[1] Les appelantes se pourvoient à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Lukasz Granosik), qui, en date du 26 mars 2019, rejette leur pourvoi en contrôle judiciaire.
[2] Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Savard et Rancourt, LA COUR :
[3] ACCUEILLE les requêtes pour permission d’appeler et ACCORDE la permission d’appeler, sans frais;
[4] REJETTE l’appel, avec frais de justice.
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I. Contexte
[5] Les premières phrases du jugement contre lequel se pourvoient les appelantes[1], sous la plume du juge Granosik, campent parfaitement les faits et l’enjeu du débat entre les parties :
[1] Le 19 août 2018, un chien de type pitbull appelé Shotta, âgé à l’époque d’un an et demi et pesant 70 livres, mord quatre enfants et deux adultes sur le territoire de la ville de Montréal (Montréal-Nord). L’arrondissement le déclare immédiatement chien dangereux et prononce à son endroit un ordre d’euthanasie.
[2] Aujourd’hui, la propriétaire de ce chien, Christa Frineau, et un refuge américain, Road to Home Rescue Support (RHRS), demandent que Shotta soit confié à ce refuge, plutôt que mis à mort1. Pour y parvenir, ils attaquent la légalité et la validité de la décision de l’arrondissement et de la réglementation municipale sous-jacente.
__________
1 La demande de sursis de l’ordre d’euthanasier l’animal n’a pas été plaidée car elle est devenue académique du moment où Montréal a convenu de ne pas mettre sa décision à exécution en attendant le prononcé du présent jugement. La demande visant à ordonner une expertise portant sur la dangerosité avant de mettre l’animal à mort est analysée dans le cadre du fond de ce litige.
[6] Ce jugement donne par ailleurs tort aux appelantes et rejette leur pourvoi en contrôle judiciaire, pour des raisons que je résumerai de la manière suivante :
- l’appelante Road to Home Rescue Support (« RHRS »), société américaine sans lien de rattachement aucun avec Montréal ou avec le Québec, n’a ni la qualité ni l’intérêt juridiquement nécessaires pour demander le contrôle judiciaire de la décision de l’arrondissement ou celui de la réglementation municipale en cause;
- l’appelante
Frineau, qui a la qualité et l’intérêt requis, n’a cependant pas demandé le
contrôle judiciaire de la décision de l’arrondissement dans le délai
raisonnable qu’exige l’art.
- en effet,
la réglementation litigieuse n’outrepasse pas les limites que fixe la Loi
sur les compétences municipales[2], n’enfreint ni l’art.
[7] Insatisfaites de ces conclusions, les appelantes déposent, dans un premier temps, une déclaration d’appel visant l’entièreté du jugement, doublée d’une requête pour permission d’appeler relative au contrôle judiciaire de la décision prise par l’arrondissement de déclarer le chien dangereux et de le faire euthanasier, l’appel étant à leur avis de plein droit pour le reste. Cette requête est déférée à la Cour[4], pour y être plaidée en même temps que le fond de l’affaire. Par la suite, les appelantes, soucieuses de protéger leurs droits, déposent également une requête de bene esse pour permission d’appeler de la portion du jugement concernant la validité de la réglementation municipale en cause[5].
[8]
L’affaire présente donc, en appel, deux volets, dont le premier concerne
les modalités d’exercice du droit d’appel. Je conclurai qu’une permission
d’appeler est en l’espèce nécessaire, à tous égards, permission qu’il y aura
lieu d’accorder. Le deuxième volet, bien sûr, concerne le fond du litige et,
là-dessus, d’accord avec le juge de première instance sauf sur un point, je
conclurai ainsi : quoique la décision de l’intimée (ou plus exactement la
décision de l’un de ses conseils d’arrondissement) ait été prise en violation
des règles de l’équité procédurale, l’appelante RHRS ne pouvait en demander le
contrôle judiciaire, faute d’intérêt ou de qualité, alors que l’appelante
Frineau n’a de son côté pas agi en temps utile, étant entendu que la
réglementation municipale contestée est par ailleurs conforme à la Loi sur
les compétences municipales, à l’art.
II. Analyse
A. Permission d’appeler
[9]
Le jugement de la Cour supérieure mettant ici fin à l’instance, le droit
d’en appeler est régi par l’art.
30. Peuvent faire l’objet d’un appel de plein droit les jugements de la Cour supérieure et de la Cour du Québec qui mettent fin à une instance, de même que les jugements et ordonnances qui portent sur l’intégrité, l’état ou la capacité de la personne, sur les droits particuliers de l’État ou sur un outrage au tribunal. |
30. Judgments of the Superior Court and the Court of Québec that terminate a proceeding, and judgments or orders that pertain to personal integrity, status or capacity, the special rights of the State or contempt of court, may be appealed as of right. |
Toutefois, ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur permission : |
The following, however, may be appealed only with leave: |
[…] |
(…) |
5° les jugements de la Cour supérieure rendus sur un pourvoi en contrôle judiciaire portant sur l’évocation d’une affaire pendante devant une juridiction ou la révision d’une décision prise par une personne ou un organisme ou d’un jugement rendu par une juridiction assujetti à ce pouvoir de contrôle ou sur un pourvoi enjoignant à une personne d’accomplir un acte; |
(5) judicial review judgments of the Superior Court relating to the evocation of a case pending before a court or to a decision made by a person or body or a judgment rendered by a court that is subject to judicial review by the Superior Court, or relating to a remedy commanding the performance of an act; |
[…] |
(…) |
La permission d’appeler est accordée par un juge de la Cour d’appel lorsque celui-ci considère que la question en jeu en est une qui doit être soumise à la cour, notamment parce qu’il s’agit d’une question de principe, d’une question nouvelle ou d’une question de droit faisant l’objet d’une jurisprudence contradictoire. |
Leave to appeal is granted by a judge of the Court of Appeal if that judge considers that the matter at issue is one that should be submitted to that Court, for example because it involves a question of principle, a new issue or an issue of law that has given rise to conflicting judicial decisions. |
[…] |
(…) |
[10]
L’appel du jugement de première instance est-il régi par le premier
alinéa de l’art.
[11] L’arrêt Municipalité de Saint-Colomban c. Boutique de golf Gilles Gareau inc.[7] permet de répondre à ces questions. La juge Gagné, pour la Cour, y écrit en effet que :
22 Je précise toutefois que si la validité d’un acte normatif est contestée devant une juridiction assujettie au pouvoir général de contrôle de la Cour supérieure et que le jugement rendu par cette juridiction fait ensuite l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire, le jugement rendu sur ce pourvoi ne pourra faire l’objet d’un appel que sur permission en vertu de l’article 30 al. 2 (5°) C.p.c. Dans ce cas de figure, l’objet du pourvoi demeure le jugement rendu par la juridiction inférieure, quelle que soit la question en jeu.[8]
[12] J’adhère à cette proposition, qui vise le jugement statuant sur le pourvoi en contrôle judiciaire de la décision prise à l’endroit d’un administré, dans l’exercice d’une fonction juridictionnelle, par une entité assujettie au pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure. J’estime qu’elle vaut tout autant à l’égard du jugement statuant sur le pourvoi en contrôle judiciaire de la décision individuelle[9] prise par une telle entité dans l’exercice d’une fonction administrative[10]. En pareil cas, s’agissant en effet de réviser la « décision prise par une personne ou un organisme », au sens de l’art. 30, al. 2, paragr. 5 C.p.c., le jugement de la Cour supérieure n’est appelable que sur permission, et ce, même si l’un des motifs de la contestation tient à l’invalidité ou à l’inapplicabilité de ce que la jurisprudence qualifie d’« acte normatif »[11] (loi, règlement, etc.)[12].
[13] Autrement dit, lorsque, dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire dont l’objet est une décision (juridictionnelle ou administrative) prise à l’endroit d’un administré, la Cour supérieure se penche sur la validité d’un acte normatif, elle se trouve néanmoins à statuer, au sens de l’art. 30, al. 2, paragr. 5 C.p.c., sur « une décision prise par une personne ou un organisme ou [u]n jugement rendu par une juridiction assujetti à ce pouvoir de contrôle/a decision made by a person or body or a judgment rendered by a court that is subject to judicial review by the Superior Court »[13]. Une permission d’appeler est donc requise.
[14]
Or, l’examen des procédures entreprises en l’espèce, et notamment de
leurs conclusions, montre justement que l’objet véritable du recours des
appelantes est la décision qu’a prise l’intimée, en vertu du règlement en vigueur
à l’époque, de déclarer le chien Shotta dangereux et d’en ordonner l’euthanasie[14].
Cette décision, allèguent les appelantes, aurait été prise d’une manière
contraire à l’équité procédurale et contraire aux exigences processuelles du
règlement municipal lui-même. Elle serait donc nulle pour cette seule raison.
Elle le serait toutefois plus encore du fait qu’elle reposerait sur une
réglementation qui serait invalide pour cause d’incompatibilité avec l’art.
[15] Il s’agit donc bel et bien pour les appelantes de contester la décision administrative ponctuelle et particulière de l’intimée, entité sujette au pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure, l’invalidité alléguée du règlement n’étant que l’un des moyens avancés au soutien de la contestation de cette décision. Cela étant, le jugement qui leur a donné tort statue sur « la révision d’une décision prise par une personne ou un organisme […] assujetti à ce pouvoir de contrôle » au sens de l’art. 30, al. 2, paragr. 5 C.p.c. L’appel d’un tel jugement requiert donc une permission préalable, sans qu’il soit utile de distinguer les déterminations du juge de la Cour supérieure sur la validité de la réglementation de ses autres déterminations.
[16] Dans les circonstances, cependant, il convient d’accorder l’autorisation recherchée et d’accueillir tant la requête pour permission d’appeler datée du 1er avril 2019 que la requête pour permission d’appeler de bene esse datée du 25 avril 2019, le tout sans frais.
B. Fond du litige
[17] J’aborderai maintenant le fond du litige, en examinant les questions suivantes :
- l’appelante RHRS a-t-elle intérêt et qualité pour agir?
- l’appelante
Frineau a-t-elle agi à l’intérieur d'un délai raisonnable, conformément à l'art.
- la
réglementation municipale est-elle valide ou contrevient-elle à l’art.
- la décision prise par l’intimée (et plus précisément par le conseil de l’arrondissement de Montréal-Nord) est-elle conforme à l’équité procédurale et aux exigences processuelles de la réglementation municipale applicable?
1. L’appelante RHRS a-t-elle intérêt et qualité pour agir?
[18]
Le juge de première instance a conclu que « RHRS ne possède pas en
l’instance d’intérêt suffisant au sens de l’art.
[19] Il n’y a rien à redire à cette double conclusion : l’appelante RHRS n’a en effet ni l’intérêt juridique ni la qualité requise pour ester en justice dans le présent dossier et contester la décision prise par l’intimée à propos du chien Shotta ou la validité de la réglementation municipale.
[20]
Rappelons d’abord le texte de l’art.
