Décision

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Reich c. Francescangeli

2010 QCRDL 19123

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No :          

31 071203 009 G

31 071203 009 S 100426

 

 

Date :

17 mai 2010

Régisseure :

Suzie Ducheine, juge administratif

 

Al Reich

 

Locataire - Partie demanderesse

(31 071203 009 G)

Partie défenderesse

(31 071203 009 S 100426)

c.

Gino Francescangeli

 

Locateur - Partie défenderesse

(31 071203 009 G)

Partie demanderesse

(31 071203 009 S 100426)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le locateur demande le rejet de la demande d'exécution en nature, diminution de loyer et dommages-intérêts du locataire vu l'absence de compétence du tribunal de la Régie du logement.

[2]         Le 3 décembre 2007, le locataire produit une demande en diminution de loyer à compter du 1er juillet 2007, dommages-intérêts de 4 000 $ et dommages punitifs de 20 000 $ pour harcèlement, le tout avec les intérêts et les frais judiciaires. Il amende sa demande à trois reprises pour ajouter des nouvelles allégations.

[3]         Au moment du dépôt de la demande, le loyer mensuel pour la période du 1er mai 2007 au 30 avril 2008 était de 630$. le bail entre les parties a été reconduit d'année en année jusqu'au 30 avril 2011 à un loyer supérieur.

[4]         Le locataire ne quantifie pas la diminution de loyer réclamée dans sa demande.

[5]         Le procureur du locateur soutient qu'à la date de l'audience, la diminution de loyer demandée se chiffre à plus de 20 790 $ (33 mois x 630 $) puisque le tribunal peut accorder au locataire une diminution de loyer équivalente au plein montant du loyer mensuel rétroactivement au 1er juillet 2007. En y ajoutant les dommages réclamés, la condamnation recherchée par le locataire se chiffre à 80 790 $, plus les intérêts et les frais judiciaires.

[6]         Il soumet que le tribunal n'a pas juridiction pour statuer sur la demande du locataire puisque les diminutions de loyer et les dommages réclamés totalisent une somme supérieure à 70 000 $, dépassant ainsi la compétence dévolue au tribunal de la Régie du logement.


[7]         Le procureur du locataire plaide que la requête en irrecevabilité du locateur est tardive. De plus, il s'agit d'un vice de procédure qui peut être rectifié par un amendement afin de préciser le pourcentage de la diminution de loyer demandée par le locataire.

[8]         Le procureur du locateur s'objecte à un tel amendement. Il soutient que le tribunal n'ayant pas compétence sur la demande originaire, il ne peut statuer sur son amendement.

[9]         L'absence de compétence ratione materiae d'un tribunal peut être soulevée en tout temps et en tout état de cause et peut même être déclarée d'office par le tribunal (art. 164 C.p.c.). Par conséquent, le tribunal ne peut conclure que la requête du locateur est tardive.

[10]     Les dispositions de l'article 28 de la Loi sur la Régie du logement établissent la juridiction du tribunal :

« 28.    La Régie connaît en première instance, à l'exclusion de tout tribunal, de toute demande :

 

     1°   relative au bail d'un logement lorsque la somme demandée ou la valeur de la chose réclamée ou de l'intérêt du demandeur dans l'objet de la demande ne dépasse pas le montant de la compétence de la Cour du Québec;

 

     2°   relative à une matière visée dans les articles 1941 à 1964, 1966, 1967, 1969, 1970, 1977, 1984 à 1990 et 1992 à 1994 du Code civil;

 

     3°   relative à une matière visée à la section II, sauf aux articles 54.5, 54.6, 54.7 et 54.11 à 54.14.

