Décision

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Picard c. Béliveau

2022 QCTAL 31981

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Jean

 

No dossier :

481407 25 20190916 G

No demande :

2847700

 

 

Date :

08 novembre 2022

Devant la juge administrative :

Chantal Boucher

 

Tanya Picard

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Roland-Luc Béliveau

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par une demande déposée le 16 septembre 2019, la locataire demande une diminution de loyer mensuel de 25% de novembre 2018 à février 2019 (650 $), des dommages matériels de 800 $, dommages moraux de 500 $ ainsi que les intérêts, les frais de justice et l’exécution provisoire de la décision.

[2]         Il appert de la preuve que les parties ont conclu un bail du 1er mai 2017 au 30 juin 2019 au loyer mensuel de 650 $.

[3]         Les audiences se sont déroulées sur deux dates distinctes soit le 7 décembre 2020 ainsi que le 15 août 2022. La locataire étant représentée par avocat alors que le locateur se présentait seul.

[4]         Lors de la première audience, le locateur déclare ne jamais avoir reçu la signification de la demande alléguant que son adresse est [...], Lacolle, Qc, [...]. Il mentionne qu’il y a plusieurs unités à cette adresse mais que lui n’a pas de numéro attribué réitérant que son adresse est seulement [...] qui est son adresse sur son permis de conduire ainsi que celle apparaissant au bail.

[5]         Le Tribunal lui a alors indiqué que l’adresse de signification apparaissant sur le procès-verbal de l’huissier est la bonne[1]. Le locateur indique que la personne ayant reçu la signification, Mme D’Amours est une locataire d’une autre unité et donc la signification ne peut être retenue.

[6]         Questionné sur le fait que Mme France D’Amours s’est identifiée comme une personne apte à recevoir le document de la part de l’huissier, il mentionne qu’elle est une locataire mais confirme qu’elle percevait parfois des loyers en tant que mandataire.

[7]         Après audition des arguments, le Tribunal a rejeté la requête préliminaire du locateur constatant que le procès-verbal de l’huissier démontrait la bonne adresse du locateur et que la demande a été livrée à une personne apte à la recevoir et qui a parfois agi à titre de mandataire du locateur. De plus, le Tribunal note qu’il s’agit de la troisième audience depuis 2019 à avoir lieu, les précédentes ayant eu des remises et ce, toujours en la présence du locateur. D’ailleurs, le juge administratif André Monty a statué, le 4 novembre 2019, en rejetant une demande de réunion entre la présente demande et celle introduite par le locateur pour non-paiement de loyer.


[8]         Ainsi, le Tribunal conclut que le locateur est depuis plus d’un an bien informé de la présente demande et procède sur le fond du litige actuel.

Faits au dossier et positions des parties

[9]         À l’audience du 7 décembre 2020, la locataire témoigne avoir toujours eu une relation difficile avec le locateur, et ce dès le début du bail mais que cela a dégénéré en novembre 2018 alors que ce dernier a été visé par une saisie par le gouvernement provincial.

[10]     Elle explique avoir reçu une lettre du département de Revenu Québec lui indiquant qu’elle devait désormais payer son loyer directement à leur Ministère et non plus au locateur. Elle décrit la procédure comme suit : le premier jour de chaque mois, elle devait aller payer à la Banque son loyer et envoyer le reçu de paiement à l’agent responsable de son dossier.

[11]     À la fin novembre 2018, à la suite de difficultés personnelles, elle prend entente avec Revenu Québec pour le paiement des loyers de décembre 2018 à février 2019 et avise du même coup le locateur de ce fait.

[12]     En décembre 2018, elle reçoit la visite du locateur qui lui reproche de ne pas avoir payé son loyer puisque celui-ci n’apparaît pas dans son relevé de Revenu Québec. Elle mentionne que le locateur a haussé le ton et l’a menacée de faire saisir son véhicule. Ayant peur des conséquences, elle contacte Revenu Québec qui lui mentionne que le locateur ne peut rien faire en ce sens.

[13]     Par la suite, la locataire témoigne que le locateur se présentait chez elle environ deux fois par mois et ce, toujours lorsqu’elle partait ou arrivait chez elle et lui demandait de repayer les loyers alors qu’ils se trouvaient à l’extérieur du logement et que des gens étaient présents. Cela a duré de décembre 2018 à mars 2019 alors que la saisie s’est terminée en avril 2019.

[14]     La locataire ajoute qu’elle a envoyé son avis de non-renouvellement de bail en février 2019.

