Grenon c. Seck | 2024 QCTAL 26294 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Laval | ||||||
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No dossier : | 714036 36 20230607 G | No demande : | 3930236 | |||
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Date : | 08 août 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Annie Guillemette | |||||
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Martin Grenon |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Abdoulaye Seck |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Dans une demande déposée le 7 juin 2023, le locateur réclame 6 552 $ à titre d’indemnités de relocation, 5 122,17 $ à titre de dommages pour pertes et dégradation ainsi que 417,15 $ pour les frais d’énergie. Il réclame aussi les frais de justice, les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec.
CONTEXTE
[2] Les parties étaient liées par un bail reconduit du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, au loyer mensuel de 1 092 $.
[3] La preuve démontre que le locataire a quitté son logement en emportant tous ses effets personnels le 28 novembre 2022.
LA PREUVE
[4] Le Tribunal a pris note de l’ensemble des témoignages et de la preuve administrée lors de l’audience, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des éléments pertinents pour fonder celle-ci.
LA PREUVE DU LOCATEUR
[5] Le locataire a emménagé dans le logement en juillet 2018. En mai 2021, le locataire aurait approché le locateur afin de l’informer qu’il était à la recherche d’une maison et afin de lui demander s’il pouvait résilier son bail avant terme dans l’éventualité où il acquérait une propriété. Le locateur mentionne qu’il a répondu qu’il était « ouvert à toute possibilité, du moment que je ne me retrouve pas le cul à l’eau ». Le Tribunal en comprend que le locateur ne voulait pas se retrouver devant rien.
[6] Au début du mois d’octobre 2022, le locataire l’a informé qu’il avait fait l’acquisition d’une maison et qu’il quitterait le logement pour le 1er décembre 2022. Le locateur mentionne l’avoir félicité et lui avoir dit qu’il n’y avait aucun problème du moment qu’il trouvait un nouveau locataire. Le locateur a imprimé une annonce du logement qu’il a remis au locataire afin qu’il puisse entreprendre des démarches de son côté et il a placé une pancarte « à louer » devant le logement. Il a également placé une annonce sur le site Kijiji.
[7] Dans les jours qui ont suivi, le locateur a fait le tour du logement et constaté qu’il avait besoin de plusieurs réparations, notamment dans la salle de bain. Le 11 octobre 2022, il a demandé au locataire la permission de débuter les travaux avant qu’il quitte le logement[1], ce que le locataire lui a permis de faire le 17 octobre 2022[2].
[8] Le 3 novembre 2022, le locateur a effectué un suivi auprès du locataire pour savoir comment avançaient les démarches pour trouver un nouveau locataire. Le locataire aurait mentionné qu’il avait consenti à briser son bail. Il aurait aussi mentionné que le locateur n’avait pas le droit de mettre son logement à louer tant qu’il y vivait.
[9] Dans ces circonstances, le locateur a cessé d’effectuer les travaux et retiré les annonces du logement et il a attendu le départ du locataire à la fin du mois de novembre pour poursuivre ses démarches.
[10] Suite au départ du locataire, le locateur a entrepris d’effectuer les travaux qui se sont révélés beaucoup plus importants qu’anticipés. Il a nettoyé et repeint tout le logement.
[11] Dans la salle de bain, il a remplacé le meuble du lavabo qui avait été cassé. Il a aussi changé la céramique au sol dont plusieurs tuiles avaient été brisées.
[12] Les cadrages des fenêtres ont dû être remplacés, car ils étaient pourris. De plus, sous les fenêtres, le plancher relevait tellement il était humide.
[13] Les planchers dans le logement ont été abîmés notamment, il y avait des traces de fer à repasser sur le sol.
[14] Le dosseret dans la cuisine était tellement trempé qu’il est tombé et a dû être complètement remplacé.
[15] Des traitements anti-moisissures ont été effectués pendant une semaine dans la cuisine et dans la salle de bain.
[16] Le locateur témoigne avoir personnellement investi 160 heures afin de remettre le logement en état. Il réclame donc 4 000 $, ce qui correspond à un taux horaire de 25 $ l’heure. Le locateur témoigne que le départ du locataire coïncide avec la période où il a subi une chirurgie. Étant en convalescence, il n’était pas en mesure de travailler aussi rapidement qu’en temps normal. Sa situation financière était également plus précaire, ce qui l’a empêché de pouvoir confier le mandat d’effectuer les travaux à un entrepreneur.
[17] Il a réclame également une somme de 1 122,17 $ pour l’achat de matériaux.
[18] Le logement a été reloué à compter du 1er juin 2023. Il réclame la perte de six mois de loyer (décembre 2022 à mai 2023) pour un total de 6 552 $.
