[1] La Cour statue sur l’appel d’un jugement rendu le 3 décembre 2014 par la Cour supérieure du district de Montréal (l’honorable Paul Mayer), qui a rejeté la requête pour jugement déclaratoire de l’appelant.
[2] Pour les motifs du juge Giroux, auxquels souscrivent les juges Doyon et Savard, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
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MOTIFS DU JUGE GIROUX |
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[4] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 3 décembre 2014 par la Cour supérieure du district de Montréal (l’honorable Paul Mayer)[1], qui a rejeté sa requête pour jugement déclaratoire visant à faire déclarer que les intimées contreviennent à la Loi sur l’optométrie[2] et au Code des professions[3] au motif qu’elles exercent l’optométrie sans être inscrites à l’Ordre des optométristes en vendant des lentilles ophtalmiques au Québec par l’entremise de leurs sites Web.
[5] Un enquêteur agissant pour l’appelant a fait préparer une ordonnance par un optométriste du Québec à la suite d’un examen de la vue. À partir du site Web de l’intimée Coastal Contacts inc. [Coastal], il a commandé des lentilles cornéennes et des lunettes avec lentilles ophtalmiques auprès de cette dernière en lui fournissant l’ordonnance obtenue de l’optométriste du Québec[4].
[6] Coastal est une entreprise de Vancouver qui n’a pas d’établissement au Québec. L’appelant n’allègue pas que Coastal exerce ses activités en contravention aux lois en vigueur en Colombie-Britannique en matière de vente de lentilles ophtalmiques[5].
[7] Coastal a transmis à l’enquêteur une confirmation électronique de sa demande et, ensuite, lui a fait livrer les lentilles cornéennes et les lunettes à l’adresse qu’il avait indiquée à Montréal[6].
[8] L’intimée Gestion Progex [Progex] est une société commerciale avec siège social et établissement au Québec qui détient les noms de domaine www.verredecontact.com et www.lunettesarabais.com. Elle est liée à Coastal par un contrat de service aux termes duquel elle relie ses sites Web à ceux de Coastal. Elle redirige les personnes intéressées par les biens annoncés sur son site vers les sites de Coastal[7].
[9] Un enquêteur de l’appelant a commandé des lentilles cornéennes et des lunettes de Coastal auprès de qui il avait été redirigé à partir du site de Progex[8].
[10] L’appelant a sollicité de la Cour supérieure une déclaration que tant Coastal que Progex contreviennent à la LSO par l’entremise de leurs sites Web en prétendant avoir le droit d’exercer une activité professionnelle réservée aux membres de l’Ordre des optométristes du Québec ou en agissant de manière à donner lieu de croire qu’elles sont autorisées à ce faire. Il allègue que la vente de lentilles ophtalmiques est un acte réservé aux optométristes en vertu des articles 16 et 25 de la LSO et aux opticiens d’ordonnances en vertu de la Loi sur les opticiens d’ordonnances[9].
[11] Le juge de la Cour supérieure a rejeté la requête pour jugement déclaratoire de l’appelant. Il identifie la question en litige comme étant celle de savoir si l’article 16 de la LSO, qui définit l’exercice de l’optométrie et délimite en même temps l’aire d’exercice exclusif des membres de l’Ordre, prohibe la vente de lentilles ophtalmiques par une personne située hors de la province à des résidants québécois[10]. Il note tout d’abord que l’« achat » ou la « vente » de lentilles ophtalmiques est en réalité un contrat comportant à la fois les caractéristiques d’un contrat de service et celles d’un contrat de vente de lentilles à proprement parler[11].
[12]
Le juge détermine qu’en l’espèce le contrat de vente est intervenu en
Colombie-Britannique en application de l’article
[13] Rappelant que le but de la LSO est de protéger le public en s’assurant que les professionnels qui pratiquent l’optométrie possèdent une formation adéquate et respectent des normes minimales d’exercice de la profession, le juge considère les actes qui constituent la pratique de l’optométrie et qui sont réservés aux membres de l’Ordre. Parmi ces actes se trouvent ceux qui relèvent de la portion « services » du contrat entre l’optométriste et son client. Quant aux actes ayant pour objet la vente de lentilles ophtalmiques, cette réserve paraît avoir un lien moins clair avec la protection du public que la portion « services » et semble plutôt viser à conférer un monopole économique aux professionnels. Pour le juge de première instance, ces objectifs économiques et de protection du public sont distincts et dissociables[13].
[14] Après avoir établi que l’objet véritable de la LSO vise un chef de compétence valide de la province, car la réglementation des ordres professionnels se rattache à la compétence en matière de propriété et de droits civils dans la province, le juge conclut que la LSO est valide et applicable à toutes les situations à l’intérieur de la province[14].
[15] Elle ne peut toutefois s’appliquer qu’à une situation qui présente un lien réel et substantiel avec la province. En l’espèce, l’Ordre demande d’appliquer la LSO à un contrat mixte de vente et de service. Or, les services professionnels sont rendus sur le territoire de la Colombie-Britannique et le droit québécois considère que la vente y a été conclue. Le seul lien avec le Québec est que le client y a reçu le produit fini. Le juge conclut donc que la situation en l’espèce ne présente pas le lien réel et substantiel avec le Québec qui permettrait de donner raison à l’Ordre[15].
[16] Enfin, même si un tel lien existait, le juge est d’avis que plusieurs arguments fondés sur les principes constitutionnels pertinents[16] s’opposent à l’application du droit du Québec. D’une part, rien dans la LSO n’indique l’intention claire de donner à cette Loi la portée que l’Ordre veut lui donner. De plus, l’existence en Colombie-Britannique d’une corporation professionnelle chargée d’une mission similaire à celle de l’Ordre assure que le public est protégé par des normes de pratique et qu’un recours existe en cas de faute professionnelle. Enfin, les principes d’intégration économique énoncés à l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867[17] militent en faveur d’une interprétation de la disposition en cause qui soit limitée au territoire du Québec[18].