[15]     Le 1er juin 2019 alors qu’il lui manquait de l’argent pour le loyer à la suite d’un bris sur sa voiture, elle a remis 350 $ au locateur lui mentionnant qu’elle lui remettrait la balance de 300 $ le 15 du même mois. La situation a alors recommencé et le locateur l’accusait de ne pas être une personne responsable.

[16]     Le ou vers le 5 juin 2019, alors que la locataire revient du travail, elle voit le locateur sur le terrain en train d’y faire du ménage et constate que ses effets personnels entreposés en dessous de l’escalier extérieur ont disparu notamment des accessoires pour une piscine gonflable et un trampoline extérieur (pièces manquantes à la structure et toile)[2]. Tentant de parler avec le locateur pour concilier la situation, elle indique que ce dernier ne fait que sourire et n’a offert aucune collaboration, c’est alors qu’elle mentionne au locateur qu’elle ne paiera pas la balance du loyer restant.

[17]     Le 14 juin 2019, la confrontation avec le locateur atteint un autre niveau alors que ce dernier est présent à l’extérieur chez la locataire qui lui réitère qu’elle ne lui donnera pas la balance du loyer. Le locateur a alors pris les pneus de la locataire qui se trouvaient sur le terrain et alors qu’elle tente de l’arrêter sans succès, elle décide de téléphoner à la police. Lorsque le locateur constate l’appel à la police, il lance dans sa direction le pneu qu’il avait en sa possession et atteint son doigt, ce qui résultera en une fracture ouverte du majeur droit dont elle restera avec des séquelles à vie puisque son tendon a été sectionné. Cet événement est confirmé par le détail de la carte d’appel émise par la Sûreté du Québec et déposée en preuve à l’audience.[3]

[18]     Les policiers arrivés sur place ont pris les différentes déclarations et ont porté des accusations de voies de fait causant des lésions corporelles ainsi que voies de fait en utilisant une arme tel que démontré dans le plumitif produit en preuve dont l’accusé est identifié comme le locateur.[4]

[19]     La locataire témoigne qu’à la suite de cet événement, elle a dû être en arrêt de travail et que cela lui a causé beaucoup de difficulté pour son déménagement ainsi que de s’occuper de ses deux enfants. Elle déclare avoir été affectée longtemps par toute cette situation.

[20]     En contre-interrogatoire, la locataire admet ne pas avoir vu directement le locateur prendre ses effets personnels mais mentionne avoir trouvé certains de ses articles dans les poubelles du locateur notamment un tuyau.


[21]     Elle ajoute que lors de son arrivée le 5 juin 2019, il n’y avait que le locateur présent sur le terrain.

[22]     La partie demanderesse présente un témoin : Karolyne Julie Cajolais.

[23]     Elle déclare connaître le locateur puisqu’elle habitait le même immeuble que la locataire en 2019. Elle mentionne avoir constaté la relation tendue entre la locataire et le locateur.

[24]     Quant à l’événement de juin 2019, elle témoigne, sans pouvoir donner de dates précises, qu’elle se trouvait à l’extérieur sur le terrain de l’immeuble avec ses enfants et qu’elle a vu le locateur faire le ménage du terrain.

[25]     Elle ajoute se souvenir que ce dernier a pris du matériel notamment des tuyaux en plastique et des barres en métal qui se trouvaient en dessous de l’escalier de l’immeuble et d’en avoir disposé à côté de la poubelle dont il se servait. Elle n’a cependant pas remarqué si une toile avait également été prise mais précise être demeurée seulement de 30 à 45 minutes en début d’après-midi.

[26]     Quant à l’événement du 14 juin 2019, elle se souvient avoir vu les policiers et l’ambulance sur place et que la locataire lui a demandé son aide afin de veiller sur ses enfants.

[27]     À la suite de ce témoignage, le Tribunal a dû ajourner l’audience à une date ultérieure afin d’entendre la défense ainsi que les plaidoiries.

[28]     L’audience a donc repris le 15 août 2022. Constatant l’absence du locateur, le Tribunal a fait les vérifications quant à l’envoi de l’avis de convocation et d’une possible demande de remise. Il est apparu après vérification, qu’aucun retour de courrier n’a été reçu par le Tribunal, qu’aucun changement d’adresse n’a été déposé pour le locateur et qu’aucune demande de remise n’a été adressée avant l’audience.

[29]     Dans ces circonstances, le Tribunal a procédé avec l’ajournement et en l’absence du locateur et d’une défense, a complété l’audience avec la plaidoirie de l’avocat de la partie demanderesse.

