Décision

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Gabarit EDJ

Envac Systèmes Canada inc. c. Montréal (Ville de)

2016 QCCS 1931

JG2551

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-091831-159

 

 

 

DATE :

 28 avril 2016

_____________________________________________________________________­­_

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

LUKASZ GRANOSIK, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

ENVAC SYSTÈMES CANADA INC.

 

Demanderesse

 

 c.

 

VILLE DE MONTRÉAL

 

et

 

SOCIÉTÉ AGIL OBNL

 

Défenderesses

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Révision d'une décision du Greffier spécial)

______________________________________________________________________

 

[1]          Ce jugement a pour objet l'interprétation de l'article 169 du Code de procédure civile (C.p.c.). La Ville de Montréal (Montréal) reproche au Greffier spécial, ayant rendu la décision[1] sur sa demande de précisions, d'avoir continué d'appliquer les principes - dorénavant dépassés - développés sous l'ancien C.p.c.[2]

[2]          Envac Systèmes Canada Inc. (Envac) poursuit Montréal et la Société AGIL OBNL pour services rendus pour un montant de près de 500 000 $. Au soutien de son recours, Envac produit une facture d'une page, avec trois postes seulement, indiquant ce qui suit au niveau des montants à payer:

Description:

Travaux effectués: décembre 2010 et juin 2011                 171 853,00 $

Valeurs des matériaux sur le site                                          226 111,00 $

Frais de déplacement des matériaux                                       5 289 00 $

HISTORIQUE JUDICIAIRE

[3]          Montréal présente dès la signification de la Requête introductive d'instance (RII)[3], une requête pour précisions et production de documents fondée sur les articles 166 et 169 C.p.c. Par cette procédure, elle souhaite essentiellement obtenir les bons de commande, les dates de livraison ou installation de matériaux et de fourniture des services, les factures, les contrats et autres écrits, tous mentionnés explicitement ou implicitement dans la RII. Envac refuse de les fournir et conteste le bien-fondé de cette demande.

[4]          Le Greffier spécial donne raison à Envac pour l'essentiel et n'ordonne que la production des bons de commande mentionnés à un sous-paragraphe spécifique de la RII. Il refuse aussi de suspendre l'audience dans l'intervalle. Il motive sa décision en analysant tout d'abord les principes applicables comme suit:

[6]           Si à la suite de l’article 20 n.C.p.c. le législateur a pris la peine de prévoir, à des étapes différentes de la procédure civile, des moyens distincts pour une partie d’obtenir de l’information spécifique à l’égard des faits sur lesquels une autre partie fonde ses prétentions ou d’éléments de preuve que cette dernière entend produire, ce n’est pas pour qu'on vienne par la suite banaliser et confondre l’objet de chacune de ces étapes au nom du principe directeur dont cet article 20 fait la promotion.

[7]           Ainsi, le n.C.p.c. n’autorise pas à l’étape des moyens préliminaires que — par l’entremise d’une demande de précisions sur des allégations de la demande ou de la défense ou d’une demande de communication de document — de l’information sur tous les faits pertinents au litige ou les éléments de preuve qui les soutiennent puisse être obtenue, ce qui relève plutôt de l’interrogatoire préalable à l’instruction.

[8]           Puisqu’à l’instar de l’ancien Code de procédure civile (ci-après « a.C.p.c. »), le n.C.p.c. maintient la distinction entre la demande de précisions et l’interrogatoire préalable, il y a lieu de conclure — en l’absence d‘une jurisprudence à l’effet contraire ou d’une mention explicite dans les Commentaires de la ministre de la Justice voulant que le droit antérieur ne soit pas repris à cet égard — à la continuité de l’application de l’arrêt Giroux c. Truchon et des corolaires jurisprudentiels qui en ont découlé.

