Barsemian c. Sayad |
2019 QCRDL 16307 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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Nos dossiers : |
267009 31 20160317 T 288093 31 20160722 T |
No demande : |
2720677 |
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Date : |
15 mai 2019 |
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Régisseure : |
Manon Talbot, juge administrative |
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Satenik Barsemian |
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Locatrice - Partie demanderesse |
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c. |
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Naima Sayad |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] La locatrice demande la rétractation d'une décision rendue le 7 mars 2019 à la suite d’une audience tenue le 2 novembre 2018 en sa présence.
[2] Cette décision résulte d'une réunion des demandes de la locataire et de la locatrice. La décision contestée accueille en partie la demande de la locataire et condamne la locatrice à lui payer des dommages pour une somme de 12 850 $. Quant à la demande de la locatrice pour être autorisée à relouer le logement, celle-ci est rejetée.
[3] À sa procédure, la locatrice allègue ce qui suit :
« Le régisseur s’est prononcé au-delà de la demande soit plus précisément, (paragraphe 23) le montant accordé de 350 $ pour les frais de transport, n’existe pas de facture présentée dans le dossier, la demanderesse demande de rétracter ce montant.
La demanderesse demande que le régisseur se prononce concernant le trouble et inconvénient causé à elle pour le temps d’attente que l’appartement n’a pas été loué. »
[4] À l’audience devant la soussignée, la locatrice assistée de sa fille, se plaint essentiellement du comportement du juge dans sa gestion d'instance, son analyse du dossier et ses conclusions écrites qu’elle considère injustes et erronées.
[5] Elle soulève plus particulièrement avoir été privée de son droit d'être entendue avec impartialité par le juge administratif, lequel a adopté une attitude favorisant les interventions de la procureure de la partie adverse à son détriment et en faisant droit à des éléments de preuve non admissibles ou non pertinents.
[6] La locatrice invoque aussi que le juge administratif a accordé une somme de 350 $ à la locataire sans preuve au soutien de cette réclamation. Il s’est donc prononcé au-delà de la demande, justifiant ainsi la rétractation de la décision.
[7] Finalement, la locatrice soulève son impression que son témoignage a été ignoré et que la décision ne tient pas compte de l’ensemble de sa preuve.
[9] Les prétentions de l'avocat de la locataire se résument ainsi :
· Un amendement a été produit au dossier pour réclamer les frais de transport de 350 $ et le juge y fait référence au paragraphe 23 de la décision. Le juge ne s’est donc pas prononcé au-delà de la demande de la locataire;
· La locatrice était représentée par avocat à l’audience;
· Les motifs invoqués ne relèvent pas d'une requête en rétractation.
ANALYSE ET DÉCISION
[10] Le recours de la locataire se fonde sur l'article 89 de la Loi sur la Régie du logement[1](Loi) qui stipule ce qui suit :
89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.
Une partie peut également demander la rétractation d'une décision lorsque la Régie a omis de statuer sur une partie de la demande ou s'est prononcée au-delà de la demande.
La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l'empêchement.
La demande de rétractation suspend l'exécution de la décision et interrompt le délai d'appel ou de révision jusqu'à ce que les parties aient été avisées de la décision.
[11] À maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est un moyen procédural exceptionnel, car le principe de l'irrévocabilité des jugements est important. Ce principe a été réitéré par la Cour d'appel du Québec :
« Le principe de l'irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle. »[2]
[12] Il importe de souligner qu'il n'appartient pas à un décideur siégeant en rétractation de se prononcer sur les décisions prises par un collègue dans le cadre du déroulement de l'audience et l'administration de la preuve[3].
[13] En l'instance, la locatrice conteste les décisions interlocutoires sur l’admissibilité des éléments de preuve par le juge saisi de l'affaire. Or, ces décisions relèvent de l'entière discrétion du juge qui préside les débats.
[14] Il est aussi utile de mentionner que la locatrice était représentée par avocat lors de l’audience le 2 novembre 2018.
[15] Il n’appartient pas non plus au juge administratif saisi d’une demande de rétractation d'apprécier et de réviser la décision motivée d’un collègue.
[16] Il est de jurisprudence constante de ce Tribunal que les motifs de rétractation ne doivent pas être confondus avec l'appel de la décision. À cet effet, la juge administrative Francine Jodoin dans la cause O'Callagan c. Fattal[4] exprime ce qui suit :
« Tel qu'expliqué lors de l'audience, la demande en rétractation ne doit pas constituer un appel déguisé de la décision rendue. Le tribunal n'a pas à juger de la justesse de celle-ci ni s'interroger sur les erreurs de faits ou de droit commises puisqu'il ne s'agit pas d'un appel de la décision rendue. Il s'agit plutôt de s'interroger sur l'application de l'article 89 précité et chercher à déterminer si la partie qui en fait la demande a pu démontrer un des motifs prévus à cette disposition.
[...]
Il apparaît clair au tribunal que le locataire remet maintenant en cause la preuve soumise à l'audience en raison des conclusions de la décision. Il a donc plutôt été pris par surprise par la décision et il appert qu'ayant connu d'avance ses conclusions, il se serait préparé différemment. Il demande d'ailleurs la possibilité d'avoir une nouvelle audience pour lui permettre d'apporter des preuves additionnelles. »
[17] Par ailleurs, en ce qui concerne les allégations d'impartialité du juge administratif, non seulement la demande de la locatrice n'en fait pas mention, mais la procédure en rétractation ne vise pas les cas allégués d'impartialité.
[19] La Cour du Québec, sous la plume du juge Scott Hugues, rejette une permission d'appeler d'une décision de la Régie du logement et rappelle les enseignements de la Cour suprême en cette matière comme suit :
« [19] De même, la Régie n'était pas tenue de répondre par le menu détail [6]
[16] Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l'analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n'est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C »S. 382, p. 391). En d'autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. »[5]
[21] En l'instance, il est manifeste que la locatrice est insatisfaite de la décision rendue. Force est de conclure que les éléments dénoncés par celle-ci ne constituent pas des motifs de rétractation, mais bien des motifs d'appel, recours qui ne doivent pas être confondus.
[22] Par conséquent, le Tribunal conclut que la demande de rétractation ne satisfait pas les conditions spécifiées à l'article 89 de la Loi et la rejette.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[23] REJETTE la demande de la locatrice qui en assume les frais;
[24] MAINTIENT la décision rendue le 7 mars 2019.
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Manon Talbot |
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Présence(s) : |
la locatrice la locataire Me Jean-François Rousseau, avocat de la locataire |
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Date de l’audience : |
9 avril 2019 |
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[1] RLRQ, c. R-8.1.
[2] Entreprises Roger Pilon inc. et al.
c. Atlantis Real Estate Co.,
[3] Ferrarelli c. Leclerc, C.A. #500-09-001523-794; Burke c. Narrainen, (1989).
[4] Adam O'Callagan c. Salim Fattal
[5] Les
Habitations les II volets inc. c. Michel
Pépin,
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