[30]     L’avocat de la locataire soumet que le témoignage de sa cliente était crédible, spontané, émotif ainsi que corroboré par une autre locataire témoin des faits.

[31]     Il mentionne que le locateur a fait preuve d’agressivité, de menaces ainsi que de harcèlement en se présentant plusieurs fois chez la locataire alors qu’il n’avait aucun droit de percevoir des loyers. Après que la saisie ne soit plus effective, il a continué ses agissements illégaux envers la locataire en jetant ses effets personnels et s’est même rendu à agresser physiquement celle-ci en lui jetant un pneu lui fracturant un doigt.

[32]     Il demande donc le remboursement du filtreur à piscine au montant de 85,08 $ tel qu’il appert de la facture déposée en preuve[5] ainsi que du remboursement du trampoline pour lequel il fournit un estimé puisque la locataire n’a pu s’en procurer un nouveau au montant de 439,99 $[6].

[33]     Finalement, il demande que le comportement du locateur soit décrit comme du harcèlement ayant causé une perte de jouissance significative à la locataire pour un montant global de 650 $ et des dommages moraux de 500 $.

Droit applicable et analyse

[34]     En premier lieu, il est important de rappeler que celui qui veut faire valoir une prétention doit en faire la preuve au Tribunal par prépondérance de preuve.[7]

[35]     Dans le cas en l’espèce, il appartient donc à la locataire de démontrer par prépondérance de preuve qu’elle répond aux critères essentiels pour chacun des points de sa demande.

1. La diminution de loyer

[36]     Au soutien de son analyse, le Tribunal doit se référer aux articles applicables en droit civil, soit les articles 1851, 1854 et 1863C.c.Q. :

1851. Le louage, aussi appelé bail, est le contrat par lequel une personne, le locateur, s'engage envers une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance d'un bien, meuble ou immeuble, pendant un certain temps.

Le bail est à durée fixe ou indéterminée.


1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.

1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir.

[37]     Le Tribunal, dans son analyse, a pris en considération tous les témoignages entendus ainsi que la preuve documentaire soumise à l’audience.

[38]     En préambule, il convient de souligner que le recours en diminution de loyer vise à rétablir l'équilibre entre le loyer payé par la locataire et la prestation de service du locateur. Le Tribunal souscrit à l'opinion du juge administratif Gilles Joly, dans la décision de Girard c. Placements Bédard et Gauthier Enr, lorsqu'il définit ainsi ce recours :

« Le recours en diminution de loyer est de nature « quantis minoris  », c'est-à-dire qu'il cherche à rétablir un équilibre entre la prestation du locateur et celle de la locataire; en vertu du bail, le locateur doit procurer à la locataire la jouissance du logement qui y est décrit; en contrepartie, la locataire doit payer le loyer dont le montant doit équivaloir aux droits que le contrat lui procure. Or, dès que la locataire n'a plus la jouissance des lieux comme elle devrait l'avoir, elle peut exercer le recours en diminution de loyer afin que son obligation soit réduite en proportion du trouble qu'elle endure. »[8]

[39]     De plus, il faut que la perte de jouissance soit réelle, sérieuse, significative et substantielle[9].

[40]     En principe, pour que la locataire puisse se prévaloir du recours en diminution de loyer, celle-ci doit avoir préalablement envoyé au locateur une mise en demeure l’informant des troubles subis en lien avec le logement afin que celui-ci puisse y remédier, ce que la locataire n’a pu produire à l’audience.

[41]     Cependant, considérant que la perte de jouissance est directement reliée au comportement du locateur envers la locataire, il apparaît clair que l’envoi d’une mise en demeure dans ce contexte devient futile et superflu. Il est bien évident qu’il est de la responsabilité du locateur de s’assurer lui-même du respect de ses propres obligations notamment celle de ne pas troubler la jouissance des lieux de la locataire par des agissements inappropriés et constants. Dans ce contexte, le Tribunal fait siens les propos de la juge administrative Jocelyne Gravel dans Mateescu c. Société d’habitation et de développement de Montréal[10] :

« [82] Le Tribunal retient de ces principes et exceptions que la dénonciation et la mise en demeure servent à informer un locateur d'un problème dont il n'a pas autrement connaissance. La mise en demeure sert également à montrer l'intention formelle du locataire d'exercer ses recours si le locateur n'a pas rectifié la situation dans un délai raisonnable. Le locateur aurait donc la possibilité de remédier aux troubles si la situation le lui permet. La mise en demeure ne serait cependant pas obligatoire lorsque ce sont les actions directes du locateur ou de ses mandataires qui causent un trouble qu'il ne peut ignorer. En se faisant, il contrevient à son obligation générale de ne pas troubler la jouissance des locataires. Il est, dans ces situations particulières, mis en demeure de plein droit. »

[42]     Le Tribunal juge que le témoignage de la locataire était précis, clair et convaincant. Ainsi, le Tribunal n’a aucun doute que la locataire a réellement subi une perte de jouissance de son logement et ce, de façon répétée et substantielle découlant directement du comportement du locateur.

