Chafiki c. Quatrini | 2023 QCTAL 26443 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 668309 31 20221208 T | No demande : | 3973130 | |||
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Date : | 01 septembre 2023 | |||||
Devant la juge administrative : | Camille Champeval | |||||
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Najib Chafiki |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Carlos Quatrini
Maria Rosa Larosa |
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Locateurs - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le locataire requiert la rétractation de la décision rendue le 28 juin 2023.
[2] Les locateurs formulent, séance tenante, une demande de limitation procédurale à l'encontre du locataire afin d'éviter que des recours répétitifs ne suspendent de nouveau l'exécution de la décision rendue.
Le contexte
[3] Le 8 juin 2022, les locateurs demandent au Tribunal d’enjoindre aux locataires de l’immeuble de ne pas utiliser le stationnement et les espaces de rangement au sous-sol.
[4] Le locataire est présent à l’audience fixée le 21 avril 2023.
[5] Le 28 juin 2023, la juge administrative accueille la demande.
Le recours en rétractation
[6] Le locataire est d’avis que la juge administrative n’a pas considéré ses arguments. Bien qu’il lui ait présenté le bail, elle a fait fi de la mention selon laquelle il bénéficie d’un espace de stationnement, dit-il.
[7] Il estime par conséquent qu’elle a erré dans son analyse et sa décision.
[8] Il demande par ailleurs à présenter des photographies qu’il n’avait pas en sa possession lors de l’audience sur la demande originaire.
[9] La partie locatrice conteste le recours.
Analyse et décision
[10] La présente demande se fonde sur l'article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, qui prévoit :
« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.
Une partie peut également demander la rétractation d’une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s’est prononcé au-delà de la demande.
La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l’empêchement.
La demande de rétractation suspend l’exécution de la décision et interrompt le délai d’appel ou de révision jusqu’à ce que les parties aient été avisées de la décision.
Une partie qui fait défaut d’aviser de son changement d’adresse conformément à l’article 60.1 ne peut demander la rétractation d’une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu’elle n’a pas reçu l’avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse. »
[11] À maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est un moyen procédural exceptionnel, car le principe de l'irrévocabilité des jugements est important. Ce principe a été réitéré par la Cour d'appel du Québec :
« Le principe de l'irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle[1]. »
[12] Le locataire admet avoir été en mesure d’expliquer ses arguments à la juge administrative lors de l’audience sur la demande originaire.
[13] Il n’a établi aucun motif prévu à l’article 89 de la Loi pouvant justifier la rétractation de la décision.
[14] Pour obtenir la rétractation d'une décision, le locataire devait établir qu'il a été empêché de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, un fardeau dont il ne s'est manifestement pas acquitté.
[15] Force est plutôt de constater que le locataire est insatisfait de la décision rendue à son égard.
[16] Or, le Tribunal rappelle qu'une « demande en rétractation ne doit pas servir de prétexte à une partie pour recommencer une audition soit parce qu'elle est insatisfaite de la décision ou parce qu'elle est insatisfaite de la façon dont elle a présenté sa preuve. Une fois la décision rendue, il est trop tard pour contredire, expliquer ou circonstancier les faits. »[2]
[17] Les motifs de rétractation ne doivent pas, en effet, être confondus avec l'appel de la décision. À cet effet, le Tribunal fait siens les propos de la juge administrative Francine Jodoin, dans la cause O'Callagan c. Fattal[3] :
« Tel qu'expliqué lors de l'audience, la demande en rétractation ne doit pas constituer un appel déguisé de la décision rendue. Le tribunal n'a pas à juger de la justesse de celle-ci ni s'interroger sur les erreurs de faits ou de droit commises puisqu'il ne s'agit pas d'un appel de la décision rendue. Il s'agit plutôt de s'interroger sur l'application de l'article 89 précité et chercher à déterminer si la partie qui en fait la demande a pu démontrer un des motifs prévus à cette disposition.
(...)
Il apparaît clair au tribunal que le locataire remet maintenant en cause la preuve soumise à l'audience en raison des conclusions de la décision. Il a donc plutôt été pris par surprise par la décision et il appert qu'ayant connu d'avance ses conclusions, il se serait préparé différemment. Il demande d'ailleurs la possibilité d'avoir une nouvelle audience pour lui permettre d'apporter des preuves additionnelles ».
[18] Il n'y a donc pas lieu de permettre la rétractation dans cette affaire, car les motifs invoqués sont de la nature d'un appel. L'article 89 de la Loi ne peut servir de procédure d'appel et ne couvre pas la situation soulevée par le locataire.
[19] Enfin, l’audience d’un recours en rétractation ne peut non plus constituer un moyen pour une partie de soumettre une preuve qu’elle a fait défaut de présenter lors de la première audience.
[20] Pour tous ces motifs, la demande en rétractation est rejetée.
La demande de limitation procédurale
Droit applicable
[21] L'ordonnance de limitation procédurale est prévue par l'article 63.2 LTAL, lequel se lit comme suit :
« 63.2. Le Tribunal peut, sur demande ou d'office après avoir permis aux parties intéressées de se faire entendre, rejeter un recours qu'il juge abusif ou dilatoire ou l'assujettir à certaines conditions.
Lorsque le Tribunal constate qu'une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d'empêcher l'exécution d'une de ses décisions, il peut en outre interdire à cette partie d'introduire une demande devant lui à moins d'obtenir l'autorisation du président ou de toute autre personne qu'il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu'il désigne détermine.
Le Tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif ou dilatoire d'un recours, condamner une partie à payer, outre les frais visés à l'article 79.1, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les autres frais que celle-ci a engagés, ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs. Si le montant des dommages-intérêts n'est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d'abus, le Tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu'il détermine. »
Analyse
[22] La preuve présentée ne soutient pas la demande des locateurs.
[23] Il s'agit de la première demande en rétractation du locataire. Aussi, faut-il rappeler qu'interdire à un justiciable de présenter une demande devant un tribunal est un remède extrême qui ne doit être utilisé qu'avec grande circonspection et rigueur, vu ses conséquences graves sur les droits du justiciable.
[24] La demande de limitation procédurale soumise par les locateurs est par conséquent rejetée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[25] REJETTE la demande de rétractation du locataire;
[26] MAINTIENT la décision rendue le 28 juin 2023;
[27] REJETTE la demande verbale de limitation procédurale des locateurs.
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Camille Champeval | ||
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Présence(s) : | le locataire la locatrice la mandataire du locateur | ||
Date de l’audience : | 25 août 2023 | ||
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[3] Adam O'Callagan c. Salim Fattal [2003] J.L. 265.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.