85. La personne qui forme une demande en justice doit y avoir un intérêt suffisant. |
85. To bring a judicial application, a person must have a sufficient interest. |
L’intérêt du demandeur qui entend soulever une question d’intérêt public s’apprécie en tenant compte de son intérêt véritable, de l’existence d’une question sérieuse qui puisse être valablement résolue par le tribunal et de l’absence d’un autre moyen efficace de saisir celui-ci de la question. |
The interest of a plaintiff who intends to raise a public interest issue is assessed on the basis of whether the interest is genuine, whether the issue is a serious one that can be validly resolved by the court and whether there is no other effective way to bring the issue before the court. |
[21] L’appelante RHRS ne remplit ni les exigences du premier alinéa de cette disposition ni celles du second.
[22]
Ainsi, il faut rappeler d’abord que si l’animal est, aux termes de
l’art.
[23]
Le fait que la personne dont les droits sont directement affectés par la
décision municipale, c’est-à-dire l’appelante Frineau, soit longtemps demeurée
coite ou ait agi tardivement - sujet dont traitera la prochaine section -
ne permet pas pour autant à l’appelante RHRS de s’immiscer dans un débat qui ne
la concerne pas et d’agir en lieu et place de celle qui aurait l’intérêt
requis. Qu’elle ait été prête à accueillir le chien en cause et que l’appelante
Frineau manifeste désormais son intention de lui confier l’animal ne suffit pas
non plus à lui conférer l’intérêt ou la qualité que requiert l’art.
[24] Mais l’art. 85 C.p.c va plus loin en son second alinéa, codifiant l’enseignement de la Cour suprême[18] : peut ester en justice la personne qui, sans y avoir un intérêt juridique au sens de premier alinéa, a néanmoins un intérêt véritable à faire trancher une question sérieuse et d’intérêt public, dans la mesure où cette question peut être valablement résolue par le tribunal et qu’il n’existe pas d’autre moyen efficace d’en saisir celui-ci. C’est l’intérêt public que l’on cherche ici à préserver et à promouvoir en élargissant les balises traditionnelles de l’« intérêt juridique » ou de l’« intérêt pour agir en justice ». Voici comment s’exprime à ce propos la Cour suprême dans Downtown Eastside, arrêt phare en la matière :
[1] Le présent pourvoi porte sur les règles
de droit relatives à la qualité pour agir dans l’intérêt public dans les causes
en matière constitutionnelle. Ces règles déterminent qui peut soumettre une
affaire aux tribunaux. Bien entendu, la situation serait insoutenable si tous
avaient la qualité pour engager des poursuites à tout propos, aussi ténu leur
intérêt personnel soit-il dans la cause. Des restrictions s’imposent donc
en matière de qualité pour agir afin d’assurer que les tribunaux ne deviennent
pas complètement submergés par des poursuites insignifiantes ou redondantes,
d’écarter les trouble-fête et de s’assurer que les tribunaux entendent
les principaux intéressés faire valoir contradictoirement leurs points de vue
et jouent le rôle qui leur est propre dans le cadre de notre système
démocratique de gouvernement : Finlay c. Canada (Ministre des Finances),
[…]
[37] Lorsqu’ils exercent le pouvoir discrétionnaire de reconnaître ou non la qualité pour agir dans l’intérêt public, les tribunaux doivent prendre en compte trois facteurs : (1) une question justiciable sérieuse est-elle soulevée? (2) le demandeur a-t-il un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question? et (3) compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée constitue-t-elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux? : Borowski, p. 598; Finlay, p. 626; Conseil canadien des Églises, p. 253; Hy and Zel’s, p. 690; Chaoulli, par. 35 et 188. Le demandeur qui souhaite se voir reconnaître la qualité pour agir doit convaincre la cour que ces facteurs, appliqués d’une manière souple et téléologique, militent en faveur de la reconnaissance de cette qualité. Toutes les autres considérations étant égales par ailleurs, un demandeur qui possède de plein droit la qualité pour agir sera généralement préféré.[19]
[25] Il n’est pas nécessaire d’évaluer l’intérêt de l’appelante Frineau sous ce second rapport, puisque, à titre de propriétaire (alléguée) du chien Shotta, elle a l’intérêt et la qualité pour agir en l’espèce, ses droits étant au cœur du litige.
[26]
L’appelante RHRS, de son côté, ne répond aucunement aux exigences de
l’art.
[27]
D’une part, ni la décision de déclarer le chien Shotta dangereux et de
l’euthanasier ni les circonstances qui l’entourent ne soulèvent une
« question d’intérêt public » au sens de l’arrêt Downtown Eastside
et de l’art.
[28] D’autre part, bien que la question de la validité de la réglementation municipale en cause soit une question d’intérêt public, a priori sérieuse et manifestement justiciable, il existe cependant un moyen efficace d’en saisir le tribunal : la propriétaire du chien peut le faire, a tout intérêt, juridiquement et autrement, à le faire, et, d’ailleurs, l’a fait.
[29] Il faut constater aussi que l’appelante RHRS, organisme qui réside et exploite son entreprise dans l’État de New York, n’est aucunement concernée par la réglementation municipale contestée, qui ne la touche en rien. On semble l’avoir mobilisée pour l’occasion et elle n’a pas d’« intérêt réel dans les procédures »[21] ni d’intérêt véritable dans l’issue du débat sur la validité du règlement. Comme on l’a vu, elle n’a pas davantage d’intérêt dans le sort qui attend Shotta. Enfin, son point de vue recoupe exactement celui que défend l’appelante Frineau et n’offre pas de « perspective particulièrement utile ou distincte sur la question à trancher »[22].
[30]
Bref, que ce soit en vertu du premier ou du second alinéa de l’art.
2. L’appelante
Frineau a-t-elle agi à l’intérieur d'un délai raisonnable (art.
[31]
L’art.
[32] Ainsi, lorsque l'affaire tombe entièrement sous le coup de l’art. 529, al. 1, paragr. 1 C.p.c. (contestation de la validité ou de l’applicabilité d’une règle de droit, c’est-à-dire d’un acte normatif), le juge peut en principe rejeter le pourvoi de celui qui n’a pas agi dans un délai raisonnable dont la durée est appréciée discrétionnairement en fonction de critères tels la nature de l’acte attaqué et celle de l’illégalité commise et de ses conséquences, les causes du délai entre l’acte attaqué et l’institution de l’action, ainsi que le comportement du demandeur[23]. Précisons cependant que cette exigence du délai raisonnable ne joue pas lorsque la validité ou l’applicabilité d’une norme est contestée pour des raisons constitutionnelles[24] ou lorsque la norme est ultra vires au sens strict (ce qui est cause de nullité absolue)[25] pas plus qu’elle ne joue lorsque la validité ou l’applicabilité de la norme est contestée en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, s’agissant dans tous ces cas d’une question de légalité fondamentale et de primauté du droit[26].
[33] Par contraste, s’agissant d’un pourvoi régi par l’art. 529, al. 1, paragr. 2 C.p.c., qui s’en prend à la légalité de la décision particulière d’une entité soumise au pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure, ce délai est de 30 jours environ à compter de la décision contestée, sauf circonstances exceptionnelles dont la démonstration incombe au demandeur[27]. Ce délai, notons-le, s’applique peu importe le motif de la contestation de la décision en question : validité des dispositions législatives ou réglementaires sur lesquelles repose la décision[28], décision ultra vires, décision entachée d’un manquement à l’équité procédurale, décision déraisonnable.
[34] En l’espèce, invoquant des considérations d’équité procédurale et contestant la validité de la réglementation en vertu de laquelle elle fut prise, l’appelante attaque la décision de l’intimée d’avoir déclaré son chien dangereux et d’en avoir ordonné l’euthanasie. C’est là, comme on l’a vu, l’objet de son pourvoi et le point central de sa demande (laquelle est assortie de conclusions accessoires qui n’en affectent pas l’essence). Elle aurait donc dû agir dans les 30 jours, approximativement, de cette décision, ce qu’elle n’a pas fait. La décision contestée est du 22 août 2018 (l’incident ayant eu lieu trois jours plus tôt, le 19) et l’appelante Frineau, qui en a pris connaissance dès le mois de septembre 2018, a attendu plus de six mois avant de se joindre, le 21 mars 2019, à l’action intentée par l’appelante RHRS.
[35] Le fait que l’appelante RHRS a elle-même intenté cette action en novembre 2018 ne peut remédier au retard de l’appelante Frineau. Vu l’absence d’intérêt et de qualité pour agir de la première, la situation doit être envisagée comme si la seconde avait institué elle-même le pourvoi en mars 2019, c’est-à-dire bien au delà du délai de 30 jours.
[15] Il est vrai que Frineau n’a jamais été avisée officiellement par Montréal de la situation de son chien mais, de toute évidence, elle était parfaitement au courant de la situation, tel qu’elle le souligne elle-même dans sa déclaration sous serment :
8. The police came to my house a few days after the incident and asked me factual questions regarding the incident;
9. The police informed me that Shotta had to undergo an evaluation before being possibly returned to my care;
10. Some days later, a police officer contacted me and had me speak with a representative from the SPCA to answer questions about Shotta’s temperament and history;
(…)
13. I called the SPCA several times over the next weeks and was told Shotta was being cared for I but could not see him and he would be euthanized, which I found devastating;
[16] L’avocate de RHRS avance qu’il lui a été très facile de retrouver Frineau et lorsqu’elle en a eu besoin, elle l’a fait en l’espace de quelques minutes. Ce raisonnement s’applique toutefois également au moment où elle a entamé le pourvoi en contrôle judiciaire. Pourquoi cette communication n’a-t-elle pas été établie? Pourquoi Frineau n’est-elle pas intervenue à l’époque? Pourquoi n’a-t-elle pas entrepris de procédure judiciaire alors qu’elle admet elle-même avoir été au courant très tôt de l’ordre d’euthanasier le chien? Ces éléments ne sont pas expliqués à la satisfaction du Tribunal. De fait, ils ne le sont pas du tout10.
[17] Il n’existe aucune justification valable du délai de sept mois pris par Frineau pour se porter partie demanderesse dans ce pourvoi. Compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, ce n’est pas un délai raisonnable. En conséquence, Frineau ne peut attaquer en contrôle judiciaire la décision du 22 août 2018 déclarant Shotta chien dangereux et en ordonnant l’euthanasie.
__________
10 Le Tribunal risque même la déduction que Frineau attendait de voir si des accusations criminelles allaient être portées avant de se déclarer propriétaire véritable de Shotta alors que pendant longtemps, tant la procédure au dossier que les pièces au soutien de celle-ci indiquaient qu’elle s’était départie du chien la veille même de l’attaque.
[37] Il n’y a rien à redire à cette conclusion.
[38] Dans son exposé, l’appelante Frineau fait valoir que :
33. Appellant Frineau could not exercise an administrative recourse given that she never received any formal notice from Respondent as to its decision, nor the procedure to arrive at this decision, nor how she could appeal it, all of which clearly violate the rule of audi alteram partem;
[39] L’argument serait meilleur si, dans la déclaration sous serment qu’elle a produite en première instance et dont le jugement cite quelques extraits (voir paragr. [36] ci-dessus), l’appelante n’avait pas écrit que, peu après l’incident, son chien ayant été confié à la SPCA, elle a appelé cet organisme à plusieurs reprises, apprenant ainsi que l’intimée entendait faire euthanasier l’animal. Pourquoi n’a-t-elle pas agi dans les 30 jours suivants? Nous n’en savons rien et la seule absence d’un avis formel, alors qu’elle a pleine connaissance de la décision (et n’entreprend aucune démarche auprès de l’intimée ou de l’arrondissement pour se renseigner davantage, si besoin était), ne peut excuser son défaut d’agir en temps utile. Son manque de diligence, dans les circonstances, est flagrant et demeure inexpliqué.