[43]     En effet, le locateur alors qu’il est visé par une saisie de ses loyers par Revenu Québec n’a aucun droit de venir menacer la locataire de lui repayer ses loyers, ceux-ci étant devenus la responsabilité du ministère du Revenu. La locataire était assignée à un agent responsable avec qui elle était en droit de prendre des ententes et de différer ses paiements.

[44]     Le locateur, par son insistance et ses apparitions plusieurs fois par mois afin de vérifier le paiement des loyers de la locataire et la menaçant de lui faire perdre certains droits, étaient inappropriées et ont causé, de l’avis du Tribunal, une perte de jouissance locative à la locataire.


[45]     Cependant, le Tribunal est lié par la demande de la locataire qui réclame une diminution de loyer de 25% de novembre 2018 à février 2019. Les faits démontrent que les visites insistantes et le comportement inapproprié du locateur ont commencé en décembre 2018. Ainsi, le Tribunal accorde la diminution de loyer réclamé pour la période de décembre 2018 à février 2019 pour un montant total de 487,50 $.

2. Les dommages matériels.

[46]     Le Tribunal sera bref dans son analyse puisque la preuve prépondérante et corroborée par témoin démontre que le locateur, le ou vers le 5 juin 2019, a volontairement pris les effets personnels de la locataire situés en dessous des escaliers extérieurs et en a disposés.

[47]     En effet, la locataire a bien vu le locateur sur le terrain faire un grand ménage et a également retrouvé certains de ses effets dans les poubelles. Quant au témoin présenté, celle-ci a clairement vu le locateur prendre des items situés en dessous des escaliers et appartenant à la locataire et les mettre à côté de la poubelle utilisée pour le ménage extérieur. De plus, ces événements sont concomitants au fait que la locataire n’avait pas le loyer entier pour le 1er juin 2019, ce qui met en contexte ce geste de la part du locateur.

[48]     Pour ces raisons, le Tribunal accorde la somme de 85,08 $ tel que présenté dans la facture en pièce L-3 pour le remplacement du filtreur à piscine. Quant au trampoline, considérant une certaine usure de deux ans, le Tribunal accorde un montant de 350 $, pour un total de 435,08 $.

3. La demande en dommage pour préjudice moral en lien avec le harcèlement subi au montant de 500 $.

[49]     La locataire fonde sa demande sur l’article 1902 C.c.Q., interdisant aux locateurs d’user de harcèlement envers les locataires :

1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.

Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs.

[50]     Bien que le Code civil ne définisse pas clairement la notion de harcèlement, la jurisprudence ainsi que la doctrine ont, au fil du temps, clarifié ce terme et établi des balises.

[51]     Le Tribunal souscrit à l’analyse faite par la juge administrative Jodoin dans la décision Sarault c. Ohana, qui elle-même se réfère à un article de Me Pierre Pratte définissant la notion de harcèlement au sens de l’article 1902 C.c.Q. :

« [77] L'article 1902 du Code civil du Québec fait partie des obligations inhérentes au bail.

[78] Dans son article intitulé « Le harcèlement envers les locataires et l'article 1902 du Code civil du Québec »(6), l'auteur Pierre Pratte définit le harcèlement comme suit :

« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l'effet dérangeant qu'elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l'auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l'article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :

« Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement » (7).

[79] Il ajoute ce qui suit :

« Toute conduite ayant une conséquence de restreindre la jouissance du locataire ne constitue pas nécessairement du harcèlement ; elle doit être une tactique choisie dans la mise en œuvre d'une stratégie plus ou moins planifiée en vue d'atteindre un objectif recherché et son effet immédiat (l'effet dérangeant) doit apparaître comme un objectif intermédiaire ou secondaire » (8).

