Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

Brouillard c. Louis

2011 QCRDL 13961

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau de Longueuil

 

No :          

37 110209 020 G

 

 

Date :

11 avril 2011

Régisseure :

Anne Morin, juge administratif

 

Yves Brouillard

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Patrick Louis

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         La demande en justice vise la résiliation du bail du locataire pour cause de troubles de comportement à l’égard des autres locataires de l’immeuble et pour cause de retards fréquents dans le paiement du loyer.

[2]         Le tribunal retient de la preuve les éléments suivants :

[3]         Le locateur réclame du tribunal la résiliation du bail car le locataire nuit à la jouissance paisible par le volume élevé du son de sa télévision et de la musique. La locataire qui vit sous son logement se plaint de la fréquence du bruit, souligne l’intervention policière et se plaint de l’agressivité du locataire et de sa conjointe qu’elle accuse d’être particulièrement impolie.

[4]         Le locateur se plaint du retard dans les paiements du loyer et du fait qu’elle a déjà obtenu une condamnation pour le recouvrement du loyer et la résiliation du bail en mai 2010. Cette situation lui cause des problèmes de gestion.

[5]         En défense, le locataire considère exagéré les reproches à l’égard du bruit et fait valoir que l’attitude de la locataire l’empêche lui-même et sa famille de vivre normalement et de recevoir des visiteurs. Sa conjointe nie avoir été impolie et reproche à la locataire son intolérance. Lors de l’audience, elle s’emporte car elle se sent particulièrement touchée par les reproches de cette locataire.

[6]         Après une suspension de l’audience, le locataire s’engage à ne plus troubler la jouissance paisible des lieux loués et à payer le loyer, à défaut de quoi, le locateur pourra résilier le bail.

Droit applicable

[7]           Selon les dispositions de l’article 2803 du Code civil du Québec, il revient à la partie demanderesse de faire la preuve des faits allégués dans sa demande :

« 2803.    Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.


 

                Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée».

[8]         Il appartient au locateur de prouver, par prépondérance de preuve, que les faits qu’il présente sont probables, conformément à l’article 2804 du Code civil du Québec :

« 2804.         La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence  est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante».

[9]           L’article 1863 du Code civil du Québec permet à un locateur de réclamer la résiliation du bail si un préjudice est sérieux. En employant le terme sérieux, le législateur requiert une preuve plus exigeante du demandeur. Pour justifier la résiliation du bail, il faut conclure que ce préjudice cause plus que de simples inconvénients. 

[10]        À ce sujet, il appartenait à la partie requérante de démontrer, suivant l’article 2803 du Code civil du Québec, que le locataire contrevient à ses obligations et de faire la preuve des faits allégués dans son recours.

[11]        De plus l’auteur Léo Ducharme, énonce relativement au fardeau de la preuve dans Précis de la preuve[1] :

« 146. S’il est nécessaire de savoir sur qui repose l’obligation de convaincre, c’est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l’absence de preuve.  En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l’impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve : celui sur qui reposait l’obligation de convaincre perdre. » (notre soulignement)

[12]        Il a été établi que le locataire n’entretient pas de bonnes relations avec la locataire qui lui reproche de ne pas respecter ses obligations relativement au bruit dans le logement.

[13]        Le tribunal rappelle aux parties qu’elles doivent agir de bonne foi conformément aux articles 6, 7, et 1375 du Code civil du Québec.

[14]        Le tribunal est actuellement saisi d’une demande de résiliation du bail du locateur. Selon la Loi, tout locataire doit agir en personne prudente et diligente même s’il éprouve des problèmes dans ses rapports avec son locateur et ses voisins.

[15]        Jobin nous enseigne relativement à la notion de troubles de voisinage[2] qu’un locataire doit subir les inconvénients normaux de la vie en logement. Voici ce qu’il énonce :

« 98. Conditions.    Deux conditions, à notre avis, s’attachent à la responsabilité pour troubles de voisinage entre locataires. D’abord, comme le suggère le texte même de l'article 1860, alinéa 1, le locataire doit avoir subi des inconvénients anormaux…

 

Relativement à la première condition, on relève parfois l’affirmation que le trouble causé au locataire voisin doit être « anormal ». Pour juste qu’elle soit, l’expression n’en demeure pas moins vague. Afin de mieux cerner le niveau d’exigence imposé au locataire, on peut maintenant se tourner vers le langage utilisé par le législateur lui-même pour définir l’abus de droit et surtout pour poser les critères des troubles de voisinage : « Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux ». Conciliation d’intérêts contraires, tolérance, situation des lieux et usage seront donc les guides du juge pour apprécier la conduite du locataire prétendument fautif.

