Décision

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Gélinas c. Office municipal d'habitation de Montréal

2025 QCTAL 7345

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

737589 31 20230928 T

No demande :

4516327

 

 

Date :

27 février 2025

Devant la juge administrative :

Leyka Borno

 

Karine Gélinas

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Office municipal d'habitation de Montréal

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Le 6 novembre 2024, la locataire requiert la rétractation d’une décision rendue le 15 juillet 2024 à la suite d’une audience tenue le 27 juin 2024 à laquelle elle était absente.
  2.          Par cette décision, le Tribunal résilie le bail, ordonne l’expulsion du locataire ainsi que tous les occupants du logement en raison du non-respect des ordonnances émises dans un jugement prononcé le 30 janvier 2024. 
  3.          Au soutien de sa demande, le locataire allègue ne pas s’être présenté à l’audience, n’ayant jamais reçu l’avis d’audition, sans qu’il y ait faute de sa part.
  4.          À l’audience, la locataire témoigne qu’elle a pris connaissance de la décision contestée le 5 novembre 2024 lorsque l’huissier lui a signifié un avis d’exécution de jugement. Elle a déposé sa demande le lendemain, soit le 6 novembre 2024.
  5.          La locataire déclare n’avoir jamais reçu la décision contestée par courrier et soumet que sa boîte aux lettres est défectueuse. Elle aurait contacté le locateur à ce sujet à deux reprises, mais cette dernière lui aurait demandé de débourser des frais, ce qu’elle n’a pas les moyens de faire.
  6.          En ce qui concerne son motif de rétractation, la locataire allègue qu’elle n’a pas pu se présenter à l’audience, car elle a fait une crise de panique. Elle a dû se rendre d’urgence à l’hôpital[1].
  7.          Elle a obtenu son congé de l’hôpital à 15h15 et s’est présentée directement au Tribunal. Cependant, la locataire n’a pas obtenu une confirmation de présence du Tribunal.
  8.          Questionnée par le Tribunal sur la divergence du motif de rétractation qui apparaît sur sa demande et celui allégué à l’audience, la locataire mentionne avoir deux dossiers et qu’elle s’est trompée. La non-réception de l’avis d’audience comme motif de rétraction est pour l’autre dossier.

  1.          Finalement, à titre de moyen sommaire de défense, la locataire soumet qu’elle a respecté la majorité des ordonnances émises par le Tribunal. Cependant, elle reconnaît que certaines ordonnances n’ont pas été respectées.
  2.      Le locateur s’oppose à la demande de rétractation au motif que la demande est hors délai et que la locataire n’a pas de moyen de défense à faire valoir à l’encontre de la demande originaire.
  3.      La mandataire du locateur témoigne qu’elle n’a jamais reçu aucun appel de la locataire eu égard à sa boîte aux lettres qu’elle dit défectueuse.
  4.      Le 31 juillet 2024, elle communique avec la locataire dans le cadre d’un autre dossier et l’informe par la même occasion de rester à l’affût puisqu’elle devrait recevoir sous peu la décision contestée.
  5.      La mandataire du locateur déclare que la situation d’encombrement n’est toujours pas réglée en date de la présente audience.
  6.      La mandataire du locateur, par le l’entremise de son procureur, demande une limitation procédurale en vertu de l’article 63.2 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, soulignant que la locataire cherche à gagner du temps et empêcher l’exécution de la décision contestée.

ANALYSE ET DÉCISION

  1.      La présente demande se fonde sur l’article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[2] (Loi) qui prévoit que :

« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.

Une partie peut également demander la rétractation d’une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s’est prononcé au-delà de la demande.

La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l’empêchement.

La demande de rétractation suspend l’exécution de la décision et interrompt le délai d’appel ou de révision jusqu’à ce que les parties aient été avisées de la décision.

Une partie qui fait défaut d’aviser de son changement d’adresse conformément à l’article 60.1 ne peut demander la rétractation d’une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu’elle n’a pas reçu l’avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse. »

  1.      Par ailleurs, l’article 44 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif prévoit ce qui suit :

« 44. La demande de rétractation d’une décision doit contenir non seulement les motifs qui la justifient mais, si elle est produite par le défendeur à la demande originaire, elle doit également contenir les moyens sommaires de défense à la demande originaire. »

À maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est un moyen procédural exceptionnel, car le principe de l’irrévocabilité des jugements est important. Ce principe a été réitéré par la Cour d’appel du Québec :

« Le principe de l'irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle. »[3]

  1.      L’absence d’une partie ne donne pas ouverture systématiquement à la rétractation de jugement tel que le mentionnent les auteurs Rousseau-Houle et De Billy[4].

« Le seul fait qu’une partie soit absente à l’audience ne lui donnera pas automatiquement droit à une demande en rétractation. En vertu de l’article 89, la partie doit motiver son absence par une cause jugée suffisante. »


  1.      Pour obtenir une rétractation, il faut de plus que le demandeur n’ait pas été négligent dans l’exercice de ses droits. Le Tribunal fait siens les propos de l’honorable Juge Louis Rochette de la Cour supérieure, dans l’affaire, Mondex Import Inc., c. Victorian Bottle inc. :

« Par ailleurs, en ce qui a trait à la partie elle-même, il n'y a pas d'ambiguïté, elle ne doit pas adopter un comportement négligent dans la défense de ses droits, sans quoi le principe de l'irrévocabilité des jugements pourra lui être opposé. Cela n'est que logique et en conséquence, une partie ne peut laisser cheminer une affaire judiciaire qui la concerne directement sans s'en préoccuper. Elle doit être empressée de faire valoir sa prétention et de préserver ses droits. Les règles de procédure ne peuvent être modulées pour tenir compte du laxisme d'une partie[5]. »

