Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Lemieux c. Aon Parizeau inc.

2018 QCCA 1346

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-009323-160

(200-17-019210-137)

 

DATE :

 20 AOÛT 2018

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

 

 

GUY LEMIEUX

RENAUD ASSURANCES ET GESTION DE RISQUES INC.

APPELANTS - INTIMÉS INCIDENTS / Défendeurs

c.

 

AON PARIZEAU INC.

INTIMÉE - APPELANTE INCIDENTE / Demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelants se pourvoient contre le jugement de la Cour supérieure, district de Québec, rendu le 15 juin 2016[1] (honorable Nicole Tremblay, j.c.s.) les condamnant au paiement de 204 052,65 $ conjointement et solidairement.

[2]           L’intimée appelante incidente se pourvoit en soutenant que l’indemnité devrait être établie à 3 254 864,66 $.

[3]           Pour les motifs du juge Levesque, auxquels souscrit le juge Bouchard, LA COUR :

[4]           ACCUEILLE l’appel;

[5]           INFIRME le jugement de la Cour supérieure et rejette le recours introductif de l’intimée avec les frais de justice dans les deux Cours;

[6]           REJETTE l’appel incident de l’intimée, avec les frais de justice;

[7]           Le juge Rochette, pour d’autres motifs, aurait accueilli l’appel aux fins de remplacer le montant de 204 052,65 $ retenu au paragraphe 214 du dispositif du jugement dont appel par un montant de 200 000 $ et d’annuler la condamnation de Renaud assurances et gestion de risques inc., les frais de justice étant supportés par l’appelant Guy Lemieux. Il aurait par ailleurs rejeté l’appel incident de l’intimée, avec les frais de justice.

 

 

 

 

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

 

Me Éric Orlup

BCF

Pour les appelants - intimés incidents

 

Me Sébastien C. Caron

LCM avocats inc.

Pour l’intimée - appelante incidente

 

Date d’audience :

8 février 2018


 

 

MOTIFS DU JUGE LEVESQUE

 

 

[8]           Le droit civil québécois porte en lui un principe cardinal qui s’applique à tous les recours judiciaires : « celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention »[2].

[9]           Les appels sous étude concernent l’application de clauses restrictives contenues dans un contrat de travail, lesquelles doivent faire l’objet d’une interprétation stricte, de même que l’obligation de loyauté prévue dans le Code civil du Québec. Il s’agit de déterminer si la juge de première instance a commis, au regard de la preuve présentée, une ou des erreurs pouvant justifier l’intervention de la Cour, compte tenu de la norme d’intervention applicable.

1.         LE CONTEXTE

[10]        Guy Lemieux, courtier en assurances de dommages depuis 1972, se spécialise dans le domaine de l’assurance de cautionnement dans l’industrie de la construction.

[11]        Il se joint à la firme d’assurances Aon Parizeau inc. qui est la plus grosse entreprise de courtage d’assurance de dommages et de cautionnement au monde[3]. Le 31 août 1999, il signe un contrat d’emploi qui stipule notamment :

13.       TERMINATION OF EMPLOYMENT

An injunction from your previous employer will not be a reason for termination of employment. In the event that you should wish to terminate your employment with the Company, you agree to provide two (2) weeks notice, which notice, may, at the Company’s option, be waived.

[…]

15.       NON-SOLICITATION

In accepting this offer of employment, you agree that you shall not, for a period of twelve (12) months following the termination of your employment with the Company, regardless of the circumstances of such termination:

i)              either on your behalf or on behalf of any third party, contact, solicit or in any manner approach for any purpose competitive with the interests of the Company any party which had been a client or prospect of the Company or of any of its subsidiaries and affiliates in the twelve (12) month period immediately preceding your termination and with whom you had contact on behalf of the Company or any of its subsidiaries and affiliates in that period;

ii)             accept, on your own behalf or on behalf of any third party, insurance brokerage business from any party which had been a client of the Company or any of the subsidiaries and affiliates of the Company in the twelve (12) month period immediately preceding the termination of your employment and with whom you had had contact on behalf of the Company or any of its subsidiaries and affiliates in that period;

iii)            divulge to any third party confidential information in respect of the business of the Company or its subsidiaries and affiliates, including the identity of their clients or the terms of their contractual relations with their clients.[4]

[Je souligne]

[12]        Ce document ne contient pas de clause pénale.

[13]        Mais voilà que M. Lemieux, alors âgé de 69 ans, choisit de quitter Aon en octobre 2013 pour se joindre à la firme Renaud assurances et gestion de risques inc. (qui sera désignée « Renaud » dans les lignes qui suivent). Il semble que certains conflits de personnalités aient pu justifier la décision de M. Lemieux de quitter Aon[5].

[14]        Ce n’est que sur l’heure du dîner, le 17 octobre 2013, que M. Lemieux informe M. Éric Gagnon, son supérieur chez Aon, de son intention de quitter son emploi sans préavis. À la demande de M. Gagnon, il lui remet une lettre de démission. La pièce P-24 établit qu’il signe, le même jour, une convention d’emploi avec Renaud.

[15]        Au moment de son départ, M. Lemieux est chargé de comptes chez Aon et son portefeuille se compose de 83 clients. Il admet avoir contacté 17 de ses clients dans les dix jours précédant sa démission, mais par courtoisie, pour les informer qu’il quitte et que quelqu’un d’autre chez Aon prendra la relève de leur dossier. C’est là l’essence de son témoignage en première instance :

[…]

Ce que je veux savoir, ce que je veux que vous disiez au Tribunal, c’est : est-ce que vous avez eu des communications, avant ou après votre départ, avec ces gens-là, pour les solliciter?

Et je veux que vous expliquiez quelles sont les communications et quelles sont la - et quelle est la teneur des communications que vous avez eues avec ces gens-là.

R. Bon.

J’ai rencontré ces gens-là parce que, dans le cautionnement, c’est… un dossier de cautionnement, contrairement à un dossier de manufacturier, c’est que… euh… le dossier de manufacturier, vous le réglez, vous le renouvelez puis vous le mettez en filière puis, s’il y a pas de réclamation, il ressort pas ou, s’il y a pas de changement dans ses… ses… ses opérations, il ressort pas.

Un dossier de cautionnement ou un entrepreneur en construction, c’est au jour le jour, il a besoin d’une assurance chantier, il a besoin d’un cautionnement, il y a toutes sortes de choses, c’est au jour le jour, on sait jamais qu’est-ce qu’il y a.

C’est pour ça que, un dossier d’entrepreneur, Madame la Juge, c’est… c’est beaucoup d’ouvrage, parce que c’est… c’est toujours - le dossier est toujours sur votre bureau, il sort… il se serre pas, c’est toujours… - en tout cas.

Et…

Q. Les communications que vous avez eues avec ces gens-là.

R. Bon.

Étant donné que c’était des dossiers qui… qui bougent tout le temps, moi, en tant que professionnel, je suis allé les voir puis je leur ai dit que je quittais puis je leur ai dit qu’une autre personne de Aon s’occuperait d’eux autres.

Mais les relations d’affaires que j’ai avec eux autres, ils m’ont dit : « Guy, on - c’est toi, c’est avec toi que je fais affaire puis on veut pas changer. »

Je peux vous donner un exemple à ça, c’est… dans le cas de Verreault, monsieur Gagnon l’a… l’a appelé après que… qu’il m’a donné la… la lettre de transfert, monsieur Gagnon l’a appelé puis monsieur Marcoux, qui est président de - qui est maintenant président de Verreault, à l’époque, il était pas président, il était vice-président, il a dit à monsieur Gagnon : « Regarde, Guy Lemieux, là, c’est pas un courtier d’assurance, pour nous autres, il fait partie de notre équipe, il fait partie de notre "staff", il fait partie de - il dit : on peut pas s’en débarrasser. »

LA COUR :

Q. C’est monsieur « Mailloux »?

R. Marcoux.

Q. Monsieur Marcoux…

R. Jérôme Marcoux.

Q. … monsieur Verreault.

R. Oui.

Q. Monsieur Jérôme

R. Jérôme Marcoux, oui.

Q. … Marcoux, qui était, à l’époque, v.-p.

R. Oui.

Il a dit : « Guy Lemieux fait partie de la… de la famille chez nous puis, il dit, c’est pas notre courtier d’assurance, il fait partie de la famille. »

ME JEAN-GUY LEBEL

pour la défense :

Q. Avez-vous pressé ces gens-là, cherché à les faire suivre - à vous suivre?

R. Non

Non, pas du tout.

Pas du tout, mais la réponse qu’ils me donnaient : « Guy, c’est toi qui nous as toujours conseillés, ça fait X années qu’on est avec toi, ils disaient : on te suit, on s’en va avec toi. »

[…]

[Je souligne]

[16]        La preuve établit que 25 clients ont choisi de le suivre chez Renaud. Quatre d’entre eux ont quitté Aon, plusieurs mois plus tard, respectivement en février, mars, avril et mai 2014.

[17]        Lorsque M. Lemieux arrive chez Renaud, ce même jour du 17 octobre 2013, il entreprend, à la demande de ses clients, de faciliter le transfert de leurs comptes vers son nouvel employeur.

[18]        En ce qui concerne la suite des événements, la juge note que :

[43]      Recevant dès le lendemain des avis de compagnies d’assurance ayant été avisées par des clients du changement d’entreprise de courtage[6], Gagnon et son équipe tenteront plutôt de contacter le plus de clients possible afin de tenter de les convaincre de rester.

[44]      Dans les jours qui suivront le départ de Lemieux, soit entre le 18 octobre et son propre départ en vacances vers le 23 octobre, il parlera directement à cinq clients, lesquels confirment suivre Lemieux, leur courtier depuis des années.

[45]      Des quatre-vingt-trois clients que Lemieux dessert, vingt-cinq le suivront chez Renaud.

[46]      Malgré une mise en demeure[7] expédiée à Lemieux et Renaud, les clients quittent pour se faire servir chez Renaud.