[17] Quant à Progex, bien que le client québécois trouve Coastal par le truchement de la publicité sur le site de Progex, la vente intervient tout de même sur le site de Coastal et selon les modalités qui y sont décrites. Selon le juge, qualifier la publicité de Progex comme un « acte relatif à la vente » serait donner une portée beaucoup trop large à la LSO. De plus, les obligations déontologiques des membres de l’Ordre des optométristes relatives à la publicité ne s’appliquent ni à Coastal ni à Progex[19]
[18] Le premier moyen de l’appelant porte sur l’interprétation à donner à l’article 16 LSO :
[19] L’appelant fait valoir qu’en ce qui concerne la vente de lentilles ophtalmiques, il faut lire l’article 16 comme énonçant : « Constitue l’exercice de l’optométrie tout acte […] qui a pour objet […] la vente de lentilles ophtalmiques ».
[20]
Selon cette interprétation, même si la vente de lentilles ophtalmiques
en l’espèce a lieu à Vancouver en application de l’article
[21] Au soutien de cette interprétation, l’appelant invoque notamment l’article 8 de la LSOO :
[22] Il avance que ces deux lois doivent s’interpréter de la même manière. Si l’article 16 de la LSO ne visait pas tout acte ayant pour finalité la vente de lentilles ophtalmiques, il en résulterait que le champ d’exercice exclusif des optométristes serait moins étendu que celui des opticiens d’ordonnances à l’égard d’actes réservés qui leur sont communs, un résultat que ne pourrait avoir voulu le législateur.
[23]
L’interprétation ainsi proposée permet à l’appelant de distinguer
l’arrêt de notre Cour rendu dans l’affaire Association pharmaceutique de la
province de Québec c. T. Eaton Co. Ltd.[21].
Dans cette affaire qui concerne une vente par catalogue de produits
pharmaceutiques par l’intimée, une société de l’Ontario, la Cour a décidé, à la
majorité, que la vente était survenue en Ontario. Elle n’était donc pas
assujettie à l’article
[24] Ainsi, d’après cette interprétation de l’appelant voulant que l’article 16 LSO vise tout acte ayant pour finalité la vente de lentilles ophtalmiques, le dossier démontrerait une série d’actes « ayant pour objet la vente » qui se sont déroulés au Québec, même si le contrat lui-même est intervenu en Colombie-Britannique. L’appelant mentionne ainsi le placement de la commande, le paiement, la réception de la confirmation de la commande envoyée par Coastal et la livraison des lentilles ophtalmiques.
[25] Comme le font remarquer les intimées, l’appelant a compétence sur ses membres et, par implication nécessaire, sur ceux qui usurpent les fonctions de ses membres en posant des actes professionnels qui leur sont réservés. Si la finalité de son existence est celle de la protection du public comme il le proclame lui-même, il n’a pas compétence sur le public acheteur de verres ophtalmiques. Or, en l’espèce, le placement de la commande, son paiement et la réception de sa confirmation sont des actes accomplis au Québec par l’acheteur et non par Coastal. Seule la livraison au Québec est un acte réalisé au Québec par Coastal à qui l’appelant reproche l’exercice illégal de l’optométrie au Québec.
[26] De plus, la ressemblance invoquée par l’appelant entre la formulation de l’article 16 de la LSO et celle de l’article 8 de la LSOO ne soutient pas son argument qui fait notamment abstraction des membres de phrase qui, dans l’article 16 de la LSO, séparent les mots sur lesquels il voudrait fonder son raisonnement.
[27] Une interprétation littérale de l’article 16 LSO ne permet pas à elle seule d’en tirer la conclusion qu’il est possible de morceler la vente de lentilles ophtalmiques en une multiplicité d’actes distincts. Cette interprétation littérale ne peut conduire à la conclusion, comme le voudrait l’appelant, que chacun de ces actes, par exemple la publicité, le transport ou la livraison, doit être considéré comme faisant partie du champ de pratique exclusif de ses membres.
[28] Comme second moyen, l’appelant plaide que le mot « vente » dans l’article 16 LSO a un sens plus étendu que celui du seul contrat de vente prévu au Code civil du Québec. En considérant l’objectif de la LSO, qui est celui d’assurer la protection du public tel que le prescrit l’article 23 du Code des professions[25], l’appelant fait valoir que le mot « vente » de l’article 16 LSO vise l’activité professionnelle « […] qui consiste à contrôler la distribution au public d’un produit réglementé […] »[26].
[29] Cette prétention permet à l’appelant de contourner la difficulté qui vient de ce que la vente a été conclue à Vancouver et que la livraison des lunettes est le seul acte qui a eu lieu sur le territoire du Québec. L’appelant revendique ainsi un monopole de distribution de lentilles ophtalmiques sur le territoire québécois au profit des membres de l’Ordre des optométristes. Il s’agit toutefois d’un monopole qu’il devrait partager avec les opticiens d’ordonnances puisque l’article 8 de la LSOO emploie le même vocabulaire[27].
[30] Au soutien de cette interprétation voulant que le mot « vente » à l’article 16 LSO ait un sens plus étendu que le seul contrat de vente selon le C.c.Q., l’appelant invoque certaines autorités jurisprudentielles qui, selon lui, permettent d’écarter en l’espèce l’application de l’arrêt Eaton[28].
[31] L’appelant cite d’abord l’arrêt de la Cour suprême dans Celgene Corp. c. Canada (Procureur général)[29]. Cette affaire porte sur le contrôle judiciaire d’une ordonnance du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés enjoignant l’appelante de lui fournir des renseignements pour qu’il puisse faire enquête sur le prix de vente, antérieur ou actuel, d’un médicament breveté sur le marché canadien.