  1.      En l’instance, le Tribunal est d’avis que la demande de rétraction de la locataire est introduite hors délai.
  2.      Le Tribunal ne peut retenir le témoignage de la locataire selon laquelle elle aurait eu connaissance de la décision uniquement le 5 novembre 2024, lors de la signification de l’avis d’exécution de jugement.
  3.      En effet, la preuve est contradictoire eu égard à la défectuosité de la boîte aux lettres de la locataire. La locataire témoigne qu’elle aurait avisé le locateur que sa boîte aux lettres est brisée. Toutefois, son témoignage est contredit par la mandataire du locateur, cette dernière affirmant n’avoir reçu aucun appel à ce sujet.
  4.      Par ailleurs, l’article 41.2 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement[6], énonce ce qui suit :

« 41.2. Le Tribunal transmet aux parties une copie de la décision par courrier ou par tout autre moyen approprié.

L’attestation d’expédition fait foi de cette transmission jusqu’à preuve du contraire. »

  1.      De plus, l’article 2 de la Loi sur la Société canadienne des postes[7] stipule ce qui suit :

« Transmission postale Transmission par la Société ou par son intermédiaire. (transmit by post)

Présomption

(2) Pour l’application de la présente loi, le destinataire d’un envoi est censé en avoir reçu livraison si s’est effectuée, selon les modalités de distribution habituellement appliquées à son égard, l’une des opérations suivantes :

a) remise de l’envoi à son lieu de résidence ou de travail ou à son établissement;

b) remise de l’envoi dans sa boîte postale, dans sa boîte aux lettres rurale ou en tout autre endroit affecté au même usage;

c) remise de l’envoi entre ses mains ou entre celles d’une personne apparemment autorisée par lui à en recevoir livraison, notamment un domestique ou un mandataire.

Idem

(3) Pour l’application de la présente loi, une chose est en cours de transmission postale depuis son dépôt jusqu’à sa livraison au destinataire ou son retour à l’expéditeur. »

  1.      Or, le plumitif du Tribunal révèle que la décision du 15 juillet 2024 est expédiée à l’adresse de la locataire dès le18 juillet 2024. Le Tribunal constate également qu’il n’y a pas eu de retour de courrier.
  2.      À la lumière de la preuve, le tribunal estime qu’il est peu probable que la décision rendue le 15 juillet 2024 n’ait pas été reçue par la locataire.
  3.      La locataire n’a donc pas renversé la présomption de réception de la décision.
  4.      Ce seul motif est suffisant pour rejeter la demande.
  5.      Cela dit, bien qu’à première vue la locataire semble avoir un motif de rétractation, cette dernière n’a pas de moyen de défense sérieux à faire valoir.
  6.      La locataire admet ne pas avoir respecté toutes les ordonnances émises par le Tribunal dans sa décision du 30 janvier 2024.

  1.      Ainsi, même si la locataire avait été présente à l’audience du 27 juin 2024, la décision du Tribunal aurait été la même considérant son admission quant au non-respect des ordonnances.
  2.      Pour ce deuxième motif, il n’y a pas lieu de faire droit à la rétractation.
  3.      Enfin, on requiert du Tribunal qu’il interdise à la locataire de présenter toute autre demande de rétractation dans le présent dossier conformément à l'alinéa 2 de l’article 63.2 de la Loi sur le Tribunal administratif prévoit ce qui suit :

« 63.2 Le Tribunal peut, sur demande ou d’office après avoir permis aux parties intéressées de se faire entendre, rejeter un recours qu’il juge abusif ou dilatoire ou l’assujettir à certaines conditions.

Lorsque le Tribunal constate qu’une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d’empêcher l’exécution d’une de ses décisions, il peut en outre interdire à cette partie d’introduire une demande devant lui à moins d’obtenir l’autorisation du               président ou de toute autre personne qu’il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu’il désigne détermine.

Le Tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif ou dilatoire d’un recours, condamner une partie à payer, outre les frais visés à l’article 79.1, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les autres frais que celle-ci a engagés, ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommagesintérêts punitifs. Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le Tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine. »

  1.      La preuve présentée ne soutient pas une telle conclusion. Aussi faut-il rappeler qu’interdire à un justiciable de présenter une demande devant un tribunal est un remède extrême qui ne doit être utilisé qu'avec grande circonspection et rigueur, vu ses conséquences graves sur les droits du justiciable.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      REJETTE la demande de rétractation;
  2.      MAINTIENT la décision rendue le 15 juillet 2024;
  3.      REJETTE la demande de limitation procédurale du locateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

Leyka Borno

 

Présence(s) :

le locataire

la mandataire du locateur

Me Éric Martineau, avocat du locateur

Date de l’audience : 

27 novembre 2024

 

 

 


 


[1] Pièce L-1.

[2] RLRQ, c. T- 15.01.

[3] Entreprises Roger Pilon Inc et al. c. Atlantis Real Estate Co., (1980) C.A. 218.

[4] Le bail de logement : analyse de la jurisprudence, Wilson & Lafleur Ltée (1989) Montréal, p. 307.

[5] Cour supérieure 200-17-001038-983, REJB 1999-12482.

[6] RLRQ, c. T-15.01, r. 5.

[7] L.R. 1985 c. ch. C-10, art. 2 (2) (3).

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