[40] Bref, dans la mesure où l’appelante Frineau désirait contester la décision de l’intimée de déclarer son chien dangereux et de le faire euthanasier, elle devait en principe agir dans les 30 jours environ de la date à laquelle elle a pris connaissance de cette décision, et ce, peu importe le motif de contestation (qu’il s’agisse de l’invalidité de la réglementation sur laquelle cette décision est fondée ou du manquement de l’intimée à l’équité procédurale ou de l’absence d’évaluation comportementale du chien). Elle n’a pas agi dans ce délai et n’explique aucunement son retard, sinon par une allégation que contredit sa propre déclaration sous serment.
3. Les questions de fond : validité des dispositions réglementaires et équité procédurale
a. Remarques préliminaires
[41] Ayant conclu que l’appelante RHRS n’a ni l’intérêt ni la qualité d’ester en justice dans la présente affaire et que l’appelante Frineau a pour sa part agi tardivement, on pourrait arrêter là, déclarer leur pourvoi en contrôle judiciaire irrecevable et rejeter l’appel.
[42] Toutefois, le juge de première instance s’étant penché sur les questions de la validité de la réglementation municipale et du respect par l’intimée des règles de l’équité procédurale, qu’abordent également les parties, il convient de s’y attarder, notamment parce que les problèmes soulevés par le présent litige risquent de se reproduire.
[43] Avant de plonger dans le vif du sujet, cependant, une question préliminaire doit être soulevée : quel est, précisément, le règlement dont l’appelante Frineau conteste la validité?
[44] La décision de déclarer le chien Shotta dangereux et d’en ordonner l’euthanasie est en effet datée du 22 août 2018[29] et elle a été prise en vertu du Règlement sur le contrôle des animaux, n° 16-060[30], qui était alors en vigueur. Ce règlement a cependant été abrogé et remplacé par le Règlement sur l’encadrement des animaux domestiques, n° 18-042, adopté le 20 août 2018, mais entré en vigueur le 27 août 2018[31].
[45] La contestation des appelantes devant la Cour supérieure, telle que définie par les diverses procédures introductives d’instance, ne porte pourtant que sur le règlement 18-042[32], tout comme l’avis qui fut adressé à la procureure générale du Québec en vertu de l’art. 76 C.p.c.[33] Pourquoi?
[46] La réponse à cette question n’est pas claire. Peut-être cela résulte-t-il du fait que l’intimée, à la suite d’une intervention de l’avocate des appelantes (qu’elle ne représentait pourtant pas encore[34]), a réitéré sa décision le 17 septembre 2018, alors que le règlement 18-042 était désormais applicable[35]. De son côté, sans ignorer cette confirmation décisionnelle du 17 septembre, le jugement de première instance, lui, ne s’intéresse qu’au règlement 16-060 et à la décision initialement prise le 22 août. Comme nous n’avons pas les transcriptions du débat qui s’est déroulé devant la Cour supérieure, nous ne savons pas si les parties ont discuté de l’identification du règlement pertinent.
[47] Quoi qu’il en soit, les procédures d’appel dont la Cour a été saisie (c.-à-d. la déclaration d’appel et les deux requêtes pour permission d’appeler, dont les conclusions, on peut le souligner, ne sont pas parfaitement claires) mentionnent les deux règlements. Il en va de même du mémoire des appelantes, qui, en ses conclusions, demande à la Cour de déclarer la nullité de l’art. 31 du règlement 16-060 (on comprend que l’art. 32 est également ciblé, même s’il n’est pas mentionné, s’agissant de la disposition qui prévoit la possibilité de déclarer dangereux le chien qui a mordu une personne ou un animal sans en causer la mort et d’en ordonner l’euthanasie) ainsi que celle des art. 36 et 49 du règlement 18-042. L’exposé de l’intimée, quoiqu’il s’intéresse principalement au règlement 16-060, traite également du règlement 18-042.
[48]
L’imbroglio, sans doute, est fâcheux (notamment parce que, en principe,
la Cour ne devrait pas se prononcer sur une question qui n’a pas été annoncée à
la procureure générale en vertu de l’art
b. Validité
de la réglementation municipale au regard de l’art.
[49]
Les règlements 16-060 et 18-042 sont-ils affligés d’un vice qui en
entache la validité? Les appelantes répondent à cette question par
l’affirmative : ces dispositions, soutiennent-elles, sont incompatibles
tant avec l’art.
[50] D’une part, l’art. 63 L.c.m., renforcé par les art. 4, al. 1, paragr. 6 et 59 de la même loi (compétence générale sur les nuisances) et 62, al. 1 (compétence générale en matière de sécurité)[37], permet expressément à l’intimée de voir à l’élimination de tout animal dangereux :
63. Toute municipalité locale peut mettre en fourrière, vendre à son profit ou éliminer tout animal errant ou dangereux. Elle peut aussi faire isoler jusqu’à guérison ou éliminer tout animal atteint de maladie contagieuse, sur certificat d’un médecin vétérinaire. |
63. A local municipality may impound, sell for profit or eliminate a stray or dangerous animal. It may also have an animal suffering from a contagious disease isolated until cured, or eliminated, on a certificate from a veterinary surgeon. |
Elle peut également conclure une entente avec toute personne pour l’autoriser à appliquer un règlement de la municipalité concernant les animaux. La personne avec laquelle la municipalité conclut une entente ainsi que ses employés ont les pouvoirs des employés de la municipalité aux seules fins de l’application du règlement de la municipalité. |
The municipality may also enter into an agreement to authorize a person to enforce a by-law concerning animals. The person with whom the municipality enters into an agreement and the person’s employees have the powers of employees of the municipality for the purposes of the enforcement of the municipal by-law. |
Le présent article s’applique malgré une disposition inconciliable de la Loi sur les abus préjudiciables à l’agriculture (chapitre A-2). |
This section applies despite any inconsistent provision of the Agricultural Abuses Act (chapter A-2). |
|
[Je souligne] |
[51] Par le moyen de ses deux règlements successifs, l’intimée s’est dotée d’un cadre normatif à cette fin, exerçant la compétence que lui confèrent ces dispositions législatives. Les règlements 16-060 et 18-042 s’autorisent également des art. 369 (création d’infractions réglementaires) et 411 (entrée, inspection, saisie) de la Loi sur les cités et villes[38] et sont également valides à cet égard.
[52]
D’autre part, les dispositions réglementaires litigieuses n’enfreignent
pas l’art.
[53] Commençons en rappelant l’art. 3 L.c.m., disposition d’ordre général :
3. Toute disposition d’un règlement d’une municipalité adopté en vertu de la présente loi, inconciliable avec celle d’une loi ou d’un règlement du gouvernement ou d’un de ses ministres, est inopérante. |
3. A provision of a municipal by-law adopted under this Act that is inconsistent with a provision of an Act or regulation of the Government or one of its ministers is inoperative. |
[54]
La disposition d’un règlement municipal autorisé par la Loi sur les
compétences municipales, mais inconciliable avec une autre loi, est donc
inopérante, l’inconciliabilité se mesurant à l’aune de l’impossibilité de se
conformer aux deux textes[39].
Or, selon l’appelante Frineau, ce serait précisément le cas en l’espèce :
à son avis, les art. 31 et 32 du règlement 16-060 ainsi que les art. 33,
36 et 49 du règlement 18-042, qui permettent l’euthanasie d’un chien déclaré dangereux,
seraient inconciliables avec l’art.
[55]
Traitons en premier lieu de l’argument fondé sur l’art.
898.1. Les animaux ne sont pas des biens. Ils sont des êtres doués de sensibilité et ils ont des impératifs biologiques. |
898.1. Animals are not things. They are sentient beings and have biological needs. |
Outre les dispositions des lois particulières qui les protègent, les dispositions du présent code et de toute autre loi relative aux biens leur sont néanmoins applicables. |
In addition to the provisions of special Acts which protect animals, the provisions of this Code and of any other Act concerning property nonetheless apply to animals. |
[56] Il n’y a aucune incompatibilité entre cette disposition législative et les art. 31 et 32 du règlement 16-060 ou avec les art. 33, 36 et 49 du règlement 18-042, ni d’incompatibilité entre cette disposition législative et les autres articles des deux règlements. Le fait que les animaux (incluant, cela va sans dire, les chiens de toutes sortes) sont des êtres doués de sensibilité n’empêche pas qu’ils puissent occasionnellement constituer une nuisance ou un danger et faire l’objet de mesures destinées à contrer l’une ou l’autre ou à y remédier de façon temporaire ou définitive[40]. Au nombre de ces mesures figure l’euthanasie qui, selon les règlements en cause, peut être ordonnée lorsque le chien est déclaré dangereux.
[57]
Il n’y a en cela rien qui contrevienne à l’article
[58]
Cela dit, l’art.
[59]
Mais si les dispositions réglementaires litigieuses ne sont pas
incompatibles avec l’art.