[19] Il réclame également les frais d’énergie pour cette période d’inoccupation, lesquels s’élèvent à 417,15 $[3].
LA PREUVE DU LOCATAIRE
[20] D’abord, le locataire prétend avoir une entente verbale avec le locateur à l’effet qu’il pouvait résilier le bail sans pénalité. Le locataire nie avoir laissé le logement dans l’état décrit par le locateur. Il mentionne que le ménage a été fait avant son départ. Au soutien de son témoignage, il produit des photos et des vidéos du logement avant son départ.
[21] Il reproche au locateur d’avoir annoncé le logement à 1 450 $ par mois alors que son loyer était de 1 092 $.
[22] Il lui reproche également d’avoir refusé un candidat au motif que celui-ci était un fumeur.
QUESTIONS EN LITIGE
[23] Le locateur a-t-il droit au montant réclamé afin de remettre le logement en état?
[24] Le locateur a-t-il droit au montant réclamé à titre d’indemnité de relocation?
[25] Le locateur a-t-il droit aux frais d’énergie réclamés?
ANALYSE ET DÉCISION
Fardeau de preuve
[26] Il est pertinent de rappeler que, selon les dispositions des articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, il revient à la partie demanderesse de faire la preuve des faits allégués dans sa demande, et ce, de façon prépondérante, la force probante du témoignage et des éléments de preuve étant laissée à l'appréciation du Tribunal.
[27] Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui verra sa demande être rejetée.
Dommages au logement
[28] En vertu des articles 1890 et 1862 du Code civil du Québec, un locataire est responsable des dommages causés au logement, à moins qu'il ne démontre qu'il ne peut en être tenu responsable.
[29] À cet égard, dans l'affaire Tho Lam c. Robichaud[4], la juge administrative Francine Jodoin rappelle ce qui suit :
« [13] Le départ d'un locataire peut causer un rafraîchissement nécessaire au logement, de façon à favoriser sa relocation. Lorsque ceci résulte d'une occupation normale, le locataire n'assume, en principe, aucune responsabilité, à cet égard. C'est le cas, notamment d'un nettoyage régulier, des travaux de plâtre et peinture rendus nécessaires par l'apposition de rideaux, stores, tableaux aux murs ou autres objets décoratifs. De la même façon, lorsqu'il y a restauration du plancher qui n'est pas causé par un abus ou détérioration anormale, le locateur ne peut réclamer les coûts reliés à de tels travaux.
[14] Il va de soi que le locataire n'est pas imputable des améliorations, rénovations ou réparations rendues nécessaires par l'usure du temps, la vétusté ou une force majeure. »
[30] Dans l'affaire Maria-Chapdelaine (Municipalité régionale de comté de) c. Bleuetière péninsule Albanel inc.[5], la Cour supérieure rappelle les droits et obligations des parties quant à la remise du bien de la façon suivante :
« [132] Le locateur a droit à la remise des lieux dans l'état où ils se trouvaient lors de la prise de possession initiale. Il ne peut cependant réclamer une remise à neuf, car il doit assumer la détérioration et l'usure normale. Les lieux doivent donc être remis dans un état qui permet de les relouer sans avoir à procéder à plus que des travaux mineurs[13]. »
[Référence omise]
[31] Dans le présent cas, le Tribunal doit donc évaluer la situation factuelle afin de déterminer si le logement a été rendu de façon conforme aux principes ci-devant mentionnés.
[32] La preuve prépondérante démontre que les dommages au logement dépassent un usage normal et que le locataire a manqué à ses obligations de remettre le logement en bon état à son départ. Il est donc responsable des dommages causés au logement. Le Tribunal ne retient pas le témoignage du locataire qui remet en doute l’authenticité des photographies produites par le locateur.
[33] D’ailleurs, les photographies produites par le locataire lui-même démontrent certains dommages au plancher et au cadre d’une fenêtre notamment.
[34] Le Tribunal accordera une somme globale de 2 500 $ au locateur afin de l’indemniser pour les matériaux et le temps consacré aux travaux. Le Tribunal doit en effet considérer que certains travaux, tels le ménage et la peinture sont considérés comme un rafraîchissement normal suivant le départ d’un locataire tandis que d’autres tels le remplacement des cadrages des fenêtres, du dosseret de céramique, de la vanité de la salle de bain et de certaines lattes de planchers relèvent d’un usage abusif du logement. Le Tribunal a aussi considéré l’état de santé du locateur qui l’a ralenti dans l’avancement des travaux selon son propre témoignage.
Indemnité de relocation
[35] Le locateur a été informé du départ du locataire au cours du mois d’octobre 2022. Or, la résiliation prématurée du bail ne met pas fin aux obligations découlant du bail à moins que le locateur ne manifeste clairement son consentement à mettre fin au bail.
