Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Raymond) c. Paquin |
2021 QCTDP 20 |
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TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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N° : |
700-53-000030-191 |
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DATE : |
7 juin 2021 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
MARIO GERVAIS |
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AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURES : |
Me Jacqueline Corado Me Marie-Josée Paiement |
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COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant dans l’intérêt public et en faveur de LISE RAYMOND |
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Partie demanderesse |
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c. |
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martine paquin |
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Partie défenderesse |
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et |
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lise raymond |
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Partie victime |
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JUGEMENT |
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[1] La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Commission) allègue qu’entre le 30 juin 2015 et le 21 septembre 2016 (période de référence), Mme Martine Paquin a compromis le droit de Mme Lise Raymond à la protection contre l’exploitation des personnes âgées, en profitant de sa vulnérabilité pour s’approprier à des fins personnelles des sommes d’argent lui appartenant, en contravention avec l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne[1] (Charte).
[2] La Commission soutient que, par le fait même, Mme Martine Paquin a porté atteinte au droit de Mme Lise Raymond à la sauvegarde de sa dignité sans discrimination fondée sur son âge avancé, contrevenant ainsi aux articles 4 et 10 de la Charte.
[3] La Commission demande au Tribunal de condamner Mme Martine Paquin à verser à Mme Lise Raymond une somme de 24 759,54 $ répartie comme suit :
Ø 12 759,54 $ à titre de dommages matériels[2];
Ø 10 000 $ à titre de dommages moraux;
Ø 2 000 $ à titre de dommages punitifs.
[4] En outre, la Commission demande au Tribunal d’ordonner à Mme Martine Paquin de remettre à Mme Lise Raymond les meubles lui appartenant.
[5] Mme Martine Paquin conteste les prétentions de la Commission. Elle nie tout détournement de fonds en sa faveur. Elle soutient que pendant la période de référence, elle agissait en tant qu’aidante naturelle de Mme Lise Raymond. À ce titre, elle déclare que toute décision à son égard, incluant celles relatives à la gestion de son compte bancaire, a été prise dans l’intérêt supérieur de Mme Lise Raymond. Elle s’oppose à l’ordonnance de restitution des biens meubles au motif que sa mère lui en a fait don.
[6] Au surplus, Mme Martine Paquin rétorque que le recours intenté par la Commission est à ce point mal fondé en faits et en droit qu’il en devient abusif au sens de l’article 51 du Code de procédure civile[3]. Elle demande au Tribunal de condamner la Commission à lui verser une compensation au montant qu’il juge approprié.
[7] La présente affaire soulève les questions suivantes :
1)Mme Martine Paquin a-t-elle compromis le droit de Mme Lise Raymond d’être protégée contre l’exploitation des personnes âgées de même que son droit à la sauvegarde de sa dignité sans discrimination fondée sur l’âge, contrevenant ainsi aux articles 4, 10 et 48 de la Charte?
2)Dans l’affirmative, les sommes réclamées par la Commission à titre de dommages matériels, moraux et punitifs sont-elles justifiées, de même que la restitution de certains meubles?
3)En cas de rejet de la demande, le recours intenté par la Commission est-il abusif?
[8] Mme Lise Raymond est une dame âgée de 86 ans. Pendant la période de référence, elle est âgée de 81 et 82 ans.
[9] Mme Raymond est la mère de Mme Martine Paquin (Martine), Mme Line Paquin (Line) et de M. Daniel Paquin (Daniel). Mme Raymond et le père des enfants ont divorcé en 1987.
[10] Depuis que ses enfants ont atteint l’âge adulte, leurs relations sont marquées de conflits et de ruptures de contact pendant des périodes significatives. En outre, Line s’est généralement tenue à l’écart de son frère et de sa sœur.
[11] Entre 2000 et 2015, Mme Raymond habite seule un logement 3 ½ au Manoir du Sablon, un HLM dont le loyer au cours de la dernière année d’occupation est de 396 $ par mois. L’appartement de Mme Raymond est propre, bien décoré et aménagé de meubles neufs qu’elle renouvelle périodiquement.
[12] Bien qu’autonome, Mme Raymond ne faisait plus ses repas. Elle se nourrissait surtout de mets préparés. Elle bénéficiait d’un service d’aide à l’entretien et de soutien à domicile aux deux semaines de la part d’une entreprise d’économie sociale.
[13] Pendant ces années au Manoir du Sablon, Mme Raymond est décrite comme étant une personne sociable et ayant de l’entregent. Elle aime magasiner, notamment pour se procurer de beaux vêtements et des accessoires de décoration. Elle entretient une relation amicale particulière avec sa voisine, Mme Soula Dimas, qui peut l’aider au besoin. Mme Raymond et Mme Dimas se voient chaque jour et font ensemble de petites sorties. Mme Dimas, qui possède une voiture, accompagne Mme Raymond à ses divers rendez-vous.
[14] En 2013 et 2014, Line est régulièrement en contact avec sa mère. Elle remarque un déclin de ses fonctions cognitives. Lors de vacances en compagnie de sa mère à cette époque, Daniel fait le même constat.
[15] Le 14 mai 2014, Mme Raymond subit une évaluation de l’autonomie par Mme Debbie Valmé, technicienne en travail social au CLSC du Ruisseau-Papineau à Laval[4]. Au terme de cette évaluation, Mme Valmé écrit[5] :
Problèmes prioritaires décelés
- Troubles neurocognitifs;
- État affectif a changé depuis quelques mois, augmentation de l’anxiété et sentiment de tristesse;
- Rx [ordonnance] manque dans le dispil et d’autres sont oubliés;
- Soutien familial faible.
[…]
Orientation suggérée
- Implanter un suivi soins infirmiers court terme ép. 6 priorité 3 pour évaluation de la prise de médication. Demande faite;
- Si aucun autre besoin, référer au SIP.
[16] Mme Dimas confirme que Mme Raymond commençait à oublier des détails. Néanmoins, Mme Raymond gérait adéquatement ses affaires et veillait au paiement de ses factures.
[17] Le 18 juillet 2014, le médecin de famille de Mme Raymond pose un diagnostic d’Alzheimer[6].
[18] En octobre 2014, Martine contacte le Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval pour rapporter un incident survenu à l’épicerie au cours duquel Mme Raymond aurait fait sans motif une crise de colère envers une caissière. Une demande de service pour perte d’autonomie est ouverte[7].
[19] Début juin 2015, Mme Dimas quitte pour deux semaines en vacances en Alberta. Mme Raymond, privée du soutien de Mme Dimas, s’installe chez Martine pendant cette période.
[20] Pendant ce séjour, Martine propose à sa mère de venir habiter chez elle, dans son logement 4 ½, lui faisant valoir qu’elle s’inquiète de sa santé. Martine et son conjoint, Sylvain, disposeraient d’une chambre et Mme Raymond aurait sa propre chambre. Martine en discute également avec Daniel qui exprime son accord. Le déménagement s’effectue à la fin du mois de juin 2015.
[21] Daniel demeure néanmoins sceptique sur la viabilité de ce projet. Bien que Martine ait indiqué qu’elle hébergerait sa mère aussi longtemps qu’elle le pourrait, Daniel ne croyait pas que la cohabitation allait durer plus de deux mois. Bref, le déménagement semble précipité et la durée de cette cohabitation bien incertaine.
[22] Martine et Daniel considèrent qu’au moment du déménagement et pendant la cohabitation, l’état de démence de type Alzheimer de Mme Raymond était très avancé. Line et Mme Dimas sont d’opinion contraire. Certes, Mme Raymond éprouvait des difficultés sur le plan de la mémoire récente, mais demeurait apte et lucide.
[23] À cet égard, le 30 juin 2015, le médecin de famille de Mme Raymond signe un certificat médical attestant que sa patiente « est apte à décider pour ses biens et sa personne »[8]. Dans une lettre datée du 17 avril 2019, le médecin de famille de Mme Raymond la considère toujours « apte à gérer ses biens et s’occuper de sa personne »[9].
[24] Le 30 juin 2015, Mme Raymond signe une procuration bancaire désignant en premier lieu Martine comme mandataire et Daniel en second lieu[10].
[25] Mise devant le fait accompli, Line propose à Martine de l’aider dans la gestion des affaires de leur mère et d’avoir accès à son compte bancaire pour vérification. Elle rapporte que cette offre est sèchement refusée par Martine.
[26] Mme Dimas apprend la nouvelle du déménagement alors qu’il est en cours le jour de son retour de vacances. Elle parle brièvement avec Mme Raymond qui, en pleurs, est visiblement secouée. Elle tente de la réconforter.
[27] Mme Dimas constate que plusieurs sacs et boîtes contenant des vêtements, des accessoires, de la vaisselle, des conserves, des articles de maison et autres sont laissés en don aux résidents du Manoir du Sablon. L’opinion de Mme Raymond n’est pas sollicitée par Martine. Apprenant que Mme Raymond doit se débarrasser de ses électroménagers, Mme Dimas conviendra quelques jours plus tard de lui acheter sa cuisinière pour 350 $ qu’elle paie par chèque.
[28] Un mobilier de chambre, une chaise, une étagère, des cadres et des bibelots sont déménagés au logement de Martine. Celle-ci déclare que sa mère lui en a fait don immédiatement, hormis le mobilier de chambre qu’elle lui laisserait le jour où elle quitterait son logement pour intégrer un CHSLD.
[29] Certains autres biens ont été entreposés. Un réfrigérateur a ensuite été vendu 250 $ alors que d’autres biens ont été donnés à la famille élargie, principalement un love seat, une causeuse, une télévision, un ensemble de cuisine, une table, deux chaises, des chaudrons, une balayeuse, le fer et la planche à repasser. « Il fallait faire de la place », dit Martine.
[30] Les communications auparavant quotidiennes entre Mme Dimas et Mme Raymond diminuent radicalement dès le déménagement de cette dernière chez Martine. Elles ne se sont vues qu’à deux reprises dans les mois qui ont suivi alors que le transport a été offert à Mme Raymond par une travailleuse sociale du Manoir du Sablon.
[31] Le 15 septembre 2015, la travailleuse sociale de Mme Raymond, Mme Carole-Anne Savard, procède à une nouvelle évaluation de son autonomie. En ce qui concerne les fonctions mentales, elle note que Mme Raymond « oublie des faits récents (nom de personne, rendez-vous, etc.), mais se souvient des faits importants »[11]. Elle constate également que Mme Raymond peut quelques fois être désorientée par rapport au temps, à l’espace et avec les personnes[12]. La compréhension des consignes ne soulève aucune inquiétude[13]. Quant au jugement de Mme Raymond, il est inscrit qu’elle « évalue les situations et nécessite des conseils pour prendre des décisions sensées »[14]. Mme Raymond est en mesure de gérer seule son budget, mais avec difficulté. La prise de médication requiert une surveillance afin qu’elle soit rigoureusement administrée[15].
[32] Mme Raymond mentionne à Mme Savard être reconnaissante envers Martine et son conjoint pour l’aide offerte et les repas préparés. Elle souhaite résider avec sa fille le plus longtemps possible[16]. Sur le plan de la socialisation, Mme Raymond informe Mme Savard qu’elle a peu de contact avec Line, car cette dernière n’était pas d’accord à ce qu’elle aille vivre chez Martine. Mme Raymond demeure en contact avec son ancienne belle-sœur, Claudette, et voit occasionnellement une amie, Gisèle[17].