 


Ainsi, le niveau critique d’un trouble de voisinage peut varier sensiblement d’un contexte à un autre. On tiendra compte des mœurs, du niveau général de tolérance du milieu social ainsi que des caractéristiques inhérentes à l’usage pour lequel les lieux ont été loués (par exemple, une famille ayant des enfants fait plus de bruit qu’un couple sans enfant). »[3]

[16]        L’analyse du contexte du présent dossier révèle que le bruit dérange la locataire qui vit sous le logement du locataire.

« La seconde condition pour que le trouble de voisinage entraîne la responsabilité du locataire est que celui-ci doit avoir agi de façon illégitime. Il ne s’agit pas d’une exigence posée par les textes du Code civil. En réalité, cette « condition » est assez souvent soulevée en défense par le locataire prétendument fautif quand il prétend être exempt de responsabilité parce qu’il a agi de façon parfaitement « légale ». Il a donc le fardeau de la preuve à cet égard. »[4]

[17]        Le tribunal ne peut cautionner une telle attitude qui va à l’encontre des règles relatives à la jouissance du bien loué.

Décision sur la résiliation de bail

[18]        La preuve a établi que la partie défenderesse a agi de manière fautive, mais que depuis un mois, la situation s’est améliorée.

[19]        Après discussions, le locataire est prêt à s’engager à ne pas déranger la locataire qui vit sous son logement.

[20]         Ceci dit, le tribunal juge que le locateur a droit à la résiliation du bail compte tenu de l’attitude négative du locataire qui n’a pas respecté son obligations. Cependant, compte tenu des circonstances du présent dossier, le tribunal entend se prévaloir de l’article 1973 C.c.Q. et de substituer la résiliation du bail en ordonnance car la situation s’est améliorée récemment.

[21]        La lecture de l'article 1973 du Code civil du Québec démontre que le tribunal peut, plutôt que de résilier le bail d'un locataire, émettre une ordonnance. Cette disposition se lit comme suit :

« 1973.    Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paie­ment du loyer.

 

                            Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail.»

[22]        Interprétant cette disposition, le juge Jean-Jacques Croteau, de la Cour supérieure, a jugé que la Cour du Québec avait commis une erreur manifestement déraisonnable en décidant que le locataire méritait une remontrance plutôt que d'ordonner la résiliation du contrat de location et l'éviction d'un locataire qui n'avait pas respecté l'ordonnance émise par la Régie du logement.

[23]        L'honorable juge Croteau écrivait à ce sujet :

« Donc, lorsque le premier juge constate que la mise en cause a contrevenu à la première ordonnance suivant le texte mentionné, il n'avait pas le choix. Il se devait de conclure à la résiliation du bail et non pas dire que «l'appelante a droit à une remontrance pour ne pas avoir, semble-t-il, respecté l'ordonnance du 1er avril 1992.»

 

Le texte du 2ième alinéa de l'article 1973 C.c.Q. aujourd'hui en vigueur est au même effet :

 

« Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du Tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail.»

 

Suivant les commentaires du ministre de la Justice sur le Code civil du Québec, tome 11, page 1240, cet alinéa 2 est conforme à celui de l'article 1656.6 C.C.B.C.

 


Dans le contexte de ces deux alinéas, l'ancien et le nouveau, l'intention du législateur était de limiter le rôle d'intervention du régisseur ou du Tribunal. Il ne s'est pas préoccupé, compte tenu de certaines circonstances, du rôle social que pourrait jouer le Tribunal, nonobstant que celui-ci constate une infraction commise par le locataire à une ordonnance.