[36] Après analyse de l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut selon la preuve prépondérante que le locateur n’a pas accepté de résilier le bail dès le départ du locataire. Le Tribunal croit le locateur lorsqu’il affirme qu’il était disposé à libérer le locataire de ses obligations à la condition qu’un nouveau locataire soit trouvé. Le locataire est donc responsable du loyer suite à son départ.
[37] Le Tribunal retient de l’ensemble de la preuve que le locateur a été proactif dès qu’il a appris le départ du locataire en octobre. La preuve démontre que le logement a immédiatement été affiché sur le site Kijiji et qu’une pancarte a été mise devant le logement. En novembre, le locateur a retiré toutes les annonces étant donné que le locataire lui a mentionné qu’il ne pouvait pas afficher le logement alors qu’il « était propriétaire du bail ».
[38] Le logement a été affiché de nouveau suite au départ du locataire en décembre 2022. Une affiche a été mise devant le logement et une annonce a été faite sur Kijiji.
[39] Le locateur avait l'obligation de minimiser ses dommages tel que l'indique l'article 1479 C.c.Q. :
« La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l'aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter. »
[40] En ce qui concerne les dommages-intérêts pouvant être réclamés par un locateur, le professeur Pierre-Gabriel Jobin indique ce qui suit dans son ouvrage portant sur le louage[6]:
« 116. Dommages-intérêts. Le recours en dommages-intérêts vient presque toujours s'ajouter à celui en résiliation. En plus d'une indemnité pour pertes causées au bien loué ou autres dommages le cas échéant, le locateur réclame systématiquement une indemnité pour perte de loyer durant la période nécessaire pour trouver un nouveau locataire; plus précisément, l'indemnité couvre la perte de loyer jusqu'à la délivrance du bien au nouveau locataire, car c'est à partir de l'entrée en jouissance que le nouveau loyer est calculé. (...)
L'indemnité de relocation obéit aux règles habituelles. Ainsi, le locateur a droit uniquement à la réparation du préjudice qui constitue une suite immédiate et directe de la faute du locataire. De plus, on ne doit pas oublier que le locateur a le devoir de minimiser sa perte: dans le contexte d'une résiliation, il doit prendre les moyens raisonnables pour remplacer le locataire fautif le plus vite possible. »
[41] À partir du moment où un locateur apprend qu'un locataire quittera ou a quitté le logement, il a l'obligation d'entreprendre des démarches pour relouer le logement, dans le but de minimiser les dommages qu'il encourt en raison de ce départ.
[42] Le Tribunal n'est pas convaincu des explications données par le locateur concernant la période qui s'est écoulée entre le départ du locataire et la relocation. Le locateur a l'obligation de minimiser ses dommages et le Tribunal ne croit pas qu'il se soit complètement déchargé de cette obligation.
[43] En effet, même si le locateur s’est empressé d’entreprendre des démarches afin de relouer le logement, il a augmenté le loyer de 358 $ par mois, ce qui n’a assurément pas favorisé une relocation rapide. Par ailleurs, malgré le temps qui s’écoulait, le locateur n’a pas varié ou multiplié ses démarches. Le Tribunal est d'avis que le locateur aurait dû chercher à diversifier ses démarches, alors qu'elles s'avéraient infructueuses afin de respecter son obligation de mitiger ses dommages.
[44] Par conséquent, le Tribunal n'accorde au locateur que 3 276 $ équivalent à trois mois de loyer considérant que le logement a dû faire l’objet de travaux.
Frais d’énergie
[45] Le même raisonnement sera appliqué aux frais d’énergie. Ils seront accordés pour une période correspondant à environ trois mois pour un montant de 222,85 $[7].
[46] Ainsi, le Tribunal accorde au locateur 2 500 $ à titre de dommages, 3 276 $ à titre d’indemnité de relocation ainsi que 222,85 $ pour les frais d’énergie pour un total de 5 998,85 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[47] ACCUEILLE en partie la demande du locateur;
[48] CONSTATE la résiliation du bail;
[49] CONDAMNE le locataire à payer au locateur la somme de 5 998,85 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 7 juin 2023, plus les frais de 93,75 $;
[50] REJETTE quant au surplus.
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Annie Guillemette | ||
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Présence(s) : | le locateur | ||
Date de l’audience : | 5 juillet 2024 | ||
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[1] Pièce P-3.
[2] Pièce P-4.
[3] Pièce P-8.
[5] 2009 QCCS 1055.
[6] Pierre- Gabriel JOBIN, Le louage, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 304-305.
[7] Pièce P-8.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.