[32] Même si en vertu des principes du droit commercial la vente du médicament avait lieu au New Jersey, la Cour suprême a jugé que l’interprétation plus large retenue par le Conseil était justifiée. En conséquence, selon la Cour suprême, l’historique législatif ainsi que l’objectif de protection du consommateur étayaient la conclusion du Conseil selon laquelle la facture des dispositions législatives applicables lui donnait compétence sur les ventes par l’appelante à des Canadiens du médicament Thalomid. Dans l’exercice de son mandat, en effet, le Conseil attachait une importance considérable à la protection du consommateur afin de veiller à ce que le titulaire d’un brevet n’abuse pas de son monopole au détriment des patients canadiens et de leurs assureurs.
[33] Je note immédiatement que, dans l’arrêt Celgene, si l’appelante faisait ses ventes à partir des États-Unis, livrait à des médecins canadiens et se faisait payer en dollars américains par messagerie ou par la poste à ses bureaux du New Jersey, elle avait cependant obtenu un brevet canadien pour le Thalomid conformément à la Loi sur les brevets[30]. Le Conseil avait justement invoqué l’obtention de ce brevet par l’appelante six jours auparavant pour l’aviser qu’il pouvait maintenant exiger d’elle les renseignements demandés puisqu’elle devenait ainsi assujettie au régime canadien[31].
[34] En l’espèce, l’intimée Coastal n’est pas assujettie au régime québécois de droit professionnel. Elle est soumise aux lois de la Colombie-Britannique.
[35] Toujours au soutien de son interprétation du mot « vente » à l’article 16 LSO, l’appelant invoque également l’arrêt de notre Cour dans Meditrust Pharmacy[32]. Cet arrêt mérite de s’y arrêter plus longuement.
[36] Dans l’arrêt Meditrust Pharmacy, l’intimée était une société fédérale exerçant ses activités à travers le Canada avec son siège social à Toronto. Elle exploitait une pharmacie postale et recevait par la poste des ordonnances pour des médicaments. Elle exécutait ces ordonnances et expédiait les médicaments aux clients à partir de ses bureaux situés au Nouveau-Brunswick où elle était autorisée à pratiquer la pharmacie.
[37] Contrairement aux lois du Québec, la loi du Nouveau-Brunswick n’exigeait pas qu’une pharmacie soit la propriété d’un pharmacien ou d’une personne physique. Elle exigeait seulement que la pharmacie soit sous la surveillance d’une personne autorisée. L’intimée avait annoncé ses services dans les journaux du Québec et, ayant reçu des ordonnances de résidants du Québec, elle les avait exécutées et avait livré les médicaments au Québec.
[38] L’appelant, l’Ordre des pharmaciens du Québec, avait sollicité sans succès en Cour supérieure une ordonnance d’injonction interlocutoire interdisant à l’intimée de faire de la publicité destinée au public québécois de nature à donner lieu de croire qu’elle était autorisée à exercer la profession de pharmacien au Québec sans démontrer clairement qu’elle n’était autorisée à exercer cette profession qu’au Nouveau-Brunswick. L’Ordre demandait également à la Cour d’interdire à l’intimée de vendre ou de livrer à quiconque au Québec un médicament au sens de la Loi sur la pharmacie[33], en exécution ou non d’une ordonnance préparée par un médecin du Québec.
[39] Le juge de première instance avait refusé la délivrance de l’injonction interlocutoire demandée par l’Ordre des pharmaciens, mais il avait donné acte à l’intimée d’une série d’engagements auxquels cette dernière avait consenti et il lui avait ordonné de s’y conformer[34].
[40] Sur appel de l’Ordre des pharmaciens, la Cour, dans un arrêt majoritaire, a délivré l’ordonnance d’injonction interlocutoire demandée.
[41] Dans ses motifs, le juge Brossard, un des deux juges constituant la majorité, reproche d’abord au juge de première instance de ne pas avoir pris en considération, dans son appréciation du préjudice et de l’évaluation comparative des inconvénients, le fait que l’Ordre exerce sous l’autorité du Code des professions et de la Loi sur la pharmacie une mission d’ordre et d’intérêt public qui lui a été déléguée par l’État, soit celle de contrôler et de surveiller l’exercice de la pharmacie au Québec. Il faut donc considérer le préjudice susceptible d’être causé à l’ordre public et non à l’Ordre des pharmaciens. De plus, pour l’évaluation des inconvénients, il faut comparer, d’une part, ceux d’une société commerciale qui n’en allègue aucun spécifique si l’injonction était accordée et, d’autre part, ceux qui relèvent de l’intérêt et de l’ordre public[35]. Il rappelle qu’en vertu de la législation professionnelle du Québec, il est du ressort de l’appelant de contrôler l’exercice de la profession en vue d’assurer la protection du public[36].
[42] Le juge Brossard signale également que l’Ordre appelant avait établi par un droit clair et incontestable que l’intimée, par sa publicité au Québec, avait agi de manière à laisser croire qu’elle était autorisée à exercer la pharmacie au Québec. Elle n’avait pas ce droit à l’époque de l’arrêt parce que, au Québec, l’exercice de la profession de pharmacien était réservé à une personne physique[37].
[43]
En ce qui concerne la demande d’une ordonnance interlocutoire
interdisant de vendre ou de livrer un médicament au Québec, le juge Brossard, à
la différence du juge Rothman, dissident, conclut que l’Ordre des pharmaciens a
établi une apparence de droit quant au fait qu’en livrant un médicament au
Québec, l’intimée a accompli un acte « […] qui a pour objet […] de vendre
[…] un médicament » au sens de l’article
17. Constitue l’exercice de la pharmacie tout acte qui a pour objet de préparer ou de vendre, en exécution ou non d’une ordonnance, un médicament ou un poison[38].