[60] Voici quelques extraits de cette loi qui a notamment pour objet de prévenir et d’empêcher la souffrance de l’animal (y compris dans le passage de celui-ci vers la mort) :
1. La présente loi a pour objet d’établir des règles pour assurer la protection des animaux dans une optique visant à garantir leur bien-être et leur sécurité tout au long de leur vie. |
1. The purpose of this Act is to establish rules to ensure the protection of animals with a view to guaranteeing their welfare and safety throughout their lives. |
[…] |
(…) |
4. Toute disposition d’une loi accordant un pouvoir à une municipalité ou toute disposition d’un règlement adopté par une municipalité, inconciliable avec une disposition de la présente loi ou d’un de ses règlements, est inopérante. |
4. Any provision of an Act granting a power to a municipality and any provision of a by-law made by a municipality that is inconsistent with a provision of this Act or the regulations is inoperative. |
Il en est de même pour les dispositions des normes ou codes de pratiques dont l’application est rendue obligatoire par le gouvernement conformément au paragraphe 3º de l’article 64. |
The same applies to any provision of the standards or codes of practice compliance with which is made mandatory by the Government under paragraph 3 of section 64. |
5. Le propriétaire ou la personne ayant la garde d’un animal doit s’assurer que le bien-être ou la sécurité de l’animal n’est pas compromis. Le bien-être ou la sécurité d’un animal est présumé compromis lorsqu’il ne reçoit pas les soins propres à ses impératifs biologiques. Ces soins comprennent notamment que l’animal : |
5. The owner or custodian of an animal must ensure that the animal’s welfare and safety are not compromised. An animal’s welfare or safety is presumed to be compromised if the animal does not receive care that is consistent with its biological needs. Such care includes but is not limited to ensuring that the animal |
1° ait accès à une quantité suffisante et de qualité convenable d’eau et de nourriture; |
(1) has access to drinking water and food of acceptable quality in sufficient quantity; |
2° soit gardé dans un lieu salubre, propre, convenable, suffisamment espacé et éclairé et dont l’aménagement ou l’utilisation des installations n’est pas susceptible d’affecter son bien-être ou sa sécurité; |
(2) is kept in a suitable place that is sanitary and clean with sufficient space and lighting and the layout or use of whose facilities are not likely to affect the animal’s welfare or safety; |
3° ait l’occasion de se mouvoir suffisamment; |
(3) is allowed an opportunity for adequate exercise; |
4° obtienne la protection nécessaire contre la chaleur ou le froid excessifs, ainsi que contre les intempéries; |
(4) is provided with the necessary protection from excessive heat or cold and from bad weather; |
5° soit transporté convenablement dans un véhicule approprié; |
(5) is transported in a suitable manner in an appropriate vehicle; |
6° reçoive les soins nécessaires lorsqu’il est blessé, malade ou souffrant; |
(6) is provided with the necessary care when injured, ill or suffering; and |
7° ne soit soumis à aucun abus ou mauvais traitement pouvant affecter sa santé; |
(7) is not subjected to abuse or mistreatment that may affect its health. |
Pour l’application du paragraphe 1º du premier alinéa, la neige et la glace ne sont pas de l’eau. |
For the purposes of subparagraph 1 of the first paragraph, snow and ice are not water. |
6. Nul ne peut, par son acte ou son omission, faire en sorte qu’un animal soit en détresse. |
6. A person may not, by an act or omission, cause an animal to be in distress. |
Pour l’application de la présente loi, un animal est en détresse dans les cas suivants : |
For the purposes of this Act, an animal is in distress if |
1° il est soumis à un traitement qui causera sa mort ou lui fera subir des lésions graves, si ce traitement n’est pas immédiatement modifié; |
(1) it is subjected to conditions that, unless immediately alleviated, will cause the animal death or serious harm; |
2° il est soumis à un traitement qui lui cause des douleurs aiguës; |
(2) it is subjected to conditions that cause the animal to suffer acute pain; or |
3° il est exposé à des conditions qui lui causent une anxiété ou une souffrance excessives. |
(3) it is exposed to conditions that cause the animal extreme anxiety or suffering. |
|
[Je souligne] |
[61] L’art. 4 L.b.s.a. renforce, dans le domaine spécifique du bien-être et de la sécurité de l’animal, ce qu’édictait déjà l’art. 3 L.c.m., disposition d’ordre plus général : est inopérant le règlement municipal inconciliable avec la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal. Plus encore, aux termes de l’art. 4 L.b.s.a., est inopérante la disposition législative même qui accorde un pouvoir à une municipalité lorsque cette habilitation contredit la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal[41]. Qu’en est-il ici?
[62] À mon avis, les dispositions réglementaires contestées, qui permettent à l’autorité compétente d’ordonner l’euthanasie d’un chien dangereux, ne sont pas inconciliables avec cette loi. Ne le sont pas non plus les dispositions de la Loi sur les compétences municipales conférant aux municipalités le pouvoir d’adopter de telles dispositions réglementaires (art. 4, 59, 62 et, en particulier, 63 L.c.m.).
[63] Tout d’abord, ni les art. 4, 59, 62 ou même 63 L.c.m., qui permettent à une municipalité, notamment pour des raisons de sécurité[42], d’éliminer un animal dangereux, ni les règlements contestés ici n’enfreignent l’art. 5 L.b.s.a. et ils peuvent au contraire être interprétés et appliqués d’une manière entièrement compatible avec cette disposition. Par exemple, si l’intimée capture un animal dangereux (hypothèse visée par les art. 43 du règlement 16-060 et 47 du règlement 18-042), il va de soi qu’elle doit le traiter d’une manière conforme à l’art. 5 L.b.s.a. Si l’intimée choisit plutôt de confier l’animal à un refuge, celui-ci doit bien sûr respecter les obligations que lui impose l’art. 5 en tant que gardien, même provisoire, de l’animal. Pareillement, si l’intimée confisque ou détient un animal en vue de l’euthanasier ou de le faire euthanasier, elle doit, dans l’intervalle, lui prodiguer les soins prévus par cette disposition. La Loi sur les compétences municipales et les règlements litigieux ne contiennent rien qui permette à l’intimée d’agir d’une autre façon.
[64] Les art. 4, 59, 62 et 63 L.c.m. de même que les règlements 16-060 et 18-042 de l’intimée ne contredisent pas non plus l’art. 6 L.b.s.a., disposition qui interdit la maltraitance des animaux, maltraitance pouvant aboutir à leur mort ou la provoquer. L’art. 6 L.b.s.a. ne peut cependant viser les situations dans lesquelles les mesures destinées à entraîner cette mort sont justifiées par le comportement dangereux de l’animal ou, dans un autre ordre d’idées, par son état de santé (car il est des circonstances où l’euthanasie délivre l’animal des souffrances que lui cause une maladie ou un handicap). Autrement dit, on ne peut interpréter l’art. 6 L.b.s.a., et notamment le premier paragraphe du second alinéa de cette disposition, comme signifiant que toute mesure causant la mort d’un animal constitue en elle-même une forme de maltraitance ou qu’elle met forcément l’animal en détresse et, partant, est aussitôt prohibée. Une telle interprétation serait en effet contraire à la loi elle-même, qui n’interdit pas l’euthanasie et dont l’art. 12 prévoit plutôt, explicitement, ce qui suit :
12. Lorsqu’un animal est abattu ou euthanasié, son propriétaire, la personne en ayant la garde ou la personne qui effectue l’abattage ou l’euthanasie de l’animal doit s’assurer que les circonstances entourant l’acte ainsi que la méthode employée ne soient pas cruelles et qu’elles minimisent la douleur et l’anxiété chez l’animal. La méthode employée doit produire une perte de sensibilité rapide, suivie d’une mort prompte. La méthode ne doit pas permettre le retour à la sensibilité de l’animal avant sa mort. |
12. When an animal is to be slaughtered or euthanized, its owner or custodian or the person who is to perform the act must ensure that the circumstances and the method used are not cruel and cause the animal a minimum of pain and anxiety. The method used must result in rapid loss of sensibility, followed by a quick death. The method must ensure that the animal does not regain sensibility before its death. |
La personne qui effectue l’abattage ou l’euthanasie de l’animal doit également constater l’absence de signes vitaux immédiatement après l’avoir effectué. |
Immediately after slaughtering or euthanizing the animal, the person who performed the act must ascertain the absence of vital signs. |
[65] Les art. 19 (permis d’euthanasie), 42 (euthanasie d’un animal confisqué par un inspecteur), 47 (ordonnance d’euthanasie prononcée par un tribunal) et 53 (animaux abandonnés) prévoient également d’autres circonstances ou situations d’euthanasie. La chose est parfois critiquée par les commentateurs[43], mais elle révèle bien l’intention du législateur, qui n’est pas d’interdire en toutes circonstances de mettre fin à la vie des animaux. Il s’agit plutôt de s’assurer qu’on le fasse dans le respect de la sensibilité de ceux-ci et d’une manière qui soit aussi douce et rapide que possible. On soulignera aussi que la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal permet expressément l’abattage des animaux dans un contexte agricole (art. 7)[44] et n’interdit ni la chasse ni la pêche, activités que d’aucuns jugent intrinsèquement cruelles ou non éthiques, mais qui sont par ailleurs étroitement réglementées[45]. Dans ce contexte, l’art. 6 L.b.s.a., si on veut le concilier avec les autres dispositions de la loi, ne peut avoir la vocation absolue que certains lui prêtent.
[66] En somme, lorsqu’on lit l’art. 6 L.b.s.a. (et notamment le paragraphe 1 de son second alinéa) à la lumière de l’ensemble des dispositions de la loi elle-même, il est impossible de conclure que cette disposition empêche d’euthanasier ou d’abattre un animal[46]. Ce que l’on vise ici est la maltraitance menant à la mort et non un abattage ou une euthanasie qui se fait dans les conditions prévues par l’art. 12 L.b.s.a. On notera aussi que le Règlement sur la sécurité et le bien-être des chats et des chiens[47], dont la validité n’a pas été contestée et qui a été adopté en vertu de la Loi sur la protection sanitaire des animaux[48], mais aussi de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, comporte également des dispositions relatives à l’euthanasie de ces animaux.
[67] Cela étant, on ne peut voir ce en quoi les dispositions réglementaires contestées ou celles de la Loi sur les compétences municipales, dans la mesure où elles permettent à l’intimée d’ordonner l’euthanasie d’un chien dangereux, seraient à cet égard inconciliables avec la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, étant entendu que l’euthanasie ainsi ordonnée ne peut être pratiquée que de la manière prévue par l’art. 12 L.b.s.a. Comme la Loi sur les compétences municipales et les règlements en cause ne régissent aucunement la manière d’euthanasier les chiens dangereux (l’art. 25 du règlement 16-060 prévoyant toutefois que l’euthanasie d’un chien doit être faite par un médecin vétérinaire), il n’y a pas d’incompatibilité avec la loi sous ce chef.
[68] Qu’en serait-il cependant d’un règlement municipal qui autoriserait l’abattage de tout animal - et de tout chien en l’occurrence - sur son territoire, de manière purement discrétionnaire, voire arbitraire, à bon plaisir? Un tel règlement ne serait vraisemblablement pas valide au regard de la Loi sur les compétences municipales, qui permet aux villes d’agir en ces matières lorsqu’il est question de sécurité ou de nuisance. Or, la plupart des chiens ne présentent aucun danger et, certainement, ne peuvent être considérés comme des nuisances. Une municipalité n’est d’ailleurs pas habilitée à transformer en une nuisance ce qui ne l’est pas (que ce soit in se ou en raison d’une utilisation excessive ou anormale), pas plus qu’elle ne peut abusivement invoquer des raisons de sécurité pour régler ce qui n’est pas un véritable problème. Agir ainsi constituerait un exercice illégitime du pouvoir de réglementer ou de prohiber les nuisances ou d’assurer la sécurité publique et ne serait pas raisonnable au regard de la primauté du droit et des règles du droit administratif[49].
[69]
Bref, les règlements municipaux 16-060 et 18-042, du moins en ce qui
concerne les dispositions en jeu dans le présent appel, ont été valablement
adoptés en vertu des art. 4, 59, 62 et 63 L.c.m. et ne contreviennent ni
à l’art.
[70] Passons donc maintenant à la question de savoir si l’intimée a enfreint les règles de l’équité procédurale au moment où, le 22 août 2018, elle a déclaré dangereux le chien de l’appelante Frineau et en a ordonné l’euthanasie.
c. Validité de la décision de l’intimée au regard de l’équité procédurale et des exigences processuelles de la réglementation municipale applicable
[71] Il va sans dire que, à l’instar de toute créature de l’ordre administratif, l’intimée, dans la prise d’une décision particulière permise ou commandée par ses règlements, doit respecter l’équité procédurale[51]. Il n’est pas nécessaire que lesdits règlements prévoient explicitement cette obligation, qui s’impose même en cas de silence du texte[52]. Conformément à ce principe fondamental, l’administré dont les droits ou les intérêts seront affectés doit donc être avisé de la décision qu’on s’apprête à rendre et il doit avoir l’occasion de faire part de son point de vue au décideur ainsi que de lui présenter les faits et les arguments qu’il estime pertinents. Le décideur doit considérer les observations de l’administré et, quoiqu’il ne soit pas tenu d’y souscrire, il ne peut en faire abstraction.