 

     Toutefois, la Régie n'est pas compétente pour entendre une demande visée aux articles 645 et 656 du Code de procédure civile (c. C-25). »

[11]     Il faut se référer à l'article 34 du Code procédure civile qui se lit ainsi :

« 34.  Sauf lorsqu'un recours est exercé en vertu du Livre IX, la Cour du Québec connaît, à l'exclusion de la Cour supérieure, de toute demande:

 

 1. dans laquelle la somme demandée ou la valeur de la chose réclamée est inférieure à 70 000 $, sauf les demandes de pension alimentaire et celles qui sont réservées à la Cour fédérale du Canada;

 

 2. en exécution, en annulation, en résolution ou en résiliation de contrat ou en réduction des obligations qui en résultent, lorsque l'intérêt du demandeur dans l'objet du litige est d'une valeur inférieure à 70 000 $;

 

 3. en résiliation de bail lorsque le montant réclamé pour loyer et dommages-intérêts n'atteint pas 70 000 $.

 

Lorsque, à l'encontre d'une action portée devant la Cour du Québec, un défendeur forme une demande qui, prise isolément, serait de la compétence de la Cour supérieure, celle-ci devient seule compétente à connaître de tout le litige, et le dossier doit lui être transmis sur consentement écrit de toutes les parties ou, à défaut d'un tel consentement, sur demande présentée au juge ou au greffier. Il en est de même lorsqu'à la suite d'un amendement à une demande portée devant la Cour du Québec, cette demande devient de la compétence de la Cour supérieure.

 

De même, lorsqu'à la suite d'un amendement à une demande portée devant la Cour supérieure, cette demande devient de la compétence de la Cour du Québec, celle-ci devient seule compétente à connaître de tout le litige et le dossier doit lui être transmis sur consentement écrit de toutes les parties ou, à défaut d'un tel consentement, sur demande présentée au juge ou au greffier à moins que, le cas échéant, le défendeur forme une demande qui, prise isolément, soit de la compétence de la Cour supérieure.

 

Le présent article ne s'applique pas à une demande résultant du bail d'un logement ou d'un terrain visés dans l'article 1892 du Code civil (Lois du Québec, 1991, chapitre 64), sauf si cette demande est une contestation visée aux articles 645 et 656 du présent code. »

[12]     La jurisprudence a établi qu'une fois le tribunal dessaisi d'un litige, un amendement ultérieur ne peut être reçu pour lui rendre la compétence juridictionnelle.


[13]     Le jugement de la cour supérieure dans l'affaire Bourcier c. Lafontaine[1] fait autorité en la matière. Dans le cadre de cette affaire, le tribunal de la Régie du logement rejette une requête pour réouverture d'enquête et amendement dans le but de réduire la somme réclamée par les locataires dans leur demande amendée. Cette somme dépassait le seuil de compétence du tribunal. La Régie décline compétence. La décision est confirmée par la Cour du Québec qui rejette le recours des locataires. Ils se pourvoient en appel devant la Cour supérieure.

[14]     Sous la plume du juge Tessier, la Cour conclut que pour entendre des demandes incidentes, le tribunal doit être compétent pour statuer sur la demande principale. Il écrit :

« La Régie, incompétente depuis le 16 septembre 1986 à entendre ce litige et à en disposer, demeurait tout aussi incompétente à adjuger sur la requête en réamendement du 26 septembre.

Un tribunal conserve sa compétence, malgré un amendement diminuant le montant réclamé, au sujet duquel un tribunal inférieur pourrait avoir autrement compétence , puisque c'est le montant originairement réclamé qui confère juridiction et que le tribunal compétent peut accorder une somme inférieure à celle initialement réclamée (Gagné c. Coca Cola ltée (1953) C.S. 363, Shanfield c. Duval (1970) R.P. 66, Desbiens c. Gilbert (1974) R.P. 384, Commission du salaire minimum c. Kastner (1975) R.P. 297, Chassé c. Unik inc. (1977) C.P. 371 ).

"Une fois le tribunal saisi d'une demande, il ne peut en être dessaisi que par une disposition explicite de la loi." (Commission du salaire minimum c. Kastner, supra, p. 299.).

Il s'agit ici toutefois d'une situation inverse à celle précitée. Ayant perdu compétence le 16 septembre 1986, à cause de l'article 28 de la Loi, le tribunal inférieur a été dessaisi du dossier par une disposition législative explicite.