[33] Le portrait positif de la cohabitation lors de l’évaluation de septembre 2015 se détériore gravement à la fin de l’année 2015.
[34] Le 15 décembre 2015, Mme Savard rencontre Mme Raymond[18]. Celle-ci lui fait part de sa crainte d’être victime d’abus financiers par Martine qui lui prend tout son argent. Mme Raymond souligne que la situation financière du couple est précaire, Martine étant bénéficiaire de la sécurité du revenu alors que son conjoint a des revenus modestes, faisant de petits travaux çà et là. Au surplus, Mme Raymond ne peut avoir accès à un téléphone sans demander la permission à Martine qui, par la suite, écoute ses conversations. Mme Raymond est déçue de sa fille, ajoutant qu’elle aurait accepté de lui donner de l’argent si elle le lui avait demandé.
[35] Le 29 décembre 2015, Mme Savard entre en contact avec Martine. Celle-ci se plaint de ne pas recevoir d’aide en tant qu’aidante naturelle de sa mère. Elle n’a toutefois pas encore effectué les démarches recommandées auprès de l’organisme l’Antr’aidant qui offre du soutien aux proches aidants. Martine mentionne également être au courant que sa mère croit qu’elle l’exploite financièrement.
[36] Le 11 janvier 2016, Mme Savard rencontre Mme Raymond. Celle-ci lui réitère que Martine lui prend tout son argent. Elle souligne que Martine lui a déclaré que si elle était placée, « ils prendraient tout son argent »[19]. Mme Raymond exprime le désir d’aller vivre chez son fils Daniel.
[37] Le lendemain, Mme Savard remplit des formulaires afin que la famille reçoive des services de la Société de l’Alzheimer des Laurentides.
[38] À la mi-janvier 2016, Mme Savard et Martine entreprennent des démarches afin d’inscrire Mme Raymond à la Maison Aloïs. Cet organisme reçoit pour la journée des personnes présentant des troubles cognitifs et leur offre des activités de socialisation, ludiques et de stimulation. Par le fait même, la Maison Aloïs procure un répit aux proches aidants. Mme Raymond effectue sa première visite à la Maison Aloïs le 4 février 2016. Une intervenante, Mme Joannie Marinier, est attitrée à Martine et une autre intervenante, Mme Carolanne Charron, s’occupe plus spécifiquement de Mme Raymond.
[39] Le 15 février 2016, Martine téléphone à Mme Savard. Elle lui explique qu’elle considère lourde la tâche de prendre soin de sa mère. Elle souhaite que sa mère soit relocalisée en juin prochain. Elle demande à en discuter avec Mme Savard au printemps.
[40] Le 17 février 2016, lors d’un autre appel, Martine réitère son intention d’obtenir le placement de sa mère en CHSLD en mai ou en juin prochain. Martine explique qu’elle envisage de procéder en laissant sa mère à l’hôpital qui sera dans l’obligation, par la suite, de la placer en CHSLD.
[41] Mme Savard explique à Martine les motifs pour lesquels la situation de Mme Raymond ne requiert pas un placement en CHSLD et que le fait de procéder par le biais d’une hospitalisation en urgence n’y changera rien. Elle ajoute que Mme Raymond serait toutefois admissible à un placement au sein de résidences privées dotées d’un personnel plus spécialisé. Insatisfaite, Mme Paquin raccroche la ligne.
[42] Le 6 mars 2016, Line souligne l’anniversaire de sa mère en allant la chercher chez Martine pour la recevoir à la maison pour un brunch. À peine montée dans l’automobile, Mme Raymond fond en larmes. Elle relate que « Ça marche pas, je n’ai pas accès à mon argent, Martine me prend tout ». Une fois rendue chez Line, Mme Raymond répète à plusieurs reprises qu’elle est « abusée financièrement ». Elle mentionne qu’elle ne dispose jamais d’argent de poche et que Martine lui a même confisqué le chèque cadeau que Line lui avait remis à Noël. Elle ajoute qu’elle passe ses journées dans sa chambre et qu’elle n’a pas accès à un téléphone.
[43] Line amène ensuite sa mère à un guichet bancaire afin qu’elle retire 20 $ pour avoir un peu d’argent sur elle. Martine constate ce retrait de manière contemporaine alors qu’elle consulte en ligne le compte bancaire de sa mère. Elle communique alors avec Line. En colère et très agressive, Martine réprimande sévèrement sa sœur qui est consternée.
[44] Le lendemain, Line communique avec Mme Savard et lui fait part de ses inquiétudes d’abus financier et d’abus psychologique de Martine envers sa mère.
[45] En rencontre avec Mme Savard le 14 mars 2016, Mme Raymond réitère que Martine lui prend tout son argent et son souhait d’aller vivre avec son fils. Elle relate l’incident du retrait de 20 $ et indique qu’elle refuse dorénavant de parler à Line, sans en expliquer les motifs.
[46] Le 11 avril 2016, Mme Savard procède à une nouvelle évaluation de l’autonomie de Mme Raymond. Mme Savard constate un déclin de ses fonctions mentales. Elle perd davantage la mémoire et éprouve de la difficulté à comprendre les questions[20]. Mme Raymond mentionne vouloir quitter le domicile de Martine pour habiter avec son fils Daniel.
[47] Le 22 avril 2016, Martine communique avec Mme Marinier. Au cours de la conversation, Martine déclare qu’elle n’est pas une bénévole et qu’elle prend de l’argent appartenant à sa mère, car celle-ci ne lui fait plus de cadeaux[21]. Inquiète, Mme Marinier avise Mme Savard des propos de Martine.
[48] Mme Marinier rapporte également que Martine semble exercer un contrôle sur Mme Raymond. En effet, Martine lui a mentionné être en mesure de « faire dire ce qu’elle veut à sa mère »[22]. En outre, insatisfaite des services de Mme Savard, Martine lui a mentionné qu’elle s’oppose à ce que Mme Savard rencontre sa mère à la Maison Aloïs et qu’à cette fin, elle est prête à y annuler sa participation[23].
[49] Le 9 mai 2016, Martine refuse que Mme Savard rencontre sa mère dans sa chambre à la maison. Elle exige que la rencontre se déroule dans la salle à manger, se disant « tannée des petites cachoteries »[24].
[50] Le 10 juin 2016, Martine informe Mme Savard qu’elle souhaite voir sa mère intégrer une ressource de soins de longue durée. Mme Savard lui explique que Mme Raymond ne présente pas un profil requérant un placement de cette nature. Mme Savard ajoute que Mme Raymond pourrait intégrer une résidence privée avec services. Elle pourrait sans difficulté cibler des ressources capables de répondre aux besoins de Mme Raymond. Martine réagit à cette proposition en insultant Mme Savard et en demandant un changement de travailleuse sociale. Mme Savard lui répond qu’elle n’est pas la travailleuse sociale de Martine, mais bien celle de sa mère. Martine rétorque « qu’elle contrôle facilement sa mère. Si elle lui dit de demander un changement de travailleuse sociale, sa mère le fera. ʺSi je veux qu’elle tourne à droite, elle va tourner à droiteʺ »[25]. Martine ne permet plus à sa mère de rencontrer Mme Savard seule à la maison et exige d’être présente[26].
[51] Le 12 juillet 2016, Martine appelle Mme Marinier pour l’aviser que sa mère ne veut pas voir Mme Savard. Elle remet l’appareil à Mme Raymond qui l’informe « ne pas vouloir voir sa TS. Elle dit que Mme Savard la harcèle. Elle ajoute que la TS pose toujours les mêmes questions. Mme Raymond dit que la TS n’a pas l’air de comprendre qu’elle est bien chez sa fille »[27]. Mme Marinier est perplexe, d’autant plus que Mme Raymond s’exprime de manière machinale.
[52] Le 15 septembre 2016, en rencontre à la Maison Aloïs, Mme Raymond mentionne encore une fois à Mme Savard que Martine lui prend tout son argent, qu’elle est toujours dans sa chambre et qu’elle ne veut plus résider chez Martine. Elle est malheureuse au point d’entretenir des idéations suicidaires. Mme Savard l’informe qu’elle peut organiser son transfert au sein d’une ressource privée sans délai. Elles conviennent d’un déplacement à partir de la Maison Aloïs la semaine suivante, soit le 22 septembre 2016. Mme Marinier en est avisée ce même jour. Toutes trois conviennent de la nécessité de ne pas en informer Martine.
[53] Le 16 septembre 2016, la résidence Arc-en-ciel est retenue pour accueillir Mme Raymond le 22 septembre 2016.
[54] Le déplacement de Mme Raymond ne se déroule toutefois pas tel que planifié. Contre toute attente, le 17 septembre 2016, Martine conduit sa mère au Centre hospitalier de Saint-Jérôme, puis quitte les lieux après avoir demandé son placement. Mme Raymond est confuse, ne comprend pas ce qu’elle fait à l’hôpital et ignore les motifs pour lesquels Martine est partie sans explication.
[55] Les notes au dossier médical de Mme Raymond indiquent « Fille a refusé de rester au chevet de sa mère même si je voulais lui parler. À dit qu’elle reviendrait lundi […] Patiente triste d’avoir été abandonnée »[28]. Tant l’infirmier que Mme Raymond ont tenté de joindre Martine sans succès. Sous la rubrique Motifs, il est noté « Démence Alzheimer légère - dumping de sa fille qui refuse de nous parler »[29]. Mme Raymond reçoit son congé de l’hôpital le lendemain et intègre la résidence Arc-en-ciel[30].
[56] Martine reconnaît avoir laissé seule sa mère à l’hôpital. Elle témoigne avoir agi de la sorte sur les conseils du médecin de famille qui l’avait informée qu’il s’agit parfois de la seule façon « d’entrer dans le système » et d’obtenir qu’une personne âgée puisse intégrer un CHSLD. Or, le médecin de famille nie avoir tenu de tels propos[31]. En outre, le 20 septembre 2016, Martine déclare plutôt à Mme Marinier qu’une travailleuse sociale lui avait conseillé de faire hospitaliser sa mère si elle n’était plus en mesure d’en assumer la charge[32]. Le 21 septembre 2016, Martine mentionne à Mme Savard avoir agi non seulement sur les recommandations de sa travailleuse sociale, mais aussi d’un infirmier. Enfin, Martine justifie son départ précipité de l’hôpital par le fait qu’elle était profondément éprouvée d’enclencher le placement de sa mère.
[57] Mme Diane Trudeau, une amie de Mme Paquin, témoigne avoir conseillé à Martine d’amener sa mère à l’hôpital pour obtenir son placement en CHSLD. Elle mentionne avoir agi ainsi dans le passé pour mettre fin à l’hébergement chez elle de sa propre mère.
[58] Le 23 septembre 2016, Mme Savard se rend chez Martine pour récupérer les vêtements de Mme Raymond.
[59] Le 26 septembre 2016, Mme Savard téléphone à Martine pour cette fois obtenir la restitution des meubles de Mme Raymond. Elle suggère que Line s’en charge. Martine refuse et demande à Mme Savard de venir les récupérer.