[72] L’application des règlements litigieux obéit à ce principe, et certainement lorsqu’il s’agit de l’euthanasie du chien d’un administré, dont le droit de propriété, qui vise ici un être doué de sensibilité, se trouve dès lors affecté[53]. La Cour supérieure, sous la plume du juge Bachand, le rappelait d’ailleurs dans une affaire récente, qui concerne justement le règlement 16-060 de l’intimée et s’applique tout aussi bien au règlement 18-042[54] : la ville, écrit le juge avec raison, « devait donc recueillir le point de vue [de l’administrée] et en tenir compte avant de décider si l’émission d’une ordonnance d’euthanasie était justifiée »[55].
[73] C’est d’ailleurs en ce sens que la Cour supérieure, cette fois sous la plume du juge Sansfaçon, tel qu’il était alors, avait déjà statué dans Auclair c. Ville de Montréal[56], affaire qui se rapporte elle aussi à l’application du règlement 16-060 de l’intimée et qui définit clairement la nature et la portée des obligations qui, au chapitre de l’équité procédurale, incombent à une ville désireuse d’euthanasier un chien. On ne peut faire mieux que de citer ici ce jugement, qui concerne une situation présentant des similitudes assez frappantes avec celle de l’espèce :
[1] Le 3 mai 2017, les trois chiens des demandeurs ont attaqué un homme alors qu’il passait près d’eux. La marcheuse professionnelle qui promenait alors les chiens n’a pas été capable de les retenir. La victime a dû être hospitalisée afin de soigner ses blessures.
[2] Dans les jours qui suivent, une préposée à la patrouille canine enjoint les demandeurs de garder leurs chiens muselés jusqu’à avis contraire et les informe que des conditions particulières de garde pourraient leur être imposées telles que déterminées à la suite d’une évaluation comportementale des chiens faite par l’expert de l’arrondissement à laquelle ils seront convoqués.
[3] Puis, les demandeurs reçoivent une lettre qui les enjoint d’amener leurs trois chiens aux date, heure et endroit mentionnés « afin que l’expert de l’arrondissement procède à leur évaluation ». À la date déterminée, les chiens sont évalués par une médecin vétérinaire qui conclut, dans un rapport subséquent qu’elle ne transmet qu’à la Ville, qu’ils représentent tous trois un risque très sérieux de dangerosité.
[4] Quelques jours plus tard, la Ville transmet une lettre aux demandeurs par laquelle elle les informe qu’elle déclare que les trois chiens constituent un danger pour la sécurité publique et qu’elle en ordonne l’euthanasie dans les 48 heures suivant la réception de la lettre. Jamais, durant ce processus, les demandeurs ne sont informés que les démarches entreprises par la Ville peuvent mener à une ordonnance d’euthanasie, et jamais, avant que la décision finale soit rendue, ils n’ont l’opportunité de s’exprimer ou de faire part à la Ville d’arguments ou de lui présenter des faits au sujet de la dangerosité des chiens ou de leur sort.
[5] Les demandeurs se pourvoient en contrôle judiciaire de la décision.
[6] Le pourvoi en contrôle judiciaire est accueilli. L’autorité compétente a contrevenu aux règles d’équité procédurale fondamentales de notre droit en ne permettant pas aux propriétaires des chiens de présenter leur point de vue et d’être entendus avant que sa décision de les déclarer « danger pour la sécurité publique » et de les euthanasier ne soit rendue.
[7] Il est vrai que le Règlement municipal qui accorde au décideur le pouvoir d’ordonner l’euthanasie n’accorde pas au propriétaire de l’animal le droit d’être entendu avant que la décision finale ne soit prise. Cela ne dispense toutefois pas ce décideur de minimalement informer le propriétaire de l’animal des conséquences possibles de la procédure entamée, ni, surtout, ne l’exempte de son obligation d’appliquer les règles de justice naturelle et d’ainsi permettre au justiciable de lui faire les représentations appropriées avant qu’il ne rende sa décision.
[…]
[30] Le Règlement ne prévoit pas que le gardien d’un animal puisse faire quelque représentation que ce soit dans le cadre de l’évaluation de son animal ou à tout autre moment préalable à la prise de la décision par l’autorité compétente sur le sort de l’animal. Le Règlement ne prévoit pas non plus de mécanisme d’appel une fois la décision prise par l’autorité compétente. En d’autres mots, la Ville procède et décide sans que le maître du chien n’ait mot à dire et sans qu’il puisse faire falloir de faits ou d’arguments susceptibles d’être considérés par le décideur.
[31] Il est établi que le pourvoi en contrôle judiciaire est le mécanisme approprié pour contester la décision de l’autorité compétente d’ordonner l’euthanasie d’un chien : il s’agit d’une décision de l’administration qui est prise en vertu d’un règlement et qui affecte le droit d’un citoyen de posséder un chien, et qui ne peut être contestée autrement [renvoi omis].
[32] Le fait qu’une décision de nature administrative porte atteinte aux droits, privilèges ou intérêts d’une personne suffit pour que s’y appliquent les règles d’équité procédurale [renvoi omis]. Une fois qu’il est établi que de telles règles s’appliquent, leur portée sera fonction de circonstances particulières de chaque cas, en tenant compte de facteurs tels la nature de la décision (plus celle-ci se rapproche d’une décision judiciaire, plus l’application des règles d’équité procédurale sera exigée), l’existence ou non d’une procédure d’appel (le respect des règles d’équité procédurale sera plus élevé si aucun appel n’est prévu) et l’importance de la décision sur la personne visée [renvoi omis]. L’importance de préserver l’efficacité du processus décisionnel mis en place par le législateur ne sera toutefois pas ignorée, sans quoi l’objectif d’intérêt public visé par celui-ci, en l’espèce la protection du public, sera mis en échec.
[…]
[34] En l’espèce, la Ville appuie sa position voulant qu’il n’y a pas eu accroc aux règles de justice naturelle sur le jugement Gopaulen c. Directeur du service des permis et inspections de la Ville de Montréal [renvoi omis], qui adopte une vision plus restrictive que libérale de l’équité procédurale en matière de contrôle des animaux. Le juge Tardif y écrit que si le décideur doit agir avec équité, l’obligation procédurale en cette matière serait limitée puisque le règlement, comme en l’espèce, ne prévoit rien d’autre que l’ordonnance du directeur lorsque celui-ci est d’avis que les conditions pour l’euthanasie sont présentes.
[35] Or, la jurisprudence reconnaît le droit des gardiens de chiens d’être entendus au stade de l’enquête, même si ce n’est pas par le décideur lui-même. Ainsi dans Duquette c. Montréal (Ville de) [renvoi omis], les demandeurs avaient eu l’opportunité de faire valoir leur point de vue auprès de la patrouilleuse canine et le directeur s’était basé sur l’enquête et la recommandation de la patrouille canine afin de prendre sa décision, ce qui a été déclaré suffisant. De même, pour le juge Doyon de la Cour d’appel dans Papakostas c. Montréal (Ville de) [renvoi omis], les règles d’équité sont respectées lorsque l’inspecteur municipal prend la version du gardien et la transmet au décideur qui, ensuite, décide de faire museler le chien et de le soumettre à une évaluation comportementale [renvoi omis]. Dans cette affaire, le juge Jean-Yves Lalonde avait reconnu comme suffisant le fait que le citoyen s’était fait donner l’opportunité de donner son point de vue sur les options envisagées par la Ville [renvoi omis]. Dans Paquet c. Montréal (Ville de) [renvoi omis], la juge Hélène Lebel accueille un pourvoi en contrôle judiciaire pour le motif que la Ville n’avait pas permis au citoyen visé par l’ordonnance d’euthanasie d’exposer sa position ou de répondre aux allégations retenues contre son chien. Dans Rogier v. Halifax (Regional Municipality) [renvoi omis] la décision fut annulée par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse entre autres pour le motif que le citoyen n’avait pas eu l’opportunité de faire des représentations adéquates susceptibles d’être prises en considération par le décideur avant que celui-ci ordonne l’euthanasie de son chien.
[…]
[39] Mais plus important encore, jamais, avant que la décision ne soit prise, M. Poisson ou toute autre personne de la Ville n’a offert aux demandeurs la possibilité de formuler leur point de vue ou de s’exprimer, non pas sur l’attaque elle-même (à l’égard de laquelle tous ont eu le loisir de le faire), mais au sujet de la déclaration éventuelle qu’il s’agirait là de « chiens dangereux » plutôt que de « chiens à risque », et au sujet de l’ordonnance de les euthanasier plutôt que d’être soumis à l’obligation de se procurer un permis spécial de garde d’un tel chien et de se conformer aux conditions particulières de garde d’un tel chien prévues au Règlement. L’euthanasie des chiens a ici été décrétée après que la Ville ait obtenu une évaluation comportementale des chiens. Cet ordre ne reposait donc pas uniquement sur les faits spécifiques de l’attaque du 3 mai 2017, mais plus généralement sur les caractéristiques globales des chiens, d’où la pertinence de permettre à leur maître de faire valoir leurs prétentions.
[40] Les faits de la présente s’apparentent à ceux de l’affaire Cognyl-Fournier [renvoi omis], dans laquelle une conversation téléphonique avec la demanderesse avait été la seule occasion au cours de laquelle celle-ci avait pu relater sommairement sa version des faits, alors que l’agent ne lui avait pas mentionné qu’il s’interrogeait plutôt sur la dangerosité de son chien et sur l’application d’une disposition du règlement permettant d’en ordonner l’euthanasie. La juge Le Bel y souligne que la demanderesse n’avait pas été informée « de ce qui se tramait et elle n’a pas eu le loisir de soumettre des représentations pour expliquer que l’affaire n’était peut-être pas aussi grave qu’elle le paraissait à la vue des photos ». La juge Le Bel affirme même qu’il est évident que si la demanderesse avait su plus tôt que la Ville croyait que son chien pouvait constituer un danger pour la santé ou la sécurité publique, elle aurait procédé plus tôt à une évaluation. Elle conclut qu’il y a eu une violation manifeste de l’équité procédurale et annule l’ordonnance d’euthanasie.
[41] En l’espèce, puisque le Règlement ne prévoyait pas d’étape lors de laquelle le maître de l’animal aurait l’occasion de faire valoir ses prétentions, il appartenait au décideur le lui laisser la possibilité de le faire avant qu’il ne prenne sa décision. Il ne s’agit pas ici de tenir une audition contradictoire lors de laquelle des témoins sont présentés et contre-interrogés. Il suffit que le citoyen ait l’opportunité de réellement faire valoir sa position et ses arguments. Évidemment, une telle obligation est inexistante dans les cas où la situation justifie la mise à mort sur-le-champ de l’animal, tel le cas de l’animal posant un risque immédiat pour les personnes ou les animaux, par exemple.
[42] Cela dit, ce manquement, bien qu’important, aurait pu être sans conséquence si le Règlement avait prévu un droit d’appel ou de révision de sa décision lors duquel les demandeurs auraient eu la possibilité de présenter leurs éléments de preuve et faire leurs représentations, mais le Règlement ne prévoyait ici aucun tel droit, la décision étant finale et sans appel.
