 1960. Le locateur qui désire reprendre le logement ou évincer le locataire doit aviser celui-ci, au moins six mois avant l’expiration du bail à durée fixe ; si la durée du bail est de six mois ou moins, l’avis est d’un mois.
Toutefois, lorsque le bail est à durée indéterminée, l’avis doit être donné six mois avant la date de la reprise ou de l’éviction. » (Nos soulignements)
[29] L’avis doit avoir été donné avant la fin du délai prévu par l’article
[22] Dans l’affaire Structures Métropolitaines (SMI) inc. c. Stepanova[7], la juge administrative Francine Jodoin a traité de cette disposition ainsi :
« [16] Dans une décision récente de la Cour du Québec, on procède à une analyse exhaustive de l’interprétation conférée aux termes « motifs raisonnables » énoncés dans diverses lois constitutives afin de permettre la prolongation de délai pour en conclure :
« [73] Le motif raisonnable a souvent été décrit comme étant un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion. »
[17] Il a été maintes fois reconnu que l’omission de respecter une exigence légale dans la mise en œuvre d’un droit lorsqu’elle résulte de la négligence, d’une mauvaise compréhension ou encore de l’ignorance de la loi n’est pas retenue comme motif raisonnable permettant de justifier la prolongation du délai. »
[23] Le Tribunal conclut que le locateur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve eu égard à sa demande en vertu de l’article 59 de la L.T.A.L. Il n’a pas démontré avoir un motif raisonnable justifiant de prolonger le délai prévu à l’article
[24] En l’absence d’un avis de reprise valablement fait, la demande du locateur pour être autorisé à reprendre le logement concerné n’a aucun fondement juridique et doit être rejetée. L’avis de reprise est générateur de droit.
[25] Dans les circonstances, le Tribunal rejette la demande du locateur qui en assume les frais.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[26] REJETTE la demande du locateur pour être relevé de son défaut en vertu de l’article 59 L.T.A.L.;
[27] En conséquence, REJETTE la demande pour être autorisé à reprendre le logement concerné, le locateur en assumant les frais.
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Michel Huot | ||
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Présence(s) : | le locateur | ||
Date de l’audience : | 5 décembre 2023 | ||
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[1] Lozeau c. Therrien,
[2] Pièce P-1.
[3] NADEAU, André et DUCHARME, Léo, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur ltée, pages 98 et 99.
[4] Société immobilière Parc Samuel Holland inc. c. St-Pierre
[5] Pièce P-3.
[6] Lozeau c. Therrien,
[7] Structures métropolitaines (SMI) inc. c. Stepanova,
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