La requête pour amender du 26 septembre ne constitue pas un désistement partiel. À titre de référence, selon l'article 262 C.p.c., une partie peut se désister de sa demande ou de son acte de procédure en tout état de cause. L'article 29 du Règlement sur la procédure devant la Régie du logement, qui s'applique au cas soumis, énonce qu'une partie peut se désister de sa demande ou de sa requête par déclaration écrite. Les requérants ne se sont pas désistés de leur demande ou de leur acte de procédure tenant à la fois lieu de contestation et de demande, et n'ont pas déclaré ce faire. Ils ont simplement demandé la permission de modifier le montant réclamé dans les conclusions de cette demande. Un désistement ne peut être partiel et se distingue de l'amendement (Commission du salaire minimum c. Kastner, supra, Chassé c. Unik inc., supra, Canadian Imperial Bank of Commerce c. Knitrama Fabrics inc., J.E. 82-882 , C.S.).

Se référant à l'affaire Bourcier c. Rosenthal[2], il ajoute :

« Jurisprudence à l'appui, la Cour détermine qu'un amendement ou désistement partiel […] ne peut avoir pour effet de permettre qu'un tribunal, qui n'est pas compétent, puisse, en accueillant de telles requêtes, s'arroger une juridiction qu'il n'a pas à l'origine ou la retirer à celui qui possède cette compétence. Un amendement doit être présenté et autorisé par le tribunal compétent sur le fond du litige. »

[15]     Plus récemment, la Cour du Québec accordait la requête pour permission d'appel de la décision du tribunal de la Régie du logement dans l'affaire Lamanna c. Sardi [3]sur la question de la compétence de la Régie du logement pour entendre une demande de diminution de loyer non chiffrée.

[16]     Ce même motif est retenu par la Cour du Québec dans la cause de Delarosbil c. Drolet[4] pour accorder la permission d'appel. Dans cette affaire, la demande non chiffrée du locataire était produite trois ans avant la décision de la Régie du logement.


[17]     L'article 3 du Règlement sur la procédure devant la Régie du logement édicte qu'une demande doit être faite par écrit et être signée par la partie qui la produit et doit contenir certains renseignements, incluant les conclusions recherchées. Le tribunal doit statuer sur la demande formulée par le locataire. Il reconnaît s'être informé quant au seuil de compétence du tribunal avant de chiffrer sa réclamation en diminution de loyer et dommages. Toutefois, il n'a pas tenu compte du délai d'attente pour l'audition de sa demande. Le tribunal ne peut suppléer aux lacunes de la demande puisqu'il n'a pas compétence. Le tribunal juge opportun de citer les propos du juge Michel Gagnon dans Raymond c. Commission scolaire de Sault Saint-Louis.[5]

« L'article 166 C.p.c., qui permet l'amendement pour remédier à certaines causes d'irrecevabilité, n'a pas d'équivalent sous la rubrique des moyens déclinatoires. De plus, les règles touchant la compétence ratione materiae sont d'ordre public et leur violation entraîne une nullité que rien ne peut couvrir, sauf le renvoi prévu à l'article 163, le cas échéant. On doit en conclure qu'un tribunal incompétent sur le fond l'est aussi quant à tout amendement visant à lui donner juridiction. »

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[18]     DÉCLINE compétence.

 

 

 

 

 

Suzie Ducheine

 

Présence(s) :

le locataire

Michel Laroche, avocat du locataire

le locateur

Me Marc Poirier, avocat du locateur

Date de l’audience :  

27 avril 2010

 

 



[1] Bourcier c. Lafontaine [1989] R. J. Q. 865 .

[2] Bourcier c. Rosenthal [1988] R. J. Q. 1081 (C.Q.).

[3] Stéphane Lamanna et Sylvain Lamanna c. Marc Sardi et Régie du logement, C. Q. 500-80-011152-080, le 19 juin 2008, EYB 2008-136463 .

[4] Delarosbil c. Drolet, C.Q. 500-80-011301-083, le 10 juillet 2008, EYB 2008-140639.

[5] Raymond c. Commission Scolaire de Sault Sainte-Marie, C.Q. 500-02-45-876-849, 7 mai 1986, juge F. Michel Gagnon, p. 6.

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