Bilodeau c. Gestion Immeubles CC et Fils | 2023 QCTAL 30858 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Québec | ||||||
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No dossier : | 718255 18 20230627 G | No demande : | 3951464 | |||
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Date : | 10 octobre 2023 | |||||
Devant la juge administrative : | Sophie Lafleur | |||||
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Mélissa Bilodeau |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Gestion immeubles CC et fils |
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Locateur - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Par une demande introduite le 27 juin 2023, la locataire demande d’avoir accès au logement numéro 4 au loyer mensuel convenu de 615 $, tel que convenu avec la locatrice. Elle réclame également le remboursement des frais.
CONTEXTE
[2] Les parties sont liées par un bail initial du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 dont le loyer mensuel était de 570 $ (Pièce L-1), lequel fut reconduit par la suite.
[3] Le 20 février 2023, les parties signent une entente de modification au bail, prévoyant qu’à partir du 1er avril 2023, la locataire sera transférée du logement numéro 1 au logement numéro 4, dont le coût du loyer mensuel est convenu à 615 $ (Pièce L-2).
[4] Le logement numéro 1 est situé dans un demi-sous-sol alors que le logement numéro 4 est situé à un autre étage.
LA PREUVE
[5] Le Tribunal précise qu'il ne fera qu'un bref résumé des faits ci-après, mais qu'il tient compte de l’ensemble de la preuve et de tous les faits et pièces déposées au dossier.
[6] La locataire témoigne que la porte intérieure de son logement a été défoncée, faisant en sorte qu’elle est craintive pour sa sécurité depuis cet événement. Le fait qu’elle habite un logement situé au demi-sous-sol l’inquiète car elle craint qu’un intrus s’introduise chez elle, par les fenêtres.
[7] C’est dans ce contexte qu’elle discute avec la gestionnaire de la locatrice et le fils de la présidente de la locatrice, madame Doris Champagne. Le fils de madame Champagne s’occupe également de la gestion de l’immeuble. La locataire leur demande alors de pouvoir être transférée dans un autre logement de l’immeuble, afin qu’elle soit située à un niveau supérieur.
[8] Puisque la locataire occupant le logement numéro 4 devait quitter son logement le 1er avril 2023, la locataire et le fils de madame Champagne s’entendent pour qu’elle emménage dans le logement numéro 4 le 1er avril. Madame Champagne et la locataire signent donc le document L-2 le 20 février 2023.
[9] Lorsque vient le temps de déménager au logement numéro 4, madame Bilodeau apprend que le logement n’est pas disponible puisque la locataire en place est toujours à la recherche d’un logement. Une entente verbale intervint à l’effet que le logement sera libéré au plus tard le 1er juillet 2023. La locataire témoigne y avoir consenti puisqu’elle souhaitait réellement changer de logement et que dans l’intervalle, elle n’était pas sans logis, ayant toujours son logement numéro 1. La locataire a également eu cette discussion avec madame Champagne.
[10] Cependant, la locataire apprend par la suite que la locatrice a loué le logement numéro 4 à un nouveau locataire, ce logement n’étant plus disponible pour le 1er juillet 2023.
[11] Madame Champagne témoigne qu’elle n’a pas initié personnellement les discussions quant au changement de logement de la locataire ni quant à son nouveau loyer. Elle explique que cette situation a fait suite à des discussions entre la locataire, sa gestionnaire (aujourd’hui décédée) et son fils. Elle mentionne que l’entente ne lui convenait pas puisqu’elle fut mise devant le fait accompli, mais elle a tout de même signé l’entente le 20 février 2023.
[12] Questionnée par le Tribunal, elle précise qu’actuellement, il n’y a pas d’autre logement disponible dans l’immeuble mais que dans l’immeuble adjacent, un autre logement sera libéré sous peu. Elle mentionne ne pas vouloir louer ce logement à la locataire au coût du loyer indiqué à la pièce L-2.
[13] Elle explique également que la locataire a deux chiens et que le fait de déménager au logement numéro 4 ou au logement de l’immeuble adjacent n’est pas envisageable car ces logements sont situés près d’une cage d’escalier, ce qui fera aboyer les chiens, alors qu’au demi-sous-sol, il y a moins de circulation, donc moins de possibilité que les chiens aboient. Elle précise que la locataire avait ses deux chiens avant la signature de l’entente L-2.
[14] Quant à la question de sécurité, elle ajoute que cela ne change, rien peu importe l’étage où se situe le logement puisque c’est la porte intérieure du logement qui a été défoncée.
QUESTION EN LITIGE
ANALYSE
[15] D’entrée de jeu, le Tribunal rappelle que celui qui veut faire valoir un droit, doit prouver les faits au soutien de ses prétentions, et ce, de façon prépondérante. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du Tribunal.
[16] Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.
[17] Le plaideur doit donc démontrer que le fait litigieux est non seulement possible mais probable et il n’est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.
[18] Si une partie ne s’acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c’est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[1].
