Décision

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Chouinard c. Messier

2025 QCTAL 10341

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

846477 31 20250124 G

No demande :

4600884

 

 

Date :

26 mars 2025

Devant la juge administrative :

Marie Dominique

 

Gerald Chouinard

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Melanie Messier

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Par une demande introduite le 24 janvier 2025, le locateur demande l’autorisation de reprendre le logement pour son fils, Benjamin Chouinard.

QUESTIONS EN LITIGE

  1.       L'avis a-t-il été transmis dans les délais légaux et son contenu est-il conforme ?
  2.       La partie demanderesse a-t-elle le droit de reprendre son logement ?
  3.       Si oui, à quelles conditions peut-elle reprendre son logement ?

Les prétentions des parties

-          La preuve du locateur

  1.          Les parties sont liées par un bail de logement du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025 au loyer mensuel de 842 $. Le logement de 4½ pièces se trouve dans un quadruplex. Les deux logements du sous-sol sont de petits 3½ pièces. Le logement du rez-de-chaussée est loué 780 $ par mois à un ami de longue date du locateur. Cet ami est également l’entrepreneur qui s’occupe de la rénovation et de l’entretien des immeubles du locateur.
  2.          Outre sa résidence personnelle et l’immeuble ou réside la locataire sur la rue Cherrier, le locateur possède une autre maison unifamiliale, un bungalow avec trois logements de 3½ pièces dans le sous-sol et un triplex sur la rue Roy.
  3.          Le père du locateur habite le Bungalow. Son fils habitait un logement sous le bungalow. Sa fille habite un des logements du triplex de la rue Roy.

  1.          Le 9 août 2024, le Québec a été la scène de pluies diluviennes. Les logements du sous-sol de la rue Cherrier et du bungalow ont été inondés et les locataires ont dû quitter. Les assurances n’ayant versé qu’une modeste compensation, le locateur n’a pas encore été en mesure de compléter la rénovation des logements affectés par le déluge.
  2.          Le fils du locataire, âgé de 29 ans, s’est relogé chez son père avec son chien. Son ancien logement n’est plus habitable et il a perdu pratiquement tous ses biens.
  3.          À la suite de l’inondation, Benjamin Chouinard ne souhaite plus habiter dans un sous-sol. De plus, comme sa sœur est séparée, il l’aide fréquemment avec ses enfants. Il accueille les trois enfants âgées de 3, 5 et 6 ans plusieurs fois par semaine et aimerait avoir une chambre additionnelle pour eux.
  4.          Comme Benjamin Chouinard travaille sur des horaires variables, parfois de nuit, la cohabitation est difficile et tant le père que le fils souhaitent retrouver leur espace.
  5.          Benjamin Chouinard a visité le logement qui lui convient. Son père et lui ont déterminé qu’il paiera un loyer mensuel de 750 $, soit l’équivalent de ce que sa sœur paie pour son propre logement.
  6.      La salle de bain du logement doit être rénovée.
  7.      Le locateur confirme qu’aucun autre logement équivalent n’est disponible à la date de la reprise.

-          La preuve de la locataire

  1.      La locataire habite dans le logement depuis 7 ans avec son conjoint et leurs deux enfants de 5 et 10 ans. Le plus jeune entre à l’école en septembre et le plus vieux fréquente l’école à proximité du logement. Elle ne possède pas de voiture et ne trouve pas d’autre logement dans son budget dans les environs du logement.
  2.      Elle doute que le locateur souhaite reprendre le logement pour son fils et croit plutôt qu’il souhaite le reprendre pour effectuer des rénovations et augmenter le prix du loyer. Son logement nécessite plusieurs réparations.
  3.      Le conjoint de la locataire corrobore le témoignage de la locataire. il déclare qu’il croit que le locateur souhaite reprendre le logement pour faire des rénovations « et pour son fils en même temps ».
  4.      Le locateur offre une indemnité de 1 200 $ et accepte que la locataire quitte avant la fin du bail sans pénalité.
  5.      La locataire n’a pas évalué les coûts d’un éventuel déménagement.

ANALYSE ET DÉCISION

  1.       L'avis a-t-il été transmis dans les délais légaux et son contenu est-il conforme ?
  1.      L'avis est conforme aux dispositions des articles 1960 et 1961 du Code civil du Québec (C.c.Q.) et respecte le délai imparti.
  2.      Il a été transmis plus de 6 mois avant la fin du bail, conformément à l’article 1960 C.c.Q., soit le 26 novembre 2024. Son contenu répond aux exigences de l’article 1961 C.c.Q. en ce qu’il mentionne la date prévue pour la reprise, le nom du bénéficiaire et le lien de parenté.
  3.      La locataire n’a pas répondu à l’avis. Elle est donc présumée avoir refusé de quitter le logement en date du 26 décembre 2024.
  4.      La demande a été produite au Tribunal dans le délai légal, soit le 24 janvier 2025 (article 1963 C.c.Q.) et notifiée conformément à la loi (articles 56 et 56.2 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement).
  1.       La partie demanderesse a-t-elle le droit de reprendre son logement ?

  1.      Le droit d'un locateur de reprendre possession d'un logement est régi par l’article 1957du Code civil du Québec :

« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.

Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. »

  1.      La reprise d’un logement est une exception au droit au maintien dans les lieux. Lorsqu’il s’agit de faire perdre le droit au maintien dans les lieux d’un locataire, le législateur impose au locateur le fardeau de démontrer de manière prépondérante que son projet repose sur des faits raisonnables et probables et non sur des prétextes et d'en convaincre le Tribunal[1].
  2.      En l’espèce, le locateur rencontre les exigences de l’article 1957 C.c.Q. en ce qu’il possède la double qualité de locateur et propriétaire et qu’il souhaite reprendre le logement pour son descendant au premier degré, son fils.
  3.      Il n’est pas propriétaire d’un autre logement vacant au moment de la reprise qui est du même genre, dans les environs et avec un loyer équivalent[2].
  4.      En vertu de l’article 1963 C.c.Q., le locateur doit faire la preuve prépondérante qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.
  5.      Comme l’écrit la juge administrative Francine Jodoin dans l’affaire Leroux c. David[3] :

« Le contexte dans lequel s'inscrit la reprise du logement, la disponibilité d'autres logements convenables, l'état des relations ou les raisons qui amènent un locateur à vouloir reprendre le logement spécifiquement peuvent aider le Tribunal à apprécier l'intention véritable du locateur et l'existence d'un prétexte, mais le Tribunal n'a pas à substituer ses propres choix au sien[4]. »

(Références omises)

  1.      Les témoignages du père et du fils sont cohérents et crédibles.
  2.      Il ressort de la preuve que le locateur loue des logements à trois membres de sa famille, soit son fils, sa fille et son père.
  3.      Les circonstances de l’inondation ont forcé le père et le fils à faire vie commune. Ils souhaitent maintenant tous les deux retrouver leur espace.
  4.      Le fils du locateur a besoin de davantage de superficie puisqu’il accueille régulièrement les trois jeunes enfants de sa sœur.
  5.      Le Tribunal considère que le locateur a fait la preuve prépondérante qu’il entend réellement reprendre le logement pour son fils.
  6.      Pour ces motifs, le Tribunal accorde la demande et autorise le locateur à reprendre le logement.
  1.       Si oui, à quelles conditions peut-il reprendre son logement ?
  1.      Le Tribunal doit déterminer l’indemnité raisonnable qui sera octroyée à la locataire qui doit subir un déménagement qu’elle n’a pas désiré. À ce titre, l’article 1967 du Code civil du Québec prévoit:

« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »

  1.      Les principes devant guider le Tribunal dans l’appréciation des conditions justes et raisonnables sont bien établis par la jurisprudence. Ces principes sont les suivants[5] :
  • L’indemnité ne vise pas que les frais de transport des biens[6].

  • L’indemnité peut tenir compte de facteurs tels que l'âge du locataire, son état de santé, la durée d'occupation du logement, l'attachement au logement, le coût du transport des biens et les frais de branchement aux services publics (téléphone, électricité, câblodistribution, etc.).
  • Les conditions justes et raisonnables et l'indemnité que doit fixer le Tribunal doivent se limiter aux dépenses et inconvénients ayant trait directement à la reprise de possession, au départ du locataire et à son aménagement et son déménagement dans un autre logement.
  • La preuve doit contenir des éléments pertinents pour permettre au Tribunal d'exercer sa discrétion. Cependant, l’absence d’estimés ou de soumissions n’interdit pas au Tribunal l’exercice de sa discrétion.
  • L’indemnité ne doit pas pénaliser le locateur pour l’exercice d’un droit qui lui est accordé par la loi.
  • L'indemnité doit viser à compenser le locataire adéquatement sans risquer de créer, pour le locateur une contrainte financière telle que l'exercice même de ce droit s'en trouverait affecté.
  1.      Considérant les principes applicables et la preuve présentée, le Tribunal considère qu’un montant de 2 500 $ est raisonnable pour couvrir les frais de déménagement, de rebranchement, et de changement d’adresse.
  2.      Cette indemnité est payable dès que la présente décision devient exécutoire, soit après 30 jours de sa date.
  3.      Le Tribunal croit utile de rappeler aux parties que le locateur est tenu de reprendre les lieux loués pour les fins mentionnées à l’avis de reprise du logement et que dans le cas d’une reprise obtenue de mauvaise foi, l’article 1968 C.c.Q. prévoit la possibilité pour la locataire d’obtenir des dommages-intérêts ainsi que des dommages punitifs.
  4.      De plus, aux termes de l’article 1970 C.c.Q., un logement qui a fait l'objet d'une reprise ne peut, sans que le Tribunal ne l’autorise, être loué ou utilisé pour une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      AUTORISE le locateur à reprendre le logement concerné, pour y loger son fils Benjamin Chouinard, à compter du 1er juillet 2025;
  2.      PERMET à la locataire de quitter le logement avant le 1er juillet 2025 en transmettant au locateur un préavis de 10 jours avant son départ. La locataire sera libérée du paiement du loyer à compter de la date de son départ. Le loyer du dernier mois sera ajusté au prorata du nombre des jours d’occupation du logement;
  3.      ORDONNE à la locataire et à tout occupant du logement concerné de quitter les lieux au plus tard le 1er juillet 2025, et à défaut, ORDONNE leur expulsion à compter du 1er juillet 2025;
  4.      CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 2 500 $;
  5.      Le locateur assume les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie Dominique

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Date de l’audience : 

7 mars 2025

 

 

 


 


[1] Francine Jodoin dans l’affaire Leroux c. David 2019 QCRDL 6606 3738 (CanLII).

[2] Article 1964 Code civil du Québec.

[3] 2019 QCRDL 6606.

[4] 2019 QCRDL 6606.

[5] Pour un exposé récent sur les principes applicable voir : Kennang Ouamba c. Boutin, 2023 QCTAL 7852.

[6] Boulay c. Tremblay, (1994) J.L. 132.

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