[47]      Dans les semaines qui suivront le départ de Lemieux, madame Carmen Joly, technicienne en cautionnement, le rejoint chez Renaud.[8]

[Je souligne]

[19]        La requête introductive d’instance d’Aon, déposée le 30 octobre 2013 et réamendée le 3 novembre 2014, expose « entre autres » les dommages qu’elle encourt en raison des fautes contractuelles de Lemieux, lesquels s’élèvent selon elle à plus de 3 M$. On y lit en effet que :

[27]      Ce départ planifié, sans préavis et sans motif sérieux constitue à lui seul un acte déloyal contrevenant au devoir de loyauté de tout employé prévu à l’article 2088 du Code civil du Québec;

[…]

[38]      Par ailleurs, si Lemieux avait respecté son obligation de donner un préavis et son engagement de non-sollicitation, Aon aurait eu, au strict minimum, l’occasion de faire la transition vers les autres courtiers membres de l’équipe;

[39]      Il s’agit là d’une des raisons d’être principale du préavis et de l’engagement de non-sollicitation;

[…]

[53]      La perte de ses clients au profit de Renaud cause un important préjudice matériel à Aon;

[…]

[55]      En conséquence, Aon est en droit de réclamer la somme de 3 254 864,66 $, équivalant à trois fois le revenu annuel moyen rattachés aux clients illégalement sollicités par Lemieux;

[…]

[57]      N’eût été de la contravention de Lemieux à son obligation de loyauté et à l’engagement de non-sollicitation auxquels il était tenu, pour son bénéfice et celui de Renaud, Aon aurait au moins eu l’opportunité d’approcher les clients pour faire la transition avec le reste de l’équipe de courtier;

[58]      Lemieux et Renaud doivent être tenus solidairement responsables de ces dommages causés par leur violation de ladite clause de non-sollicitation;

[Je souligne]

2.         LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE

[20]        La juge de première instance constate que le litige qui lui est soumis met en œuvre l’application de deux clauses du contrat d’emploi signé par M. Lemieux et Aon au mois d’août 1999.

[21]        Elle retient de la preuve que M. Lemieux a manqué à son devoir de loyauté en ne donnant pas à Aon le préavis prévu par la clause 13 susmentionnée. Elle ne considère pas non plus le fait qu’Aon a renoncé au préavis en demandant à M. Lemieux de signer une lettre de démission.

[22]        Ce comportement déloyal la justifie de condamner M. Lemieux au paiement de 4 052,65 $, représentant 2/52 de son salaire annuel.

[23]        Puis, se livrant à l’étude de la clause 15 du contrat, la juge y note l’existence de deux obligations différentes : une obligation de non-sollicitation, le paragraphe (i), et une obligation de non-concurrence, le paragraphe (ii).

[24]        Elle conclut d’abord au caractère déraisonnable de l’obligation de non-concurrence au regard des dispositions de l’article 2089 C.c.Q., et ce, en raison de l’absence de limite territoriale. Ce constat de la juge n’est pas contesté en appel.

[25]        Elle procède ensuite à l’étude de l’obligation de non-sollicitation, qu’elle reconnaît valide et retient de la preuve ce qui suit :

[194]    Ce que retient le Tribunal du témoignage des différents clients qui ont suivi Lemieux et du témoignage de ce dernier, il informe surtout les clients dans le domaine du cautionnement de son départ mais les informe qu’une relève prendra leurs dossiers chez Aon.

[195]    À entendre le témoignage de certains clients devant le Tribunal, ces derniers sont liés pour la vie avec Lemieux et non pas avec Aon.

[196]    Comme l’a repris Bolduc de Toiture Falardeau, « il le suivrait jusqu’en enfer ». Le père de Bolduc travaillait avec Lemieux et Bolduc (fils) souhaite suivre Lemieux.

[197]    Le simple fait d’informer ne fait pas en sorte de violer les obligations si dûment engagées envers son employeur.

[26]        Contre toute attente et sans explication, la juge conclut toutefois à la violation de cette clause de non-sollicitation par M. Lemieux et estime qu’il est « juste d’accorder douze mois de salaire de Lemieux à titre d’équivalent aux dommages, puisqu’après l’expiration de ce délai de douze mois, les clients l’auraient suivi »[9].

[27]        La juge considère enfin, sans s’en expliquer davantage, que Renaud et M. Lemieux doivent rembourser 200 000 $ à Aon. Elle conclut de la façon suivante :

[214]    CONDAMNE les défendeurs Guy Lemieux et Renaud assurance et gestion de risques inc., conjointement et solidairement, à verser à la demanderesse une somme de 204 052,65 $ à titre de dommages avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à la loi à compter du 18 octobre 2013;

[Je souligne]

3.         LES QUESTIONS EN LITIGE

[28]        Les appelants font valoir que la juge a commis une erreur déterminante en décidant que M. Lemieux a contrevenu à son obligation de donner à Aon un préavis de deux semaines et en octroyant de manière « ultra petita » une indemnité de 4 052,65 $.

[29]        L’intimée plaide qu’il s’agit là d’une détermination purement factuelle et invite la Cour à la plus grande déférence.

[30]        Les appelants font aussi valoir que, bien que la juge ait correctement exposé les principes de droit relatifs à l’obligation de non-sollicitation, elle s’en est erronément éloignée en les condamnant, en l’absence d’une preuve directe, à des dommages de 200 000 $. La preuve n’établit pas, à leurs yeux, les critères de répétition, d’insistance et de pression que reconnaît la jurisprudence en telle matière.

[31]        Ils soutiennent aussi que la clause 15 étant indivisible, l’obligation de sollicitation aurait dû suivre le même sort que l’obligation de non-concurrence : la juge a erré en ne reconnaissant pas qu’elle est également invalide.

[32]        L’intimée, qui supporte la décision rendue, plaide que la juge, vu la nature différente des restrictions, n’a pas commis d’erreur en reconnaissant, au vu de la preuve avancée devant elle, la validité et l’application de la clause de non-sollicitation. Par son appel incident, l’intimée soutient que la juge a erré en ne retenant pas les conclusions de l’expert en regard de leur réclamation intégrale de 3 224 864,66 $ et en concluant qu’aucun dommage ne pouvait lui être accordé sur la base d’une perte de profits.

4.         LA NORME D’INTERVENTION

[33]        Les moyens soulevés par le présent pourvoi des appelants sont de trois ordres. Certains s’attaquent à des inférences strictement factuelles de la juge de première instance, alors que d’autres concernent des conclusions mixtes de fait et de droit, ou encore, de droit uniquement.

[34]        S’appuyant sur les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen[10], notre Cour résume la norme d’intervention applicable à ces trois catégories de questions dans l’arrêt Manac inc./Nortex c. The Boiler Inspection and Insurance Company of Canada :

[30]      On peut résumer comme suit les différents volets de la norme d'intervention applicable aux cours d'appel : 1° une cour d'appel ne doit réviser les déterminations factuelles du juge de première instance que si ces déterminations (qui incluent les constats et les inférences de fait) sont substantiellement erronées, c'est-à-dire entachées d'une erreur manifeste et dominante ou, si l'on préfère, d'une erreur évidente et déterminante; 2° par contraste, une cour d'appel doit rectifier, selon la norme de la décision correcte, l'erreur de droit commise par le juge de première instance (ce qui appellera une rectification des conclusions affectées par cette erreur, le cas échéant); 3° lorsqu'il s'agit d'une véritable question mixte de fait et de droit, c'est encore la norme de l’erreur manifeste et dominante qui prévaut, « à moins que le juge de première instance n’ait clairement commis une erreur de principe isolable » en répondant à la question.[11] 

[Renvoi omis]

[35]        La Cour reprend, dans un arrêt récent, l’analyse de la norme d’intervention en écrivant :

[44]      La norme d’intervention dans un dossier factuel comme en l’espèce est celle de l’erreur manifeste et déterminante. Cette norme est élevée : « l’erreur doit être évidente et, une fois identifiée, c’est l’arbre entier qui doit tomber en raison de cette erreur… une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil ».

[45]      Les parties ne peuvent plaider de nouveau le dossier en appel comme si elles étaient en première instance et espérer un résultat différent.

[46]      Elles doivent « montrer du doigt » l’erreur évidente qui aurait été commise par le juge de première instance, ce qui « signifie autre chose qu’inviter la Cour à porter un regard panoramique sur l’ensemble de la preuve ». Le plaideur doit montrer un élément dans la preuve qui « fait tout simplement obstacle à la conclusion de fait attaquée ».

[47]      Si le plaideur parvient à démontrer qu’une conclusion est « manifestement fausse » en raison de l’erreur  factuelle du juge de première instance, encore faut-il que l’erreur soit déterminante, c’est-à-dire qu’elle « compromet[te] suffisamment le dispositif » pour justifier la réformation du jugement par cette Cour.[12]

[Renvois omis]

5.         L’ANALYSE

I.          Les moyens relatifs à la clause du préavis

[36]        La clause 13 du contrat d’emploi intervenu entre les parties, relative à la fin de l’emploi, permet à l’employé d’y mettre fin sur préavis de deux semaines, « which notice, may, at the Company’s option, be waived »[13].

[37]        La preuve établit que M. Lemieux n’a pas donné de préavis avant d’annoncer son départ le 17 octobre 2013 et que M. Gagnon lui a demandé de lui remettre une lettre de démission.

[38]        Les appelants font valoir que la juge a adjugé « ultra petita »[14] en les condamnant à payer 4 052,65 $ à titre d’indemnité pour défaut de préavis, puisque la requête introductive d’instance n’établit aucun chef de réclamation à ce sujet.

[39]        Je suis d’avis que les parties ont eu l’occasion d’exposer leurs observations sur cette question et que, vu les allégations apparaissant aux paragraphes 38, 39, 53, 55 et 57 de la requête introductive d’instance réamendée, il était loisible à la juge de première instance de distinguer la réclamation pour défaut de préavis de celle relative à la non-sollicitation. C’est d’ailleurs ce que reconnaît notre Cour dans l’arrêt Brégaint c. Daoust[15].

[40]        Toutefois, la preuve de l’inexécution d’une obligation contractuelle est insuffisante en elle-même pour faire droit à une réclamation en dommages-intérêts. Encore faut-il que ces derniers soient d’abord prouvés, qu’ils soient certains et qu’ils soient directement liés à l’inexécution (articles 1458, 1590, 1607, 1611 et 1613 C.c.Q.)[16]. Or, en l’espèce, la preuve ne permet pas de conclure qu’Aon aurait pu transférer les clients de Lemieux vers les autres courtiers membres de son équipe si ce dernier avait donné un préavis. Le juge ne pouvait donc pas conclure à des dommages réels causés à Aon par le défaut d’avis, non plus que le lien de causalité entre les dommages et la faute.

[41]        La juge écrit simplement :

[165]    L’absence d’avoir donné le préavis de deux semaines prend la demanderesse au dépourvu.

[…]

[167]    Dans les circonstances, combien vaut cette attitude?

