Décision

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Décision

Langevin c. Breton

2019 QCRDL 5380

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

427805 31 20181106 G

No demande :

2628237

 

 

Date :

19 février 2019

Régisseur :

Robin-Martial Guay, juge administratif

 

Pierrette Langevin

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Jean-Marc Breton

 

Kevin Murphy

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Dans une demande amendée autorisée à l’audience, la locatrice demande la résiliation du bail et l’éviction des locataires, fondée sur le retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer, le recouvrement du loyer de 2 240 $ ainsi que les loyers dus au jour de l'audience.

[2]      Aussi, la locatrice demande la résiliation du bail au motif que les locataires paient fréquemment le loyer en retard; ce qui lui cause un préjudice sérieux.

[3]      La demande de la locatrice a été dûment signifiée; ce qui est admis à l’audience.

Preuve et analyse

[4]      À l’audience, la locatrice admet et reconnaît que seul monsieur Jean-Marc Breton est locataire des lieux loués de sorte qu’elle se désiste de sa demande à l’encontre de monsieur Kevin Murphy. Par conséquent, aucune conclusion ne sera prononcée contre ce dernier.

[5]      Les parties sont liées par un bail pour la période du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019 au loyer mensuel de 1 160 $.

[6]      La preuve révèle qu’au jour de l’audience, le locataire ne doit aucun loyer non plus qu’il ne doit les frais judiciaires.

[7]      Le locataire n’étant pas en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer, la résiliation du bail n’est donc pas justifiée par application de l’article 1971 C.c.Q.

[8]      Par ailleurs, la locatrice soutient que le loyer est fréquemment payé en retard par le locataire et qu'elle subit un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail.


[9]      Invitée à faire la preuve des retards et du préjudice sérieux que requiert l’article 1971 C.c.Q., la locatrice affirme qu’elle subit un préjudice tant financier que psychologique et physique.

[10]   Elle souligne que le locataire a payé dix loyers en retard au cours des douze derniers mois et que plus récemment, soit au cours des deux derniers jours, le locataire s’est acquitté d’arrérages de loyer de 5 800 $ représentant cinq mois de loyer; ce qui n’a pas été sans l’obliger à faire des tours de passe-passe avec ses comptes bancaires pendant tous ces mois où elle n’a pas reçu le loyer du locataire.

[11]   La locatrice affirme qu’elle doit puiser dans sa marge de crédit pour le paiement de l’hypothèque et des dépenses récurrentes de l’immeuble et que ses demandes répétées pour obtenir le paiement du loyer le 1er jour du mois, qu’il s’agisse d’avis verbaux ou de la lettre qu’elle a fait transmettre au locataire, ont toujours été ignorés.

[12]   Elle ajoute qu’elle est présentement suivie en oncologie et qu’elle reçoit des traitements pour deux cancers; ce qui ajoute à son stress en lien avec le non-paiement du loyer qui porte un dur coup à ses finances.

[13]   Et la locatrice de conclure en disant que les retards fréquents alourdissent la gestion de l’immeuble eu égard aux nombreuses démarches souvent vaines et inutiles pour obtenir le paiement du loyer.

[14]   En défense, la représentante du locataire reconnaît avoir payé fréquemment le loyer en retard au cours des douze derniers mois mais que cela n’a pas pour autant causé à la locatrice un préjudice que l’on peut qualifier de sérieux.

[15]   À cet égard, elle souligne qu’à au moins six occasions, la locatrice aurait mis quelques jours avant de prendre livraison de son virement bancaire.

[16]   Vérifications faites, c’est plutôt à quatre occasions que la locatrice a mis quelques jours avant de libérer les fonds du virement.

[17]   Avec justesse, elle souligne que la locatrice n’a pas fourni à l’audience la preuve documentaire démontrant qu’elle doit puiser dans sa marge de crédit pour payer son hypothèque et les dépenses de l’immeuble.

Droit applicable

[18]   L'article 1903 du Code civil du Québec stipule :

« 1903. Le loyer convenu doit être indiqué dans le bail.

Il est payable par versements égaux, sauf le dernier qui peut être moindre; il est aussi payable le premier jour de chaque terme, à moins qu'il n'en soit convenu autrement ».

[19]   L'article 1971 du Code civil du Québec prévoit ce qui suit :

« 1971. Le locateur peut obtenir la résiliation du bail si le locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer ou, encore, s'il en subit un préjudice sérieux, lorsque le locataire en retarde fréquemment le paiement ».

[20]   Est-il nécessaire de rappeler qu’en employant le terme sérieux, le législateur a imposé une preuve exigeante au locateur. S’il est vrai que la perception tardive d'un loyer crée en soi un préjudice mais là ne constitue pas le fardeau de preuve qui est imposé au locateur. Celui-ci doit démontrer l’existence d’un préjudice qui soit sérieux.

[21]   Il vaut donc de souligner que pour justifier la résiliation d'un bail, il faut que le préjudice soit plus grand que les simples inconvénients occasionnés par tout retard. Cette preuve ne peut donc uniquement se fonder sur une simple allégation d'inconvénients subis ou de dépenses à faire. Le préjudice doit être prouvé par une preuve documentaire, le cas échéant, et fondé sur des faits objectifs et précis.