[5]          Ensuite, il motive le refus de la demande de Montréal, en abordant les notions de « pièce », « document » et « procédure », et conclut à ce sujet:

[11]        La modification apportée au texte de l’article 168 (8) a.C.p.c. maintenant devenu 169 al. 2 n.C.p.c. ne se limite pas au retrait de l’expression « que ce dernier entend invoquer lors de l’audience », mais plutôt au remplacement de l’expression « une pièce que ce dernier entend invoquer lors de l’audience » par uniquement le terme « document ». (soulignement du soussigné)

[12]        Le terme « document » n’est pas explicitement défini dans le n.C.p.c. La lecture de ce dernier, et plus précisément des extraits cités au paragraphe [5] du présent jugement, permet d’affirmer qu’un document n’est qu’un élément de preuve parmi tant d’autres catégorisés comme une pièce.

[13]        Le fait que le législateur recourt à l’expression « une autre partie entend invoquer une pièce » au deuxième alinéa de l’article 246 n.C.p.c. et prévoit à ce même article le mécanisme procédural pour obtenir une copie de cette pièce ou y avoir accès, donne plutôt à penser que le législateur a retiré, à l’étape des moyens préliminaires, le droit pour une partie d’obtenir la communication d’une pièce que l’autre partie entend invoquer pour que ce droit soit dorénavant exercé uniquement à l’étape de la constitution et la communication de la preuve avant l’instruction (anciennement l’étape de l’administration de la preuve et audition).

[14]        Cette distinction entre un document et une pièce, voulant que la dernière englobe la première, n’est pas nouvelle. Dans l’arrêt Mahtani c. Legault, la Cour d’appel fait ressortir « que le mot pièce s’étend aussi bien à un élément matériel de preuve qu’à un document ». Paradoxalement, cet arrêt fait l’analyse des modifications occasionnées par l’entrée en vigueur le 1er octobre 1995 de la Loi modifiant le Code de procédure civile alors que le terme « pièce » vient prendre la place du terme « document » jusqu’alors utilisé. Elle y conclut, en quelque sorte, à l’élargissement du pouvoir du tribunal que lui conférait à l'époque l'article 168 (8) a.C.p.c.

[15]        Puisque le terme « document » n’a pas une portée aussi grande que l’expression « pièce que ce dernier entend invoquer lors de l’audience » et que le n.C.p.c. ne définit pas précisément ce qu’est un document, il ne serait pas déraisonnable de conclure dans ces circonstances que le document auquel réfère le législateur au deuxième alinéa de l’article 169 n.C.p.c. soit nul autre, à l’étape des moyens préliminaires, que le document notifié en vertu de l’article 114 n.C.p.c.

[16]        Il n’y a qu’un pas à franchir avant de donner une interprétation aussi restrictive au terme « document » contenu au deuxième alinéa de l’article 169 n.C.p.c. Cependant, en l’absence d’une intention claire à cet effet dans les Commentaires de la ministre de la Justice ou d’une jurisprudence confirmant une telle interprétation restrictive, le soussigné n’entend pas franchir ce pas.

[17]        Devant les interprétations multiples qui peuvent être données aux modifications introduites par le deuxième alinéa de l’article 169 n.C.p.c. et la confusion qui peut découler du fait qu’un document dans le n.C.p.c. soit tantôt un acte de procédure et tantôt une pièce et en l’absence d’une jurisprudence à l’effet contraire, le soussigné est d’avis de continuer d’appliquer — en ce qui concerne les documents qui peuvent faire l’objet d’une communication à l’étape des moyens préliminaires — les règles du droit antérieur dictées par l’arrêt Mahtani c. Legault et les corollaires jurisprudentiels qui en ont découlé.

                                                                                                  (Références omises)

[6]          Enfin, il qualifie la plupart des demandes de Montréal de demandes de précisions au sujet de faits secondaires ou alors portant sur des éléments non nécessaires pour la préparation de la défense. En application de ses constats portant sur l'interprétation du C.p.c. et sur la continuité du droit antérieur dans le domaine sous étude, il refuse d'en ordonner la communication.