[60] Le 3 octobre 2016, Martine rapporte le téléviseur de sa mère à la Maison Arc-en-ciel.
[61] Les 13, 20, 28 octobre et 2, 3 novembre 2016, Mme Savard laisse un message dans la boîte vocale de Martine pour l’aviser que Mme Raymond veut récupérer ses meubles laissés au logement. Ces appels demeurent sans retour.
[62] Les dispositions de la Charte applicables à la présente affaire sont :
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
48. Toute personne âgée ou toute personne handicapée a droit d’être protégée contre toute forme d’exploitation.
Telle personne a aussi droit à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[63] Il est bien établi que la Charte, en raison de sa nature quasi constitutionnelle, doit faire l’objet d’une interprétation large et libérale[33]. Ce principe est donc applicable au droit à la protection contre l’exploitation des personnes âgées.
[64] La protection contre l’exploitation édictée à l’article 48 s’applique aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Ces catégories de personnes ne sont toutefois pas définies.
[65] Dans Brzozowski[34], le Tribunal indique que « l’expression ʺpersonne âgéeʺ, dans la littérature des sciences sociales, désigne la personne âgée d’au moins 65 ans »[35]. Le Tribunal précise toutefois qu’au sens de l’article 48 de la Charte, cette expression « n’a aucune connotation autre que de signifier ʺpersonne d’un âge plus avancéʺ »[36].
[66] Dans Gagné[37], le Tribunal ajoute à ces propos qu’en l’absence de définition dans la Charte, la notion de personne âgée « doit s’entendre des personnes que l’âge a rendues vulnérables et qui peuvent s’inscrire dans un rapport de dépendance, qu’elle soit physique, économique, affective ou psychologique, au même titre que toutes les exploitations interdites par la Charte »[38].
[67] Le fait qu’une personne soit âgée ne signifie pas, à lui seul, qu’elle soit dans un état de dépendance ou de vulnérabilité[39]. Rappelons à cet égard la mise en garde du Tribunal dans R.T.[40] selon laquelle « conclure que toute personne âgée est nécessairement vulnérable au point où la protection de l’article 48 de la Charte s’appliquerait n’a pas de fondement empirique et véhiculerait des préjugés non fondés »[41].
[68] Dans Vallée[42], la Cour d’appel mentionne que la protection édictée à l’article 48 de la Charte en faveur de la personne âgée ou handicapée s’applique à « toute forme d’exploitation même si, du strict point de vue des règles de droit civil, son consentement est valide ou encore lorsqu’elle ne satisfait pas les conditions pour être déclarée inapte »[43].
[69] L’article 48 de la Charte offre donc une protection plus étendue[44] que celle établie au Code civil du Québec[45]. Une situation d’exploitation peut être constatée même dans un cas où le consentement de la personne âgée respecte les conditions établies par le Code civil du Québec. Il en va de même dans les situations où ces personnes ne bénéficient d’aucun régime de protection pour inaptitude.
[70] Par contre, en l’absence d’exploitation, le Tribunal doit reconnaître et respecter la liberté et le plein exercice des droits civils d’une personne âgée ou handicapée, qui « même vulnérable, conserve l’entier contrôle de ses biens »[46] et peut en disposer « selon sa volonté et même à son détriment »[47].
[71] La protection contre l’exploitation édictée à l’article 48 prend assise sur les concepts de vulnérabilité, de dépendance d’une personne vis-à-vis une autre, d’abus et de mise à profit. L’exploitation peut ainsi se manifester par une « disproportion, un déséquilibre important et injuste »[48] dans les rapports entre la personne âgée et celle qui en abuse.
[72] Le Tribunal doit conclure à une situation d’exploitation d’une personne âgée lorsque la demanderesse, en l’occurrence la Commission, fait la démonstration, par prépondérance de preuve, des éléments suivants[49] :
1- une mise à profit ;
2- d’une position de force ;
3- au détriment d’intérêts plus vulnérables.
[73] L’appréciation de ces trois éléments s’effectue en tenant compte que l’article 48 de la Charte ne se limite pas à l’exploitation « économique, financière ou matérielle »[50], mais vise toutes ses formes, dont l’exploitation « d’ordre physique, psychologique, social ou moral »[51]. À cet égard, dans Rankin[52], le Tribunal écrit :
[168] L’exploitation peut prendre plusieurs formes :
a) Elle est financière lorsque la personne qui exploite la personne âgée vulnérable s’enrichit économiquement ou utilise l’argent de la personne âgée pour ses propres besoins, au détriment de la personne qu’elle exploite ou sans une autorisation valide ;
b) Elle est physique lorsque la personne âgée vulnérable est négligée, mal nourrie, laissée sans surveillance adéquate ou dans un milieu non sécuritaire, privée de soins de base, de soins médicaux ou de services sociaux, victime d’abus physiques ; enfin,
c) Elle est psychologique ou affective lorsque la personne est menacée, victime d’abus verbaux ou de chantage et isolée.
[74] Lors d’allégations d’exploitation d’une personne âgée et vulnérable par appropriation à des fins personnelles de sommes d’argent lui appartenant, la démonstration d’une mise à profit requiert « la preuve que le défendeur a profité, de manière volontaire ou involontaire, de la vulnérabilité de [la personne âgée] et de sa position de force pour s’enrichir au détriment des intérêts de cette dernière »[53].
[75] Quant à l’évaluation de la vulnérabilité de la personne âgée, elle requiert la prise en considération de nombreux facteurs, soit des facteurs de vulnérabilité liés à ses caractéristiques personnelles et des facteurs de risque liés à son environnement social et humain, notamment :
[60] L’âge avancé d’une personne, les maladies et les déficits physiques et cognitifs, le faible niveau de scolarité ou l’analphabétisme, le décès du conjoint, la dépendance pour les soins de base et l’isolement sont des facteurs de vulnérabilité qui ont été retenus en jurisprudence.[54]
[76] À ces facteurs, dans Rankin[55], le Tribunal ajoute :
[172] L’âge avancé n’est pas synonyme de vulnérabilité et, bien que source générale de vulnérabilité, il n’est pas suffisant pour l’établir. La maladie et les pertes associées au vieillissement en constituent par contre des sources spécifiques dont l’importance a une incidence corrélative directe sur le niveau de dépendance - physique, mentale ou émotive de la personne face à son entourage et son environnement - dépendance qui constitue aussi un facteur de vulnérabilité ou accroît la vulnérabilité préexistante en créant une source de pouvoir pour ceux dont la personne âgée dépend.
[77] L’exploiteur doit également être dans une position de force vis-à-vis la personne vulnérable. L’évaluation de la vulnérabilité et celle de la position de force sont si étroitement liées que le degré de vulnérabilité de la personne âgée doit entrer en ligne de compte pour déterminer l’existence d’une position de force. Ainsi, « [s]elon que la personne âgée est plus ou moins vulnérable, la position de force qui entraîne une exploitation peut être plus ou moins importante »[56]. En d’autres termes, plus la victime est vulnérable, plus il sera facile de conclure à une position de force à partir des faits.
[78] L’évaluation des rapports et du degré de déséquilibre entre les parties s’avère donc des plus pertinentes pour déterminer si la partie défenderesse dans une affaire d’exploitation était en position de force par rapport à la personne âgée vulnérable.
[79] Par ailleurs, la jurisprudence reconnaît qu’une violation du droit à la protection contre l’exploitation d’une personne âgée établi à l’article 48 constitue, par le fait même, une atteinte au droit de cette personne à la sauvegarde de sa dignité garanti à l’article 4 de la Charte[57].
[80] La notion de dignité humaine est notamment définie par la Cour suprême dans l’arrêt Law[58] :
[53] […] La dignité humaine signifie qu’une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi. Elle relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelles, qui n’ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne.
[81] La jurisprudence subséquente établit le principe fondamental selon lequel la dignité humaine « apparaît ainsi comme ‘‘la pierre angulaire’’ de la Charte, comme une ‘‘valeur sous-jacente’’ à l’ensemble des droits et libertés qu’elle protège »[59]. La dignité humaine consiste au « respect auquel a droit la personne pour elle-même, en tant qu’être humain et sujet de droit »[60] et à la reconnaissance que « chaque être humain possède une valeur intrinsèque qui le rend digne de respect »[61].
Mme Martine Paquin a-t-elle compromis le droit de Mme Lise Raymond d’être protégée contre l’exploitation des personnes âgées de même que son droit à la sauvegarde de sa dignité sans discrimination fondée sur l’âge, contrevenant ainsi aux articles 4, 10 et 48 de la Charte ?
[82] La situation de Mme Raymond reflète plusieurs des facteurs reconnus en doctrine et par la jurisprudence pour conclure à la vulnérabilité d’une personne âgée.
[83] Depuis son diagnostic d’Alzheimer en juillet 2014, les pertes cognitives, les déficits physiques et les limitations fonctionnelles de Mme Raymond ne cessent de s’accentuer, lesquels doivent être compensés par un soutien psychosocial et par des services à domicile.
[84] Mme Raymond est âgée de 81 ans lorsqu’elle emménage chez Martine et son conjoint en juin 2015. Dotée de revenus modestes, elle renonce ainsi à un logement subventionné (HLM).
[85] En quittant le Manoir du Sablon, Mme Raymond perd le soutien quotidien de sa voisine et amie, Mme Dimas. Son déménagement met également fin au service d’aide à l’entretien et de soutien à domicile qui lui était offert à cet endroit aux deux semaines par une entreprise d’économie sociale.
[86] Mme Raymond se retrouve désormais totalement dépendante de Martine pour la supervision de sa médication, pour la préparation de ses repas, pour faire ses courses, pour retirer de l’argent à la banque ou pour toute autre activité nécessitant un déplacement.
[87] Rapidement, le réseau social de Mme Raymond s’effrite. Les relations d’amitié qu’elle avait tissées avec Mme Dimas et plusieurs autres résidentes du Manoir du Sablon sont brusquement interrompues. Jamais Martine et son conjoint n’y conduiront Mme Raymond pour favoriser le maintien de ses relations personnelles avec les personnes qui lui sont les plus significatives. De fait, Mme Raymond ne les visitera qu’à deux reprises, chaque fois son transport étant effectué par une travailleuse sociale.
[88] Mme Raymond ne peut utiliser le téléphone sans la permission de sa fille qui écoute la conversation. Mme Raymond obtempère, craignant de contrarier Martine.
[89] En outre, Martine insiste pour être présente lorsque sa mère rencontre sa travailleuse sociale, Mme Savard. Lorsque cette dernière envisage de plutôt rencontrer Mme Raymond lorsqu’elle assiste aux activités de la Maison Aloïs, Martine menace de retirer sa mère et de la garder à la maison. De plus, la présence de Martine à ces rencontres fait en sorte que Mme Raymond n’est pas en position de s’exprimer librement auprès de sa travailleuse sociale.
[90] Mme Raymond vit de plus en plus isolée, n’ayant que peu de sorties, principalement la fréquentation de la Maison Aloïs. Elle se plaint du peu d’activités et de son isolement, étant souvent confinée à sa chambre.