[Je souligne]
[74] Je fais miens ces propos, qui traduisent bien l’obligation qui s’impose à l’intimée en la matière, hors les cas d’urgence, et ce, tout aussi bien sous l’empire du règlement 18-042 que celui du règlement 16-060. Il en ressort que l’intimée ne saurait donc ordonner l’euthanasie d’un chien sans respecter ces règles et, à supposer qu’elle enfreigne celles-ci par inadvertance ou autrement, elle ne saurait passer aux actes (en euthanasiant ou en faisant euthanasier l’animal) sans d’abord s’y conformer et ainsi réparer son erreur. Il va de soi, par ailleurs, que le propriétaire du chien en cause, lorsqu’il reçoit un tel préavis, doit lui-même se conduire avec diligence, sans quoi il pourrait être tenu pour avoir renoncé à son droit d’être entendu.
[75] En principe, l’intimée aurait donc dû donner à la propriétaire du chien ou, dans la mesure où elle ne pouvait identifier celle-ci, à sa gardienne, l’occasion de lui présenter ses observations avant de déclarer le chien dangereux et d’en ordonner l’euthanasie : elle ne l’a pas fait. Elle aurait pu s’amender après avoir envoyé la lettre du 22 août 2018 (lettre adressée à la gardienne du chien au jour de l’incident), puisque, l’animal ayant été confié dès le 19 aux soins de la mise en cause, SPCA, il n’y avait plus aucune urgence : elle ne l’a pas fait non plus. Comme on le verra plus, cela n’appellera en l’espèce aucune sanction, mais n’en demeure pas moins contraire à la règle.
[76] La précipitation de l’intimée s’explique d’autant moins que la décision de déclarer le chien dangereux et d’en ordonner l’euthanasie a été prise sans le bénéfice d’une évaluation comportementale préalable de l’animal, évaluation prévue par les règlements 16-060 et 18-042 (et à laquelle elle avait procédé dans l’affaire Auclair, comme on l’aura remarqué des passages précités de ce jugement). Les règlements prévoient en effet ce qui suit :
Règlement 16-060
31. Le gardien d’un chien qui a mordu une personne ou qui, en mordant, a causé une lacération de la peau à une autre animal d’une espèce permise conformément à l’article 3 doit :
1° aviser l’autorité compétente de ces événements dans les 72 heures;
2° museler l’animal en tout temps lorsqu’il se trouve à l’extérieur de l’unité d’occupation du gardien jusqu’à avis contraire émis par l’autorité compétente;
3° se conformer, le cas échéant, à l’avis écrit transmis par l’autorité compétente et l’apporter au lieu et au jour indiqués afin que l’expert de la Ville procède à son évaluation.
32. Lorsque le chien à risque visé à l’article 31 est déclaré dangereux pour la sécurité du public par l’autorité compétente, le gardien du chien doit faire euthanasier l’animal suivant l’ordre d’euthanasie émis par l’autorité compétente.
Lorsque l’animal visé au premier alinéa n’est pas déclaré dangereux pour la sécurité du public par l’autorité compétente, cette dernière peut exiger du gardien qu’il se procure un permis spécial de garde d’un chien à risque et qu’il se conforme aux conditions particulières de garde d’un chien à risque émises conformément au présent règlement.
[…]
35. Lorsque l’animal visé par un permis spécial de garde de chien à risque a mordu de nouveau un animal ou une personne, le gardien du chien doit faire euthanasier l’animal suivant l’ordre d’euthanasie émis par l’autorité compétente.
Règlement 18-042
33. Un chien qui a mordu, a tenté de mordre, a attaqué ou tenté d’attaquer une personne, sans lui causer la mort, ou qui a mordu un animal d’une espèce permise conformément à l’article 6 ou un chien interdit, en lui causant une lacération de la peau, est un chien à risque pour l’ensemble du territoire de la Ville de Montréal. Le gardien du chien doit :
1° aviser l’autorité compétente dans les 72 heures lorsqu’il y a eu morsure ou attaque et l’informer du lieu où le chien est gardé;
2° museler l’animal en tout temps, au moyen d’une muselière panier, lorsqu’il se trouve à l’extérieur de l’unité d’occupation du gardien jusqu’à avis contraire émis par l’autorité compétente;
3° se conformer, le cas échéant, à l’avis écrit transmis par l’autorité compétente et l’apporter au lieu et au jour indiqués afin que l’expert de la Ville procède à son évaluation;
4° s’assurer que le chien demeure au lieu indiqué par le gardien jusqu’à l’avis écrit par l’autorité compétente, le cas échéant, imposant des conditions de gardes.
Le gardien d’un chien qui a mordu, a tenté de mordre, a attaqué ou tenté d’attaquer une personne, ou qui a mordu un animal d’une espèce permise conformément à l’article 6 ou un chien interdit, en lui causant une lacération de la peau, et ce, sur le territoire d’une autre municipalité dans les 5 années précédant son déménagement, doit en aviser l’autorité compétente dans un délai de 72 heures de son déménagement à Montréal avec ce chien. Le cas échéant, le gardien du chien doit se conformer aux paragraphes 2° à 4° du premier alinéa.
34. Lorsque le chien à risque visé à l’article 33 mord, tente de mordre, attaque ou tente d’attaquer à nouveau une personne, sans lui causer la mort, ou qui mord à nouveau un animal d’une espèce permise conformément à l’article 6 ou un chien interdit, en lui causant une lacération de la peau, et ce, avant l’évaluation de l’animal par l’expert de la Ville, l’autorité compétente déclare ce chien potentiellement dangereux ou dangereux à la suite de cette évaluation pour l’ensemble du territoire de la Ville de Montréal.
35. Un chien qui a commis un geste susceptible de porter atteinte à la sécurité d’une personne ou d’un animal d’une espèce permise conformément à l’article 6 ou d’un chien interdit, est un chien à risque pour l’ensemble du territoire de la Ville de Montréal. Le gardien du chien doit se conformer aux paragraphes 2° à 4° du premier alinéa de l’article 33 dès la réception d’un avis de l’autorité compétente.
36. Lorsque le chien à risque est déclaré dangereux pour la sécurité du public par l’autorité compétente, le permis est révoqué et le gardien du chien doit :
1° faire euthanasier l’animal dans les 48 heures suivant l’ordre d’euthanasie émis par l’autorité compétente;
2° fournir l’attestation écrite de la personne qui a pratiqué l’euthanasie à l’autorité compétente dans les 72 heures suivant la mort de son chien.
37. Lorsque le chien à risque n’est pas déclaré dangereux pour la sécurité du public par l’autorité compétente, cette dernière peut exiger du gardien qu’il se procure un permis spécial de garde d’un chien potentiellement dangereux, valide pour l’ensemble du territoire de la Ville de Montréal, et qu’il se conforme aux conditions particulières de garde d’un chien potentiellement dangereux émises conformément au présent règlement.
[…]
40. Lorsque l’animal visé par un permis spécial de garde de chien potentiellement dangereux commet de nouveau un geste susceptible de porter atteinte à la sécurité, l’autorité compétente peut le déclarer dangereux pour l’ensemble du territoire de la Ville de Montréal, ou imposer une nouvelle évaluation comportementale.
Si l’autorité compétente déclare le chien dangereux, le gardien du chien doit se conformer aux exigences de l’article 39.
Si l’autorité compétente exige une nouvelle évaluation, le gardien de l’animal doit se conformer aux exigences de l’article 33.
[Je souligne]
[77] Tout comme devant le juge de première instance, l’intimée soutient ici qu’elle n’a pas l’obligation de procéder à l’évaluation prévue par les art. 31, paragr. 3 du règlement 16-060 et 33, al. 1, paragr. 3 du règlement 18-042. Ces deux dispositions énoncent en effet que le gardien du chien est tenu, « le cas échéant », de se présenter à la séance d’évaluation qu’ordonne l’intimée : l’usage de cette expression conférerait à l’autorité compétente tout loisir de statuer sur le sort de l’animal avec ou sans une telle évaluation. Si celle-ci lui paraît utile, elle en avisera le gardien du chien, qui devra y collaborer; dans le cas contraire, elle prendra simplement la décision qui lui paraît s'imposer. En l’espèce, l’incident du 19 août 2018 était suffisamment grave pour que, sans besoin de quelque évaluation comportementale que ce soit, elle prenne la décision de déclarer le chien dangereux et d’en ordonner l’euthanasie.
[78] L’argument ne convainc pas.
[79] En effet, si on devait l’avaliser, cette proposition risquerait d’entacher les dispositions réglementaires en cause d’une imprécision de nature à compromettre leur validité au sens du droit administratif[57]. En effet, si, comme le prétend l’intimée, les art. 31, paragr. 3 du règlement 16-060 et 33, al. 1, paragr. 3 du règlement 18-042 l’autorisent, à son seul gré, à recourir ou à ne pas recourir à une évaluation comportementale avant de déclarer un chien dangereux, il faudra constater alors que cette latitude n’est aucunement balisée et ne permet pas à l’administré de savoir dans quelles circonstances ou selon quels critères l’évaluation sera prescrite ou ne le sera pas et de mesurer l’état de ses droits. Une telle interprétation laisse en outre à elle-même la personne chargée d’appliquer ces dispositions[58], dont la mise en œuvre risque fort d’être aléatoire. Cela, d’ailleurs, se trouve assez bien illustré par la différence entre les décisions qu’a prises l’intimée à cet égard dans l’affaire Auclair et dans la présente affaire, qui concernent toutes deux des incidents graves : dans le premier cas, elle a procédé à une évaluation comportementale préalable; dans le second cas, elle ne l’a pas fait. Pourquoi? On l’ignore. Or, dans la mesure où la décision de déclarer un chien dangereux emporte ordre d’euthanasie et affecte ainsi les droits du propriétaire du chien, une telle imprécision, porteuse d’arbitraire, pourrait être fatale à la validité des dispositions en cause.
[80] Mais il n’est pas nécessaire d’en venir là puisque, considérées de manière contextuelle et téléologique, les dispositions réglementaires en question ne sauraient être interprétées de la manière que suggère l’intimée. La seule interprétation que l’on peut en effet donner aux art. 31, paragr. 3 du règlement 16-060 et 33, al. 1, paragr. 3 du règlement 18-042 est celle qui impose à l’intimée de faire évaluer l’animal avant de le déclarer dangereux ou d’en ordonner l’euthanasie (ou avant de décider, au contraire, qu’elle ne le déclarera pas dangereux).
[81] D’une part, une telle évaluation permet de mesurer le danger véritable du chien qui a mordu une personne ou un autre animal sans causer sa mort et l’opportunité de le déclarer dangereux, plutôt que simplement à risque, comme le prévoit l’art. 32, al. 2 règlement 16-060[59], ou potentiellement dangereux, comme le prévoit l’art. 37, al. 1 du règlement 18-042[60], puis d’en ordonner l’euthanasie, le cas échéant. En cela, c’est une mesure qui assure l’application équitable et réfléchie de dispositions réglementaires affectant les droits des administrés et se rapportant à des êtres doués de sensibilité, dont on ne saurait disposer de manière arbitraire, sans justificatif.
[82] D’autre part, si le conseil municipal a pris la peine d’inclure dans ses règlements une disposition prévoyant l’évaluation comportementale du chien qui a mordu une personne ou un animal sans en causer la mort, ce n’est pas pour la neutraliser en donnant à l’« autorité compétente » (telle que définie par l’art. 1 de chacun des règlements[61]) l’entière liberté de ne pas y recourir.
