Décision

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Décision

Frantzson c. Laplante

2021 QCTAL 16029

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

Nos dossiers :

446960 31 20190305 T

505905 31 20200205 T

No demande :

3256698

 

 

Date :

16 juin 2021

Devant la juge administrative :

Pascale McLean

 

Osias Frantzson

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Léopold Laplante

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le 5 mars 2019, le locateur dépose un recours dans lequel il réclame l’émission d’une ordonnance enjoignant au locataire de cesser de fumer le cannabis dans son logement, dans les aires communes de l’immeuble, ainsi qu’à l’extérieur. (dossier 446960)

[2]      Le 5 février 2020, le locataire dépose un recours dans lequel il demande une ordonnance enjoignant au locateur d'effectuer la réparation de la sonnette de la porte d’entrée et des dommages moraux de 2 000 $. (dossier 505905)

[3]      Le 8 décembre 2020, le locataire se fait entendre sur la demande du locateur et sur la sienne. Madame Marie-Claude Rabouin commence son témoignage, mais n’a pas le temps de le terminer. La cause est ajournée au 7 avril 2021.

[4]      À cette date, le locataire est absent et le Tribunal procède par défaut pour la fin de l’audience. Le Tribunal rend sa décision le 3 mai 2021 sur les deux recours.

[5]      Concernant le dossier 446960, le Tribunal ordonne au locataire et à tous les occupants du logement de ne pas consommer du cannabis ou ses produits dérivés par tout mode de consommation qui provoque de la fumée ou des odeurs, et ce, à l’intérieur du logement, de l’immeuble, sur les balcons ainsi que sur l’ensemble du terrain de l’immeuble.

[6]      Quant au dossier 505905, le Tribunal rejette la demande du locataire.

[7]      Le 25 mai 2021, le locataire dépose une demande de rétractation de la décision du 3 mai 2021 concernant chacun des dossiers.

[8]      Bien que le locateur ait été notifié des demandes le matin même de l’audience, il se dit prêt et demande de procéder à l’audience.


[9]      Les demandes de rétractation du locataire sont réunies pour audience et preuve commune, conformément à l'article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

[10]   Au soutien de ses demandes, le locataire allègue ne pas avoir été présent le 7 avril 2021, deuxième jour d’audience, en raison du fait qu’il a subi un accident de travail le 5 avril 2021.

[11]   En audience, il soutient que le rendez-vous obtenu auprès de son médecin de famille est fixé le jour de l'audience. Il ne pouvait donc être présent devant le Tribunal. Ensuite, il déclare spontanément avoir oublié la date d'audience.

[12]   Il allègue avoir reçu copie de la décision attaquée le 8 ou le 10 mai 2021. Il n’est pas certain.

[13]   À titre de moyen de défense sommaire à la demande initiale déposée par le locateur (dossier 446960), le locataire allègue que le locateur n’a rien à lui reprocher. Il a toujours fumé. Il ne voit pas pourquoi il dérange maintenant les autres locataires.

[14]   Quant à sa demande de réclamation en dommages moraux (dossier 505905), le locataire allègue que le locateur a pris trop temps à venir réparer la sonnette.

[15]   Madame Marie-Claude Rabouin témoigne. Elle explique que le locataire s’est blessé. Le lendemain, ils ont trouvé une clinique médicale qui lui a offert un rendez-vous le 7 avril 2021. Ainsi, ils ont complètement oublié la date d’audience.

[16]   Pour sa part, le locateur conteste la demande de rétractation. Il explique que ce n’est pas la première fois que le locataire ne se présente pas à l’audience. Il donne l’exemple du 24 janvier 2021. Il ajoute que le locataire ne respecte pas ses obligations.

Analyse et décision

[17]   Le locataire fonde ses demandes de rétractation sur les dispositions de l'article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement qui édictent :

« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.

Une partie peut également demander la rétractation d'une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s'est prononcée au-delà de la demande.

La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l'empêchement.

La demande de rétractation suspend l'exécution de la décision et interrompt le délai d'appel ou de révision jusqu'à ce que les parties aient été avisées de la décision. »

[18]   Ainsi, pour avoir droit à la rétractation, le locataire doit démontrer une des conditions prévues à cet article, le tout conformément aux règles de preuve édictées au Code civil du Québec[1].

