Guglielmi c. Saadi | 2025 QCTAL 25330 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Montréal |
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No dossier : | 846774 31 20250127 G | No demande : | 4602399 |
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Date : | 15 juillet 2025 |
Devant le juge administratif : | Charles Rochon-Hébert |
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Giovanni Guglielmi | |
Locateur - Partie demanderesse |
c. |
Mohamed Kamal Saadi | |
Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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- Le locateur demande l'autorisation pour reprendre le logement afin de s’y loger à compter du 1er juillet 2025.
- Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025 pour un loyer mensuel de 805 $, ensuite reconduit pour un loyer mensuel de 850 $ jusqu’à la reprise ou le 30 juin 2026.
- Le locataire habite le logement depuis une dizaine d’années.
- Le 28 décembre 2024, le locateur a donné l’avis de reprise de logement au locataire qui n’y a pas répondu, d’où la présente demande déposée le 27 janvier 2025 dans le délai prescrit.
- Suivant l'article 1963 C.c.Q. :
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre ou en évincer le locataire, avec l’autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement ou en évincer le locataire pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins et, lorsqu’il s’agit d’une éviction, que la loi permet de subdiviser le logement, de l’agrandir ou d’en changer l’affectation. »
- Le logement concerné de trois pièces et demie est situé au rez-de-chaussée d’un immeuble comprenant cinq logements répartis sur trois étages.
- Le locateur est, avec son épouse, seul propriétaire de l’immeuble depuis sa construction dans les années 1970 environ et il habite depuis le logement de six pièces et demie situé au deuxième niveau.
- Le locateur habite seul son logement depuis que son épouse vit dans un établissement adapté à ses besoins.
- Âgé de 91 ans, le locateur peine de plus en plus à gravir les marches pour se rendre à son logement, ce qui le motive à demander la reprise de l’un des logements du rez‑de‑chaussée. De plus, il n’a pas besoin de tout cet espace requérant de l’entretien et de l’aide de sa fille.
- L’autre logement du rez-de-chaussée est de même superficie que le logement concerné, mais le locateur préfère ce dernier puisqu’il est contigu au garage où il bricole. Si la Ville lui permet, il compte faire une nouvelle porte pour y accéder directement.
- À tout événement, l’autre logement est loué et ne sera pas vacant à la date prévue pour la reprise.
- Après la reprise, le locateur compte subdiviser en deux le logement qu’il occupe présentement. Si le tout est légalement impossible, il le louera tel quel.
- Le locateur possède d’autres immeubles à revenus, mais la preuve ne fait pas état d’un logement, dont l’accès peut se faire sans gravir d’escaliers, qui serait devenu vacant depuis l’avis de reprise.
- Avant de transmettre l’avis de reprise, le locateur a tenté pendant quelques jours l’expérience de vivre en résidence pour personnes âgées, mais il n’a pas aimé son expérience.
- Il préfère donc reprendre le logement concerné pour y vivre tant que sa santé lui permet.
- Le locataire conteste la demande de reprise de logement principalement en raison des difficultés anticipées pour se reloger à des conditions similaires et du fait qu’il soit attaché à son logement et au quartier. Il est très stressé depuis la réception de l’avis de reprise de logement.
- Lors de la reprise d'un logement par le locateur, deux droits importants se rencontrent et s'opposent. Le droit du propriétaire d'un bien de jouir de celui-ci comme bon lui semble et le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ce droit du locataire que le législateur impose des conditions au locateur.
- L'ensemble de la preuve ne permet cependant pas de conclure que le locateur cherche illégalement à évincer le locataire pour des raisons autres que celles exprimées dans l’avis et à l’audience de façon crédible.
- Il n’existe pas d’éléments qui permettraient de croire que la reprise de logement est un prétexte pour arriver à d’autres fins.
- Le locataire estime que le locateur exagère ses limitations fonctionnelles, mais il est manifeste, même sans preuve médicale, que les escaliers pour se rendre à son logement constituent un obstacle pour un homme de 91 ans se déplaçant avec une canne et dont l’état n’est susceptible que de se détériorer avec le temps.