[83] On peut bien sûr penser que l’intimée fermera occasionnellement les yeux sur les incidents bénins impliquant des morsures sans gravité (dont la plupart ne seront du reste jamais portées à son attention) et que cela pourra justifier que, le cas échéant (pour reprendre les termes de l’art. 31, paragr. 3 du règlement 16-060 ou 33, al. 1, paragr. 3 du règlement 18-042), elle n’enclenche pas le processus d’évaluation comportementale ni, d’ailleurs, la mécanique prévue par les règlements. Les droits de l’administré n’étant alors pas affectés, la chose ne fait pas problème. Il en va autrement lorsque la ville envisage d’euthanasier ou de faire euthanasier le chien qui a mordu sans causer la mort.
[84] Finalement, on notera que, en ce qui concerne le règlement 18-042, le caractère obligatoire de l’évaluation comportementale ressort plus clairement encore du texte. L’art. 34 (reproduit plus haut) prévoit ainsi que le chien visé par l’art. 33 (c.-à-d. celui qui a mordu sans causer la mort) qui récidive « avant l’évaluation de l’animal par l’expert de la Ville » sera « déclaré potentiellement dangereux ou dangereux à la suite de cette évaluation ». Cela confirme que l’évaluation requise par l’art. 33, al. 1, paragr. 3 n’est pas facultative. L’art. 40 (reproduit plus haut) prescrit pour sa part que le chien visé par un permis spécial de garde de chien potentiellement dangereux peut être déclaré dangereux en certaines circonstances, l’intimée pouvant toutefois choisir d’« imposer une nouvelle évaluation comportementale » (italique ajouté). S’il y a une nouvelle évaluation (laquelle semble effectivement facultative), c’est qu’une première évaluation a eu lieu, qui est forcément celle de l’art. 33, al. 1, paragr. 3.
[85] Un dernier mot enfin sur l’art. 49 du règlement 18-042, dont parlent, comme on l’a vu, les conclusions du mémoire de l’appelante Frineau. Cette disposition doit être lue de concert avec les art. 47 et 48 du même règlement. Aux termes de l’art. 47, l’autorité compétente, qui inclut l’agent de la paix, peut notamment capturer un chien à risque, dangereux ou potentiellement dangereux et le confier à un refuge. L’art. 49 prévoit ce qu’il advient du chien ainsi capturé : euthanasie ou, dans le cas du chien à risque ou potentiellement dangereux, adoption, à certaines conditions. À défaut d’adoption, le chien à risque ou potentiellement dangereux sera euthanasié, conformément à l’art. 48. Les parties n’ont guère parlé de ce régime, qui ne saurait bien sûr, dans des circonstances comme celles de l’espèce, permettre à l’intimée d’échapper aux règles d’équité procédurale qu’elle doit observer ni à l’obligation d’évaluation comportementale qui lui incombe en vertu de l’art. 33, al. 1, paragr. 3 du règlement. La même remarque vaut pour les art. 43 et 44 du règlement 16-060, qui prévoyaient un régime du même genre (malgré quelques différences notables) et que l’appelante Frineau, assez curieusement, n’a pas évoqués.
[86] Bref, et pour récapituler, que l’affaire soit régie par le règlement 16-060 ou par le règlement 18-042, l’équité procédurale exige que l’intimée, avant de déclarer un chien dangereux et d’en ordonner l’euthanasie, donne préavis de son intention à l’administré (propriétaire ou gardien) et lui laisse l’occasion de présenter ses observations et arguments (y compris, comme ce fut le cas dans Auclair, en lui permettant de faire évaluer le chien en cause ou de produire une contre-évaluation), l’administré devant pour sa part agir diligemment. Par ailleurs, sous l’empire de l’un et l’autre de ces règlements, l’intimée ne peut prendre sa décision avant d’avoir procédé à une évaluation comportementale du chien.
[87] Qu’en est-il en l’espèce?
[88] Comme on l’a vu, l’intimée, dans son traitement particulier du chien en cause, n’a pas respecté l’équité procédurale qu’elle devait à la propriétaire du chien (ou à sa gardienne), ni respecté les termes de ses propres règlements, en ce qui concerne l’évaluation comportement préalable de l’animal.
[89] À la décharge de l’intimée, il faut cependant tenir compte ici de certains éléments particuliers.
[90] Ainsi, à supposer même qu’elle eût prévenu la gardienne du chien de son intention d’euthanasier l’animal, il est peu probable que celle-ci eût fait la moindre démarche auprès des autorités municipales. En effet, selon le rapport de police confectionné le jour de l’incident, le chien (propriété de l’amie de l’ami d’un ami[62]) n’était en sa possession que depuis 24 heures au moment des faits et lui avait été confié en vue qu’elle le remette entre les mains d’un organisme qui aurait fait le nécessaire pour conduire l’animal dans un refuge situé au Nouveau-Brunswick[63]. La chauffeuse de cet organisme s’est du reste présentée chez la gardienne ce jour-là, mais a plutôt transporté celle-ci à l’hôpital avec sa petite-fille, qui venait d’être mordue (le chien s’attaquera en son absence aux autres enfants présents sur les lieux). Il n’y aucune raison de croire que, dans ces circonstances, elle aurait eu quoi que ce soit à dire aux autorités municipales, si celles-ci l’avaient prévenue de leur intention d’euthanasier le chien. Sans doute, de manière générale, le manquement d’une instance décisionnelle à l’obligation d’entendre l’intéressé est-il fatal à la décision, mais on peut conclure ici que la gardienne n’était pas une personne intéressée.
[91] La situation de Mme Frineau, par ailleurs, a de quoi laisser perplexe. Tout d’abord, selon le récit relaté par le rapport de police, elle aurait souhaité se débarrasser du chien et l’on peut donc douter de son intérêt véritable envers lui. Ensuite, il faut tenir compte du fait que Mme Frineau, bien qu’elle ait été informée (encore que de manière non officielle) du sort qui attendait son chien, ne s’est elle-même pas manifestée avant de longs mois. Il est vrai que, selon ce qu’on peut comprendre du dossier, l’intimée avait en main le rapport de police du 19 septembre 2018 et aurait donc pu identifier Mme Frineau, laquelle fut d’ailleurs subséquemment contactée par un agent du SPVM (dont le rapport, s’il en est, n’est pas reproduit au dossier d’appel)[64]. Il demeure tout de même que ce policier a, selon la déclaration sous serment de Mme Frineau, avisé celle-ci de l’ordre d’euthanasie : si elle avait quelque argument à faire valoir auprès de l’intimée, on se serait légitimement attendu à ce qu’elle entreprenne une démarche quelconque auprès de cette dernière, ce qu’elle n’a pas fait. Pourquoi cette inaction? Le juge de première instance l’attribue potentiellement au fait qu’elle « attendait de voir si des accusations criminelles allaient être portées avant de se déclarer propriétaire véritable de Shotta […] »[65].
[92] Tout cela étant considéré, on peut conclure que Mme Frineau a en réalité renoncé à son droit d’être entendue, tout comme elle a renoncé à son droit de contester la décision de l’intimée malgré l’absence d’évaluation comportementale préalable, droits qu’elle ne peut plus ressusciter en se joignant, tardivement comme on l’a vu, au recours institué (sans droit) par RHRS.
C. Conclusion
[93] En résumé, le pourvoi doit à mon avis être rejeté, avec frais de justice, pour les raisons suivantes :
- l’appelante RHRS n’a aucun intérêt juridique aux questions que soulève l’appel.
- l’appelante Frineau, informée dès le mois de septembre de la décision de l’intimée et sachant bien qu’elle n’en avait pas été prévenue officiellement, ne l’a pas contestée en temps utile. L’absence d’un tel préavis tout comme l’absence de l’évaluation comportementale préalable à laquelle aurait dû se livrer l’intimé ne la relèvent pas de ce retard. Autrement dit, la tardiveté de son recours couvre les manquements de l’intimée et ne lui permet plus de les invoquer.
[94]
Pour le reste, les dispositions réglementaires en cause (art. 31 et 32
du règlement 16-060 et 33, 36 et 49 du règlement 18-042), en ce qu’elles
permettent l’euthanasie d’un chien dangereux, n’enfreignent ni l’art.
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MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
[1]
Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal,
[2] RLRQ, c. C-47.1 (ou « L.c.m. »).
[3] RLRQ, c. B-3.1 (ou « L.b.s.a.»).
[4] Road to Home Rescue Support c. City of Montreal,
À la suite de ce
jugement, l’intimée a présenté une requête en rejet d’appel. Par ailleurs, les
appelantes ayant déposé leur exposé d’appel tardivement, un constat de caducité
(art.
[5] Cette requête est datée du 25 avril 2019 et elle a été déposée au greffe de la Cour le 26.
[6]
Notons au passage que, vu la contestation de la validité de la
réglementation municipale, la procureure générale du Québec a été mise en cause
dans les procédures de première instance. La copie de l’avis prévu par l’art.
[7] 2019 QCCA 1402, paragr. 46 et s., notamment aux paragr. 53 à 60.
[8] Id., note infrap. 22.
[9]
Pour qualifier cette décision individuelle, on emploie parfois l’expression
« ponctuelle et particulière » dans les arrêts Transport en commun
La Québécoise inc. c. Réseau de transport métropolitain,
[10] Voir par ex. : Transport en commun La Québécoise inc. c. Réseau de transport métropolitain, supra, note 9, paragr. 27 à 41; Fraternité des policiers de Châteauguay inc. c. Ville de Mercier, supra, note 9, paragr. 58.
[11] Voir par ex. : Municipalité de Saint-Colomban c. Boutique de golf Gilles Gareau inc., supra, note 8; Fraternité des policiers de Châteauguay inc. c. Ville de Mercier, supra, note 9.
[12] Dans le même sens, voir par ex. : Transport en commun La Québécoise inc. c. Réseau de transport métropolitain, supra, note 9, paragr. 27 à 41; Fraternité des policiers de Châteauguay inc. c. Ville de Mercier, supra, note 9, paragr. 58.
[13] Le même raisonnement vaudrait pour le mandamus, spécifiquement visé par l’art. 30, al. 2, paragr. 5 et qui fait écho au paragr. 529, al. 1, paragr. 3 C.p.c.
[14] Par souci de concision, les présents motifs parleront dorénavant de cette décision comme celle de l’intimée, encore que ce soit le conseil de l’arrondissement de Montréal-Nord qui l’ait prise.
[15] Jugement de première instance, paragr. 18.