[91] Sur le plan de sa gestion financière, Mme Raymond est entièrement tributaire de l’administration de Martine qui a la mainmise sur son compte bancaire.
[92] Le Tribunal ne croit pas Martine lorsqu’elle affirme qu’elle faisait une reddition de compte mensuelle à sa mère. La crédibilité sérieusement entachée de son témoignage, tel que nous le verrons ultérieurement, fait en sorte que le Tribunal ne peut la croire sur parole.
[93] Au surplus, l’absence de facture au soutien de sa prétention, certaines jetées chaque mois, malgré les craintes répétées d’exploitation financière exprimées par Mme Raymond, d’autres jetées ou perdues après sa rencontre avec l’enquêteur de la Commission selon ses dires, s’avère suspecte. Le Tribunal retient plutôt de la preuve que lorsque Mme Raymond a exprimé des inquiétudes sur l’utilisation de ses fonds par Martine, celle-ci a surtout tenté de la convaincre du contraire, en lui faisant valoir qu’il lui en coûterait davantage si elle devait résider dans une résidence privée pour personnes âgées. Nous y reviendrons également plus loin.
[94] Quant à la reddition de compte qu’elle faisait à son frère, il ressort clairement du témoignage de ce dernier qu’elle était des plus superficielles. Bien que Martine et Daniel prétendent que celui-ci ait examiné mensuellement les dépenses encourues au bénéfice de Mme Raymond, Daniel déclare à l’audience n’avoir aucun souvenir des arrangements financiers entre sa mère et Martine qui se sont pourtant échelonnés sur environ 15 mois. Bref, comme Daniel le dira à plusieurs reprises en témoignage, à partir du moment où il n’avait pas à avancer de l’argent pour combler les besoins de sa mère, cela lui était suffisant pour conclure que Martine gérait correctement les finances de sa mère.
[95] Dans ces conditions, la vulnérabilité de Mme Raymond était telle qu’elle ne pouvait plus quitter ce milieu de vie, puisqu’elle n’en avait ni la force physique, ni les moyens ou l’autonomie nécessaire.
[96] Le Tribunal conclut que Mme Raymond était une personne vulnérable au sens de l’article 48 de la Charte pendant la période de référence.
[97] Une personne vulnérable, âgée ou handicapée, « doit pouvoir faire des choix libres et éclairés, et toute entrave significative à ce droit par une personne en position de force constitue de l’exploitation »[62].
[98] Or, en l’occurrence, Mme Raymond a été sérieusement entravée ou mise à l’écart lors de la prise de décisions d’importance à son sujet, Martine en exerçant alors le plein contrôle, notamment en ce que
Ø Martine est la personne qui a eu l’idée et qui, avec l’aide de son frère, a convaincu sa mère de venir habiter chez elle. Le déménagement s’est fait de manière précipitée, laissant peu de temps à Mme Raymond pour y réfléchir;
Ø Le jour du déménagement, Mme Raymond est sous le choc, triste et passive selon les observations de Mme Dimas. Martine prend les principales décisions concernant les vêtements de sa mère qui seront laissés sur place et ceux qui seront apportés au logement;
Ø Martine a décidé quels meubles et effets de sa mère garniraient sa résidence, lesquels seraient donnés à la famille élargie et lesquels seraient vendus;
Ø Malgré l’importance que représentait pour Mme Raymond son réseau social, Martine n’a pris aucune mesure pour en favoriser le maintien, ce qui a contribué à l’isolement de sa mère;
Ø Mme Raymond ne pouvait faire le choix d’appeler qui elle voulait et quand elle le voulait sans obtenir l’autorisation de Martine;
Ø Martine écoutait les conversations téléphoniques de Mme Raymond;
Ø Malgré le fait que Mme Raymond fréquentait avec un enthousiasme certain la Maison Aloïs, Martine n’a pas sollicité son avis avant de décliner la proposition de la travailleuse sociale visant à ce que sa mère y passe une journée supplémentaire par semaine pour participer aux activités qui y sont offertes[63];
Ø Martine s’est imposée, sans égard à ce que sa mère pouvait en penser, en exigeant d’être présente à ses rencontres avec sa travailleuse sociale pour mettre fin aux « cachoteries »;
Ø Martine n’a pas consulté sa mère lorsqu’elle a songé à la transférer dans une résidence offrant un niveau plus élevé de soins;
Ø Martine n’a jamais consulté sa mère ni même pris le soin de l’informer de sa décision de mettre fin à son hébergement chez elle. Martine a conduit sa mère à l’hôpital pour cruellement l’y abandonner, sans aucune d’explication, en la laissant seule, démunie, dans le désarroi et l’incompréhension la plus profonde.
[99] Par ailleurs, Martine exerce ouvertement son contrôle sur sa mère en déclarant sans ambages aux intervenantes sociales et à sa sœur Line que sa mère agira en conformité avec ce qu’elle lui commandera de faire et dira ce qu’elle lui demandera de dire. La travailleuse sociale de sa mère n’a pas libre accès à Mme Raymond. Lorsqu’elle se sent confrontée, Martine n’hésite pas à se plaindre de ses services, allant jusqu’à manipuler sa mère afin qu’elle refuse dorénavant toute communication avec Mme Savard à partir de juillet 2016.
[100] Par ailleurs, réitérons sous cette section que Mme Raymond était tributaire de la gestion de Martine sans véritable reddition de compte. Martine disposait d’une procuration lui octroyant toute latitude pour accéder au compte bancaire de sa mère, que ce soit au comptoir, au guichet à l’aide d’une carte de débit, ou en ligne. En outre, Martine ne lui laisse pas suffisamment d’argent de poche pour son usage personnel.
[101] Le Tribunal conclut que Martine était en position de force par rapport à sa mère qui était sous son emprise.
[102] Le Tribunal doit maintenant déterminer si Martine a profité de sa position de force devant la vulnérabilité de sa mère pour s’approprier sans droit des sommes lui appartenant.
[103] Avant d’entreprendre l’analyse financière de la situation de Mme Raymond, le Tribunal entend exposer, en toile de fond, certains faits troublants révélés par la preuve.
[104] Le 22 avril 2016, en rencontre avec Mme Marinier, Martine déclare[64] :
Mme [Martine] termine en mentionnant « je prends de l’argent, pi? J’pas bénévole ! ». Elle ajoute que lorsque sa mère a déménagé chez elle, Lise lui payait des choses. Elle dit que maintenant elle ne lui paye plus rien, donc parfois elle en prend. Mme dit que c’est la même affaire.
[105] Le contenu de cet aveu rapporté par Mme Marinier est fiable. Mme Marinier mentionne avoir été saisie par les propos de Martine et s’être souciée de les reproduire fidèlement dans ses notes d’évolution précitées.
[106] Par cet aveu, non seulement Martine reconnaît s’approprier de l’argent appartenant à sa mère, mais en précise également le motif, soit que sa mère avait cessé de « lui pay[er] des choses ». Pour Martine, « piger » dans le compte bancaire de sa mère relevait alors de « la même affaire », légitimant ainsi son comportement.
[107] Par ailleurs, Mme Raymond, en exprimant ses craintes d’être victime d’abus financiers en rencontre avec Mme Savard, lui avait rapporté, le 11 janvier 2016, la déclaration suivante de Martine : « Si tu étais placée, ils prendraient tout ton argent »[65]. Mme Raymond a également informé Line des propos de nature similaire tenus par Martine : « Dans un CHSLD, ton argent serait confisqué alors je te confisque ton argent »[66].
[108] En dernier lieu, la crise et la charge agressive de Martine, en réaction au simple fait que Line ait accompagné sa mère pour retirer 20 $ de son compte bancaire, sont suspectes, à plus forte raison lorsque Martine déclare être convaincue qu’il s’agissait pour Line d’un moyen d’examiner les comptes bancaires de sa mère.
[109] La preuve révèle que pendant la période de référence, les revenus de Mme Raymond sont constitués de prestations de la Pension de la Sécurité de vieillesse du Canada, du Régime des rentes du Québec, du Crédit d’impôt pour solidarité du Québec et du Crédit pour la taxe sur les produits et services du Canada. Toutes ces prestations font l’objet d’un dépôt direct au compte-chèques de Mme Raymond à la Banque de Montréal[67].
[110] Selon le relevé bancaire pour la période se terminant le 24 juillet 2015, le solde de ce compte au 26 juin 2015 est de 147,15 $[68]. Au 19 septembre 2016, le solde de ce compte est de 107,16 $. Ces soldes, à 40 $ près, permettent de constater qu’entre l’arrivée de Mme Raymond chez Martine et son départ, l’ensemble de ses revenus ont été retirés de son compte. Martine aurait procédé ainsi par transfert de fonds en sa faveur, en payant diverses factures à même le compte bancaire, en effectuant elle-même des retraits bancaires ou en accompagnant sa mère à la banque à cette fin.
[111] Il appert également de ce relevé bancaire que ce n’est qu’à la suite du dépôt, le 26 juin 2015, de prestations de la Pension de la sécurité de vieillesse et du Régime des rentes du Québec, que ce compte comporte suffisamment de liquidités pour un premier retrait par Martine d’un montant de 1 300 $, le 30 juin 2015. Cette dernière date correspond à la date de la signature de la procuration bancaire désignant Martine et son frère mandataires.
[112] Voici un tableau récapitulatif des revenus de Mme Raymond durant la période de référence :
Relevés bancaires |
Pension de la Sécurité de vieillesse du Canada |
Régime des rentes du Québec |
Crédit d’impôt pour solidarité du Québec |
Crédit pour TPS |
Total mensuel |
26 juin - 24 juillet 2015 |
1 128,14 $ |
331,86 $ |
34,25 $ |
103,75 $ |
1 598,00 $ |
25 juillet - 25 août 2015 |
1 129,80 $ |
331,86 $ |
34,25 $ |
— |
1 495,91 $ |
26 août - 25 sept. 2015 |
1 129,80 $ |
331,86 $ |
34,25 $ |
—- |
1 495,91 $ |
26 sept. - 23 octobre 2015 |
1 129,80 $ |
331,86 $ |
34,25 $ |
103,75 $ |
1 599,66 $ |
24 octobre - 25 nov. 2015 |
1 141,78 $ |
331,86 $ |
34,25 $ |
—- |
1 507,89 $ |
26 nov. - 24 déc. 2015 |
1 141,78 $ 1 141,78 $ |
331,86 $ |
34,25 $ |
— |
2 649,67 $ |
25 déc. 2015 - 25 janvier 2016 |
—- |
331,86 $ |
34,58 $ |
103,75 $ |
470,19 $ |
26 janvier - 25 févr. 2016 |
1 143,12 $ 1 143,12 $ |
335,84 $ |
34,58 $ |
— |
2 656,66 $ |
26 févr. - 24 mars 2016 |
— |
335,84 $ |
34,58 $ |
— |
370,42 $ |
25 mars - 25 avril 2016 |
1 143,12 $ |
335,84 $ |
34,58 $ |
103,75 $ |
1 617,29 $ |
26 avril - 25 mai 2016 |
1 143,12 $ |
335,84 $ |
34,58 $ 2,09 $ |
— |
1 515,63 $ |
26 mai - 23 juin 2016 |
1 143,12 $ |
335,84 $ |
34,58 $ |
— |
1 513,54 $ |
24 juin - 25 juillet 2016 |
1 143,12 $ |
335,84 $ |
—- |
105,25 $ |
1 584,21 $ |
26 juil. - 25 août 2016 |
1 223,76 $ |
335,84 $ |
— |
— |
1 559,60 $ |
26 août - 23 sept. 2016 |
1 223,76 $ |
335,84 $ |
— |
— |
1 559,60 $ |
Grand Total |
|
|
|
|
23 194,18 $ |
[113] Suivant ce tableau, les revenus totaux de Mme Raymond pendant la période de référence s’élèvent à 23 194,18 $.