[168]    Compte tenu du contrat de travail de travail lié à l’embauche et du revenu de Lemieux au départ de chez Aon, les 2/52 de 105 369 $, à savoir 4 052,65 $ sont accordés sous ce poste.[17]

[Renvoi omis]

[42]        Avec égards, la juge a commis une erreur en choisissant d’indemniser Aon sous ce chef, en l’absence d’une preuve prépondérante établissant un lien entre la faute constatée et les dommages, qui, par ailleurs, n’ont pas été établis. Il y a donc lieu d’annuler cette condamnation monétaire. En effet, le témoignage de M. Gagnon, laisse entendre qu’Aon aurait eu besoin de ces deux semaines afin de pouvoir assurer la transition et maintenir sa clientèle. Le tableau que je reproduis ici, expose les éléments de la preuve relative aux clients d’Aon qui ont choisi de suivre M. Lemieux chez Renaud. J’y relève leur ancienneté, la date effective du transfert et la valeur du portefeuille de chacun.

Tableau des clients d’Aon ayant transféré leurs affaires chez Renaud assurances

 

Clients de M. Lemieux ayant transféré leurs affaires chez Renaud

Ancienneté des clients de M. Lemieux

(M.A., vol. 4, p. 1028-1035)

Date avis de changement de courtier

(P-20, M.A., vol. 2, p. 345-508)

Valeur portefeuille chez Aon en 2012 (P-16A, M.A., vol. 2, p. 331)

1

Beauvais & Vérret inc.

1999

18 octobre 2013

126 644

2

Construction Michel Gagnon Ltée

1994

17 octobre 2013

8 630

3

HMI Construction inc.

2001

17 octobre 2013

55 115

4

Constructions BSL inc.

 

17 octobre 2013

78 603

5

Mecelec inc.

 

9 mai 2014

9 375

6

Charles-Auguste Fortier inc.

» 1990

17 octobre 2013

112 984

7

Métal Perreault inc.

» 1990

17 octobre 2013

12 148

8

Raoul Beaulieu inc.

1969

17 octobre 2013

30 028

9

Verrault inc.

1993

18 octobre 2013

42 328

10

Kamco Construction inc.

1986

4 mars 2014

34 721

11

Toitures Falardeau inc.

« depuis toujours »

17 octobre 2013

34 645

12

171029 Canada Ltée.

 

 

646

13

Construction Gély inc.

1982

17 octobre 2013

73 689

14

Kudlik Construction Ltd.

1982

17 octobre 2013

3 861

15

Allen Entrepreneur Général inc.

1999

20 octobre 2013

219 535

16

Ogesco Construction inc.

2001

7 avril 2014

37 741

17

Lauréat Pépin inc.

entre 1986 et 1999

6 février 2014

13 462

18

Les Produits Denray inc.

» 1990

17 octobre 2013

8 958

19

Entreprises G.N.P. inc.

2003

17 octobre 2013

101 505

20

JES Construction inc.

2007

17 octobre 2013

47 216

21

Excavations FRT inc.

 

17 octobre 2013

60

22

Kudlik Aviation inc.

1982

17 octobre 2013

7 013

23

Socomec Industriels inc,

 

17 octobre 2013

25 576

24

Kudlik Construction Ltd.

1982

17 octobre 2013

124 323

25

Meza Construction inc.

 

29 octobre 2013

120

 

 

 

TOTAL

1 208 926 $

[43]        Certaines constatations s’imposent :

-  Quatre d’entre eux ont quitté Aon plusieurs mois après le fait : il s’agit des clients apparaissant aux nos 5, 10, 16 et 17 du tableau;

-  La valeur moyenne du portefeuille de ces 25 clients est de 48 000 $ environ;

-  Parmi ces 25 clients, les clients nos 12, 21 et 25 ont un portefeuille d’une valeur inférieure à 700 $;

-  Parmi ces 25 clients, 5 ont un portefeuille inférieur à 10 000 $. Ce sont les clients nos 2, 5, 14, 18 et 22;

-  Seuls 5 de ces 25 clients possèdent un portefeuille d’une valeur supérieure à 100 000 $. Ce sont les clients nos 1, 6, 15, 19 et 24.

[44]        Aon a produit le témoignage, en contre-preuve, de 2 des 25 clients qu’elle qualifie de déserteurs. Il s’agit des clients no 11 dont le portefeuille s’élève à 34 645 $ et le client no 23 dont le portefeuille a une valeur de 25 576 $.

[45]        Il est ainsi difficile au vu de la preuve, et contrairement à ce qu’en dit mon collègue le juge Rochette, de constater que M. Lemieux a choisi d’amener avec lui, la clientèle la plus rentable d’Aon. Je note aussi que la preuve avancée par Aon pour justifier sa « perte de profits » n’expose que la valeur du portefeuille des 25 clients déserteurs. Elle ne met pas en lumière la valeur du portefeuille des 58 clients qui lui sont restés fidèles. Il devient partant impossible d’établir la proportion réelle de la perte pour être en mesure d’évaluer sa perte de chance de profits.

[46]        Voici d’ailleurs ce qu’en retient la juge :

[195]    À entendre le témoignage de certains clients devant le Tribunal, ces derniers sont liés pour la vie avec Lemieux et non pas avec Aon.

[196]    Comme l’a repris Bolduc de Toiture Falardeau, « il le suivrait jusqu’en enfer ». Le père de Bolduc travaillait avec Lemieux et Bolduc (fils) souhaite suivre Lemieux.

[47]        D’autre part, la juge de première instance n’a pas retenu le témoignage de l’expert d’Aon relativement aux pertes encourues et elle s’en est clairement expliquée. Elle note aussi que M. Gagnon a été incapable de soutenir, par une preuve appropriée, le chiffre d’affaires de 1,6M $[18], représentant supposément la valeur du portefeuille des 83 clients de M. Lemieux alors qu’il était chez Aon.

[48]        La preuve administrée par Aon établit enfin qu’au cours des 2 semaines qui ont suivi le départ de M. Lemieux, seulement 5 des clients avisés par Lemieux de son départ et qui ont décidé de le suivre ont été contactés par Aon. Il ne s’agit pas là d’un grand effort de mitigation des dommages.

[49]        Tout cela m’amène à conclure qu’il ne suffit pas de constater le manque de loyauté de M. Lemieux et l’application de la clause de préavis. Il faut en plus que des dommages en découlent, ce qui n’a pas été démontré, et qu’un lien de causalité existe entre la faute et le dommage, ce que la preuve ne révèle pas.

[50]        Il y a donc lieu d’annuler la condamnation de 4 052,65 $ prononcé par la Cour supérieure.

II.         La clause de non-sollicitation et les dommages de 200 000 $

[51]        Les appelants font essentiellement valoir que la juge de première instance a erré en distinguant les obligations découlant des paragraphes i) et ii) de la clause 15 et en ne réservant pas au paragraphe i) le même sort que celui donné au paragraphe ii).

[52]        Les appelants ont tort et ne démontrent pas d’erreur dans l’analyse de la juge qui a en effet retenu les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Cameron[19]. On y lit ce qui suit :

[…] Les questions que cette Cour doit trancher, comme ont dû le faire les cours d’instance inférieure, découlent des clauses (2), (3) et (5) de la lettre dont voici le texte intégral:

[TRADUCTION]

(2) Pendant que je serai à votre service et durant les cinq années qui suivront mon départ, je ne pourrai ni amener, ni essayer d’amener directement ou indirectement aucun de vos clients ou clients en perspective à confier ses affaires à quelqu’un d’autre ou à cesser de faire affaires avec vous.

(3) Pendant que je serai à votre service et durant les cinq années qui suivront mon départ, je ne pourrai ni m’engager, ni travailler à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, au Canada, chez aucune entreprise de «factoring», société de financement ou entreprise similaire, ni chez aucun de vos concurrents, ni chez aucun client en perspective avec qui vous pourriez être en pourparlers.

[…]

[…] [I]l suffit de dire que les clauses (2) et (3) sont nettement séparables; aucune des obligations assumées dans l’une ou l’autre ne dépend de celles que comporte l’autre ou ne leur est nécessairement rattachée. En arrivant à cette conclusion, j’estime que les mots « m’engager, ni travailler à quelque titre que ce soit… chez », à la clause (3), excluent la façon d’agir proscrite à la clause (2).[20]

[Je souligne]

[53]        Le cas sous étude se distingue nettement de la situation qui prévalait dans l’arrêt Shafron[21] dans lequel la Cour suprême du Canada procède à l’étude d’une obligation de non-concurrence contenue dans une seule et même clause sans alinéas ou paragraphes distincts et où il est question de l’interprétation de l’expression « agglomération de la ville de Vancouver »[22]. On y lit spécifiquement :

[34]      Lord Moulton n’a pas complètement exclu le recours à la divisibilité. Toutefois, il s’agissait pour lui d’une solution exceptionnelle, applicable uniquement aux stipulations clairement divisibles et, encore, à la condition qu’elles soient dénuées d’importance ou qu’elles soient de pure forme. […]

[35]      Dans d’autres causes, on a estimé possible de recourir à la divisibilité si les parties retranchées sont indépendantes des autres ou peuvent être retranchées sans que le sens du reste du document ne soit affecté. Voir, par exemple, T. S. Taylor Machinery Co. c. Biggar (1968), 1968 CanLII 588 (MB CA), 2 D.L.R. (3d) 281 (C.A. Man.), p. 290, Putsman c. Taylor, [1927] 1 K.B. 637 (C. div.), p. 639-640, et T. Lucas & Co. c. Mitchell, [1974] Ch. 129 (C.A.), p. 135.

[36]      J’estime que la vision du droit qu’il faut retenir est celle qui se dégage du raisonnement de Lord Moulton dans Mason, et non celle exprimée dans la jurisprudence citée au par. 35 ci-dessus. Selon moi, la technique du trait de crayon bleu devrait être appliquée avec parcimonie, et uniquement dans les cas où la partie retranchée peut clairement être séparée du reste de la clause, est dénuée d’importance et ne fait pas partie de l’objet principal de la clause restrictive. Néanmoins, la règle générale doit être la suivante : une clause restrictive ambiguë ou déraisonnable figurant dans un contrat de travail est nulle et inapplicable.[23]

[Je souligne]

[54]        La première juge n’a pas commis d’erreur en divisant les clauses i) et ii).

[55]        Elle conclut, à juste titre, à la validité de la clause de non-sollicitation après une étude adéquate des principes reconnus et appliqués (paragr. 179-183 du jugement). Subsidiairement, les appelants sont d’avis que c’est la mise en œuvre des principes reconnus par la juge au regard de la preuve qui est erronée.

[56]        La juge note en effet que :

[162]    Effectivement, Lemieux n’a pas à faire de pression et à solliciter de façon intense et pressante les clients qui le suivent puisqu’ils en sont de longue date pour la plupart d’entre eux et sont liés à la personne de Lemieux et ne veulent pas continuer à faire affaires avec Aon.

[…]

[192]    La communication avec un ancien client pour l’informer de son départ que ce soit par lettre ou par téléphone ne viole pas l’obligation de non-sollicitation en principe.