[16]
[17] J’emploie cette formule car, en réalité, malgré la déclaration sous serment qu’elle a produite en première instance, il n’est pas certain que l’appelante Frineau ait été la propriétaire du chien lors de l’incident d’août 2018, ni qu’elle le soit encore. Le juge de première instance, au paragr. 38 de son jugement, met d’ailleurs en doute sa qualité de propriétaire. La preuve reproduite au dossier d’appel (assez maigre somme toute) n’est pas des plus claires à cet égard, mais l’on pourrait bien vouloir en déduire que Mme Frineau, avant la journée de l’incident, avait confié Shotta à Mme Richardson afin que celle-ci l’en débarrasse. Selon le rapport de police, en effet, Mme Richardson, d’ailleurs, avait pris rendez-vous avec le représentant d’un organisme du nom de Freedom Drivers qui devait venir chercher l’animal le jour de l’incident (19 août), pour l’amener à la SPCA, et ce, en vue d’un transfert subséquent au Nouveau-Brunswick. Cette personne s’est, de fait, présentée, mais elle a plutôt emmené Mme Richardson et sa petite-fille, que le chien venait de mordre, à l’hôpital. Que Mme Frineau (qui nie aujourd’hui la version de Mme Richardson) ne se soit pas manifestée par la suite pendant de longs mois est aussi de nature à faire douter de son véritable statut, que je tiendrai néanmoins pour avéré aux fins des présents motifs.
[18] C’est ce que note expressément la ministre de la Justice dans les commentaires accompagnant l’adoption de l’actuel Code de procédure civile : « Le second alinéa [de l’art. 85] est de droit nouveau. Il codifie les critères développés par jurisprudence de la Cour suprême des dernières années pour apprécier l’intérêt de celui qui, sans y avoir un intérêt personnel, entend soulever une question d’intérêt public » (Code de procédure civile - Commentaires de la ministre de la Justice, Montréal, SOQUIJ/Wilson & Lafleur, 2015, p. 92).
[19]
Dans le même sens, voir aussi : Manitoba Metis Federation Inc. c.
Canada (Procureur général),
[20] Downtown Eastside, paragr. 51.
[21] Downtown Eastside, paragr. 43.
[22] Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), supra, note 19, paragr. 43.
[23]
Voir : Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village),
[24] Par exemple, les motifs de contestation peuvent se rapporter au partage des compétences établi par la Loi constitutionnelle de 1867 ou aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.
[25]
Voir par ex. : Association provinciale des constructeurs
d'habitations du Québec (APCHQ) région de l'Outaouais inc. c. Gatineau (Ville
de),
[26]
C’est ce que la Cour suprême rappelle dans Manitoba Metis Federation Inc.
c. Canada (Procureur général),
Les remèdes (pécuniaires notamment, s’il en est) rattachés à l’invalidité ou à l’inapplicabilité d’une règle de droit peuvent se prescrire, mais pas le droit de réclamer que cette invalidité ou inapplicabilité soit judiciairement constatée et déclarée.
[27]
Voir à ce propos : P.L. c. McGill University Health Centre,
[28] Étant entendu que, dans le cadre d’un tel pourvoi, ce moyen pourrait lui-même échouer parce qu’il n’aurait pas été invoqué dans le délai raisonnable de contestation propre aux actes normatifs, tel qu’expliqué au paragr. [32] ci-dessus.
[29] Lettre du 22 août 2019, adressée par Mme Claire Vassart (direction de la performance, du greffe et des services administratifs), à Mme Frances Richardson.
[30] Conseil de la Ville de Montréal, adopté le 26 septembre 2016.
[31] En vertu des articles 361 et 362 de la Loi sur les cités et les villes, RLRQ, c. C-19, un règlement adopté par un conseil municipal entre en vigueur à la date de sa publication et d’un avis public à cet effet. Il semblerait qu’un tel avis ait été publié le 27 août 2018 : voir la mention qui figure à la toute fin du règlement, juste après la liste des annexes, p. 24 du règlement (« ce règlement a été promulgué par l’avis public affiché à l’hôtel de ville et publié dans Le Devoir le 27 août 2018 »).
[32]
La demande introduite originalement par l’appelante RHRS le 2 novembre 2018
ne conteste pas la validité de l’un ou l’autre règlement et se fonde
essentiellement sur les manquements allégués de l’intimée à l’équité
procédurale dans le processus décisionnel ayant mené à la déclaration de chien
dangereux et à l’ordonnance d’euthanasie. On y allègue aussi l’incompatibilité
du comportement des autorités municipales avec l’art.
[33] Lequel ne mentionne que le règlement 18-042 (encore désigné 18-032).
[34] Les deux lettres que l’avocate adresse à l’arrondissement de Montréal-Nord les 7 et 14 septembre 2018 la présentent comme « Attorney for Me Chantal Phan » (voir pièces P-4a et P-4b).
[35] Lettre du 17 septembre 2018 adressée à Me Anne-France Goldwater par Mme Rachel Laperrière, directrice de l’arrondissement de Montréal-Nord.
[36]
Doucet c. Ville de Saint-Eustache,
[37] Ces dispositions de la Loi sur les compétences municipales énoncent que :
4. En outre des compétences qui lui sont conférées par d’autres lois, toute municipalité locale a compétence dans les domaines suivants : |
4. In addition to the areas of jurisdiction conferred on it by other Acts, a local municipality has jurisdiction in the following fields: |
[…] |
(…) |
6° les nuisances; |
(6) nuisances; |
[…] |
(…) |
59. Toute municipalité locale peut adopter des règlements relatifs aux nuisances. |
59. A local municipality may adopt by-laws on nuisances. |
62. Une municipalité locale peut adopter des règlements en matière de sécurité. |
62. A local municipality may adopt by-laws in matters of safety. |
[…] |
(…) |
[38] Supra, note 31.
[39]
Voir par analogie : 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société
d’arrosage) c. Hudson (Ville),
[40] À ce propos, voir : Doucet c. Ville de Saint-Eustache, supra, note 36, paragr. 59.
[41] On notera ici que, pour ajouter une couche à cette superposition de dispositions prévoyant la préséance d’une norme sur une autre, la Loi visant à favoriser la protection des personnes par la mise en place d’un encadrement concernant les chiens, RLRQ, c. P-38.002 (sanctionnée le 13 juin 2018), énonce que :
2. Les dispositions de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal (chapitre B-3.1) ne peuvent être interprétées comme ayant pour effet d’empêcher l’application des dispositions d’un règlement pris en application de la présente loi. |
2. The provisions of the Animal Welfare and Safety Act (chapter B-3.1) may not be interpreted as preventing the application of a regulation made under this Act. |
À la date des faits donnant naissance au présent litige, de même qu’à celle des présents motifs, aucun règlement de cette sorte n’était en vigueur. Le Règlement d’application de la Loi visant à favoriser la protection des personnes par la mise en place d’un encadrement concernant les chiens, récemment publié dans la Gazette officielle ((2019) 151 G.O.Q. II, 4905), entrera cependant en vigueur en mars 2020.
Ni cette loi ni son règlement d’application n’ont été évoqués lors de l’audition de l’appel, de sorte que je n’y renverrai qu’à titre accessoire, sans évidemment me prononcer sur la conformité des règlements litigieux à ces dispositions législatives ou réglementaires.
[42] Il faut rappeler en effet que l’art. 63 L.c.m. se trouve dans la section de la loi consacrée à la sécurité (chapitre VIII du Titre II).
[43]
Parlant de l’euthanasie des animaux abandonnés, voir par ex. : Martine
Lachance, « Le nouveau statut juridique de l’animal au Québec »,
[44] Voir aussi l’art. 47 L.b.s.a., qui permet également l’abattage d’un animal sur ordonnance judiciaire.
[45] Certains pourraient peut-être prétendre que les lois permettant la chasse et la pêche à des fins autres que la survivance sont contraires à la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal en ce qu’elles autorisent la mise à mort d’un animal pour le simple plaisir du chasseur ou du pêcheur et, partant, inopérantes en raison de l’art. 4 L.b.s.a. C’est toutefois là un débat qui excède le cadre du présent litige sur lequel il n’est pas utile de se pencher.
[46] Y aurait-il lieu d’inférer de l’art. 2 de la Loi visant à favoriser la protection des personnes par la mise en place d’un encadrement concernant les chiens reproduit plus haut (supra, note 41), qu’on devrait interpréter la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal comme comportant un interdit implicite de l’euthanasie, à tout le moins celle des chiens? J’estime qu’il faut voir dans cette disposition un geste de prudence législative, destiné à éviter les litiges, plutôt qu’une indication de l’interprétation prohibitive de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, dont le texte lui-même envisage l’euthanasie.
[47] RLRQ, c. P-42, r. 10.1.
[48] RLRQ, c. P-42.
[49]
Sur ce point, voir par ex. : Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan
(District),
[50] Jugement de première instance, paragr. 36.
[51]
Voir par ex. : Chemin de fer Canadien Pacifique c. Vancouver (Ville),
[52] Soulignons en passant que le Règlement d’application de la Loi visant à favoriser la protection des personnes par la mise en place d’un encadrement concernant les chiens, supra, note 41 (non encore en vigueur), qui prévoit la possibilité pour une municipalité d’ordonner l’euthanasie d’un chien dangereux, comporte des garanties procédurales expresses (art. 12 à 15).
[53]
Être doué d’une sensibilité reconnue par le premier al. de l’art.
[54]
Trahan c. Ville de Montréal,
[55] Trahan c. Ville de Montréal, supra, note 54, paragr. 32.
[56] 2018 QCCS 3937.
[57]
Voir à ce sujet : René Dussault et Louis Borgeat, Traité de droit
administratif, 2e éd., t. 1, Sainte-Foy, Presses de l’Université
Laval, 1984, p. 539-542; Jean-Pierre Villaggi, L’Administration publique
québécoise et le processus décisionnel, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2005, p. 52-63; Pierre Issalys et Denis Lemieux,
[58] Les art. 31, paragr. 3 du règlement 16-060 et 33, al. 1, paragr. 3 du règlement 18-042 renvoient tous les deux sur ce point à l’« autorité compétente », pareillement définie dans les deux règlements comme étant « tout fonctionnaire ou employé responsable de l’application du présent règlement, un agent de la paix ainsi que tout représentant d’une entreprise externe dont les services sont retenus par la Ville pour faire respecter les dispositions du présent règlement » (art. 1 de chacun des règlements).
[59] Ce qui enclenche un régime de permis que régissent aussi les art. 33 à 37 de ce règlement.
[60] Ce qui enclenche également un régime de permis, que régissent les art. 38 à 43.1 du règlement 18-042. Notons que l’art. 37, al. 3 de ce règlement permet aussi de ne pas déclarer un tel chien potentiellement dangereux, chien qui devra alors tout de même être stérilisé et doté d’une micropuce indiquant son numéro.
[61] C.-à-d. « tout fonctionnaire ou employé responsable de l’application du présent règlement, un agent de la paix ainsi que tout représentant d’une entreprise externe dont les services sont retenus par la Ville pour faire respecter les dispositions du présent règlement ». Voir supra, note 58.
[62] Ce sont les mots du rapport de police : « Mme Richardson a reçu un appel de l’ami d’un ami [qui] mentionne qu’il connaissait une amie qui devait se débarrasser de son chien rapidement […] » rapport de police du 19 août 2018, p. 4/7.
[63] Voir supra, note infrap. 17, ainsi que le rapport de police du 19 août 2018, p. 4/7.
[64] Notons qu’il ne s’agit pas de contraindre l’intimée à faire une enquête approfondie afin d’identifier le propriétaire d’un chien, lorsque ce propriétaire ne se manifeste pas et que son identité n’est pas connue. Des vérifications peuvent toutefois être faites, qui ne l’ont pas été ici.
[65] Jugement de première instance, note infrap. 10 (reproduite supra, paragr. [35], p. 13-14).
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