[114] Au surplus, Martine déclare avoir vendu la cuisinière de sa mère 350 $ et son réfrigérateur 250 $. Le produit de cette vente s’élève à 600 $ et doit être ajouté aux revenus récurrents qui précèdent, pour atteindre 23 794,18 $.
[115] De cette somme, la Commission allègue que Martine a profité de la vulnérabilité de Mme Raymond pour s’approprier 12 759,54 $ à des fins personnelles. Qu’en est-il véritablement?
[116] Martine reconnait être la seule gestionnaire du compte bancaire de sa mère, bien que la procuration signée en sa faveur, le 30 juin 2015, désigne également son frère Daniel en tant que mandataire. S’il arrivait que sa mère effectue des retraits à la banque, Martine était présente.
[117] Martine déclare que toutes les dépenses payées à même ce compte bancaire l’ont été au bénéfice de Mme Raymond, hormis quelques cadeaux reçus de sa mère. Elle ajoute qu’elle rendait compte de sa gestion à son frère et à sa mère.
[118] Au soutien de son affirmation, Martine ne dépose en preuve aucune facture en lien avec une dépense au seul bénéfice de sa mère. Martine déclare les avoir mises à la poubelle. Martine déclare toutefois avoir longtemps conservé certaines factures, soit celles provenant de la pharmacie, de la Maison Aloïs et d’un service subventionné de maintien à domicile. Elle ajoute les avoir présentées à l’enquêteur de la Commission. Contre toute attente, l’enquêteur les aurait balayées du revers de la main sans y accorder le moindre intérêt. C’est à la suite de cette rencontre que Martine aurait jeté à la poubelle l’ensemble des factures. En ce qui concerne ces dernières factures, elle soulève également l’hypothèse qu’elle pourrait les avoir égarées.
[119] Or, en sa qualité de mandataire, Martine avait le devoir d’« agir avec prudence et diligence »[69] dans la gestion du compte bancaire de sa mère. S’y ajoutaient des obligations d’honnêteté, de loyauté et d’« éviter de se placer dans une situation de conflit entre son intérêt personnel et celui de son mandant »[70]. Martine devait aussi tenir sa mère informée de l’exécution de son mandat[71] et, à la fin de celui-ci, était tenue de lui rendre compte des retraits qu’elle avait effectués[72].
[120] Ces devoirs et obligations militaient en faveur de la conservation des factures d’autant plus qu’au départ, il était convenu que l’hébergement de Mme Raymond serait temporaire. Martine s’était alors engagée à s’occuper de sa mère tant qu’elle le pourrait, ce qu’elle prévoyait être en mesure de faire pour une période d’un an à 18 mois. Elle était déjà, et ce, depuis 2013, en invalidité permanente en raison de sérieux problèmes de santé, notamment une fibromyalgie et des douleurs chroniques.
[121] En tant qu’aidante naturelle elle-même diminuée par la maladie, le projet de cohabitation était fragile. À plus ou moins brève échéance, un déplacement de Mme Raymond au sein d’une ressource plus spécialisée devait s’actualiser, ce dont Martine avait conscience et qualifiait dès le premier jour de « plan B ». D’ailleurs, dès le mois de février 2016, Martine avait prévenu Mme Savard qu’elle souhaitait une relocalisation de sa mère à compter du mois de mai ou juin 2016, pour ensuite se raviser[73].
[122] En dernier lieu, Martine reconnaît en témoignage que sa mère pouvait fréquemment l’accuser de lui voler son argent. Plus encore, une enquête de la Commission a été déclenchée. Dans ce contexte, la mise à la poubelle de factures ou la perte de certaines d’entre elles sont étonnantes[74]. Selon le Tribunal, tenant compte de ce contexte, soit cette disparition relève d’une insouciance téméraire, Martine se privant ainsi de documents susceptibles de l’exonérer, soit elle révèle une crainte que l’examen des factures laisse entrevoir une malversation de sa part. À cet égard, dans Riendeau c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession Provencher)[75], la Cour d’appel écrit :
[30] […] L’absence de preuve documentaire est en effet intrinsèquement liée à la dynamique de l’exploitation. La personne qui exploite aura toujours intérêt à ne pas documenter ses abus financiers.
[123] Le Tribunal doit donc évaluer les frais de subsistance de Mme Raymond pendant la période de référence suivant ses besoins selon la preuve dont il dispose.
[124] Martine affirme que de manière générale, les dépenses communes étaient réparties en parts égales entre Mme Raymond, elle-même et son conjoint Sylvain. Le montant réclamé à ce titre à Mme Raymond par Martine fait toutefois l’objet d’une preuve contradictoire.
[125] Lors d’une visite chez Martine peu après le déménagement de sa mère, Line affirme que sa sœur l’a informée que la participation de Mme Raymond au paiement du loyer était de 400 $ par mois et qu’un montant mensuel de 200 $ lui serait réclamé pour l’épicerie. Mme Raymond, présente lors de cette discussion, lui a confirmé les termes de cette entente.
[126] Mme Raymond a réitéré à deux reprises à son intervenante sociale, Mme Savard, qu’un montant de 400 $ avait été convenu en paiement du loyer et à une reprise qu’une somme de 200 $ avait été retenue pour le paiement de l’épicerie, tel qu’il appert de ses notes personnelles au dossier de la bénéficiaire :
Le 11 janvier 2016 : Mme Raymond nous mentionne que sa fille retire mensuellement, tous les revenus que Mme reçoit. Mme Raymond nous mentionne que sa fille lui aurait dit la phrase suivante, dans les dernières semaines "Si tu étais placée, ils prendraient tout ton argent". À son arrivée, fille avait mentionné à Mme qu’elle ne lui chargerait que 400 $ par mois et que Mme devait payer pour sa nourriture, ce qui n’est plus le cas actuellement; [76]
Le 14 mars 2016 : Mme mentionne que sa fille Martine prend la totalité de ses revenus, mensuellement. Mme mentionne qu’à son arrivée, elle payait 400 $ pour le loyer et environ 200 $ pour les courses. Mme mentionne que depuis le mois de janvier, fille Martine prendrait la totalité de ses revenus.[77]
[127] En témoignage, Martine affirme plutôt qu’elle réclamait à sa mère un loyer de 500 $ par mois, en 2015, et de 600 $ par mois, en 2016, excluant l’épicerie ou toute autre dépense personnelle de Mme Raymond.
[128] Dans sa déclaration assermentée à l’enquêtrice de la Commission en date du 23 février 2017, Martine indique qu’elle réclamait un loyer encore plus élevé, « entre 600 $ et 700 $ pour sa chambre et elle payait sa nourriture, médicaments, Maison Aloïs, etc. »[78].
[129] Dans les circonstances, le Tribunal retient que la preuve la plus fiable concernant le loyer payé par Mme Raymond est celle qui ressort du témoignage de Line et des notes prises par l’intervenante sociale lors d’une rencontre avec Mme Raymond, et conclut que le loyer convenu était de 400 $. Le fait que Line ait reçu cette information de manière contemporaine à l’intégration de Mme Raymond chez Martine et que Mme Raymond ait maintenu ce même montant au fil du temps, soit en janvier et en mars 2016 avec sa travailleuse sociale, en confirme la fiabilité.
[130] En outre, en tenant compte que le bail du logement de Martine et de son conjoint comportait un loyer de 830 $ par mois en 2015[79], que les frais mensuels d’électricité étaient d’environ 73 $ par mois[80], et que les services de télécommunication Bell étaient approximativement de 50 $ par mois pour la téléphonie[81] et 50 $ par mois pour la télévision, nous obtenons un total de 1 003 $ par mois. Ce total représente une dépense mensuelle de 334 $ pour chacun des occupants. Le montant de 400 $, déjà avantageux pour Martine, est le seul parmi ceux qui ont été avancés qui se situe dans l’ordre de grandeur d’une répartition égale des dépenses communes entre Mme Raymond, Martine et son conjoint.
[131] Le Tribunal considère donc comme avérée l’entente intervenue entre Martine et sa mère pour le paiement d’un loyer mensuel de 400 $. Les dépenses de loyers pour la période de référence de 15 mois sont donc de 6 000 $. Ce montant inclut tous les services disponibles dans le logement.
[132] La preuve révèle également qu’une somme de 200 $ par mois était consacrée à l’épicerie de Mme Raymond. Ce montant provient encore une fois du témoignage de Line et de la déclaration de Mme Raymond à Mme Savard en mars 2016, qui, pour les mêmes raisons, sont considérés comme étant fiables.
[133] À cet égard, Martine allègue dans son mémoire « que les frais de nourriture [de Mme Raymond] étaient au minimum de l’ordre de 600 $ par mois »[82], ce qui aurait signifié une dépense d’épicerie de 1 800 $ par mois pour trois personnes. Ce montant, à sa face même, est douteux, particulièrement en regard des revenus modestes des occupants. D’ailleurs, en témoignage, Martine réduit d’environ la moitié le montant des dépenses d’épicerie qu’elle situe maintenant entre 180 $ et 220 $ (médiane de 200 $) par semaine, en plus de l’achat de petits fruits. En dernier lieu, il relève du sens commun et de la logique la plus élémentaire de croire que Mme Raymond, une octogénaire de petite taille[83], devait consommer moins que le tiers de la nourriture achetée pour les trois occupants. Le montant de 200 $ reflète cette réalité.
[134] Au final, la preuve démontre de manière convaincante que Mme Raymond et Martine ont conclu une entente en juin 2016 prévoyant le paiement d’une contribution de 200 $ par mois pour l’épicerie, ce qui équivaut à 3 000 $ sur 15 mois.
[135] Par ailleurs, Mme Raymond assumait les coûts de ses médicaments. En tant que bénéficiaire du Régime des rentes du Québec, elle payait une contribution mensuelle d’environ 52 $ par mois[84]. Sur une période de 15 mois, les frais engagés pour le paiement de sa médication s’élèvent donc à 780 $.
[136] Mme Raymond fréquentait avec enthousiasme la Maison Aloïs. Son relevé de présence révèle qu’elle s’y est présentée à 28 reprises du mois de février au mois de septembre 2016[85]. Les frais de participation étaient de 13,00 $ par jour pour un total de 364 $. Les collations et le repas du midi étaient inclus dans ce prix. Quelques déplacements ont été offerts par des bénévoles, puis à compter du 21 mars 2016, par un service de transport adapté à des frais de 6,00 $ aller-retour, soit à 22 reprises, pour un total de 132 $.