[44] J’estime utile de citer les motifs du juge Brossard sur cette question :
67 L'appelant
et le Procureur général mis en cause vont évidemment plus loin. Ils plaident
que non seulement l'intimée agit d'une façon à laisser croire qu'elle est
autorisée à exercer la profession de pharmacien au Québec mais que, de fait,
elle exerce la profession au Québec au sens de l'article 17 de la Loi sur les pharmaciens, ce qui lui est strictement
interdit en vertu du premier alinéa précité de l'article 35 de la même Loi et de l'article
68 Est interdit “tout acte qui a pour objet de préparer ou de vendre...”. J'accepte évidemment le principe, tel qu'énoncé par le premier juge ainsi que par mon collègue, que la Loi sur les pharmaciens ne saurait avoir une application extra-territoriale et qu'il faut donc lire implicitement les mots “au Québec” dans l'interdit énoncé ci-haut. J'accepte également, comme question de fait, les prétentions de l'intimée à l'effet qu'elle ne pose aucun acte au Québec ayant pour objet la préparation d'un médicament en exécution d'une ordonnance. Qu'en est-il de la vente?
69 L'intimée plaide que la vente, comme telle, est complétée au Nouveau-Brunswick, lieu du domicile du vendeur, là où est reçue et acceptée la “commande”, que ce soit par voie téléphonique, par télécopie, ou par courrier ordinaire, ainsi que le paiement, l'ordonnance médicale québécoise constituant elle-même l'équivalent d'un “bon de commande”. L'argument est sérieux et ne saurait certes, à ce stade, être rejeté du revers de la main même si ni le premier juge ni mon collègue n'en discutent directement.
70 Ceci dit,
et comme question de fait, il n'est cependant pas contesté que la livraison du
médicament s'effectue au Québec. Nous n'avons pas affaire, en l'instance, au
cas d'une clientèle frontalière qui irait tout simplement acheter et prendre
livraison du médicament dans la province étrangère. Or, comme le plaide
l'appelant avec vigueur, et avec justesse dans mon opinion, la livraison
constitue l'un des deux éléments essentiels de toute vente, l'obligation
première du vendeur et donc de l'intimée, et un acte nécessaire pour que la
vente soit, sinon juridiquement, à tout le moins factuellement complétée
(articles
71 J'opinerais plutôt en sens contraire.
72 De fait,
la seule chose qui m'empêche de conclure, à ce stade du débat, que l'appelant
aurait établi un droit clair et incontestable, résulte de la nécessité
d'interpréter restrictivement une disposition, comme l'article 17 de la Loi sur les pharmaciens, qui confère un monopole
professionnel (Pauzé c. Gauvin [1954] R.C.S. 15, Laporte c. Collège des pharmaciens de la province de Québec [1976]
1 R.C.S. 10110 N.R. 602, Ordre des pharmaciens du Québec c.
Corporation professionnelle des médecins vétérinaires du Québec
73 Il ne nous appartient pas, à ce stade-ci, de décider du mérite du litige au fond et de décider si les mots “tout acte qui a pour objet de...” ont, nonobstant le manque de rigueur des termes utilisés, une portée assez vaste pour inclure la livraison du médicament ou si, au contraire, cette livraison, comme le plaide l'intimée, ne constitue qu'un accessoire de la vente, subséquente à celle-ci, et qui ne peut donc être assimilé à un acte qui a pour objet de vendre. C'est là la question en litige au fond.
74 Je suis cependant d'opinion que l'appelant a établi prima facie, à ce stade du débat, au moins une apparence suffisante de droit pour justifier le tribunal à analyser, de façon approfondie, le préjudice et la balance des inconvénients.[39]
[45] En somme, si l’appelant avait établi prima facie une apparence de droit suffisante, l’objet de l’appel ne portait pas, contrairement au présent dossier, sur la détermination de l’existence de ce droit. Le juge Brossard étudie ensuite la question du préjudice subi par l’appelant, l’Ordre des pharmaciens, notamment le préjudice de droit résultant de la violation continue des dispositions de la loi qui seraient ultimement jugées applicables à l’intimée par un jugement au fond. Il estime que l’Ordre subit un préjudice de fait puisque les engagements pris par l’intimée en première instance pour atténuer les risques afférents à une vente de médicaments par courrier ne seraient pas susceptibles d’exécution. Il décide également que l’évaluation comparative joue en faveur de l’Ordre[40]. Au final, il conclut qu’il y a lieu de faire droit à l’appel et de délivrer l’ordonnance d’injonction interlocutoire demandée par l’Ordre.
[46]
La juge Otis décide également qu’il y a lieu de faire droit à
l’appel et de délivrer l’injonction interlocutoire demandée. Toutefois, comme
le révèlent les paragraphes suivants de ses motifs, elle se montre beaucoup
plus réservée que le juge Brossard en ce qui concerne la question de la
violation par l’intimée des dispositions de l’article
100 En
l'espèce, la question de savoir si les articles 17 et 35 de la Loi sur les pharmaciens conjugués à l’article
101 L'examen approfondi du fond n'est pas souhaitable en l'espèce. Il convient de laisser au juge du procès le soin d'examiner, de manière approfondie et à la lumière de la preuve, cette question de droit public qui fait intervenir des considérations complexes qu'il ne convient pas de résoudre à ce stade des procédures. Nous ne sommes pas en présence de ce cas où le résultat de la demande interlocutoire équivaudra en fait à un règlement final de l'action” (RJR - MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), précité, p. 348 R.C.S.) ni de ce cas, plus rare, où la question à résoudre “se présente sous la forme d'une question de droit purement et simplement, laquelle peut être définitivement tranchée par un juge saisi d'une requête” (Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., précité, p. 133 R.C.S.).
