Fecteau c. Allard |
2012 QCRDL 5932 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau de Montréal |
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No : |
31 111228 051 G |
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Date : |
15 février 2012 |
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Régisseure : |
Linda Boucher, juge administratif |
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Marie-Michèle Fecteau |
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Locatrice - Partie demanderesse |
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c. |
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Francine Allard |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] La
locatrice demande l’autorisation de reprendre le logement visé, conformément à
l’article
[2] Les parties admettent être liées par un bail du premier juin 2011 au 30 mai 2012 au loyer mensuel de 662 $.
[3] La locataire admet avoir reçu un avis de reprise vers le 19 novembre 2011 et n’en conteste pas le contenu. Elle ne conteste pas non plus la double qualité de locatrice et de propriétaire de la demanderesse.
[4] Mme Fecteau explique qu’elle a eu l’opportunité d’acheter le duplex visé et souhaite quitter le nid familial pour occuper le logement de la locataire.
[5] Elle décrit l’immeuble en question comme étant un duplex doté de deux logements superposés chacun comptant 5 pièces. Le logement du rez-de-chaussée bénéficie en plus d’un sous-sol fini, de la cour et d’un garage. Elle en tire le double du loyer que lui procure le logement de la locataire.
[6] Elle a choisi d’habiter le logement de Mme Allard parce que celui-ci est d’une taille appropriée pour elle qui vit seule. De plus, elle ne peut se permettre de se priver du loyer considérable que lui procure le rez-de-chaussée.
[7] Pour sa part, la locataire Allard ne souhaite pas quitter son logement qu’elle occupe depuis neuf ans déjà.
[8] Elle
fait valoir que le logement du rez-de-chaussée sera libre aussitôt qu’en juin
prochain et soumet que la locatrice, en application de l’article
[9] Toutefois, si le tribunal autorisait la reprise, elle demande une indemnité équivalente à trois mois de loyer pour l’aider à acquitter ses frais de rebranchements et réaménager son nouveau logement, qu’elle entend choisir dans le même quartier.
[10] Elle demande aussi une somme de 500 $ pour ses frais de déménagement, mais sans préciser ceux-ci plus avant.
[11] En réplique, la locatrice répète que le logement du rez-de-chaussée est trop grand pour ses besoins et qu’elle ne peut se permettre de se priver de ce revenu.
[12] Quant à l’indemnité que réclame la locataire, elle la juge excessive.
[13] Ainsi peut-on résumer l’essentiel de la preuve.
[14] Suivant l'article 1963 du Code civil du Québec :
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.»
[15] Tel que l'écrivait Me Bisson dans l'affaire Dagostino c. Sabourin ([1]), lors de la reprise d'un logement par le locateur, deux droits importants se rencontrent et s'opposent. Le droit du propriétaire d'un bien de jouir de celui-ci comme bon lui semble et le droit des locataires au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ce droit des locataires que le législateur impose des conditions au locateur.
[16] Après analyse et délibération, le tribunal est convaincu de la bonne foi de la locatrice.
[17] Le tribunal est convaincu que la locatrice ira s'installer en permanence dans le logement et constate qu'aucun autre logement équivalent ne deviendra disponible au temps de la reprise.
« 1964. Le locateur ne peut, sans le consentement du locataire, se prévaloir du droit à la reprise, s'il est propriétaire d'un autre logement qui est vacant ou offert en location à la date prévue pour la reprise, et qui est du même genre que celui occupé par le locataire, situé dans les environs et d'un loyer équivalent.»
[19] Le tribunal a souvent eu l’occasion de se pencher sur la définition de logements équivalents. À ce sujet, l'Honorable Thérèse Rousseau Houle et Martine de Billy, dans une analyse de la jurisprudence pertinente, relevaient ce qui suit :
«Les tribunaux ont été maintes fois été appelés à interpréter le sens des mots «logement de même type» et «loyer équivalent». La Régie du logement, dans Nantel c. Forysth, a précisé que pour que des logements soient considérés de même type, il n'est pas nécessaire qu'ils soient identiques, mais il faut qu'ils soient interchangeables dans leurs caractéristiques principales.
Ces caractéristiques sont: la superficie, le nombre de pièces, l'éclairage, la différence de palier, le loyer équivalent. Aucune de ces caractéristiques n'est déterminante en elle-même et elles sont généralement analysées dans leur ensemble. Il a été ainsi jugé :
qu'un local commercial ne peut être assimilé à un logement de même type
qu'un logement de 3 ½ pièces est différent d'un logement de 5 pièces
qu'un logement de 3 chambres à coucher est différent de d'autres n'ayant qu'une ou deux chambres à coucher
que deux logements ayant une différence de superficie de 100 pi2 ne sont pas du même type
que le manque d'éclairage, l'absence de garde-manger et de certaines fenêtres et le fait que le logement soit situé à l'étage et non au rez-de-chaussée font que deux logements sont différents
que la différence de palier fait que les logements ne sont pas de même type.»([2])
(nos soulignements)
[20] Et plus loin :
« En ce qui concerne l'expression « loyer équivalent », la régie a admis qu'une différence de 50 $ et un écart de 35% rendaient les logements différents. » ([3])
(notre soulignement)
[21] Le Tribunal partage cette opinion et estime qu'en l'instance les deux logements ne sont pas équivalents. Leur taille, le nombre de pièces qui les composent, leur situation et leurs loyers mensuels les distinguent au point qu'ils ne sont absolument pas équivalents à nos yeux.
« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement.»
[23] La Cour du Québec dans l'affaire Boulay c. Tremblay([4]) a déjà décidé que :
«Dans les cas d'éviction du locataire pour subdivision
du logement ou changement d'affectation, le législateur a prévu une indemnité
de trois mois de loyer et des frais de déménagement et même une somme
supérieure si le locataire le justifie. (Art.
[24] Pierre-Gabriel Jobin conclut à l'examen des dispositions de l'article 1659.7 :
«... Il serait sage d'indemniser le locataire victime d'une reprise de possession; celui-ci devrait avoir droit à l'indemnité, sauf quand son déménagement n'est pas provoqué en réalité, par la reprise de possession, mais qu'il obéit à d'autres préoccupations personnelles du locataire.»
Le juge, aux termes de l'article 1659.7, a donc discrétion pour fixer les conditions justes et raisonnables et le montant de l'indemnité. Comme le signale le juge Pigeon, lorsque le juge a une telle discrétion, il «doit en user «judiciairement», ce qui signifie qu'il doit le faire pour un motif valable.» (Rédaction et interprétation des lois, Éditeur Officiel du Québec, Québec, 1965-1978, p. 30)
Ainsi, il doit justifier tout autant son refus d'accorder que de ne pas accorder une indemnité de déménagement de même que des conditions justes et raisonnables. Il doit prendre sérieusement en compte la demande du locataire et contrairement à ce que certains prétendent, ne refuser cette demande qu'exceptionnellement.
Il convient ici de rappeler que la reprise de possession est une exception au droit du maintien dans les lieux du locataire et qu'elle est provoquée par le locateur. Il est en conséquence légitime que le locataire se voit indemnisé pour les dépenses et les inconvénients qu'il a subis. Ce droit est cependant balisé par le droit du locateur de disposer de ses biens et par conséquent, de son droit à la reprise de possession. Si le Tribunal a discrétion pour déterminer le montant, il doit tenir compte de ce droit du locateur et ne peut certes pas condamner aux dommages-intérêts qui découlent d'une reprise de possession abusive.
Il ressort de la lecture des articles 1660.4, 1659.8 et 1659.7 que les conditions justes et raisonnables et l'indemnité que doit fixer le Tribunal doivent se limiter aux dépenses et inconvénients ayant trait directement à la reprise de possession, au départ du locataire et à son aménagement et son déménagement dans un autre logement.»
[25] Il apparaît évident
que la locataire a le droit de se voir compenser pour la perte de son droit au
maintien dans les lieux. Par contre, la locatrice n’a pas à être pénalisée pour
l'exercice d'un droit tout à fait légitime. Ainsi, l'indemnité prévue à
l'article
[26] La Cour du Québec a aussi établi certains critères qu'il faut considérer dans l'évaluation de cette indemnité. Selon le juge Dansereau ([5]), l'âge des locataires, leurs conditions physiques, la durée de leur occupation, leur enracinement au logement et la valeur du mobilier sont des critères pertinents.
[27] Le tribunal considère que, dans les circonstances et compte tenu des critères ci-dessus, il y a lieu d'accorder à la locataire une indemnité de 1 800 $ pour les frais de déménagement, de rebranchement et pour les inconvénients reliés à ce déménagement, qu'elle n'a pas souhaité.
[28] À titre informatif aux
parties, soulignons que l'article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[29] ACCUEILLE la demande de la locatrice qui en supporte les frais judiciaires;
[30] AUTORISE la locatrice à reprendre possession du logement concerné afin de s'y loger, à compter du 1er juin 2012, date à laquelle la locataire et tous les autres occupants du logement devront avoir quitté les lieux;
[31] CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire la somme de 1 800 $ à la date de son départ.
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Linda Boucher |
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Présence(s) : |
la locatrice la locataire |
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Date de l’audience : |
26 janvier 2012 |
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[2] Le bail de logement : analyse de la jurisprudence, Montréal 1989, Wilson et Lafleur, page 233.
[3] Idem (page 234).
[4] Boulay c. Tremblay,
[5] Carlin c. DEC, C.Q. Montréal 500-02-06381-980, le 26 mars 1999, j. Dansereau.
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