[22]   Dans l'affaire Allaire c. Bourdeau[1], la Cour du Québec précise que:

« [57] La jurisprudence enseigne que le préjudice sérieux dont il est question ne se limite pas à une perte ou une menace pécuniaire. D'ailleurs, dans le contexte de l'application possible de l'article 1971 C.c.Q., le fait de payer les arrérages de loyer en tout temps avant jugement n'est pas pertinent [19]. Il faut mais il suffit que les retards soient fréquents et que la situation cause un préjudice sérieux au locateur.

[58] Le préjudice sérieux dont il est question peut être d'une nature autre que pécuniaire [20] :

· alourdissement anormal de la gestion de l'immeuble, multiplicité des démarches auprès du locataire ou du tribunal pour percevoir les loyers ou coûts supplémentaires [21];

· soucis et tracas causés par l'entêtement du locataire à retenir son loyer, temps et énergie consacrés pour les vacations devant la Régie du logement, notes comptables et suivi des démarches effectuées [22] ;

· démarches constantes et multipliées pour se faire payer, demandes répétées à la Régie du logement afin d'obtenir le paiement du loyer, gestion de trois décisions de la Régie du logement [23] ;

· nombreux avis envoyés au locataire pour lui rappeler ses retards, remise u dossier à ses avocats pour récupérer le loyer dû et frais ainsi engagés [24] ;

· multiplication des démarches pour obtenir les loyers dus et paiement de frais bancaires pour de nombreux chèques retournés [25] ;

· impossibilité de disposer des sommes dues, procédures de recouvrement et pertes d'intérêts sur l'argent non reçu [26] ; ».

[23]   Autant dire que la preuve du préjudice sérieux que le locateur allègue subir en raison des retards fréquents dans le paiement du loyer doit être complète et documentée.

[24]   Cette preuve, à titre d'exemple, résultera en la démonstration d’un alourdissement anormal de la gestion de l'immeuble, la multiplicité des démarches auprès du locataire ou du Tribunal et de coûts financiers supplémentaires en lien avec les paiements du loyer.

Discussion

[25]   En l’espèce, le Tribunal retient de la preuve que la locatrice a démontré que le loyer est fréquemment payé en retard et que cette situation lui cause un préjudice sérieux dans la gestion de son immeuble mais aussi de son patrimoine.

[26]   Lorsque l’on sait que le plus récent paiement d’arrérages de loyer qui a été fait sur deux jours représentait cinq mois de loyer, soit une somme de 5 800 $, il devient difficile de se convaincre du contraire.

[27]   Conjugué à la preuve que le locataire a payé 10 loyers en retard au cours des 12 derniers mois, c’est là dire qu’il paie fréquemment le loyer en retard avec pour conséquences que cela alourdi la gestion de l’immeuble pour la locatrice qui a d’ailleurs mis en demeure le locataire de payer son loyer le 1er jour de chaque mois.

[28]   Il ne fait pas de doute que la locatrice a des obligations financières à assumer sur cet immeuble notamment un remboursement mensuel de son prêt hypothécaire, et qu’elle doit constamment courir après l'argent qui lui est dû par le locataire.

[29]   Qu’à cela ne tienne, le Tribunal voudra rappeler qu’il peut substituer à la résiliation du bail, l’émission d’une ordonnance pour forcer la locataire à s’acquitter de son obligation de payer le loyer le premier jour de chaque mois, suivant l'article 1973 du Code civil du Québec qui édicte ce qui suit :

« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »

[30]   Encore une fois, le Tribunal juge que la preuve soumise par la locatrice est suffisante pour démontrer, par prépondérance de preuve, que les retards du locataire lui causent un préjudice pouvant être qualifié de sérieux. Par conséquent, le Tribunal peut résilier le bail pour ce motif.

[31]   Toutefois, le Tribunal, tenant compte des circonstances de la présente affaire et de la conséquence connue de la représentante du locataire advenant le non-respect d’une ordonnance du Tribunal de payer le loyer le 1er jour du mois, estime approprier de sursoir à la résiliation du bail et de prononcer une ordonnance enjoignant le locataire de payer son loyer le premier jour de chaque mois. L’ordonnance sera valide pour 12 mois à compter du 1er mars 2019.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[32]   ORDONNE au locataire, Jean-Marc Breton, de payer le loyer le 1er jour de chaque mois pour les douze prochains mois débutant le 1er avril 2019;

[33]   REJETTE la demande pour le surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Robin-Martial Guay

 

Présence(s) :

la locatrice

Me Frédérique Bossé, avocat des locataires

Date de l’audience :  

29 janvier 2019

 

Présence(s) :

 

la locatrice

la mandataire du locataire Jean-Marc Breton

Me Frédérique Bossé, avocat des locataires

Date de l’audience :  

5 février 2019

 

 

 

 

 


 



[1] Allaire c. Bourdeau, 2017 QCCQ 4963.

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