- L’avocate du locataire soutient que vu son âge, le locateur pourrait n’habiter le logement que pendant quelques années et que de ce fait il ne rencontre pas le critère de permanence requis.
- Le Tribunal n’est pas de cet avis. Le projet du locateur est pour une durée indéterminée et il tente clairement de vivre pendant plusieurs années dans l’immeuble qu’il occupe depuis plus d’un demi-siècle.
- Le locateur a certainement l’intention d’y vivre encore pendant des années et rien ne permet de croire à une détérioration éventuelle de son état à court terme. Le locateur est d’ailleurs encore actif dans ses activités quotidiennes et son permis de conduire est encore valide.
- Le locateur a un besoin réel d’un logement au rez-de-chaussée pour continuer à vivre dans son environnement actuel.
- Enfin, le locateur a exprimé sans raison à l’audience que le locataire paierait fréquemment son loyer en retard, mais cette plainte à elle seule ne permet pas de faire un quelconque lien avec la demande de reprise de logement.
- Le Tribunal considère donc que le locateur respecte les prescriptions et les exigences de la loi quant à son intention de reprendre le logement pour s’y loger, et ce, pour les années à venir.
- Le Tribunal autorisera donc la reprise du logement.
- Quant à la date de reprise, le locataire demande, comme le permet l’article 1961 C.c.Q., à ce que celle-ci soit postérieure au 1er juillet 2025, à savoir au 1er janvier 2026. Le locataire justifie sa demande par le manque de logements abordables sur le marché et le fait qu’il a la possibilité sérieuse de se voir céder le bail d’une connaissance à compter du 1er janvier 2026.
- Le locateur estime cette demande trop lointaine, mais il accepte que le locataire puisse résilier le bail avant son terme en lui donnant un simple préavis écrit, auquel cas il sera libéré du loyer payable postérieurement à son départ au prorata des jours d’occupation.
- En cette matière, le Tribunal use de sa discrétion en tenant compte de la balance des inconvénients et de la date de la présente décision, fixe la date de reprise au 1er janvier 2026.
- L'article 1967 C.c.Q. prescrit que :
« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »
- Le locataire a le droit de se voir compenser pour la perte de son droit au maintien dans les lieux. Cependant, le locateur n'a pas à être pénalisé pour l'exercice d'un droit tout à fait légitime.
- Le locataire réclame 4 000 $ et le locateur offre seulement 500 $, ce qui est nettement insuffisant pour se payer les services de déménageur professionnel et les frais de rebranchement des services et le suivi du courrier postal.
- Considérant notamment la superficie du logement, l’âge du locataire, la durée de l’occupation et le fait que le locataire n’aura pas à déménager autour du 1er juillet alors que les frais sont notoirement plus élevés qu’à tout autre moment, le Tribunal accorde une indemnité de 3 000 $.
- À titre d'information aux parties, il convient d'ajouter que l'article 1968 du Code civil du Québec prévoit un recours en faveur du locataire en dommages et intérêts et même en dommages punitifs si la reprise de logement est obtenue par mauvaise foi.
- De plus, l'article 1970 du Code civil du Québec précise qu'un logement qui fait l'objet d'une reprise ne peut, sans l'autorisation du Tribunal administratif du logement, être reloué ou utilisé pour une autre fin que celle pour laquelle le droit a été exercé.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- AUTORISE le locateur à reprendre possession du logement concerné afin de s’y loger à compter du 1er janvier 2026;
- ORDONNE au locataire de quitter le logement au plus tard le 1er janvier 2026 et à défaut ORDONNE l’expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;
- PREND ACTE de l’engagement du locateur à permettre au locataire de résilier son bail par anticipation par un avis écrit et de le libérer du loyer subséquent à son départ au prorata des jours d’occupation;
- CONDAMNE le locateur à payer au locataire la somme de 3 000 $.
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| Charles Rochon-Hébert |
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Présence(s) : | le locateur le locataire Me Kimmyanne Brown, avocate du locataire |
Date de l’audience : | 9 juillet 2025 |
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