[193]    À cet effet, la Cour supérieure écrit, dans une décision du 13 avril 2011 :

Les tribunaux ont considéré qu’il n’y avait pas eu de sollicitation active et, en conséquence de violation des obligations contractées, lorsque l’employé n’a communiqué avec ses clients que pour les informer de son départ, par courtoisie, sans toutefois les inviter à le suivre, comme c’est le cas en l’espère (sic).

[194]    Ce que retient le Tribunal du témoignage des différents clients qui ont suivi Lemieux et du témoignage de ce dernier, il informe surtout les clients dans le domaine du cautionnement de son départ mais les informe qu’une relève prendra leurs dossiers chez Aon.

[195]    À entendre le témoignage de certains clients devant le Tribunal, ces derniers sont liés pour la vie avec Lemieux et non pas avec Aon.

[196]    Comme l’a repris Bolduc de Toiture Falardeau, «il le suivrait jusqu’en enfer». Le père de Bolduc travaillait avec Lemieux et Bolduc (fils) souhaite suivre Lemieux.

[197]    Le simple fait d’informer ne fait pas en sorte de violer les obligations si dûment engagées envers son employeur.

[…]

[199]    Certes, Lemieux a joué au funambule en contactant environ vingt-sept clients pour les informer de son départ. Cependant, la majeure partie des clients de Lemieux restent chez Aon puisque sur quatre-vingt-trois, il n’en récupère que vingt-cinq.

[…]

[201]    Aucune preuve de dommages directs n’est fournie par Aon.

[…]

[57]        Cela étant et sans autre explication, la juge conclut que :

[206]    Bien qu’Aon puisse être déçue du comportement et de l’attitude de Lemieux, le Tribunal retient que Lemieux n’a pas respecté la clause 15 paragraphe i) du contrat d’embauche signé avec Aon.

[207]    Quant aux dommages qui en découlent, puisque la preuve directe n’est pas atteinte par la démonstration d’Aon, il nous apparaît juste d’accorder douze mois de salaire de Lemieux à titre d’équivalent aux dommages, puisqu’après l’expiration de ce délai de douze mois, les clients l’auraient suivi.

[…]

[211]    Renaud et Lemieux devront conjointement rembourser 200 000 $ à Aon. [24]

[Renvoi omis; je souligne]

[58]        Il y a ici, et cela dit avec égards, contradiction flagrante dans les conclusions de fait et mixtes de droit et de fait que tire la juge au vu de la preuve. Il est en effet difficile de concilier que « Lemieux n’a pas à faire de pression et à solliciter de façon intense et pressante les clients qui le suivent » avec la conclusion, au paragraphe 206, selon laquelle il n’a pas respecté la clause 15 i) du contrat.

[59]        La preuve établit en effet que M. Lemieux a communiqué avec 17 clients d’Aon avant sa démission à cause de la nature même du contrat de cautionnement qui demeure ouvert pour la durée du chantier auquel il s’applique[25]. Au total, 25 clients sur 83 ont transféré leurs comptes chez Renaud. La juge de première instance retient que lors des conversations avec les clients en cause, M. Lemieux leur annonçait son départ et les informait que l’équipe d’Aon prendrait la relève dans leurs dossiers. Elle note aussi que ce sont les clients eux-mêmes qui ont pris la décision de suivre M. Lemieux puisqu’ils sont en relation d’affaires avec celui-ci depuis longue date. Aussi, le fait d’aider à remplir les formulaires requis, une fois la décision prise par le client de changer de courtier, ne saurait constituer un acte de sollicitation prohibée.

[60]        La doctrine et la jurisprudence[26] rappellent que le terme « sollicitation » laisse entendre une communication active, directe, pressante, persistante et récurrente auprès de la clientèle de l’ancien employeur. C’est d’ailleurs ce qu’exposent avec justesse les paragraphes 193, 198 et 205 du jugement entrepris.

[61]        La juge a toutefois considéré que le comportement de M. Lemieux et celui de Renaud constituent un manquement à la clause de non-sollicitation, malgré une absence de preuve sous ce rapport.

[62]        La clause de non-sollicitation prévoit que M. Lemieux ne pouvait pas « contact, solicit or in any manner approach for any purpose competitive with the interests of the Company any party which had been a client or prospect of the Company »[27].

[63]        La juge de première instance a interprété cette interdiction de « contact » dans un contexte de sollicitation :

[182]    La clause de non-sollicitation n’empêche nullement l’exercice de la profession par l’individu, mais limite la possibilité de contacter la clientèle afin de l’inciter à la [sic] suivre. Notons qu’une simple lettre informant de son départ ne sera ordinairement pas suffisante pour violer une telle clause en l’absence d’autres mesures de sollicitation.[28]

[Je souligne]

[64]        Ainsi, la clause n’avait pas pour effet de prohiber tout type de contact entre M. Lemieux et les clients d’Aon, mais seulement les contacts visant à solliciter ces derniers.

[65]        Certains auteurs formulent l’avis qu’une clause de non-communication serait trop large et probablement invalidée par les tribunaux. Selon Karim Renno :

À la lumière de ce qui précède, la question se pose de savoir si le problème de la perspective de l’employeur ne pourrait pas être réglé en remplaçant l’interdiction de solliciter par l’interdiction de communiquer directement avec les clients, employés ou fournisseurs. Après tout, c’est sur la définition du mot « solliciter » que les tribunaux québécois se sont appuyés pour ajouter l’exigence que le comportement soit répété. Verra-t-on la naissance de la clause de non-communication?

Il semble bien que la réponse soit négative. En effet, les tribunaux ont déjà eu l’occasion de se prononcer sur la question et d’indiquer qu’une telle prohibition contractuelle serait indûment large et donc invalide. C’est d’ailleurs pour éviter cette conclusion qu’ils ont interprété ces clauses comme des clauses de non-sollicitation, même lorsque des mots différents étaient utilisés.[29]

[Renvois omis; je souligne]

[66]        Puis, selon Alexandre W. Buswell et Alexandre Paul-Hus :

Les tribunaux ont reconnu que l’interdiction conventionnelle de solliciter ne peut être interprétée de manière à excéder la protection des intérêts légitimes de l’employeur. Donc, une interdiction d’avoir tout contact avec certains clients pourrait être jugée invalide parce qu’excessive et déraisonnable. À l’inverse, le fait d’informer ses clients de son départ ne constituait pas, en soi, un effort de sollicitation. Une clause de non-sollicitation ne peut non plus avoir pour effet d’empêcher un professionnel, soumis à une obligation déontologique ou professionnelle, d’assurer un suivi normal auprès des clients qu’il servait. Par ailleurs, la publicité adressée au public en général ne peut, non plus, être assimilée à de la sollicitation.[30]

[Renvois omis; je souligne]

[67]        Les auteurs précités se fondent notamment sur l’affaire Martin Assurance et gestion de risques Inc. c. Trudel[31] pour illustrer leurs propos. La juge de première instance y fait d’ailleurs référence au paragraphe 68 du jugement entrepris :

[68]      Dans Martin assurance c. Trudel, la convention stipulait que le débiteur de l'obligation ne devait pas « approcher, rencontrer (ou) solliciter » la clientèle de Martin, voici comment le juge Bishop résume le droit applicable :

[…]

46. Quant à la prohibition d'approcher la clientèle de Martin, la Cour est d'avis qu'on doit la considérer à la lumière de la prohibition de solliciter. Si l'intention de Martin était de prohiber tout contact et toute communication entre Trudel et les clients de Martin, la Cour est d'avis que cette prohibition dépasserait les limites permises par l'article 2089 C.c.Q. et ne serait pas nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de Martin.[32]

[Je souligne]

[68]        Par conséquent, puisque la juge de première instance interprète l’interdiction de « contact » comme une limite à la possibilité de contacter la clientèle afin de l’inciter à le suivre, et que cette conclusion est soumise à la norme d’intervention de l’erreur manifeste et déterminante[33], je suis d’avis, avec respect pour l’opinion contraire de mon collègue le juge Rochette, qu’il nous est impossible d’apporter une interprétation distincte.

[69]        Puisque la preuve que retient la juge n’établit pas que M. Lemieux a contrevenu à son obligation de non-sollicitation, la condamnation à des dommages ne peut être justifiée sous ce chef, de même que la solidarité entre celui-ci et Renaud.

[70]        L’intimée a toutefois raison de soutenir que l’appelant a manqué à son obligation de loyauté envers elle. La juge de première instance en fait le constat :

[161]    Lemieux planifie son départ de façon articulée. D’ailleurs, sa demande de renouvellement de représentant auprès de l’Autorité des marchés financiers, bien que signée le 22 octobre 2013 de chez Renaud, prévoit une assurance-responsabilité professionnelle émise avec une couverture de 10 000 000 $ en date du 14 septembre 2013.

[…]

[166]    Dans les faits, sur ce point, le Tribunal retient qu’au moment où Lemieux quitte le 17 octobre 2013 pour joindre l’équipe de Renaud, bien qu’il ne soit pas parti avec des listes de clients ou autres, il planifie sa sortie depuis quelques mois.[34]

[Renvoi omis]

[71]        L’article 2088 C.c.Q. énonce que :

2088. Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et honnêteté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail.

 

Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l’information réfère à la réputation et à la vie privée d’autrui.

2088. The employee is bound not only to perform his work with prudence and diligence, but also to act faithfully and honestly and not use any confidential information he obtains in the performance or in the course of his work.

 

These obligations continue for a reasonable time after the contract terminates and permanently where the information concerns the reputation and privacy of others.

 

[72]        Dans l’arrêt Concentrés scientifiques Bélisle inc. c. Lyrco Nutrition inc., la juge Bich rappelle, au nom de la Cour, en quoi constitue l’obligation de loyauté dans le cadre d’un contrat de travail :

[39]      En cours de contrat de travail, le premier alinéa de cette disposition impose au salarié une obligation assez lourde, particulièrement dans le cas d'un salarié-clef ou dans le cas d'un salarié jouissant d'une grande latitude professionnelle, la loyauté étant à la mesure de la confiance de l'employeur. On pourrait résumer comme suit les grandes lignes de ce devoir de loyauté : puisqu'il ne travaille pas à son compte mais pour celui de l'employeur, qui seul dispose des fruits du travail, le salarié ne doit pas nuire à l'entreprise à laquelle il participe ou l'entraver; il doit faire primer (dans le cadre du travail) les intérêts de l'employeur sur les siens propres; il ne doit pas se placer en situation de conflit d'intérêts (ce qui pourrait l'amener à privilégier l'intérêt de tiers ou le sien propre plutôt que celui de l'employeur); il doit se conduire à tout moment avec la plus grande honnêteté envers l'employeur, ne peut s'approprier les biens matériels ou intellectuels de celui-ci ou les utiliser indûment à son avantage. Il ne peut évidemment pas détourner à son profit ou à celui de tiers la clientèle de l'employeur ni usurper les occasions d'affaires qui se présentent à ce dernier, etc. Dans certains contextes, même en l'absence d'une clause à cet effet, l'obligation de loyauté peut obliger le salarié à une exclusivité de services, quoique ce ne soit généralement pas le cas.[35]

[Renvoi omis; je souligne]

[73]        À la lumière des principes énoncés précédemment au paragraphe 31 et puisque la preuve n’établit pas de lien de causalité entre le manque de loyauté de M. Lemieux et la perte de clientèle d’Aon, pas plus que les dommages réels et/ou éventuels qui ont été causés, la condamnation aux dommages doit en conséquence être réformée.