POSITIONS DES PARTIES

[7]          Montréal se pourvoit en révision de cette décision et réitère les mêmes arguments que ceux présentés initialement devant le Greffier spécial. Elle invoque le changement de philosophie qui accompagne la promulgation du nouveau C.p.c., tel qu'articulé notamment dans ses Principes directeurs. Elle ajoute au surplus que l'interprétation de la notion de « pièce » et de la nécessité de sa production prévisible, tout comme du mot « document » par le Greffier spécial est indûment restrictive et n'a pas sa raison d'être.

[8]          Envac soutient la décision du Greffier spécial, tout en déplorant le retard que la demande de précisions et la procédure de révision entraînent sur le déroulement du dossier[4].

ANALYSE ET DÉCISION

La législation

[9]         La législation pertinente se retrouve au C.p.c. aux articles suivants:

20.   Les parties se doivent de coopérer notamment en s'informant mutuellement, en tout temps, des faits et des éléments susceptibles de favoriser un débat loyal et en s'assurant de préserver les éléments de preuve pertinents.

Elles doivent notamment, au temps prévu par le Code ou le protocole de l'instance, s'informer des faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et des éléments de preuve qu'elles entendent produire. 

114.  La partie qui a notifié un document est tenue, sur demande, de laisser une autre partie prendre communication de l'original ou du document qu'elle-même détient. Si elle refuse ou néglige de le faire, l'autre partie peut demander au tribunal d'ordonner cette communication dans un délai qu'il fixe. 

169(2).  [Une partie] peut aussi demander au tribunal d'ordonner à une autre partie de fournir des précisions sur des allégations de la demande ou de la défense ou de lui communiquer un document, ou encore de procéder à la radiation d'allégations non pertinentes.

221(1).  L'interrogatoire préalable à l'instruction, qu'il soit écrit ou oral, peut porter sur tous les faits pertinents se rapportant au litige et aux éléments de preuve qui les soutiennent; il peut également avoir pour objet la communication d'un document. Il ne peut être fait que s'il a été prévu dans le protocole de l'instance, notamment quant aux conditions, au nombre et à la durée des interrogatoires. 

246(2).  Si le protocole ne prévoit ni modalités ni délai ou lorsqu'aucun protocole n'est requis, une partie peut, sans formalités, dès qu'elle est informée qu'une autre partie entend invoquer une pièce ou un autre élément de preuve, demander d'en obtenir copie ou d'y avoir autrement accès. Si sa demande n'est pas satisfaite dans les 10 jours, le tribunal peut rendre les ordonnances appropriées. 

 

 

Les autorités

[10]        Les parties n'ont soumis aucune décision pertinente portant sur l'article 169 C.p.c. ni sur les demandes de précisions et production de documents rendue depuis l'entrée en vigueur du C.p.c.[5] Cependant, Montréal cite Le grand collectif : Code de procédure civile : commentaires et annotations[6], dans lequel le commentaire au sujet de l’article 169 C.p.c. indique:

Les parties peuvent demander au juge d’ordonner la communication d’un document. C’est un pouvoir élargi puisque l’article 169 ne reprend pas l’exigence de l’article 168(8) a.C.p.c. selon laquelle il doit s’agir d’une pièce que le demandeur entend invoquer lors de l’audience.

[11]        Le Greffier spécial a pris note de ce commentaire mais l'avait écarté en spécifiant:

[10]        Avec égards, le soussigné n’adhère pas à l'opinion exprimée par cet auteur. Pour tirer un argument d’une modification que le législateur apporte à un texte de loi, il faut tenir compte de cette modification en totalité et non seulement, en partie. La nuance peut être importante puisque, comme on va le voir dans le présent cas, le pouvoir conféré au deuxième alinéa de l’article 169 n.C.p.c. ne s’en trouve pas élargi, mais potentiellement restreint.