[137] Martine mentionne en témoignage que sa mère se rendait chez une coiffeuse une fois aux trois mois, au coût de 35 $, ce qui est plausible. Le Tribunal retient donc cinq visites pendant la période de référence pour un total de 175 $.
[138] Par ailleurs, Mme Raymond profitait en 2016 d’un service subventionné de soutien à domicile offert à une fréquence de deux fois par semaine, pour une durée de 3 heures chaque fois. La préposée veillait à la propreté de la chambre, de la literie et à l’hygiène personnelle de Mme Raymond.
[139] La contribution financière de Mme Raymond à ce service était prélevée à même son compte bancaire. Une revue du compte bancaire de Mme Raymond[86] révèle des prélèvements de 25,80 $, avec la mention Prélèvement automatique Service Travail MSP DIV, les 21 avril, 5 mai, 30 juin, 12 août, 25 août et 1er septembre 2016, pour un total de 154,80 $. Auparavant, des chèques de 25,80 $ ont été émis à partir du même compte les 11 mars, 24 mars, 8 avril; pour un total de 77,40 $. Bien que l’identité du destinataire de ces trois chèques n’apparaisse pas au relevé, la récurrence d’un montant spécifique de 25,80 $ démontre qu’il s’agit du paiement du même service avant que ne débutent les prélèvements automatiques.
[140] Les dépenses pour le service de soutien à domicile pendant la période de référence s’élèvent donc à 232,20 $.
[141] Martine ajoute qu’elle se rendait au restaurant chaque semaine avec sa mère, surtout chez Saint-Hubert. Selon Martine, sa mère assumait généralement le coût de cette sortie, environ 50 $, en gratitude pour les repas préparés pendant la semaine. Martine ajoute qu’elle amenait aussi sa mère chez Tim Hortons pour l’achat d’un café.
[142] Bien que la crédibilité de Martine soit douteuse, il est raisonnable de concevoir qu’au début de son hébergement, Mme Raymond ait voulu exprimer de la sorte sa reconnaissance envers sa fille. Au surplus, Daniel corrobore en partie le témoignage de Martine, non pas sur le fait que sa mère lui offrait le repas, mais à tout le moins sur le fait que de telles sorties aient pu avoir lieu.
[143] En revanche, la preuve révèle que dès le 15 septembre 2015, Mme Raymond commence à évoquer son mode de vie plus oisif. Elle confie à Mme Savard qu’« étant donné qu’elle ne fait rien, [Mme Raymond] ne trouve pas toujours nécessaire de se laver »[87].
[144] Enfin, dès le mois de décembre 2015, Mme Raymond confie à Mme Savard et à d’autres personnes par la suite ses craintes d’être victime d’exploitation financière par Martine. Le climat de gratitude ayant muté en un climat de crainte d’exploitation, il est fort probable que les sorties au restaurant aux frais de Mme Raymond aient alors cessé. L’aveu de Martine constitue un élément de corroboration à cet égard. Comme nous l’écrivions précédemment, non seulement Martine reconnaît par cet aveu s’approprier de l’argent appartenant à sa mère, mais en précise également le motif, soit que sa mère avait cessé de « lui pay[er] des choses ».
[145] Conséquemment, ces sorties ne peuvent que s’être produites tout au plus jusqu’en décembre 2015 et à moindre fréquence dès septembre 2015. Le Tribunal alloue donc sous ce poste budgétaire un montant de 150 $ par mois en juillet et août 2015, pour ensuite le réduire à 75 $ par mois en septembre, octobre et novembre 2015, puis à 40 $ pour une partie du mois de décembre 2015. Le montant total de cette dépense est de 565 $.
[146] Martine mentionne également que sa mère devait contribuer au paiement de l’essence du véhicule de son conjoint pour leurs sorties. Elle évoque des sorties pour rendre visite à la famille élargie de son conjoint, à la sœur et à une amie de sa mère, et des sorties au restaurant.
[147] À cet égard, le Tribunal considère que les déplacements visant le maintien de contacts avec la famille élargie du conjoint l’ont surtout été dans son propre intérêt et celui de Martine. Mme Raymond n’a donc pas à participer à ces frais de déplacement. Quant aux sorties au restaurant, le Tribunal a déjà conclu à une dépense de 565 $ de Mme Raymond qui offrait le repas à sa fille. Dans ce contexte, il ne saurait être question que Mme Raymond assume au surplus les coûts de l’essence reliée à cette sortie.
[148] Ne restent alors sous ce poste budgétaire que les frais de déplacement visant à permettre à Mme Raymond d’entretenir des contacts avec son ancienne belle-sœur et une amie, selon ce qu’elle a mentionné en rencontre avec Mme Savard le 15 septembre 2015. Toutefois, le maintien de ces relations personnelles ne peut s’être échelonné que sur quelques mois, en raison des plaintes d’isolement et d’oisiveté de Mme Raymond qui sont apparues par la suite.
[149] Le Tribunal conclut qu’un montant de 200 $ peut raisonnablement avoir été engagé pour l’achat d’essence au bénéfice de Mme Raymond.
[150] Par ailleurs, Martine déclare que sa mère avait fait l’achat de vêtements pour elle-même en plus de lui en offrir en cadeaux, sans toutefois avancer un montant en témoignage. Selon ce que Mme Raymond a confié à Line, elle s’était procuré un manteau de duvet d’une valeur de 300 $ qu’elle appréciait particulièrement pour la garder au chaud l’hiver et aurait dépensé quelques centaines de dollars pour le reste. Cette version est en quelque sorte corroborée par Mme Charron qui affirme en témoignage que la garde-robe de Mme Raymond n’était pas variée en ce qu’elle portait pratiquement toujours les mêmes vêtements. Le Tribunal retient donc des dépenses vestimentaires totales de 600 $, incluant les quelques articles vestimentaires que Mme Raymond ait pu offrir à Martine, pour les mêmes raisons qu’évoquées précédemment, pendant les premiers mois de son hébergement.
[151] En dernier lieu, le Tribunal tient compte que certaines dépenses engagées au bénéfice de Mme Raymond peuvent être impondérables, tel l’achat plus fréquent avec le temps de serviettes hygiéniques pour les fuites urinaires ou de culottes d’incontinence de même que d’autres effets plus personnels. Conséquemment, un montant supplémentaire de 250 $ sera inscrit à ce titre.
[152] Voici donc un tableau récapitulatif des dépenses de Mme Raymond durant la période de référence :
Loyer |
6 000 $ |
Épicerie |
3 000 $ |
Médicaments |
780 $ |
Maison Aloïs |
364 $ |
Transport adapté |
132 $ |
Coiffure |
175 $ |
Soutien à domicile |
232,20 $ |
Restaurants |
565 $ |
Essence |
200 $ |
Vêtements |
600 $ |
Impondérables |
250 $ |
TOTAL |
12 298,20 $ |
[153] Plusieurs des dépenses alléguées par la défenderesse[88] ont ainsi été revues à la baisse, selon le cas, au motif que le montant était surévalué ou que la dépense était nettement plus limitée dans le temps.
[154] D’autres dépenses ont aussi été évoquées par la défenderesse, sans qu’elle ne parvienne à convaincre le Tribunal qu’elles ont été engagées au bénéfice de Mme Raymond. Ces dépenses alléguées sont :
Ø 10 $ par mois pour le cellulaire pendant 15 mois;
Martine décrit le cellulaire de sa mère comme étant un modèle désuet qui n’était fonctionnel qu’avec l’achat d’un forfait prépayé sur une carte SIM. Il n’y eut aucun rachat d’une telle carte à son expiration. Conséquemment, le montant de 10 $ par mois est sans fondement.
Ø 19,14 $ par mois pour l’assurance habitation;
Martine mentionne qu’elle avait requis de son assureur une protection additionnelle afin de couvrir les biens de sa mère. Elle dépose une copie d’une facture d’assurance, en date du 26 mai 2016, prévoyant un étalement des primes sur une année pour un paiement mensuel de 57,41 $. Elle impute le tiers de cette prime à sa mère. Or, un examen plus minutieux de cette facture révèle qu’elle comporte une section « Noms et adresses postales des assurés » dans laquelle le nom de Mme Raymond n’apparait pas. Seuls les noms de Martine et de son conjoint sont désignés comme étant les personnes assurées. Conséquemment, le Tribunal ne retient pas cette dépense.
Ø Le tiers des frais d’internet Bell;
La preuve en demande et en défense est silencieuse quant à la propriété et à l’usage d’un ordinateur par Mme Raymond. Martine n’en fait aucunement mention en témoignage. En outre, ni Martine ni sa mère ne font état de navigation sur internet de la part de cette dernière lorsqu’elles décrivent ses activités aux divers intervenants sociaux impliqués. Tout au plus sera-t-il question de jeux sur la console Play station[89]. Rien ne permet donc de conclure qu’il y a lieu de lui imputer le tiers de la facture d’internet.
Ø Les frais de vétérinaire;
Martine allègue qu’il s’agit d’un cadeau de la part de sa mère qui a accepté de payer deux factures pour un total de 513,84 $. Si la preuve révèle que cette dépense a véritablement été engagée, le Tribunal doute sérieusement, en l’absence de corroboration, que Mme Raymond ait choisi de l’assumer. En outre, Daniel, devant qui Martine devait en principe rendre compte de sa gestion, n’a jamais confirmé l’affirmation de Martine.
Ø Les frais dentaires de Martine;
Martine prétend qu’il s’agit d’un cadeau de sa mère d’une valeur de 178 $[90]. Le Tribunal ne peut croire Martine sur parole, tant sa crédibilité a été entachée. En outre, ces dépenses ont été engagées sur la carte de crédit de Mme Raymond une première fois, le 22 juillet 2016, pour 67 $, et une deuxième fois, le 3 août 2016, pour 111 $. Ces dépenses apparaissent alors que Mme Raymond se plaignait depuis longtemps qu’elle considérait être exploitée sur le plan financier par Martine et que leur relation s’était sérieusement détériorée. Dans ce contexte, de telles dépenses en cadeau sont bien improbables.
Enfin, même si le Tribunal avait accordé foi au témoignage de Martine, les dépenses de 178 $ pour frais dentaires ont été effectuées vers la fin du séjour de Mme Raymond chez sa fille, quelques semaines avant son départ précipité dans des conditions malheureuses, déplorables et cruelles. Ces circonstances font en sorte que Martine ne pouvait légitimement accepter ce cadeau au stade final de son implication auprès de sa mère.
[155] En dernier lieu, le Tribunal ne croit pas Mme Paquin lorsqu’elle affirme avoir remis le produit de la vente des électroménagers à sa mère, soit 600 $. Sa crédibilité est trop entachée pour être crue sur parole. En l’absence de corroboration, le Tribunal écarte cette affirmation.
[156] En récapitulation, nous avons calculé, dans un premier temps, que les revenus récurrents de Mme Raymond et le produit de la vente d’électroménagers s’élevaient à 23 794,18 $ pendant la période de référence. Dans un second temps, nous avons estimé les dépenses encourues au bénéfice de Mme Raymond pour la même période à 12 298,20 $. La différence entre ces montants révèle donc une appropriation de fonds injustifiée de Martine au détriment des intérêts de sa mère de 11 495,98 $. Ce montant est significatif en regard des revenus dont disposait Mme Raymond.