[74]        La preuve établit tout au plus qu’Aon n’a pu bénéficier du temps requis pour tenter de retenir les clients de M. Lemieux[36]. Le témoignage de l’expert d’Aon relativement aux dommages a été écarté par la juge et celle-ci s’en est clairement expliquée. Son appréciation de la crédibilité de ce témoin ainsi que de la valeur probante de son témoignage a droit à notre entière déférence.

[75]        Je crois bon d’apporter ici quelques commentaires relativement à la théorie de la « perte de chance » en droit civil québécois avancée par mon collègue le juge Rochette.

[76]        Mon collègue retient que le préjudice causé par la faute de Lemieux n’est pas le transfert de 25 clients en soi, mais plutôt la perte de chance de les convaincre de rester chez Aon. Selon lui, cette perte de chance constitue un préjudice indemnisable parce qu’Aon « n’a pas eu l’occasion d’offrir à la clientèle visée de demeurer chez [elle], voire de négocier à quelles conditions cela pourrait se faire »[37]. Mon collègue fonde ainsi son analyse sur la perte de chance.

[77]        La Cour suprême a longuement traité de cette théorie dans l’arrêt Laferrière c. Lawson[38] rendu en 1991. Dans cette affaire de responsabilité médicale, le juge Gonthier, écrivant pour la majorité de la Cour, conclut qu’il n’y a pas lieu « d'incorporer dans le droit civil du Québec, en matière de responsabilité médicale, la théorie de la perte de chance, du moins de la façon dont on la comprend en France et en Belgique »[39].

[78]        Il faut comprendre que les tribunaux français et belges ont eu recours à la théorie de la perte de chance pour pallier l’inexistence du lien de causalité entre la faute et le préjudice. En d’autres mots, ils ont parfois octroyé des dommages en fonction d’une causalité partielle, c’est-à-dire en octroyant des dommages pondérés à la mesure du lien de causalité probable[40]. Par exemple, dans l’éventualité où, n’eût été la faute, les probabilités que la chance puisse se concrétiser étaient de 40 %, un tribunal français ou belge peut décider d’indemniser cette perte de chance à la hauteur de 40 %.

[79]        Au fil des années, certains arrêts de la Cour ont mentionné que la Cour suprême avait rejeté la théorie de la perte de chance en droit civil québécois[41], alors que d’autres ont statué que la Cour suprême avait plutôt reconnu cette théorie[42].

[80]        Je suis d’avis qu’il est possible de concilier ces positions divergentes de la façon suivante : je retiens en effet que la Cour suprême rejette l’utilisation de la théorie de la perte de chance pour pallier l’absence de preuve sur le lien de causalité[43]. Pour que la théorie s’applique, il faut donc que la preuve établisse que « la chance perdue soit réelle et sérieuse et que sa réalisation soit probable »[44].

[81]        En d’autres mots, une perte de chance peut devenir un préjudice indemnisable si elle répond aux règles habituelles de la responsabilité civile, c’est-à-dire s’il est démontré par prépondérance des probabilités, que n’eût été de la faute, la chance se serait concrétisée[45]. La doctrine reconnaît d’ailleurs cette interprétation[46].

[82]        L’arrêt Dupuis c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 130, rendu en 2008 par la Cour explique bien la nuance entre la perte de chance et la démonstration du lien de causalité :

[99]      Aux fins du présent dossier, je retiens de l'opinion du juge Gonthier et des autorités qu'il cite la distinction à faire entre la perte de chance, maintenant reconnue comme chef de dommage, et le lien de causalité réel entre la faute entraînant cette perte de chance et le dommage pour lequel on réclame.  La perte de chance constitue aujourd'hui un chef de dommage reconnu.  Le lien de causalité, par ailleurs, doit s'établir sur la base de la preuve au dossier et par l'analyse de la balance des probabilités qui, quant à elle, peut résulter du droit strict ou s'inférer de statistiques et de présomptions.

[100]    En résumé sommaire, il y a donc lieu de refuser de compenser la « perte de chance » chaque fois que la chance n'était, selon la preuve, que de 50 % ou moins.  On risquerait autrement, en matière médicale comme dans tout autre domaine d'activités humaines, de compenser des dommages à l'égard desquels la preuve du lien de causalité, qui doit être prépondérante, n'a pas été ou ne peut être faite.

[101]    Par ailleurs, au contraire, si la preuve du préjudice peut être établie par prépondérance de probabilité, la compensation est justifiée.  […]

[102]    L'article 1611 C.c.Q. me paraît confirmer cette approche. Cette disposition énonce le principe que tout dommage peut être indemnisé, qu'il soit présent ou futur, à la condition d'être certain et de pouvoir être évalué.  Le caractère de certitude s'évalue suivant la probabilité de sa réalisation (Société du parc industriel et portuaire de Bécancourt c. Soterm inc.), c'est-à-dire une certitude raisonnable (Uni-Select inc. c. Acktion Corp.).[47]

[Je souligne]

[83]        Par exemple dans l’affaire Lévesque c. Hudon, la juge de première instance avait conclu que la faute du médecin dans le suivi de son patient l’avait privé d’une chance de ne pas souffrir de séquelles, alors que cette chance n’avait que 42 % de probabilités de se réaliser :

[107]    Pourtant, c'est cette théorie que la juge d'instance a appliquée, tel que cela ressort du paragraphe 213 du jugement. En effet, elle a utilisé une présomption erronée pour déterminer que la faute de l'appelant avait fait perdre 42 % de chance à l'intimé de ne souffrir d'aucune séquelle. Bien que certains auteurs militent en faveur d'un fardeau plus léger en cas d'une faute d'omission, la Cour demeure liée par les conclusions de la Cour suprême voulant que le lien causal soit prouvé par la prépondérance des probabilités, sans égard au type de la faute. Décider autrement astreindrait les médecins à un régime de responsabilité distinct.

[108]    En définitive, la théorie de la perte de chance ne peut pallier l'absence de causalité. La conclusion de la juge concernant le lien de causalité est donc erronée et justifie l'intervention de la Cour.[48]

[Renvois omis; je souligne]

[84]        C’est donc dire qu’il n’a pas été démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le patient n’aurait pas eu de séquelles même s’il avait eu un suivi du médecin[49].

[85]         Dans une autre affaire, la Cour a refusé d’indemniser une perte de chance de soumissionner sur un appel d’offres puisque la partie lésée n’était pas parvenue à démontrer qu’il était probable qu’un contrat lui aurait été attribué en l’absence de la faute; le taux de succès de la partie lésée variant entre 22,5 % et 29,8 %[50].

[86]        Dans le cas qui nous occupe, si pour les fins de la discussion je suppose que la chance qu’avait Aon de convaincre certains des 25 clients de rester durant les deux semaines de préavis était réelle et sérieuse, force est de conclure que le degré de probabilité de réalisation de cette chance ne remplit toutefois pas le fardeau requis par l’article 2804 C.c.Q. En effet, Aon n’a présenté aucune preuve voulant que certains de ces clients seraient effectivement restés si elle avait eu deux semaines pour les convaincre. Son avocat a même informé la juge, au début de la seconde journée d’audience, qu’il ne ferait pas témoigner les clients d’Aon qu’il avait assignés[51].

[87]        Seuls deux des 25 clients sont venus témoigner au procès à la demande d’Aon, mais ces derniers n’ont pas été questionnés sur leur intention de rester chez Aon malgré le départ de M. Lemieux. Au contraire, l’un des clients a même affirmé qu’il le suivrait « jusqu’en enfer »[52].

[88]        De plus, même si j’estime que la juge de première instance a commis une erreur en condamnant M. Lemieux à des dommages-intérêts de 200 000 $, la juge attribue ce montant en considérant qu’après 12 mois - soit la durée de l’interdiction de la clause de non-sollicitation - les clients l’auraient suivi[53].

[89]        Comment est-il alors possible de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que certains des 25 clients seraient restés chez Aon si elle avait eu deux semaines pour les convaincre, alors que la juge conclut que même après 12 mois de plus passés chez Aon, sans M. Lemieux, les clients auraient tout de même transféré leurs affaires chez Renaud à l’issue de cette période d’interdiction.

[90]        Je souligne également que quatre des 25 clients ayant transféré leurs affaires chez Renaud l’ont fait en 2014, soit bien après les deux semaines suivant la date du 17 octobre 2013[54]. Comment expliquer qu’Aon n’ait pas réussi à les convaincre de rester même si elle a eu l’occasion et la possibilité de le faire?

[91]        En somme, il n’est pas suffisant d’affirmer que « [l]es clients avec lesquels l’appelant n’a pas communiqué sont tous restés chez AON » pour arriver à la conclusion qu’il est « clair que des clients dont il est difficile de déterminer le nombre, à cause des agissements de l’appelant, seraient restés chez AON »[55]. Il ne s’agit pas d’une présomption grave, précise et concordante (art. 2849 C.c.Q.).

[92]        Dans l’arrêt St-Jean c. Mercier, le juge Gonthier explique que « l’art. 2849 établit clairement qu’il ne faut prendre en considération que [les présomptions] qui sont graves, précises et concordantes. À défaut, il incombe au demandeur d’établir effectivement le fait inconnu sans qu’il soit permis au juge des faits de tirer une inférence d’un fait connu à un fait inconnu »[56].

[93]        Le juge Gonthier précise également qu’une Cour d’appel doit faire preuve de déférence autant à l’égard des présomptions de fait tirées par le juge d’instance, que le refus de tirer de telles présomptions :

[114]    Je ne suis pas bien convaincu que la Cour d’appel a fait erreur  en décidant de ne pas appliquer de présomptions de causalité en faveur de l’appelant.  Dans Québec (Curateur public), précité, le juge L’Heureux-Dubé affirme, au par. 47, que les présomptions de fait sont un moyen de preuve parmi d’autres.  Même s’il s’agissait d’une affaire dans laquelle le juge de première instance avait tiré des présomptions de fait, ses commentaires sur la non-intervention sont tout aussi pertinents lorsque le juge de première instance décide de ne pas faire de présomptions.  Le refus de tirer des présomptions est autant une décision sur la preuve que tout autre acceptation ou refus de moyens de preuve.