[11]        La modification apportée au texte de l’article 168 (8) a.C.p.c. maintenant devenu 169 al. 2 n.C.p.c. ne se limite pas au retrait de l’expression « que ce dernier entend invoquer lors de l’audience », mais plutôt au remplacement de l’expression « une pièce que ce dernier entend invoquer lors de l’audience » par uniquement le terme « document ». (soulignement du soussigné)

[12]        Par ailleurs, dans leur Précis de procédure civile du Québec[7], le juge Emery et le professeur Ferland mentionnent au sujet de la divulgation de la preuve:

1-1256 - Le nouveau Code favorise, en vue d’un débat loyal, la transparence et la divulgation des éléments factuels et des éléments de preuve à l’étape préjudiciaire et en tout temps en cours d’instance (art. 2, 20), notamment dès la première conférence de gestion. Ces principes directeurs favorisent la divulgation la plus complète et hâtive des éléments factuels et des éléments de preuve que les parties entendent produire, conformément à l’enseignement de la Cour suprême qui soulignait déjà il y a plus de 20 ans : (…)

[13]        En commentant les autorités ayant établi le droit applicable avant l'entrée en vigueur du C.p.c. et citées[8] par le Greffier spécial, ils soulignent:

1-1264 - Cette jurisprudence classique est susceptible d’être reconsidérée à la lumière des nouveaux principes du devoir de coopération, de bonne foi, de transparence et de divulgation de l’information des parties, concernant les faits et les moyens de preuve, à l’étape préjudiciaire (art. 2) et, en tout temps à l’étape judiciaire, afin d’assurer un débat loyal (art. 20). (…)

[14]        Enfin, ils notent au sujet de la production de documents que le C.p.c. entraînera une communication accrue entre les parties:

1-1267 - Une partie peut aussi demander au tribunal d’ordonner à une autre partie de lui communiquer un document (art. 20, 169, al. 2).

1-1268 - Cette disposition doit également être interprétée et appliquée en corrélation avec les articles 2 et 20 C.p.c. imposant aux parties un devoir de transparence, de bonne foi, en favorisant la divulgation la plus complète et hâtive des informations factuelles et des éléments de preuve, dans le cadre d’un débat judiciaire loyal, à l’opposé du combat judiciaire et du procès par embuscade.

1-1269 - Cette disposition du nouveau Code est ainsi susceptible de donner ouverture à une divulgation plus large et complète, notamment dès la négociation du protocole de l’instance ou la première conférence de gestion en début d’instance, des informations factuelles et des éléments de preuve qu’une partie entend produire.

[15]        Afin de bien cerner l'évolution de l'état de la situation dans ce domaine, le Tribunal estime opportun de rapporter aussi le Mot de la Ministre accompagnant l'entrée en vigueur du C.p.c.:

Outre la modernisation, l’enjeu le plus important de cette réforme est, comme le recommandait le Comité de révision de la procédure civile dans son rapport de 2001, d’arriver à insuffler un changement de culture chez tous les intervenants et utilisateurs du système judiciaire civil, de façon à ce que les citoyens puissent avoir accès à la justice dans des délais plus courts et surtout à un coût moindre. C’est dans cette perspective que la disposition préliminaire a été adoptée. Elle constitue la véritable pierre d’assise du nouveau code en affirmant la volonté du législateur d’assurer l’accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile; l’application juste, simple, proportionnée et économique de la procédure; l’exercice des droits des parties dans un esprit de coopération et d’équilibre; et le respect des personnes qui apportent leur concours à la justice.

(…)

-Il énonce un devoir de coopération entre les parties et, en application de celui-ci, il prévoit des règles sur la communication de la preuve qui obligent les parties à faire montre d’ouverture et à s’informer mutuellement et il fixe des délais pour ce faire;

(…)

Pour atteindre ces objectifs, le nouveau code exige des changements de comportement importants afin qu’une nouvelle culture judiciaire, souhaitée depuis plus d’une décennie, s’installe. Cela nécessitera la collaboration étroite de tous les intervenants du milieu judiciaire, juges, avocats, notaires, huissiers, greffiers.

