Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Décision

Rahman c. Plouffe

2021 QCTAL 27125

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

582370 31 20210805 G

No demande :

3313173

 

 

Date :

25 octobre 2021

Devant la juge administrative :

Claudine Novello

 

Mohd Zalil Rahman

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Linda Plouffe

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par un recours introduit le 5 août 2021, le locateur demande la résiliation du bail et l'expulsion de la locataire ainsi que de tous les occupants du logement, l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel et la condamnation de la locataire au paiement des frais.

[2]      Essentiellement, le locateur demande la résiliation du bail au motif que la locataire trouble la jouissance paisible des autres locataires de l'immeuble en raison de bruits excessifs.

[3]      Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 500 $.

[4]      Il s’agit d’un immeuble qui compte trois étages et un sous-sol et comporte huit logements. La locataire habite un des logements situés au 2e étage depuis le 1er juillet 2018.

[5]      Le locateur témoigne que depuis le mois de décembre 2020, il a reçu des plaintes de résidents de l’immeuble qui voient leur jouissance des lieux troublée par des bruits provenant du logement de la locataire. Ils se plaignent notamment du bruit d’objets brisés, de déplacement de meubles, de claquage de porte, de perceuse et de musique forte.

[6]      Bien qu’il n’habite pas cet immeuble, il a eu l’opportunité de constater les bruits reprochés.

[7]      Malgré plusieurs avis, 16 interventions policières et deux mises en demeure, la locataire n’amende pas son comportement. La locataire nie les reproches formulés contre elle et refuse toute collaboration.

[8]      Il ajoute qu’une de ses locataires a déménagé en raison du bruit provenant du logement de la locataire.

[9]      Au soutien de sa preuve, le locateur produit en liasse les plaintes reçues et les mises en demeure transmises à la locataire. Il fait également entendre le locataire de l’app. 4, monsieur Antonio, dont le logement est situé directement sous celui de la locataire.


[10]   Monsieur Antonio explique qu’il est régulièrement dérangé par des bruits nocturnes en provenance du logement de la locataire. Particulièrement entre minuit et cinq heures du matin, il est réveillé par le bruit de meubles violemment déplacés, des objets jetés, le son d’une perceuse, le claquement de portes et par de la musique.

[11]   De plus, dit-il, la locataire, à toute heure, frappe au plancher ce qui l’exaspère d’autant.

[12]   Il précise qu’il est malade et que ces agissements de la locataire l’empêchent de dormir. Le manque de sommeil et de repos impacte sa santé, son quotidien et nuit gravement à sa jouissance paisible des lieux.

[13]   Afin de faire cesser les nuisances, il a fait appel aux services de police une dizaine de fois. Malheureusement, le bruit se poursuit jusqu’à ce jour.

[14]   Au soutien de son témoignage, il produit un enregistrement des bruits entendus qui est difficilement audible.

[15]   En défense, la locataire témoigne qu’elle mène une vie tranquille. Elle fait du bénévolat et passe beaucoup de temps à la paroisse. Elle vit seule avec un chat.

[16]   Cuisinière de métier, dit-elle, elle aime faire la cuisine. Candidement, elle relate qu'il lui arrive de cuisiner le soir en utilisant des appareils et de remuer ses casseroles en écoutant la musique. Elle s’excuse si ses activités ont pu déranger ses voisins. Son chat peut aussi jeter des objets au sol.

[17]   Elle souhaite demeurer dans son logement et croit que ses voisins exagèrent.  Elle mentionne qu’elle-même entend des bruits dans son logement provenant d’ailleurs dont elle n’est pas responsable.

[18]   Elle fait entendre un ami qui n’habite pas l’immeuble, mais affirme que la locataire, qu’il rencontre tous les jours à la paroisse, est une personne tranquille.

[19]   Ainsi se résume l’essentiel de la preuve.

[20]   Eu égard au fardeau de preuve, le Tribunal rappelle que les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoient que celui qui veut faire valoir ses droits doit démontrer les faits au soutien de ses prétentions, et ce, de façon prépondérante, la force probante du témoignage étant laissée à l'appréciation du tribunal.

[21]   Le recours du locateur se fonde sur l'article 1863 C.c.Q. :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

[22]   L'article 1863 C.c.Q. prévoit que si l'inexécution d'une obligation par une partie cause à l'autre partie ou aux autres occupants un préjudice sérieux, cette dernière peut demander la résiliation du bail.