[157] Au surplus, ce montant est accompagné d’une dilapidation d’une grande partie du modeste patrimoine de Mme Raymond. De nombreux vêtements, de la vaisselle et des bibelots ont été abandonnés sur place lors du déménagement au motif qu’il n’y avait pas suffisamment de place dans le logement de Martine. Des meubles ont aussi été donnés à la famille élargie. Cette perte n’est pas négligeable.
[158] Ne reste donc à Mme Raymond que quelques biens lui appartenant se trouvant chez Martine. À ce sujet, Martine affirme que sa mère lui en a fait don. L’absence de crédibilité du témoignage de Martine fait en sorte que le Tribunal ne la croit pas sur parole. En l’absence de corroboration, cette prétention est rejetée.
[159] Au terme de l’analyse de la preuve, le Tribunal conclut que Martine a mis à profit sa position de force vis-à-vis sa mère, une personne âgée et vulnérable, pour lui soutirer des sommes d’argent et s’approprier certains biens lui appartenant à l’encontre de ses intérêts, le tout en violation du droit de Mme Raymond à la protection contre l’exploitation prévu à l’article 48 de la Charte.
[160] La Commission soutient que Martine, en exploitant Mme Raymond en contravention à son droit édicté à l’article 48 de la Charte, a, par le fait même, porté atteinte à son droit à la sauvegarde de sa dignité sans discrimination fondée sur l’âge, en contravention des articles 4 et 10 de la Charte.
[161] La Charte édicte que la sauvegarde de la dignité humaine constitue un droit fondamental, garanti par l’article 4 de la Charte. Cette garantie vise à ce que les personnes âgées vulnérables soient traitées avec considération et respect, en tant qu’êtres humains et sujets de droit.
[162] Dans Satgé[91], le Tribunal établit un lien entre la preuve relative à la violation de l’interdiction d’exploitation des personnes âgées vulnérables et la preuve d’atteinte au droit à la dignité :
[238] Ainsi, lorsqu’il y a exploitation d’une personne âgée vulnérable, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’il y a discrimination fondée sur l’âge en vertu de l’article 10 de la Charte. L’article 48 visant, entre autres, à assurer le respect de la dignité des personnes âgées, c’est donc l’exploitation de ces personnes qui est la véritable cause de l’atteinte à leur dignité.
[163] Dans les décisions Succession Hamelin-Piccinin[92], Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (L.D. et un autre) c. Rankin[93], Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (I.D.) c. C.F.[94], Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.S.) c. L.S.[95], le Tribunal réitère ce principe selon lequel l’exploitation d’une personne âgée entraîne une atteinte à sa dignité.
[164] De surcroît, Martine a démontré une absence de considération et de respect envers sa mère, une dame au patrimoine modeste, en s’appropriant plus de la moitié de ses revenus et une partie de ses meubles, sans se soucier des répercussions à son endroit.
[165] Il est par ailleurs évident que Martine avait une emprise psychologique sur sa mère et que celle-ci a souffert de cette situation. La preuve démontre notamment que Mme Raymond a été isolée de son réseau social, qu’elle était souvent confinée à sa chambre et subissait une surveillance constante de la part de Martine. Son abandon à l’hôpital, sans explication, démontre l’absence de considération et de respect dont elle faisait l’objet.
[166] Conséquemment, le Tribunal conclut qu’en exploitant sa mère, une personne âgée vulnérable, Martine, par le fait même, a porté atteinte à son droit à la sauvegarde de sa dignité, garanti à l’article 4 de la Charte.
Les sommes réclamées par la Commission à titre de dommages matériels, moraux et punitifs sont-elles justifiées, de même que la restitution de certains meubles ?
[167] La réclamation de la Commission pour les dommages matériels encourus par Mme Raymond en raison de son exploitation par sa fille Martine est de 12 759,54 $.
[168] Le Tribunal a précédemment plutôt conclu à une appropriation de fonds de 11 495,98 $. Le Tribunal ordonne donc à Martine Paquin de rembourser ce montant à sa mère à titre de dommages matériels.
[169] La Commission réclame de Martine Paquin le versement à Mme Raymond d’une somme de 10 000 $ en compensation des dommages moraux qu’elle a subis.
[170] L’attribution de dommages moraux a pour but d’indemniser une personne âgée vulnérable victime d’exploitation et d’atteinte à la dignité pour « avoir été traitée comme un sujet exploitable en contravention de ses droits protégés par la Charte. Il y a lieu également de tenir compte de la gravité de l’atteinte à ses droits dans l’évaluation des dommages moraux »[96].
[171] L’évaluation des dommages moraux est un exercice délicat et complexe. Comme le souligne la Cour d’appel dans Calego, « [m]esurer le dommage moral et l’indemnité conséquente constitue une tâche délicate forcément discrétionnaire »[97].
[172] Dans Bou Malhab c. Métromédia CMR Montréal inc.[98], la Cour d’appel indique que le préjudice moral « affecte l’être humain dans son for intérieur, dans les ramifications de sa nature intime et détruit la sérénité à laquelle il aspire, il s’attaque à sa dignité et laisse l’individu ébranlé, seul à combattre les effets d’un mal qu’il porte en lui plutôt que sur sa personne ou sur ses biens »[99].
[173] L’exploitation dont a été victime Mme Raymond constitue objectivement un affront grave à sa personne, en tant que titulaire de libertés et droits fondamentaux protégés et garantis par la Charte.
[174] Au surplus, Mme Raymond a éprouvé de la tristesse, de l’anxiété, de l’impuissance et du désespoir. Ses malaises profonds ont été nourris par le fait que sa propre fille ait été l’auteure de son exploitation, ce qui lui a fait vivre de la frustration et lui a causé une vive déception.
[175] Mme Raymond a même entretenu des idéations suicidaires en affirmant à Mme Savard qu’en prenant une marche, « si un camion passait dans la rue, elle se serait mise devant, en espérant se faire frapper »[100]. Elle a souhaité sa mort comme seule issue à sa situation en déclarant à Mme Marinier « j’aimerais tellement que le bon Dieu vienne me chercher »[101].
[176] Finalement, son abandon à l’hôpital dans les circonstances qui ont été précédemment décrites l’a fortement perturbée et angoissée.
[177] La preuve révèle également que Mme Raymond avait des revenus modestes et un patrimoine limité qui s’est pratiquement volatilisé, ce qui a affecté sa sécurité financière.
[178] Prenant en considération le déploiement du stratagème, incluant les éléments factuels et psychologiques de l’établissement d’une position de force, l’ordre de grandeur du détournement de fonds en faveur de Martine par rapport à la situation financière de Mme Raymond, la gravité objective de l’atteinte à sa personne et la preuve des répercussions sur sa personne de cette atteinte à ses droits fondamentaux, le Tribunal octroie à Mme Raymond la somme de 10 000 $ en dommages moraux.
[179] La Commission demande au Tribunal de condamner Martine au paiement d’une somme de 2 000 $ à titre de dommages punitifs.
[180] L’article 49 alinéa 2 de la Charte prévoit la possibilité pour le Tribunal de condamner l’auteur d’une atteinte illicite et intentionnelle au paiement de dommages punitifs.
[181] Dans de Montigny c. Brossard (Succession)[102], la Cour suprême énonce les objectifs qui sont visés par l’octroi de dommages punitifs, soit la sanction de l’auteur d’une atteinte illicite et intentionnelle, la dissuasion et la dénonciation de comportements jugés particulièrement répréhensibles.
[182] Dans l’arrêt St-Ferdinand, la Cour suprême enseigne qu’une atteinte illicite et intentionnelle résulte d’« un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera »[103].
[183] À ce sujet, les auteurs Christian Brunelle et Mélanie Samson écrivent[104] :
Ainsi, l’analyse du caractère intentionnel ou non d’une atteinte illicite à l’un des droits garantis par la Charte québécoise semble comporter deux volets, l’un subjectif qui appelle à adopter la perspective de l’auteur de la violation pour déterminer s’il voulait les conséquences de sa conduite, l’autre objectif et qui invite plutôt à évaluer si une personne raisonnable, placée dans la même situation que l’auteur de la violation, aurait pu prévoir l’extrême probabilité des conséquences fâcheuses subies par la victime
[184] Il ne fait aucun doute que Martine a agi en toute connaissance de cause en exploitant sa mère. En hébergeant sa mère à la maison dans les circonstances révélées par la preuve, elle a établi une position de force envers sa mère, une personne âgée et vulnérable, qu’elle a ensuite mise à profit afin de lui soutirer de l’argent.
[185] Martine ne pouvait qu’être consciente des conséquences immédiates et naturelles de sa conduite sur sa mère, telles que précédemment décrites, en vivant avec sa mère au quotidien. Cette conclusion est d’autant plus fondée que Mme Raymond avait exprimé tant à Martine qu’à diverses personnes sa conviction d’être victime d’exploitation de la part de sa fille.
[186] Par ailleurs, l’attribution de dommages punitifs doit respecter les paramètres établis par l’article 1621 C.c.Q. :
1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, tout ou en partie, assumée par un tiers.
[187] À ce sujet, dans Richard c. Time Inc.[105], la Cour suprême écrit :
[210] Lorsqu’un tribunal décide s’il accordera des dommages-intérêts punitifs, il doit mettre en corrélation les faits de l’affaire et les buts visés par ces dommages-intérêts et se demander en quoi, dans ce cas précis, leur attribution favoriserait la réalisation de ces objectifs. Il doit tenter de déterminer la somme la plus appropriée, c’est-à-dire la somme la moins élevée, mais qui permettrait d’atteindre ce but (Whiten, par. 71).
[188] En l’espèce, la preuve révèle que la situation financière de Martine est précaire. Elle éprouve des problèmes de santé et est incapable de travailler. Ses revenus de 850 $ par mois proviennent du programme de solidarité sociale du Québec pour les personnes présentant des contraintes sévères à l’emploi.
[189] Prenant en considération les éléments qui précèdent, le Tribunal condamne Martine à verser à sa mère la somme de 500 $ à titre de dommages punitifs.
[190] La Commission demande au Tribunal d’ordonner à Martine de remettre à Mme Raymond les biens lui appartenant qu’elle a en sa possession.
[191] La preuve révèle que Martine est effectivement en possession de biens appartenant à sa mère, plus spécifiquement son mobilier de chambre, la literie, sa chaise, son étagère, ses cadres et ses bibelots.
[192] La demande de restitution de la Commission est bien fondée.
[193] En terminant, la demande introductive d’instance ayant été accueillie pour les motifs précités, la demande de Martine de faire déclarer abusif le recours intenté par la Commission, au motif qu’il était sans aucun fondement juridique et factuel, est rejetée.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[194] ACCUEILLE en partie la demande introductive d’instance ;
[195] CONDAMNE Mme Martine Paquin à verser à Mme Lise Raymond la somme de 21 995,98 $ répartie comme suit :
- La somme de 11 495,98 $ à titre de dommages matériels, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de la signification de la proposition de mesures de redressement, soit le 24 novembre 2018;
- La somme de 10 000 $ à titre de dommages moraux, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de la signification de la proposition de mesures de redressement, soit le 24 novembre 2018;
- La somme de 500 $ à titre de dommages punitifs, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date du jugement.