[16]        Il n'est pas sans intérêt de rappeler que l'on retrouve les considérations analogues dans la Disposition préliminaire du C.p.c.:

Le Code vise à permettre, dans l’intérêt public, la prévention et le règlement des différends et des litiges, par des procédés adéquats, efficients, empreints d’esprit de justice et favorisant la participation des personnes. Il vise également à assurer l’accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile, l’application juste, simple, proportionnée et économique de la procédure et l’exercice des droits des parties dans un esprit de coopération et d’équilibre, ainsi que le respect des personnes qui apportent leur concours à la justice.

[17]        Enfin, plus particulièrement au sujet de l'article 169(2) C.p.c., le Tribunal bénéficie des commentaires suivants de la Ministre[9]:

Le deuxième alinéa résume sommairement l’essence même de la procédure qui est de permettre, dans l’intérêt public et de manière à préserver la paix sociale, le règlement des différends et des litiges, qu’ils soient interpersonnels ou collectifs comme en matière d’action collective ou encore sociétaux s’ils visent à préciser ou à fixer un principe juridique ou l’application d’une loi publique. Il reconnaît également que la procédure est faite au bénéfice des personnes qui sont parties à un différend ou à un litige et qu’il convient donc de favoriser leur participation à l’administration de la justice.

Cet alinéa exprime en outre les préoccupations législatives en matière procédurale et énonce les objectifs de la procédure dans notre société: l’accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile ainsi que son application juste, simple, proportionnée et économique. Ces objectifs traduisent les trois dimensions intrinsèques à la procédure: la qualité de la décision, le temps nécessaire pour qu’elle soit rendue et le coût qu’il faut payer pour l’obtenir. Ces trois dimensions sont aussi liées au fait que la qualité de la décision s’appuie sur son caractère juste, que la célérité est tributaire de la simplicité de la procédure et que l’accessibilité repose sur son économie générale et sur le respect du principe de la proportionnalité. Enfin, cet alinéa indique également que, pour assurer les finalités de la justice civile, il importe d’agir dans un esprit d’équilibre et de coopération, et surtout dans le respect des personnes qui participent à l’administration de la justice, dont les témoins.

La norme de contrôle

[18]        La demande de révision est fondée sur l'article 74 C.p.c. Cet article reprend le droit antérieur[10]. Le juge Samson résume la cadre d'intervention du juge siégeant en révision dans le jugement Castonguay[11]:

[15]   Quelle est la norme de contrôle eu égard à une décision rendue par le greffier spécial?

[16]     Dans le jugement Page Etransaction Services GMBH c. Fayer, Madame la juge Lebel qualifie ce recours d'appel:

[21]   À cet égard, il semblerait qu'il ne s'agit pas ici d'un cas de révision judiciaire, mais tout simplement d'un appel pur et simple prévu par l'art. 42 C.p.c.. La décision du Greffier spécial mérite certainement une certaine déférence mais l'art. 42 C.p.c. prévoit expressément un droit d'appel.

[17]     Le Tribunal hésite un peu à utiliser cette expression; il préfère davantage l'expression « révision ».

[18]     Dès lors que le mot « révision » constitue une assise à une procédure, comme c'est le cas pour le même type de recours prévu à l'article 846 C.p.c., cela mérite déférence.

[19]     Dans l'arrêt Ameublement de bureau Focus c. Fontaine, Monsieur le juge André Roy écrit qu'à « l’égard du jugement de la greffière spéciale, la norme de contrôle applicable aux pures questions de droit est celle de la décision correcte alors que celle applicable aux conclusions de fait est l’erreur manifeste et dominante».