 

DÉCISION

 

Le premier juge était tenu de ne prendre qu'une seule décision en l'espèce, après qu'il eût constaté une désobéissance à l'ordonnance rendue le 1er avril 1992. Il n'avait pas le choix entre plusieurs décisions. Sa conduite était dictée à l'avance considérant la portée de ces deux alinéas, l'ancien et/ou le nouveau. Ces dispositions limitaient ses pouvoirs. Son rôle était de constater l'infraction et ordonner la résiliation et l'éviction.

 

Il a commis une erreur manifestement déraisonnable lorsqu'à l'intérieur de l'exercice de sa compétence, il a statué que la mise en cause St-Jacques avait le droit à une remontrance plutôt que d'ordonner la résiliation du bail et permettre l'éviction de cette dernière. Cette décision est déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur l'article 1656.6(2) C.C.B.C. ou/et sur l'article 1973(2) C.C.Q.[5]»

[24]        La Cour supérieure a donc jugé relativement à l'application de l'article 1973 du Code civil du Québec que le juge n'avait aucun choix lorsqu'il constatait une contravention à une ordonnance : il doit ordonner l'éviction du locataire et la résiliation au contrat de bail.

[25]        Récemment, la juge Claudette Picard de la Cour supérieure, soulignait relativement à l'inobservation d'une ordonnance rendue conformément à l'article 1973 du Code civil du Québec :

« [16] L'ordonnance du 24 septembre 2001 émise en vertu de l'article 1863 C.c.Q. ne doit pas être confondue avec l'ordonnance prévue à l'article 1973 C.c.Q. qui permet au tribunal d'ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine et qui lui permet, par la suite de résilier le bail si le débiteur ne se conforme pas à l'ordonnance.[6] »

[26]        Pierre-Gabriel Jobin, dans son traité de droit civil sur le louage, confirme l'interprétation jurisprudentielle de cette disposition et il énonce relativement à l'application de l'article 1973 C.c.Q. :

« En matière de louage résidentiel, d'une part, une disposition expresse confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire de refuser la résiliation demandée et d'ordonner plutôt l'exécution en nature de l'obligation violée; si, toutefois, le locataire, ensuite, persiste dans son défaut et que le locateur formule une seconde demande de résiliation, elle sera alors accordée automatiquement. Il s'agit d'une sorte d'ultimatum lancé au locataire. D'autre part, indépendamment de cette disposition particulière, les tribunaux se sont toujours réservés le pouvoir de rejeter une demande de résiliation quand le locataire remédie à son défaut avant jugement, en pratique au moment de l'enquête et de l'audition; ce pouvoir a été exercé en matière de louage résidentiel, mais aussi parfois dans d'autres types de louage.[7]»

[27]        Le tribunal, conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés, ordonnera donc au locataire à payer son loyer le premier jour du mois et à ne pas troubler la jouissance paisible des lieux loués.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[28]        ACCUEILLE en partie la demande du locateur;


[29]        ORDONNE au locataire, en vertu de l'article 1973 C.c.Q., pour la durée du présent bail ainsi que pour la reconduction du bail et ce, jusqu’au 30 juin 2012 de ne pas troubler la jouissance paisible des lieux loués;

[30]        ORDONNE au locataire de payer le loyer le premier jour du mois et ce, jusqu’au 30 juin 2012;

[31]        ORDONNE l'exécution immédiate de cette décision;

[32]        CONDAMNE le locataire à payer au locateur la somme de 72 $ représentant les frais judiciaires;

[33]        RÉSERVE au locateur tous ses recours;

[34]        REJETTE la demande quant aux autres conclusions.

 

 

 

 

 

Anne Morin

 

Présence(s) :

la mandataire du locateur

le locataire

Date de l’audience :  

2 mars 2011

 


 



[1] Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e édition, 2005, Wilson & Lafleur Ltée, p.62, #38.

[2] Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, Les éditions Yvon Blais, 1996, 2e édition, p. 261.

[3] Id. p. 252.

[4] Id. p. 254.

[5] Office municipal d'habitation de Montréal c. Cour du Québec, J.E. 95-1623 , (C.S.) conf. par C.A.M. 500-09001265-98, le 17 novembre 1998.

[6] Balabanian c. Cour du Québec, [2003] J.L. 93 .

[7] Pierre-Gabriel Jobin, op cit. note 2, p. 299.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.