[Je souligne]

[94]        Comme l’indiquent les auteurs Jean-Claude Royer et Catherine Piché dans l’ouvrage La preuve civile :

1036 - […] Une présomption de fait ne peut être déduite d'une pure hypothèse, de la spéculation, de vagues soupçons ou de simples conjectures. Le fait inconnu qu'un plaideur veut établir ne sera pas prouvé, si les faits connus rendent plus ou moins vraisemblable un autre fait incompatible avec celui que l'on veut prouver ou s'ils ne permettent pas d'exclure raisonnablement une autre cause d'un dommage subi. En cette matière, il n'y a pas de renversement du fardeau de la preuve. Les indices connus doivent rendre probable l'existence du fait inconnu, et non seulement possible, et sans qu'il soit nécessaire toutefois d'exclure toute autre possibilité.[57]

[Renvois omis; je souligne]

[95]        En considération de ce qui précède, et avec égards, je m’explique difficilement comment il peut être possible de conclure qu’il existe « suffisamment de faits et de statistiques soumis en preuve »[58] permettant d’appliquer la théorie de la perte de chance, alors que la juge de première instance n’a jamais inféré qu’il était probable que certains des 25 clients soient restés chez Aon si elle avait eu deux semaines pour les convaincre.

[96]        Je suis donc d’avis, avec grand respect pour l’opinion contraire de mon collègue, qu’il n’y a pas, dans la preuve, suffisamment de faits et de statistiques permettant d’appliquer à l’affaire la théorie de perte de chance telle qu’elle se dégage de l’enseignement de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Laferrière c. Lawson. J’en retiens en effet le principe que la perte de chance de profits peut, exceptionnellement, constituer un préjudice indemnisable lorsqu’elle est soutenue par une preuve convaincante qui en démontre l’existence réelle selon la balance de probabilités.

[97]        Vu ce qui précède, le pourvoi incident doit échouer.

[98]        Pour tous ces motifs, je propose d’accueillir l’appel, de rejeter l’appel incident, d’infirmer le jugement de première instance et de rejeter le recours introductif d’instance de l’intimée, avec les frais de justice devant les deux Cours.

 

 

 

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.



 

 

MOTIFS DU JUGE ROCHETTE

 

 

[99]        L’exigence de la bonne foi est devenue un principe général en droit civil et un pilier du droit des obligations[59]. Plus particulièrement, notre droit civil consacre la bonne foi objective en référence au comportement acceptable, raisonnable, qui dénote un comportement loyal et honnête. Ce principe est d’application impérative. La loyauté rejoint les notions de probité, de droiture et de fidélité, et emporte aussi l’obligation d’exécuter les prestations auxquelles on s’est engagé[60]. Elle doit être plus particulièrement présente dans l’exécution d’un contrat de travail[61].

[100]     Dans son contrat d’emploi qui remonte au mois d’août 1999, l’appelant s’est engagé à donner à l’intimée un préavis de deux semaines, dans l’éventualité où il déciderait de mettre fin à son emploi. Il s’est également engagé à ne pas entrer en contact ni solliciter, directement ou indirectement, pendant une période de 12 mois suivant la fin de son emploi, une personne qui a été une cliente de l’intimée et avec laquelle il avait des rapports professionnels au nom de cette dernière.

[101]     L’appelant conteste devant nous la validité de la clause de non-sollicitation. La juge de première instance conclut, à bon droit, à la validité de celle-ci[62] et je n’ai rien à ajouter sous ce rapport.

[102]     Les deux clauses sont complémentaires et visent à conserver, dans la mesure du possible, la clientèle attirée par l’intimée à la suite de l’embauche de l’appelant. La clause de préavis accordait à l’intimée un délai de deux semaines pour annoncer le départ de l’appelant, informer la clientèle desservie des mesures qui seraient prises pour assurer la continuité dans l’offre de services et faire valoir l’éventail de ceux-ci. La clause de non-sollicitation visait à empêcher l’appelant de courtiser la clientèle de l’intimée après la fin de son emploi.

[103]     L’appelant a violé ses obligations contractuelles à tous égards, de façon intentionnelle et préméditée.

[104]     En février 2013, il apprend que l’appelante [Renaud Assurances] souhaite développer un département de cautionnement[63]. Vraisemblablement à compter de juin 2013[64], il rencontre à plusieurs reprises[65] Michel Renaud, président de l’entreprise, et ils s’entendent sur les conditions d’embauche de l’appelant plusieurs semaines avant sa démission.

[105]     Aucun préavis de son départ ne sera donné par l’appelant à l’intimée et celui-ci reconnaît au procès, ce qu’il avait nié au stade de l’interrogatoire préalable, avoir appelé presque toute la clientèle qu’il dessert dans le domaine du cautionnement de construction pour leur dire qu’il quittait l’intimée, après avoir rédigé pour certains « des modèles de courriels d’envoi » devant être transmis à AON[66]. Ces modèles ont été acheminés par l’appelant aux clients de l’intimée depuis les bureaux de celle-ci, avant son départ[67]. L’appelant précise également ce que sera sa nouvelle adresse courriel chez Renaud Assurances. La juge écrit :

[141]    Lemieux affirme en contre-interrogatoire avoir téléphoné et aidé à compléter les avis de transfert de plusieurs clients.

[142]    Effectivement, certains documents ont été dictés ou fournis en modèle aux clients et cela entre huit et dix jours avant son départ de chez Aon.

[106]     La juge estime que l’appelant a planifié sa sortie pendant quelques mois[68], une détermination qui n’est pas remise en question devant nous.

[107]     La juge retient aussi que l’appelant « informe surtout les clients dans le domaine du cautionnement de son départ mais les informe qu’une relève prendra leurs dossiers chez Aon »[69]. Le seul fait d’informer ces clients ne constituerait pas une violation par l’appelant de ses obligations[70].

[108]     La juge écrit encore :

[199]    Certes, Lemieux a joué au funambule en contactant environ vingt-sept clients pour les informer de son départ. Cependant, la majeure partie des clients de Lemieux restent chez Aon puisque sur quatre-vingt-trois, il n’en récupère que vingt-cinq.

[109]     Tout en concluant :

[208]    Bien qu’Aon puisse être déçue du comportement et de l’attitude de Lemieux, le Tribunal retient que Lemieux n’a pas respecté la clause 15[71] paragraphe i) du contrat d’embauche signé avec Aon.

[110]     On peut observer les hésitations de la juge de première instance sur cette question. Son constat que la clause de non-sollicitation a été violée, en outre de la clause de préavis de départ d’ailleurs, est néanmoins incontournable.

[111]     Non seulement l’appelant a-t-il planifié son départ de longue date, mais il a ciblé, dans son opération visant à récupérer « sa clientèle », les clients qui œuvrent dans le domaine du cautionnement de construction. Cela n’est pas anodin puisque, sur des revenus de commission bruts de 1.6 M $ en 2012 provenant de 83 clients, plus de 1.2 M $ résultaient de commissions payées par les 25 clients de la construction que l’appelant a justement « contacté » pour leur « annoncer » son départ de chez l’intimée.

[112]     Il s’agit précisément de la clientèle qui était convoitée par Renaud Assurances. L’expert Lachance, qu’a fait entendre l’intimée, a bien expliqué dans son rapport que le domaine des cautionnements liés au secteur de la construction procure les commissions les plus élevées dans l’univers des assurances de dommages. Elles sont « usuellement de 20% à 30% » et plus[72], ce qui rend « le portefeuille hautement attrayant »[73].

[113]     Ainsi, Renaud Assurances voulait récupérer ce secteur d’affaires lucratif en embauchant l’appelant et c’est pour cela qu’elle lui a consenti des conditions d’embauche très avantageuses[74]. L’appelant n’avait d’autre choix que de livrer la marchandise et il n’a manifestement ménagé aucun effort pour ce faire. Voilà pourquoi même s’il s’agissait pour la presque totalité de clients de longue date, il n’a rien tenu pour acquis.

[114]     Il n’a avisé l’intimée de sa décision que le jour même de son départ, alors que toutes les ficelles étaient attachées, et après avoir appelé les clients visés, les uns après les autres, pour les informer qu’il quittait AON pour Renaud Assurances. Il ira jusqu’à les aider à remplir les formulaires requis en pareil cas, avec les résultats que l’on connaît.

[115]     Dans le contexte où cette clientèle avait des rapports fréquents avec le courtier, il n’en fallait pas beaucoup pour que la frontière entre « information » quant au départ et sollicitation soit allègrement franchie, un constat auquel parvient la première juge. Cette réalité n’est sans doute pas étrangère au fait que l’appelant s’engageait, dans son contrat d’emploi, à ne pas avoir de « contact » avec la clientèle de AON en cas de départ.

[116]     Sous ce rapport, l’interprétation faite par mon collègue selon laquelle les démarches de l’appelant relevaient plutôt de la « courtoisie » étonne puisque celui-ci reconnaît, comme la juge du procès, que l’appelant a violé son obligation de loyauté envers l’intimée, une obligation particulièrement lourde lorsque le salarié jouit d’une grande latitude professionnelle, et qu’il aurait dû faire primer les intérêts de l’intimée sur les siens[75].

[117]     Il est à propos de souligner que les 58 clients avec lesquels l’appelant a choisi de ne pas communiquer sont restés chez AON.

[118]     Ainsi, j’estime que la preuve administrée dans le contexte particulier de cette affaire démontre clairement que l’appelant a manqué à ses obligations contractuelles, qu’il n’a pas eu un comportement loyal et honnête envers l’intimée, et que sa responsabilité civile est engagée. Aux termes du contrat d’embauche du 17 octobre 2013, l’appelante Renaud Assurances se porte d’ailleurs garante des frais légaux en cas de poursuites par AON[76], une perspective que l’appelant avait, à l’évidence, envisagée.

[119]     En ce qui concerne la responsabilité de Renaud Assurances, la juge de première instance mentionne simplement :

[208]    Il est clair pour le Tribunal que sans la contribution de Renaud, Lemieux n’aurait pas fait parvenir aussi rapidement les formulaires et indications nécessaires aux vingt-cinq clients l’ayant suivi.

[120]     Ce seul constat est insuffisant pour conclure à la responsabilité extracontractuelle de l’appelante. Notre intervention s’impose sous ce rapport; seul l’appelant devrait être tenu de compenser les dommages, le cas échéant.