[20]     Dans l'arrêt 9202-0767 Québec inc. c. Prêtres de St-Sulpice de Montréal, Monsieur le juge de Grandpré, appelé à réviser la décision du Greffier spécial qui a autorisé la demanderesse à amender des allégations et des conclusions de la requête introductive d'instance, écrit:

[6]     À moins que la décision attaquée ne résulte d'une interprétation erronée de la loi ou qu'elle ne tienne pas compte des faits présentés, le Tribunal n'a pas à intervenir. Autrement dit, si la décision du greffier spécial est correcte, la requête doit être rejetée.

[21]     Le Tribunal retient qu'aujourd'hui, en regard de la règle de droit applicable, la norme est celle de la décision correcte et que si le greffier a interprété des faits, on doit alors appliquer la norme de la décision raisonnable, telles que définies dans l'arrêt Dunsmuir (…).

(Références omises)

[19]        En application de ce précédent et des autorités y citées, le Tribunal doit étudier la décision du Greffier spécial selon la norme de la décision correcte, car il s'agit d'interpréter le C.p.c. et donc, d'une pure question de droit.

L'analyse

[20]        Le cadre d'intervention étant établi et les autorités et commentaires pertinents rapportés, il y a lieu d'analyser la décision dont Montréal demande la révision. Le développement y effectué frappe par le souci du détail et par la recherche de l'intention du législateur. Cependant, le Greffier spécial fait défaut d'appliquer la méthode moderne d'interprétation et se limite à la méthode littérale, afin d'adjuger de la demande de Montréal. Il omet surtout de prendre en considération le changement de paradigme accompagnant la mise en œuvre de la nouvelle procédure civile.

[21]        Selon la méthode moderne d'interprétation[12], il faut lire « les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »[13].

[22]        En application de ce principe, le Tribunal est d'avis que tous les commentaires cités ci-dessus et qui traduisent le contexte législatif et l'intention du législateur, aiguillent les justiciables et les décideurs vers une seule issue: celle de la transparence, de la collaboration et de la divulgation mutuelle de tous les éléments pertinents au débat.

[23]        Le Tribunal considère qu'il n'est plus nécessaire dorénavant en cette matière de se limiter aux informations principales par rapport aux précisions secondaires. Il n'est plus question non plus pour la partie qui souhaite obtenir des précisions ou des documents, d'invoquer qu'elle a en besoin pour rédiger ses procédures et nier, ignorer ou admettre les allégations présentées par l'adversaire, afin d'avoir droit aux précisions ou documents. D'ailleurs, même avant l'entrée en vigueur du C.p.c., le Guide des meilleures pratiques du Barreau du Québec[14] préconisait déjà la communication des pièces ou autres documents, dans le cadre de la gestion ponctuelle de l'instance.

[24]        Le Tribunal estime enfin inadéquat de subordonner la divulgation des informations ou documents à des étapes particulières ou des moments précis de la procédure, consignées au protocole de l'instance[15]. De surcroît, les interrogatoires sont dorénavant limités tant au niveau de leur durée que de leur tenue[16]. En ce sens, la relation entre les demandes de précisions et production des documents et les interrogatoires hors cour n'est plus tout à fait la même qu'auparavant. Le Tribunal estime qu'il faut donc envisager, notamment à cause de cette nouvelle dynamique, une divulgation d'information au moyen de demandes de précisions, encore plus importante, sinon accrue, car les interrogatoires risquent d'avoir d'autres objectifs principaux.

[25]         Même en procédant à l'analyse de l'article 20 C.p.c., il ne faut pas occulter que l'expression « au temps prévu » retenue avec tant d'insistance par le Greffier spécial, est précédé de l'adverbe « notamment » et apparaît donc comme une avenue parmi d'autres, et non pas la seule, pour réaliser l'assertion du premier alinéa de cet article, lequel prescrit le dialogue judiciaire « en tout temps ».