[196] ORDONNE à Mme Martine Paquin de remettre à Mme Lise Raymond les biens et effets personnels lui appartenant, plus spécifiquement son mobilier de chambre, la literie, sa chaise, son étagère, ses cadres et ses bibelots, et ce, dans un délai de 30 jours du présent jugement;
[197] REJETTE la demande de Mme Martine Paquin de faire déclarer abusif le recours intenté par la Commission;
[198] LE TOUT, avec les frais de justice.
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__________________________________ MARIO GERVAIS, Juge au Tribunal des droits de la personne |
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Me Alexandra Tremblay |
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Me Maya Charrette-Côté |
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BITZAKIDIS CLÉMENT MAJOR FOURNIER |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Mathieu Rollet |
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Pour la partie défenderesse |
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Dates d’audience : |
2, 3, 4 et 11 novembre 2020 |
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Plaidoiries écrites des parties reçues les 19 novembre, 21 et 23 décembre 2020. |
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[1] RLRQ, c. C -12.
[2] Montant révisé par la Commission au stade des plaidoiries écrites, p. 60.
[3] RLRQ, c. C -25.01.
[4] Pièce P-4, Outil d’évaluation de l’autonomie multiclientèle (OEMC) rédigé par Mme Debbie Valmé, en date du 16 mai 2014.
[5] Id., p. 19.
[6] Pièce P-6, en liasse, Certificat médical du Dr Gilles Liboiron daté du 30 juin 2015 et attestation en date du 17 avril 2019.
[7] Pièce P-5, Fiche - demande de service perte d’autonomie/vieillesse - CISSS de Laval, octobre 2014.
[8] Pièce P-6, en liasse, Certificat médical du Dr Gilles Liboiron daté du 30 juin 2015 et attestation en date du 17 avril 2019.
[9] Id.
[10] Pièce P-7, Procuration bancaire signée par Mme Lise Raymond en date du 30 juin 2015.
[11] Pièce P-9, Outil d’évaluation de l’autonomie multiclientèle (OEMC) rédigé par Mme Carole-Anne Savard, travailleuse sociale, en date du 15 septembre 2015, p. 10.
[12] Id.
[13] Id., p. 11.
[14] Id.
[15] Id.
[16] Id., p. 17- 18.
[17] Id., p. 17.
[18] Pièce P-16, Notes d’évolution de Mme Carole-Anne Savard, p. 1.
[19] Id., p. 1.
[20] Id., p. 33-34.
[21] Pièce P-17, Attestation de Mme Joannie Marinier, intervenante aux familles (Maison Aloïs), en date du 22 avril 2016; Pièce P-22, Journal du proche aidant de Mme Martine Paquin de la Maison Aloïs, p. 10.
[22] Pièce P-22, Journal du proche aidant de Mme Martine Paquin, de la Maison Aloïs, p.16.
[23] Id.
[24] Pièce P-16, Notes d’évolution de Mme Carole-Anne Savard, p. 48.
[25] Id., p. 52.
[26] Id., p. 71.
[27] Pièce P-22, Journal du proche aidant de Mme Martine Paquin, de la Maison Aloïs, p. 17.
[28] Pièce P-10, Dossier de Mme Raymond, Urgence médicale CSSS St-Jérôme, en date du 17 septembre 2016, notes de 21 h 30.
[29] Id.
[30] Id. et pièce P-16, Notes d’évolution de Mme Carole-Anne Savard, p. 81.
[31] Pièce P-26, Lettre du Dr Gilles Liboiron en date du 8 décembre 2019.
[32] Pièce P-22, Journal du proche aidant de Mme Martine Paquin, de la Maison Aloïs, p. 18.
[33] Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 RCS 345, 1996 CanLII 208 (CSC), par. 116 ; Vallée c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2005 QCCA 316, par. 26 (Vallée).
[34] Commission des droits de la personne c. Brzozowski, [1994] RJQ 1447, 1994 CanLII 1792 (QC TDP) (Brzozowski).
[35] Id., p. 1471 (référence omise).
[36] Id., p. 1472.
[37] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Monty) c. Gagné, 2002 CanLII 6887 (QC TDP) (Gagné) (demande pour permission d’appeler accueillie en partie, C.A., 2003-02-27, 500-09-013055-033, règlement hors cour).
[38] Id., par. 90.
[39] Brzozowski, préc. note 34.
[40] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.P.) c. R.T., 2015 QCTDP 23 (R.T.).
[41] Id., par. 45
[42] Vallée, préc., note 33.
[43] Id., par. 26.
[44] Id., par. 24 et 25.
[45] RLRQ (C.c.Q.).
[46] Vallée, préc., note 33, par. 46.
[47] Id.
[48] Id., par. 41.
[49] Gagné, préc., note 37, par. 91, cité avec approbation par la Cour d’appel du Québec dans Vallée, préc., note 33, par. 46.
[50] R.T., préc., note 40, par. 47.
[51] Brzozowski, préc. note 34, p. 1471 ; Vallée, préc., note 33, par. 29.
[52] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (L.D. et un autre) c. Rankin, 2017 QCTDP 18 (Rankin).
[53] R.T., préc., note 40, par. 50.
[54] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Végiard) c. Jean, 2016 QCTDP 1, référant à Marie-Hélène DUFOUR, « Définitions et manifestations du phénomène de l’exploitation financière des personnes âgées », (2014) 44 RGD 235, p. 246.
[55] Rankin, préc., note 52.
[56] Vallée, préc., note 33, par. 47.
[57] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession Duhaime) c. Satgé, 2016 QCTDP 12 (Satgé); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession Hamelin-Piccinin) c. Massicotte, 2018 QCTDP 18 (Succession Hamelin-Piccinin); Rankin, préc., note 52 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (I.D.) c. C.F., 2019 QCTDP 5.
[58] Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1999 CanLII 675 (CSC), [1999] 1 RCS 497, p. 530.
[59] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gabriel et autres) c. Ward, 2016 QCTDP 18, par. 61, inf. en partie sur d’autres questions par Ward c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gabriel et autres), 2019 QCCA 2042 (demande pour autorisation d’appeler accordée, CSC, 2020-07-30, 39 041).
[60] Calego International inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2013
QCCA 924, par. 101 (Calego).
[61] Commission des droits de la personne du Québec c. Lemay, [1995] RJQ 1967, p. 1972, 1995 CanLII 3240 (QC TDP), cité avec approbation par la Cour suprême dans Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, 1996 CanLII 172 (CSC), [1996] 3 RCS 211, par. 104 (St-Ferdinand).
[62] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.L.) c. Guérette, 2018 QCTDP 29, par. 193.
[63] Pièce P-22, « Journal du proche aidant » de la Maison Aloïs Alzheimer, p. 9.
[64] Pièce P-22, Journal du proche aidant de Mme Martine Paquin, de la Maison Aloïs, p. 10.
[65] Pièce P-16, Notes d’évolution de Mme Carole-Anne Savard, p. 6.
[66] Témoignage de Line en date du 2 novembre 2020.
[67] Pièce P-2, en liasse, Relevés bancaires du compte de Mme Raymond à la Banque de Montréal de juin 2015 à septembre 2016.
[68] Id., p. 3.
[69] Art. 2138 C.c.Q.
[70] Id.
[71] Art. 2139 C.c.Q.
[72] Art. 2184 C.c.Q
[73] Pièce P-16, Notes d’évolution de Mme Carole-Anne Savard, p. 6; Pièce P-9, Outil d’évaluation de l’autonomie multiclientèle (OEMC) rédigé par Mme Carole-Anne Savard, travailleuse sociale, en date du 15 septembre 2015, p. 19.
[74] Mme Raymond exprime à Mme Savard dès le 15 décembre 2015 qu’elle croit être victime d’abus financiers de la part de Martine (pièce P-16, Notes d’évolution de Mme Carole-Anne Savard, p. 1). Le 29 décembre 2015, Martine mentionne à Mme Savard que sa mère la soupçonne d’abuser d’elle sur le plan financier (pièce P-16, Notes d’évolution de Mme Carole-Anne Savard, p. 5).
[75] Riendeau c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession Provencher), 2021 QCCA 406.
[76] Pièce P-16, Notes d’évolution de Mme Carole-Anne Savard, p. 6.
[77] Id., p. 36.
[78] Pièce P-8, p. 3.
[79] Le bail du logement n’a pas été déposé en preuve. Il s’agit du loyer mensuel indiqué par Martine en témoignage et corroboré par la pièce P-13 qui est l’annonce parue sur kijiji annonçant la disponibilité de ce logement à compter du 1er avril 2018 pour un montant de 849,00 $ par mois.
[80] Selon le témoignage de Martine, sans preuve documentaire à l’appui.
[81] Pièce D-5 et Pièce D-9, en liasse, Factures multiservices Bell.
[82] Mémoire de la défenderesse, par. 24.
[83] Environ 5 pieds 3 pouces selon le témoignage de Johanne Marinier.
[84] Pièce P-2, Relevés bancaires de Mme Raymond, prélèvements mensuels variant entre 51,83 et 52,16 $.
[85] Pièce P-20, Attestation de présence de Mme Raymond à la Maison Aloïs.
[86] Pièce P-2, en liasse, Relevés bancaires du compte de Mme Raymond à la Banque de Montréal de juin 2015 à septembre 2016.
[87] Pièce P-9, Outil d’évaluation de l’autonomie multiclientèle (OEMC) rédigé par Mme Carole-Anne Savard, travailleuse sociale, en date du 15 septembre 2015, p. 6.
[88] Dans le mémoire de la défenderesse, le témoignage de Martine ou au stade des plaidoiries.
[89] Pièce P-16, Notes d’évolution de Mme Carole-Anne Savard, p. 50.
[90] Dépenses engagées en juillet et août 2016, Pièce P-14, Relevé de compte de la carte de crédit Canadian Tire de Mme Raymond.
[91] Satgé, préc., note 57.
[92] Succession Hamelin-Piccinin, préc., note 57.
[93] Rankin, préc., note 52.
[94] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (I.D.) c. C.F., préc., note 57.
[95] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.S.) c. L.S., 2020 QCTDP 9, requête pour permission d’en appeler rejetée, L.S. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.S.), 2020 QCCA 814.
[96] Succession Hamelin-Piccinin, préc., note 57, par.147 (références omises).
[97] Calego, préc., note 60, par. 59.
[98] Bou Malhab c. Métromédia CMR Montréal inc., [2003] RJQ 1011, 2003 CanLII 47948 (QC CA).
[99] Id., par. 63.
[100] Pièce P-16, Notes d’évolution de Mme Carole-Anne Savard, p. 77.
[101] Pièce P-21, Journal du participant de la Maison Aloïs, p. 4.
[102] de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, par. 47 et 49.
[103] St-Ferdinand, préc., note 61, par. 121.
[104] Christian BRUNELLE et Mélanie SAMSON, « La mise en œuvre des droits et libertés en vertu de la Charte québécoise », dans Collection de droit, École du Barreau du Québec, vol. 8, Droit public et administratif, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2020-2021, p. 115.
[105] Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8.
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