[19] L’article
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »
[20] À ce sujet, dans l’affaire Souci c. Gilbert Immobilier Inc.[2], le juge administratif Philippe Morisset s’exprime ainsi :
« [38] L'essence même d'un bail est la jouissance du bien loué convenu et sa délivrance.
[39] L'obligation du locateur de délivrer le logement est une obligation de « résultat ». Il ne peut s'exonérer qu'en prouvant la force majeure ou la faute d'une personne sur qui il n'a aucun contrôle.(17)
[40] Cette obligation de délivrance est une obligation de résultat similaire à celle relative en matière de vente :
« 120. Règles générales. Les règles de la vente, relatives à la contenance de l'immeuble délivré, doivent être transposées dans le louage. Le locataire a droit de recevoir toute la contenance indiquée dans le bail lorsque cela est possible, à moins qu'il soit évident que le louage a été conclu sans égard à la contenance. S'il n'est pas possible au locateur de délivrer toute la contenance, le locataire a droit à une réduction de loyer, ou la résiliation si le défaut lui cause un préjudice sérieux, ainsi que des dommages-intérêts. Ainsi, lorsque la surface effectivement mise à la disposition du locataire ne correspond pas à celle stipulée au bail (par exemple, parce que, dans celui-ci, on a calculé la surface louée en incluant les murs extérieurs du bâtiment), le loyer est réduit en proportion de la surface occupée par ces murs par rapport à la surface totale.
Comme en matière de vente, le bien délivré doit être conforme à ce qui a été convenu (forme, caractéristiques, spécifications techniques, etc.). Ainsi, le loyer sera réduit quand le locateur d'un espace situé au rez-de-chaussée et destiné à un commerce de vente au détail construit, entre la conclusion du louage et la délivrance, un escalier menant au sous-sol dont la cage, trop avancée dans le trottoir devant les lieux loués, oblige les passants à un détour et réduit ainsi la visibilité du commerce. Le bien livré doit avoir les caractéristiques prévues au bail, particulièrement quand il s'agit d'un bien de haute technicité 22. Sauf stipulation contraire, lorsque le louage porte sur un bien déterminé seulement par son espèce, le locateur n'est pas obligé de livrer un bien de la meilleure qualité possible mais il ne peut pas en livrer un de la plus mauvaise. »(18)
[Nos soulignements]
[41] Et les auteurs Lamontagne et Larochelle abondent, de façon similaire :
« Le locateur a l'obligation de délivrer le bien loué tel qu'il a été convenu ou décrit dans l'offre de contracter acceptée (art.
(Citations omises)
[21] L’entente signée par les parties et déposée sous la cote L-2 est valide et lie les parties. Il s’agit d’un contrat, tel que le stipule l’article
« 1378. Le contrat est un accord de volonté, par lequel une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres à exécuter une prestation.
Il peut être d'adhésion ou de gré à gré, synallagmatique ou unilatéral, à titre onéreux ou gratuit, commutatif ou aléatoire et à exécution instantanée ou successive; il peut aussi être de consommation. »
[22] Bien que madame Champagne témoigne qu’elle n’était pas en accord avec le contenu de l’entente, elle l’a signée librement, confirmant ainsi son accord aux termes de l’entente, l’obligeant à la respecter. En conséquence, la locatrice avait l’obligation de délivrer le logement le 1er avril 2023, tel que l’exige l’article
[23] L’obligation de délivrance du bien loué fut donc reportée au 1er juillet et à cette date, la locatrice a fait défaut de le faire. Elle ne pouvait agir ainsi. Ne respectant pas ses obligations, ceci donne ouverture au recours de la locataire, notamment demander l’exécution en nature, conformément l’article
[24] Cependant, la preuve est à l’effet que le logement n’est plus disponible au jour de l’audience. Le Tribunal ne peut donc ordonner à la locatrice de mettre le logement numéro 4 à la disposition de la locataire au loyer mensuel de 615 $. Un autre logement de même dimension est disponible dans l’immeuble adjacent, mais la représentante de la locatrice a refusé de l’offrir à la locataire au loyer mensuel de 615 $.
[25] Dans les circonstances et vu le non-respect de ses obligations par la locatrice, le Tribunal réservera les recours de la locataire en dommages-intérêts.
[26] Les arguments soulevés par madame Champagne relativement aux chiens de la locataire et à la question de la sécurité des lieux sont sans objet car le recours de la locataire est basé sur l’entente signée par les parties.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[27] REJETTE la demande de la locataire;
[28] RÉSERVE les recours de la locataire en dommages-intérêts;
[29] CONDAMNE la locatrice aux frais judiciaire de 84 $ et de notification de 23 $.
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Sophie Lafleur | ||
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Présence(s) : | la locataire le mandataire de la locatrice | ||
Date de l’audience : | 4 octobre 2023 | ||
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[1] Articles
[2] Souci c. Gilbert Immobilier Inc., 584327 18 20210820 G, 25 novembre 2021, Me Philippe Morisset j.a.
[3] RLRQ, c 1991.
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