[23]   Le Tribunal doit déterminer si le comportement de la locataire cause un préjudice sérieux au locateur ou aux autres locataires de l'immeuble, préjudice justifiant la résiliation du bail.

[24]   Aux termes de l'article 1860 C.c.Q., le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires. L'article 1860 C.c.Q. se lit comme suit :

« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »


[25]   Dans l'affaire 9185-4000 Québec inc. c. Centre commercial Innovation inc.([1]), laquelle concernait une plainte de bruit à l'égard d'un autre locataire en matière de bail commercial, la Cour d'appel mentionne ce qui suit :

« Pour apprécier le comportement fautif, il est possible, par analogie, de référer aux critères qui se dégagent de l'article 976 C.c.Q. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent. Comme l'explique le professeur Deslauriers, « chacun doit supporter les bruits et les inconvénients raisonnables, sans cependant être obligé de subir les excès... ».

Ainsi, la jouissance normale des lieux s'apprécie selon les circonstances de l'affaire et la perception d'une personne raisonnable. De même, les inconvénients normaux du voisinage s'évaluent selon la nature, la situation ou les usages. Il faut en déduire que les colocataires doivent supporter le bruit et les inconvénients normaux du voisinage, sans cependant être obligés d'en subir les excès. Ce ne sont que les inconvénients qui présentent un caractère anormal et persistant qui doivent être sanctionnés. »

[26]   En l’instance, après l’analyse de l’ensemble de la preuve, le Tribunal est d'avis que le locateur a démontré que le comportement de la locataire trouble sérieusement la jouissance paisible et normale des lieux des autres locataires, et ce, depuis plus d'un an et demi. Le Tribunal croit les témoignages sincères et concordants du locateur et de monsieur Antonio.

[27]   Le comportement de la locataire cause un préjudice sérieux au locateur, lequel se voit empêché de respecter son obligation envers ses autres locataires de leur procurer la jouissance paisible de leur logement.

[28]   Le Tribunal conçoit que l'immeuble puisse, en raison de son âge et construction, comporter des lacunes qui contribuent à la propagation des bruits, comme semble l’indiquer la locataire dans son témoignage.  Cependant, la locataire se doit de composer avec son environnement et de faire des efforts supplémentaires pour contenir les bruits qui lui sont reprochés, surtout à des heures tardives lors desquelles les voisins ont le droit d’aspirer à la quiétude normale des lieux.

[29]   Ceci étant, le Tribunal estime qu'il y a lieu d'accorder à la locataire une dernière chance d'effectuer les changements et adaptations pour lui permettre de demeurer dans son logement.  Dans ce contexte, il sursoit à la résiliation du bail et émet des ordonnances enjoignant à la locataire et les personnes auxquelles elle permet l'accès au logement de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

[30]   Dans l’éventualité où la locataire ferait défaut aux ordonnances émises par le Tribunal, le locateur pourra demander et obtenir la résiliation de son bail, comme l'indique l'article 1973 C.c.Q.

[31]   Le Tribunal accorde au locateur les frais applicables selon le Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement.

[32]   Par ailleurs, le Tribunal est d'avis que la situation dans le présent dossier en est une qui justifie, aux termes de l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, l'exécution provisoire de la présente décision.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[33]   ORDONNE à la locataire de ne pas troubler la jouissance normale des lieux, que ce soit dû à son fait, celui des personnes auxquelles elle permet l'accès au logement, notamment en ne causant pas de bruits excessifs ou déraisonnables dans son logement et l'immeuble;

[34]   ORDONNE à la locataire de ne pas déplacer des meubles ou traîner sur le plancher tout objet lourd, de ne pas utiliser d’appareil électroménager, ou de faire sa lessive, entre 20 heures et 7 heures;

[35]   DÉCLARE que les ordonnances ci-dessus mentionnées sont rendues en vertu de l'article 1973 du Code civil du Québec et valides pour toute la durée du bail en cours et pour sa période de reconduction subséquente, le cas échéant;


[36]   ORDONNE l'exécution provisoire et immédiate, malgré l'appel, des ordonnances ci-dessus mentionnées;

[37]   CONDAMNE la locataire à payer au locateur les frais de justice de 87,75 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Claudine Novello

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Date de l’audience :  

5 octobre 2021

 

 

 


 



[1] 9185-4000 Québec inc. c. Centre commercial Innovation inc., 2016 QCCA 538.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.