[26]        De plus, la facture même de l'article 169 C.p.c. n'appuie pas les conclusions du Greffier spécial. Il est exact qu'il est approprié de rechercher l'intention du législateur en s'appuyant sur la loi complète et non seulement en partie du C.p.c., mais l'article en question doit avoir une signification ou une portée intrinsèque. Cette disposition doit nécessairement avoir un sens en soi, avant que l'on soit obligé de mettre à contribution d'autres articles ou sections du C.p.c.

[27]        Le Tribunal est d'avis par ailleurs qu'en distinguant « des précisions sur des allégations de la demande ou de la défense » de « de lui communiquer un document » et en séparant les deux expressions par un « ou », le législateur prévoit des réalités différentes. Le « document » n'est plus tributaire de la volonté de la partie de le produire ou non. Il doit répondre uniquement à l'exigence de la pertinence dans le débat. Cette interprétation se justifie tant selon la méthode littérale que selon la méthode moderne d'interprétation législative.

[28]        En conclusion, la décision sous étude est incorrecte, car elle n'applique pas la bonne règle de droit. La révision de sa décision est nécessaire. Le Tribunal doit refaire l'exercice auquel Montréal avait convié le Greffier spécial et rendre la décision qui s'impose dans les circonstances.

[29]        En procédant à cette détermination, le Tribunal conclut que toutes les précisions et documents demandés par Montréal doivent être communiqués, à l'exception de la demande de précision portant sur le paragraphe 58 de la RII. L'écrit invoqué dans cette allégation ainsi que les factures dont la communication sera ordonnée suivant la demande de production de documents au sujet de ce même paragraphe, seront plus que suffisants pour établir les « sommes dues » y mentionnées.

[30]        Quant à toutes les autres demandes de Montréal, le Tribunal estime qu'il s'agit d'informations éminemment pertinentes pour le litige engagé entre les parties, alors que Montréal ne semble pas être tout à fait au courant ni de la justification ni de l'ampleur des travaux dont Envac lui réclame désormais les coûts.

Suspension de l'instance

[31]        Il reste la question de la gestion de l'instance, sous-jacente à une demande de précisions. Traditionnellement, la suspension s'imposait en attendant que les précisions et documents soient fournis[17] et avait souvent l'effet pratique bénéfique d'accélérer la divulgation de précisions et la remise de documents. 

[32]        Cette notion de suspension n'est pas reprise dans le C.p.c. et cela se comprend. Dans un esprit de coopération entre les parties et leurs procureurs, une telle éventualité n'est plus nécessaire. En abandonnant la logique de la confrontation, et en prenant pour acquis la communication volontaire ou collaborative des documents, il n'y a pas lieu de prévoir la suspension de l'instance sans avoir recours aux principes généraux établis à cet égard notamment aux articles 156, 158 et 173 C.p.c.

[33]        Ainsi, c'est uniquement lorsque les conditions d'application de ces dispositions seront satisfaites qu'une mesure de gestion et notamment la suspension de l'instance pourra être ordonnée. À défaut, et c'est le cas en l'occurrence dans l'état actuel du dossier, il n'y a pas lieu de réformer la détermination du Greffier spécial à ce sujet. Le protocole de l'instance suspendu au terme de l'instruction de la présente demande de révision reprendra ce jour avec les adaptations qui s'imposent, et la date de ce jugement sera substituée au 24 février 2016, soit la date prévue pour l'instruction du débat au sujet des précisions et les autres dates seront décalées en conséquence.

[34]        Aussi, compte tenu de ces modifications, le Tribunal accepte la prolongation du délai pour la mise en état du dossier, évoquée de consentement dans le protocole de l'instance. Cette prolongation de trois mois permettra de récupérer le temps consacré à l'adjudication du litige en l'occurrence.