102 En regard de l'examen du préjudice irréparable et de prépondérance des inconvénients examinés sous l'angle de l'intérêt public, je retiens les propositions exprimées par M. le juge André Brossard ainsi que les conclusions qu'il en a tirées relativement à l'émission d'une injonction interlocutoire.
103 L'appelant invoque, dans le cadre de sa requête en injonction interlocutoire, la mission de protection publique qui lui est impartie par la Loi sur les pharmaciens et le Code des professions. La libre circulation des médicaments, sans aucun contrôle professionnel au Québec, pose, dans l'immédiat, des problèmes reliés à la santé de la population québécoise (aucune communication directe et personnelle avec le pharmacien, incompatibilité possible des ordonnances, usage des médicaments sans contrôle ni information, etc.). Les garanties offertes par l'intimée sont bien faibles en regard de la protection de la santé publique que le législateur a voulu assurer en mettant en oeuvre, notamment, un système de contrôle professionnel destiné à encadrer l'exercice de la pharmacie au Québec.
104 En conséquence, je crois qu'il y a lieu de faire droit à l'appel et d'émettre une ordonnance d'injonction interlocutoire suivant les termes proposés par M. le juge André Brossard.[41]
[47] La dissidence est celle du juge Rothman. Sur la question de fond, il estime que le débat est sérieux et il hésite à dire, à ce stade, que le juge de première instance aurait erré en qualifiant de « douteux » le droit de l’appelant à l’injonction interlocutoire[42]. Il signale par ailleurs que l’Ordre des pharmaciens, qui s’oppose à la vente postale de médicaments au Québec par une pharmacie située au Nouveau-Brunswick, a lui-même obtenu un amendement à la Loi sur la pharmacie du Québec afin que ses membres puissent eux-mêmes remplir des ordonnances destinées à des résidants d’autres provinces canadiennes.
[48] Le juge Rothman partage l’avis du juge de première instance qui a conclu que l’Ordre des pharmaciens ne l’avait pas convaincu qu’il subirait un préjudice sérieux ou irréparable si l’injonction interlocutoire n’était pas délivrée et que, de plus, l’évaluation comparative des inconvénients favorisait l’intimée[43].
[49] Dans sa dissidence, le juge Rothman revient également sur la question de l’intérêt public invoquée par l’Ordre des pharmaciens. Ses commentaires sur cette question s’apparentent à ceux du juge de première instance dans la présente espèce qui a fait une distinction entre les services professionnels fournis par les optométristes et leur droit de vendre des lentilles ophtalmiques qui, selon lui, a un lien moins clair avec la protection du public[44].
[50] Au final, j’estime que l’arrêt Meditrust Pharmacy ne constitue pas une autorité suffisante pour en tirer la conclusion, comme le voudrait l’appelant, que l’article 16 de la LSO, qui délimite le champ de pratique exclusif des membres de l’Ordre des optométristes, vise la seule livraison de lentilles ophtalmiques au Québec lorsque la vente intervient à l’extérieur du Québec.
[51] Plusieurs motifs m’apparaissent déterminants quant à la portée limitée de cet arrêt :
-
la question de fond de savoir si l’article
- seul le juge Brossard s’est avancé sur ce terrain et encore s’est-il limité à reconnaître une apparence de droit, réservant la question pour le fond;
- la juge Otis a été beaucoup plus circonspecte sur la question de fond alors que le juge Rothman, dissident, a estimé, tout comme le juge du procès, que le droit de l’appelant, l’Ordre des pharmaciens, était « douteux »;
- il appert que, dans sa publicité faite dans les journaux du Québec, l’intimée avait clairement contrevenu à la Loi en agissant de manière à laisser croire qu’elle était autorisée à exercer la pharmacie au Québec;
- une preuve avait au surplus été administrée sur les risques associés à l’exécution d’une ordonnance par une pharmacie du Nouveau-Brunswick, notamment l’absence de toute communication directe entre le patient et le pharmacien, la possibilité d’une interaction dangereuse entre les divers médicaments commandés au Nouveau-Brusnwick et l’usage de médicaments sans contrôle ni information. Dans notre dossier, aucune preuve n’a été administrée quant aux risques potentiels d’un achat de lentilles ophtalmiques d’un fournisseur non québécois qui remplit une ordonnance émanant d’un optométriste du Québec.
[52] Je note enfin que la Cour supérieure ne s’est pas sentie liée par l’arrêt Meditrust Pharmacy au motif justement que la Cour d’appel n’avait pas statué sur le fond de la question. Un exemple intéressant nous est fourni par le jugement de la Cour supérieure dans Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec c. Ordre des optométristes du Québec[46].