[121]     Restent les dommages.

[122]     L’intimée réclame, aux termes de son recours introductif d’instance réamendé et de sa déclaration d’appel incident, la perte de profit résultant du départ des 25 clients qu’elle servait dans le domaine des cautionnements de construction. Elle relie directement cette perte à la démission de l’appelant en violation des engagements qu’il avait contractés. Elle recherche sa condamnation pour la valeur marchande de ce portefeuille qui équivaudrait à 3.25 fois les revenus annuels moyens générés par cette clientèle, soit environ 3.2 M $.

[123]     Aux fins de cette démonstration, l’intimée a fait entendre Marc Lachance, un expert reconnu dans le domaine, dont le rapport d’expertise présente certaines lacunes.

[124]     Ainsi, l’expert considère que cette clientèle est stable, étant chez AON depuis environ 10 ans, sans prendre en compte le fait que l’appelant a une relation étroite avec ces clients et demeure en affaires. La possibilité d’un départ de l’appelant, qui ne pouvait être exclue, était susceptible d’affecter à la baisse la valeur du portefeuille. Également, les frais de gestion afférents ont été sous-estimés et il y a un manque d’information sur les comparables considérés.

[125]     Ici encore, le jugement dont appel est ambivalent. La juge ne retient pas l’expertise Lachance et considère que des dommages directs n’ont pas été prouvés[77]. Elle note que les états financiers de l’intimée pour 2013 font voir un profit augmenté de 67 000 $ par rapport à 2012. Néanmoins, considérant la réclamation exagérée, elle accorde à l’intimée un montant de 200 000 $ représentant les revenus de l’appelant chez Renaud Assurances pour la première année du contrat « puisqu’après l’expiration de ce délai de douze mois, les clients l’auraient suivi »[78] et ordonne aux appelants de payer ce montant.

[126]     Pour le défaut de préavis, elle condamne les appelants à payer à l’intimée 4 052,65 $, soit les 2/52 du revenu d’emploi touché par l’appelant chez AON en date du 17 octobre 2013[79].

[127]     J’estime que les manquements contractuels de l’appelant et la violation de son obligation de loyauté se rejoignent dans un même faisceau, comme je l’ai mentionné ci-haut. En conséquence, il me paraît opportun de considérer globalement les dommages qui devraient être attribués à l’intimée, si tel devait être le cas, d’autant qu’elle ne réclame pas de dommages distincts en raison de l’absence de préavis.

[128]     Cela dit, même si l’expert Lachance a formulé une hypothèse peu convaincante quant à la valeur du portefeuille, que n’a d’ailleurs pas retenue la juge, il demeure que des données brutes non contestées ont été mises en preuve.

[129]     En 2012, le portefeuille convoité a généré pour l’intimée des revenus de 1.2 M $ dont elle a été privée instanter en raison du départ de l’appelant. Elle n’a pas eu l’occasion d’offrir à la clientèle visée de demeurer chez AON, voire de négocier à quelles conditions cela pourrait se faire. Les clients avec lesquels l’appelant n’a pas communiqué sont tous restés chez AON.

[130]     Il m’apparaît que des clients, dont il est difficile de déterminer le nombre en raison des agissements de l’appelant, seraient restés chez AON. Sous ce rapport, il est singulier que l’appelant reproche à l’intimée de n’avoir pas administré une preuve d’un haut niveau de certitude alors que seul le respect par lui de ses obligations contractuelles et légales aurait permis d’arriver à un tel résultat!

[131]     En l’espèce, un préjudice découlant de ce manquement est certain puisque l’intimée n’a pas été en mesure de tenter de retenir sa clientèle. La juge de première instance a accordé à l’intimée 200 000 $. Il n’y a pas là d’erreur justifiant notre intervention.

[132]     Notre Cour a rappelé dans l’arrêt Hydro-Québec c. Construction Kiewit cie :

La maxime « l’évaluation des dommages n’est pas une science exacte » prend ici tout son sens vu la complexité des réclamations et des contre-réclamations des parties. Par conséquent, il est nécessaire de reconnaître au juge d’instance « un assez large pouvoir d’appréciation » dans l’évaluation qu’il est appelé à faire. Comme le rappelle la Cour dans l’arrêt Provigo Distribution, la présence de facteurs difficilement prévisibles ou appréciables peut obliger un juge d’instance à établir la compensation due « en faisant appel à une certaine approximation, à un certain degré d’appréciation et à sa discrétion ».[80]

[133]     En référence à cet extrait, la Cour a rappelé récemment qu’en matière d’évaluation des dommages, le juge a un large pouvoir d’appréciation[81].

[134]     En raison du comportement de l’appelant, l’intimée a perdu la chance de convaincre sa clientèle de rester malgré le départ de celui-ci. Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore écrivent :

La jurisprudence indemnise également pour ce qu’elle qualifie de perte d’une chance. Dans ce cas, ce n’est pas tant la perte effective que le tribunal cherche à compenser, mais plutôt la disparition, en raison de la survenance de l’acte fautif, de la chance soit d’éviter une perte, soit de réaliser un profit. La difficulté théorique est que le préjudice pour lequel on réclame est non seulement futur, mais par définition, aléatoire. Si l’acte fautif n’était pas survenu, nul ne peut dire avec certitude si la perte aurait pu être évitée ou le profit réalisé. Les tribunaux reconnaissent ainsi que si la chance était réelle et sérieuse, elle constitue un préjudice qu’il convient d’indemniser.

[Soulignement ajouté]

[135]     La Cour suprême a reconnu en 1991 l’existence de cette théorie en droit québécois :

En réalité, la perte de chance est un type de préjudice. C’est le préjudice qui découle de la perte d’une possibilité de réaliser un profit ou d’éviter une perte. Elle soulève certainement des difficultés particulières pour ce qui est de l’analyse du lien de causalité, mais c’est d’abord et avant tout une sorte de préjudice […].

Dans les affaires de perte de chance, le préjudice est futur ou hypothétique et manifestement incertain. Il se distingue par le fait qu’il est aléatoire ou dépend d’un élément de chance qu’il faut évaluer en fonction de probabilités. Cet aspect aléatoire ou probabiliste présente une base possible pour établir un préjudice actuel. C’est la caractéristique distinctive de la perte de chance.

[…]

Au Québec, le juge s’attachera plus généralement au résultat concret de la perte de chance, s’étant d’abord convaincu que ce préjudice peut être tenu pour présent et certain, au moins selon son évaluation du contexte factuel et selon la prépondérance des probabilités, ou que ce préjudice est la conséquence d’un préjudice initial concret dont il faut tenir compte dans l’évaluation des dommages-intérêts. […][82]

[Soulignement ajouté]

[136]     Dans l’arrêt Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, la Cour a réitéré sans équivoque l’existence de la perte de chance en droit civil québécois :

Il est reconnu en jurisprudence que l’on peut indemniser une perte de chance pourvu que la chance perdue soit réelle et sérieuse et que sa réalisation soit probable.[83]

[Soulignement ajouté]

[137]     Il va de soi qu’une vague perte de chance n’est pas indemnisable :

[40]      Dans cette optique, le préjudice qui aurait été causé par le défaut allégué d'informer adéquatement l'intimé à l'automne 2001, quant à son droit à une rente de survivant, constitue en réalité une simple perte de l'option de considérer une différente stratégie, en somme une vague perte de chance, ce qui n'est pas indemnisable en droit civil québécois (Laferrière c. Lawson, [1991] 1 R.C.S. 541).[84]

[138]     En revanche, « même si la situation de perte de chance présente toujours des difficultés de preuve, (…) si suffisamment de faits et de statistiques sont soumis en preuve au sujet d’un cas particulier, le juge tentera d’évaluer le préjudice réel ou final »[85].

[139]     C’est précisément le cas ici.

[140]     En raison du comportement de l’appelant, l’intimée a perdu une chance réelle et sérieuse. J’en veux pour preuve la planification minutieuse et secrète par l’appelant de son départ et les mesures prises pour s’assurer que la clientèle la plus profitable le suive.

[141]     Sur « l’issue de la chance perdue »[86] ou, si l’on préfère, le résultat concret de la perte de chance, la juge de première instance n’accepte pas la proposition de l’intimée selon laquelle la valeur totale du portefeuille perdu constitue son dommage et ajoute qu’à l’issue de la période de 12 mois prévue à la clause de non-sollicitation, tous les clients auraient suivi l’appelant[87].

[142]     Le montant de 200 000 $ octroyé « à titre d’équivalent aux dommages » est donc, en quelque sorte, le résultat d’une évaluation conservatrice du dommage subi par l’intimée puisqu’il ne représente qu’environ 16% des revenus générés par le portefeuille en cause pour l’année 2012. Cette détermination, qui prend appui sur la preuve, n’excède pas le large pouvoir d’appréciation dont bénéficie le juge du procès.

[143]     Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, aux fins de remplacer le montant de 204 052,65 $ retenu au paragraphe 214 du dispositif du jugement dont appel par un montant de 200 000 $ et d’annuler la condamnation de Renaud assurances et gestion de risques inc., les frais de justice étant supportés par l’appelant Guy Lemieux. Je rejetterais par ailleurs l’appel incident de l’intimée, avec les frais de justice.

 

 

 

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

 



[1]     Aon Parizeau inc. c. Lemieux, 2016 QCCS 3098

[2]     Article 2803 C.c.Q.

[3]     Jugement entrepris, paragr. 10 et 104. Aon Parizeau inc. sera désignée ci-après « Aon » pour fins de commodité.

[4]     Pièce P-4 : Offre d’emploi, 31 août 1999.

[5]     Jugement entrepris, paragr. 116-120.

[6]     Pièce P-9 : Avis de changement de courtier, en liasse, octobre et novembre 2013; Pièce P-9A : Avis de changement de courtiers additionnels reçus depuis la démission de Guy Lemieux, en liasse; Pièce P-12 : Lettres de clients demandant le changement de courtier et courriel de transmission d’Intact, octobre et novembre 2013, en liasse; Pièce P-15 : Lettre demandant le changement de courtier et transmise par Renaud Assurances à l’assureur ainsi que le courriel de transmission, en liasse, 22 octobre 2013.

[7]     Pièce P-10 : Mise en demeure transmise à Guy Lemieux, 18 octobre 2013; Pièce P-14 : Mise en demeure transmise à Renaud Assurances, 21 octobre 2013.

[8]     Jugement entrepris, paragr. 34-47.

[9]     Jugement entrepris, paragr. 207.

[10]    Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33.

[11]    Manac inc./Nortex c. The Boiler Inspection and Insurance Company of Canada, 2006 QCCA 1395, paragr. 30.