[35]       Enfin, il y a lieu de s'écarter de la règle de la succombance au niveau du paiement de frais. Les parties n'ont pas à subir les aléas du développement du droit et les nécessaires, sinon inévitables, conséquences des litiges accompagnant la mise en œuvre d'un nouveau C.p.c.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[36]       Accueille en partie la Demande de révision;

[37]       Casse la décision du Greffier spécial du 29 mars 2016;

[38]       Ordonne à la Demanderesse Envac Systèmes Canada Inc. de fournir les précisions et les documents demandés quant aux paragraphes 47, 50, 58 et 63 de la Requête introductive d'instance, à l'exception de la demande du paragraphe 4 a) de la Requête pour demande de précisions;

[39]       ORDONNE  la reprise du Protocole d'instance, avec les adaptations nécessaires, à partir de la date de ce jugement;

[40]       PROLONGE le délai de la date de mise en état du dossier au 8 septembre 2016;

[41]       LE TOUT, sans frais de justice.

 

 

__________________________________

LUKASZ GRANOSIK, j.c.s.

 

 

Me Julien Grenier

Lapointe Rosenstein Marchand Melançon, s.e.n.c.r.l.

Procureur de la Demanderesse

 

Me Paule Biron

Dagenais, Gagnier, Biron

Procureure de la Défenderesse Ville de Montréal

 

Date d’audience :                                                                                        5 avril 2016.

 

LG/fsp



[1]     2016 QCCS 1423.

[2]     RLRQ, c. C-25.

[3]     Le recours a été entrepris avant le 1er janvier 2016, ce qui explique le vocabulaire.

[4]     Le Tribunal a suggéré, séance tenante, une solution pratique à cet argument, lequel ne manque pas d'ironie.

[5]     À l'exception d'une autre décision du même greffier spécial, rapportée à 2016 QCCS 1292, au même effet que celle dont on demande la révision.

[6]     Luc CHAMBERLAND (dir.), Le grand collectif : Code de procédure civile : commentaires et annotations, vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 813.

[7]     Denis Ferland Benoit Emery, Précis de procédure civile du Québec, 5e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015.

[8]    Mahtani c. Legault, 2000 CanLII 7708 (QC C.A.); Giroux c. Truchon, 1994 CanLII 6010 (QC C.A.); Coalition pour la protection de l'environnement du parc linéaire Petit train du Nord c. Laurentides (MRC), 2002 CanLII 30582 (QC C.S.); Gillet c. Arthur, 2005 CanLII 28765 (QC C.S.); Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) c. Société Financière Manuvie, 2012 QCCS 3422.

[9]     MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC, Commentaires de la ministre de la Justice. Code de procédure civile, chapitre C-25.01, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, art. 169, p. 150.

[10]    MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC, Commentaires de la ministre de la Justice. Code de procédure civile, chapitre C-25.01, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, art. 74, p. 81. Cf. art. 42 et 44.1 du Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.

[11]    Enlèvement de déchets Bergeron inc. c. Castonguay, 2014 QCCS 796.

[12]     Placer Dome Canada c. Ontario (Min. des Finances), 2006 CSC 20; Wilson c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicules), 2015 CSC 47; B010 c. Canada (Citoyenneté et immigration),   2015 CSC 58.

[13]    R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd., 2014), tel que cité par la Cour suprême du Canada dans B010 c. Canada (Citoyenneté et immigration), 2015 CSC 58, par. 29.

[14]     Barreau du Québec, Guide des meilleures pratiques, 5e éd., 2015, p. 20.

[15]    À ce propos, il y a lieu de souligner le 3e alinéa de l'article 1 C.p.c qui énonce: Les parties doivent considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement de leur différend avant de s'adresser aux tribunaux. Cette disposition, par laquelle le législateur invite les justiciables à rechercher le compromis de façon préjudicielle, sous-entend la communication de l'information pertinente, et ce, même avant d'entamer le recours judiciaire.

[16]     Article 229 C.p.c.

[17]    En application de l'alinéa introductif de l'article 168 du Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.