[53] Dans cette affaire, les opticiens d’ordonnances contestaient la validité de lignes directrices publiées par les optométristes identifiant des actes pouvant être posés par le « personnel d’assistance », soit par le personnel non professionnel exerçant ses activités sous la direction d’un optométriste. Les opticiens d’ordonnances demandaient notamment que la livraison des lunettes soit exclue des actes que le personnel auxiliaire pouvait poser seul selon les lignes directrices des optométristes. Pour ces derniers, il était « manifeste » que la livraison de lunettes ou de lentilles, en l’absence de tout ajustement, ne pouvait être un acte réservé[47]. Les optométristes ont de plus manifesté leur opposition à l’inclusion de la livraison dans le champ d’exercice professionnel tel que proposé par les opticiens d’ordonnances :
[37] Là où l’OOQ [Ordre des optométristes du Québec] n’est pas d’accord, c’est lorsque l’OODQ [Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec] demande que soit incluse dans le champ d’exercice professionnel la livraison de lunettes; bien que l’OOQ reconnaisse que la livraison de lunettes implique presque toujours une vérification de la nécessité d’ajustement qui doit se faire nécessairement par un professionnel (la vérification), il maintient que le Tribunal doit respecter la différence entre un acte réservé et un acte dérogatoire, l’acte dérogatoire étant dans le cadre de cette explication le fait de ne pas procéder à la vérification au moment de la livraison.[48]
[54] Le juge de la Cour supérieure s’est déclaré en accord avec cette distinction proposée par les optométristes. Il a alors écarté l’application de l’arrêt Meditrust Pharmacy qui avait été évoqué par les opticiens d’ordonnances. Estimant que la Cour d’appel ne s’était pas prononcée sur la question de savoir si l’expression « tout acte qui a pour objet… la vente » avait une portée assez large pour inclure la livraison de médicaments, il a plutôt retenu l’interprétation proposée par les optométristes « […] à savoir que la livraison ne serait qu’un accessoire de la vente, subséquente à celle-ci […] »[49].
[55] Aujourd’hui, l’appelant fait plutôt valoir que la seule livraison de lentilles ophtalmiques au Québec fait partie du champ d’activité exclusif des optométristes. Comme déjà vu, il plaide que c’est la portée qu’il faut donner au mot « vente » dans l’article 16 LSO.
[56]
L’appelant a raison lorsqu’il prétend que, dans l’arrêt Eaton[50],
la Cour d’appel a tranché la question qui lui était soumise en se fondant sur
les règles civiles de formation du contrat. Elle n’a pas interprété l’article
[57]
L’appelant soumet en conséquence qu’interprété à la lumière de
l’objectif d’assurer la protection du public de l’article
[58] À mon avis, rien ne justifie une telle interprétation de l’article 16 de la LSO.
[59] Il suffit notamment de comparer la LSO avec les dispositions de la Loi sur la pharmacie[52] et des règlements adoptés sous son autorité, par exemple, pour constater immédiatement la rigueur des éléments propres à la vente et à la distribution d’un produit réglementé.
[60] Le médicament est un produit réglementé de sa fabrication jusqu’à sa mise en marché, lesquelles sont soumises aux dispositions de la Loi sur les aliments et drogues[53] qui, d’ailleurs, prend soin d’assimiler la distribution à la vente[54], et à un impressionnant corpus réglementaire élaboré sous son empire, notamment le Règlement sur les aliments et drogues[55].
[61] Cette réalité se reflète également en droit professionnel québécois, en particulier dans les dispositions de la Loi sur la pharmacie[56] et ses règlements. Elle est bien illustrée par les propos de la professeure Marie-Ève Arbour :
L’achat-vente de médicaments est assujetti aux dispositions générales du Code civil visant les contrats nommés, de même qu’aux obligations périphériques dictées notamment par le Code de déontologie et les règlements qui en émanent. Si l’acte juridique qui intervient entre les parties ne présente a priori aucune caractéristique particulière, le bien qui en fait l’objet, tout comme la qualité de la personne du vendeur, sont conditionnés au respect de plusieurs exigences liées au potentiel de risque que présentent les médicaments. D’abord, rappelons que tous les médicaments disponibles en vente libre sur le marché doivent être homologués par l’autorité canadienne compétente, c’est-à-dire qu’ils doivent détenir une autorisation de mise en marché délivrée par le ministère de la Santé. Ensuite, tous les pharmaciens doivent être membres de l’OPQ afin de pouvoir délivrer des médicaments qui sont soumis à une ordonnance médicale, ou dont la vente est affectée de restrictions quant à leur accessibilité. Enfin, certains médicaments ne peuvent être dispensés qu’à la suite d’une ordonnance écrite de la main d’un médecin.[57]
[62] L’exercice de la pharmacie est défini au premier alinéa de l’article 17 :
17. L'exercice de la pharmacie consiste à évaluer et à assurer l'usage approprié des médicaments afin notamment de détecter et de prévenir les problèmes pharmacothérapeutiques, à préparer, à conserver et à remettre des médicaments dans le but de maintenir la santé, de la rétablir ou d'offrir le soulagement approprié des symptômes.
On remarquera que cette définition inclut la conservation et la remise des médicaments.
[63] Pour leur part, les actes réservés aux pharmaciens dans l’exercice de la pharmacie sont énumérés au deuxième alinéa de ce même article 17 de la Loi. Parmi ces actes, se retrouve celui de « vendre des médicaments, conformément au règlement pris en application de l’article 37.1 ». Le Règlement sur les conditions et modalités de vente des médicaments[58] pris sous l’autorité de l’article 37.1 de la Loi distingue cinq catégories de médicaments aux fins de la vente au public. Les trois premières catégories comprennent les médicaments destinés aux humains et les deux autres, ceux destinés aux animaux[59]. Le règlement fixe les conditions et modalités de vente des médicaments de chaque catégorie.
[64] Dans le cas des médicaments des trois premières catégories, ils ne peuvent être vendus au public que par un membre de l’Ordre des pharmaciens[60] et seulement dans une pharmacie[61]. De plus, les médicaments des deux premières catégories doivent être conservés dans une section de la pharmacie qui n’est pas accessible au public[62] et ceux de la troisième catégorie peuvent être conservés dans une section de la pharmacie qui peut être accessible au public, mais seulement si cette section est sous le contrôle et sous la surveillance constante d’un pharmacien[63].