[19]   À maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est un moyen procédural exceptionnel, car le principe de l'irrévocabilité des jugements est important. Ce principe a été réitéré par la Cour d'appel du Québec :

« Le principe de l'irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle. »[2]

[20]   L'absence d'une partie ne donne pas ouverture systématiquement à la rétractation de jugement, tel que le mentionnent les auteurs Rousseau-Houle et De Billy[3] :

« Le seul fait qu'une partie soit absente à l'audience ne lui donnera pas automatiquement droit à une demande en rétractation. En vertu de l'article 89, la partie doit motiver son absence par une cause jugée suffisante. »

[21]   Puis, pour obtenir une rétractation, le demandeur doit démontrer qu’il n'a pas été négligent dans l'exercice de ses droits.


[22]   À ce sujet, le Tribunal fait siens les propos de l'honorable Juge Louis Rochette de la Cour supérieure, dans l'affaire Mondex Import inc. c. Victorian Bottle inc.:

« Par ailleurs, en ce qui a trait à la partie elle-même, il n'y a pas d'ambiguïté, elle ne doit pas adopter un comportement négligent dans la défense de ses droits, sans quoi le principe de l'irrévocabilité des jugements pourra lui être opposé. Cela n'est que logique et en conséquence, une partie ne peut laisser cheminer une affaire judiciaire qui la concerne directement sans s'en préoccuper. Elle doit être empressée de faire valoir sa prétention et de préserver ses droits. Les règles de procédure ne peuvent être modulées pour tenir compte du laxisme d'une partie. »[4]

[23]   Dans la présente affaire, le locataire n'a pas réussi à faire la preuve de son absence pour une cause jugée suffisante. Le locataire admet avoir pris un rendez-vous chez le médecin au même moment que l’audience puisqu’il a oublié la date de cette dernière.

[24]   Le locataire, informé du recours et de la convocation, devait prendre des mesures pour s'assurer d'être présent ou de mandater une personne pour le représenter.

[25]   En outre, le fait de connaître l'existence d'un recours sans rien faire pour sauvegarder ses droits relève de la négligence.

[26]   Le locataire devait apporter tout le sérieux nécessaire à la défense de ses droits, et ce, au moment opportun.

[27]   Le Tribunal ne peut cautionner une telle négligence du locataire dans l'exercice de ses droits et malheureusement, le locataire doit en payer les conséquences.

[28]   Mais il y a plus.

[29]   Le Tribunal souligne que les moyens de défense invoqués par le locataire sont voués à l'échec. Le locataire soulève des moyens qui ont été soumis lors de l’audience du 8 décembre 2020.

[30]   Le Tribunal estime que les motifs soulevés par le demandeur relèvent de la procédure d’appel et ne peuvent donc être retenus dans une demande de rétractation.

[31]   À ce sujet, le Tribunal fait siens les propos tenus par la juge administrative Jodoin dans la décision O’Callagan c. Fattal :

« Tel qu’expliqué lors de l’audience, la demande en rétractation ne doit pas constituer un appel déguisé de la décision rendue. Le tribunal n’a pas à juger de la justesse de celle-ci ni s’interroger sur les erreurs de faits ou de droit commises puisqu’il ne s’agit pas d’un appel de la décision rendue. Il s’agit plutôt de s’interroger sur l’application de l’article 89 précité et chercher à déterminer si la partie qui en fait la demande a pu démontrer un des motifs prévus à cette disposition.

(...)

Il apparaît clair au tribunal que le locataire remet maintenant en cause la preuve soumise à l’audience en raison des conclusions de la décision. Il a donc plutôt été pris par surprise par la décision et il appert qu’ayant connu d’avance ses conclusions, il se serait préparé différemment. Il demande d’ailleurs la possibilité d’avoir une nouvelle audience pour lui permettre d’apporter des preuves additionnelles. »[5]

[32]   Au surplus, la preuve démontre que les demandes de rétractation ont été produites tardivement, le locataire n'ayant pas expliqué le délai s'étant écoulé entre le 10 mai 2021 et l'introduction de la présente demande.

[33]   Pour l’ensemble de ces motifs, les demandes de rétractation doivent être rejetées.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[34]   REJETTE les demandes de rétractation du locataire dans les dossiers 446960 et 505905;


[35]   MAINTIENT la décision du 3 mai 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

Pascale McLean

 

Présence(s) :

le locataire

le locateur

Date de l’audience :  

10 juin 2021

 

 

 


 



[1] Notamment, les articles 2803 et 2804 C.c.Q.

[2] Entreprises Roger Pilon inc. et al. c. Atlantis Real Estate Co., [1980] C.A. 218.

[3] Le bail de logement: analyse de la jurisprudence, Wilson & Lafleur Ltée (1989) Montréal, p. 307.

[4] Cour supérieure 200-17-001038-983, REJB 1999-12482.

[5] O’Callagan c. Fattal [2003], j. a. Jodoin, J.L. 265.

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