[Notre soulignement]

[80] À cet égard, il fut reconnu que le harcèlement ne peut être apprécié de façon subjective puisque cela reviendrait à qualifier la situation à partir de la perception personnelle du locataire (9). »[11]

[52]    
De plus, l'auteur Denis Lamy, dans son ouvrage intitulé Le
harcèlement entre locataires et propriétaires s’est également livré à une analyse quant à la définition de harcèlement :

«Conduite vexatoire , généralement répétée et continue, qu'une personne adopte envers une autre, ses proches ou ses biens, se manifestant notamment par des comportements, des propos, des actes ou des gestes répétés, insultants, intimidants, illicites, humiliants, malveillants, discriminants, dégradants ou injurieux; qui sont soit hostiles ou non désirés, lesquels portent atteinte à la dignité ou à l'intégralité psychologique ou physique du locataire, en vue d'obtenir que ce dernier quitte son logement ou ayant comme conséquence de restreindre de façon continue et significative le droit de ce dernier au maintien dans les lieux ou son droit à la jouissance paisible des lieux. Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le ou la locataire… »[12]

[53]     Il ressort de ces analyses qu’une intention de nuire doit se dégager des agissements de la partie fautive, que ses agissements doivent avoir été répétés et continus et doivent avoir porté atteinte au locataire, soit en restreignant son droit à la jouissance paisible des lieux ou en ayant pour objectif que celui-ci quitte les lieux.

[54]     La preuve soumise au Tribunal ne fait aucun doute quant à la qualification des agissements du locateur.

[55]     Dès décembre 2018, le locateur, alors qu’il n’a aucun droit dans la réclamation de ses loyers se présente de façon répétée chez la locataire afin que celle-ci lui fasse ses paiements ou pour vérifier qu’elle les a faits. Il se présente sans préavis et en haussant le ton lui faisant des reproches à l’extérieur de son domicile devant les gens présents.

[56]     Par la suite, la situation ne fait qu’escalader et se dégrader. Tout d’abord, par les actions du locateur de se débarrasser des effets personnels de la locataire se trouvant à l’extérieur alors qu’elle est absente et ensuite jusqu’à la menacer verbalement et l’agresser physiquement en lien avec une balance due de 250 $ en loyer non payé.

[57]     Ce dernier événement démontre bien la progression des actions intentionnelles du locateur afin d’intimider la locataire et de lui enlever toute jouissance paisible des lieux, en plus de l’humilier publiquement.

[58]     De l’avis du Tribunal, ces actions constituent du harcèlement au sens de l’article 1902 C.c.Q. et doivent être sanctionnées.

[59]     Le Tribunal juge plus que raisonnable la demande en dommages moraux au montant de 500 $ réclamée par la locataire et lui octroie cette somme.

[60]     En effet, cette dernière a bien su expliquer les impacts que les comportements du locateur ont eus sur elle autant physiquement que psychologiquement et le Tribunal n’a aucune raison d’en douter.

[61]     Finalement, quant à l’exécution provisoire de la décision, celle-ci n’est pas justifiée en vertu de l’article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[13].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[62]     ACCUEILLE la demande de la locataire;

[63]     CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme globale de 922,58 $ à titre de diminution de loyer et de dommages matériels, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q à compter du 16 septembre 2019;

[64]     CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 500 $ à titre de dommages moraux, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q à compter du 16 septembre 2019;


[65]     CONDAMNE le locateur à payer à la locataire les frais de justice de 23 $.

 

 

 

 

 

 

 

Chantal Boucher

 

Présence(s) :

la locataire

Me Mylène Sabourin Simard, avocate de la locataire

le locateur

Date de l’audience : 

7 décembre 2020

Présence(s) :

la locataire

Me Alexandre Niquette, avocat de la locataire

Date de l’audience : 

15 août 2022

 

 

 


 


[1] Pièce L-1.

[2] Pièces L-2, L-7 à L-10 (matériels étant présents avant le ménage et ce qui reste après le ménage).

[3] Pièce L-5.

[4] Pièce L-6.

[5] Pièce L-3.

[6] Pièce L-4.

[7] Articles 2803, 2804 C.c.Q.

[8] 36-831208-001G, Me Gilles Joly.

[9] Denis LAMY, La diminution de loyer, Ed. Wilson & Lafleur ltée, 2004. pp. 29 et 30.

[10] Mateescu c. Société d’habitation et de développement de Montréal, 2016 QCRDL 10742.

[11] Sarault c. Ohana, 104593 31 20130806 G, le 13 juillet 2018, j.adm. Jodoin.

[13] RLRQ, chapitre T15.01.

AVIS :
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