[65] Ces dernières exigences sont complétées et précisées dans le Règlement sur la tenue des pharmacies[64]. Les articles 10, al. 1(e) et 33 de la Loi sur la pharmacie ainsi que les prescriptions du Règlement sur la disposition des médicaments et des poisons à la suite de la fermeture définitive d’une pharmacie[65] font bien voir l’importance que le législateur accorde au contrôle des médicaments dans le cadre du régime juridique applicable à l’exercice de la profession de pharmacien.
[66] J’ai mentionné ces dispositions non pas dans le but de délimiter l’aire d’application des activités d’exercice exclusif réservées aux pharmaciens, mais plutôt pour faire voir l’encadrement législatif et réglementaire rigoureux propre à un régime de contrôle de la distribution d’un produit réglementé.
[67] Il n’y a rien de tel dans la LSO et ses règlements d’application. À titre d’exemple, dans le cas de cessation d’exercice, le Règlement sur les dossiers d’un optométriste cessant d’exercer[66] vise à assurer la seule conservation des dossiers des patients du professionnel et non celle d’un produit réglementé comme c’est le cas pour les médicaments.
[68] La revendication par l’appelant d’un monopole de distribution de lentilles ophtalmiques semble également peu conciliable avec l’article 20 de la LSO qui interdit à un optométriste « […] d’avoir un intérêt, direct ou indirect, dans une entreprise de fabrication ou de vente de lentilles ophtalmiques, de montures, de médicaments ou des autres produits liés à l’exercice de l’optométrie […] ». Par cette disposition, adoptée pour éviter le conflit d’intérêts entre l’ordonnance de lentilles ophtalmiques à la suite d’un examen de la vue par un optométriste et la vente de ces lentilles[67], le législateur reconnaît, au moins de façon implicite, que la vente de lentilles ophtalmiques peut être faite au Québec par une entreprise dans laquelle aucun optométriste n’a d’intérêt.
[69] Il n’est pas inutile d’ajouter que de 1940[68] jusqu’en 1973, l’ancienne Loi des optométristes et opticiens prévoyait que les optométristes et opticiens pouvaient, comme actes d’exercice exclusif, « […] vendre, fournir, ajuster ou remplacer au détail des lentilles ophtalmiques avec ou sans monture ». L’article 16 de la Loi actuellement en vigueur, qui date de 1973[69], retient la vente, l’ajustement et le remplacement au titre d’actes à usage exclusif des optométristes, mais elle ne reprend pas la « fourniture » parmi ces actes.
[70] Je rappelle enfin que la Cour suprême enseigne que les lois qui créent des monopoles professionnels sanctionnés par la loi, dont l’accès est contrôlé, et qui protègent leurs membres agréés qui remplissent des conditions déterminées contre toute concurrence, doivent être strictement appliquées. Tout ce qui n’est pas clairement défendu peut être fait impunément par tous ceux qui ne font pas partie de ces associations[70].
[71] En conséquence, j’estime que l’appelant n’a pas démontré que la protection du public requiert d’interpréter le mot « vente » dans l’article 16 LSO comme signifiant la distribution d’un produit réglementé. Son second moyen doit donc être rejeté. Il en résulte que la seule délivrance de lentilles ophtalmiques au Québec, comme c’est le cas en l’espèce, ne peut constituer une contravention à l’article 16 et au premier alinéa de l’article 25 ni l’exercice illégal au Québec de l’optométrie.
[72] Une fois écartée l’interprétation de l’article 16 de la LSO proposée par l’appelant, il n’est plus nécessaire de s’interroger sur la question de la portée territoriale de cette Loi et sur celle de la compétence territoriale du législateur québécois que les parties ont débattues dans leurs mémoires et à l’audience. C’est le principe de la territorialité de la Loi qui s’applique en l’espèce. Ce principe veut qu’en l’absence de disposition contraire, expresse ou implicite, on présumera que l’auteur d’un texte législatif entend qu’il s’applique aux personnes, aux lieux, aux actes ou aux faits qui se situent à l’intérieur des limites du territoire soumis à sa compétence[71].
[73] C’est ce principe qui a été appliqué dans l’arrêt Eaton[72]. De plus, dans l’arrêt Meditrust Pharmacy, le juge Brossard écrit qu’il accepte le principe, tel qu’énoncé par le juge de première instance et le juge dissident, que la Loi sur la pharmacie[73] ne saurait avoir une application extraterritoriale et qu’il faut donc lire implicitement les mots « au Québec » dans la disposition qui interdit à un autre qu’un pharmacien de poser les actes réservés à ce professionnel[74]. La même chose peut être dite de l’article 16 LSO.
[74] Dans son inscription en appel et dans son mémoire, l’appelant s’est également attaqué à cette partie du jugement de première instance qui a rejeté son recours en ce qui concerne l’intimée Progex. À l’audience, il n’en a fait aucune mention, se contentant de plaider au sujet des activités de l’intimée Coastal Contacts.
[75] Dans son mémoire, l’appelant avance que les activités de Progex au Québec constituent un « acte ayant pour objet la vente » au sens de l’article 16 de la LSO.
[76] J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer pourquoi je suis d’avis qu’il n’est pas possible d’interpréter l’article 16 LSO comme permettant de morceler la vente de lentilles ophtalmiques en une multiplicité d’actes distincts qui seraient tous d’exercice exclusif[75].
[77] Au surplus, les intimées ont raison de soutenir que la publicité de Progex ne comporte aucun des éléments essentiels justifiant d’y voir une offre de contracter. Elle se contente de faire de la publicité et de rediriger le client vers le site Web de l’intimée Coastal Contacts.
[78] J’estime donc que le juge de première instance était bien fondé à conclure que ce serait donner une portée beaucoup trop large à la LSO que de qualifier la publicité comme « un acte relatif à la vente »[76].
[79] Pour ces motifs, je rejetterais cet appel avec les frais de justice contre l’appelant.
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LORNE GIROUX, J.C.A. |
[1] 2014 QCCS 5886.