[12]    Cegerco inc. c. Équipements JVC inc., 2018 QCCA 28, paragr. 44-47.

[13]    Pièce P-4 : Offre d’emploi, 31 août 1999.

[14]    Art. 10, al. 2 C.p.c.

[15]    2016 QCCA 721, paragr. 25-28.

[16]    Voir : Jean-Louis Baudouin, Pierre Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, nos 767, 769, 770, 773 et 774. En l’espèce, la prévisibilité des dommages et le fait de savoir si M. Lemieux a commis une faute lourde ou intentionnelle (art. 1613 C.c.Q. in fine) n’ont pas été traités par la juge de première instance. Vu le sort du pourvoi, il s’agit de questions théoriques auxquelles il n’est pas nécessaire de répondre.

[17]    Jugement entrepris, paragr. 165 et 167-168.

[18]    Jugement entrepris, paragr. 50.

[19]    Cameron c. Canadian Factors Corp. Ltd., [1971] R.C.S. 148.

[20]    Id., p. 159, 160 et 162.

[21]    Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., [2009] 1 R.C.S. 157, 2009 CSC 6.

[22]    Voir le paragraphe 50 de l’arrêt Shafron : « En supprimant les mots « l’agglomération de », il ne resterait que les mots « la ville de Vancouver ». […] Cependant, aucun élément de preuve ne démontre que les parties se seraient « incontestablement » entendues pour supprimer les mots « l’agglomération de » « sans changer quoi que ce soit aux autres clauses du contrat ni modifier autrement le marché ». La divisibilité pure et simple n’est par conséquent pas applicable en l’espèce. » [Je souligne].

[23]    Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., Supra, note 21, paragr. 33-36.

[24]    Jugement entrepris, paragr. 162, 192-197, 199, 201, 206-207 et 211.

[25]    Témoignage de Guy Lemieux, paragr. 15 des présents motifs.

[26]    Globalex Gestion de risques inc. c. Deslauriers & Associés inc., 2014 QCCS 2636, paragr. 18; Industries Metafab inc. c. Équipement environnemental Terra inc., 2010 QCCS 6271, paragr. 65-94; MBI Acquisition Corp. c. Bournival, 2008 QCCS 2232, paragr. 67-73; Roulottes A. & S. Lévesque (1993) inc. c. Lévesque, 2008 QCCS 4221, paragr. 75-78; FLS Transportation Services Inc c. Piccioni, 2005 CanLII 57247, paragr. 165-166 (C.S.); Martin Assurance et gestion de risques inc. c. Trudel, J.E. 2002-1501, 2002 CanLII 7668, paragr. 44-48 (C.S.); Frayne c. Shefteshy, 2016 QCCS 2090, paragr. 19. Ces principes ont été repris dans les affaires récentes suivantes : Groupe Vap inc. c. Gestion Hugo Devin inc., 2017 QCCS 542, paragr. 54; Groupe AGF Accès inc. c. Arbach, 2017 QCCS 4935, paragr. 28. Yann Bertrand, André Sasseville, Bernard Cliche et Jean-Guy Villeneuve (dir.), Robert P. Gagnon et Langlois Kronström Desjardins, Le droit du travail du Québec, 7e éd. Cowansville, Yvon Blais, 2013, n° 115, p. 109; Georges Audet et al., Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e éd., vol. 1, Cowansville, Yvon Blais, 1991 (feuilles mobiles, mise à jour no 26, décembre 2017), no 10.2.124.

[27]    Pièce P-4, Offre d’emploi, 31 août 1999, M.A., vol. 2, p. 194-196.

[28]    Jugement entrepris, paragr. 182.

[29]    Karim Renno, « La clause de non-sollicitation est morte, longue vie à la clause de non-sollicitation? », (2013) 91:2 R. du. B. can. 297, p. 309.

[30]    Alexandre W. Buswell et Alexandre Paul-Hus, « Les clauses de non-sollicitation et les articles 2088 et 2089 du Code civil : entre la théorie et la réalité commerciale », (2009) 68 R. du B. 91, p. 97.

[31]    Martin Assurance et gestion de risques Inc. c. Trudel, J.E. 2002-1501, 2002 CanLII 7668 (C.S.), Requête en rejet d’appel accueillie, 11 novembre 2002, no 500-09-012610-028.

[32]    Jugement entrepris, paragr. 68.

[33]    Groupe Axxco inc. c. Immeubles FR inc., 2017 QCCA 2010, paragr. 15.

[34]    Jugement entrepris, paragr. 161 et 166.

[35]    Concentrés scientifiques Bélisle inc. c. Lyrco Nutrition inc., 2007 QCCA 676, paragr. 39.

[36]    Témoignage d’Éric Gagnon, 2 octobre 2015, M.A., vol. 3, p. 716.

[37]    Motifs du juge Rochette, paragr. 128.

[38]    Laferrière c. Lawson, [1991] 1 R.C.S. 541.

[39]    Id., p. 608.

[40]    Id., p. 601 : « En France et en Belgique, le juge peut préférer concentrer son attention sur la chance elle-même et indemniser selon son degré de probabilité ». Voir aussi, p. 601-603.

[41]    Billards Dooly's inc c Entreprises Prébour ltée, 2014 QCCA 842, paragr. 103; IBM Canada ltée c. D.C., 2014 QCCA 1320, paragr. 97; Ratelle c. S.L., 2010 QCCA 415, paragr. 40.

[42]    La Malbaie (Ville de) c. Entreprises Beau-Voir inc., 2014 QCCA 739, paragr. 29; Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac c. Expert-conseils RB inc., 2017 QCCA 381, paragr. 64.

[43]    Fisch c. St-Cyr, 2005 QCCA 688, paragr. 124.

[44]    Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac c. Expert-conseils RB inc., 2017 QCCA 381, paragr. 64 [Soulignements et caractères gras ajoutés]. Voir aussi : Benakezouh c. Immeubles Henry Ho, 2003 CanLII 41798 (C.A.), paragr. 85 : « Au Québec, les règles de la responsabilité civile exigent généralement la preuve de la causalité qui doit être établie selon la prépondérance des probabilités.  Même en incorporant au droit québécois la théorie de la perte de chance dans les matières autres que médicales, encore faudra-t-il faire la démonstration que la chance est réelle et sérieuse et que la probabilité que cette chance se réalise existe » [Renvoi omis].

[45]    Cette interprétation a été confirmée par le juge Gonthier dans l’arrêt St-Jean c. Mercier, [2002] 1 R.C.S. 491, 2002 CSC 15, paragr. 106 : « Il y a lieu de répéter le principe traditionnel formulé dans Laferrière c. Lawson, [1991] 1 R.C.S. 541, p. 608-609, où je conclus que la causalité doit être établie selon la prépondérance des probabilités et que la perte d’une simple chance ne peut constituer un préjudice indemnisable ».

[46]    Jean-Louis Beaudoin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1 « Principes généraux », Cowansville, Yvon Blais, 2014, no 1-361, p. 400-401; Frédéric Levesque, Précis de droit québécois des obligations, Cowansville, Yvon Blais, 2014, nos 439 et 440, p. 228-229.

[47]    Dupuis c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 130, 2008 QCCA 837, paragr. 99-102.

[48]    Lévesque c. Hudon, 2013 QCCA 920, paragr. 107-108.

[49]    Voir au même titre : Fisch c. St-Cyr, 2005 QCCA 688, paragr. 123-132.

[50]    Dawcolectric inc. c. Hydro-Québec, 2014 QCCA 948, paragr. 174-176.

[51]    Procès-verbal de l’instruction au fond, 6 octobre 2015.

[52]    Témoignage de Denis Dubuc, 7 octobre 2015, M.A., vol. 4, p. 1301.

[53]    Jugement entrepris, paragr. 207 : « [I]l nous apparaît juste d’accorder douze mois de salaire de Lemieux à titre d’équivalent aux dommages, puisqu’après l’expiration de ce délai de douze mois, les clients l’auraient suivi ».

[54]    Voir l’Annexe : Tableau des clients d’Aon Parizeau ayant transféré leurs affaires chez Renaud assurances (couleur bleue).

[55]    Motifs du juge Rochette, paragr. 128.

[56]    St-Jean c. Mercier, [2002] 1 R.C.S. 491, 2002 CSC 15, paragr. 113.

[57]    Jean-Claude Royer et Catherine Piché, La preuve civile, 5e éd., Montréal, Yvon Blais, 2016, no 1037.

[58]    Motifs du juge Rochette, paragr. 136-137.

[59]    Voir notamment les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q.

[60]    Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, no 161.

[61]    Art. 2088 C.c.Q.

[62]    Aon Parizeau inc. c. Lemieux, 2016 QCCS 3098, paragr. 169 à 183 [Jugement dont appel].

[63]    Id., paragr. 132.

[64]    Id., paragr. 120.

[65]    Cinq à six fois selon son témoignage.

[66]    Jugement dont appel, paragr. 137.

[67]    Id., paragr. 137.

[68]    Id., paragr. 166.

[69]    Id., paragr. 194.

[70]    Id., paragr. 197.

[71]    C’est-à-dire la clause de non-sollicitation.

[72]    Selon son témoignage. De son côté, l’appelant chiffre le taux de commission à 28.5%.

[73]    Rapport P-25.

[74]    Jugement dont appel, paragr. 145.

[75]    Par référence interposée.

[76]    Pièce P-24, clause 7. Dépenses du courtier.

[77]    Jugement dont appel, paragr. 202.

[78]    Id., paragr. 207.

[79]    Id., paragr. 25 et 168.

[80]    Hydro-Québec c. Construction Kiewit cie, 2014 QCCA 947, paragr. 101.

[81]    Caisse populaire Desjardins des Plaines Boréales c. Nokamic inc., 2018 QCCA 210, paragr. 17.

[82]    Laferrière c. Lawson, [1991] 1 R.C.S. 541, p. 559-561 et 601.

[83]    Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac c. Expert-conseils RB inc., 2017 QCCA 381, paragr. 64; s’appuyant sur La Malbaie (Ville de) c. Entreprises Beau-voir inc., 2014 QCCA 739, paragr. 23-29.

[84]    Ratelle c. S.L., 2010 QCCA 415, paragr. 40.

[85]    Laferrière c. Lawson, supra, note 82, p. 603; voir également Société du parc industriel et portuaire de Bécancour c. Soterm inc., EYB 2001-25047, paragr. 80 et Agri-capital Drummond inc. c. Mallette, s.e.n.c.r.l., 2009 QCCA 1589, paragr. 49.

[86]    Laferrière c. Lawson, supra, note 82, p. 595.

[87]    Jugement dont appel, paragr. 207.

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