[2] Loi sur l’optométrie, RLRQ, c. O-7 [ci-après citée : LSO].
[3] Code des professions, RLRQ, c. C-26.
[4] Admissions du 16 septembre 2014, paragr. 8-9 [ci-après citées : Admissions].
[5] Ibid., paragr. 2 et 7.
[6] Ibid., paragr. 10-11.
[7] Ibid., paragr. 3, 12, 14-16.
[8] Ibid., paragr. 17-23.
[9] Loi sur les opticiens d’ordonnances, RLRQ, c. O-6 [ci-après citée : LSOO].
[10] Jugement de première instance, précité, note 1, paragr. 22.
[11] Ibid., paragr. 25-28.
[12] Ibid., paragr. 33-35 et 44.
[13] Ibid., paragr. 51-54.
[14] Ibid., paragr. 55.
[15] Ibid, paragr. 58 et 60-61.
[16]
Le juge cite notamment les auteurs H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, Droit
constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014,
p. 602 et les arrêts Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta,
[17] Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, ann. II, n° 5.
[18] Jugement de première instance, précité, note 1, paragr. 62-64.
[19] Ibid., paragr. 71-74.
[20] Ibid., paragr. 33-35.
[21] Association pharmaceutique de la province de Québec c. T. Eaton Co. Ltd., (1931) 50 B.R. 482.
[22] Loi de pharmacie de Québec, L.R.Q., 1925, c. 215, art. 21.
[23]
Ordre des pharmaciens du Québec c.
Meditrust Pharmacy Services Inc.,
[24]
Loi sur la pharmacie, L.R.Q., c. P-10, art. 17, tel qu’il était
rédigé avant d’être remplacé par l’article
[25] Précité, note 3.
[26] Mémoire de l’appelant, paragr. 29.
[27] Supra, paragr. [21].
[28] Arrêt précité, note 21.
[29]
Celgene Corp. c. Canada (Procureur général),
[30] Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), c. P-4.
[31] Arrêt Celgene, précité, note 29, paragr. 7, p. 8.
[32] Arrêt précité, note 23.
[33] Précitée, note 24.
[34] Ces engagements sont reproduits dans les motifs du juge Rothman, dissident dans Meditrust Pharmacy, arrêt précité, note 23, aux p. 2847-2848.
[35] Ibid., p. 2836.
[36] Ibid., p. 2836-2837.
[37] Ibid., p. 2837-2838.
[38] Loi sur la pharmacie, précitée, note 24. Cet article ainsi que les articles 19 et 35 de la même Loi sont reproduits dans Meditrust Pharmacy, arrêt précité, note 23, p. 2837.
[39] Meditrust Pharmacy, arrêt précité, note 23, p. 2838-2839.
[40] Ibid., p. 2839-2845.
[41] Ibid., p. 2846.
[42] Ibid., p. 2848.
[43] Ibid., p. 2849-2850.
[44] Jugement de première instance, précité, note 1, paragr. 51-53.
[45] Précitée, note 24.
[46]
Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec c. Ordre des
optométristes du Québec,
[47] Ibid., paragr. 21.
[48] Ibid., paragr. 37.
[49] Ibid., paragr. 40.
[50] Arrêt précité, note 21.
[51] Supra, note 22.
[52] Loi sur la pharmacie, RLRQ, c. P-10.
[53] Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), c. F-27.
[54] Ibid, art. 2.
[55]
Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., c. 870; T. Leroux et
M. Giroux, « La protection du public et les médicaments : Les obligations
du fabricant »,
[56] Loi sur la pharmacie, supra, note 52.
[57]
Marie-Ève Arbour, « Libres propos sur la responsabilité contractuelle du
pharmacien d'officine »,
[58] Règlement sur les conditions et modalités de vente de médicaments, RLRQ, c. P-10, r. 12.
[59] Ibid., art. 1.
[60] Ibid., art. 3.
[61] Ibid., art. 4.
[62] Ibid., art. 5.
[63] Ibid., art. 6.
[64] Règlement sur la tenue des pharmacies, RLRQ, c. P-10, r. 24.
[65] Règlement sur la disposition des médicaments et des poisons à la suite de la fermeture définitive d’une pharmacie, RLRQ, c. P-10, r. 14.
[66] Règlement sur les dossiers d’un optométriste cessant d’exercer, RLRQ, c. O-7, r. 7.
[67] Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, Étude du projet de loi no 256, Loi sur l’optométrie, Jeudi, 8 mars 1973, vol. 12, no 106, p. 4243. L’article 27 LSO reconnaît un droit acquis, malgré l’article 20, aux optométristes qui, le 1er novembre 1972, avaient un intérêt dans une entreprise de fabrication ou de vente de lentilles ophtalmiques.
[68] Voir la Loi modifiant la charte de l’Association des optométristes et opticiens de la province de Québec, S.Q. 1940, c. 60, art. 4. Cette disposition a ensuite été reprise dans les S.R.Q. 1941, c. 274, art. 19 et dans les S.R.Q. 1964, c. 257, art. 19. Dans la version anglaise, c’est le verbe « supply » qui est utilisé.
[69] Loi sur l’optométrie, L.Q. 1973, c. 52, art. 16.
[70]
Pauzé c. Gauvin, [1954] R.C.S. 15, p. 18; Laporte c. Collège
des pharmaciens de la province de Québec,
[71] P.-A. Côté, S. Beaulac et M. Devinat, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, no 770-779, p. 230-233.
[72] Arrêt précité, note 21, p. 490.
[73] Précitée, note 24.
[74] Arrêt Meditrust Pharmacy, précité, note 23.
[75] Supra, paragr. 16 à 24.
[76] Jugement de première instance, précité, note 1, paragr. 73.
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